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“Si on continue à isoler la Russie, elle va devenir un adversaire ; elle va basculer de Weimar à Hitler” par Jacques Attali

Friday 11 July 2014 at 01:57

Très intéressants propos de Jacques Attali (interview du 8 juin 2014 – arrêtez-vous à l’idée générale développée dans le contexte médiatique délirant actuel, pas aux détails discutables) :

Sophie Malibeaux – Pendant ce débat en amont des européennes, il y avait tout le débat sur l’élargissement, certains critiquant une sorte de dilution de l’Europe. Vous-même vous étiez partisan d’une Europe continentale, encore plus grande que celle des vingt-huit, vous allez jusqu’à trente-cinq. Est-ce que vous maintenez ce penchant ?

Jacques Attali – Mais oui bien sûr. Si je peux reprendre l’historique, quand est tombé le mur de Berlin, j’ai à ce moment-là proposé la création de la BERD. Pourquoi ? Parce que je pensais très important d’arrimer la Russie et tout ce qui va autour à l’Europe, la Russie est une nation d’Europe. Mais je pensais qu’il fallait approfondir l’Union dans un petit nombre avant de s’étendre aux autres et donc leur donner un espace dans la BERD, qu’on a fait d’ailleurs puisque c’est la seule chose qu’on a créée après la chute du mur. Et nous avions proposé en même temps la confédération européenne pour faire entrer ces pays. Les Etats-Unis, qui ne veulent absolument pas d’une Europe forte, pour empêcher l’approfondissement vont casser, ont empêché, ont poussé les pays à dire ‘’Non, on veut rentrer tout de suite’’ et l’Allemagne a suivi. Moralité on a eu un élargissement beaucoup trop rapide. Donc aujourd’hui je souhaite qu’on ait les deux à la fois, je souhaite qu’on ait un élargissement le plus large possible, parce que l’UE se confond avec la confédération. Monsieur Poutine a rappelé récemment, d’une phrase qui n’a pas été assez relevée, qu’il est candidat à la confédération européenne, il a rappelé le projet de François Mitterrand de confédération européenne. C’est très important, ça veut dire que si tous les pays européens étaient dans une confédération, ou l’UE c’est ce qui revient à la confédération, nous pourrions construire l’Europe intégrée, approfondir dans la zone euro.

Sophie Malibeaux – Pour revenir au concret et ce qui se passe aujourd’hui même en Ukraine, la crise, elle retarde…

Jacques Attali – C’est la même chose…

Sophie Malibeaux – elle provoque une régression totale de ce projet ?

Jacques Attali – Telle qu’elle est gérée, oui. Parce qu’aujourd’hui, mes amis polonais comprendront que ce n’est pas insultant à leur égard ce que je vais dire, mais le maître de l’occident c’est la Pologne. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si monsieur Obama a été en Pologne. Monsieur Obama a été en Pologne parce que Chicago est la deuxième ville polonaise du monde et qu’il est lui-même de Chicago et que les polonais ont une obsession, c’est ‘’tout sauf les russes’’, qu’on peut comprendre à travers leur histoire. Et donc les polonais poussent l’occident à empêcher les russes de rentrer dans l’UE, à avaler l’Ukraine dont les polonais ne voulaient pas d’abord, puis maintenant ils ont commencé à changer d’avis parce qu’ils ont compris qu’ils ont intérêt à ce que l’Ukraine soit dans l’UE et dans l’OTAN mais évidemment pour les russes c’est inacceptable. La vraie solution serait de se mettre autour d’une table, nous européens, et d’abord nous français parce que nous avons l’avantage de ne pas dépendre du gaz russe, donc on n’est pas en situation de dépendre d’un maître chanteur comme les allemands qui dépendent du gaz russe tous les matins, nous pas donc nous devrions proposer de nous mettre autour d’une table, français et russes avec les ukrainiens, à trois, pas plus pour négocier de l’avenir de l’Ukraine comme pont entre l’UE et la Russie.

Philippe Dessaint – On vient de voir au 70e anniversaire du Débarquement ce côte à côte, je n’ose pas dire cette rencontre entre Obama et Poutine, situation tendue, Poutine un peu à l’écart. Est-ce qu’il faut avoir peut de Vladimir Poutine ?

Jacques Attali – La comparaison historique que je ferais, c’est plutôt de la Russie avec la République de Weimar d’Allemagne. Pour moi, ce n’est pas Hitler. C’est un pays qui est humilié, encerclé, bourré de corruption, désordre, totalitarisme latent et réel etc… Si on continue comme ça, si on continue à isoler la Russie, elle va devenir un adversaire, elle va basculer de Weimar à Hitler, je ne pense pas que ce soit Poutine, je pense que c’est après lui qu’on a le danger. Donc il ne faut pas refaire avec la Russie de Poutine l’erreur qu’on a faite en 1920…

Philippe Dessaint – Donc il faut lui parler, il faut le rencontrer ?

