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Plantu : “Je revendique l’autocensure” [2006]

Friday 16 January 2015 at 02:00

Merci à vous, j’ai compris l’allusion de Charlie Hebdo.

Voici donc les déclarations de Plantu en 2006 après la première publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo.

2 visions du métier – et 2 conséquences différentes dans la vraie vie…

Avez vous proposé plusieurs dessins à la rédaction du Monde le 2 février 2006 ?

Plantu – Non, exceptionnellement non. J’étais à Atlanta et les rédacteurs en chef m’ont dit qu’ils voulaient faire la une sur l’affaire des caricatures. Ils ont été d’accord tout de suite.

Avez-vous déjà caricaturé le Dieu d’une des trois religions monothéistes ?

-Oui, ça m’est arrivé de faire des petits nuages avec un Dieu, c’était plus sur la croyance, mais certainement pas contre un des Dieux des trois religions monothéistes. Le but est de faire des dessins qui critiquent les terrestres. Il y a suffisamment à faire avec les intégristes de tous bords. D’après moi, il n’y a pas de critiques pertinentes contre les dieux. J’étais à New York, il y a peu, pour rencontrer Kofi Annan, car j’essaie avec lui de construire une rencontre internationale de dessinateurs de presse.

Nous aimerions faire en sorte que les dessins continuent à être pertinents, caustiques, dérangeants, mais je ne veux pas y lire de la haine. Il faut éviter de faire des dessins agressifs contre la croyance. Et ceci vaut pour les deux parties qui s’opposent aujourd’hui. Lorsque certains médias arabes publient des dessins représentant des Israéliens, il vaudrait mieux que les dessinateurs en Egypte ou au Liban évitent de les représenter avec un nez crochu. Je leur ai expliqué plusieurs fois mais ils ne m’ont pas écouté.

Il n’est pas impossible que cette crise nous permette, en Occident et en Orient, de mieux réfléchir avant de dessiner. Il faudra utiliser ces dérives pour défendre l’image politique imprimée et réaffirmer la responsabilité journalistique du dessinateur.

Vous est-il arrivé de pratiquer l’autocensure ?

- Bien sûr ! Je revendique l’autocensure. Il y a des tabous, il faut savoir les transgresser. Mais le dessinateur de presse a une responsabilité journalistique. Je crois qu’il faut être respectueux dans l’irrespect. Ce n’est pas honteux de dire “ça je peux le dessiner, ça je ne peux pas”. D’ailleurs, le journal Charlie Hebdo refuse lui aussi de publier certains dessins, ce n’est pas honteux. Observer des tabous, ce n’est pas forcément une régression.

Ce n’est pas un pas en arrière pour la liberté d’expression, c’est un pas en avant pour l’intelligence.

Propos recueillis par Simon Piel, L’Obs
(le mardi 7 février 2006)

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Le caricaturiste doit passer au travers des interdits”

Propos recueillis par Dominique Simonnet,  publiés le 12/10/2006
«T’as vu le dessin de Plantu?» Des traits ciselés, des personnages saisis dans leur vérité, parfois une phrase laconique, et voilà l’image dont on parle, celle qui en dit plus long. Plantu est un provocateur pas méchant, un révolté tendre, bourré d’humanité. Dans L’Express et Le Monde, le dessinateur sait capter l’actualité pour en révéler l’essence, le tragique ou le dérisoire. En 2006, la caricature est un art à haut risque. Un dessin ne tue pas. Mais on tue pour des dessins. Quelles en sont les limites? Peut-on rire et parler de tout?

On a l’impression que l’exercice de la caricature est devenu plus difficile aujourd’hui dans le monde, que le dessinateur de presse se heurte davantage aux intolérances et aux groupes de pression. Est-ce la réalité?

