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[Reprise] L’Inde devrait se tenir à l’écart de la guerre contre l’État Islamique

Sunday 7 December 2014 at 01:45

Un regard d’un diplomate indien…

C’est la troisième fois que l’Inde a à choisir si elle entre ou pas dans la guerre des États-Unis contre le terrorisme. En 2001, le BJP [NdT : le parti Bharatiya Janata] penchait plutôt vers l’idée de rejoindre l’invasion de l’Afghanistan pour renverser le régime des Talibans. Mais les USA étaient plus intéressés à s’assurer le concours de “l’allié hors-OTAN” qu’est le Pakistan, et Perez Musharraf s’est précipité avec enthousiasme.

La deuxième fois est arrivée en 2003, quand, à l’occasion d’une rare visite aux États-Unis, le vice-premier ministre d’alors, L.K. Advani, a favorablement reçu la démarche du ministre des Affaires étrangères d’alors, Donald Rumsfeld, qui proposait à l’Inde de rejoindre la “coalition des volontaires” qui allaient envahir l’Irak. Mais cette folie d’Advani a été rectifiée juste à temps par le Premier ministre Vajpayee.

Maintenant, le Premier ministre Narendoo Modi fait face à un choix similaire : participer ou pas à la “coalition des volontaires” contre l’État Islamique en Irak et en Syrie. Les spécialistes indiens des questions de sécurité semblent être divisés.

Pour enfoncer le clou, Israël a également participé au plus haut niveau à ce qui semble avoir été une ultime tentative pour influencer la façon de voir de Modi, qui conserve apparemment un sens de la mesure dans son appréciation d’une hypothétique menace d’Al-Qaïda sur l’Inde.

Néanmoins, la situation paraît incertaine, avec la NSA [NdT : National Security Agency] qui a campé à Washington durant le week-end. Ce qui est source d’inquiétude est le fait que des “sources haut placées” au sein du gouvernement indien aient commencé à diffuser systématiquement des histoires alarmistes basées sur des conjectures et du renseignement de mauvaise qualité, à peine au-dessus du potin de commère (ici et ici).

Une telle gestion des médias suggère un plan bien calibré de formatage de l’opinion publique en faveur de “India and America chalein saath, saath” (“Inde et Amérique, allons ensemble de l’avant”).

Toutefois, l’Inde commettrait une erreur catastrophique en s’associant de quelque manière que ce soit à la “coalition des volontaires” US contre l’État Islamique. Le premier point à garder à l’esprit est qu’il s’agit d’une guerre ouverte. Le Premier ministre britannique David Cameron vient de prévenir qu’il pourrait s’agir d’une guerre qui durerait une génération. Est-ce que l’Inde possède l’endurance pour cela ?

Deuxièmement, les vies de plus de trois douzaines d’indiens aux mains de l’EI sont en jeu. Ne vous méprenez pas : l’État Islamique exercera des représailles face auxquelles l’Inde sera totalement impuissante, dans la mesure où les États-Unis ne seront pas capables de faire pour l’Inde plus que ce qu’ils ont été capables de faire pour leur premier allié, la Grande-Bretagne – rien.

La tactique de l’EI dans ce match est de forcer un Obama circonspect et un David Cameron réticent à déployer des troupes sur le terrain. Car ce point soulève de très sérieuses questions.

Clairement, les frappes aériennes n’accompliront rien. L’EI s’est déjà changé en une structure horizontale, sans QG ou Centre de Commandement et de Contrôle. Comme un expert du Moyen-Orient l’a formulé, il a commencé à opérer tel un “organisme semblable à un rhizome”. Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie que les USA et ses alliés se trouveront bientôt à court de “cibles”. Déjà, l’EI continue de gagner du terrain en dépit des frappes aériennes américaines. Ils viennent d’envahir une base irakienne avec des centaines de soldats et ont pris deux villes frontalières supplémentaires en Syrie.

En bref, le temps est proche où il faudra réfléchir à “que faire” après les frappes aériennes ? La décision de la Turquie de déplacer des troupes en Irak et en Syrie et d’occuper des territoires anticipe sur l’échec de la stratégie militaire américaine actuelle, qui se terminera en cul-de-sac peut-être même encore plus tôt que nous le pensons.

Encore une fois, la “coalition des volontaires” couve beaucoup trop de contradictions en son sein. Les États-Unis dépendent précisément de ces mêmes alliés du Golfe que Joe Biden, en tant que Vice-Président, a, au cours d’un discours à l’Université d’Harvard jeudi dernier, ouvertement reconnu être directement responsables de la création de l’EI.

