les-crises.fr

Ce site n'est pas le site officiel.
C'est un blog automatisé qui réplique les articles automatiquement

[Recommandé] Mikhaïl Gorbatchev : “Au lieu de démilitariser, l’Occident a déclaré avoir gagné et a revendiqué la domination mondiale”

Friday 14 November 2014 at 06:30

Un discours très important…

Mikhail Gorbachev, Ancien président de l’Union soviétique, Prix Nobel de la Paix

Discours prononcé à Berlin le 8 novembre 2014, au symposium du Forum de la Nouvelle Politique.

1

J’ai le plaisir d’accueillir tous les participants et de voir parmi eux aussi bien des vétérans de notre forum que de nouveaux visages. J’attends que tous fassent une contribution au dialogue sérieux et constructif qui est si nécessaire aujourd’hui.

Notre conférence se tient simultanément avec la célébrations du 25e anniversaire de la chute du mur qui divisait l’Allemagne et l’Europe. Je voudrais tout d’abord féliciter les Allemands, et nous tous ici, à l’occasion de l’anniversaire de cet événement véritablement historique.

Les changements historiques qui semblent imprévus à leurs contemporains peuvent par la suite apparaître comme inévitables, prédéterminés. Mais souvenons-nous de l’époque où tout cela se déroulait, et combien le processus de changement était tumultueux et urgent. Son issue – l’unification pacifique de l’Allemagne – a été rendue possible uniquement parce qu’elle avait été préparée par de grands changements dans la politique internationale et dans les esprits des peuples.

Ces changements ont été déclenchés par la perestroïka en Union soviétique. Comme nous nous étions engagés sur la voie des réformes, de la glasnost et de la liberté, nous ne pouvions refuser cette même voie aux nations d’Europe centrale et d’Europe de l’Est. Nous avons rejeté la “doctrine Brejnev”, avons reconnu l’indépendance de ces états et leur responsabilité envers leurs propres peuples. C’est ce que j’ai dit à leurs dirigeants lors de notre toute première rencontre à Moscou.

Quand, sous l’influence des changements en Union soviétique, les processus politiques internes sont montés en puissance dans les pays voisins, et que les citoyens de la RDA ont demandé des réformes et, peu après, l’unification, la direction de l’URSS s’est trouvée confrontée à des choix difficiles.

Pas seulement dans notre pays, mais aussi dans de nombreux pays européens, les doutes et les appréhensions montaient devant le processus d’unification. On pouvait comprendre les doutes de Margaret Thatcher, de François Mitterrand et d’autres dirigeants. Après tout, la tragédie de la Seconde Guerre mondiale était encore fraîche dans les mémoires. Il y avait d’autres raisons, aussi, à leur inquiétude.

De plus, le peuple de notre pays, qui avait le plus souffert de l’agression d’Hitler, avait des raisons de s’inquiéter.

Entre-temps, les événements se déroulaient à vitesse croissante, avec la population comme acteur principal – le peuple qui demandait le changement et déclarait son intention de vivre dans un pays uni : “Nous sommes une nation”.

Lors d’une rencontre des dirigeants soviétiques, en janvier 1990, nous avions discuté de l’évolution de la situation, et nous étions parvenus à la conclusion unanime que l’Union soviétique ne devait pas contrecarrer l’unification – mais qu’elle devait se produire d’une façon qui serait dans les meilleurs intérêts de toute l’Europe et de notre pays, autant que dans ceux des Allemands eux-mêmes.

Si nous nous étions détournés d’une évaluation réaliste et responsable, ou avions pris une décision différente, les événements auraient pu prendre un tour très différent, bien plus dramatique. Et l’usage de la force aurait conduit à un bain de sang à grande échelle.

Nous avons suivi la voie qui nécessitait des décisions politiques et une diplomatie active. Afin de répondre aux aspects externes de l’unification allemande, le mécanisme 2+4 a été conçu. La question la plus délicate était celle de l’appartenance d’une Allemagne unifiée à l’OTAN.

