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L’isolement de la Russie 3/6 : La Russie ne produit rien, par Nicolas

Friday 17 April 2015 at 04:30

Ceci est la troisième partie d’une série sur l’isolement de la Russie. La première partie est : L’isolement de la Russie 1/5 : l’effondrement de 1991. La deuxième partie est L’isolement de la Russie 2/5 : Forces de l’économie russe face aux sanctions, dans laquelle j’ai montré que l’économie russe avait quelques points forts typiques des pays sous-développés : raffinage, industrie spatiales, aviation militaires, tanks, centrales hydro-électriques et nucléaires… Dans cette troisième partie, je me concentre sur les secteurs industriels les plus faibles de l’économie russe, qui pèsent le plus lourd sur la balance commercial russe, pour vous montrer qu’en dehors des quelques petits domaines cités, l’économie russe est en lambeaux. Sinon, ça reviendrait à dire qu’Obama ment, ce qui serait vraiment impensable.

Structure des importations vers la Russie en 2012

Structure des importations vers la Russie en 2012 : 92,6 Md$ de «machines», 58,1 Md$ dans le secteur «transport», 32,2 Md$ de produits chimiques (inclut les médicaments), 16,3 Md$ de plastiques et caoutchoucs (MIT)

6. Chimie

Production chimique russe

Production chimique russe. Attention aux échelles, choisies pour montrer ensembles des données très différentes. Chiffres GKS, graphe moi. J’ai appliqué des coefs pour faire “coller” les données 1991-2008 au reste : quelques % d’imprécision.

Concernant la chimie dans son ensemble, Dmitry Medvedev a annoncé en février 2015 qu’il fallait réduire les importations, c’est à dire que, sans fermer la porte aux importations chinoises, allemandes et autres, les entreprises devaient tenir compte des intérêts du pays. Pas de mesure concrète pour l’instant, mais le gouvernement est attentif à la situation dans ce secteur. La Russie a importé 48,5 Md$ de produits chimiques et plastiques en 2012, contre 33,1 Md$ d’exportations, c’est donc un secteur qui pèse encore très négativement sur la balance commerciale russe. Les exportations sont dominées par les engrais (près de 12 Md$), secteur traditionnellement important de l’industrie chimique russe, encore renforcé en 2014 avec une nouvelle usine.

La production russe de pneus (principal produit importé dans la catégorie produits chimiques selon la classification «HS» =  «Standard harmonisé») reste insuffisante, mais une usine Bridgestone ouvrira en 2015, et la grande usine Continental ouverte en 2013 s’agrandit et atteindra 16 millions de pneus par an. Les besoins d’importations de pneus sont donc en baisse rapide.

La Russie est depuis les années Ieltsine un grand importateur plastiques, notamment PS, PVC, PETF, tuyaux en PE, et films barrières pour l’emballage alimentaire. Mais sa production de plastique est en forte croissance (environ 9% par an depuis 1996 soit +350% jusqu’en 2013), et au moins un site de production pour chacun des produits cités a été ouvert depuis mars 2014. Ces sites pourraient rendre la Russie autosuffisante en chacun de ces produits : L’usine de PVC de Rusvinil (Solvay / BASF) est l’une des plus grandes du monde avec plus de 300 000 tonnes par an.

La Russie deviendra même exportatrice nette de polymères à l’ouvertures de deux usines dont la construction est en cours. La première est celle de Sibour à Tobolsk (9,5 Md$ investis) qui produira 500 000 tonnes de PE et 1 500 000 tonnes de PP par an. La seconde est celle de Kabardino-Balkarie, qui sera la première usine d’un grand centre dédié à la pétrochimie et à l’industrie agro-alimentaire (la production de l’usine servira donc avant tout à emballer les produits agricoles du Nord-Caucase). Ce centre produira «tous types de polymères» et pourrait employer 75 000 personnes. La Kabardino-Balkarie étant une région pauvre, ce serait un progrès économique important. Selon le responsable, le Caucase Nord pourrait cesser d’être une région à charge de la Russie grâce à ce projet.

Si la Russie reste importatrice de plastiques techniques, sa production ne se limite pas aux polymères les plus basiques, avec notamment l’ouverture en 2015 d’une usine de «compounds» de polymères pour l’isolation électrique. L’usine est également exportatrice de polyamide et de caoutchouc synthétique (SBR). Le POM (polyformaldéhyde) est le dernier polymère importé en très grandes quantités.

En dehors des polymères, l’usine Rusvinil produit également de la soude caustique, et d’énormes investissements sont en cours en Extrême-Orient pour des sites de production d’ammoniac (1 Mt par an), de méthanol (1 Mt par an) et d’urée (2 Mt par an), avec un début d’exploitation prévu dès 2018 après des investissements qui se comptent en centaines de milliards de roubles. La Russie était le deuxième exportateur d’ammoniac en 2012, et devrait prendre la première place grâce à ce projet.

7. Automobile et transports

Production de voitures en Russie

Production de voitures en Russie. 2009 fut catastrophique, 2015 ne sera qu’une bourrasque, en comparaison. Les USA n’arrivent pas à nuire autant à l’économie russe en y mettant tous leurs efforts que quand ils ne le font pas exprès (Cf. “subprimes”).

La Russie a hérité de l’époque soviétique une industrie automobile importante mais technologiquement en retard sur la concurrence internationale. Afin de favoriser son industrie automobile, le gouvernement russe a imposé des droits de douane élevés sur les automobiles importées, ce qui a forcé la plupart des producteurs à construire des usines en Russie pour d’abord assembler des voitures à partir de pièces produites à l’étranger, puis à augmenter progressivement la proportion de pièces produites en Russie dans leurs voitures. Cette volonté politique ferme a permis de moderniser progressivement l’industrie automobile russe. Le résultat se fit sentir dès 2003 à travers une forte croissance de la production locale jusqu’à 2012 (avec une interruption en 2009). Renault-Nissan, qui contrôle le géant russe AvtoVAZ (Lada), est le principal acteur étranger en Russie, mais de nombreux autres y sont présents : Peugeot, Citroën, Mitsubishi, Volvo, Ford, Volkswagen, Toyota, Hyundai, Kia, Audi, Mercedes-Benz, Scania, MAN, Navistar, Iveco, Ssang Yong, GM (Opel, Chevrolet et Cadillac), Mazda, BAW, BYD, Chery, Lifan et Great Wall ont tous au moins un site d’assemblage en Russie, en propre ou partagé avec un partenaire local. En 2012, la Russie a dépassé la France et l’Espagne en nombre de voitures produites.

La dernière usine de Continental en Russie

La dernière usine de Continental en Russie, ouverte en juin 2014.  De nombreux investisseurs étrangers ont apporté la qualité allemande à l’industrie automobile russe, réduisant rapidement la demande en véhicules importés. Entre pièces de voitures et pneus, Continental emploie environ 1300 personnes en Russie.

En 2012, le secteur automobile plombait la balance commerciale russe de plus de 40 Md$ (en additionnant les voitures, les pièces de voitures, les châssis de voitures, les camions et les tracteurs). Aucun autre secteur n’est aussi déficitaire dans la balance commercial de la Russie. Cependant grâce à la politique volontariste du gouvernement et grâce aux énormes investissements ce secteur, notamment par les compagnies étrangères qui veulent leur part du marché russe, la Russie pourrait devenir exportatrice nette de véhicules avant 2025. Le processus est évidemment progressif, il faut encore ouvrir beaucoup de nouvelles usines dans ce secteurs, et il faut donc encore beaucoup d’investisseurs étrangers. Au moins 26 sites de production ou ligne de production dans le domaine des transports ont ouvert depuis mars 2014 (en incluant les tracteurs, bus, trolleybus, chasse-neiges, motos), soit 2 par mois, et d’autres sont en construction. Il s’agit essentiellement de production d’éléments spéciaux à l’industrie automobiles qui restent majoritairement importés (câbles électriques, jauges d’essence, boulons…) mais aussi des usines d’assemblages de constructeurs qui n’étaient pas encore présents en Russie. Tous ces développements permettent de fortement réduire les importations de voitures (-16% en 2013) et d’augmenter les exportation (+21% en 2013). Les consommateurs russes ont désormais l’embarras du choix, et seuls ceux qui souhaitent des véhicules haut-de-gamme achètent des véhicules importés : Environ 700 000 en 2014, probablement moins de 600 000 en 2015.

