les-crises.fr

Ce site n'est pas le site officiel.
C'est un blog automatisé qui réplique les articles automatiquement

Que le diable les emporte s’ils ne sauvent pas la Grèce, par Helmut Schmidt

Wednesday 15 July 2015 at 00:56

L’ancien chancelier s’élève contre l’euro-hystérie. Jusqu’ici, pas un seul euro n’aurait été versé par l’Allemagne à la Grèce. Au lieu de se mobiliser contre Athènes, les politiciens feraient mieux de brider les marchés financiers.

L’ancien chancelier Helmut Schmidt s’élève contre l’hystérie dans le débat sur l’euro. (photographie : DAPD)
Cher monsieur Schmidt, depuis des mois les médias n’arrêtent pas de parler des turbulences sur les marchés financiers. Mais malgré tout ce que le public peut entendre ou lire, il reste un point où il demeure ignorant : une faillite de la Grèce serait-elle vraiment un désastre pour l’Union européenne ou non ? Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Helmut Schmidt : On peut avoir une idée de l’importance économique de l’état grec et de son économie nationale si l’on garde bien à l’esprit que son PIB représente environ 2,5% du PIB de l’Union européenne…

… le pays a approximativement la puissance économique de la Hesse.

Si cet état devenait temporairement insolvable, ce serait un grand malheur pour les Grecs et les Européens, mais pas un malheur présentant un péril existentiel. Cela vaut autant pour les conséquences économiques que politiques d’une telle banqueroute. Les conséquences politiques pourraient même être plus importantes, car cela pourrait donner l’impression que la solidarité européenne est bien plus mal en point qu’on ne l’imaginait ces dernières années. La confiance en la communauté des 27 continuerait à s’amenuiser. Ce coût politique serait trop élevé. C’est pourquoi les états de l’Union européenne doivent aider la Grèce.

Mais le coût politique ne serait-il pas au moins aussi élevé pour tous les gouvernements impliqués s’ils doivent encore et toujours expliquer à leurs citoyens que la Grèce est un puits sans fond ? Après tout, c’est un des devoirs prioritaires des hommes politiques de parer au danger menaçant leur propre pays !

Les Grecs sont la plus vieille nation civilisée d’Europe. Aujourd’hui ils ont besoin d’un plan d’assainissement total qui ne se réduise pas aux seules aides financières. Ce plan n’existe pas encore, il doit encore être élaboré. Par ailleurs, ce serait une erreur grossière que mettre les intérêts nationaux sur un plateau de la balance et ceux de l’Union sur l’autre car les intérêts de l’Union sont en même temps les intérêts nationaux des Allemands, comme certainement ceux des Français, des Néerlandais, des Polonais et de beaucoup d’autres nations européennes.

Mais que faire si les Grecs ne font pas leur devoir ?

Les admonestations, les leçons et les conseils condescendants donnés par d’autres membres de l’Union européenne ont causé une dépression économique en Grèce. C’est pourquoi j’hésite à reprocher aux Grecs le peu d’économies auxquelles ils ont procédé, reproche que d’autres n’hésitent pas à leur faire. Car toute cette épargne forcenée est une des causes de la dépression. Il est en tout cas certain, quelle que soit la façon dont les choses évoluent, que les Grecs vont au devant d’années difficiles.

Ne peut-on pas dire : c’est de votre propre faute ?

Voyez-vous, j’aimerais comparer cela avec la situation de l’Allemagne après la seconde guerre mondiale. Naturellement, les Américains ou les Français auraient pu dire alors : les Allemands sont seuls responsables, laissons-les donc pourrir dans leur situation misérable ! Ils ne l’ont pourtant pas fait. Au lieu de cela, les Américains ont lancé le plan Marshall et les Français nous ont tendu la main en 1950 avec le plan Schuman. Comparé à la situation de l’Allemagne à l’époque et de l’aide qu’étaient prêts à lui fournir d’autres pays qui quelques années auparavant étaient encore en guerre contre elle, le problème grec est une broutille. Que le diable emporte les chefs des gouvernements européens s’ils n’arrivent pas à sauver la Grèce !

Seriez-vous prêt pour cela à une augmentation de la dette de l’Allemagne ?

Je ne pense pas que l’on puisse sauver la Grèce uniquement par des versements. Et d’ailleurs il faut le dire clairement : jusqu’à présent, pas un seul euro des contribuables allemands n’a été viré à la Grèce.

Il y a eu des promesses de garanties.

