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[Reprise] Manipulation à Paris, par Horace Campbell

Monday 2 February 2015 at 01:47

Racisme, islamophobie et crise du capitalisme en Europe
par HORACE G. CAMPBELL, professeur d’études Afro-Américaines et de Science Politique à l’Université de Syracuse

“Dimanche dernier, plus d’un million de personnes se sont jointes aux 40 présidents et premiers ministres dans les rues de Paris dans la démonstration la plus marquante de solidarité occidentale contre la menace de l’extrémisme islamiste qui se soit déroulée depuis les attaques du 11 septembre 2001. Répondant aux attaques terroristes qui tuèrent 17 personnes en France et captèrent l’attention du monde entier, des juifs, des musulmans, des chrétiens, des athées et des personnes de toutes races, âges et couleurs politiques, se sont regroupés en masse au centre de Paris sous un grand ciel bleu, appelant à la paix et à la fin de la violence extrémiste.”
- New York Times, lundi 12 Janvier 2015

C’est de cette manière que les journaux occidentaux ont commenté la gigantesque manifestation du dimanche 11 janvier à Paris où des millions de personnes se sont rassemblées en une manifestation de leur solidarité avec le pouvoir politique français. La Une du New York Times titrait : “Démonstration géante de solidarité à Paris contre le terrorisme”. Le Los Angeles Times mettait en gros titre “La France unie contre la terreur : plus d’un million de manifestants remplissent les rues de Paris pour honorer les victimes clamant : ‘Nous n’avons pas peur !’” Le même article rapporte que le président François Hollande aurait déclaré que “Paris est aujourd’hui la capitale du monde.”

Quelle est la signification de cette manifestation géante, censée être une réponse au massacre de 17 personnes durant la semaine du 5 au 10 janvier ?

Dans cet article, l’auteur se joindra à la condamnation de l’attaque de Charlie Hebdo et de l’assassinat de ses journalistes. Il doit ici impérativement être dit que cet auteur défend la liberté d’expression sans endosser le contenu du discours. De ce fait, je dénonce sans aucune équivoque ces tueries en France. L’usage de la satire pour camoufler une parole raciste et agressive est pour autant inacceptable et doit être dénoncé pareillement.

Il est également urgent que les forces progressistes travaillent à ce que les tueries et les manifestations de masse ne soient pas tournées en instruments de manipulation, visant à pousser la population laborieuse au racisme, à l’islamophobie et autres formes de chauvinisme et de nationalisme européen extrême. Même les principaux grands médias comme Reuters écrivent maintenant “Retombées de l’attaque sur Charlie Hebdo : le spectre d’un passé fasciste hante le nationalisme européen”. Ce spectre du fascisme doit être pris sérieusement en considération car le fascisme émerge toujours en situation de crise du capitalisme dans les moments où les éléments dirigeants incitent au chauvinisme et au racisme pour détourner l’attention des masses laborieuses afin de les empêcher de se mobiliser contre la classe capitaliste. Telle fut concrètement l’expérience vécue durant la dernière grande dépression du capitalisme.

La France, comme le reste de l’Europe, a été prise dans une triple crise – la crise bancaire, la crise de la dette souveraine et l’avenir de l’euro en tant que devise internationale viable. Ces trois crises ont engendré une quatrième conséquence mortelle, celle de la crise politique et du problème de la légitimité de l’actuel système politique et économique. Dans toute l’Europe, les gouvernements ont institué des mesures d’austérité qui obligent les masses laborieuses à supporter le coût de l’imprudence des banquiers. Jusqu’à présent, les mesures d’austérité visant à sauver le système bancaire ont échoué à stabiliser le système. L’Europe fait désormais face à une déflation et à l’aggravation de sa récession économique. Bien que le système en étages hiérarchisés de l’Europe, avec l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas à son sommet, ait cherché à présenter la crise de l’Eurozone comme une conséquence de problèmes liés à l’indiscipline fiscale des dirigeants du Portugal, de l’Irlande, de l’Italie, de la Grèce et de l’Espagne, les dirigeants politiques français avaient espéré que ses outils internationaux d’accumulation et d’exploitation en Afrique et Asie occidentale, sauveraient le système capitaliste en France. Depuis 2008, les trois principales banques françaises, le Crédit Agricole, BNP Paribas et la Société Générale, furent les institutions financières présentant le risque systémique le plus élevé en Europe. (1) Les études de l’index du risque systémique européen ont averti de la surexposition de ces banques et de la nécessité de milliards de dollars de nouveaux fonds propres pour préserver la solvabilité du système bancaire français, surexposé en Grèce.