Concernant les nouveaux sites d’assemblage, l’usine en construction à Toula devra produire 150 000 voitures par an dès 2020. On constate que les autres projets récents sont fortement orientés vers l’exportation, avec deux clusters en cours de construction. Le premier cluster est à Vladivostok et assemble déjà des voitures Toyota et est en cours d’agrandissement. Le second cluster, “Avtotor”est très ambitieux puisque 21 usines doivent se consacrer à la production automobile dans la région de Kaliningrad. 7 sont déjà construites, 3 en construction, et ce cluster doit produire 350 000 voitures dès 2020 (270 000 en 2014). L’emplacement d’Avtotor, entre la Pologne et la Lituanie, sur la Mer Baltique, devrait lui permettre d’exporter vers l’Europe du Nord. L’objectif annoncé est de vendre au moins 20% de la production à l’étranger.

Pour faire face à la crise qui frappe actuellement le secteur (les ventes de voitures pourraient baisser de 40% en 2015), le gouvernement dépense des milliards de roubles afin de préserver les emplois, et le ministère de l’industrie subventionne l’achat par les communes de trolleybus et de tramways, ce qui permettra d’augmenter de 50% leur production par rapport à 2014. Du côté des mauvaises nouvelles, notons qu’Opel (groupe GM) cesse sa production en Russie, car elle cette production était trop peu localisée et que l’heure n’est pas aux gros investissements. Dans la foulée, le sud-coréen Ssan Yong a annoncé qu’il n’importerait plus de voitures vers la Russie jusqu’à ce que le cours du rouble remonte. Cependant, sa production de véhicules tous terrains à Vladivostok se poursuit. C’est à dire que les marques étrangères qui utilisent le plus des pièces produites localement s’en tirent le mieux, et que les importations s’effondrent. Seat, Peugeot, Dodge, Honda et Mazda ont également annoncé la fin de leurs modestes exportations vers la Russie. Selon les chiffres de janvier-février 2015, parmi les constructeurs ayant importé plus de 500 véhicules en janvier-février 2015, seules les voitures Mercedes-Benz, BMW, Lexus et Porsche ont augmenté leurs ventes. Ces marques représentent ensemble 6,3% du nombre de voitures vendues en Russie (dont une petite part assemblée en Russie), à comparer aux 34,7% du total des ventes du groupe Renault-Nissan et 11,3% du second, le groupe VW (Audi incluses). Plusieurs sites d’assemblage sont également à l’arrêt, mais ceux qui sont les plus touchés sont ceux, comme Opel, dont la production utilise le moins des pièces produites localement. Il faut donc s’attendre à ce que le poids du secteurs automobile dans la balance commerciale de la Russie s’allège de plusieurs milliards de dollars en 2015. Mercedes, qui assemble des voitures en partenariat avec AvtoGAZ, pourrait même annoncer en mai la création de son propre site d’assemblage en Russie pour satisfaire la demande.

Concernant les camions, Kamaz se montre optimiste, grâce à la baisse du cours du rouble qui devrait permettre d’augmenter sensiblement les exportations dans le monde entier. Dans l’ensemble, l’augmentation des exportations permettront de compenser une partie (de l’ordre de 10% ou 15%) de la chute du marché intérieur. Avtovaz espère par exemple presque doubler ses exportations et arriver à 100 000 voitures exportées, principalement vers le Kazakhstan. AvtoVAZ comme GAZ prévoient de commencer en 2015  à exporter vers l’Europe.

Dans le domaines des innovations, Kamaz et la société russe “Cognitive Technologies” (impliquée dans la conception du Technopôle de Skolkovo) commenceront à produire des camions sans chauffeur en 2015. Les véhicules électriques se développent doucement, principalement des voitures de golf (quelques centaines par an), et les premières motos électriques russes seront commercialisées à l’été 2015.

Tracteur Torum 740

Les voitures russes s’exportent encore très peu, et surtout en CEI. Les tracteurs Rostselmach par contre s’exportent déjà en Allemagne et au Canada (Rostselmach)

De 2007 à 2012, la part des importation de voitures et pièces de véhicules est passée de 12,0% du total des importations russes à 10,5%. Cette baisse devrait s’accélérer par l’ensemble des facteurs mentionnés : les nouvelles usines en Russie, les subventions aux constructeurs, le renforcement de la localisation de la production, et la faiblesse du rouble. Dans le même temps, les exportations de véhicules deviennent significatives, partant de 1 Md$ en 2012.

Le seul secteur des transports dans lequel la Russie restera encore longtemps importatrice est celui des trains à grande vitesse : c’est Siemens qui produit les TGV russes près de Düsseldorf. Début de progrès dans ce domaine, la production de roues de TGV a commencé en Russie en 2014. Siemens emploie environ 3000 personnes en Russie, et aura bientôt un centre d’entretien des TGV en banlieue de Saint-Pétersbourg, qui permettra d’importer des compétences dans ce domaine.

Un point sur l’Ukraine : La Russie importait encore en 2013 plus de 5000 voitures ukrainiennes par an (10% de la production). Les deux producteurs ukrainiens ont annoncé, dès les premiers mois de la crise, la fin de leur livraisons vers la Russie. Les deux producteurs ukrainiens se consacrent désormais aux véhicules militaires. Dans le domaines du transport ferroviaire, les usines russes prendront quelques dizaines de milliers d’emplois ukrainiens : en effet la Russie importait encore en 2012 2,6 milliards de dollars de matériel ferroviaire ukrainien. En revanche, la Novorossie souhaite s’intégrer à l’espace économique russe, en contribuant par son industrie au programme russe de remplacement des importations. Par exemple, une usine de matériel ferroviaire de Lougansk a partiellement déménagé près de Rostov mais passe des commande à Lougansk, tandis qu’une autre usine de la banlieue de Lougansk est en cours de réparation après sa destruction par l’armée de Kiev.

8. Hautes technologies

dima-solaire

Dmitry Medvedev tague le premier panneau solaire produit en Russie, février 2015 (Rosnano)

Le champion du secteur est Rosnano, un fond d’investissement visant à développer, en partenariat avec des entreprises privées, la production d’équipements de haute technologie en Russie, en particulier dans les domaines de l’énergie (solaire notamment), des nano-matériaux, des biotechnologies, de l’ingénierie mécanique, de l’optoélectronique. Rosnano a créé une filiale dans la Silicon Valley et en Israël pour y développer des partenariats. Parmi les projets déjà développés récemment ou en cours de production : une usine d’opto-électronique et de micro-électronique (Mapper-Lythography) à Moscou, une production de détecteurs neutroniques d’explosifs (Neutron Technologies) près de Moscou, une usine de plastiques à effet barrière (Ouralplastic, pour l’emballage alimentaire notamment) près de Iekaterinbourg, une production de panneaux photovoltaïques (Hevel) en Tchouvachie, une production de puces RFID près de Moscou, et enfin une usine de production de verre à “nano-revêtements” (meilleure isolation thermique) près de Moscou. Des projets “hi-tech” en tous genre activement soutenus par le gouvernement russe. Rosnano doit être partiellement privatisé, mais le président russe a exclu de la privatiser entièrement.

Le champion des technologies militaires, Rostec, participe également de façon soutenue aux secteur des hautes technologies civiles. On peut citer sa composante Chvabe, spécialisée dans l’opto-électronique. Parmi ses innovations des derniers mois, citons un nouveau procédé, beaucoup plus efficace et économique, de fabrication de verre au phosphate pour la production de lasers. Chvabe a également annoncé en janvier 2015 la construction à Kazan d’une ville scientifique axée sur l’optoélectronique, qui développera également une école basée sur internet pour les enfants surdoués.


Technopôle Skolkovo Présentation en anglais. Comparable à Sophia-Antipolis, mais plus moderne. C’est l’un des deux grands technopôles russes en construction, avec Innopolis en banlieue de Kazan, qui sera beaucoup plus grand. Plusieurs pôles d’innovation plus spécialisés (titane, opto-électronique) sont également en préparation ou en cours de construction.