Autrement dit, ces pays du Golfe et la Turquie (qui ont financé, équipé et aidé à la montée en puissance de l’EI) ont leurs propres objectifs, qui sont différents de ceux des États-Unis. Ainsi, l’administration Obama est confrontée au choix difficile consistant soit à se raconter des histoires sur ce que font ses partenaires au sein de la coalition, soit à défaire de son propre chef l’EI militairement en envoyant des troupes au sol – soit, plus vraisemblablement, à accepter à un moment donné l’émergence de l’EI comme un fait et à essayer de traiter avec lui.

Pour encore venir compliquer les choses, l’Arabie Saoudite dépasse dangereusement ses limites, parce qu’elle boxe au-dessus de son poids dans la politique régionale. Ses frontières avec l’Irak (900 km) et le Yémen (1 400 km) peuvent potentiellement devenir des routes d’infiltration pour Al-Qaïda. En outre, une guerre de factions larvée a lieu à l’intérieur même de la famille royale saoudienne à propos de la succession du roi Abdullah.

Qu’il suffise de dire que la crise de l’EI est en train de devenir une crise du Wahhabisme. La stratégie saoudienne consistant à utiliser des militants salafistes dans ses projets au cours des 30-35 dernières années en Afghanistan, au Pakistan, en Syrie et ainsi de suite a inévitablement abouti à une radicalisation salafiste menant à un mouvement néo-wahhabite métamorphosé, ce qui constitue précisément l’essence de l’État Islamique.

Combien de temps la jeunesse saoudienne, rétive et ambitieuse, pourra-t-elle être tenue à l’écart du charisme et du pouvoir d’attraction de l’État Islamique ? Telle est la question primordiale aujourd’hui.

Pour citer l’analyste du Moyen-Orient mentionné ci-dessus, “la ‘guerre’ au Moyen-Orient s’est transformée en une guerre entre le wahhabisme et d’autres orientations du salafisme, comme les Frères Musulmans (que les Saoudiens cherchent à présent à rendre responsables de l’émergence de l’État Islamique). C’est une guerre sunnites contre sunnites, de l’Arabie Saoudite wahhabite contre le Qatar wahhabite, des wahhabites Jabat An-Nusra contre l’EI, de l’Arabie Saoudite wahhabite et certains de ses alliés contre les Frères Musulmans.”

Nous avons là une poudrière, et une explosion ne peut être évitée. La probabilité la plus forte est celle d’une répétition de la révolution islamique de 1979 en Iran – cette fois-ci en Arabie Saoudite.

En tant qu’observateur d’Obama, mon intuition est qu’Obama tergiverse, car il saisit parfaitement ce qui est en jeu ici. Obama semble en passer par les résolutions sur les frappes aériennes sans réelle conviction parce qu’il sent l’extrême vulnérabilité de l’Arabie Saoudite.

Bien entendu, le paradoxe est que par leur passivité, les États-Unis pourraient finir par répéter leurs folies des années 70 en Iran – refuser de pousser l’Arabie Saoudite à se réformer, sentant la vulnérabilité du régime mais regardant comme un spectateur paralysé alors que l’EI marcherait jusqu’aux portes de Ryad. Mais de toute façon, qu’y peut Obama ? L’opinion publique américaine et le milieu politique ne laisseront pas passivement les USA mettre leurs “bottes sur le sol” pour sauver le régime saoudien.

En conséquence de quoi, l’Inde doit être d’une extrême prudence vis-à-vis des évènements qui sont en train de se dérouler. Il y a sept millions d’Indiens qui gagnent leur vie dans la région. Ils ne doivent pas être pris entre deux feux. Cela devrait être la première préoccupation.

Dans une perspective à plus long terme, l’Inde a besoin de réévaluer les potentialités et les dangers de la poussée de l’islam politique dans le Moyen-Orient. Si l’EI frappe aux portes de Riyad, l’écho s’en entendra jusqu’à Lahore.

Ce n’est pas une guerre contre la terreur. Les stratégies américaines d’alliance avec l’Arabie Saoudite, vieilles de plusieurs décennies, ont inexorablement mené à la situation explosive d’aujourd’hui. Le pacte faustien des Américains avec les Saoudiens est en train de s’effilocher. L’Inde n’a eu aucun rôle dans celui-ci et ne doit pas aspirer à y jouer un rôle aujourd’hui, quoi que Méphistophélès ait murmuré aux oreilles de Modi à New York.

De M K Bhadrakumar – le 5 octobre 2014

Source : Rediff, le 05/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-linde-devrait-se-tenir-a-lecart-de-la-guerre-contre-letat-islamique/