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[Reprise] Comment la presse de Washington a mal tourné, par Robert Parry

Tuesday 9 December 2014 at 01:40

28 octobre 2014

Exclusif : La presse de Washington se targuait autrefois de demander des comptes aux puissants (les archives du Pentagone, le Watergate, la guerre du Viet-Nam), mais cette époque est depuis longtemps révolue. Pour Robert Parry, elle a été remplacée par un média malléable à souhait, qui place ses bonnes relations avec les arcanes du pouvoir au-dessus de l’intérêt public.

Par Robert Parry

Après la mort la semaine dernière du légendaire directeur du Washington Post Ben Bradlee, à l’âge de 93 ans, beaucoup ont chaleureusement rappelé le style de ce dur à cuire, toujours en quête de scoops retentissants dignes du bon vieux “Arrêtez les rotatives !”

Nombre de souvenirs émus étaient sûrement sélectifs, mais ils contenaient une part de vérité : la vision de la “Une” de Bradley incita bien son personnel à se démener pour suivre les affaires difficiles – au moins pendant le scandale du Watergate quand il soutint Bob Woodward et Carl Bernstein confrontés à l’hostilité de la Maison Blanche. Quel contraste entre les dernières années de Bradley et le travail de ses successeurs au Washington Post !

L’équipe “Watergate” du Washington Post, avec, de gauche à droite, l’éditrice Katharine Graham, Carl Bernstein, Bob Woodward, Howard Simons, et le rédacteur en chef Ben Bradlee.

Par coïncidence, au moment où j’entendais la nouvelle de la mort de Bradley le 21 octobre, je me remémorais la triste dégringolade des médias américains, de l’âge d’or des années 70 avec le Watergate et les archives du Pentagone jusqu’à leur attitude de suppliants obséquieux lorsqu’ils couvraient Ronald Reagan tout juste une décennie plus tard. Cette métamorphose a pavé la voie de la soumission servile des médias à Georges W. Bush les dix dernières années.

Le jour même de la mort de Bradley, je recevais un e-mail d’un collègue journaliste m’informant que Leonard Dowie, qui avait été longtemps son rédacteur en chef avant de lui succéder comme directeur, était en train de diffuser un article du Washington Post attaquant le nouveau film “Kill the Messenger”.

Cet article de Jeff Leen, assistant rédacteur en chef pour les enquêtes, massacrait le défunt journaliste Gary Webb, dont la carrière et la vie furent détruites parce qu’il osa ramener à la surface un des plus hideux scandales de l’ère Reagan, la tolérance du gouvernement américain pour le trafic de cocaïne au Nicaragua des fameux rebelles Contra si chers à Reagan.

“Kill the Messenger” offre une peinture compatissante du calvaire de Webb et se montre critique envers les plus grands journaux, y compris le Washington Post, pour avoir dénoncé Webb en 1996 plutôt que de saisir l’occasion de revenir sur un scandale de sécurité nationale que le Post, le New York Times et les autres grands journaux avaient manqué ou minimisé au milieu des années 80, après un premier reportage de Brian Barger et moi-même sur ce sujet pour l’Associated Press.

Downie, qui devint le rédacteur en chef du Washington Post en 1984 et prit la suite de Bradlee comme directeur en 1991 (il est à présent professeur de journalisme à l’Université d’état de l’Arizona), fit passer l’article de Leen visant Webb aux autres membres de la faculté avec un mot introductif, disant :

Objet : Gary Webb n’était pas un héros, dixit le rédacteur des enquêtes du Washington Post Jeff Leen

« J’étais au Washington Post à l’époque où le journal examinait les articles de Gary Webb, et Jeff Leen a parfaitement raison. Néanmoins, il est trop bon envers un film qui fait passer un mensonge pour un fait historique ».

