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Pourquoi la Russie de Poutine est, en 2015, la plus grande menace pour les Etats-Unis

Sunday 15 March 2015 at 03:09

Tiens, ils se réveillent dans Forbes – même si évidemment il ne faut pas trop en attendre…

Tout comme les krachs boursiers qui balaient périodiquement tant de fortunes, les crises militaires sont difficiles à prédire. Les antécédents de Washington en tant que pronostiqueur de menaces futures sont particulièrement mauvais. Du bombardement de Pearl Harbour en 1941 à l’invasion de la Corée du Sud par le Nord dans les années 50, en passant par la crises des missiles cubains dans les années 60, l’effondrement du Vietnam du Sud dans les années 70, l’effondrement de l’empire soviétique dans les années 80, l’invasion du Koweït par l’Irak dans les années 90, les attaques du 11 septembre 2001 et la montée de Daech dans le nouveau millénaire, les élites politiques américaines n’ont apparemment jamais vu le danger qui menaçait avant qu’il ne soit trop tard.

Ainsi, ne soyez pas surpris si d’ici une année, les sanctions économiques que l’Occident a imposées à la Russie sous la conduite de Washington apparaissent comme une mauvaise idée. Pour le moment, une combinaison de sanctions et de chute des prix du pétrole semble porter au gouvernement du président Poutine un rude coup – juste rétribution, comme le disent beaucoup, de son invasion de l’Ukraine et de son annexion de la Crimée l’an passé. Mais, ainsi que le fait remarquer Alan Cullison dans le Wall Street Journal cette semaine, parfois les sanctions provoquent précisément la réaction inverse de celle espérée par les décideurs. Dans le cas de la Russie, cela peut signifier une menace pour la survie des États-Unis. Considérons brièvement comment les circonstances présentes en Russie peuvent conduire à des dangers auprès desquels ceux que posent Daech et les attaques informatiques paraîtront minuscules.

Une culture politique paranoïaque. Les actions de la Russie en Ukraine apparaissent pour de nombreux occidentaux comme un cas évident d’agression. Ce n’est pas la façon dont les choses sont vues par les proches conseillers de Vladimir Poutine à Moscou, pas plus que par la plupart des russes. Ce cercle des proches conseillers est constitué principalement de membres des services de sécurité russes – Poutine lui-même a passé 16 années au KGB – et pour eux, la révolution ukrainienne n’est rien d’autre qu’un coup d’état soutenu par les États-Unis destiné à affaiblir la Russie. Poutine décrit la Crimée comme le berceau de la culture russe et son gouvernement a prévenu à de nombreuses reprises les occidentaux de ne pas étendre leur influence économique et politique sur une région historiquement vue comme partie intégrante de la sphère d’influence de Moscou. Poutine compte fortement sur la bureaucratie du Kremlin pour lui fournir des renseignements (il évite internet), ainsi ses réunions d’information tendent à renforcer l’opinion selon laquelle Moscou a été forcée d’intervenir en Ukraine par la subversion occidentale destinée à saper son influence.

Un arsenal nucléaire à deux doigts de l’explosion. À elles deux, l’Amérique et la Russie contrôlent plus de 90% des armes nucléaires de la planète. Cependant, Moscou dépend largement de son arsenal nucléaire pour sa sécurité parce que la Russie ne peut pas dépenser suffisamment pour rivaliser avec les investissement US dans les nouvelles technologies militaires. Ainsi la doctrine militaire russe est qu’il peut être nécessaire d’utiliser l’arme nucléaire pour lutter contre une attaque conventionnelle de l’Occident. Beaucoup de Russes pensent qu’une attaque de leur pays est une réelle possibilité, et que leurs moyens de dissuasion nucléaire – qui consiste principalement en silos de missiles à la localisation connue – doivent peut-être être mis en œuvre rapidement pour échapper à une attaque préventive. Moscou a organisé un exercice nucléaire de grande importance pendant la crise ukrainienne de l’an passé, dans lequel il était admis que les missiles devaient être lancés rapidement en cas d’alerte d’une attaque de l’Occident. Un officier supérieur russe a indiqué que 96% des missiles stratégiques pouvaient être lancés en quelques minutes.

