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François Hollande ? “Plaisir de trahir, joie de décevoir”, par Laurent Binet

Wednesday 13 August 2014 at 01:07

Ex-soutien du président, l’écrivain Laurent Binet est stupéfait par la politique menée aujourd’hui. Il l’écrit pour la première fois dans “le Nouvel Observateur”, en kiosque le 10 juillet.

Finalement, il y aura quand même eu un changement sous le quinquennat de François Hollande.

Il ne s’agit pas, naturellement, du tournant social-démocrate imaginaire que seules l’inculture historique, la complaisance proverbiale et la dépolitisation fondamentale de certains journalistes ont pu accréditer un instant.

Politiquement, le déroulement des opérations a été au contraire remarquablement rectiligne : des premières semaines (ratification du traité européen, hausse de la TVA, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) aux dernières en date (intermittents, pénibilité), l’inconcevable succession de reniements s’est égrenée avec une formidable constance.

D’autres journalistes ont toutefois mis le doigt sur la nature exacte du changement :

C’est dans le discours qu’il s’est passé quelque chose. Maintenant, Hollande assume, il a fait son “coming out”, etc.

A l’époque où cette antienne a émergé, ils avaient tort. Dire “social-démocratie” pour “néolibéralisme” ou bien inventer l’oxymore “socialisme de l’offre” pour “politique de droite”, c’est faire un usage des mots politiquement classique : mentir, dissimuler, se justifier par des contorsions rhétoriques, essayer d’abuser un auditoire ou de sauver les apparences.

Un homme politique fait des promesses, les électeurs font semblant d’y croire, c’est le jeu. En littérature, on appelle ça la suspension d’incrédulité. En politique, c’est une campagne électorale. A charge pour l’élu de justifier, par la suite, son incapacité à appliquer son programme malgré toute sa bonne volonté : la conjoncture, l’Europe, la crise des subprimes, etc.

Certes, l’impression de rouleau compresseur, de systématicité infernale dans l’alignement sur le patronat rendait le quinquennat de Hollande particulièrement pénible et, d’une certaine manière, encore plus violent que le précédent, mais enfin, la méthode langagière était la même : le déni en dépit du bon sens. On se souvient, par exemple, de la phrase deCahuzac à un Mélenchon éberlué : “La réforme fiscale est terminée.” C’était encore l’époque de la trahison tranquille.

La “provocation” (comme il l’a qualifiée lui-même) de Michel Sapin, déclarant que, tout compte fait, “notre amie, c’est la finance”, nous fait basculer dans une autre dimension.

Ce n’est pas seulement que ce cynisme goguenard nous dégoûte. Après tout, il y a une forme de panache dans ce crachat à la gueule des électeurs.

(Panache entaché toutefois par la précision que Sapin a cru bon d’apporter, ajoutant le ridicule à l’abjection : la “bonne finance” évoquant irrésistiblement le sketch des Inconnus sur le bon et le mauvais chasseur.) Mais c’est, d’une certaine manière, une déclaration de guerre. Le message ne peut pas être plus clair : les mots ne veulent rien dire, ils sont réversibles comme des gants, ne nous écoutez jamais, ne croyez jamais ce qu’on vous dit, on vous a entubés jusqu’à la garde, abandonnez toute espérance, après nous le déluge. Et Hollande qui ne cessait de répéter, pendant la campagne, qu’il voulait installer la gauche au pouvoir dans la durée…

L’écrivain Laurent Binet, le 11 juillet 2012. (Eric Dessons/JDD/Sipa)

L’Histoire se souviendra de ces hommes comme de la cinquième colonne du Medef, je crois que la cause est entendue. L’explication n’est sans doute pas à chercher très loin : ni soumission ni incompétence mais complicité de classe, tout simplement. Il restera quand même ce mystère : quelle ivresse, quelle étrange perversité les aura conduits à exhiber, à mettre en scène de façon aussi spectaculaire leur duplicité ?Plaisir de trahir, joie de décevoir.

“La gauche peut mourir”, dit l’assassin. Mais non, la gauche ne mourra pas. C’est elle ou vous, et ce sera vous, parce que les idées de justice sociale auxquelles vous avez tourné le dos sont éternelles, tandis que vous êtes déjà oubliés. Ce masque que Michel Sapin a laissé tomber dans son geste de folle théâtralité, il y aura toujours des gens pour le ramasser et, l’Histoire nous a aussi appris ces choses-là, certains parmi eux qui seront dignes de le porter.

