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[Insider] Moi, ancien directeur financier industriel…

Wednesday 17 December 2014 at 00:01

Aujourd’hui, un témoignage d’un insider, lecteur du blog…

Voici l’histoire d’un directeur financier qui a quitté son emploi après plus de dix ans de carrière au sein d’une entreprise industrielle multinationale.

Au cours de cette période, j’ai pu constater la dérive de la société qui m’employait vers une logique de plus en plus de court terme. La cause de ce phénomène est la financiarisation et en corollaire l’évolution de l’attitude des dirigeants. Par dirigeants, j’entends le comité de direction du groupe (CET : Corporate Executive Team) et le conseil d’administration (Board of Directors).

Avant de poursuivre, je souhaiterais évoquer brièvement mon parcours. Après des études de gestion et de finance, j’intègre un cabinet d’audit. Après quelques années d’expérience, l’absence de perspective me conduit à élaborer un nouveau projet professionnel. Il devra être en phase avec mes valeurs et me permettre d’avoir un travail au sein duquel je pourrais construire quelque chose. Mes critères sont stricts. De fait, plus d’une année se passe avant de trouver une entreprise dans laquelle je souhaite travailler et qui souhaite m’engager.

Une entreprise qui a des valeurs et une vision à long terme

Au début des années 2000, je rejoins donc une belle entreprise industrielle multinationale. Elle est présente sur les cinq continents. Elle a un actionnariat familial et une longue histoire puisque qu’elle fêta ces 150 ans en 2001. Ce groupe est à cette époque, le résultat d’acquisitions externes faites au cours des années 1990. Ces acquisitions ont été faites à des valorisations raisonnables permettant un retour sur investissement raisonnable entre sept et dix ans. Les sociétés rachetées sont aussi en parfaite cohérence avec la stratégie du groupe.

Ce groupe fait des profits qui lui permettent d’autofinancer ses investissements, de distribuer des dividendes réguliers à ses actionnaires et d’augmenter les salaires de ses employés chaque année.

J’intègre comme contrôleur de gestion une de leur usine. Le directeur financier qui m’a embauché est alors âgé de 55 ans. Il me présente un plan d’investissement de 10 ans ayant démarré en 1995 et courant jusqu’en 2005. Ce plan couvrait des augmentations de capacité de production mais aussi des dépenses sans retour sur investissement rapide comme une nouvelle chaudière à gaz, plus économe et moins polluante que celle au fuel, et une nouvelle station d’épuration biologique et non plus physico-chimique, ayant permis de réduire les rejets polluants. Le groupe vient aussi de terminer de lourds investissements informatiques.

Il est plaisant de travailler avec des gens de tous âges. Plusieurs jeunes cadres âgés entre 25 et 30 ans ont été embauchés récemment. En effet, les responsables quinquagénaires pensent à former une génération montante. Ils préparent tout simplement leur départ à la retraite qu’ils envisagent entre 60 et 65 ans.

Je réalise que je viens de rejoindre une entreprise avec beaucoup d’histoire et des hommes engagés, respectueux et respectables. Cette entreprise est gérée avec bon sens. Les investissements sont continus pour maintenir sa compétitivité et évoluer avec le monde qui l’entoure.

Au bout d’un an, une opportunité m’est présentée. La mission est de partir à l’étranger dans une usine qui perd de l’argent pour la redresser. Dans le même temps, je deviens aussi responsable du contrôle de gestion de deux autres sites. Mon nouveau patron est une nouvelle recrue du groupe. Il a 46 ans et possède une forte culture industrielle. Il possède une vision de long terme tout en étant respectueux et respectable.

Les choses basculent

En 2004, une vague de quinquagénaires se fait licencier dont le directeur financier qui m’avait embauché. L’idée est de réduire les coûts annuels récurrents. Tant pis pour l’expérience perdue. Certains jeunes loups arrivistes grimpent fortement dans la hiérarchie. Leur valeur est l’argent. Leur motivation est le bonus.

Les investissements sont gelés. La dernière phase du plan décennal d’investissement de l’usine dans laquelle j’ai démarré, est ajournée. Les trois usines pour lesquelles je travaille, en sont réduites au pain sec et à l’eau en ce qui concerne leurs investissements pour le plan stratégique 2005-2007 que nous élaborons au cours du printemps 2004.