Comme j’ai connu Downie de loin pendant mes années à la Associated Press (il m’avait jadis appelé à propos de mon article de juin 1985 identifiant Oliver North, assistant au Conseil National de Sécurité, comme un personnage clé dans l’opération secrète pilotée par la Maison Blanche de soutien aux Contras), je lui envoyai un e-mail le 22 octobre lui faisant part de ma consternation vis-à-vis de son « sévère commentaire » dans le but de « m’assurer que ces mots étaient bien les siens et qu’ils reflétaient bien son opinion. »

Je lui demandai : « Pourrais-tu développer exactement ce que tu penses être un mensonge ? » Je notai également que « comme le film sort en salles, je joins un article sur les révélations actuelles des archives gouvernementales concernant ce problème » et envoyai à Downie un lien de cet article. Je n’ai eu aucune réponse. [Pour en savoir plus sur mon évaluation de la populaire pièce de Leen, voir Consortiumnews.com's « WPost's Slimy Assault on Gary Webb. »]

Pourquoi attaquer Webb ?

On pourrait supposer que Leen et Downie ne sont que deux scribouillards de la presse mainstream qui brouillent les pistes, puisqu’ils ont tous deux manqué le scandale de la cocaïne des Contras qui se déroulait sous leurs nez dans les années 80.

Leen était le spécialiste du trafic de drogue et du cartel de Medellin au Miami Herald, mais pour une raison ou une autre il n’est pas parvenu à comprendre qu’une grande partie de la cocaïne des Contras arrivait à Miami et que le cartel de Medellin faisait don de millions de dollars aux Contras. En 1991, pendant le procès du trafic de drogue de Manuel Noriega au Panama, Carlos Lehder, cheville ouvrière du cartel, a même témoigné, en tant que témoin pour le gouvernement américain, qu’il avait fourni 10 millions de dollars aux Contras.

Downie était rédacteur en chef du Washington Post, responsable du suivi de la politique étrangère secrète de l’administration Reagan, mais il a été régulièrement au-dessous du niveau attendu lors des plus grands scandales des années 80 : l’opération d’Ollie North, le scandale de la cocaïne des Contras et l’affaire de l’Irangate. Après cette litanie d’échecs, il a été promu directeur du Post, un emploi en or dans le journalisme américain, où il a été placé pour surveiller la démolition de Gary Webb en 1996.

Quoique le billet de Downie à d’autres professeurs de l’Université d’État de l’Arizona ait appelé l’histoire de la Cocaïne des Contras ou “Kill the Messenger” ou tous les deux « un mensonge », Ryan Grim du Huffington Post a raconté récemment, dans un article sur l’assaut des grands médias contre Webb, que « le rédacteur en chef du Post à l’époque, Leonard Downie, m’a dit qu’il ne se rappelle pas de l’incident assez bien pour pouvoir le commenter. »

Mais il y a plus ici que deux ou trois cadres de presse trouvant plus facile de taper sur un journaliste qui n’est plus là pour se défendre que d’admettre leurs propres échecs professionnels. Ce que Leen et Downie représentent est l’incapacité institutionnelle du journalisme américain à protéger les citoyens américains, choisissant à la place la protection de la structure du pouvoir américain.

Souvenons-nous qu’au milieu des années 80, quand Barger et moi-même avons révélé le scandale Contra-cocaïne, le trafic se faisait au moment même. Ce n’était pas de l’histoire. Les différents moyens souterrains de Contra acheminaient la cocaïne dans les villes américaines où une partie était transformée en crack. Si l’on avait agi à ce moment-là, au moins quelques-unes de ces expéditions auraient pu être stoppées et un certain nombre des trafiquants Contra poursuivis en justice.

Et pourtant, au lieu de s’unir pour dévoiler ces crimes, les grands journaux d’information tels que le New York Times ou le Washington Post ont choisi de détourner les yeux. Dans son article, Leen justifie ce comportement avec le supposé principe journalistique qu’« une dénonciation hors du commun nécessite une preuve hors du commun. » Mais ce critère doit aussi être mis en balance avec cette menace contre le peuple américain et d’autres qu’est la dissimulation d’une affaire.