J’étais en faveur d’une Allemagne neutre. Le président Bush a objecté : “Pourquoi ? Avez-vous peur des Allemands ? Alors ils doivent être inclus, “ancrés” dans l’OTAN.” Je lui ai répondu : “On dirait que c’est vous qui avez peur d’eux”.

Nous avons discuté des différentes possibilités. Finalement, nous avons conclu que l’Allemagne unifiée déciderait elle-même de la question de son appartenance à l’alliance, mais que dans le processus, les intérêts de la sécurité de l’URSS devraient être pris en compte.

Cela a nécessité des négociations intenses. Finalement, le Traité de Moscou a inclus les conditions suivantes :

C’était des obligations importantes, qui ont été observées tout au long de la période suivante.

Pendant ces années, les Allemands ont prouvé leur engagement en faveur de la paix et de la démocratie, et le gouvernement de l’Allemagne a poursuivi une démarche généralement constructive et responsable dans l’arène internationale.

Je suis convaincu que l’Histoire donnera de bonnes notes aux dirigeants politiques actifs de cette époque.

2

L’unification de l’Allemagne a été une étape majeure dans le processus visant à mettre fin à la Guerre Froide. De nouvelles perspectives se sont ouvertes pour le monde, et en particulier pour l’Europe. La forme d’une nouvelle Europe émergeait de la Charte de Paris signée par les dirigeants de tous les pays européens, ainsi que par les États-Unis et le Canada.

Il semblait que l’Europe pourrait émerger comme un exemple pour les autres, en créant un système solide de sécurité mutuelle et en devenant le leader de la résolution des problèmes d’envergure mondiale.

Cependant, les événements ont pris une tournure différente.

La politique européenne et internationale n’a pas résisté à l’ épreuve du renouvellement, des nouvelles conditions du monde globalisé de l’ère post-Guerre froide.

Il faut admettre que depuis la création de notre forum, à l’aube de ce siècle, nous ne nous sommes jamais rencontrés dans un contexte aussi tendu et instable. Les bains de sang en Europe et au Moyen-Orient, tout comme la menace d’une rupture du dialogue entre les premières puissances, sont des préoccupations majeures. Le monde est au bord d’une nouvelle Guerre froide. Certains disent même qu’elle a déjà commencé.

Et pourtant, alors que la situation est dramatique, nous ne voyons pas le principal organe international – le Conseil de sécurité des Nations Unies – jouer le moindre rôle ou prendre des mesures concrètes. Qu’a-t-il fait pour faire cesser le feu et le massacre des peuples ? Il aurait dû agir avec détermination pour évaluer la situation et développer un programme d’actions communes. Mais cela n’a pas été fait, et cela n’est toujours pas fait. Pourquoi ?

Je qualifierais ce qui s’est produit ces derniers mois d’effondrement de la confiance – la confiance qui a été créée au prix d’un dur labeur et d’efforts mutuels durant le processus d’achèvement de la Guerre froide. La confiance, sans laquelle les relations internationales dans un monde globalisé sont inconcevables.

Pourtant, il serait faux de relier ceci uniquement aux événements récents. Je dois être franc avec vous : la destruction de cette confiance ne date pas d’hier ; elle s’est produite il y a bien longtemps. Les racines de la situation actuelle plongent dans les événements des années 1990.

La fin de la Guerre froide n’était que le tout début du chemin vers une nouvelle Europe et un ordre mondial plus sûr. Mais, au lieu de construire de nouveaux mécanismes et de nouvelles institutions pour une sécurité européenne, et de poursuivre une démilitarisation majeure des politiques européennes - comme le promettait, d’ailleurs, la déclaration de Londres de l’OTAN - l’Occident, et en particulier les États-Unis, a déclaré qu’il avait gagné la Guerre froide. L’euphorie et le triomphalisme sont montés à la tête des dirigeants occidentaux. Profitant de l’affaiblissement de la Russie et de l’absence de contrepoids, ils ont revendiqué le monopole de leur leadership et de leur domination sur le monde, refusant d’entendre les conseils de prudence de nombreuses personnes ici présentes.