Une économie qui s’écroule. Une grande part de la popularité de Poutine est liée à l’impressionnant rétablissement de l’économie post soviétique sous son autorité. Depuis qu’il a pris le pouvoir en 2001, le produit intérieur brut a sextuplé, ce qui a fortement accru la taille et l’influence de la classe moyenne russe. Mais la base de cette croissance était en bonne partie l’exportation de pétrole et de gaz dans les pays voisins à une époque où le prix de l’énergie atteignait des records. Actuellement le prix du pétrole a chuté en même temps que l’effet des sanctions économiques commençait à se faire sentir. Le rouble a perdu près de la moitié de sa valeur en dollars l’année passée et l’économie a commencé à se contracter. Poutine attribue 25 à 30% des difficultés économiques actuelles aux sanctions. Beaucoup d’occidentaux croient qu’une récession prolongée affaiblirait le soutien à Poutine, mais comme il peut faire porter la responsabilité de la situation sur d’autres à l’étranger, les perturbations économiques pourraient en fait renforcer son pouvoir et accélérer la tendance vers un régime autoritaire.

Le président russe Vladimir Poutine dans une des rares apparitions publiques où il semblerait sourire. Forbes l’a qualifié de personnalité la plus puissante de la planète en 2013 et 2014 (Photo : Wikipedia)

Un profond sentiment de rancune. Rendre responsables l’étranger pour des troubles domestiques est une longue habitude dans la tradition politique russe, cela nourrit le sentiment profond que la Russie a été privée de son rôle légitime dans le monde par les USA et les autres puissances occidentales. La Russie a peut-être eu peu d’expérience avec la démocratie, mais elle a été une puissance majeure pendant des siècles avant la chute du communisme. Comme les dirigeants autoritaires d’autres nations, Poutine a façonné sa base politique sur l’appel au nationalisme, donnant des événements récents une image dans laquelle la Russie est victime plutôt qu’auteur de son propre malheur. Il a décrit la chute de l’Union soviétique comme une tragédie épique et semble apparemment vraiment le croire. En usant de la veine profonde du ressentiment dans la culture politique russe, Poutine s’est créé une large base pour résister à l’étranger même si cela signifie prolonger les difficultés économiques ou le risque de guerre.

Un adversaire vulnérable. La présidente de la réserve fédérale, Janet Yellen, a dit que les troubles actuels en Russie ne représentent pour les États-Unis qu’un danger mineur, mais c’est parce qu’elle pense en termes économiques. Dans un sens plus large, les États-Unis encourt un grand danger parce que Poutine et ses conseillers croient réellement être la cible d’un complot occidental visant à affaiblir leur pays. Le plus grand souci serait qu’un quelconque nouveau mouvement de la Russie le long de ses frontières dégénère en une crise lors de laquelle Moscou penserait pouvoir améliorer sa position tactique en menaçant d’utiliser localement des armes nucléaires, et qu’alors la crise s’aggrave. Arrivés à ce point, les décideurs US auraient à faire face au fait que (1) ils sont peu disposés à affronter la Russie pour protéger des endroits comme l’Ukraine, et (2) ils n’ont pas de réels moyens de défense du territoire américain contre une attaque nucléaire d’ampleur. En d’autres termes, la seule raison pour laquelle Washington semble avoir le dessus en ce moment est qu’elle présuppose que les dirigeants à Moscou agissent « rationnellement ».

Le principe implicite ayant cours à Washington aujourd’hui est que si personne n’exprime de telles craintes à haute voix, alors il n’est pas nécessaire de s’en préoccuper. C’est ainsi qu’un monde pacifique est entré en titubant dans la première guerre mondiale il y a un siècle – en ne reconnaissant pas la capacité à dégénérer d’une crise en Europe orientale – et l’aveuglement des dirigeants de l’époque explique la majeure partie de ce qui a mal tourné plus tard au XXe siècle. Si nous voulons éviter le risque de revivre cette leçon transgénérationnelle, alors les décideurs américains doivent faire autre chose que d’attendre simplement que Poutine craque. Car ce jour ne viendra jamais. À court terme, Washington doit s’appliquer à désamorcer les tensions, y compris en envisageant plus sérieusement l’histoire et les raisons ayant mené Moscou à intervenir en Crimée. À plus long terme, Washington doit surmonter ses dangereuses réticences à mettre au point de réelles défenses contre les armes nucléaires à longue portée, parce que c’est juste une question de temps avant qu’un quelconque dictateur ne révèle le grand bluff des États-Unis.

Source : Loren Thompson, Forbes, le 02/01/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Un cas d’école : Loren B. Thompson et l’Ukraine

Nos lecteurs connaissent bien Loren B. Thompson, lobbyiste appointé du Complexe-Militaro-Industriel (CMI), notamment Lockheed Martin, par conséquent archétype du corrompu-Système ; pourtant capable d’analyses de politique générale comme on en trouve peu de cette qualité dans le monde washingtonien des commentateurs, sans jamais sortir des règles conformistes du Système représentées par la narrative en cours … Un exploit dialectique ! (Nous avons souvent parlé de Thompson, essentiellement à propos du JSF. Dans notre texte du 12 avril 2014, où nous le décrivions comme un “semi-robot” du Système, nous mettions aussi bien en évidence la bassesse de son commentaire lorsqu’il s’agit de la quincaillerie US à vendre au prix fort [moitié-robot], que la qualité de son commentaire lorsqu’il traitait de sujets hors-quincaillerie [moitié-non-robot].)