Si le principe de Leen veut dire en réalité qu’aucun niveau de preuve n’était suffisant pour rendre compte que l’administration Reagan protégeait les trafiquants de cocaïne de Contra, alors il veut dire que les médias américains donnaient leur assentiment à l’activité criminelle qui ravageait les villes américaines, détruisait d’innombrables vies et submergeait les prisons de petits trafiquants pendant que de puissants personnages liés au monde de la politique restaient intouchables.

Ce constat est, en gros, partagé par Doug Farah, qui était un correspondant du Washington Post en Amérique centrale du temps où Webb lançait sa série d’articles “Dark Alliance” [Alliance obscure] en 1996. Après avoir lu ces chroniques de Webb dans le San Jose Mercury News, Farah était désireux de mettre en avant cette affaire Contra-cocaïne mais il rencontra d’invraisemblables demandes de preuves de la part de ses éditeurs.

Farah a dit à Ryan Grim : « Si vous parlez de la tolérance – voire promotion – de notre organisation du renseignement pour les drogues pour financer des opérations secrètes, c’est une chose assez incommode à faire pour un média institutionnel tel que le Post… Si vous alliez vous retrouver à heurter directement le gouvernement, ils voulaient que ce soit sur des bases si solide qu’il était presque impossible d’y arriver. »

En d’autres mots, « preuve extraordinaire » signifiait que jamais on ne pouvait écrire un papier sur ce sujet sensible car il n’existe pas de preuve 100% parfaite, apparemment même lorsque le directeur des recherches de la CIA confesse, comme il l’a fait en 1988, que la plus grande partie de ce que Webb, Barger et moi-même avions rapporté était vraie et qu’il y avait beaucoup, beaucoup plus à dire. [Voir Consortiumnews.com : "The sordid Cocaïne Scandal."]

Qu’est-il arrivé à la presse ?

Comment cette mutation du journalisme de Washington a-t-elle eu lieu – d’une corporation journalistique agressive des années 1970 à la corporation de pigeons des années 1980 et au delà – est un important chapitre perdu de l’histoire Américaine moderne.

L’essentiel de ce changement a émergé du naufrage politique qui suivit la guerre du Vietnam, l’affaire des archives du Pentagone, le scandale du Watergate, et la révélation des abus de la CIA dans les années 70. Les structures de pouvoir américaines, particulièrement la droite, répliquèrent, qualifiant les médias d’information américains de « libéraux » et remettant en question le patriotisme de certains journalistes et rédacteurs.

Mais il n’est pas besoin de beaucoup leur forcer la main pour obtenir que les organes d’information grand public rentrent dans le rang et se prosternent. Nombre des responsables de presse sous lesquels j’ai travaillé partageaient les vues des structures du pouvoir affirmant que les manifestations contre la guerre du Vietnam étaient déloyales, que le gouvernement américain se devait de répliquer à des humiliations telles que la crise des otages en Iran, et que le public rétif se devait d’être remis en rang derrière des valeurs plus traditionnelles.

Chez Associated Press, son plus haut cadre dirigeant, Keith Fuller, le directeur général, fit un discours à Worcester, dans le Massachusetts, en 1982, saluant l’élection de Reagan en 1980 comme la noble répudiation des excès des années 60 et la nécessaire correction de la perte de prestige national des années 70. Fuller cita l’investiture de Reagan et la libération simultanée des 52 otages américains en Iran le 20 janvier 1981 comme un virage pour la nation par lequel Reagan ressuscita l’esprit américain.