Plantu : C’est vrai, mais pas seulement à l’étranger. En France, nous avons aussi nos ayatollahs. Chez nous, le principe de précaution pèse sur les dessinateurs de presse. Au-delà de «La guerre, c’est vilain! Le racisme, c’est pas beau!», il devient difficile de nuancer le propos. Un exemple: le magazine La Vie du rail m’avait demandé d’imaginer le TGV dans vingt-cinq ans. J’ai dessiné des Chinois aux commandes de la locomotive? On me l’a refusé, parce que cela risquait d’indisposer les syndicats!

Autre exemple: on m’a commandé un dessin pour le Salon du polar, qui doit avoir lieu à Montigny-lès-Cormeilles. J’ai proposé un Chirac assassiné par Sarko. Ambiance polar? Coup de téléphone: «La Poste, l’un de nos sponsors, juge le dessin trop politique.» Second coup de téléphone: cette fois, c’est Robert Hue, le maire de Montigny, qui refuse. Je dessine Chirac avec un sonotone? Les associations de malentendants protestent. «Plantu, on adore ton dessin, mais on ne peut pas le passer», voilà ce que j’entends sans arrêt. En France, si dix personnes doivent donner leur avis, il s’en trouve toujours une qui a peur, et tout le monde se range à ses côtés. Aux Etats-Unis, j’ai découvert que mes collègues dessinateurs étaient, eux, incités à dessiner les Noirs un peu plus «gris» et même, si possible, «blancs». Même son de cloche du côté de mes amis caricaturistes au Bénin… Incontestablement, il y a une montée des interdits. Et de la bêtise.

Ces dernières années, la religion est devenue un sujet hypersensible. Toucher au Coran, aux dieux et à leurs prophètes est désormais dangereux.

Il y a trente ans, on pouvait mettre en cause le fait religieux au Proche-Orient. Aujourd’hui, il faut batailler pied à pied. L’un de mes dessins, publié l’an dernier dans le journal égyptien Akhbar al-Adab, montrait une femme voilée avec, à ses côtés, des filles en jean et string, une manière de représenter le choc des cultures. Gamal al-Ghitani, le rédacteur en chef, a été menacé de mort.

Il y a des gens qui veulent créer un schisme entre le monde occidental et le monde musulman. Les dessinateurs doivent avoir l’intelligence de passer au travers des interdits, de proposer des images surtout pas affadies, toujours provocatrices, mais en étant conscients qu’elles peuvent être manipulées par des fanatiques. Continuons à taper sur le Hamas, le Hezbollah, Al-Qaeda, tel ou tel religieux, mais prenons quelques longueurs d’avance, réfléchissons à notre responsabilité avant de nous embarquer dans une attaque au-dessus des nuages.

Est-ce à dire qu’il faut pratiquer l’autocensure?

Je revendique l’autocensure! Je n’entre pas dans la vie privée des hommes politiques, par exemple. Lorsque l’affaire de l’appartement de 600 mètres carrés d’Hervé Gaymard, le ministre de l’Economie, a éclaté, je l’ai critiqué, mais de manière feutrée, pour ne pas ajouter à l’hallali. La caricature, c’est comme le slalom: il faut louvoyer entre les rédacteurs en chef, les lecteurs, les hommes politiques, les religieux? Trouver des biais. Au Maroc, il est interdit de dessiner le roi sous peine de prison. Eh bien un dessinateur l’a remplacé par une main, avec une bague qui parle. Les Iraniens n’ont pas le droit de taper sur les chiites? Ils dessinent des taliban, et les lecteurs comprennent très bien de quoi il est question. Les dessinateurs sont souvent militants. J’essaie de faire comprendre à mes amis arabes que, s’il est normal de critiquer Israël, il n’est peut-être pas utile de dessiner des juifs avec le nez crochu et un casque nazi. De même, il n’est peut-être pas nécessaire de dessiner Mahomet pour critiquer le fondamentalisme.

Il ne faudrait donc pas dessiner Mahomet?