Nous avons déjà signalé et analysé deux textes de commentaires de Loren B. sur la crise ukrainienne, le 14 mars 2014 et le 28 avril 2014, où il détaillait des analyses sortant nettement de l’ordinaire de la vitupération antipoutienne et de l’enthousiasme belliciste et pseudo-démocratique qui constituent l’impérative feuille de route de tout commentateur absolument libre-et-indépendant qui se respecte à Washington. Cette fois, il analyse l’année 2015 selon ce qu’il en prévoit, dans sa chronique de Forbes du 2 janvier 2015 et en livre une vision extrêmement pessimiste.

Loren B. est un malin, — ou bien est-ce effectivement l’archétype parfait du “semi-robot” dont nous parlions. Il réussit à nouveau l’exploit de ne déroger en aucune manière à la narrative du bloc BAO tout en concluant que les évènements, dont il précise in fine que nombre d’entre eux ont été ou sont déclenchés par Washington, risquent de mettre Poutine dans une position où il devra riposter, – riposte à laquelle Washington n’est en rien préparé, inconscient de la psychologie et des conceptions de la direction russe. En quelque sorte, si l’on résumait : “oui, bien entendu, Poutine est l’immonde personnage que l’on décrit et décrie partout ; cela dit, oui il pourrait bien être obligé, à cause de nos actes dont nous mesurons faussement la perception qu’il en a, de devenir extrêmement dangereux pour les USA” (narrative et “vérité de la situation” ainsi réconciliées). Thompson arrive même à glisser dans son texte quelques vérités qui sont en général des anathèmes à Washington, dont les trois suivantes : 1) contrairement à ce qu’on croit, les sanctions antirusses ont un effet catastrophique pour les USA (et le bloc BAO, rajouterons-nous) ; 2) contrairement à ce qu’on prédit, les mesures prises contre Poutine ne vont pas affaiblir sa position en Russie, mais la renforcer («…U.S. policymakers need to do something more than simply wait for Putin to crack. That day will never come.») ; 3) ce que devrait faire les USA pour le court terme, c’est de tenter de détendre l’atmosphère des relations avec la Russie, y compris, – ô sacrilège, – en tentant de comprendre que le rattachement de la Crimée à la Russie n’est pas totalement injustifié («In the near term, Washington needs to work harder to defuse tensions, including taking a more serious look at the history that led to Moscow’s move on Crimea.»)

• Détaillons quelques remarques de Loren B. D’abord, le constat que les USA n’ont jamais su prévoir les véritables dangers qui les menaçaient (divers exemples sont avancés, qui sont justes factuellement mais qui sacrifient complètement à la narrative américaniste quant aux causes profondes de ces dangers). Pour le cas de la crise ukrainienne et de la tension avec la Russie, c’est la même chose ; l’idée est d’autant plus importante qu’elle ne met rien de moins en évidence que le fait que l’Amérique risque désormais sa survie dans cette aventure :

«… Ainsi, ne soyez pas surpris si d’ici une année, les sanctions économiques que l’Occident a imposées à la Russie sous la conduite de Washington apparaissent comme une mauvaise idée. Pour le moment, une combinaison de sanctions et de chute des prix du pétrole semble porter au gouvernement du président Poutine un rude coup – juste rétribution, comme le disent beaucoup, de son invasion de l’Ukraine et de son annexion de la Crimée l’an passé. Mais, ainsi que le fait remarquer Alan Cullison dans le Wall Street Journal cette semaine, parfois les sanctions provoquent précisément la réaction inverse de celle espérée par les décideurs. Dans le cas de la Russie, cela peut signifier une menace pour la survie des États-Unis»