Également porté par Rosnano, il faut signaler la cité d’innovation Skolkovo à Moscou : un nouveau pôle d’innovation, prévu pour qu’environ 25 000 personnes (comme à Sophia-Antipolis) travaillent dans différents domaines des hautes technologies. Le gouvernement russe y consacrera au moins 125 milliards de roubles, mais les investissements privés doivent aussi apporter au moins la moitié des fonds.

Dans le domaine des imprimantes 3D, la Russie a démarré avec un temps de retard : Boeing produit déjà des centaines de pièces, pour 10 avions différents, avec cette technologie. Les leaders du secteurs sont aux États-Unis, en Allemagne et en Chine. La Russie a commencé à prendre des mesures pour rattraper le retard. En février 2015, lors d’une conférence consacrée aux “additifs”[1], le vice premier-ministre Rogozine a fixé l’objectif d’avoir une production industrielle d’équipements militaires et civils dès 2020 ou 2025 au plus tard. Mais les industriels russes n’attendent pas. En février 2015, une imprimante 3D («la meilleure du monde» en terme de solidité des produits obtenus, selon la source) a été construite à Skolkovo, et sera utilisée pour la production de pièces destinées à l’industrie aérospatiale. Le moteur d’avion PD-14 en cours de développement a reçu sa première pièce imprimée en février 2015. Dans les autres domaines, parmi d’autres projets, une entreprise de Tver prépare des additifs pour l’impression de maisons. Ces additifs pourraient être disponibles dès 2016. Une équipe scientifique de Tomsk commence à préparer des «additifs» destinés aux conditions extrêmes : l’Arctique, le fond de l’Océan, l’espace (à imprimer dans la station spatiale). Les technologies d’imprimantes 3D se développent également dans le domaine médical. Cela permet déjà de produire des prothèses fonctionnelles (e.g. avec des doigts articulés) à un prix fortement réduit. Il n’y avait pas en Russie de production de prothèses fonctionnelles. Cela a changé en 2014 grâce aux imprimantes 3D, ce qui pourrait améliorer la vie de nombreux Russes handicapées qui ne peuvent obtenir des prothèses américaines trop chères.

8.1 Production micro-électronique et radio-électronique

mapper-lithography

Mapper-lithography, dans la région de Moscou, produit des équipements lithographiques (pour la production de circuits intégrés). C’est l’un des nombreux projets Rosnano qui ont abouti depuis un an.

L’électronique, ce ne sont pas que des smartphones et des consoles de jeux produits en Asie avec des technologies de lithographie 28 nm et moins. En avril 2014, un Su-24 équipé du système Khibiny a brouillé le systèmes américain Aegis, rappelant à ceux qui en doutait que la Russie avait encore quelques compétences dans le domaine. Brouiller le système Aegis des navires américains, c’est un peu les transformer en tigre sans dents ni griffes : une peluche, mais en plus cher. Le cœur de la microélectronique russe reste Zelenograd, une ville nouvelle créée en 1956 au nord de Moscou et dédiée à la microélectronique. À la chute de l’URSS, la microélectronique russe a commencé à prendre un retard technologique considérable, stagnant pendant plus de 10 ans. Le marché intérieur en cartes SIM puis en diverses cartes électroniques (cartes de transports en commun, cartes bancaires, cartes d’accès…) a permis de faire émerger les entreprises privées du secteur.

Parmi les nombreuses nouveautés concernant la production microélectronique russe depuis 2014 on peut citer :

Le groupe Mikron (Zelenograd, 3000 employés, 9,8 Md roubles de CA en 2013) a acquis, en partenariat avec STMicroelectronics, la technologie de lithographie 180 nm en 2006, puis 90 nm en 2012. Début 2014, Mikron a commencé à produire le processeur Elbrous-2SM, et a maîtrisé la technologie 65 nm. Mikron  produit également, outre des processeurs, des puces pour les appareils utilisant le système GLONASS et des puces pour adaptateurs électriques (très peu chers mais produits par millions). Elbrous est un processeur conçu par MCST (Moscou). MCST a lancé la production (à Taïwan, car la Russie n’a pas encore de “fab” 28 nm) du successeurs, l’Elbrous-8S, qui est plus puissant que l’Intel iCore 7 (250Gflops, il est possible d’en unir 4 pour faire un serveur de 1 Tflops).

Monokub de MSCT

Ordinateur Monokub, conçu et assemblé en Russie par MCST, autour d’un microprocesseur Elbrus-2SM conçu par MCST et produit en Russie par Mikron. Cet ordinateur est fourni avec l’OS russe “Elbrous” (Linux), certifié sans “backdoor”, et certifié protégé contre les accès non autorisés. Les récentes avancées russes en informatique devraient leur permettre de ne plus dépendre ni de Microsoft ni d’Intel pour leurs systèmes sensibles. Mais à part ça la Russie ne produit rien. Image MCST

La holding Électronique Russe* (ou “Rosselektronika”, partie de Rostec) est un acteur majeur des hautes technologies en Russie dans le domaine militaire comme civil. Parmi ses contributions aux hautes-technologies civiles on peut mentionner sa production d’équipements médicaux, de circuits intégrés, d’électronique quantique, d’électronique pour les biens de consommation etc. Rosselektronika a divers partenariats avec des entreprises étrangères, notamment, Alcatel-Lucent et Sumitomo.

De leur côté, Rosnano, Rostec* et T-platforms (son dernier superordinateur est le 22ème plus puissant du monde, il produit également des caisses enregistreuses) préparent le microprocesseur Baïkal, qui devrait être produit en Russie. Ce microprocesseur devrait être utilisé par les structures gouvernementales, ce qui permet de s’assurer de la sécurité des données, sans s’inquiéter d’éventuelles “backdoors” de la NSA dans les microprocesseurs américains. Les structures gouvernementales représentent un marché de 300 000 serveurs et 700 000 ordinateurs par an. Des partenaires privés tels que Depo pourraient diffuser Baïkal auprès des entreprises privées et du grand public.

Angstrem produit notamment des systèmes microélectroniques prévus pour les conditions extrêmes. Cette entreprise permet d’illustrer en quoi la politique économique russe diffère du modèle “investissements publics – bénéfices privés” à l’américaine. En effet une entreprise privée russe peut recevoir une aide du gouvernement, mais seulement en échange d’une part de l’entreprise. Lorsqu’Angstrem a eu besoin d’argent, elle a accepté un apport du gouvernement, qui possède désormais 31% d’Angstrem via Russelektronika. Au contraire, Mikron retarde son passage à la technologie 45 nm (qui était prévu pour 2014) par manque de moyens et de certitude quant au débouché, mais aussi parce que les actionnaires refusent ce que les actionnaires d’Angstrem ont accepté. En occident, on ne sait pas très bien ce que le gouvernement reçoit en échange d’aides massives aux banques ou aux marchands de canons. Quoi qu’il en soit, Angstrem s’est très nettement développé en 2014 avec un contrat de 400 M$ pour exporter des micro-circuits en Corée du Sud, et a élargi sa gamme en commençant l’utilisation de lithographie 110 nm.

Micran (1300 employés), entreprise privée de Tomsk, commence à faire parler d’elle en exportant vers l’Asie du Sud-Est différents systèmes radio-électroniques, notamment pour permettre l’installation d’internet dans des régions vallonnées en utilisant la bande UHF.

La fonderie de Krokus Nanoelektronika, issu d’un partenariat entre Rusnano et Crocus Technology (Grenoble), a commencé sa production de MRAM a  en 2014.

3-Q, qui assemble des tablettes depuis 2011lancé en janvier 2014 la tablette la plus fine du monde (6,44 mm).

Pour les besoins de l’armée, OPK* (la branche “production d’instruments” de Rostec*, 110 Md roubles de CA) a conçu une tablette très résistante, pouvant fonctionner sous l’eau, avec un OS sécurisé. Cette tablette est actuellement testé par l’armée. Et pour un public plus large, OPK a conçu la tablette Rupad, avec un OS sécurisé (ROMOS). Les deux tablettes sont assemblées en Russie.

OPK* produit également en Russie un navigateur satellite pour le système ERA-GLONASS (sur le principe «eCall» européen) : navigateur GLONASS qui appelle les secours en cas d’accidents et sert de boîte noire. À partir de 2017, toutes les nouvelles voitures vendues dans l’UÉE devront être équipée de ce système. Les principaux effets attendus d’ERA-GLONASS sont une baisse importante des accidents de la route, et la popularisation des services payants de GLONASS qui pourrait ainsi devenir rentable.