Jacques Attali – Il ne faut pas l’isoler, fallait pas supprimer le G8, il faut pas faire la même erreur qu’on a faite avec l’Allemagne de Weimar en l’isolant, en lui forçant à rembourser des dettes qu’elle pouvait pas payer etc… Donc il faut à tout prix intégrer la Russie. Ça prendra du temps, la Russie n’est pas une démocratie, elle est bourrée de kleptocrates et de gangsters comme beaucoup de pays du monde, elle n’est pas la seule, il y en a aussi un peu partout à travers la planète. Il faut donc avancer lentement vers une démocratie russe, c’est notre intérêt.

Thomas Wieder – C’est-à-dire que, par exemple, sur la Crimée on laisse tomber ? C’est fait ?

Jacques Attali – Moi je pense que oui. D’abord je ne comprends pas trop cette question. Supposons qu’un gouvernement suisse devenu un peu fou, à Berne, décide du jour au lendemain que le français n’est plus langue nationale suisse. Dans ce cas-là, les genevois et les gens de Lausanne auraient pu très bien dire ‘’Ecoutez, nous on demande à être rattachés à la France’’. Et qu’est-ce qu’on aurait dit ? On aurait dit oui bien sûr. C’est exactement ce qui s’est passé. Les gens de Crimée sont russes, le gouvernement ukrainien a fait la faute incroyable de dire que le russe n’était plus langue nationale, les criméens se sont dit ‘’attendez non, ce n’est plus possible, on va rejoindre la Mère-Patrie’’. Je rappelle que la Crimée est russe depuis trois siècles, qu’elle était ukrainienne que par le hasard d’un arbitrage à l’intérieur du parti communiste rendu par Khrouchtchev en 1954. Et j’ajoute plus loin encore, une question de principe, quand un peuple ou une région décide qu’il n’est plus d’accord pour être dans un pays mais qu’il veut soit être indépendant soit être neutre soit rejoindre un autre, je vois pas comment lui refuser. Alors évidemment cela pose un problème de fond, c’est la première fois que dans l’Europe un pays ne décide pas d’être indépendant en rompant. C’a été le cas de la Tchécoslovaquie qui s’est coupée en deux, personne ne s’y opposait, ç’a été le cas de la Bosnie qui est sortie, du Kosovo qui sont sortis sans l’accord de la Serbie, ils sont sortis un petit peu comme la Crimée sort de l’Ukraine sans l’accord de l’Ukraine. Mais la différence c’est que le Kosovo n’a pas demandé à être rattaché à un autre pays et que là on est dans le premier cas, ou on pouvait parler d’annexion, ce n’est pas une annexion, c’est un pays, une région qui demande son indépendance et qui demande à l’être. Evidemment cela ouvre une boite de Pandore en Europe de la modification des frontières, cela ouvre cette boite de Pandore.

Sophie Malibeaux – L’agenda de Poutine dépasse la Crimée, aujourd’hui dans le conflit tel qu’il se déroule sur le territoire ukrainien. Il le dit lui-même, ce qu’il ne veut pas c’est avoir l’OTAN si proche.

Jacques Attali – Mais bien sûr et il a raison. C’était une faute de laisser entendre en 2008 que l’Ukraine pourrait rentrer dans l’OTAN, c’est une faute. On peut très bien le comprendre.

Sophie Malibeaux – Alors jusqu’où on va payer les fautes commises…sous pression américaine finalement?

Jacques Attali – Sous pression américaine… La France a signé ce texte en 2008 disant que nous souhaitions que l’Ukraine soit dans l’OTAN, on a signé ce texte. Donc il faut aujourd’hui calmer le jeu, l’Ukraine n’a rien à faire dans l’OTAN, l’Ukraine a tout à faire dans l’UE mais rien à faire dans l’OTAN.

Sophie Malibeaux – Vous pensez que les américains sont prêts à entendre ça ?

Jacques Attali – Les américains ont trois raisons pour ne pas être prêts à entendre ça. La première c’est Chicago dont j’ai parlé, l’influence de tous les lobbies polono-ukrainiens etc… qu’on peut comprendre parce que les États-Unis c’est une sorte d’Europe qui a réussi, donc tous les peuples y sont etc… La deuxième raison c’est qu’ils ont leur complexe militaro-industriel qui a besoin de reconstituer un ennemi. Et la troisième raison c’est qu’ils n’arrivent pas à faire de la Chine un ennemi, pour l’instant la Chine n’est pas potentiellement l’ennemi de substitution à l’Union Soviétique. Donc le retour de la Russie comme ennemie est béni des dieux pour les Etats-Unis mais nous européens, on a tort de tomber dans ce piège.

P.S. : rôôô le niveau des journalistes à chaque fois quand même…

Source: http://www.les-crises.fr/russie-weimar-jacques-attali/