les-crises.fr

Ce site n'est pas le site officiel.
C'est un blog automatisé qui réplique les articles automatiquement

Jean Tirole : “On ne peut pas se targuer de moralité quand on est contre le commerce des organes”

Friday 5 February 2016 at 03:49

Voici la dernière production de Jean Tirole, notre fabuleux “Prix Nobel d’économie” (qui n’est qu’un prix de la banque nationale de Suède pour mémoire)

Une fabuleuse illustration du renversement des valeurs morales fondamentales !

(P.S. quelqu’un aurait-il un moyen de joindre Jean-Claude Michéa par ailleurs, merci de me contacter si oui)

Jean Tirole : La Moralité et le Marché publié par les-crises
Extraits :

Nous avons tous des réticences à l’existence de certains marchés : dons d’organes, mères porteuses, paiement pour éviter la conscription, prostitution… Tous ces marchés sont problématiques. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que nous avons des principes moraux. Mais ces principes moraux eux-mêmes soulèvent des difficultés qu’il importe d’analyse. Ainsi, le professeur Gary Becker remarquait à propos du don d’organes que l’interdiction de vendre son rein limitait les donations, condamnant ainsi chaque année des milliers de personnes aux États-Unis à mourir faute de donneurs. Pour lui, les détracteurs du marché d’organes ne doivent donc pas se draper dans leur vertu, leur idéal de moralité, qui s’avère aussi coupable de la mort des malades en demande d’organes. On ne peut pas se targuer de moralité quand on est contre le commerce des organes, et la question s’avère plus complexe qu’il n’y paraît au premier regard.

On est même un salaud, non ?

Je propose qu’on se cotise pour donner 20 000 € à Tirole en échange d’un de ses reins, pour qu’il connaisse les joies – et les risques – d’une vie avec un rein unique.

Pour 30 000 € de plus, on essaye de trouver un donneur pour lui transplanter un coeur… ?

Plutôt que d’adopter sans réfléchir une posture morale condamnant a priori le marché, il est préférable d’analyser nos tabous moraux ; cette analyse revêt un caractère décisif pour la conception d’une bonne politique publique, et se révèle bien plus utile et efficace qu’une attitude émotive fondée sur nos sentiments moraux comme l’indignation. Pourquoi sommes-nous gênés vis-à-vis du marché du don d’organes ou de la brevetabilité du vivant ?

Kant, dans les Fondements de la métaphysique des Mœurs, distingue les notions de prix et de dignité : « Dans le règne des fins tout a un prix ou une dignité. […] Ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pas d’équivalent, a une dignité ». La vie n’a pas de prix parce qu’elle n’a pas d’équivalent.

La vie a une forme de sacralité. Elle ne peut donc pas être l’objet d’un marché. Les tabous sur la vie et la mort ont des conséquences. L’explicitation des arbitrages liés à la santé, par exemple, soulève des controverses, dont l’effet premier est parfois l’augmentation du nombre de décès. Nos réticences à faire des calculs entre le nombre de personnes à sauver et les moyens mis en œuvres coûtent des vies à des millions de personnes chaque année. N’est-il pas absurde, par exemple, de dépenser des millions d’euros dans un service chirurgical pour sauver une vie lorsqu’on pourrait consacrer la même somme dans un autre service pour sauver davantage de vies ? La possibilité de ces calculs choque ; mais il est tout aussi choquant de refuser par principe de les faire, car le prix à payer pour ce refus est important en nombre de vies perdues.

Pour argumenter en faveur de leur rejet du calcul, les philosophes ont utilisé des dilemmes célèbres, comme celui du tramway : on demande aux personnes, comme dans une expérience morale, de savoir s’ils accepteraient de faire dérailler un tramway (en tuant pour cela une personne) pour sauver cinq autres personnes. Le calcul est simple: 1 vie contre 5. Pourquoi refuser de penser ce type de calcul ?

Pourquoi ce tabou ? Il convient de nous interroger sur son origine et sur son incidence et ses coûts pour les politiques publiques plutôt que de le valider comme un préalable non discutable. Car, de facto, nous mettons tous implicitement une valeur sur la vie : celles des patients dans les choix de politiques hospitalières, voire celles de nos enfants (dans nos choix de financement de leurs études ou dans nos choix d’acheter une automobile plus ou moins fiable, plus ou moins sécure). Ces tabous doivent donc être interroogés, ce d’autant qu’ils sont changeants dans le temps et dans l’espace. [...]

Beaucoup reprochent au marché de causer une dilution du lien social. [...] Mais cette diminution des liens a aussi des vertus. Par exemple, comme l’expliquait Pierre Bourdieu, l’économie du don et du contredon implique une relation de dépendance, voire de domination du donateur sur le donataire dans le cadre d’une relation de générosité sans calcul, qui peut se traduire par une violence entre les acteurs. Le dogme du renforcement du lien social est donc aussi à questionner. Car une distension du lien social a indéaniablement des effets positifs et souhaitables. Le marché nous apprend par exemple à interagir et à connaître des étrangers. Le marché rend moins dépendant d’un prestataire, d’un acteur, d’un monopole. Montesquieu parlait ainsi du « doux commerce ». [...]

Donc le don, c’est pas super super…

L’égoïsme semble au cœur de l’économie de marché. Mais, comme l’a montré Adam Smith, l’égoïsme est moteur du lien social : l’intérêt personnel motive à l’échange et à l’enrichissement des relations. En soi, la cupidité n’est donc ni bonne ni mauvaise : canalisée au service d’un comportement novateur, concurrentiel, dans le cadre d’un système de lois et de régulation bien conçu, elle peut servir de moteur de l’innovation et aboutir à un développement harmonieux, bénéficiant à chacun  [...]

Quand je pense aux blaireaux qui l’ont classée comme un pêché… ”La racine de tous les maux, c’est la cupidité.” (1 Tm 6, 10)

Adam Smith n’a rien montré, il a juste écrit une phrase, sur le sujet dont parle Tirole, sur la “main invisible” : “Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme”. Mais c’est purement argumentatif, il n’y a rien de plus.

Citons donc encore Adam Smith (lire aussi ici par exemple) :

“Tout pour nous et rien pour les autres, voilà la vile maxime qui paraît avoir été, dans tous les âges, celle des maîtres de l’espèce humaine”

“La naissance et la fortune sont évidemment les deux circonstances qui contribuent le plus à placer un homme au-dessus d’un autre. Ce sont les deux grandes sources des distinctions personnelles, et ce sont, par conséquent, les causses principales qui établissent naturellement de l’autorité et de la subordination parmi les hommes”

“Les membres d’une même industrie se rencontrent rarement par plaisir ou pour se divertir, mais leur conversation aboutit invariablement sur une conspiration contre l’intérêt général ou sur un accord pour augmenter leur prix”

” Les gens du peuple (…) n’ont guère de temps de reste à mettre à leur éducation. Leurs parents peuvent à peine suffire à leur entretien pendant l’enfance. Aussitôt qu’ils sont en état de travailler, il faut qu’ils s’adonnent à quelque métier pour gagner leur subsistance. Ce métier est aussi, en général, si simple et si uniforme, qu’il donne très peu d’exercice à leur intelligence ; tandis qu’en même temps leur travail est à la fois si dur et si constant, qu’il ne leur laisse guère de loisir, encore moins de disposition, à s’appliquer, ni même à penser à autre chose.”

“Assurément, on ne doit pas regarder comme heureuse et prospère une société dont les membres les plus nombreux sont réduits à la pauvreté et à la misère. La seule équité, d’ailleurs, exige que ceux qui nourrissent, habillent et logent tout le corps de la nation, aient, dans le produit de leur propre travail, une part suffisante pour être eux-mêmes passablement nourris, vêtus et logés”

Les libéraux classiques ont toujours voulu réduire les inégalités – et pour atteindre ce but, ils pensaient que la liberté était la meilleure façon de le faire (rappelons qu’ils sortaient de régimes oppressifs) :

“Si j’avais le malheur de ne voir dans le capital que l’avantage de capitalistes, et de ne saisir ainsi qu’un côté, et, assurément, le côté le plus étroit et le moins consolant de la science économique, je me ferais Socialiste ; car de manière ou d’autre, il faut que l’inégalité s’efface progressivement, et si la liberté ne renfermait pas cette solution, comme les socialistes je la demanderais à la loi, à l’État, à la contrainte, à l’art, à l’utopie.” [Frédéric Bastiat]

Nos clowns actuels sont bien lien de ce niveau de réflexion.

=======================================================================

Tirole : thuriféraire du marché, par Frédéric Dessort

Source : Ouvertures, Frédéric Dessort, 24-01-2016

Tirole récidive, enfonce le clou. A l’occasion d’un exposé donné dans le cadre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, le 11 janvier, sous les ors de l’Institut de France, le Nobel toulousain s’est livré à un long plaidoyer pour le marché. Voir ici le lien vers le texte. Jean Tirole répond ici nommément à Michael Sandel, professeur de philosophie à Harvard (cf page Wikipedia), dont la notoriété mondiale de l’ouvrage « Ce que l’argent ne saurait acheter » l’a sans doute révulsé.

Jean Tirole, le 11 janvier 2016, à l’Institut de France. Dans le cadre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques

L’enjeu de cette intervention est en gros de fustiger les moralistes qui veulent empêcher le marché de s’exprimer un peu partout, y compris pour les marchés dits par les économistes « répugnants ». Il cite le marché des organes, de l’amitié, de l’adoption, de l’admission dans une université prestigieuse, de la prostitution.

