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[Reprise] Les combattants du bataillon d’Azov sont la meilleure arme de l’Ukraine mais aussi sa plus grande menace

Saturday 8 November 2014 at 02:00

Le désir de ses volontaires d’extrême droite d’« amener le combat à Kiev » est un danger pour la stabilité après le conflit

Shaun Walker à Marioupol

« Je n’ai rien contre les nationalistes russes ou la grande Russie », nous confie Dmitri pendant que nous fonçons au travers de la nuit obscure de Marioupol à bord d’un pickup, à l’arrière duquel se trouve une mitrailleuse. « Mais Poutine n’est même pas un Russe. Poutine est un Juif ».

Dmitri – nom d’emprunt selon son propre aveu – est originaire de l’est de l’Ukraine et membre du bataillon Azov, un groupe de volontaires très actif en première ligne dans la guerre que mène l’Ukraine contre les séparatistes pro-russes. L’Azov, l’une des nombreuses brigades de volontaires combattant aux côtés de l’armée ukrainienne dans l’est du pays, a acquis une réputation d’intrépidité au combat.

Mais l’inquiétude grandit au sujet de l’Azov et des autres bataillons de volontaires. Car même s’ils représentent les forces les plus puissantes et les plus fiables sur le champ de bataille contre les séparatistes, ils représentent aussi la menace la plus sérieuse contre le gouvernement ukrainien et peut-être même contre l’État lorsque le conflit se terminera à l’est. L’Azov est la source de préoccupations particulières en raison des penchants d’extrême droite, et même néo-nazis, de beaucoup de ses membres.

Dimitri prétend ne pas être nazi, mais ne tarit pas d’éloges sur Adolf Hitler en tant que chef militaire, et pense que l’holocauste ne s’est jamais produit. Tout le monde ne pense pas comme lui dans le bataillon Azov, mais après avoir discuté avec des douzaines de ces combattants, lors de nombreuses missions dans et autour de la ville portuaire stratégique de Marioupol au cours de la semaine passée, le Guardian a constaté que nombre d’entre eux ont des opinions politiques inquiétantes et que presque tous voulaient « porter la lutte à Kiev » une fois le conflit à l’est achevé.

Le symbole du bataillon évoque le « Wolfsangel » nazi, même si le bataillon prétend qu’il s’agit des lettres I et N entrecroisées pour symboliser l’« idée nationale ». Beaucoup de ses membres ont des liens avec des groupes néonazis, et même ceux qui sourient lorsqu’on les qualifie de néonazis sont peu convaincants dans leurs démentis.

« Bien sûr que non, tout cela est mensonger, c’est juste qu’il y a beaucoup de gens intéressés par la mythologie nordique », répond un combattant lorsqu’on lui demande s’il y a des nazis dans le bataillon. Lorsqu’on lui demande quelles sont ses idées politiques, il répond cependant « nationales socialistes ». Comme à propos de la swastika tatouée sur au moins un homme vu sur la base de Azov, « la swastika n’a rien à voir avec les nazis, c’est un ancien symbole du soleil », prétend-il.

Le bataillon a drainé des volontaires d’extrême droite étrangers, comme Mikael Skillt un suédois de 37 ans, formé comme tireur d’élite dans l’armée suédoise, qui se décrit comme un « nationaliste ethnique » et combat en première ligne du bataillon.

Malgré la présence de ces éléments, la propagande russe qui prétend que la « junte fasciste » de Kiev veut nettoyer l’est de l’Ukraine de tous les russophones est exagérée. Les Azov sont une minorité au sein des forces ukrainiennes, et même eux, aussi dérangeantes que soient leurs idées, ne sont pas anti-russes ; en fait la lingua franca utilisée par le bataillon est le russe, et c’est pour beaucoup leur première langue.

