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[Socialisme 2.0] 2014, Valls enterre le socialisme : “Il faut en finir avec la gauche passéiste”

Thursday 30 October 2014 at 02:59

Fa-bu-leu-se interview de Manuel Valls parue dans le Nouvel Obs du 23 octobre 2014.

Belle leçon de libéralisme (en jaune)… Je ne commente pas (trop) à ce stade, pour ne pas sombrer dans une inévitable vulgarité.

Condoléances aux cocus cependant.

La crise s’éternise, le pouvoir sombre dans l’impopularité, la majorité se divise, et Martine Aubry le somme de changer de cap. