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Junker : “Maintenant, il va falloir que Tsipras explique aux grecs qu’il ne remplira pas ses promesses”

Thursday 2 April 2015 at 00:17

Junker à la presse espagnole…

 

A Bruxelles, la semaine dernière : Junker derrière son bureau, tenant une copie d’un entretien précédent donné à EL PAÍS. [NdT : quotidien espagnol] / DELMI ALVAREZ

A un moment, au cours des deux dernières années, après avoir perdu les élections au Luxembourg, Jean-Claude Junker (né à Redange en 1954), caressa l’idée d’abandonner la politique et d’écrire ses mémoires. Puis, il a réalisé que ce qui ne peut pas être dit doit être tu : “Il aurait fallu confesser des secrets inavouables.” Juncker a rangé le projet pour revenir à son milieu naturel : après avoir gagné les élections européennes, malgré les réticences de Berlin, il dirige la Commission européenne, qu’il appelle lui-même “de la dernière chance” à cause de la nécessité de sortir définitivement la tête de cette combinaison de crises multiples assaisonnées d’un formidable désenchantement quant à l’UE. Il continue de taire certaines choses après plusieurs décennies en première ligne européenne, même si, hors micro, il égrène des anecdotes juteuses parfaitement impubliables. Et, dans cette entrevue avec El PAIS, il offre une vision modérément optimiste de l’Europe, même s’il s’autorise le doute : il applaudit l’Espagne pour ses réformes, mais prévient que, pour être honnête, il faut ajouter que la crise perdurera tant que le chômage ne baissera pas ; il concède qu’Alexis Tsipras a assumé ses responsabilités, mais il affirme qu’il lui faudra encore expliquer aux grecs que certaines de ses promesses sont intenables. Les partis comme Syriza ou Podemos, dit-il, établissent un bon diagnostic de la situation, mais leurs propositions mèneraient au “blocage total” du projet européen.

L’Europe continue d’être un lieu intéressant et contradictoire : un ex-vice-président de Goldman Sachs, Mario Draghi, défie l’orthodoxie allemande. Et le leader conservateur d’une sorte de paradis fiscal, Juncker, fait obstacle aux recettes de Berlin en ajoutant une dose de flexibilité dans ses règles fiscales. Il lance un plan d’investissements d’un contorsionnisme financier inusité, à la saveur pseudo keynésienne. Il promet d’en finir avec les magouilles fiscales des multinationales, alors qu’il est lui-même dans l’œil du cyclone à cause des abus de son pays. Entre le discours churchillien de sang, de sueur et de larmes incarné par Merkel et le “I have a dream” à la Martin Luther King de Tsipras, Juncker – qui vient aujourd’hui en Espagne – cherche un compromis plus pragmatique, moins proche du ton moralisateur de ces (très germaniques) derniers temps. Il alerte contre la tentation de l’échec en rappelant que certaines choses n’éveillent une loyauté passionnée qu’après avoir été perdues. Et il déplore que le pire de la crise “soit le retour de vieilles rancœurs.”

Question : Quel est le problème majeur de l’Europe ?

Réponse : Le désenchantement des gens par rapport aux institutions est un défi, mais le problème majeur reste le chômage. Avec des chiffres du chômage des jeunes aussi élevés en Espagne, même si les choses sont en train de s’améliorer, nous ne pouvons dire aux gens, ni à nous-mêmes, que la crise est finie. Il est plus honnête de dire que nous continuerons à subir de graves difficultés tant que le chômage ne sera pas redescendu à des niveaux normaux. Nous sommes au milieu de la crise : celle-ci n’est pas terminée.

Q : Un tel réalisme surprend : l’Espagne a fait trois réformes sur l’emploi en cinq ans, la Commission que vous présidez les montre en exemple jour après jour, alors que le chômage atteint 23% et que le chômage des jeunes dépasse 50%.

R : Mon impression est la suivante : le gouvernement espagnol a réformé l’économie, a pris des décisions compliquées, a approuvé de dures réformes structurelles, même si nous pouvons discuter de leur envergure et de leur ambition, a résolu la crise bancaire, et la reprise est là. Peut-être n’en a-t-on pas encore suffisamment fait pour aboutir à l’emploi, cela peut donner aux espagnols l’impression trompeuse que les choses ne vont pas dans la bonne direction.

Q : Personne ne met en doute les statistiques mais expliquez-les à 5,5 millions de chômeurs.

R : Les réformes structurelles tardent à donner des résultats. Je comprends l’impatience, les citoyens exigent des résultats immédiats. Mais il faut donner du temps au temps.

Q : N’avons-nous pas eu déjà suffisamment de temps pour voir les résultats des politiques européennes ? Nous en sommes déjà à cinq années de sauvetage en Grèce, et il ne semble pas que les choses soient si faciles pour Tsipras. Il n’était pas approprié que les gouvernements négocient des ajustements avec des fonctionnaires.

R : Tsipras a franchi une étape fondamentale ; Il a commencé à assumer ses responsabilités. Mais il a un problème : il doit encore expliquer que certaines des promesses qui lui ont fait gagner les élections ne seront pas réalisées.

Savoureux, quelle belle vision de la Démocratie – c’est ça finalement les “valeurs européennes” ?

Tsipras a le mérite d’avoir posé les bonnes questions. Mais il n’a jamais donné de réponses. S’il a donné quelques réponses, celles-ci étaient exclusivement nationales, alors qu’il est évident que sur ce qui touche à la Grèce et à son programme, il y a 19 opinions publiques qui comptent. Les élections ne changent pas les traités : il est clair que vous pouvez avoir une autre approche de la crise grecque ; Il peut y avoir plus de flexibilité, mais la victoire de Tsipras ne lui donne pas le droit de tout changer. L’image de la Grèce prend diverses couleurs selon qui la regarde : les Allemands, les Grecs, les Portugais ou les Espagnols.

Q : Le dernier accord a évité une secousse sur les marchés. Et pourtant, n’est-ce pas là l’un de ces croche-pieds que vous dénonciez en quittant la direction de l’Euro-groupe ?

R : La marge de manœuvre s’est réduite. De nombreux pays ont l’impression que l’histoire de la Grèce n’en finit pas, de deux programmes on va passer à trois ; les grecs ont le même sentiment. Les choses se sont améliorées : le déficit public et le chômage ont chuté, la situation s’était éclaircie jusqu’aux élections. Mais même ainsi, pour un grec de 27 ans qui n’a jamais travaillé les statistiques ont peu d’intérêt : il est préoccupé parce qu’il n’a pas d’emploi. Et cela, qui vaut pour la Grèce comme pour l’Espagne, n’est pas si facile à changer à court terme, même avec des réformes.

Q : Tsipras a été élu sur un message anti-austérité, anti-troïka, avec la promesse de restructurer la dette. Craignez-vous que d’autres partis, comme Podemos, brandissent ce drapeau ?

R : Ce nouveau genre de parti analyse souvent la situation de façon réaliste, ils pointent avec acuité les énormes défis sociaux. Mais s’ils gagnent les élections ils sont incapables de réaliser leurs promesses, de transformer leurs programmes en réalités. Les propositions de certains de ces partis ne sont pas compatibles avec les règles européennes : ils mèneraient à une situation de blocage total.

Q : “Mort à la troïka”, disait un haut responsable de la dernière Commission. Ce moment est-il arrivé ?

R : Les gens découvrent aujourd’hui que cela fait des années que je dis qu’il faut en finir avec la troïka. En partie pour une question de dignité : peut-être n’avons nous pas été suffisamment respectueux.

Q : C’est ce que dit Tsipras.

R : C’est différent. Mon approche consiste à souligner que les pays secourus siégeaient lors des négociations non pas face à la Commission ou à l’Euro-groupe, mais à des fonctionnaires. Ce n’était pas adéquat. Second problème : lorsque nous lançons un programme d’ajustement, une évaluation de l’impact social est indispensable. Cela n’a pas été fait, et nous voyons aujourd’hui que 25% des grecs ont été chassés du système de sécurité sociale. Nous devrions anticiper ce genre de conséquences.

Q : Au-delà de la Grèce, l’Europe prend un tournant : plus de flexibilité fiscale, d’investissements et une BCE plus active. Les États-Unis ont une croissance du double et moitié moins de chômeurs, peut-être parce que d’autres politiques ont été appliquées. Est-ce trop tard ? Y-a-t’il eu des erreurs ici ?

R : Les États-Unis et la zone euro ne sont pas comparables. Nous continuons à penser en Europe que la consolidation fiscale et les réformes sont importantes, mais il est clair que cela seul ne suffit pas : il faut investir pour éviter que 23 millions d’européens soient toujours privés d’emploi. Pour cela nous avons conçu ce plan d’investissements de 315 000 millions d’euros. Les banques publiques d’Allemagne et d’Espagne ont déjà répondu au projet. Nous sommes sur la bonne voie.

Q : Mais ils écartent l’investissement dans le capital du fonds. Ils injecteront seulement des fonds durant la phase finale des projets de leurs pays respectifs. Cela vous déçoit ?

R : Je ne partage pas votre point de vue. Quand la photo globale du plan sera prête, nous aurons plus de contributions. Mais même sans elles, le plan est comme un poème : il parle par lui-même.

Q : Vous êtes un des pères des actuelles règles de l’euro, qui n’ont ni empêché la crise ni permis plus tard de la gérer correctement. N’ont-elles pas été faites pour un monde qui n’existe plus ?

R : L’Europe n’est pas un État avec un gouvernement et un trésor public. Dans la conception actuelle de la zone euro, des règles sont indispensables pour coordonner les politiques économiques. Le pacte de stabilité permet déjà la flexibilité ; l’union bancaire est un bond en avant pour éviter que ne se déclenche une réplique de la crise financière. L’union économique et monétaire est un processus en continuelle construction.

Q : Pourquoi au sud avons-nous l’impression que les règles deviennent flexibles seulement quand les problèmes atteignent la France, comme cela s’est déjà produit au cours de la dernière décennie pour l’Allemagne ?

R : Vous mélangez les dates : l’Allemagne n’a pas suivi la lettre du pacte en 2003, et la réforme se fit en 2005. Par rapport à la décision de donner deux ans à la France, différents pays, incluant ceux du sud, ont critiqué cette mesure. Et je ne vois cependant pas de grand enthousiasme en France, qui se trouve obligée de revoir son budget et de tenir ses engagements. On peut avoir l’impression que la France a reçu un cadeau, mais c’est un cadeau empoisonné.

Q : Comment expliquez-vous à un espagnol que, après trois réformes du code du travail et une des retraites, l’Espagne ait obtenu deux ans en 2013 pour réduire son déficit, et que la France ait obtenu quatre ans depuis lors sans une seule réforme de cette ampleur ?

R : La France n’a pas fait suffisamment de réformes, mais elle a mis en marche ce processus. Elle a réformé sa structure régionale, et elle a adopté la loi Macron, bien que celle-ci ne soit pas suffisamment ambitieuse. Paris a envoyé un document de 47 pages qui explique comment elle va aborder les réformes. Elle sait ce qu’elle doit améliorer. Et elle le fera.

Q : Il y aura des amendes ?

R : Je suis sûr que le gouvernement français a compris que les sanctions sont une possibilité.

Q : Il semble que le traditionnel axe franco-allemand soit une chose révolue. Que vous évoque ce que Tony Judt appelait l’”inquiétant pouvoir de l’Allemagne” ?

R : La Grèce est l’exemple même que ce sentiment d’une Allemagne leader européen à la poigne de fer ne correspond pas à la réalité. Il y a eu des pays plus sévères que l’Allemagne : la Hollande, la Finlande, la Slovaquie, les pays baltes, l’Autriche. Ces dernières semaines, l’Espagne et le Portugal ont été très exigeants envers la Grèce.