En Grèce et en Espagne, des mouvements populaires sociaux appellent à un nouveau contrat social, à de nouvelles formes de politiques et à l’abandon des mesures d’austérité visant à sauver les banquiers. Les présidents français, Nicolas Sarkozy et François Hollande, ont parcouru le monde en vue de créer des alliances contre les travailleurs de France tout en soutenant un climat de racisme, d’islamophobie, de xénophobie ainsi qu’un climat de peur et d’insécurité. Dans cet environnement politique, le parti d’extrême droite marginalisé appelé Front National s’est progressivement révélé comme une force dominante de la politique française.

A l’international, la France s’est retrouvée isolée suite à sa double politique étrangère, cherchant à monter la Chine contre les USA, la Russie contre l’Allemagne, les USA contre la Chine, puis en travaillant avec Israël, l’Arabie Saoudite et la Turquie contre les USA sur la question du nucléaire iranien. Les Français ont également été à l’avant-poste pour travailler avec les forces conservatrices en Arabie Saoudite et en Turquie afin de supprimer le régime d’Assad en Syrie. Ces différentes formes de manipulation sont devenues une impasse dès que les citoyens français ont pris conscience de la crise sociale et économique de la société européenne.

C’est dans ces moments-là, lorsque les passions et les émotions sont exploitées par les médias pour promouvoir la peur et un climat d’insécurité, que les journalistes progressistes et les journalistes d’investigation sont sollicités pour enquêter pleinement sur les diverses forces en jeu dans la nouvelle guerre déclarée contre l’Islam radical. Il doit y avoir une mobilisation internationale pour révéler les forces réelles derrière le meurtre des journalistes et de la vigilance de sorte que cette manipulation ne reproduise pas le fanatisme religieux nourri par les forces néoconservatrices en Amérique du Nord, en Europe et en Asie de l’Ouest. Il faut que la conscience politique des jeunes s’élève pour s’opposer au racisme et à l’extrémisme religieux afin qu’ils ne soient pas manipulés comme les frères Kouachi. Il faut également une mobilisation pour une alternative à ce système qui soutient les banquiers au détriment des travailleurs partout dans le monde. La lutte pour la liberté d’expression, la liberté de réunion, la justice sociale et la liberté économique ne devraient pas être réservées à une partie de l’humanité.

Le contexte : le Front National et la dominance dans la politique française

Depuis la crise financière massive de 2008, les travailleurs européens ont subi l’austérité infligée par les leaders politiques. En France, l’électorat a voté pour amener au pouvoir le Parti Socialiste conduit par François Hollande, en mai 2012, à la suite de Nicolas Sarkozy qui avait gouverné au nom des riches. Selon les médias, François Hollande a remporté le pouvoir en France dans le but d’inverser la tendance à droite et la xénophobie dans la politique européenne. Durant la campagne électorale, Hollande s’était engagé à transformer la gestion de la crise économique par l’Europe en luttant contre les mesures d’austérité menées par l’Allemagne. Ces promesses se sont volatilisées dès que Hollande est entré en fonction ; les “socialistes” ont poursuivi la même politique, rude et impériale, que les forces conservatrices de Sarkozy.

