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[La guerre, c'est cool !] En Ukraine, le soldat Elisaveta a vaincu son handicap

Friday 27 March 2015 at 00:01

FEMMES DU MONDE – Chaque semaine, Karen Lajon, grand reporter au JDD, raconte le combat exceptionnel ou peu ordinaire de femmes dans le monde. Cette semaine, envoyée spéciale à Kiev en Ukraine, elle rencontre Elisaveta Shaposhnik, handicapée aux mains et soldat volontaire, dans le fameux bataillon Aidar.

Une fois la paix installlée, les guerres recèlent de héros et d’héroïnes. Elisaveta Shaposhnik, 28 ans, pourrait bien en être une. Pour de bon. La jeune femme a passé trois mois en zone de conflit, dans la région de Louhansk. Rien de spécial à première vue, il existe un certain nombre de femmes, dans les rangs militaires ukrainiens. Alors, il faut bien en parler, au risque de paraître dérangeant, il faut bien aborder le handicap de ses mains. Mais c’est justement cette petite différence qui donne, désormais, à Elisaveta ce regard pénétrant, empreint d’une fierté toute nouvelle, empreint d’une confiance qui va bien au-delà de tous les mots: Elisaveta est devenue normale, aux yeux des autres. Son handicap a disparu. La guerre, en quelque sorte, l’a drapée d’une dignité retrouvée et infinie.

“Je me suis dit que je ne pouvais rester, sans rien faire”

En réalité, la bataille de la jeune femme a commencé à la maison. Avec ses parents. Elle voulait rejoindre les révolutionnaires de la place de Maïdan, eux, soutenaient Vladimir Poutine, et s’y opposaient. La violence verbale domestique grimpe dans les aiguës, un peu à la mesure de celle des armes, sur le terrain. La jeune femme quitte son Odessa natale pour rejoindre le Donbass. Sa vie d’avant était celle d’une jeune femme de l’ombre. Elisaveta souffre d’un handicap aux mains (malformation spécifique dûe à la prise d’un médicament dans les années 60) qui la prive de toutes ces petites choses qui règlent la vie des filles de son âge. Elle est aussi d’un milieu modeste, elle travaille sur les marchés et rêve sans doute d’un avenir meilleur. La guerre, paradoxalement, va le lui apporter. “J’ai trouvé normal de rejoindre ces hommes qui se battaient pour ma région. Je me suis dit que je ne pouvais rester sans rien faire”, raconte Elisaveta, dans les couloirs de l’hôpital Central militaire, au centre de Kiev. La jeune femme se fait soigner pour une faiblesse cardiaque qui pour l’heure, l’éloigne de la ligne de front.

Cette ligne de front qui lui a redonnée une vie, une forme, une voix. Les tâches de la jeune femme vont de la cuisine, au ménage mais aussi aux nuits de garde, dans les différentes positions de cette armée de volontaires. “Nous étions toujours deux parce que lorsqu’il fallait prévenir le bataillon, si on ne pouvait le faire avec le talkie-walkie, l’un de nous rejoignait l’arrière, en courant, afin de les informer de tout nouveau développement”. C’est là, que le regard que l’on porte sur la jeune femme devient embarrassant. On ne peut s’empêcher de remarquer ses mains, si peu compatibles avec l’exercice du combat.

Ce jour-là, dans ce couloir d’hôpital, elle a joliment soigné ses ongles, revêtus d’un vernis violet. Son pantalon de treillis est immaculé. Mais n’est-il pas français? Elisaveta sourit et raconte, avec des étoiles dans les yeux, qu’elle était à Paris, en mars 2014. Qu’elle a acheté ce pantalon de l’armée française, dans un surplus militaire ainsi que cette doudoune, bien moins réglementaire, et qui avec ses dessins de bambous, suggère une tenue camouflage. Du bricolage! Mais qu’importe, Elisaveta est prête à tout pour faire partie de ce groupes d’hommes et de femmes qui défendent leur patrie, le fameux bataillon Aidar.

François Hollande fait la bise à Elisaveta

Paris. Un autre tournant de la vie de cette jeune femme qui prend les contours d’un destin peu courant. “On m’avait choisie pour un voyage en France, parce qu’ils ont dit que je représentais une sorte de symbole fort des révolutionnaires de Maïdan. Je suis restée six jours, j’ai rencontré François Hollande et Bernard Henry-Lévy “. Ce qu’elle retient de ce voyage qu’elle semble avoir traversé avec la modestie des justes, c’est la chaleureuse accolade du président français. “En Ukraine, les présidents ne nous embrassent pas! “, dit-elle, en riant.

Elle a gardé les photos de ce moment historique et personnel, sur son téléphone portable qu’elle sort habilement de son anorak et manipule avec une agilité déconcertante, compte-tenu de son handicap. A cette époque, elle affiche une coupe de cheveux plus féminine qu’aujourd’hui. Ses cheveux, depuis, ont été coupés à la façon nationaliste, court sur les côtés et avec une sorte de grande mèche qui part du haut du crâne pour aller vers le bas du dos. Pas forcément très seyant mais qui a le mérite de situer la personne, au premier coup d’oeil.

Lisa a gagné, les gens ne la regardent plus

A la guerre, elle habite dans un immeuble abandonné, les toilettes sont à l’éxtérieur. “Pour se laver, on allait chez les gens qui voulaient bien nous accueillir”. La nuit est réservée aux gardes. Qu’elle accomplit avec tout le courage que son corps frêle possède et que l’effroi entrave parfois. “Une nuit, j’ai eu vraiment peur, parce qu’un obus est tombé sur la position, à une centaine de mètres de nous. Les deux garçons ont été réduits en cendre. Il y a des gars du bataillon qui sont partis avec des sachets en plastique, afin de ramasser les cendres, justement. C’était très perturbant mais en même temps, je savais que ma place était là et pas ailleurs, même si j’etais terrifiée”. Des photos, Lisa en a encore. Elle manipule à nouveau son téléphone et s’arrête sur cette image, source de fierté infinie: un panneau, un camion, de la neige à hauteur d’homme et elle, Elisaveta, une kalachnikov dans les bras, tout sourire, la preuve absolue qu’elle ne raconte pas d’histoires: ” Avant je souffrais de mon handicap, aujourd’hui, ce n’est plus le cas, le regard des autres sur moi est différent, il a changé “. Mieux, les gens ne la regardent plus. Elle n’est plus une handicappée. ” Je me dis qu’il n’y a pas de bonheur sans aide du malheur “. Elisaveta est enfin devenue Elisaveta Shaposhnik. Elle est comme tout le monde. Elle sait que désormais le rêve de sa vie, créer une association pour handicapés, est à portée de main. Une victoire que Poutine n’aurait sûrement pas imaginée.

Source : Karen Lajon, pour Le JDD, le 12 février 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/la-guerre-cest-cool-en-ukraine-le-soldat-elisaveta-a-vaincu-son-handicap/