On s’excite à propos de ce qui pourrait survenir dans l’avenir ; jusqu’à maintenant rien n’a encore été versé. Oui, il s’agit de garanties. Et comme toute quantité monétaire, elles perdront de leur valeur au fil du temps.

Malgré tout il reste une charge très considérable.

Oui, c’est vrai, mais des charges considérables ont aussi existé par le passé. Après tout, l’Allemagne a encore effectué en 2010 les derniers paiements découlant de la convention de Londres de 1952 et les dettes allemandes d’alors remontaient à l’entre-deux-guerres !

Ce dont plus personne ne se souvient.

Mais c’est la réalité.

Partagez-vous la préoccupation de beaucoup d’économistes pour lesquels la dette publique est notre problème fondamental – aussi parce qu’elle incite à la spéculation ?

L’endettement de l’état est un problème parmi d’autres. Mais la liberté d’action sans frein sur les marchés financiers planétaires en est un bien plus vaste.

Mais les spéculateurs ne peuvent faire jouer leur levier que lorsqu’un état s’expose à cause du montant élevé de sa dette.

En 2008, Lehman Brothers a dû déposer son bilan. À ce moment-là, il ne s’agissait pas le moins du monde de dette publique, mais d’un grand nombre d’instituts financiers qui les uns après les autres ont dû être sauvés par leurs états. Les marchés financiers fourmillent d’idiots intelligents, mais borgnes. Celui de leurs yeux qui devrait avoir le bien public en vue est aveugle et de l’autre ils lorgnent leur propre bonification. Ils n’ont pas le sens des responsabilités, et donc il faut les soumettre à une surveillance beaucoup plus stricte. Voilà mon opinion depuis deux décennies et demie.

Mais une surveillance plus stricte des marchés financiers ne résout pas le problème de l’endettement de l’état.

C’est vrai. Mais une régulation stricte résout le problème des réactions psychotiques sur les marchés financiers mondiaux qui comprennent des dizaines de milliers d’agioteurs de devises et de titres. De fait, les comités directeurs des banques ne savent souvent même pas ce que leurs courtiers sont justement en train de faire.

Vous croyez vraiment que l’on puisse brider les marchés financiers ?

On peut les brider. Mais pour cela il faut une volonté ferme, tout au moins une volonté ferme de ces gouvernements qui se sont associés pour la monnaie commune européenne.

Percevez-vous une telle volonté ?

A l’heure actuelle, non, hélas. Mais il n’est pas inimaginable qu’elle voie le jour. Et il serait bon qu’elle voie le jour.

En ce moment, nombre d’Allemands craignent pour leur épargne. Pouvez-vous comprendre cela ?

S’il y a des Allemands qui le craignent, c’est qu’on leur a fait peur. Par exemple par les gros titres du Spiegel ou du journal Bild. Le journalisme allemand n’a pas changé, hélas. Il est vrai que la crise bancaire de l’année 2008 a été commentée avec une retenue raisonnable. Mais c’est le passé. Maintenant, tous misent sur la peur – même dans la Süddeutsche Zeitung j’ai lu que nous serions confrontés à une crise de l’euro. Mais ce n’est pas vrai. Nous sommes confrontés à une crise des institutions européennes.

Pour vous, craindre une réforme monétaire serait donc avoir la berlue ?

Ce sont vraiment des balivernes.

A part l’euro, vous avez vécu deux de ces réformes, l’introduction du rentenmark en 1923 et l’introduction du deutsche mark en 1948.

Dans les deux cas, une inflation mirobolante a précédé ces réformes et l’endettement de l’état allemand était devenu astronomique. Nous n’avons aujourd’hui ni l’un ni l’autre. Ce n’est pas l’Allemagne qui est surendettée, ni la France, ni même l’Union européenne dans son ensemble, mais c’est la Grèce, somme toute assez petite. Peut-être aussi le Portugal plus petit encore.

L’Italie, quand même plus grande, a aussi une dette imposante.

Quand on parle de dette, il faut toujours regarder qui sont les créanciers. Dans le cas de la Grèce, il y a beaucoup de créanciers étrangers. La Société Générale, la Hypo Real Estate à Munich, ce sont probablement les plus grands des créanciers concernés. Pour ce qui est de l’Italie, il s’agit essentiellement de banques nationales, c’est une autre paire de manches. À cause de cela, on ne peut pas comparer la dette italienne avec la dette grecque. Il faut également avouer que le gouvernement italien n’est certainement pas meilleur que le grec.

Les réformes monétaires dans les années 20 et 40 furent précédées dans les deux cas par une guerre mondiale.