En 2014, PNPPK, une entreprise de Perm a commencé la production de circuits intégrés photoniques.

En octobre 2014 des chambres propres totalisant 7200 m² ont été créées à Moscou pour la production de semi-conducteurs et les bio-technologies.

Un laboratoire universitaire de Tomsk a créé en février 2015 une imprimante pour imprimer des écrans OLED (pour smartphones etc), et cherche un partenaire industriel pour lancer la production d’écrans en Russie.

Dans un domaine un peu différent, les robots de fabrication russe commencent à se développer. Si un robot-soldat a été présenté fin 2014, c’est peut-être un robot-sauveteur (fonctionnant en mode “avatar”) qui sera massivement utilisé en premier. Le ministère des situation d’urgence souhaite notamment les utiliser  pour les opérations de déminages et pour entrer dans les bâtiments qui menacent de s’effondrer. Ce ministère bénéficie déjà grandement des hautes technologies russes puisque la surveillance du territoire par satellite a permis de réduire fortement les conséquences des feux de forêts. Un robot-cosmonaute de fabrication russe a déjà été présenté en 2013, et le Centre Gagarine de préparation des cosmonautes a annoncé la possibilité d’envoyer prochainement un tel robot sur la Station Spatiale Internationale. Un robot canadien a déjà fait la preuve de son utilité sur la SSI.

Globalement, la production microélectronique russe est un secteur économique encore très faible, avec un chiffre d’affaire de 1000 milliards de roubles en 2013, soit environ 1% du CA mondial du secteur. Pour permettre à la Russie de développer ce secteur, le «Programme de développement de l’électronique et radioélectronique 2008-2015» prévoit 187 milliards de roubles de roubles d’investissements, dont 110 milliards du budget fédéral, pour développer de nouveaux produits électroniques de toutes sortes, à destination du grand public comme de l’armée, puis les produire à partir de 2018. 181 partenariat ont été conclus en ce sens avec des dizaines d’entreprises et d’instituts de recherche, prévoyant notamment la création de 37 parcs technologiques. En 2014, la construction de ce qui est peut-être le plus important d’entre eux, mené par KRET, a commencé à Kazan, tandis qu’un autre a commencé à travailler à Omsk. Omsk aura également un centre de recherche CISCO, comme Skolkovo, Iekaterinbourg,  et Kazan. Certaines des avancées mentionnées ci-dessus ont été rendues possibles par ce programme.

Au-delà de 2015, l’objectif est de porter le CA de la microélectronique russe à 4000 milliards de roubles en 2025, soit 1,5% ou 2% du marché mondial. suffisant pour couvrir une grande part du marché national et exporter. Cet objectif est soutenu par des aides gouvernementales qui devraient atteindre 517 milliards de roubles d’ici 2025. Cela permettra d’aider le secteur, mais un expert fait remarquer que cette somme n’est que le tiers du budget annuel de recherche de Samsung. Au-delà de ce programme d’aide prévu de longue date, la nouvelle politique de remplacement des importations, qui répond aux sanctions occidentales, contribuera à dynamiser fortement le secteur microélectronique russe. Le président de Rosselektronika affirme que la Russie est prête à produire 80% des équipements microélectroniques qui sont actuellement importés.

La production micro-électronique russe reste économiquement faible et conserve des lacunes. Mais, comme on le voit, les progrès réalisés par différentes entreprises privées ou instituts de recherches publiques, une forte volonté politique, et des partenariats internationaux importants permettent à la Russie de progresser dans ce domaine.

Finissons ce tour de la production électronique en notant que les grands importateurs d’appareils électroniques grand public se sont engagé à réaliser toutes leurs importations de façon transparente au lieu d’utiliser les techniques «grises» utilisées actuellement. Cela n’aidera pas les producteurs locaux, mais c’est un  véritable changement de paradigme dans le secteur du commerce russe, qui réduira la corruption tout en augmentant les revenus de l’État de plusieurs milliards de roubles. Les prochains secteurs visés par ce grand nettoyage sont les secteurs pharmaceutique et de la joaillerie, et la production locale de ces secteurs pourrait en profiter.

8.2 Conception d’appareils électroniques

Le Yotaphone 2, du russe Yota Devices, a un second écran de type papier électronique.

En dehors de la conception de microprocesseurs déjà mentionnée, la Russie pourrait en outre commencer à se faire une place dans le domaine des téléphones portables, avec le développement à l’international de Yota Devices qui a lancé le Yotaphone 2 (produit en Chine, comme les appareils Apple américains ou les Archos français…).  C’est un smartphone haut de gamme recommandé par Forbes, et qui devrait se vendre à plus d’un million d’exemplaires en 2015. Cela leur donnera une part de marché mondiale très modeste de 0,1% ou 0,2%, mais c’est un bon début pour une société créée en 2011. Le Yotaphone 3 est déjà en préparation.

Dans un tout autre segment de marché, la société R-Style a conçu un smartphone adapté aux besoin de la compagnie ferroviaire nationale (RJD) : pouvant être utilisé avec des gants, sous la pluie, résistant aux chocs, lecteur de cartes à puces, très grande autonomie, sécurisé, récepteur GLONASS, etc.

Les ordinateurs et serveurs conçus et assemblés par la société russe Depo sont parmi les plus vendus en Russie. Depo conçoit et assemble également des stations de travail et propose des services “cloud”. ETegro Technologies concurrence Depo avec ses serveurs également, et est également présent sur le marché des commutateurs (conception et assemblage).

 8.3 Systèmes d’exploitation, programmation

Monopole US dans le software

Pour chaque domaine informatique, proportion de logiciels américains en Russie et dans le monde. Dans le domaine du «software», les États-Unis disposent d’un quasi-monopole qui inquiètent les pays qui souhaitent être indépendant de l’Uncle Sam. Image du ministère russe des télécoms et des médias traduite par moi. (Ce sont leurs chiffres… LibreOffice est international, basé en Allemagne)

Dans le domaines des systèmes d’exploitation, le problème de la sûreté des données avait conduit le gouvernement russe, peu après les révélations de Snowden, à demander à tous les fonctionnaires de ne plus acheter de produits Apple et de leur préférer leurs équivalents Samsung (OS américain mais «ouvert», donc moins suspect d’espionner pour le compte de l’Oncle Sam). Dès le lancement de la guerre économique par les États-Unis, le ministère russe des télécoms et des médias a commencé à chercher des moyens de favoriser les grandes entreprises russes du secteur (Diasoft, LANIT, IBS, Prognoz…). Début 2015, 6 axes d’importance critique ont été cernés et seront soutenus par le gouvernement : OS clients, OS serveurs et moyens de virtualisation, systèmes de gestion de bases de données, bureautique pour le travail collectif, programmes d’ingénierie et de modélisation mathématique, systèmes de géo-information. Ce nouveau domaine de la politique économique russe est encore en cours d’élaboration, mais quelques points commencent à avancer. D’abord, concernant les OS, dès l’été 2014 Rossatom et RJD ont commencer à créer le système d’exploitation Sinergia, basé sur Linux, qui leur permettra de ne pas utiliser Windows pour contrôler les systèmes informatiques les plus sensibles : centrales nucléaires, gestion des trains. L’armée russe et le FSB utilisent déjà au moins depuis 2002 des systèmes d’exploitations sûr, tels qu’Astra-Linux (disponible au grand public, basé sur Debian et certifié pour les systèmes traitant des documents top-secret) et le MSVS développé par VNIINS pour l’armée. Ceci est une approche diamétralement opposée à celle de la France, qui installe Windows sur tous les ordinateurs, donc presque directement de transmettre toutes les information militaires à l’Oncle Sam. On peut appeler ça de la haute trahison, mais quand le commandant en chef de l’armée française est un “Young Leader” de la Fondation franco-américaine, il est bien normal que l’armée française serve les intérêts américains. D’ailleurs ceux qui font carrière dans l’armée française doivent s’en réjouir.