• .. Et Loren B. Thompson de s’expliquer. Il parle de la culture politique russe, de sa paranoïa, de la présence obsessionnelle des groupes plus ou moins issus du KGB dans l’entourage de Poutine, etc., – bref, tout ce qui fait les lieux communs de la narrative faisant de Poutine une espèce de cinglé corrompu et autocratique, obsédé par des dangers extérieurs constants, comme si le monde entier complotait contre lui (tout cela conforme à la narrative, d’autant plus aisément compréhensible que cette description pourrait parfaitement correspondre, – non, qu’elle correspond parfaitement à celle des dirigeants américanistes). Mais il conclut : “Que voulez-vous, c’est cela leur culture, et l’on ne peut pas ne pas en tenir compte, et alors on comprend que les dirigeants russes soient persuadés, en toute bonne foi, que ce sont l’action et la subversion occidentales qui ont suscité la crise ukrainienne et l’ont forcé à ‘intervenir’”… «Poutine compte fortement sur la bureaucratie du Kremlin pour lui fournir des renseignements (il évite internet), ainsi ses réunions d’information tendent à renforcer l’opinion selon laquelle Moscou a été forcée d’intervenir en Ukraine par la subversion occidentale destinée à saper son influence..» (Curieuse référence à internet dont on comprend mal le sens, parce que c’est précisément sur internet qu’on rencontre le plus cette version…) Cette interprétation réduit à néant l’argument-Système impératif que Poutine développe sciemment une politique agressive et expansionniste.

• Le danger nucléaire est une constante de tous les textes de Loren B. Thompson sur l’Ukraine. Là aussi, la narrative est respectée : l’Amérique est plus forte que tout le monde, et bien entendu écrasante de supériorité sur la Russie. Le seul accroc à cette splendide profession de foi, c’est le nucléaire, avec les deux pays (USA et Russie) possédant 90% de toutes les forces nucléaires du monde, dont quasiment toutes les forces stratégiques disponibles. Les Russes étant dans l’état de faiblesse qu’on a décrit (narrative respectée), leur doctrine militaire implique l’usage d’armements nucléaires tactiques si le territoire national est attaqué et menacé dans son intégrité. (Thompson ne s’attache pas trop au fait que cette disposition existe à peu près, in fine et de facto sinon d’une façon formellement exprimée, dans toutes les doctrines d’emploi du nucléaire pour le cas ultime d’une menace fondamentale contre le territoire national d’un pays à capacité nucléaire, – cela déflorerait un peu trop la narrative.) Ce qui ressort de ce passage est cette idée, qui ne semble guère avoir pénétré les chancelleries occidentales, que l’on se trouve dans un jeu extrêmement dangereux et qu’à l’extrême, les Russes, qui sont parfaitement conscients de l’enjeu, n’hésiteront pas… Combien d’experts et de commentateurs occidentaux ont-ils compris cela et le implications de cela ?

«…  Beaucoup de Russes pensent qu’une attaque de leur pays est une réelle possibilité, et que leurs moyens de dissuasion nucléaire – qui consiste principalement en silos de missiles à la localisation connue – doivent peut-être être mis en œuvre rapidement pour échapper à une attaque préventive. Moscou a organisé un exercice nucléaire de grande importance pendant la crise ukrainienne de l’an passé, dans lequel il était admis que les missiles devaient être lancés rapidement en cas d’alerte d’une attaque de l’Occident. Un officier supérieur russe a indiqué que 96% des missiles stratégiques pouvaient être lancés en quelques minutes..»

• L’un des morceaux de choix de l’argument de Thompson concerne la position de Poutine dans son pays et l’attitude des Russes. Là encore, Thompson représente les arguments classiques de la narrative en vogue et en cours sur la popularité de Poutine (l’élévation du niveau de vie qu’il aurait apporté en Russie depuis 2000), en même temps que des prévisions catastrophiques d’effondrement économique de la Russie, mais pour nuancer peu à peu ces observations du constat que Poutine a su démontrer aisément à son opinion publique que les difficultés économiques sont causées par une agression extérieure. La conséquence, selon Thompson, est que l’opinion publique ne fera pas porter les responsabilités de ces difficultés par la direction gouvernementale russe, au contraire de ce qu’en attend le bloc BAO. («Beaucoup d’occidentaux croient qu’une récession prolongée affaiblirait le soutien à Poutine, mais comme il peut faire porter la responsabilité de la situation sur d’autres à l’étranger, les perturbations économiques pourraient en fait renforcer son pouvoir et accélérer la tendance vers un régime autoritaire.»)

Cette dynamique face aux pressions économiques est renforcée, sinon transmutée par ce que Thompson désigne comme “un appel au nationalisme, fabriquant une vision révisionniste des récents événements dans laquelle la Russie est la victime plutôt que la cause de ses propres infortunes”, dans le chef du même Poutine agissant “comme tous les dirigeants autoritaires dans d’autres nations”. Là aussi, les conditions de base de la réflexion sont conformes à la narrative, mais elles conduisent au constat général que Poutine a réussi à créer une large union nationale prête à se dresser contre les agresseurs venus de l’extérieur, fût-ce dans de très dures conditions intérieures. («En usant de la veine profonde du ressentiment dans la culture politique russe, Poutine s’est créé une large base pour résister à l’étranger même si cela signifie prolonger les difficultés économiques ou le risque de guerre..») En d’autres termes conformes à la narrative, il s’agit de nous dire paradoxalement le contraire de ce qu’annonce la narrative : savoir que le patriotisme russe a suscité un regroupement de résistance, quelles qu’en soient les conditions, derrière celui qui a été désigné pour diriger le pays… Ainsi Loren B. Thompson finit-il par exposer, sans dévier d’un pouce de la “ligne du Parti” dans ses attendus, une situation qui est contraire à ce qu’exige de penser la même “ligne du Parti”.