Dans l’affaire des caricatures, la vraie provocation a été d’affirmer qu’il s’agissait de portraits du Prophète. Au moment des attentats de Londres, j’avais réalisé un dessin semblable montrant un islamiste et un turban en forme de bombe. La différence, c’est qu’il s’agissait d’un islamiste, pas de Mahomet. J’ai des comptes à régler avec les barbus, les intolérants et bien d’autres. Pas avec Dieu. La liberté de critiquer les religieux, Nasrallah, Ahmadinejad, Bush et Chirac, cela me va! On a ce qu’il faut sur terre, non?

Certains dessinateurs revendiquent le droit au blasphème.

Pour moi, le caricaturiste n’est pas seulement un artiste, il est aussi un journaliste qui écrit en images. Et même une caricature de journaliste… A ce titre, je me dois de m’interroger sur ma responsabilité, sur la manière dont mes dessins vont être ressentis à Beyrouth ou à Jérusalem. Avec Internet, tout dessin est interprété, utilisé. Il ne sert à rien d’humilier les gens, ni de déclencher la violence au nom de beaux principes. Un jour, mon ami dessinateur israélien Michel Kichka m’a dit que mes colons de Cisjordanie avaient trop l’allure d’intégristes, avec leur kippa et leurs papillotes. Je les ai changés : maintenant, ils ressemblent aux militants du Hamas! Ce n’est pas mieux. Mais je ne dérange plus les croyants.

On ne peut donc pas rire de tout?

Comme le disait Pierre Desproges, «on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui». Je comprends que les dessinateurs de Copenhague aient eu envie de se payer les barbus. Leur erreur a été d’y aller frontalement. Il faut être révérencieux dans l’irrévérence. Nous pouvons être caustiques, agressifs, mais sans haine, sans mépris, avec finesse, pour ne pas tomber dans le piège des intégristes. Il y a déjà eu des morts en Libye et au Pakistan à cause des caricatures de Mahomet. En veut-on davantage? Nous sommes entrés dans une sorte de guerre. Je pense à nos ambassades gardées par des chars, aux centres culturels attaqués? Quelle est l’urgence: dessiner Mahomet ou faire la paix au Proche-Orient, soigner le sida en Afrique, construire l’Europe, aider les Chinois à entrer en démocratie? Mahomet? D’accord, mais on verra plus tard. Je n’ai pas envie d’élever des barricades pour cela. Il y a d’autres priorités. Mais il ne faut pas non plus courber l’échine. A l’époque où Henri Krasucki était secrétaire général de la CGT, ses gars me coinçaient contre un mur: «Tu as tapé deux fois sur Krasucki cette semaine, tu ne feras pas plus.» J’ai continué. Quand les terroristes du FLNC m’ont menacé de mort, je n’étais pas fier en tournant la clef de contact de ma voiture, mais j’ai continué.

Comment devient-on Plantu?

Petit, je dessinais au dos des plans de locomotive que mon père, directeur d’un bureau de dessin industriel, rapportait à la maison. Un jour, j’ai réveillé mes parents en pleine nuit pour leur dire que je voulais faire de la bande dessinée. Mais, pour eux, ce n’était pas un vrai métier. A 20 ans, j’ai plaqué mes études de médecine et je suis parti à Bruxelles suivre les cours de dessin de l’école Saint-Luc, parrainée par Hergé.

Hergé, le modèle?

J’ai deux dieux: Reiser et Hergé. J’aime le côté déconnant, bâclé, du premier, et l’aspect rigoureux, léché, du second. Au retour de Belgique, j’ai commencé à proposer mes dessins dans les journaux. Mon premier, publié dans Le Monde le 1er octobre 1972, était une colombe qui évoquait la paix au Vietnam. En 1991, j’ai été accueilli ici, à L’Express. Une pleine page couleur, c’est comme une autre respiration: j’ai besoin d’écouter le bruit de mes feutres sur le papier? Certains dessins exigent du temps, d’autres se font à l’emporte-pièce. Lors de l’affaire des caricatures, j’étais aux Etats-Unis, dans un avion, et j’avais très peu de temps pour réagir. J’ai commencé à écrire comme un écolier puni: «Je ne dois pas dessiner Mahomet, je ne dois pas dessiner Mahomet?», et les phrases ont fini par former un personnage? Je suis en perpétuelle recherche. Je pense en images, partout, même dans la rue. Récemment, dans le métro, j’observais un jeune en survêtement avec ses lacets qui traînaient, sa casquette, et j’ai souri en imaginant le dessin que je pourrais en tirer. Le type s’est levé: «Y a un problème?» J’ai été à deux doigts de me faire casser la figure.