D’autre part, 3 milliards de roubles serviront à subventionner la migration de nombreux systèmes informatiques gouvernementaux vers des systèmes libres. La migration des systèmes de gestion de bases de données vers PostgreSQL est jugée prioritaire. Cet effort destiné à ne plus dépendre de systèmes propriétaire américains (qui ont par exemple la possibilité à tout moment de rompre leur contrat de service) est un effort colossal qui pourra prendre 5 ans. Notons que le ministre des télécoms et des médias, Nikolaï Nikiforov, connaît bien le sujet : c’est un spécialiste de bases de données.

Le SMEV, immense système de base de données qui gère les services aux personnes et aux organisations (qui permet par exemple aux personnes  de ne pas avoir à présenter à un organisme de l’État des documents qui sont déjà dans la base de données car entrés dans le SMEV par un autre organisme), a déjà migré sur PostgreSQL, et la Poste de Russie est en cours de migration. Nikiforov soutient l’interdiction pour les organes de l’État d’acheter des programmes propriétaires étrangers si des programmes libres peuvent être utilisés à la place.

Parallèlement à cet effort, la Russie a adopté une loi qui favorisera la croissances des entreprises du secteurs. D’une part les entreprises de 7 à 29 employés disposeront d’une réduction d’impôt qui était jusque là réservée aux entreprises de 30 employés et plus, et d’autres part les spécialistes étrangers qualifiés (salaire annuel d’un million de rouble minimum) bénéficieront de procédure d’immigration simplifiée. L’objectif est d’attirer jusqu’à 1000 programmeurs et autres spécialistes qualifiés par an.

Les deux leaders du marché russe de l’informatique dans son ensemble sont les holdings LANIT et NKK (CA total de 216 Md roubles en 2013). Elles sont toutes les deux impliquées dans divers domaines : conception et assemblage de de matériel informatique, cloud, formation, outsourcing, programmation, progiciels… 21 autres sociétés ou holding ont eu en 2013 un CA supérieur à 10 milliards de roubles (~comme OVH). Le chiffre d’affaire des entreprises russes du secteur informatique dans son ensemble est d’un peu plus de 1000 milliards de roubles, un peu plus que le CA du secteur en France (22,2 Md€, mais cela compte l’activité des entreprises étrangères, IBM en tête avec 2,5 Md€).

Les entreprises russes réalisent dans l’ensemble moins de ventes de services IT à l’étranger que les géants français du secteur (Atos et Capgemini) qui réalisent environ 80% de leur CA à l’étranger. Cependant, il s’agit en grande partie d’exportations par les bureaux russes des entreprises russes (donc contribuant totalement à l’économie russe), alors que côté français il s’agit essentiellement de travail réalisé dans des bureaux hors de France. La Russie est exportatrice nette de ces services (surtout programmation) depuis déjà 2007. En 2009 les entreprises russes exportaient déjà 1400 M$ en 2009 (72% de programmation), et 5100 M$ en 2013 (58% de programmation). En 2011, la Russie était déjà à la 20ème place au classement des pays exportateurs de services IT, devant l’Allemagne et loin devant la France, et pourrait donc continuer de progresser et éventuellement passer en 2015 devant les États-Unis (si ce n’est pas déjà fait en 2014) grâce à la faiblesse du cours du rouble. Selon Global Services, 6 des 100 meilleures entreprises dans le domaine de l’outsourcing IT étaient russes en 2013. En dehors du domaine de l’outsourcing, une autre entreprise russe du secteur IT a particulièrement réussi à l’international : le Laboratoire Kaspersky, spécialisé dans la sécurité informatique, a aujourd’hui plus de 3000 employés et des clients dans le monde entier.

8.4 Sites et services sur internet

VK

Page d’accueil de VK, le plus grand réseau social européen. Toute ressemblance esthétique avec un autre réseau social n’est pas forcément fortuite.

Dans le domaine des services sur internet, la Russie n’a rien à envier aux pays européens : Parmi les 100 sites internet les plus visités au monde (selon Alexa) on trouve VK (réseau social), mail.ru (email, blogging, et possède VK) et Yandex (moteur de recherche). Pour comparaison, le seul site français de cette liste est Dailymotion, qui devance largement le russe rutube.com.

Parmi les autres entreprises russes du secteur, mentionnons Rambler&Co, qui possède le portail Rambler, la célèbre plate-forme de blogs LiveJournal, des sites d’information et d’autres sites connus en Russie. Notons que les autorités antitrusts russes s’étaient opposé en 2008 à l’achat par Google de la branche de Rambler consacrée aux publicités contextuelles, ce qui explique que Google ne domine pas le marché russe comme il domine certains marchés européens. Mais que pourrait-on attendre d’un gouvernement incapable de préserver une entreprise aussi importante qu’Alstom contre l’hégémonie américaine ?

Dans le domaine des services sur internet,le grand projet “Russie Électronique” devrait contribuer à l’économie russe de façon significative en rendant l’administration plus efficace. Le portail des services de l’État (gosuslugi.ru) a été profondément modernisé en 2014. Ce portail permet aux citoyens d’accéder en ligne à tous les services de l’État, telle que déclarations d’impôts, aides sociales, prises de rendez-vous à l’hôpital, changement de passeport, paiement d’amendes, enregistrement de véhicules ou de société etc. Ce portail, une fois son utilisation entrée dans les mœurs, devrait simplifier les procédures administratives et donc avoir un impact économique non négligeable. Dans ce domaine, la Russie n’a donc plus beaucoup à envier aux pays européens, puisque les Russes disposent aussi d’une Carte Électronique Universelle (qui est une carte d’identité, “Carte Vitale”, permet de payer ses amendes, recevoir son salaire, faire des achats sur internet, signer électroniquement, etc). Autre élément de Russie Électronique, le service d’information sur le logement (GIS-JKX) est actuellement en cours de construction. En plus de fournir de nombreuses information concernant le logement et tous les services liés au logement, le GIS-JKX offrira des services comme la possibilité de voter en ligne aux réunions de co-propriétaires. La qualité des services de “Russie Électronique” a largement contribué (avec les simplifications administratives) à la très nette progression de la Russie au classement “Doing Business” dressé par la Banque Mondiale (pas soupçonnée de biais poutinophile). La Russie est en effet à la 62ème place (juste derrière l’Italie) au dernier classement, partant de la 112ème place il y a 2 ans.

8.5 Infrastructure télécoms

Concernant l’infrastructure, la Russie dépend bien sûr de compagnies étrangères, comme CISCO. Mais CISCO produit en Russie, et a augmenté cette production fin 2014 avec le lancement de la production de nouveaux routeurs. Rosnano contribue également à ce secteur avec notamment un partenariat pour la construction d’une usine d’équipement pour serveurs informatiques (Aquantia) à Saint-Pétersbourg. Concernant le secteur des “data centers“, leur surface totale en Russie devrait atteindre cette année les 100 000 m², avec un chiffre d’affaire de 26 milliards de roubles en 2013 (le double d’OVH). Ça ne fait pas de la Russie un leader du secteur, mais la croissance reste forte (+36,5% en terme de surface utilisée en 2014) dans ce domaine. En juillet 2014, une loi a été passé pour obliger toutes les entreprises détenant des informations sur les citoyens russes à n’utiliser à partir de septembre 2016 que des bases de données se situant sur le territoire russe. Google, Facebook, Twitter, Instagram, eBay et d’autres ont donc besoin de construire d’ici 2016 d’énormes «data centers» en Russie, ce qui évidemment dynamisera fortement ce secteur.

Dans le cadre du programme de remplacement des importations, 2,7 milliards de roubles sont investis pour créer le premier site de production de fibre optique en Russie (à Saransk). Dès 2017, toute la fibre optique russe sera produite en Russie., et l’utilisation de fibre optique produite en dehors de l’UÉE sera interdite. En 2014, un grand plan de développement de la fibre optique a été préparé : 163 milliards de roubles seront investis pour déployer 200 000 km de fibres optiques, connecter 13 600 villages, toutes les écoles, les bibliothèques et les hôpitaux du pays. Les autorités espèrent que ce développement apportera 1,5% de croissance du PIB.

9. Industrie textile

secteur textile en Russie

Le secteur textile russe est gravement en crise depuis la fin de l’URSS. Chiffres de GKS, graphe de moi.

