les-crises.fr

Ce site n'est pas le site officiel.
C'est un blog automatisé qui réplique les articles automatiquement

Point sur la chute du rouble, par Jacques Sapir

Wednesday 17 December 2014 at 02:05

Articles de Jacques Sapir du 16/12

Je suis toujours fasciné de voir ainsi les États attaqués par la spéculation interne et externe sans réagir.

Pourtant il ne serait pas si compliqué de leur tordre le cou en interdisant (ou limitant fortement) la capacité pour un acteur à acheter des devises.

Il suffirait de vérifier que les devises demandées servent à ce qu’un acteur de l’économie réelle achète un bien ou un service – sinon, niet pour que la Banque centrale serve la monnaie demandée…

Le rouble a été durement attaqué hier, lundi, et a connu une nouvelle baisse importante. En réaction, la Banque Centrale de Russie a monté son taux directeur de 10,5% par an à 17%. Cette réaction, dont on peut comprendre la logique, risque d’être insuffisante. Compte tenu de la nature des attaques spéculatives dont le Rouble est l’objet, seul des mesures de contrôle des capitaux sont en mesure de ramener le calme sur le marché des changes.

I. Un mouvement clairement spéculatif.

Il est clair désormais que le rouble fait l’objet d’attaques spéculatives. Les causes structurelles de sa baisse sont connues :

Ces causes sont connues. Mais il est aussi clair que l’on est en présence d’un mouvement spéculatif. Les effets de ce derniers peuvent être lus dans les graphiques suivants.

Graphique 1

Volumes sur le marché des changes – Marché au comptant

 A - Rubl Compatnt

Graphique 2

Volumes sur le marché des changes – Marché à terme

 A - Rub Lendemain

Sources : graphiques 1 et 2 – Banque Centrale de Russie et Marché Interbancaire des Changes (MICEX-MMVB)

On sait aussi que les pressions à la baisse devaient se ralentir, voire s’inverser, au début de 2015. Les remboursements des entreprises russes doivent baisser fortement en 2015 et l’on peut penser que le prix du baril de pétrole va remonter à partir de février, en raison de risques que cette baisse fait courir à l’économie américaine. Rien ne peut justifier les mouvements récents, rien sauf le spéculation. L’ampleur des mouvements récents traduit en réalité une spéculation de la part d’acteurs russes mais aussi étranger (des fonds spéculatifs). C’est cette spéculation à la baisse qui a provoqué la chute brutale du Rouble lundi 15 décembre.

Graphique 3

Mouvement des remboursements

A - PaiementsTrim - copie

Source: Banque Centrale de Russie. Estimation du solde positif de la balance commerciale de la Russie à 10 milliards de dollars par mois.

II. Une réaction logique mais sans doute inefficace.

Dans ce contexte, la décision prise dans la nuit du 15 au 16 par la Banque Centrale de Russie se comprend parfaitement. Pour casser la spéculation elle monte fortement les taux afin de rendre le rouble plus cher. Les agents qui contracteraient des emprunts en roubles pour les transformer en dollars devront payer bien plus cher. Mais, un taux de 17% par an n’est pas dissuasif pour ce genre de spéculation où les positions prises le sont à la journée voire, au plus, à la semaine. La BCR devra alors soit continuer de faire monter ses taux soit noyer le marché par des ventes massives de dollars afin de faire remonter brutalement le Rouble et de prendre les spéculateurs à contre-pied, leur faisant perdre beaucoup d’argent.

C’est donc une stratégie possible, les réserves en devises de la BCR sont largement suffisantes, mais c’est une stratégie couteuse. Les montants que la BCR devra accepter de dépenser pourraient atteindre les 100 milliards de dollars en quelques semaines si elle veut faire du mal aux spéculateurs. Par ailleurs, cette très forte hausse des taux aura des conséquences très négatives pour l’économie, au moment ou de nombreuses entreprises russes cherchent à investir pour développer des productions de substitution aux importations. Dans ces conditions, soit il s’agit d’une politique de court terme, et on verra ce qui se passe sur le marché des changes très vite, soit la BCR devra se résoudre à introduire un contrôle des capitaux comme nous le lui avons conseillé depuis plusieurs mois.

III. Des mesures de contrôles sont plus efficaces.

Il est en effet connu que des mesures de contrôle des capitaux sont des armes efficaces face à un marché qui est l’objet de mouvements spéculatifs. L’ampleur de cette spéculation conduit à des mouvements de capitaux importants, qui sont parfaitement identifiables et qui peuvent être interdits ou qui peuvent donner lieu à des pénalités dissuasives. Par ailleurs, un contrôle des capitaux a pour effet de déconnecter les taux d’intérêts internes et ceux des marchés internationaux. Il devient possible de baisser les taux d’intérêts, ce qui est profitable pour l’industrie et les entrepreneurs.

Des mesures de ce type ont été appliquées avec succès dans plusieurs pays. Elles sont désormais recommandées dans ce type de situation par le FMI et par de nombreux économistes. Mais, il est clair que c’est une décision politique. La BCR avait exclu en octobre le recours à des mesures de ce type. Elle va devoir prouver très rapidement que l’arme des taux peut être efficace. Dans le cas contraire, il faudra qu’elle mette très rapidement (d’ici à la semaine prochaine) en place un mécanisme efficace de contrôle des capitaux.

Source : http://russeurope.hypotheses.org/

============================================

Extrait de cet entretien au Figaro :

Cela modifie-t-il la donne sur le plan géopolitique?

Il est frappant de voir que cette crise frappe la Russie alors que cette dernière, après avoir signé d’importants accords pétroliers et gaziers avec la Chine, a passé des contrats importants en Inde (construction de 12 centrales nucléaires d’ici 2030) et avec le Mexique. En fait, la Russie était en train de rééquilibrer la structure de ces exportations et s’affirmait de plus en plus comme un acteur important dans le développement des pays émergents. Cette crise, si elle ne peut remettre en cause ces contrats, pourrait néanmoins freiner le processus commercial.

Cette crise pourrait aussi accélérer le processus de rapprochement entre la Chine et la Russie. La Chine, rappelons-le, a toujours un système de contrôle sur les capitaux et elle contrôle aussi le taux de change du Yuan. Si la Russie se décide à mettre en place un contrôle des capitaux, cela voudra dire qu’elle se rapprochera encore un peu plus de son grand voisin. Telle pourrait être en définitive l’issue de cette crise.

Peut-on parler définitivement de nouvelle guerre froide?

Le terme de guerre froide est inapproprié car la situation actuelle n’a plus rien à voir avec celle des années cinquante à quatre-vingt. Il n’est d’ailleurs plus possible d’isoler la Russie. Ses relations avec la Chine, mais aussi l’Inde, les pays d’Amérique Latine et les pays du Moyen-Orient sont qualitativement et quantitativement d’une nature bien différente que les relations que pouvait avoir l’URSS avec les autres pays. Mais, le conflit entre la Russie et les Etats-Unis pourrait bien dégénérer. En particulier, si la Russie acquiert l’intime conviction que les Etats-Unis sont à l’origine de la crise spéculative actuelle, les répercussions sur les relations entre ces deux pays pourraient être importantes et de longue durée.

Source: http://www.les-crises.fr/point-sur-la-chute-du-rouble-par-jacques-sapir/