La langue automatique du journalisme officiel est une langue de bois officielle.
I. Consensus sous surveillance
« Réforme » : Quand une réforme proposée est imposée, cela s’appelle « LA réforme ». Et s’opposer à cette réforme devient : le « refus de la réforme ». Ne plus dire : « les travailleurs combattent les politiques libérales qui favorisent chaque jour davantage les revenus du capital et dissolvent l’Etat social ». Ecrire : « Une autre chose dont on peut être sûr – et qui nourrit l’antienne d’un pays impossible à réformer -, c’est la nature difficile des rapports sociaux en France. La conflictualité l’emporte sur le consensus. Vieil héritage de la culture ouvrière revendicative du XIXe siècle du côté des organisations syndicales, crispées sur la défense des droits acquis […]. »(Le Monde Economie, mardi 7 juin 2005, page I). Le terme peut désigner spécialement les attaques successives du système des retraites par répartition. En 2003, « Sur France 2, Arlette Chabot réforme la France » : une émission “Mots croisés” benoîtement intitulée : « Pourquoi est-il impossible de réformer la France ? ». En 2007, au sujet des régimes spéciaux, grand « retour des gardiens du consensus » et de LA réforme.
Henri Maler et Yves Rebours
« Réformistes » : Désigne ou qualifie les personnes ou les syndicats qui soutiennent ouvertement les réformes gouvernementales ou se bornent à proposer de les aménager. Les partisans d’autres réformes constituent un « front du refus ».
« Modernisation » : Synonyme de « réforme » ou de l’effet attendu de « LA réforme ». « LA modernisation » est, par principe, aussi excellente que « LA réforme »… puisque, comme l’avait fort bien compris, M. de La Palisse, fondateur du journalisme moderne, la modernisation permet d’être moderne. Et pour être moderne, il suffit de moderniser. Le modernisme s’oppose à l’archaïsme. Seuls des esprits archaïques peuvent s’opposer à la modernisation. Et seuls des esprits tout à la fois archaïques, réactionnaires et séditieux peuvent avoir l’audace et le mauvais goût de proposer de subordonner “LA modernisation” au progrès social. D’ailleurs, « LA modernisation » est indifférente à la justice sociale, que la modernité a remplacée par l’« équité ». Voir ce mot.
« Ouverture » : Se dit des opérations de communication du gouvernement. L’ « ouverture » se traduit par des « signes ». Les « signes d’ouverture » traduisent une « volonté d’apaisement ». Ne pas confondre avec cette autre ouverture : « l’ouverture de négociations », qui pourrait manifester un dommageable « recul ».
« Apaisement » : Se dit de la volonté que l’on prête au gouvernement. Par opposition au « durcissement » de la mobilisation. Voir « ouverture ».
« Concertation » : Se dit des réunions convoquées par un ministre pour exposer aux organisations syndicales ce qu’il va faire et pour écouter leurs doléances, de préférence sans en tenir aucun compte. Selon les besoins, la « concertation » sera présentée comme un équivalent de la « négociation » ou comme son substitut. Le gouvernement est toujours « ouvert » à la « concertation ». Voir « ouverture ».
« Négociation » : Selon les besoins, tantôt synonyme, tantôt antonyme de « concertation ». On est prié de ne pas indiquer que, à la différence de la « concertation », la « négociation » est généralement terminée avant d’avoir commencé. Inutile aussi de souligner ce miracle : au printemps 2003, dix heures de « négociation » ont suffi au gouvernement pour ne céder que sur les quelques points qu’il avait déjà prévu de concéder.
« Dialogue social » : Se dit des rencontres où un ministre parle aux syndicats, par opposition au « conflit social », comme si le « dialogue » n’était pas généralement de pure forme : destiné à dissimuler ou à désamorcer le « conflit ».
« Pédagogie » : Devoir qui, pour les journalistes communicants, s’impose au gouvernement (plus encore qu’aux enseignants…). Ainsi, le gouvernement fait preuve (ou doit faire preuve…) de « pédagogie ». Tant il est vrai qu’il s’adresse, comme nos grands éditorialistes, à un peuple d’enfants qu’il faut instruire patiemment. Et si « la réforme » passe, c’est que la pédagogie (et non la force) a triomphé, comme s’en félicitait par avance Challenges (13 septembre 2007) à propos de la « réforme des régimes spéciaux » : « Si (…) cette réformepassait sans coup férir, ce serait le signal que la pédagogie finit toujours par triompher ».
II. Déraison des foules
« Crispation » : Un mot parmi d’autres pour désigner l’attitude des salariés qui se battent contre les délocalisations, le chômage, le dumping social, la destruction du droit de travail, du système de santé et des retraites par répartition. La France « crispée » est rigide et s’oppose à la France moderne et flexible. Un exemple ici.
« Égoïsme » : Frappe les chômeurs, les travailleurs précaires, les classes populaires en général. Exemple : le refus du dumping social est un symptôme évident d’égoïsme. Vice dont sont dépourvus les bénéficiaires de stock-options.
« Individualisme » : Peut être vice ou vertu. Vice quand il entame la solidarité des dominés avec les dominants, vertu quand il détruit les défenses immunitaires des mouvements sociaux. En parler beaucoup, pour ne rien dire des conditions collectives de l’émancipation des individus.
« Corporatisme » : Mal qui menace n’importe quelle catégorie de salariés qui défend ses droits, à l’exclusion des tenanciers des médias. Dans ce dernier cas, s’exclamer, comme Jean-Michel Aphatie : « Trouvez un argument de meilleure qualité que le corporatisme, s’il vous plaît, s’il vous plaît ! ». L’accusation de « corporatisme » est en effet un argument de bonne qualité, sauf quand elle vise des éditorialistes de qualité supérieure. (Voir ici pour un exemple récent de non-corporatisme)
« Malaise » : Se dit du « trouble », plus ou moins profond, qui peut aller jusqu’au « mal-être », vécu ou ressenti par une profession. Depuis le printemps 2003, le « malaise » affecte particulièrement les enseignants. Le « malaise » peut se traduire par des « revendications » qui ne sont alors que des « symptômes ». Le « malaise » et ses « symptômes », diagnostiqués par les éditorialistes et les experts, réclament un « traitement » approprié.
« Grogne » : Un des symptômes les plus graves du « malaise », un signe de l’animalité privée de mots des « grognons ». Voir ce mot, son analyse et un exemple récent opposant les « grognons » universitaires aux « diplomates » gouvernementaux.