L’industrie textile russe a été presque anéantie à la chute de l’URSS, et est totalement submergée par les importations. En 2012, la Russie a importé pour 20,5 milliards de dollars de textiles, chaussures et chapeaux, à comparer à un chiffre d’affaire de seulement 6 milliards de dollars en 2013 pour l’ensemble de l’industrie textile russe (et moins de 900 M$ d’exportation). On note tout de même une croissance moyenne de 10% par an environ dans les dernières années. Les entreprises qui ont survécu se sont modernisées et sont nettement plus productives qu’elles n’étaient il y a 10 ans. Quelques usines ont été ouvertes depuis un an ou sont en construction, dont au moins 3 prévues pour environ 1000 employés, à Tcherkessk, en Ingouchetie, et dans la région de Ryazan. On  assiste donc à un début de renaissance de l’industrie textile russe.

Usine de tissu de Volgograd

Usine de tissus de Volgograd. Le “cluster” textile de Volgograd a reçu 5 milliards de roubles d’investissements.

Cette renaissance du secteur est depuis quelques mois fortement aidée par la baisse du cours du rouble, qui rend les vêtements importés comparativement plus cher que les vêtements produits en Russie : en janvier 2015, les importation de produits textiles et chaussures ont baissé de 39%, et des marques étrangères ont quitté la Russie tandis que d’autres (Adidas, Reebok…) ont conclu des accords pour faire produire certains vêtements en Russie.

La région d’Ivanovo est le cœur historique de l’industrie textile russe et reste actuellement une des régions les plus pauvres de Russie du fait de l’effondrement de l’industrie qui avait fait sa richesse. 40% de son industrie est dans le secteur textile, c’est beaucoup plus que n’importe quelle autre région de Russie. Un grand projet conçu depuis 2007 devrait enfin s’y mettre en place au troisième trimestre de 2015 : la construction d’une usine de fibres de PETF, d’une capacité de 180 000 tonnes par an, dont 50 000 tonnes par an seront utilisés par des entreprises locales pour la production de vêtement et autres textiles, ce qui permettra la création de milliers d’emplois dans des entreprises textiles de très grande productivité. Ce projet de 20 milliards de roubles bénéficie d’une aide massive du gouvernement, tant pour la production de PETF que pour les usines textiles locales qui devront l’utiliser. Ainsi, l’industrie textile d’Ivanovo pourrait redevenir prospère vers 2020. D’ici là, les entreprises textiles existantes profiteront du faible cours du roubles pour prendre des parts de marché et continuer leur modernisation.

La croissance du secteur a le potentiel de créer des centaines de milliers d’emplois, notamment en ramenant des emplois à des villes qui ont perdu leur principale industrie (e.g. fermeture d’une mine), mais pour parvenir à des résultats significatifs, la Russie aura besoin d’investissements étrangers tels qu’elle en en a obtenu pour dynamiser son industrie automobile. À suivre…

10. Pharmacie – équipement médical

La Russie est un énorme importateur de médicaments (notamment français et allemands) et de matériel médical : 10,9 Md$ de médicaments emballés, et 2,95 Md$ de matériel médical, en 2012, contre moins de 500 M$ d’exportations pour les deux catégories ensemble. Le ministère de la santé a préparé un plan pour remplacer les importations de médicaments contre le cancer. Concernant le secteur des médicaments dans leur ensemble, la Russie réduira sa dépendance aux fournisseurs français, allemands, belges et autres européens qui dominent très largement le marché russe (Cf. partie 4/5). Rusnano déjà mentionné ci-dessus est également impliqué dans le secteur des médicaments. Parmi les projets récemment réalisé ou en cours de construction, on peut citer une usine de médicaments (Farmsintez) à Saint-Pétersbourg, une usine de vaccins (Selecta) près de Moscou et une production de médicaments à bases de composites biodégradables (Biosyntez). Rostec de son côté participe à la production de matériel médical, notamment avec Chvabe qui, en dehors de sa branche opto-électronique, a une branche consacré au matériel de médecine néo-natale (incubateurs, appareils de respiration artificielle…).

Technopôle pharmaco-médical de Novo-ouralsk

Le nouveau technopôle de Novo-ouralsk doit aider la Russie a moins dépendre des importations pour les produits pharmaceutiques et les équipements médicaux.

En dehors de Rusnano et Rostec, de nombreuses entreprises privés, généralement étrangères, investissent massivement en Russie. Depuis mars 2014 au moins 9 sites de production de produits pharmaceutiques et d’équipement médical ont ouvert, en plus de l’inauguration du technopôle de Novo-ouralsk. Ce technopôle contient 25 000 m² de bâtiments destinés à ce secteur, et 5 entreprises y sont déjà installées. On assiste donc à une rapide modernisation de l’industrie médicale russe, soutenue par des investissements étrangers massif et une volonté politique ferme. Cette modernisation permettra de réduire significativement le poids du secteur dans la balance commerciale russe.

11. Production de machines

Difficile de faire le tour d’un secteur aussi vaste. Je ne donne que quelques éléments clés, en commençant avec les machines-outils : un consortium, “Stankoprom”, a été formé sur le modèle d’OAK, OSK et ODK, en plus modeste (9000 employés), afin d’améliorer la compétitivité des producteurs de machines-outils appartenant à l’État. Un producteur de Rostov, MTE Kovosvit MAS, réalise des investissements important qui lui permettront de de tripler sa production en 2015. En mai 2014, Takisawa a lancé sa production de machines-outils en Russie, suivie le mois suivant par l’usine d’une joint-venture entre Siemens et Mori qui produira jusqu’à 1000 machines-outils par an. On voit ainsi que dans ce domaine aussi les investissements étrangers permettent à la Russie de combler son retard et de réduire rapidement ses besoins en importations.

SGT5-4000F

Turbine SGT5-4000F. 295 MW de qualité allemande, désormais produite à Saint-Pétersbourg. Image Siemens.

Du côté des turbines, la Russie avaient beaucoup de lacunes sur les leaders du secteurs que sont GE, Alstom, Siemens et Mitsubishi. Ces lacunes sont en train d’être comblées. En octobre 2014 un partenariat entre ODK et GE a lancé la production de turbines de 77 MW à Yaroslavl. Cette production devrait permettre à la Russie de devenir autosuffisante en turbines de puissance moyenne. En banlieue de Saint-Pétersbourg, l’usine de Silovye Machiny (17 000 employés, des turbines exportées dans le monde entier) produira des turbines de 172 MW et 295 MW, en partenariat avec Siemens, dès 2015. Ces nouveaux sites de productions, qui apportent de nouvelles technologies en Russie et 650 emplois qualifiés, réduisent très sensiblement le besoin en turbines importées. Dans le même temps, afin de garantir la confidentialité des données sur les entreprises russes, une nouvelle loi oblige le «monitoring» des turbines à se faire uniquement en Russie. Or le «monitoring» est une activité qui représente un CA aussi important que la construction des turbines. Ceci obligera les grandes entreprises du secteurs à importer en Russie des centaines d’emplois très qualifiés, et des compétences utiles à l’industrie russe.

Concernant les excavatrices et les gros engins de constructions, les grandes compagnies étrangères dominent largement le marché russe, mais quelques unes des principales ont commencé depuis quelques années à produire en Russie (Caterpillar, Komatsu, Volvo). Hitachi a également lancé sa production en Russie en juin 2014, avec l’objectif de n’utiliser à l’avenir que des pièces produites en Russie. Ainsi, avec quelques années de retard, ce secteur suit le même mouvement que la production automobile, les importations vont progressivement diminuer dans ce secteur. De plus, en février 2015 le gouvernement a interdit l’importation de 54 types de véhicules par toutes les structures gouvernementales ou communales, ce qui aidera grandement les producteurs russes et UÉE d’excavatrices, bulldozers, camion-citernes, camions-grues, ambulances, camions de pompiers, tramways, tracteurs, autobus etc. La Biélorussie profitere également de cette mesure à travers notamment ses célèbres tracteurs.

13. BTP

La production de ciment a plus que doublé depuis 1998 mais n’est toujours pas revenue à son niveau de 1991. Le niveau actuel est supérieur à celui de l’Allemagne et l’Italie (les leaders européens) réunis.