Oui, mais les Allemands auraient eu besoin d’une réforme monétaire même s’ils avaient gagné la guerre. Il faut dire aussi que la deuxième réforme monétaire allemande, l’introduction du deutsche mark, n’était pas une invention d’Allemands, mais essentiellement d’Américains. Elle s’est révélé une aubaine, parce qu’elle s’accompagnait des bienfaits du plan Marshall. Sans ce plan, la réforme aurait pris un tournant moins heureux. Les prix auraient regrimpé tout de suite. Mais puisque les bananes et les oranges arrivaient au pays et puisqu’on pouvait acheter quelque chose qui n’existait pas avant avec la nouvelle monnaie, la réforme est rapidement devenue un succès.

Mais pour la Grèce, elle serait au contraire une catastrophe ?

La Grèce n’a pas besoin d’oranges et de bananes, la Grèce a besoin d’investissements ! Il faut qu’il y ait des entrepreneurs qui prennent le risque d’investir dans le pays. Ils ne le feront que lorsqu’il y aura une politique économique fiable en Grèce. Si j’exige un plan Marshall pour la Grèce, je ne pense pas à l’argent, mais à des projets concrets.

Aviez-vous un attachement sentimental au deutsche mark ?

Non, et plus particulièrement aucun attachement sentimental à la Bundesbank. Il m’a parfois déplu qu’elle ait trop peu pris en compte sa responsabilité envers le développement de l’économie dans son ensemble, à la différence de la Banque centrale américaine. La plupart du temps, la Bundesbank ne se sentait responsable que de la stabilité du pouvoir d’achat du deutsche mark, mais non pas par exemple de la lutte contre le chômage.

Mais beaucoup de citoyens prisaient le deutsche mark.

C’est vrai pour les Ossi [NdT : les anciens citoyens de la RDA]. Les citoyens ouest-allemands n’ont découvert leur estime pour leur monnaie qu’au cours des années 90. Avant, le deutsche mark n’était pas l’objet d’un attachement émotionnel, cela allait sans dire. C’était seulement lorsqu’on raconta aux gens que l’euro était un teuro [NdT : une monnaie inflationniste, traduisible par "chéro"] qu’ils commencèrent à y réfléchir. Dès ce moment-là, quelques-uns se prenaient soudainement d’amour pour le deutsche mark. Beaucoup de ménagères croyaient que tous les prix allaient grimper. C’est vrai qu’une série de produits alimentaires sont devenus plus chers. Mais en somme, pendant les dix années après l’introduction de l’euro, le taux d’inflation était inférieur à celui du deutsche mark durant ses dix dernières années. Les ménagères avaient tort. De fait, Jean-Claude Trichet et la Banque Centrale Européenne ont maintenu l’euro plus stable à l’intérieur et à l’extérieur que n’avaient fait les Américains avec leur dollar ou les Chinois avec leur yuan.

Vous semblez très serein – mais des pays de l’UE sont menacés de faillite et des économistes sérieux mettent en garde contre une récession mondiale !

Oui, il n’est pas dans ma nature d’avoir peur.

Croyez-vous qu’il y aura une récession mondiale ?

Non. Je crois possible une récession mondiale, mais je la crois aussi évitable.

Comment l’éviter ?

Par exemple par un comportement raisonnable des institutions de l’Union européenne. Et par un retour du Parti républicain des États-Unis d’Amérique à la raison économique. Je m’attends à ce que, dans deux années au plus, les Républicains abandonnent leur attitude actuelle. Et une récession mondiale n’est alors pas inévitable.

On pourrait d’ailleurs assister non seulement à une récession mondiale, mais même à une dépression mondiale, si par exemple les gouvernements de quelques grands états commettaient d’importantes sottises. Je ne saurais totalement exclure une telle chose.

Ce n’est pas précisément quelque chose dont on peut se réjouir.

Il faut l’avoir dans ses arrière-pensées, en tant que possibilité très préoccupante mais assez éloignée.

M. Schmidt, vous m’avez une fois révélé que vous aviez placé une toute petite partie de votre patrimoine en actions. En avez-vous vendu pendant cette crise ?

Non, je ne me suis jamais préoccupé de ce que l’on achète ou ce que l’on vend.

Vous avez donc confiance en votre banque ?

Modérément. Mais j’ai confiance en cet homme à la banque. C’est une différence essentielle.

Source : Handelsblatt, le 11/10/2011

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/que-le-diable-les-emporte-sils-ne-sauvent-pas-la-grece-par-helmut-schmidt/