Source : Nouvel Obs

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La pathétique réponse de Sapin

Michel Sapin à Laurent Binet : “Joie de l’invective, plaisir de blesser”

L’écrivain a certes la liberté de l’écriture dans l’usage des mots et des formules au service de son idéal. L’homme politique, lui, a la responsabilité de la parole et le privilège des actes qui construisent le réel.

Mais il est des bornes à tout et la violence inutile et injuste de la tribune coup de gueule de Laurent Binet m’autorise et même m’oblige à lui répondre.

Le 15 septembre 2008, la banque Lehman Brothers s’écroulait, victime d’elle-même, de ses imprudences et des impudences d’une finance débridée et livrée à elle-même. Les conséquences de cet effondrement furent terriblement douloureuses et sont encore effrayantes. Les destructions économiques, les violences sociales, les désordres budgétaires sont à l’évidence les produits de cette finance qui est la pire ennemie du développement économique, de la cohésion sociale et de l’équilibre budgétaire. Cette finance sacrifie la construction de l’avenir à l’appât du gain immédiat. Il fallait la dénoncer, cette finance, “sans nom, sans visage, sans parti”, comme l’a fait avec conviction et talent François Hollande dans son fameux discours du Bourget, discours que chacun devrait relire en entier aujourd’hui pour en percevoir tout l’élan, toute la chaleur, toute la justesse et tout l’équilibre.

Il fallait la combattre, cette mauvaise finance, en mettant en place les règles indispensables à sa domestication, en luttant contre les fraudes fiscales insolentes, contre les fortunes amassées en quelques heures sans cause et sans risque.

Il faut continuer à la combattre sans relâche, sans indulgence, sans faiblesse, cette finance qui reste et restera notre ennemie, car elle est l’ennemie de l’intérêt général et tout simplement l’ennemie des peuples et des nations.

14 janvier 2013, la croissance reprend en Europe et en France, mais elle reprend trop lentement pour reconstruire ces tissus économiques sociaux et budgétaires détruits par cette mauvaise finance. François Hollande lance le pacte de responsabilité et de solidarité. Il faut mobiliser les acteurs privés et publics pour répondre au défi majeur des mois et des années qui viennent, l’investissement et l’emploi.

Et pour investir, qu’il s’agisse d’une entreprise qui veut acheter une machine et créer un emploi, d’un particulier qui veut acquérir un logement ou d’une commune qui veut construire une crèche, il faut trouver les financements nécessaires, la finance prête à s’engager sur la longue durée, la bonne finance qui mobilise l’épargne au service des Français.

C’est le sens de l’action de la Banque publique d’Investissement ou de la mobilisation de la Banque européenne d’Investissement. C’est le sens de la réorientation progressive de l’épargne investie dans des placements sans enjeu et sans ambition vers des placements qui s’engagent dans la durée pour appuyer les entreprises, avant tout les PME PMI, et soutenir les investissements publics des collectivités.

Oui, il existe, loin des représentations totalitaires et du manichéisme des extrêmes, une finance, une bonne finance, fruit de l’épargne privée, une bonne finance qui aidera la France à retrouver la croissance créatrice d’emplois, porteuse de solidarités et source de désendettement. Car c’est cet endettement trop élevé qui met nos finances publiques entre les mains des marchés – ces mêmes marchés qui se révèlent volatils, voire voraces, à l’image de ces fonds vautours qui, aujourd’hui encore, cherchent à asphyxier un pays comme l’Argentine.

Tel est le sens évident, à qui veut bien y réfléchir quelques secondes, de ma phrase désormais fameuse, qu’il vaut mieux citer dans son intégralité pour ne pas la travestir par malhonnêteté :

La finance est mon amie, la bonne finance, la mauvaise finance est mon ennemie et le restera toujours.”

L’invective se veut blessante, mais elle rend impuissant ; elle est le masque du cynisme et de la dictature. La réflexion aide à l’intelligence et donne de la force à l’action ; elle est le visage de la conviction et de la démocratie. Oui, l’histoire nous a appris ces choses-là, ne les oublions pas.