Quand le bâtiment va, tout va, dit-on. Parmi d’autres exemples : des stations de métros sont en construction dans 4 villes, le célèbre théâtre Mariinsky a une deuxième scène, un nouveau terminal est en construction dans les aéroports de Poulkovo (Saint-Pétersbourg), Vnoukovo et Cheremetyevo (Moscou), et un grand programme de construction de piscines publiques suit son cours. En 2014, 81 millions de m² de logements ont été construits en Russie, ce qui constitue un record historique.

En moyenne 2 ou 3 nouvelles usines dédiées au secteur de la construction ouvrent chaque mois. Parmi les plus importantes, on peut mentionner que deux nouvelles usines de ciment qui produiront chacune 2 millions de tonnes par an fonctionnent depuis mai 2014, et que la 8ème usine russe de Saint-Gobain, une usine de mélanges à base de ciment, a récemment ouvert. Le secteur de la construction n’est pas totalement étranger au hautes technologies, avec par exemple l’inauguration du complexe de construction Grad, créé en partenariat entre le groupe de construction Morton et Rosnano, et qui rassemble différentes solutions de haute technologie pour permettre de projeter et construire 450 000 m² d’appartements par an. Ce projet utilise plusieurs produits de Rosnano, dont un verre à nano-revêtement qui permet une meilleure isolation thermique que les doubles vitrages.

La Russie profite dans le domaine de la construction d’une série d’événements sportifs internationaux : Les Universiades de 2013 à Kazan, puis les JO d’hiver à Sotchi, et enfin les championnats du Monde de football de 2018 qui auront lieu dans 11 villes russes, de Kaliningrad à Iekaterinbourg, et pour lequel des stades sont en construction ou en rénovation. Dans le domaine des transports, la Russie a besoin de développer son infrastructure, et des ponts, des routes et des chemins de fer sont en construction dans tout le pays. La Russie a besoin d’investisseurs privés pour développer ces chantiers, en particuliers les aéroports.

Pont Russe reliant Vladivostok à l'île Russe
Pont Russe reliant Vladivostok à l’île Russe, à travers le Bosphore oriental. C’est le plus long pont à haubans du monde, et l’un des trois grands ponts inaugurés à Vladivostok en août 2012. (photo wiki, haubans par Freyssinet, cocorico).

Parmi les projets récents de construction, il faut citer le pont vers l’île Roussky (île Russe), au large de Vladivostok, achevé en 2012. De nombreux médias russes d’oppositions raillaient ce projet très coûteux, en disant qu’il s’agissait d’un pont vers nulle-part, un exemple flagrant d’argent public gaspillé, puisque l’île Roussky n’était alors pratiquement pas habitée. Il est vrai qu’il faut réfléchir 2 secondes pour comprendre que l’île Roussky était peu habitée parce qu’il n’y avait pas de pont. Depuis l’ouverture du plus long pont à haubans du monde, elle se développe à grande vitesse, ce qui donne à Vladivostok un nouvel espace à urbaniser, dont la ville avait besoin pour se développer. Un grand campus universitaire est en construction, incluant un centre hospitalier très moderne, et une zone touristique est envisagée. En même temps que le Pont Russe s’est construit le “Pont d’Or”, qui traverse la Corne d’Or, baie qui coupe Vladivostok en deux parties. Un troisième pont, le pont traversant la Baie de l’Amour (ne pas confondre avec l’embouchure du fleuve Amour qui est à environ 1300 km plus au nord), de 5330 m, a comme les 2 précédents été inauguré en août 2012, juste à temps pour le sommet de l’APEC qui s’est tenu à Vladivostok. Si Saint-Pétersbourg est la Fenêtre sur l’Europe voulue par Pierre le Grand au siècle de l’Europe, le développement actuel de Vladivostok en fait la Fenêtre sur l’Asie voulue par Vladimir Poutine, au siècle de l’Asie.

Au-delà de Vladivostok, c’est tout l’Extrême-Orient russe qui a terriblement besoin d’investissement pour développer son infrastructure et attirer des Russes. La région fait 6,17 millions de km² pour 6,2 millions d’habitants, dont la moitié sont répartis dans moins de 20 villes. Il faut développer les aéroports, les ports, les voies de chemins de fers etc pour commencer à exploiter le potentiel économique de la région. La Russie a 20% du potentiel forestier mondial mais seulement 5% de l’industrie forestière, cela ne pourra pas s’améliorer sans améliorer la capacité à transporter ce bois (même chose pour les céréales). Un grand plan d’investissements pour l’Extrême-Orient a été annoncé. et 40 000 emplois industriels seront créé en Extrême-Orient, avec des investissements dans l’industrie chimique déjà mentionnés ci-dessus, mais aussi l’industrie pétrolière, la construction et modernisation d’infrastructure, l’industrie automobile, avec des investissements privés pouvant atteindre 50 milliards d’euros. Des incitations à s’installer en Extrême-Orient commencent à se mettre en place pour y développer l’agriculture et l’industrie forestière.

À l’autre bout de la Russie, la Crimée a été pratiquement laissée à l’abandon pendant 23 ans, et est donc terriblement en retard du point de vue de son infrastructure. Il y a donc énormément à faire dans cette région. Un pont est prévu pour relier la Crimée au reste de la Russie en traversant le détroit de Kertch, et de nombreux autres projets sont en cours pour moderniser la péninsule. Le plus urgent concerne la dépendance de la Crimée envers l’Ukraine pour son approvisionnement en eau (toute l’eau d’irrigation) et en électricité (80%), et c’est une situation très périlleuse, puisque l’Ukraine n’hésite pas à fermer ces approvisionnements. La situation des Criméens est encore compliquée par le blocus économique de l’Empire du Bien. Par exemple, la Crimée aurait besoin de 5 turbines pour sa production d’électricité, mais les principaux producteurs sont GE, Siemens et Alstom. Une solution partielle a été trouvée avec une turbine de 230 MW en stock au Tartastan, et le reste viendra par des câbles sous-marins à travers le détroit de Kertch, et qui seront posés en 2016. Le pont routier et ferroviaire, qui coûtera des milliards d’euros, viendra plus tard. La situation très difficile de la Crimée explique que son développement soit prioritaire et force à retarder d’autres projets, dont le fameux pont sur la Lena dont la Yakoutie aurait tant besoin pour se développer. Le gouvernement devrait dépenser 655 milliards de roubles pour développer la Crimée (République de Crimée et Sévastopol).

L’autre région qui a besoin de nouvelles infrastructures est le grand Nord russe. Les compagnies pétrolières nationales ont reçu le droit d’exploiter 2 zones de la mer de Barents. Des ports sont en cours de rénovation pour anticiper la croissance du trafic maritime sur la route du Nord-Est, qui est facilitée par le réchauffement climatique. Une base militaire permanente sera rétablie dans l’Arctique (archipel de Nouvelle-Sibérie).

Les autorités souhaitent favoriser l’utilisation de matériels et matériaux russes dans les grands projets, et un plan a été dressé pour limiter de 60% la part de l’équipement étranger pour les constructions en cours pour le Championnat du Monde 2018, et de 90% la part de métal étranger.

14. Secteur financier

Développement du crédit en Russie

Développement du crédit en Russie : crédits et dépôts en Russie en milliards de roubles à la fin de l’année, corrigés pour l’inflation (référence 2013). Chiffres de GKS, calcul et graphe de moi. L’argent, c’est des dettes : plus il y a de dettes, plus il y a d’argent. On constate qu’en 1998, il y avait en Russie plus de dollars que de roubles.

Le secteur financier en Russie est notoirement sous-développé. La Russie ne compte que deux banques, Sberbank* et VTB*, parmi la liste des 100 plus grandes banques du monde par actifs (la Belgique et le Brésil par exemple en ont 3 chacun). Les autres banques russes importantes sont Gazprombank*, Rosselkhozbank*, et Vneshekonombank*, toutes attaquées à la fois par les É-U et par leurs vassaux européens et japonais. Comme l’indique la progression des emplois dans le secteur financier depuis 15 ans, il y a beaucoup de progrès, mais la place financière de Moscou reste très petite. La plupart des grandes entreprises russes sont cotées à Londres ou New-York. Il y a peut-être un aspect positif de ce problème, en ce que le secteur financier russe a peut-être, du fait même de sa faiblesse, moins de pouvoir qu’en occident où les hommes politiques sont souvent des larbins aux services des grands banquiers, qui gagnent même lorsqu’ils perdent (Cf. «Bailout»).