Mais pourquoi tous ces changements si soudains me demanderez-vous. La réponse est simple : le groupe prépare son introduction en Bourse pour l’année 2006. La raison officielle est de lever des capitaux pour pouvoir faire plus d’investissements. La raison officieuse est de permettre à certains gros actionnaires familiaux de céder leurs actions plus facilement sur les marchés financiers.

De mon côté, je me suis bien intégré dans mon nouveau poste. L’ambiance de travail est géniale. L’équipe parvient à redresser les comptes du site. Cela est rendu possible grâce à une simplification de la gamme de produits, des gains de productivité provenant de meilleures méthodes de travail, des actions commerciales et aussi une forte motivation des troupes autour du projet qui consiste à sauver cette usine. Nous progressons sans investissement. Nous évitons aussi un plan social. Quelques licenciements sont faits à la marge liés à quelques cas individuels problématiques.

Le groupe change de PDG et de conseil d’administration en 2005. Il est introduit en Bourse l’année suivante. Une augmentation de capital est réalisée. Une grosse ligne de crédit est mise à disposition par les banques pour des investissements.

Après deux années sans investissement, il faut maintenant investir. Il faut le faire vite et bien. Il faut montrer aux marchés financiers ce dont le groupe est capable.

Plusieurs centaines de millions d’euros d’investissement sont programmés dans les deux ans. L’argent est réservé aux divisions et lignes de produits rentables. La logique est que ce qui est rentable aujourd’hui le sera forcément demain. Les autres doivent continuer à se serrer la ceinture.

La frénésie d’investissement démarre. Les ressources humaines sont augmentées à la marge. On fait place aux jeunes parce que les vieux sont lents. Les retours sur investissement doivent tous être inférieurs à cinq ans. On n’écoute ni les ouvriers, ni les ingénieurs, ni les commerciaux. Quelques directeurs généraux et de division sont la fleur au fusil pour dépenser tout cet argent pour le groupe. Miraculeusement, tous les investissements ont des retours sur investissement de cinq ans maximum…enfin sur le papier.

La dernière phase d’investissement de l’usine de mes débuts revient à l’ordre du jour. Dans les coulisses, je sais qu’un retour sur investissement est impossible en cinq ans. Pourtant on y va à fond en dépensant le minimum pour gagner le maximum sur le papier toujours.

De désastre en désastre

Les hausses des matières premières portées par le boom économique de la Chine et la spéculation érodent les marges du groupe dès 2006. Pourtant aucun investissement sérieux d’économie d’énergie ou de matières premières n’est programmé.

On se focalise sur les grands plans où on vendra toujours plus et toujours plus cher. Il est prévu que la croissance soit infinie. La prudence des anciens est mise au placard où se trouvent effectivement quelques quinquagénaires.

L’année 2007 est terrible. Les premiers investissements ont été réalisés. Ils ne génèrent pas les retours prévus. Des millions commencent à être perdus sur de nombreux sites qui étaient pourtant florissant auparavant. C’est le cas de l’usine de mes débuts dont le budget d’investissement initial est fortement dépassé et qui enregistre de lourdes pertes d’exploitation chaque mois.

La panique commence à s’emparer de nos dirigeants. Ils craignent pour leur bonus et leur poste. Leur responsabilité sociétale est le cadet de leur souci.

Il faut faire quelque chose pour rassurer les marchés. Une action rapide et un bon plan de communication suffiront. Il est décidé à la hâte la fermeture de plusieurs usines et des plans de licenciement.

Dans la liste des usines figurent celle où je travaille. Pourtant les comptes de cette-dernière ont été redressés. Elle ne gagne certes pas d’argent essentiellement à cause des contributions qu’elle verse au groupe, mais elle n’en perd pas non plus. Qu’importe, il faut agir. On ferme. La décision est prise début septembre. La production est arrêtée fin octobre. Tout le personnel est licencié courant janvier y compris le directeur général, mon patron, qui avait trop de bon sens aux yeux de certains dirigeants. Mon contrat de détachement m’évite le licenciement. Je suis rapatrié en France. Pourtant j’ai perdu mon travail et tous mes collègues. C’est un choc et une blessure. Je suis abasourdi d’une telle stupidité, d’un tel manque de logique économique et de l’absence totale de respect des personnes.