Qu’est-ce qu’un dessin réussi?

Un dessin qui éveille quelque chose chez le lecteur. Mais cela m’échappe totalement. Il n’y a pas de recettes. Je crois juste qu’il faut aimer ses lecteurs, et avoir confiance dans ses rédacteurs en chef. Un dessin, c’est une traduction. J’ai la chance de parler une langue – celle de l’image – que peu de gens pratiquent. En France, les profs de dessin font ce qu’ils peuvent, mais ils ne sont pas soutenus par l’Education nationale et, au bout du compte, les enfants, en majorité, ne savent pas dessiner. Pourtant, cette langue-là, tout le monde peut la comprendre. Ma syntaxe, ce sont mes formes, mes images. Je les articule pour former une phrase.

Un homme fusillé à un poteau qui a la forme du Chili (pour le coup d’Etat de Pinochet); le retour de Klaus Barbie, attendu en bas de l’avion par les ombres de Jean Moulin et des déportés?

C’est la force du dessin: il peut effectuer une surimpression, un télescopage, au contraire de la photo, qui est prisonnière de l’événement. Lors des accords de Madrid en 1991, j’ai dessiné Arafat, assis par terre, à côté de la table de négociations. Dans la réalité, il n’était pas présent. Mais c’était comme s’il était là. Seul un dessin peut montrer l’invisible, et même l’avenir. Quand je veux me distraire, je réalise des sculptures en pâte à modeler ou en argile. Le mieux, c’est la pâte Fimo: four, 120 degrés, une demi-heure, c’est formidable! J’ai fait des Chirac: même s’ils tombent par terre, ils ne se cassent pas! Un jour, j’ai offert une sculpture symbolisant l’ONU – des types endormis – à Kofi Annan. Il l’a gardée dans son bureau, à la vue de ses collaborateurs. Je fais de la communication sans le savoir.

Tu es d’ailleurs à l’origine de rencontres internationales de dessinateurs de presse, parrainées par l’ONU, dont la première aura lieu, ce 16 octobre, à New York.

L’idée a germé en 1991, lorsque j’ai rencontré Yasser Arafat. A cette époque, il était incapable de dire le mot «Israël». Alors je lui ai fait dessiner le drapeau israélien. L’année suivante, j’ai demandé à l’Israélien Shimon Peres de compléter le croquis. A New York, je veux mettre côte à côte un Israélien, un Palestinien, un Iranien, un Egyptien, pour que l’on puisse réfléchir à tout cela.

On peut toujours changer les choses, n’est-ce pas, même par un simple dessin?

Quand j’en doute, je me dis: «Fais comme si!» Lorsque j’ai rencontré Arafat pour la première fois, entouré d’hommes en armes, déguisé en Arafat, il est venu vers moi: «Ah, Mister Plantou» ? J’ai pensé: «Il croit qu’il serre la main à Plantu.» Alors je me suis dit: «Fais comme si tu étais Plantu au pays des kalachnikovs.» Et ça marche !

Source : L’Express

Plantu

23 mars 1951
Naissance à Paris de Jean Plantureux, dit «Plantu».
1971
Fasciné par Hergé, il part en Belgique suivre des cours de dessin.
1er octobre 1972
Publication de son premier dessin dans Le Monde, une colombe évoquant la paix au Vietnam.
1985
Le Monde lui commande un dessin quotidien.
1991
L’Express lui confie une page hebdomadaire.
Octobre 2006
Il organise à l’ONU une rencontre de dessinateurs du Moyen-Orient.

Source: http://www.les-crises.fr/plantu-je-revendique-lautocensure-2006/