• Ainsi en arrive-t-il, Thompson, à l’essentiel : qu’est-ce que pourront faire, dans ces conditions, les États-Unis si la situation s’aggrave, notamment avec la fermeté de la résistance russe, jusqu’à des conditions où apparaîtrait la possibilité de l’utilisation par la Russie, au moins de l’armement nucléaire tactique ? Ils (les USA) ne voudront pas risquer de s’engager dans un conflit à grande échelle avec la Russie pour la défense de l’Ukraine à cause du risque nucléaire (sacrifier Chicago pour défendre Kiev, pas question) et ils n’ont pas de véritable défense du territoire nationale contre une attaque nucléaire (russe) ; en d’autres termes, la politique américaniste ne peut affronter le risque suprême sans risquer l’existence même des USA et, pour ne pas s’y trouver confrontée, s’en remet entièrement à la “rationalité” du gouvernement russe pour ne pas en venir au risque suprême … (« Arrivés à ce point, les décideurs US auraient à faire face au fait que (1) ils sont peu disposés à affronter la Russie pour protéger des endroits comme l’Ukraine, et (2) ils n’ont pas de réels moyens de défense du territoire américain contre une attaque nucléaire d’ampleur. En d’autres termes, la seule raison pour laquelle Washington semble avoir le dessus en ce moment est qu’elle présuppose que les dirigeants à Moscou agissent « rationnellement. »)

• Le dernier paragraphe la conclusion, constitue une attaque feutrée, déguisée, mais très violente contre l’aveuglement qui règne à Washington face aux possibilités d’aggravation catastrophique des conditions de la crise avec la Russie. C’est à ce point qu’il recommande pas moins qu’une politique d’apaisement, la recherche d’une entente, allant même, comme on l’a signalé plus haut, jusqu’à suggérer à peine entre les lignes que les USA acceptent comme un fait acquis, au nom des réalités historiques, le rattachement de la Crimée à la Russie…

«Le principe implicite ayant cours à Washington aujourd’hui est que si personne n’exprime de telles craintes à haute voix, alors il n’est pas nécessaire de s’en préoccuper. C’est ainsi qu’un monde pacifique est entré en titubant dans la première guerre mondiale il y a un siècle – en ne reconnaissant pas la capacité à dégénérer d’une crise en Europe orientale – et l’aveuglement des dirigeants de l’époque explique la majeure partie de ce qui a mal tourné plus tard au XXe siècle. Si nous voulons éviter le risque de revivre cette leçon transgénérationnelle, alors les décideurs américains doivent faire autre chose que d’attendre simplement que Poutine craque. Car ce jour ne viendra jamais. À court terme, Washington doit s’appliquer à désamorcer les tensions, y compris en envisageant plus sérieusement l’histoire et les raisons ayant mené Moscou à intervenir en Crimée. À plus long terme, Washington doit surmonter ses dangereuses réticences à mettre au point de réelles défenses contre les armes nucléaires à longue portée, parce que c’est juste une question de temps avant qu’un quelconque dictateur ne révèle le grand bluff des États-Unis.»

On remarquera que, jusqu’au bout, Thompson emploie le langage et les attendus de la narrative, y compris pour porter une critique à peine dissimulé contre une attitude (“l’aveuglement”) qui est manifestement le produit de la narrative. Nous n’en sommes plus à une contradiction près, et même les contradictions les plus colossales peuvent passer sans élever de réelles préoccupations tant la partie, la conscience de la partie, la signification et le sens de la partie sont formidablement imbriquées dans les méandres des narrative, les obligations de demi-mensonges et de quart-de-vérités, pour aboutir à une sorte de “sur-mensonge” dont l’Ukraine est le théâtre même, cet objet étrange (ce “sur-mensonge”) de la communication dont la grossièreté ne cesse de surprendre et dont le poids pour les psychologies est considérable ; ou bien, au contraire, pour aboutir à des vérités imprévues et totalement inattendues, qui apparaissent sans crier gare, qui laissent pantois et ne suscitent que le silence comme commentaire… En effet, pour un commentateur comme Thompson, avec son statut-Système, sa position bien établie de corrompu du Système au cœur même d’une de ses citadelles (le CMI), terminer un texte en plaidant qu’il faudrait chercher à détendre l’atmosphère de la crise ukrainienne notamment en songeant à envisager d’admettre que le rattachement de la Crimée à la Russie n’est pas une monstruosité inconcevable, il s’agit bien d’une de ces “vérités imprévues et totalement inattendues, [...] qui laissent pantois…”