En fait, beaucoup de ce que disent les membres d’Azov sur les races et le nationalisme ressemble aux idées des plus radicaux parmi les nationalistes russes combattant du côté des séparatistes. Le bataillon a aussi un volontaire russe âgé de 30 ans et venant de Saint-Pétersbourg qui refuse de donner son nom. Il dit apprécier de nombreux commandants rebelles russes, surtout Igor Strelkov, un ancien agent du FSB qui a une passion pour les reconstitutions de batailles militaires et qui se voit lui-même comme un agent tsariste. Il veut « ressusciter la grande Russie », affirme le volontaire, mais Strelkov n’est qu’un « pion dans le jeu de Poutine », et il espère que la Russie aura dans quelque temps son propre « Maïdan nationaliste et violent ».

Une après-midi plus tôt dans la semaine, le Guardian progressait avec un groupe de combattants Azov apportant des caisses de munitions aux gardes-frontières ukrainiens. Pendant une attaque d’artillerie à l’extérieur de Marioupol les jours précédents, les gardes-frontières étaient venus en renfort des combattants Azov et les munitions étaient leur façon de les remercier. « Tout dans cette guerre est basé sur des relations personnelles, Kiev ne fait rien » explique le volontaire russe du bataillon Azov, alors que nous roulions à grande vitesse dans une Chevrolet banalisée en direction d’un barrage, le coffre plein de caisses de munitions et de lance-grenades, une des fenêtres détruites par un tir lors d’un combat récent.

« C’est comme cela que ça marche. Vous allez sur un point chaud, il vous trouvent courageux, vous échangez vos numéros de téléphone, et la prochaine fois vous pourrez demander de l’aide. Si vous avez besoin d’un tir d’artillerie, vous pouvez appeler un général et cela prendra trois heures, et entretemps vous serez mort. Ou vous pouvez appeler le capitaine ou le lieutenant qui commande le bataillon d’artillerie et ils vous aideront immédiatement. Nous sommes Azov et ils savent que si jamais ils avaient besoin de nous, nous serions là pour eux. » Concernant les commandants et les généraux à Kiev, que beaucoup dans l’Azov et dans d’autres bataillons de volontaires considèrent comme responsables des pertes terribles subies par l’armée ukrainienne au cours des dernières semaines, en particulier lors de la retraite malheureuse de Ilovaysk, il n’y avait que du mépris. « Les généraux comme ceux responsables d’Ilovaysk devraient être emprisonnés pour trahison », a déclaré Skillt. « Des têtes vont tomber, je pense qu’il y aura une lutte pour le pouvoir.»
Les forces armées ukrainiennes sont « une armée de lions menée par un mouton », dit Dimitri, et cette situation ne peut durer. Avec tant de jeunes gens revenant du front, armés, aguerris et en colère, il y a un risque pour que « couper des têtes » soit plus qu’une métaphore. D’après Dimitri, l’Ukraine a besoin qu’« un dictateur fort prenne le pouvoir, qui pourrait verser beaucoup de sang mais unira la nation ce faisant ».

Parmi les membres du bataillon Azov que le Guardian a interrogés, beaucoup partagent ce point de vue, très éloigné des idéaux européens et de démocratie qui guidaient les premières manifestations à Kiev. D’après le volontaire russe combattant avec le bataillon Azov, l’Ukraine a besoin « d’une junte qui restreindra les droits civiques pendant un moment, mais aidera à rétablir l’ordre et l’unité du pays ». Ce courant rigoriste est manifeste dans le bataillon. Boire y est strictement interdit. « Un jour où l’un des gars s’était saoulé, le commandant l’a frappé au visage et aux jambes jusqu’à ce qu’il ne puisse plus bouger; ensuite il a été viré », raconte fièrement l’un d’eux.

D’autres bataillons de volontaires ont été sous les feux de la rampe. Cette semaine, Amnesty International a demandé au gouvernement Ukrainien d’enquêter sur des violations des droits et de possibles exécutions commises par le Aïdar, un autre bataillon.

« L’échec de mettre fin aux abus et aux crimes de guerre suspectés des bataillons de volontaires risque de fortement aggraver les tensions dans l’est du pays et de décrédibiliser les intentions des nouvelles autorités ukrainiennes de faire respecter et de renforcer l’état de droit », affirme Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International à Kiev. Les combattants du bataillon ont déclaré au Guardian le mois dernier qu’ils s’attendaient à une « nouvelle révolution » en Ukraine qui amènerait au pouvoir un chef militaire plus résolu, en accord avec le sentiment de nombreux combattants Azov.