Au lieu de faire face aux banquiers, Hollande a institué des mesures d’austérité. Aux élections européennes de 2014, le parti d’extrême droite Front National qui était perçu auparavant comme un parti marginal a émergé comme le parti dominant. Le Front National mené par Marine Le Pen a fait campagne sur la délinquance, l’immigration et la xénophobie, en promouvant l’islamophobie. Ce fut également une force antisémite dans le corps politique français.

Ce parti a été fondé par Jean-Marie Le Pen qui avait fait partie des classes sociales terrorisées après les soulèvements de mai 68 à Paris. Jean-Marie Le Pen avait fait partie des forces françaises humiliées par le Vietnam à Dien Bien Phu en 1954 et faisait également partie des forces qui avaient dû faire retraite à Suez en 1956. Le Pen était un officier du renseignement dans l’entreprise infructueuse d’empêcher la décolonisation de l’Algérie. Ces expériences ont laissé une marque indélébile sur des citoyens tels que Le Pen, qui désiraient ardemment que la France revienne à son apogée comme puissance coloniale dans la politique internationale. A l’époque où le mouvement anti-apartheid global devenait une force politique dans le monde entier, le Front National restait un mouvement marginal, périphérique et extrême en Europe. Le Pen a été plusieurs fois condamné pour racisme et incitation à la haine raciale. En 1987 il a qualifié les chambres à gaz nazies de “détail de l’histoire de la deuxième guerre mondiale”. Le Front National était antisémite, antimusulman et raciste. En 2011, le père a transmis la direction à sa fille dont le plan était de présenter un visage plus aimable et plus doux pour une politique autoritaire et nationaliste de droite. En face de l’effondrement de la base du Parti Socialiste et de la faiblesse des forces de gauche en France, le Front National a exploité la peur des travailleurs français exploités et, aux élections européennes de mai 2014, il a émergé comme le premier parti politique.

Les résultats ont donné 25% des votes au Front National. C’était la première fois que le FN dépassait tous les autres partis dans un contexte électoral, arrivant en tête avec un quart des votes. L’opposition UMP de droite conservatrice qui avait été menée par Nicolas Sarkozy a obtenu 20%, et les socialistes au pouvoir sont arrivés en troisième position avec 14%. Les politologues, qui ont suivi les hauts et bas du système français, avaient prédit que le parti d’extrême droite FN de Le Pen pouvait gagner cette élection, mais une victoire à une telle échelle a fortement secoué la presse et la classe politique française. A Lisieux, le FN n’avait même pas de candidat aux élections européennes de 2009 du fait que le candidat d’extrême droite n’avait fait qu’un peu plus de 2%. Cette fois-ci le FN a fait 27,5%.

Les journaux rapportent qu’aux élections présidentielles prévues en mai 2017, Mme Le Pen pourrait faire une échappée victorieuse. La France s’est inclinée si loin vers la droite que le leader du parti socialiste est devenu encore plus impopulaire que Nicolas Sarkozy avec 13% de soutien de la population votante. Suite à sa première entrée au Sénat en automne 2014, il y a eu une vraie panique au sein de la classe dirigeante qui voulait présenter la France comme un modèle de tolérance et d’ouverture. Cependant, la crise sociale et économique réelle ne peut pas être passée sous silence.

Le système bancaire français survivra t-il ?