Loren B archétypique d’un renversement surpuissance-autodestruction

Une fois de plus, Loren, B. Thompson est pris comme archétype d’un étrange personnage, à la fois détestable corrompu du Système, à la fois producteur de certaines vérités dont on comprend mal qu’elles puissent trouver leur place dans un environnement de communication complètement acquis au Système. Nous avons déjà signalé ce fait à propos de Loren B., plus d’une fois, ne mâchant pas nos phrases lorsqu’il s’agit de le dénoncer, ne dissimulant pas notre étonnement chaque fois renouvelé lorsqu’il s’agit du contraire. Bien entendu, on laissera ici, de côté, le côté corrompu-Système que tout le monde doit aisément comprendre, et qui est signalé des dizaines de fois à propos de Thompson, lorsqu’il fut souvent question du JSF, puisque lui-même payé pour débiter des conformités absolues et absolument mensongères venues de la narrative de Lockheed-Martin lorsqu’il s’agit du JSF. Mais enfin, ici, en plus, il s’agit de la crise ukrainienne avec laquelle on se trouve, on le sait, au terme de ce que nous jugeons être une sorte d’affrontement final dans la crise d’effondrement du Système…

Donc, dans un texte déjà cité du 12 avril 2014, nous écrivions ceci à propos du côté qu’on pourrait presque qualifier d’“antiSystème” de Loren B. Thompson. (Les deux textes mentionnés qui justifient notamment le passage ci-dessous et sont signalés comme “très intéressants” et “extrêmement instructifs”, sont notamment du 8 février 2010 et du 26 février 2010.)

«… L’intérêt de Loren B. Thompson, décrit ici comme s’il était un robot avec chèque mensuel, c’est qu’il n’est pas un robot. En d’autres cas, que nous avons déjà mentionnés, ses commentaires peuvent être très intéressants et extrêmement instructifs, – à un point tel qu’on les croirait sortis d’une plume de “dissident” du système, ou, dans tous les cas, d’un opposant extrêmement déterminé, ou bien encore d’un esprit assez neutre mais très lucidement critique. Cela nous conduit à quelques remarques qui, sorties du seul cas Loren B.-JSF, pourtant s’y rattachant dans la mesure où Loren B.-JSF font partie du système, concernent effectivement le système et son état présent. [...]

»Le constat auquel nous conduisent ces remarques très spécifiques mais également très précises est celui d’un renforcement constant de la crise du système, et de la perte du contrôle, ou de la perte d’influence, – ce qui revient un peu au même, – du système sur les créatures qui doivent lui être les plus loyales et les plus fidèles. Cela nous paraît être une illustration de notre thèse selon laquelle le paroxysme de la puissance du système engendre le paroxysme de sa crise, et les serviteurs les plus impliqués dans le système reflètent eux-mêmes cette situation dans ce fait d’une fragmentation de plus en plus évidente de leur jugement, jusqu’à la contradiction même. Les sujets qui concernent directement leurs intérêts continuent à être l’objet de l’alignement imperturbable, voire absurde, sur les consignes du système; ceux qui les concernent moins ou ne les concernent pas sollicitent de plus en plus le domaine critique de leur jugement, jusqu’à des constats qui deviennent objectivement hostiles aux intérêts du système.

»Il faut donc admettre que l’emprise des systèmes anthropotechniques sur les psychologies de ceux qui les servent les plus précisément s’avère extrêmement fragile et vulnérable aux pressions engendrées par la crise de ce même système; notamment qu’elles n’annihilent pas ce qui peut subsister de capacité de production d’“esprit critique”, même dans une psychologie acquise au système (car il y a, selon nous, plus de conviction nécessaire et moins de cynisme rétribué qu’on croit, même dans certains jugements absurdes de Loren B.). Les contradictions s’exercent ainsi de plein fouet et donnent des opportunités importantes à des initiatives de “résistance”, voire de contre-attaque. L’important est de montrer, au contraire du système, une extrême souplesse dans l’appréciation des personnes et des groupes qui se situent en fonction de ce système, complètement à son service, complètement sous son influence, – et puis non, après tout, pas si “complètement” que cela…. Le plus grand réalisme est nécessaire, dans la mesure où l’on affronte des automatismes qui n’impliquent aucun engagement fondamental mais bien des circonstances mécaniques. L’important est de trouver l’endroit de la psychologie où glisser le coing qui déterminera la rupture.»