Malgré le désir de beaucoup parmi les Azov d’amener la violence à Kiev quand la guerre à l’est sera terminée, le bataillon reçoit des fonds et de l’assistance du gouverneur de la région de Donetsk, l’oligarque Serhiy Tarouta. Un des conseillers de Tarouta, Alex Kovjoun, a affirmé que les idées politiques de certains membres d’Azov ne posaient pas de problème, et niait que le symbole du bataillon ait des relents nazis.

« Leur point de vue ne regarde personne tant qu’ils respectent la loi », a déclaré Kovjoun en répondant par écrit à des questions. « Et le symbole n’est pas nazi, croyez moi, des membres de ma famille sont morts dans des camps de concentration, aussi ai-je le nez fin pour débusquer la merde nazie ».

Outre ses missions sur la ligne de front, le bataillon Azov fonctionne aussi comme « une sorte d’unité de police », a déclaré un commandant de section dont le nom de guerre est Kirt. Un passionné d’histoire médiévale qui participe à des reconstitutions de batailles Viking, ex-dirigeant d’une compagnie de voyage en Thaïlande, Kirt est revenu dans l’est de l’Ukraine pour rejoindre le bataillon Azov. Il a emmené le Guardian sur une ronde de nuit dans la banlieue de Marioupol et les villages autour de la ligne de front.

En partie chasseurs de séparatistes, en partie flics de rue sans règles pour les freiner, ils roulaient dans un convoi de trois véhicules, tous lourdement armés. À l’approche de minuit, nous avons parcouru les routes mal goudronnées de la banlieue de Marioupol, et nous sommes vite tombés sur une voiture garée sur le bas-côté que les hommes trouvaient suspecte.

Des combattants ont sauté des deux premières voitures et se sont précipités vers le véhicule, leurs pistolets pointés dessus. Un homme surpris est sorti du siège passager, puis une femme d’allure banale, vêtue d’une robe de cocktail, une cigarette à moitié consumée à la main, en a émergé en se recoiffant. Les combattants d’Azov se sont excusés, mais seulement après avoir exigé les papiers et fouillé la voiture minutieusement.

Comme nous nous approchions de la ligne de front, Kirt et les autres ont scruté l’horizon avec leurs jumelles, à la recherche de tireurs embusqués et de séparatistes. Plus tard, les combattants se ruèrent sur une jeep suspecte stationnée sur la plage, tout en scrutant la mer à la recherche d’un navire hostile; mais il s’avéra qu’encore une fois ils étaient tombés sur des personnes qui voulaient juste se distraire : un groupe de femmes qui buvaient du mousseux dans des tasses en plastique sur le front de mer.

Les Azov ont partiellement été intégrés à l’armée, et fonctionnent officiellement comme une unité de police spéciale. À l’issue du conflit, Azov et d’autres bataillons pourraient être intégrés soit à l’armée soit aux forces spéciales.

Certains d’entre eux, cependant, espèrent que l’Ukraine sera très différente dans un futur proche. Et bien qu’ils ne soient qu’une infime minorité dans l’ensemble de la population ukrainienne, ils sont fortement armés.
« C’est l’affaire de quelques mois avant que le président Petro Porochenko ne soit tué, et un dictateur arrivera alors au pouvoir », dit Dimitri.

« Que pourra faire la police? Ils n’ont rien pu faire contre les manifestants pacifiques du Maïdan ; ils ne pourront guère résister à des unités combattantes armées. »

Source : Shaun Walker, The Guardian, 10/09/2014. Traduction collective par les lecteurs du site www.les-crises.fr, librement reproductible en indiquant la source.


The Guardian, mercredi 10 septembre 2014

Un soldat du bataillon d’Azov posant près d’un véhicule blindé de transport de troupes à un point de contrôle de Marioupol le 4 septembre 2014. Photographe: Vassili Fedosenko/REUTERS

Source: http://www.les-crises.fr/les-combattants-du-bataillon-d-azov/