Il vient vous expliquer que oui, c’est vrai, ces marchés dysfonctionnent, mais que ce n’est pas une question de morale, c’est plus une histoire de mécanisme économique (je ne rentre pas dans le détail). Et que plutôt que les (ces activités) « sortir du marché », on peut leur appliquer « la théorie des incitations », ce qui permettra d’éviter « ces écueils moralement condamnables, tout en bénéficiant des vertus du marché […] « .

Pour mémoire, sa théorie des incitations peut se comprendre, en ce qui concerne un marché répugnant, au travers de l’exemple suivant : le sang. Ainsi, selon Tirole, les gens devraient vendre leur sang plutôt que le donner, car il y aura ainsi plus de sang sur le marché. Mais seulement, lui et ses amis spécialistes de l’économie comportementale ont découvert (sic) que si les gens ne vendent pas leur sang, c’est qu’ils auraient une image de cupidité qu’il ne supporteraient pas. Mais il poursuit : on peut, selon lui, calculer un prix adéquat en dessous duquel les gens n’auront pas cette culpabilité là.

Je me demande comment il veut appliquer cela aux marchés répugnants pré-cités…

Ainsi, il fustige l’hypocrisie des gens en couples qui ne vont pas voir des prostitués, ce qui donc, si on le suit bien, freine le marché de la prostitution pour de mauvaises raisons. Je le cite : « Ainsi, une personne qui serait scandalisée par l’idée même de la prostitution ou de relations tarifées, peut néanmoins rester avec son conjoint, sans amour, par désir de sécurité financière ou par simple peur de la solitude. Parfois, le marché est donc notre bouc-émissaire : il endosse les critiques que nous pourrions adresser à l’humanité-même car il révèle ou met en évidence ce qui peut déplaire dans la nature même de l’humain. Le marché, en tant que miroir de l’humanité, sert alors à nous cacher notre propre hypocrisie et à révéler certains penchants voire certaines parties de notre âme que nous aurions aimé cacher aux autres et à nous-mêmes. » Etrange, non, comme raisonnement…?

Et ce texte est truffé d’affirmations des plus étonnantes… Petit florilège que je commente :

– « On ne peut se targuer de moralité quand on est contre le commerce des organes ».

En gros son argument c’est de dire, vous les moralistes qui vous élevez sans réfléchir, sous le coup de l’émotion, contre la marchandisation des organes, qui apporterait plus d’organes sur le marché à ceux qui en ont besoin, vous êtes des cons. Je me demande qui est le con dans cette histoire. Être contre ce marché, c’est juste une histoire de morale gauchiste semble t-il, pour lui. Il n’y aurait donc pas d’arguments sérieux contre ce phénomène ?
Par contre, outre ses arguments, il a même des idées de mise en oeuvre : dans un autre texte (texte du débat suivant un discours prononcé en 2011 dans le sein de la même académie, lien ici) il estime qu’il « faudrait payer une forte somme d’argent à des gens du Tiers-Monde » pour qu’ils fournissent leurs organes…

– « Le marché […] préserve des risques discrétionnaires, des lobbys et du favoritisme »

Là, j’étais plié de rire. Ah oui, le marché préserve des risques discrétionnaires ? Sans blague ! des lobbys ? Mince alors ! du favoritisme ? MDR !

– « le marché […] empêche les entreprises puissantes d’imposer leurs prix élevés et leurs produits médiocres »

Pareil. On rit… Le marché a t-il empêché Servier de fournir son médiator ? Et Monsanto, ses pesticides ? et le cartel des télécoms, Orange, SFR et Bouygues, ils ne se sont pas entendus pendant 15 ans pour nous infliger des prix délirants sur les communications mobiles ? faut-il allonger la liste ??

– « […] une étude récente a montré que le partage des responsabilités érode les valeurs morales : l’existence d’excuses (‘‘on m’a demandé de le faire’’, ‘‘tout le monde le fait’’, etc.) a permis la mise au rencard des réticences individuelles peu éthiques. » (la phrase est alambiquée…)

Là aussi on sourit, ou on est triste. Il lui a donc fallu une belle étude « récente » réalisée par des économistes (Sic) pour savoir que les gens peuvent se déresponsabiliser dans un groupe ou dans une chaîne de responsabilités. Je pense qu’il n’est point besoin de faire des calculs ou enquêtes savantes pour le savoir. J’imagine qu’il ne connaît pas l’expression « criminel de bureau »…

Jean Tirole se paie en plus le luxe d’un chapitre conclusif sur le marché et les inégalités qu’il génère, dans lequel il explique que la Science économique trouve ses limites à appréhender le problème et à en trouver des solutions. Sans doute pense t-il représenter l’ensemble des économistes ?

Frédéric Dessort

Source : Ouvertures, Frédéric Dessort, 24-01-2016

Source: http://www.les-crises.fr/jean-tirole-on-ne-peut-pas-se-targuer-de-moralite-quand-on-est-contre-le-commerce-des-organes/