… Mais nous passons, nous, avec ce commentaire, des “systèmes anthropotechniques” au Système tout court, et du JSF à l’Ukraine qui est ce champ absolument fondamental, à visage découvert, hors de tout intermédiaire, de l’affrontement du Système et de l’antiSystème, dans le contexte du “terme de ce que nous jugeons être une sorte d’affrontement final dans la crise d’effondrement du Système…” L’intervention de Loren B. Thompson comme nous la décrivons est donc infiniment plus intéressante, instructive, voire exemplaire pour notre propos … Car notre propos est bien celui-ci : des sapiens, des employés-Système, des dirigeants-Système, peuvent-ils, dans des conditions d’extrême tension, soudain, par révolte, sens commun soudain devenu “sens antiSystème”, quitter brusquement les rangs du troupeau-Système et y opposer une contradiction qui pourrait avoir la singularité de devenir décisive ?

Comme on voit, sur l’Ukraine c’est la partie ouverte, non-robotique, du semi-robot, qui parle, tout en évitant l’écueil de l’excommunication de la part du Système (respect de la narrative). Plus que jamais, Thompson nous paraît un cas particulièrement éclairant ; 1) d’une part, par sa position sans retenue dans le Système et au service du Système lorsqu’il s’agit de ses activités professionnelles directes, en général et même dans ce texte (sa dernière phrase de conclusion va dans la logique de sa pensée générale mais est aussi un appel au développement accélérée d’une véritable défense de missile anti-missile stratégique où le CMI, et Lockheed Martin sont largement impliqués : «Over the longer term, Washington needs to get beyond its dangerous aversion to building real defenses against long-range nuclear weapons…») ; 2) d’autre part, par sa plaidoirie habile, dans les bornes de la narrative, pour une politique de conciliation avec la Russie, allant jusqu’à suggérer que la position d’opposition absolue au rattachement de la Crimée devrait être revue, suggestion implicite pour la revoir dans le sens de l’acceptation.

Il s’agit d’un cas particulier mais aussi d’un cas archétypique d’une personnalité dont le profil général correspond à une large catégorie d’experts, non-idéologisée, conservateurs certes mais sensible à certaines réalités dont celle de la perspective catastrophique d’un affrontement avec la Russie. Si Thompson confirme là une position qu’il a déjà exprimée dans des textes précédents au printemps dernier (le 14 mars 2014 et le 28 avril 2014), c’est qu’il sait que ses employeurs du CMI ne sont pas fondamentalement hostiles à cette analyse : ils sont favorables à une production d’armement accélérée, pour le futur et sur le terme certes, mais nullement pour une aggravation de la situation avec le risque d’un conflit avec la Russie, où la dimension nucléaire réglerait définitivement dans la cendre des explosions nucléaires toutes les questions de rentabilité et de production des grandes sociétés du corporate power productrices d’armements. Ainsi Thompson peut-il être pris comme archétypique effectivement, et comme un personnage dont l’évolution de la pensée pourrait se trouver partagée par de plus en plus d’experts, puis d’hommes plus directement impliqués dans le pouvoir, à mesure que la tension avec la Russie grandirait. C’est dire qu’à partir de cet exemple particulièrement structuré et révélateur, nous voulons pousser notre raisonnement vers une possibilité s’étendant à une fraction en net renforcement et en net élargissement, toujours selon les conditions d’une tension en augmentation.

Ces observations se placent donc, à partir du cas Thompson élargie au sein de la communauté des experts-Système puis des dirigeants-Système, et toujours dans le cas d’une aggravation de la tension, dans une hypothèse qui verrait se renforcer une fraction hostile à une politique frontale d’affrontement avec la Russie, au cœur même de ce qu’on a coutume de nommer le “parti de la guerre”, ou War Party. (Dieu sait si le CMI y a sa place, lui qui subventionne directement certains groupes extrémistes, puisqu’on a déjà trouvé à plus d’une reprise au sein des neocons des hommes de Lockheed Martin comme par exemple Thomas Donnelly [voir le 9 septembre 2010].)