Les événements de ces derniers mois sont les conséquences de politiques à court terme, et du désir d’imposer sa volonté et ses faits accomplis tout en ignorant les intérêts de ses partenaires.

Une petite liste suffira : l’expansion de l’OTAN, la Yougoslavie et en particulier le Kosovo, les plans sur le bouclier antimissiles, l’Irak, la Libye, la Syrie.

Pour utiliser une métaphore, une simple cloque s’est transformée en plaie qui suppure et saigne.

Et qui souffre le plus de ce qui se passe ? Je crois que la réponse est plus que claire : c’est l’Europe, notre maison commune.

Au lieu de tenir le flambeau du changement dans un monde globalisé, l’Europe est devenue une arène de rivalités politiques, de compétitions pour des sphères d’influence, et finalement, de conflits militaires. La conséquence inévitable est l’affaiblissement de l’Europe au moment où d’autres centres de pouvoir et d’influence gagnent en puissance. Si cela continue, l’Europe cessera d’avoir une voix qui pèse dans les affaires du monde, et elle deviendra graduellement inadaptée.

Ici, à Berlin, pendant l’anniversaire de la chute du mur, je dois relever que tout cela a aussi eu un effet négatif sur les relations entre la Russie et l’Allemagne. La poursuite de la trajectoire actuelle pourrait endommager nos relations de manière durable, lesquelles ont été jusqu’à présent exemplaires. Souvenons-nous que sans le partenariat russo-germanique, il ne peut pas y avoir de sécurité en Europe.

3

Alors, comment envisageons-nous de sortir de cette situation ?

L’expérience des années 1980 montre que, même dans des situations apparemment désespérées, il doit y avoir une issue. La situation du monde n’était pas moins grave et dangereuse qu’aujourd’hui. Pourtant, nous sommes parvenus à l’inverser – non seulement en normalisant les relations, mais en mettant un terme à la confrontation et à la Guerre froide. Cela peut légitimement être mis au crédit des dirigeants politiques de cette époque-là.

Cela a été accompli en premier lieu par la reprise du dialogue.

Les tendances négatives peuvent et doivent être arrêtées et inversées. La clé en est la volonté politique et la fixation adéquate des priorités.

Aujourd’hui, la priorité principale devrait être la reprise du dialogue, le rétablissement de la capacité à interagir, à s’écouter et à s’entendre les uns et les autres.

Les premiers signes d’une reprise du dialogue ont maintenant émergé. Les premiers résultats, bien que modestes et fragiles, ont été atteints. Je parle des accords de Minsk sur le cessez-le-feu et le désengagement militaire en Ukraine, des accords trilatéraux sur le gaz entre la Russie, l’Ukraine et l’Union européenne, et la suspension de l’escalade des sanctions mutuelles.

Dans ce contexte, je vous demande instamment de prendre en considération les récentes remarques de Vladimir Poutine au Forum de Valdaï [NdR : traduit dans ce billet]. Malgré l’âpreté de ses critiques envers l’Ouest et les États-Unis en particulier, j’entends dans son discours un désir de trouver le moyen de faire baisser les tensions, pour finalement fonder une nouvelle base de partenariats.

Nous devons passer – et le plus tôt sera le mieux – des polémiques et des accusations mutuelles à la recherche de points de convergence et à la levée graduelle des sanctions, qui nuisent à chacune des parties. Comme premier pas, les sanctions dites personnelles qui affectent des personnalités politiques et des parlementaires devraient être levées, pour que ces derniers puissent se joindre au processus de recherche de solutions mutuellement acceptables.

L’un des domaines d’action conjointe pourrait être celui de l’aide à apporter à l’Ukraine pour surmonter les conséquences de sa guerre fratricide, et reconstruire les régions touchées.

4

Il ne va pas être facile d’atteindre ces objectifs de court terme. Mais, en même temps, nous avons besoin de poursuivre des efforts vigoureux sur tous les autres points de notre agenda commun.

Je soulignerais deux domaines dans lesquels le dialogue est d’une importance vitale, et dans lesquels il a été fortement mis à mal. Il s’agit d’abord de la coopération visant à répondre aux défis mondiaux, et ensuite de la sécurité pan-européenne.