Dans cette lutte mortifère engagée entre les capitalistes français et allemands, ces derniers ont réussi à dominer la Banque Centrale Européenne et à s’assurer que l’euro serve les intérêts des banquiers et des industriels allemands. La France est restée un partenaire mineur de l’Allemagne et veille jalousement sur les réserves de 18 états africains afin de s’asseoir à la table des capitalistes européens avec une certaine autorité. Après 2007, quand la crise financière du capital global est survenue, les USA ont pu présenter l’image d’un rétablissement en maximisant le “privilège exorbitant” du dollar et en imprimant des dollars dans le cadre du système d’achat de bons du trésor alors appelé “Quantitative Easing” (“Assouplissement Quantitatif”). Les banquiers européens, sous la pression des forces conservatrices allemandes, n’ont pas été aussi brillants pour proposer des mesures de “relance” similaires afin de sauver les banques ; d’où les mesures d’austérité draconiennes déclenchées contre les travailleurs en Europe. Dans des sociétés comme la Grèce et l’Espagne, ces mesures ont créé des problèmes majeurs en impliquant des réductions drastiques des dépenses publiques. Le chômage en Grèce et en Espagne a bondi au-dessus de 25% quand les austères politiques néolibérales ont été promues par les établissements de l’Union Européenne (Conseil de l’Europe, Commission Européenne et Banque Centrale Européenne) et par le Fonds Monétaire International. Ces trois entités sont surnommées “la Troïka”.

Les banques françaises étaient surexposées en Grèce et en juin 2011 ces banques avaient détenu 93 milliards de dollars de dette grecque. Au point culminant de la guerre de l’OTAN pour sauver l’euro en Afrique du nord en 2011, le président Nicolas Sarkozy avait annoncé un plan de refinancement de la dette alors accepté par les banques françaises et qui pouvait fournir le cadre d’un plan international de plus grande ampleur, visant à faire respirer des banques percluses de dettes. C’était un plan de refinancement sur trois ans, et à la fin de l’année 2014 la France a dû se mettre en quête de nouvelles options, en particulier avec l’écroulement du gouvernement en Grèce.

En 2013, l’agence de notation de crédit de Wall Street, Standard & Poor, a publié un avis de dégradation de la note triple-A de la France. Les principales banques françaises qui avaient jonglé entre leur soumission à l’Allemagne et leur domination d’états africains, ont été averties que le capital globalisé voulait encore plus de mesures drastiques à l’encontre des travailleurs français. Suite à l’avis de Standard & Poor, dans une tentative de rassurer Wall Street et d’augmenter leur réserve de capital, les trois principales banques françaises ont détaillé des plans de restructuration importants. BNP Paribas SA, Société Générale SA et Crédit Agricole SA ont annoncé la suppression de quelques milliers d’emplois ainsi que leur intention de cesser plusieurs de leurs activités, et de fermer certaines de leurs filiales dans le monde.

Une étude de la JP Morgan a montré que la banque française Crédit Agricole était la plus exposée des banques commerciales européennes. Ce genre de pression a effrayé les spéculateurs et conduit les dirigeants politiques français à une diplomatie mondiale intense afin de sauver la forme actuelle du capitalisme français.

La diplomatie de Sarkozy et Hollande à la rescousse du système bancaire français

Quand les Français ont déclenché la guerre au peuple de Libye en 2011, le président français Nicolas Sarkozy avait fait la promesse suivante : “Nous nous battrons pour sauver l’euro”. Sarkozy s’est déplacé en Chine et a promis à cette dernière qu’elle aurait sa part du butin après la guerre tout en lui demandant d’investir dans les banques françaises en faillite. Sarkozy a fait des promesses qu’il ne pouvait pas tenir, cherchant à former une alliance avec les dirigeants chinois contre les États-Unis. Les élections de 2012 ont chassé Sarkozy à cause de sa politique clairement et ouvertement favorable aux plus riches en France.

François Hollande est devenu président en 2012 et a poursuivi les mêmes mesures d’austérité que Sarkozy en France, tout en intensifiant une politique étrangère pleine de duplicité. Là où Sarkozy évoquait des raisons géopolitiques pour une alliance avec le capitalisme chinois, Hollande a invoqué les liens « socialistes » entre le capital français et chinois. Lors de son premier voyage à Pékin, Hollande a promis de travailler avec la Chine à promouvoir un nouvel ordre international “multipolaire”. C’était un effort évident pour une alliance avec la Chine contre les USA. Hollande a imposé le retour des objets culturels pillés qui avaient été volés en Chine par les forces coloniales françaises en 1860. Ce geste de réparation a été apprécié, mais Hollande a quitté la Chine quasiment les mains vides.