« Lorsque l’on regarde en arrière vers les turbulentes années 60, on frissonne à la mémoire d’un temps où les tensions semblaient déchirer ce pays », disait Fuller, ajoutant que l’élection de Reagan représentait une nation « criant : assez ! »

« Nous ne croyons pas que l’union d’Adam et de Bruce soit vraiment la même chose que l’union d’Adam et Eve aux yeux de la Création. Nous ne croyons pas que les gens doivent encaisser des chèques d’aide sociale pour les dépenser en alcool et narcotiques. Nous ne croyons pas vraiment qu’une simple prière ou un serment de fidélité dans une salle de classe soit opposé à l’intérêt national. »

« Nous sommes fatigués de notre ingénierie sociale. Nous en avons marre de notre tolérance pour le crime, les drogues et la pornographie. Mais par-dessus tout, nous n’en pouvons plus du fardeau de notre bureaucratie auto-perpétuante qui pèse toujours plus lourdement sur nos épaules. »

Les opinions de Fuller n’étaient pas rares dans les instances dirigeantes des grands médias d’information, où la réaffirmation par Reagan d’une politique étrangère agressive était spécialement bien reçue. Au New York Times, le directeur Abe Rosenthal, un néoconservateur de la première heure, s’était juré de ramener son journal « au centre », ce par quoi il entendait à droite.

Il y avait aussi une dimension sociale à cette retraite journalistique. Par exemple, Katharine Graham, longtemps rédactrice au Washington Post, avait trouvé désagréables les tensions résultant des risques qu’il y a à pratiquer un journalisme d’opposition. De plus, c’était une chose que de s’en prendre au socialement inepte Richard Nixon, c’en était une tout autre que de défier les socialement habiles Ronald et Nancy Reagan, que personnellement Mme Graham appréciait.

La famille Graham embrassa aussi le néo conservatisme, approuvant les politiques agressives contre Moscou et le soutien indiscuté à Israël. Très vite, les éditeurs du Washington Post et de Newsweek reflétèrent les préjugés de la famille.

J’ai fait face à cette réalité quand je suis passé de l’Associated Press à Newsweek en 1987 et que j’ai trouvé le directeur Maynard Parker, en particulier, hostile au journalisme plaçant la conduite de la Guerre Froide de Reagan sous un éclairage négatif. J’avais eu une bonne part de responsabilité dans l’éclatement du scandale de l’Iran-Contra à l’AP, mais on m’a dit à Newsweek « [qu'on] ne [voulait] pas d’un autre Watergate. » La crainte était apparemment que les tensions politiques provoquées par une nouvelle crise constitutionnelle autour d’un président républicain puissent briser la cohésion politique nationale.

La même chose était vraie pour l’affaire Contra-cocaïne, que l’on m’a empêchée de développer à Newsweek. En effet, quand le sénateur John Kerry la fit progresser avec un rapport sénatorial publié en avril 1989, Newsweek ne manifesta aucun intérêt et le Washington Post enfouit l’affaire au plus profond de ses pages intérieures. Par la suite, Newsweek disqualifia Kerry en le traitant « d’excité fanatique de conspirationnisme. » [Pour les détails, voyez Lost History de Robert Parry]

S’adapter parfaitement au modèle

Autrement dit, la brutale destruction de Gary Webb suivant sa relance du scandale Contra-cocaïne en 1996 – quand il étudia les conséquences d’un des réseaux de la cocaïne des Contras sur le trafic du crack à Los Angeles – n’avait rien que de parfaitement ordinaire. C’était un des aspects du modèle d’asservissement à l’appareil de sécurité nationale, spécialement sous les Républicains et ceux de l’aile droite, mais s’étendant aussi à ceux de la ligne dure des Démocrates.

Ce modèle de parti pris s’est poursuivi dans la dernière décennie, et même quand le problème était de savoir si les votes des citoyens américains devaient être comptés. Après les élections en 2000, lorsque George W. Bush trouva cinq républicains à la Cour Suprême des États-Unis pour ordonner l’arrêt du décompte des votes dans l’état clé de Floride, les dirigeants des grands médias d’information étaient plus préoccupés de la protection de la fragile et entachée « légitimité » de la victoire de Bush que de s’assurer que le véritable gagnant des élections américaines devienne le président.