Source : Nouvel obs

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La vision de Jean-Michel Naulot

“Notre amie c’est la finance, la bonne finance…”. Réponse à Michel Sapin.

Tribune publiée dans L’Humanité Dimanche (31 juillet 2014).

La petite phrase du ministre a beaucoup fait rire dans certains milieux mais elle a choqué nos concitoyens. En quelques mots, le ministre a vidé de son contenu le discours du Bourget. Il est vrai que la déclaration de guerre du Président à la finance devenait un peu gênante après le récent virage libéral ! Michel Sapin a en quelque sorte rendu service à un ami… Mais à quel prix ! Cela donne le sentiment que l’on peut tout dire en politique, une chose et son contraire, même sur des sujets graves. Or, c’est précisément ce double discours qui tue la politique.

En deux ans, nous avons eu plusieurs exemples de ce grand écart entre la parole et les actes. D’abord, le Traité de stabilité budgétaire (TSCG) qui devait être renégocié et qui a été signé tel quel. Angela Merkel a beau jeu de rappeler à tout propos le texte du traité. Ensuite, la loi bancaire qui avait pour objet de montrer que l’on « s’occupe de la finance » et qui n’a pratiquement rien changé dans la vie des banques. Les financements aux fonds spéculatifs n’ont même pas été filialisés. Enfin, la manière de procéder pour mener à bien le projet de taxe sur les transactions financières (TTF) a été particulièrement cynique. Pierre Moscovici avait affirmé très solennellement qu’elle devait rapporter « plusieurs dizaines de milliards d’euros » et au final nous avons eu une vraie peau de chagrin. Rien d’étonnant puisqu’il a lui-même plaidé en coulisse pour une taxe minimale. Comment nos concitoyens pourraient-ils ensuite faire confiance à leurs dirigeants politiques ?

Lorsque Michel Barnier a présenté son projet de réforme des banques systémiques, le gouvernement aurait dû immédiatement approuver le principe de l’interdiction des activités spéculatives. Au lieu de cela, on a assisté à une levée de boucliers ! Sept ans après le déclenchement de la crise financière, il est stupéfiant de constater que l’on s’interroge encore à ce sujet. On nous explique que l’Union bancaire va réduire le risque systémique mais c’est une contre-vérité. Que pèseront en cas de crise bancaire les 55 milliards du fonds de résolution ? Pour les seules banques françaises, les produits dérivés représentent plus de 90000 milliards d’euros, 45 fois le PIB. Le comble du double discours vient d’être atteint avec la déclaration du gouverneur de la Banque d’Angleterre. Mark Carney vient d’affirmer qu’il allait financer le shadow banking pour assurer le développement de la City alors qu’il préside le Conseil de stabilité financière, le bras armé du G20 en matière de régulation financière !

Le fond du problème, c’est que les dirigeants occidentaux n’ont pas pris la dimension des ravages provoqués par le capitalisme financier, un déséquilibre historique entre la finance et l’économie réelle. Ce déséquilibre ne cesse de croître avec les liquidités injectées massivement par les banques centrales, des liquidités qui s’investissent à très court terme dans la spéculation. Croire que l’on peut développer la « bonne finance » dans un tel contexte, c’est avoir une vision très réductrice des réformes qui restent à accomplir. C’est le système qu’il faut changer. Tant que l’on n’aura pas réduit ce déséquilibre, on s’exposera à des crises systémiques. Dédramatiser le débat comme vient de le faire le ministre, c’est prendre le risque de différer les vraies réformes.

Post-scriptum (11 août) : Dans l’édition du Nouvel Observateur du 7 août, Michel Sapin tente de réduire la portée de sa déclaration d’Aix-en-Provence en précisant qu’il a ajouté : « La mauvaise finance est mon ennemie et le restera toujours ». Mais cette précision du ministre ne change rien quant au fond. Elle énonce une évidence. Quel homme politique, de droite ou de gauche, quel économiste oserait affirmer le contraire ? La contradiction entre la déclaration d’Aix et le discours du Bourget ne se limite pas à des problèmes de sémantique. Cela n’a pas échappé à nos concitoyens. J.M. N.

Source : son blog 

Source: http://www.les-crises.fr/francois-hollande-plaisir-de-trahir-joie-de-decevoir-par-laurent-binet/