Les problèmes mondiaux s’aggravent de jour en jour : terrorisme et extrémisme, y compris de nature sectaire, pauvreté et inégalités, environnement, problème des ressources et des vagues de migration, épidémies.

Et si différentes soient-elles, ces questions ont une chose en commun : aucune n’a de solution militaire. Pourtant, les mécanismes politiques pour les résoudre font défaut ou dysfonctionnent, et n’arrivent pas à suivre l’accélération de la dégradation des problèmes.

Les leçons de la crise mondiale en cours devraient nous persuader que nous devons chercher un nouveau modèle durable politique, économique et environnemental. C’est un problème auquel il faut répondre maintenant, sans délai.

Laissez-moi maintenant vous parler de la sécurité européenne. Je pense que nous avons encore une fois la preuve qu’elle doit être pan-européenne. Les tentatives pour résoudre le problème de la sécurité en Europe par l’expansion de l’OTAN ou par une politique de défense de l’UE ne peuvent pas apporter de résultats positifs. De fait, elles sont contre-productives.

Nous devons par conséquent nous remettre au travail et redessiner les plans d’un système de sécurité européenne qui offrirait une protection et des garanties à tous ses participants.

Nous avons besoin d’institutions et de mécanismes qui fonctionneraient dans l’intérêt de tous. Il faut reconnaître que l’OSCE, une organisation qui portait beaucoup d’espoirs, n’a pas été à la hauteur de la tâche.

Cela signifie-t-il qu’elle devrait être démantelée pour édifier en lieu et place quelque chose de nouveau et inédit ? Je ne le pense pas, d’autant plus maintenant que l’OSCE assume un rôle important de contrôle en Ukraine. Mais il s’agit d’une construction, dirais-je, qui nécessite des réparations essentielles et quelques nouvelles adjonctions.

Il y a des années de cela, Hans Dietrich Genscher, Brent Scowcroft et d’autres politiciens ont proposé de créer un Conseil de sécurité ou un Directoire pour l’Europe. Je partageais leur approche. Dans la même veine, Dimitri Medvedev, pendant sa présidence, a proposé une initiative qui appelait à créer un mécanisme de diplomatie préventive en Europe, avec des consultations obligatoires en cas de menace sur la sécurité d’une partie. Si un mécanisme de cette sorte avait été créé, les pires scénarios des événements ukrainiens auraient pu être évités.

Pourquoi ces idées et d’autres “idées européennes” ont-elles été remisées aux archives ? Les dirigeants sont, bien sûr, à blâmer – mais nous aussi, tous autant que nous sommes. Je parle de la classe politique européenne, des institutions de la société civile, et des médias.

Nous devons envisager une initiative non-gouvernementale pour reprendre la construction d’une maison européenne commune. Je suggère que nous réfléchissions à la forme qu’une telle initiative pourrait prendre. J’espère que pendant nos discussions, nous pourrons en évaluer les modalités de réalisation, et faire des propositions spécifiques dans cette perspective.

5

Je ne suis pas pessimiste de nature, et je me suis toujours décrit moi-même comme un optimiste. Mais je dois admettre qu’il est très difficile d’être optimiste dans la situation actuelle. Malgré tout, nous ne devons pas céder à la panique et au désespoir ou nous résigner à l’inertie négative. Cela pourrait nous entraîner dans une spirale sans issue. L’expérience amère des derniers mois doit être convertie en volonté de réengager le dialogue et la coopération.

C’est l’appel que je lance à nos dirigeants et à vous tous. Pensons, proposons et agissons ensemble.

Source : Huffigton Post, le 21/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.


Une interview de Gorbatchev à la télévision suisse le 9/9/14. Il revient sur les conditions qui ont présidé à l’événement en 1989 et livre des confidences sur les rôles de François Mitterrand et d’Helmut Kohl. Il s’exprime aussi sur l’actualité et le regain de tension entre la Russie et l’Occident du fait de la crise ukrainienne.

Source : RTS


Source: http://www.les-crises.fr/occident-domination-mondiale-gorbatchev/