Les Chinois planifient à long terme, sans la contrainte de mandats électoraux à renouveler, ils ont écouté avec politesse les suppliques de Hollande. Au Moyen-Orient, le même Hollande a travaillé avec l’Arabie Saoudite, Israël et la Turquie à « Otanosaboter » les négociations sur le nucléaire iranien. Conjointement avec Israël et l’Arabie Saoudite, la France s’est associée avec les djihadistes, qui devaient former l’Etat Islamique, pour créer des ravages en Syrie. Lorsqu’en 2013 les États-Unis ont refusé d’envoyer des troupes au sol en Syrie pour renverser le régime d’Assad, la France a flatté les saoudiens en vue d’un énorme contrat d’armement et cherchait à réaffirmer son influence au Levant (Liban, Turquie, Syrie). C’était la même France qui avait été à la pointe de l’opposition contre l’adhésion pleine et entière de la Turquie à l’Union européenne.

Hollande n’a cessé de voyager (Grande-Bretagne, Brésil, Allemagne, Russie et toute l’Afrique), recherchant des solutions à condition qu’elles ne signifient pas la nationalisation des banques et la rupture avec la troïka. Dans une visite d’état aux États-Unis en février 2014, François Hollande a supplié l’administration Obama de le soutenir, se référant à la longue alliance entre la France et les États-Unis depuis la guerre d’indépendance américaine. La France avait été tellement occupée qu’elle s’était isolée et qu’elle n’était pas certaine de sa position dans le cadre des discussions avec Washington. Le mécontentement et les différences entre les États-Unis et la France ont été clairement mis au jour au cours de la conférence de presse de la NSC, où la rhétorique habituelle sur le traitement des problèmes de sécurité en Afrique ne pouvait cacher le fossé profond entre l’impérialisme américain et l’opportunisme français.

Les tensions entre la France et les États-Unis ne pouvaient plus être masquées, même après que Hollande se soit rendu à Monticello (en Virginie) à la maison de Thomas Jefferson pour célébrer l’histoire des “valeurs communes de la démocratie”. Après avoir voyagé en Chine, en Inde, au Brésil, en Afrique du Sud en proclamant que la France voulait soutenir un nouveau monde multipolaire, quand est venu enfin le temps de proclamer cette nouvelle situation internationale, François Hollande s’est mis à plat ventre et a répété des platitudes sur le partenariat avec les États-Unis pour la sécurité internationale. Dans son discours, Hollande a déclaré : “Il y a dix ans, peu de gens auraient imaginé nos deux pays travaillant en étroite collaboration sur bien des aspects mais notre alliance s’est transformée au cours des dernières années. Depuis le retour de la France dans le commandement militaire de l’OTAN il y a quatre ans, en cohérence avec notre engagement continu à renforcer le partenariat OTAN-Union européenne, nous avons élargi notre coopération dans tous les domaines. Nous sommes des nations souveraines et indépendantes qui fondons nos décisions en fonction de nos intérêts nationaux respectifs. Pourtant, nous avons été capables de passer à un nouveau niveau d’alliance car nos intérêts et valeurs sont encore plus proches.”

Pour aggraver les problèmes du système bancaire français, la banque BNP Paribas a été condamnée à une amende de 10 milliards de dollars pour avoir enfreint la règle des sanctions américaines. Dans la concurrence acharnée entre les oligarques de la finance, la plus grande banque cotée de France avait été mise en examen par les autorités américaines pour non-respect des sanctions américaines, principalement sur le Soudan, l’Iran et la Syrie, entre 2002 et 2009. Lorsque la banque française a été condamnée, Hollande a protesté vigoureusement auprès d’Obama, jugeant l’amende disproportionnée. Un cas similaire contre la Royal Bank of Scotland (RBS) en décembre 2013 a obligé le groupe bancaire britannique à payer 100 millions de dollars d’amende.