Bien évidemment, ces décisions ne résolvent en rien les pertes récurrentes du groupe. En effet, les problèmes de fond sont toujours là à savoir l’inefficience totale des nombreux investissements réalisés trop vites.

En revanche, les bonus et les plans de stock-options atteignent des niveaux record en cette année 2007 bien que le groupe ne réalise quasiment aucun profit pour la première fois depuis que j’ai commencé à travailler pour cette entreprise.

Devant une telle débâcle et autant d’erreurs, le PDG est débarqué au début de l’année suivante. Il est remplacé par un vieux loup en interne pour assurer l’intérim sans faire de vague. En revanche, le conseil d’administration qui a pourtant poussé et approuvé tous ces investissements désastreux, reste en place. Les rouages de la politique sont merveilleux et excluent toute logique.

Changement de cap … vraiment ?

Au cours de l’année 2008, une nouvelle division est créée à partir de la scission d’une division existante. Cette division regroupe un beau paquet hétérogène d’entreprises achetées à prix d’or et en toute hâte entre 2006 et 2007. C’est une partie des fameux investissements devant donnés un retour sur investissement de 5 ans maximum. Cette nouvelle division perd 1 million d’euros par mois. Son directeur est choisi parmi la vieille école à savoir bon sens et vision industrielle à long terme.

Il devient mon patron puisqu’il me choisit pour devenir le directeur financier de la division. Une nouvelle équipe se forme. Ce challenge fait revenir la motivation. Cependant la situation est très difficile. Des plans de restructuration sont nécessaires. L’effectif de la division est réduit de 700 à 550 personnes. Les lignes de production sont rationalisées. Les cadres incompétents sont remerciés. La division est redressée malgré la crise : 4 millions de profits en 2009 contre 12 millions de pertes en 2008.

Entre temps, un nouveau PDG est arrivé à la tête du groupe. Il nous accompagne et nous soutient dans le redressement de cette division. Il semble avoir une bonne attitude d’industriel.

Malheureusement, c’est bien un de ces PDG de la nouvelle génération, un peu beaucoup mégalo avec plein de théories dans la tête et aussi un salaire bien plus élevé que celui de son prédécesseur. Il est surprenant de voir combien les entreprises peuvent dépenser en communication et en honoraires de consultants, tout en réduisant les investissements et les charges de R&D au minimum. Le bon sens est définitivement une relique du passé. Cela en hypothèque d’autant plus le futur.

Une nouvelle stratégie est décidée. La division à laquelle j’appartiens est alors mis en vente. Je vous laisse apprécier. Quatre ans auparavant, environ une centaine de millions d’euros ont été investis pour racheter des entreprises. Le retour sur investissement doit être rapide. Au bout de quelques mois, c’est un désastre financier qui perd un million d’euros par mois. Une nouvelle équipe est mise en place. Elle redresse la division pour mieux la vendre un an plus tard. Pendant ce temps, il n’y a ni investissements productifs, ni développements de nouveaux produits. La concurrence se comporte, au mieux comme nous, à savoir qu’elle achète et revends à long terme sachant que le long terme signifie désormais plusieurs mois et non plus plusieurs années ; au pire, en investissant et se développant à notre détriment.

Au cours du processus de vente, nous rencontrons des fonds d’investissement. Un en particulier semble avoir une vraie approche industrielle de création de valeur en investissant dans des entreprises pour une durée minimum de 8 ans. Au final, nous sommes revendus à un autre groupe également côté en Bourse qui surpaye cette division. Nous comprenons que les jeux de pouvoirs au sein des conseils d’administration ont été plus forts que les logiques économiques et le respect des personnes, encore une fois.

En 2011, le groupe fait de lourdes pertes. Pourtant un dividende exceptionnel est distribué. C’est en fait juste un enfumage pour les actionnaires, comme nous le verrons en conclusion, qui sert à masquer les plus grosses rémunérations jamais versées aux dirigeants au cours des dix dernières années.

Conclusion : 10 ans plus tard … les chiffres sont têtus

Entre 2002 et 2012, comment les chiffres ont évolué grâce à l’introduction en Bourse, aux super investissements et aux nouvelles stratégies ?

Source: http://www.les-crises.fr/insider-directeur-financier/