Cette sorte de possibilité de division, potentielle mais prête à se révéler selon les circonstances, pourrait ainsi prendre des dimensions dramatiques de division au sein de la direction-Système de Washington, et dans les groupes de pouvoir et d’influence qui structurent cette direction-Système. Ce qui serait alors en jeu, dans les circonstances pressantes envisagées, ne serait nullement la recherche et la possibilité d’un compromis entre ces groupes d’influence mais une polarisation grandissante et très vite antagoniste entre eux ; d’une part les groupes d’influence qu’on a caractérisés avec Thompson  ; d’autre part des groupes d’influence, fortement idéologisées, caractérisés par leur hystérie belliciste et leur totale absence de conscience à la fois du risque et de la véritable signification de la possibilité d’un affrontement avec la Russie pouvant aller jusqu’au nucléaire, ces groupes ne pouvant accepter une seule seconde une tendance qui envisagerait un accommodement avec la Russie jusqu’à l’acceptation du rattachement de la Crimée à la Russie.

Ces remarques se placent dans la recherche hypothétique des circonstances ou des événements qui pourraient conduite à des occurrences de situations exceptionnelles et extraordinaires de déchirement interne de la direction-Système, par définition placée en pointe de la dynamique du Système. On se trouverait alors devant une hypothèse principale, ou mieux dit une hypothèque gravissime pour le Système, où le désordre et le désarroi de cette direction-Système placée devant l’horrible possibilité d’un conflit nucléaire conduiraient à des circonstances extrêmement déstabilisantes pour l’orientation de la course du Système. L’hypothèse se poursuivrait par la remarque qu’il y aurait là une voie par où pourrait se manifester l’affrontement à partir duquel la dynamique du Système où domine pour l’instant encore la poussée de surpuissance trouverait devant elle une entrave décisive qui pourrait transformer son orientation de surpuissance en orientation d’autodestruction. C’est ce que nous décrivions de cette façon dans notre analyse du 2 janvier 2015, de cette façoin :

«Il n’y a une “course” que dans le sens d’une trajectoire où se déploie cette surpuissance du Système inarrêtable et inévitable (“Why America Can’t Stop”), et la trajectoire n’est une “course” dans son autre sens que dans la mesure où la surpuissance produit de plus en plus l’autodestruction et donc qu’à un moment donné de cet événement inouï l’autodestruction prendra le pas sur la surpuissance, – et là, oui, comme dans une “course” cycliste, distancera irrémédiablement la surpuissance.»

Nous dirions, pour utiliser l’analogie des fameux pourcentages utilisés au niveau économique et social, que Loren B. Thompson fait partie des 1% de Washington (les super-conscients) qui savent encore ce que le nucléaire veut dire et peut provoquer, contre les 99% (les super-inconscients) qui ont totalement oublié, s’ils les ont jamais connus, les circonstances exactes et les conséquences terrifiantes d’un conflit nucléaires. Dans l’occurrence d’une aggravation de la tension entre les USA et la Russie que nous ne cessons d’évoquer parce qu’elle nous paraît complètement possible sinon probable, et certainement logique selon la course suivie actuellement telle que la décrit ce même texte du 2 janvier 2015, les 1% où se trouve Thompson pourrait très rapidement grignoter sur les 99% et constituer rapidement une fraction vocale extrêmement pressante et influente. Le résultat hypothétique vers lequel on se dirigerait, et où nous souhaiterions que l’on se dirigeât (passage de la surpuissance à l’autodestruction), serait alors la très rapide montée aux extrêmes et le caractère aussitôt extrême et sans aucun compromis possible d’un tel affrontement. C’est ainsi que se développe la possibilité d’un breaking point (voir le 2 janvier 2015) du Système dans un de ces moments de décision où les nécessités de décider et d’agir très vite empêchent les habituels arrangements et réflexes de solidarité-Système, prudence, crainte, etc., qui ont jusqu’ici tant bien que mal prévalu (ave tout de même des exemples de breaking point qui renforcent l’hypothèse, mais sur des sujets moins importants comme l’attaque avortée contre la Syrie d’aout-septembre 2013, alors qu’il s’agit ici du sujet décisif et définitif)

C’est l’un de ces cas où l’équation surpuissance-autodestruction si elle prend son plein effet devient à la fois décisive, sans retour, sans possibilité de temps pour quelque aménagement que de soit ; où l’équation surpuissance-autodestruction devient celle, tout simplement, de l’effondrement du Système … Ainsi sera-t-il beaucoup pardonné à l’ultra-corrompu Loren B. Thompson de sa corruption extrême, pour nous ménager, par son côté non-robotisé (des 1%) un exemple intéressant par lequel nous pouvons étayer opérationnellement notre hypothèse générale concernant la Crise de l’Effondrement du système dans sa phase finale.

Source : Dedefensa

Source: http://www.les-crises.fr/pourquoi-la-russie-de-poutine-est-en-2015-la-plus-grande-menace-pour-les-etats-unis/