Panique à Berlin et Paris

Lorsque, en Grèce, les mesures d’austérité ont provoqué une crise politique en décembre (2014) entraînant la chute du gouvernement et l’appel à de nouvelles élections, un vent de panique a soufflé sur toute l’Europe. Les banquiers et les financiers craignaient que l’élection d’un parti non impliqué dans les mesures d’austérité n’affaiblisse le capital mondial en Europe. Selon The Economist, “le marché boursier d’Athènes a baissé de près de 5% en une seule journée, les actions des banques chutant d’encore plus, les rendements obligataires grecs à 10 ans s’élevant à leur plus haut niveau pour 2014 à 9,5% (plus de sept points au-dessus des rendements italiens). La raison de cet énervement collectif est que les sondages indiquent une victoire électorale pour Syriza, le parti populiste d’extrême-gauche dirigé par Alexis Tsipras. Bien que M. Tsipras dise qu’il veut maintenir la Grèce dans la zone euro, il veut aussi amoindrir la plupart des conditions attachées à son renflouement, supprimant l’austérité, annulant les réductions du salaire minimum et des dépenses publiques, les ventes d’actifs dépréciés et en cherchant à répudier une large part de la dette. Un tel programme semble, pour le moins, ne pas coïncider avec la poursuite de l’adhésion de la Grèce à la monnaie unique”.

Les travailleurs grecs ont ressenti la même douleur que les travailleurs et paysans pauvres ressentent partout au Sud de la planète. Le chômage a atteint plus de 25 pourcent et les suicides ont doublé. Dans un livre publié en 2013, « Le Corps économique : Pourquoi l’austérité tue » de David Stuckler et Sanjay Basu, les auteurs dépeignent l’effondrement des services sociaux en Grèce et l’incroyable coût de l’austérité. Lorsque, en décembre, les élections grecques ont été décidées et que les sondages ont souligné la possibilité de la victoire d’un parti qui ne poursuivrait pas la politiques de la troïka, cela a déclenché la panique à Berlin et Paris.

La France et les djihadistes

Depuis les guerres coloniales d’Indochine et d’Afrique, les classes dominantes françaises ont compté sur le racisme et le chauvinisme pour gagner le soutien des travailleurs. En Afrique du Nord et en Asie de l’Ouest, la France a soutenu des djihadistes tout en proclamant que la guerre contre la terreur était au centre de ses préoccupations. Cette manipulation était évidente au Mali et en Afrique du Nord où la France a manigancé la montée des rebelles touaregs : ses seules fins étant de déclencher un exercice d’intervention militaire afin de combattre ces mêmes forces qu’elle avait mobilisées et soutenues. De même, la France et la branche des services de renseignements américains dirigée par le Général Patraeus ont repris la Libye et ont recruté des djihadistes afin qu’ils se battent en Syrie, alors même que l’on proclamait au monde entier que la France était opposée au terrorisme. Deux ans plus tard, en mars 2013, le gouvernement socialiste de Hollande a soutenu les rebelles de la Seleka en République Centrafricaine pour évincer le président François Bozize. En effet, la France avait accusé ce dernier d’avoir signé des contrats favorables à la Chine et l’Afrique du Sud. Moins d’un an plus tard, elle mobilisait le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour combattre les rebelles de la Seleka. Ceux-là mêmes que la France avait assistés en 2013 dans leur conquête du pouvoir en Centrafrique.

C’est ce passif de duplicité qui rend la version française des événements du 7 janvier encore plus invraisemblable. Les autorités françaises voudraient nous faire croire qu’après avoir emprisonné les frères Kouachi (Cherif et Saïd) pendant plus de 10 ans, elles ont soudain cessé leur surveillance, six mois avant qu’ils n’aient prétendument attaqué les locaux de Charlie Hebdo. Encore plus étrange, le fait que le commissaire Helric Fredou se soit donné la mort la nuit des attaques en question. Helric Fredou, directeur adjoint de la police régionale de Limoges depuis 2012, était l’un des officiers supérieurs qui aurait pu attester la relation entre les services de sécurité français et les frères Kouachi. Les prétendus terroristes, tués par la police le 9 janvier, avaient eux mêmes fréquenté un des lycées de la région de Limoges. Le Commissaire Fredou avait donc envoyé une équipe de police sous sa responsabilité afin d’interroger les proches d’une des victimes de Charlie Hebdo et avait été informé des comptes rendus. Il a été déclaré dans les médias qu’immédiatement après en avoir eu connaissance, Fredou a commencé son rapport. Resté tard au siège de la police pour le rédiger, il a été retrouvé mort d’un coup de revolver à une heure du matin le jeudi. Le rapport qu’il était en train d’écrire n’a jamais été retrouvé.

Qui profite de l’intensification de l’alarmisme et de l’insécurité

La popularité de l’extrême droite en France et en Europe a conforté les banquiers dans l’idée que l’austérité pouvait être masquée par le racisme. La police tuant des pauvres, particulièrement des noirs et basanés aux États-Unis, a suscité un mouvement robuste prêt à défier le racisme des blancs dans la rue. En France, les classes ouvrières sont plus divisées et la montée du racisme envers les immigrants et les musulmans a atteint des sommets sans précédents. Le Premier ministre a rendu la situation encore plus alarmante le samedi 10 janvier lorsqu’il a déclaré que la France était en guerre avec l’Islam radical. L’islamophobie, l’austérité et les divisions font émerger ces mêmes forces qui interdisent la liberté d’expression dans d’autres parties du globe. Un des chefs d’état le plus opportuniste, présent en France dimanche dernier, était probablement le premier ministre de l’état d’Israël, actuellement en campagne pour sa réélection. L’occupation de la Palestine et la guerre criminelle d’Israël contre les citoyens désarmés de Gaza avait isolé les conservateurs israéliens des parlementaires européens, ces derniers votant pour la reconnaissance de l’Autorité Palestinienne. La semaine même des attentats contre Charlie Hebdo, les médias ont relaté que plus de 2 000 citoyens innocents avaient été massacrés à Gara, au Nigéria, par des membres de Boko Haram. Aucun mot de solidarité envers les défunts n’a été prononcé lors du grand rassemblement à Paris.

Deux jours après la tuerie à la rédaction de Charlie Hebdo, il y a eu la prise d’otage à l’épicerie casher. Voici qu’apparaît un nouvel individu qui était sous la surveillance des autorités françaises depuis des années. Ahmed Coulibaly, qui aurait pris en otage l’épicerie casher, était un autre “terroriste” sous surveillance depuis des années. Même après avoir été surveillé et accusé de frayer avec des terroristes, quelques mois avant son arrestation en 2010, Coulibaly a rencontré Nicolas Sarkozy lors d’une conférence à l’Elysée ayant pour thème “les jeunes privés de leurs droits”.

C’est la même personne qui, nous dit-on, était un dangereux terroriste. Coulibaly a été libéré de prison en mars 2014.

Vigilance et organisation

L’auteur condamne sans équivoque l’assassinat de journalistes et d’autres civils innocents. Il condamne le racisme, l’antisémitisme, l’islamophobie et la xénophobie. Mais condamner n’est pas suffisant. Les progressistes ne peuvent rester les bras croisés alors qu’une guerre religieuse attise les passions parmi les jeunes des classes populaires qui sont exploités et marginalisés. Ceux qui n’ont pas accepté la propagande de guerre massive pour sauver la liberté d’expression se demandent pourquoi six mois avant les attentats, l’appareil de sécurité français a mis fin à la surveillance de ces trois hommes. Pourquoi le commissaire de police qui connaissait le mieux ces trois hommes s’est-il suicidé ? Ou bien s’est-il vraiment suicidé ?

Que ce soit en étant aux côtés des djihadistes en Libye, en travaillant des deux côtés de la sale guerre en Algérie, en manipulant les Touaregs au Mali, ou bien en travaillant avec les saoudiens, les services secrets et la sécurité français ont travaillé en étroite collaboration avec des branches du renseignement et des militaires américains pour maintenir la flamme ardente de la guerre et de l’insécurité. Comme mentionné sur le blog du parti socialiste,

“Il n’est tout simplement pas crédible que les trois hommes soient capables d’imaginer et de réaliser un plan élaboré nécessitant des armes automatiques et des explosifs sans la complicité passive, voire active, d’éléments de l’appareil d’état. Plus étrange encore, la fuite apparente de l’amie de Coulibaly, Hayat Boumeddiene, qui est également recherchée afin d’être interrogée au sujet des attentats. Bien des détails restent flous, mais elle a évité toutes les mesures de détection dans sa fuite de France vers l’Espagne où elle a pris un vol pour la Turquie et a ensuite rejoint la Syrie.”

La collaboration ouverte et occulte des agences de renseignement et de sécurité avec les organisations islamiques extrémistes a une longue histoire. La France tient fermement à ses territoires coloniaux (comme la Martinique, la Guadeloupe et Cayenne) et à l’exploitation des populations pauvres. Mais la crise du système bancaire français a créé une situation sans précédent. Lors de la dernière dépression, la France pouvait transférer une partie des coûts de la crise sur les villages d’Afrique. Maintenant les mouvements d’indépendance africains s’opposent à la mainmise française sur leurs ressources tandis que la Chine empiète sur les alliés traditionnels de la France dans des endroits tels que le Cameroun, le Congo Brazzaville et la République démocratique du Congo.

Les élections à venir en Grèce et l’importante mobilisation des travailleurs et des étudiants en Espagne ouvrent la perspective de nouvelles politiques en Europe isolant l’extrême droite et les forces racistes. Alors que le projet européen se délite, la militarisation de la société afin de lutter contre le terrorisme peut rapidement être détournée vers une mobilisation des troupes contre les travailleurs, les étudiants et les paysans qui s’opposent aux mesures d’austérité. Si nous considérons l’expérience des autres pays occidentaux, le premier choix de la classe politique est de transférer le coût de la crise sur les épaules des travailleurs. Telle fut l’expérience concrète des USA depuis 2008. L’euro se délite et la décision récente de la Suisse d’abandonner l’euro est une manifestation évidente que l’expédient consistant à transférer les pertes des banques à la Grèce et à l’Espagne n’est plus tenable. La France va devoir soit nationaliser les banques et imposer des contrôles plus importants du 1% des plus riches, soit intensifier ses mesures d’austérité, de licenciement de fonctionnaires, de réduction des retraites, des dépenses de santé, d’éducation, de logement et d’équipement. Cette voie empruntée pour sauver les banques à risques intensifiera aussi la répression. Dans le cadre d’un tel choix, la militarisation en cours et la guerre contre les terroristes servira de répétition générale avant l’emploi de l’armée contre les étudiants et les ouvriers.

D’ici là, se mobiliser pour gagner les faveurs de ceux qui soutiennent actuellement le Front National ne fait que renforcer le racisme, la xénophobie et l’intolérance. La manipulation à Paris devrait être perçue comme une manœuvre préventive visant à renforcer une dérive militariste. Les progressistes doivent s’opposer à la montée des forces fascistes en Europe et au néo-conservatisme en Amérique.

Horace Campbell est professeur d’études Afro-Américaines et de Science Politique à l’Université de Syracuse. Il est l’auteur de “L’OTAN globale et le catastrophique échec en Libye”, Monthly Review Press, 2013.

Notes.
[1] Sid Verma French banks most systemically risky in Europe, June 10, 2013, http://www.euromoney.com/Article/3216880/French-banks-most-systemically-risky-in-EuropeHEC-Lausanne-study.html

Source : Counter Punch, le 19/01/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-manipulation-a-paris-par-horace-campbell/