Après la décision de la majorité républicaine à la Cour Suprême garantissant que les votes en Floride – et donc la présidence – iraient à Bush, quelques responsables, y compris le directeur du New York Times Howell Raines, se hérissèrent devant des propositions de faire faire par les médias un compte des votes contestés, d’après un cadre du New York Times présent à ces discussions.

L’idée de ce décompte par les médias était de déterminer lequel des candidats à la présidence avaient en réalité les faveurs de la Floride, mais Raines n’acceptait de revenir sur son attitude vis-à-vis du projet que si les résultats n’indiquaient pas que Bush aurait dû perdre, une préoccupation qui s’aggrava après les attaques du 11 septembre, selon le compte rendu du cadre du Times.

Le sujet d’inquiétude de Raines se concrétisa lorsque les organisations de journalistes achevèrent en novembre 2001 leur décompte non-officiel des votes contestés de la Floride, et qu’il s’avéra que Al Gore aurait remporté la Floride si tous les votes légalement exprimés avaient été comptés, quelle que soit la façon d’apprécier les fameux confettis, un peu enfoncés, pendus, ou carte perforée de part en part. [NdT : les machines à voter, qui étaient censées perforer des cartes, ne fonctionnaient pas toujours très bien, ou étaient mal utilisées par les électeurs. D'où les problèmes d'interprétation de certains votes.]

La victoire de Gore aurait été assurée par ceux que l’on appelle les “sur-votants”, ceux qui non seulement perforent la case correspondant au nom du candidat mais en plus écrivent son nom sur la carte. Selon la loi de Floride, de tels “sur-votes” sont légaux et ils font irruption en faveur de Gore. [Voir sur Consortiumnews.com "So Bush Did Steal the White House" ou notre livre Neck Deep].

En d’autres termes, c’est au mauvais candidat qu’a été attribuée la présidence. Cependant, ce fait surprenant est devenu une vérité gênante que les principaux médias américains ont décidé de cacher. Donc, les grands journaux et grandes chaînes TV ont caché leurs propres informations sensationnelles lors de la publication des résultats le 12 novembre 2001.

Au lieu de déclarer clairement que les votes légaux en Floride étaient en faveur de Gore – et que ce n’était pas la bonne personne qui était à la Maison Blanche – les principaux médias se mirent en quatre pour concocter d’hypothétiques situations dans lesquelles Bush pouvait toujours avoir gagné la présidence, comme si le recomptage avait été limité à quelques comtés ou si les “sur-votes” légaux avaient été exclus.

La réalité de la victoire légitime de Gore était enfouie profondément au milieu des autres affaires ou reléguée dans les graphiques accompagnant les articles. Tout lecteur ne faisant que passer aura fini sa lecture du New York Times ou du Washington Post en concluant que Bush avait réellement gagné la Floride et qu’après tout il était le légitime président.

La manchette du Post disait « d’après le nouveau compte en Floride Bush aurait été en tête. » Celle du Times « l’étude des votes contestés en Floride conclut que ce n’est pas la décision des juges qui a décidé du vote. » Quelques chroniqueurs, comme l’analyste des médias du Post Howard Kurtz, ont même lancé des frappes préventives contre quiconque prétendrait lire les petits caractères et détecterait le “chapeau” caché annonçant la victoire de Gore. Kurtz qualifiait ces gens de “théoriciens de la conspiration.” [Washington Post, 12 novembre 2001]

Un reporter furieux

Après avoir lu ces histoires biaisées sur la « victoire de Bush », j’ai écrit un article pour Consortiumnews.com faisant remarquer que les “chapeaux” évidents auraient dus être ceux révélant que Gore avait gagné. J’ai suggéré que l’opinion des responsables de l’édition des journaux avait pu être influencée par le désir d’apparaître patriote, deux mois seulement après le 11 septembre. [Voir Consortiumnews.com "Gore's Victory"]

Mon article était à peine publié depuis seulement deux heures, que je recevais un appel téléphonique furieux de la correspondante du New York Times Felicity Barringer m’accusant d’attaquer l’intégrité journalistique du directeur Raines.