Q : Comment votre relation avec Merkel a-t-elle évolué ? Votre Commission veut être plus politique : est-ce que cela inclut d’agir comme contrepoids à Berlin ?

R : Ca ne m’intéresse pas de défier Merkel, ni aucun premier ministre. Ma relation avec elle est excellente.

Q : L’un des défis de votre mandat est le référendum britannique sur son appartenance à l’UE. N’êtes-vous pas lassé par tant d’apocalypses ?

R : Mon expérience me dit que les révolutions ne s’annoncent jamais : les ruptures du statu quo ne réussissent que si elles arrivent par surprise. Je veux réfléchir aux propositions du Royaume-Uni. Eux ont leurs propres lignes rouges et moi, j’ai les miennes : la libre circulation des personnes n’est pas négociable. Mais je suis surpris que des pays du sud comme l’Espagne, ou ceux de l’Est, avec une grande tradition d’émigration, ne réagissent pas avec plus de fermeté.

Q : Quelle proposition va faire la Commission sur l’immigration ?

R : Je comprends l’importance qu’accordent certains pays à la lutte contre les abus, mais la réponse n’est pas de changer les règles européennes, mais la législation nationale. Si on remet en cause aujourd’hui la libre circulation, dans deux ans il y aura des attaques contre d’autres libertés.

Q : Ce type de proposition accompagne l’avancée du populisme. Mais d’autres choses gênent les Européens : l’évasion fiscale, par exemple. Êtes vous la personne adéquate pour régler cette affaire après le Luxleaks ?

R : Le problème du Luxembourg est le même que celui de beaucoup d’autres pays. Mais l’écosystème a changé : plusieurs membres se sont vus obliger de faire des ajustements qui minent leur état-providence, et ne tolèrent plus ces comportements avec les impôts. Les européens n’acceptent plus que les multinationales, avec l’aide de consultants, échappent au paiement de l’impôt si facilement. En ce qui concerne Luxleaks, au Luxembourg les règles sont claires, bien que probablement elles ne furent pas respectées : ce n’est pas le ministre des finances qui prend ces décisions, mais l’administration fiscale. Je sais que personne ne le croit, mais c’est ainsi.

Q : L’Europe a un problème en son sein (la Grèce), à sa périphérie (la Russie) et court le risque de perdre une ou deux générations de jeunes à cause du drame du chômage. Voyez-vous les symptômes du malaise ?

R : Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe et périlleux. L’UE a pris des mesures afin d’améliorer sa gouvernance, mais il est difficile de partager sa souveraineté et de surmonter les pulsions nationalistes de désagrégation : la crise a fait émerger des problèmes qui étaient en gestation depuis des années. Mais je ne vois pas d’alternative au projet européen, en dehors des utopies régressives portées par quelques populismes démagogiques. Quel aurait été le déroulement des évènements si les pays n’avaient pas partagé la monnaie ?

Hmmm, comme le Royaume-Uni ?

Aurions-nous eu une réponse commune à une Russie qui fait tout ce qu’elle peut afin de nous diviser ?

Diplomate le gars…

Q : Sans une reprise digne de ce nom, il est inévitable que resurgissent les vieux démons. Quelles sont les conséquences de la fracture nord sud ?

R : Le plus triste de ces trois dernières années, c’est de constater que les vieilles rancœurs que nous croyions disparues persistent. De nombreuses analyses allemandes sur la Grèce sont inacceptables ; beaucoup de réactions grecques aux décisions de l’Allemagne sont inacceptables. Non seulement la reprise est fragile, mais l’intégration européenne dans son ensemble est menacée. C’est une fleur délicate.

Et elle aura donc duré ce que durent les roses. RIP.

Source : El Pais, le 03/03/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/junker-maintenant-il-va-falloir-que-tsipras-explique-aux-grecs-quil-ne-remplira-pas-ses-promesses/