Notons que les médias occidentaux ont été forcé d’admettre la très grande adresse des financiers du gouvernement russe, qui maintiennent les finances de la Russie à un bon niveau dans une situation extrêmement compliquée. Je rappelle pour le plaisir que la très compétente présidente de la banque centrale russe, Elvira Nabioullina, est une Bachkire : en Russie cette remarque n’a à peu près aucun intérêt tellement le fait est banal (sauf qu’on se doute bien que les Bachkirs doivent être fiers d’elles, comme les Touvains sont à juste titre fiers de Choïgou), mais on attend encore de voir un Cherokee à la présidence de la Fed  (mais bon je dis ça je dis rien, c’est la Russie qui reçoit des leçons de démocratie et tout ça de l’Oncle Sam…). Et le ministre russes de l’économie Alekseï Oulyoukaev est un docteur de l’université de Grenoble, comme quoi la France forme des personnes extrêmement compétentes, faut juste pas prendre ceux qui sont allé à l’ÉNA après avoir fait d’excellentes études.

La Russie a un énorme besoin d’investissements étrangers. Elle était jusqu’en 2013 l’un des pays du monde recevant le plus d’investissements étrangers , derrière le Brésil mais devant l’Allemagne. C’est aussi un axe important de la guerre économique contre la Russie. Nous verrons dans les parties suivantes si la Russie a réussi a retenir quelques investisseurs.

14.1 Dédollarisation

La banque centrale russe est face à  des défis considérables.

La Banque Centrale de Russie est face à des défis considérables.

Ce point mériterait un article à lui seul. En réalité, des livres entiers seront consacrés à ce sujet. La fin du dollar-roi signifie la fin de l’Empire du Bien et marquera le départ d’un monde multipolaire, c’est à dire où aucun pays ne peut “tordre le bras” de ceux qui n’agissent pas selon sa volonté. En Russie, le projet de dédollariser la Russie a été émis par Sergueï Glazyev avant le début de la crise. Il paraissait excessivement ambitieux, voire absurde, tant l’économie mondiale, en particulier dans le secteur énergétique, dépend du dollar, y compris en Russie. Il s’agit d’un projet à long terme qui pourrait à terme considérablement affaiblir l’influence des États-Unis. En effet, les États-Unis contrôlant actuellement la monnaie mondiale, ils peuvent décider qui a le droit de l’utiliser ou non. L’Iran et Cuba refusant de se soumettre à l’hégémonie mondiale, ces deux pays ont subit l’utilisation de l’arme géopolitique de l’interdiction du dollar. Le dollar est encore utilisé y compris dans le commerce intérieur russe, par exemple pour les achats d’avions ou l’achat de gaz ou de pétrole entre les société. Cette situation anormale est en train de prendre fin, ce qui permet de commencer à réduire la dépendance russe au dollar. On parle par exemple de traduire les contrats de leasing pour les SSJ-100 de dollars en roubles, mais aussi de vendre du gaz et du pétrole en roubles sur le marché intérieur. La dédollarisation de l’économie russe part donc de très loin, mais elle est en marche :

Un système de paiements parallèle à SWIFT a été mis en place en février 2015 pour atténuer les conséquences économiques que subirait la Russie si elle était déconnectée de SWIFT, comme les États-Unis avaient menacé de le faire. SWIFT est basée en Belgique, mais on sait que les États-Unis sont capable d’exercer beaucoup de pressions sur l’Europe. Ce système russe de paiement était prévu depuis longtemps, mais c’est grâce à la guerre économique voulue par les États-Unis que ce système longtemps au point mort a enfin pu aboutir.

En 2014, le gouvernement russe a massivement vendu ses bons du trésor américain, et a au contraire acheté des tonnes d’or.

Le Système National des Cartes de Paiement (NSPK) immunise la Russie contre toute nouvelle décision illégale de VISA /Mastercard de bloquer les cartes de leurs clients russes.

La banque de développement des BRICS se met en place, avec une loi votée à la Douma en février 2015, et sera le grand projet de la Russie dans le cadre de sa présidence des BRICS. La banque asiatique d’investissement menée par la Chine a été rejointe par le Royaume-Uni, puis par la France, l’Italie et l’Allemagne, au grand dam de l’oncle Sam qui vois d’un mauvais œil un projet international important qu’il ne contrôle pas et porte atteinte à son leadership en matière financière. Une agence de notation commune aux BRICS se met également en place afin de limiter le rôle des agences américaines. Ces deux points contribuent également à réduire la dépendance des BRICS à la finance américaine. Les agences américaines de notations sont en effet un instrument politique, comme on peut le constater avec la note très basse de la Russie qui a pourtant un endettement très faible et est parfaitement solvable. La Russie a en revanche la meilleure note donnée par l’agence chinoise Dagong.

Conclusion

J’espère que ce tour de l’économie russe et de ses développements récents, bien qu’incomplet (de nombreux secteurs d’activités ne sont pas mentionnés, de l’agro-alimentaire au tourisme, il a bien fallu faire des choix) suffit pour comprendre que l’économie russe est diversifiée et a de quoi faire face à la guerre économique lancée par Washington.

L’Europe s’enfonce dans la crise, et dans la vassalité par rapport à Washington en continuant le cercle stupide de sanctions illégales (puisque non voté au conseil de sécurité de l’ONU, la Russie s’est adressée à l’OMC à ce sujet) contre la Russie. Les sanctions posent des difficultés à l’économie russes, et de nombreux programmes industriels russes sont retardés par l’arrêt de la coopération d’entreprises européennes. Mais ces problèmes forcent la Russie à augmenter la part de la production nationale dans les équipements stratégiques, et à chercher des partenaires fiables en Asie et ailleurs pour obtenir ce qu’elle ne produit pas.

Une conséquence des mesures illégales lancées contre la Russie est que cela semble suspendre toutes les règles de commerce internationale régies par l’OMC. En effet l’OMC interdit de favoriser la production nationale. La Russie profite à fond de cette situation comme l’illustrent plusieurs mesures récentes évoquées ici.

Cette guerre économique est donc pour la Russie l’occasion rêvée de renforcer son industrie en prenant des mesures qui n’auraient été acceptées ni par la “Communauté internationale”, ni par la population, si l’Empire du Bien n’avait pas ouvertement cherché à la ruiner. En effet ces mesures retardent une très grande quantité de projet, complique la tâche des industriel, et auront des effets négatifs sur l’économie pendant un an ou deux. Mais le résultats de telles mesures sera un renforcement très important de la compétitivité de l’industrie russe. La recette n’est pas nouvelle : L’Empereur Aleksandr II avait décrété dans les années 1870 qu’il fallait produire en Russie toutes les locomotives, au lieu de les importer d’Allemagne. Le résultat se fait encore sentir aujourd’hui, avec l’importance de ce secteur dans l’économie russe.

Il y a tout de même un bémol : la Russie ne pourra pas mener la modernisation de son économie avec ses seuls moyens. La tâches est immense, les besoins financiers colossaux, et des investissements étrangers sont indispensables dans les prochaines années comme il l’ont été dans la décennie écoulée. D’où les énormes efforts diplomatiques américains pour isoler la Russie. S’ils parviennent à faire de la Russie un paria sur la scène internationale, la Russie pourrait ne plus avoir assez de partenaires pour mener à bien la suite de son programme de modernisation, et la crise sera beaucoup plus profonde qu’un tunnel de 2 ans menant à une économie beaucoup plus forte. Nous verrons dans la suite si les Américains ont réussi à isoler la Russie autant qu’il le souhaitent.

Notes:

1. Dans le domaine des technologies d’impression 3D, on appelle “additif” tous les matériaux utilisés comme matière première : l’impression 3D forme des objets par addition de matière, au contraire des techniques traditionnelles (usinage etc.) qui fonctionnent par soustraction de matière. Retour au texte

L’auteur : je suis un citoyen franco-américain, polyglotte, traducteur et consultant export. Vous pouvez me contacter ici, (surtout si vous voulez une traduction ou de l’aide pour entrer sur le marché russe. La Russie n’est pas encore complètement fermée, loin de là).

Source: http://www.les-crises.fr/l-isolement-de-la-russie-3-la-russie-ne-produit-rien/