Bien que Raines et d’autres directeurs aient pu penser que ce qu’ils faisaient était « bon pour le pays », ils étaient en réalité en train de trahir leur plus fondamental devoir envers le peuple américain, celui de leur donner des faits aussi complet et exact que possible. En donnant de Bush un faux portrait de vrai vainqueur en Floride et donc au collège électoral, ces directeurs de journaux lui insufflèrent une fausse légitimité dont il a abusé en menant le pays à la guerre en Irak en 2003.

Là encore, dans cet élan pour l’invasion de l’Irak, les principaux médias d’information se sont conduits plus en propagandistes dociles qu’en journalistes indépendants, faisant leurs les fausses affirmations de Bush sur les armes de destruction massive et se joignant au chœur des chauvinistes célébrant « les troupes » et le début de la conquête de l’Irak.

En dépit de l’embarras que connurent plus tard les médias du fait du mensonge sur les armes de destruction massive et du désastre de la guerre en Irak, les responsables de l’information des médias principaux n’eurent à faire face à aucune responsabilité. Howell Raines a perdu son poste en 2003 non à cause de son manque d’éthique dans le traitement du recomptage en Floride ou de ses faux reportages sur la guerre d’Irak, mais parce qu’il avait fait confiance au journaliste Jayson Blair qui avait fabriqué de fausses sources dans l’affaire des tireurs du périphérique du Maryland.

A quel point l’opinion du Times a pu devenir biaisée est souligné par le fait que le successeur de Raines, Bill Keller, avait écrit un important article – « Le Club des Je-Ne-Peux-Pas-Croire-Que-Je-Sois-Un-Faucon » – saluant les “libéraux” qui l’avaient rejoint dans le soutien à la guerre en Irak. Autrement dit, on peut être chassé si l’on fait confiance à un journaliste malhonnête mais on peut être promu si l’on fait confiance à un président malhonnête.

De la même manière, au Washington Post, l’éditorialiste Fred Hiatt, qui ne cessait de rapporter comme « fait établi » que l’Irak cachait des stocks d’armes de destruction massive, n’a pas eu à affronter la sorte de disgrâce journalistique qui a été infligée à Gary Webb. A la place, Hiatt s’accroche au même emploi prestigieux, écrivant la même sorte d’éditoriaux néoconservateurs déséquilibrés que ceux qui ont téléguidé le peuple américain dans le désastre iraquien, sauf que maintenant Hiatt montre le chemin pour des confrontations plus dures en Syrie, en Iran, en Ukraine et en Russie.

Donc, il n’est peut-être pas surprenant que cette corporation profondément corrompue qu’est la presse de Washington se déchaîne contre Gary Webb au moment où sa réputation a une chance tardive de réhabilitation posthume.

Mais combien bas est tombée la si vantée presse de Washington est illustré par le fait que c’est au cinéma hollywoodien – de toute nature – qu’a été laissé la charge de remettre l’histoire d’aplomb.

Le reporter d’investigation Robert Parry a révélé de nombreuses affaires d’Iran-Contra pour l’Associated Press et Newsweek dans les années 80. Vous pouvez acheter ici son nouveau livre, le «Récit Volé de l’Amérique”, ou en version numérique (sur Amazon et barnesandnoble.com). Pendant une période limitée, vous pouvez aussi commander la trilogie de Robert Parry sur la famille Bush et ses rapports avec divers agents secrets de droite pour seulement $34. La trilogie inclut le « Récit Volé de l’Amérique”. Pour des détails sur cette offre, cliquez ici.

Source : Consortium News, le 28/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/comment-la-presse-de-washington-a-mal-tourne/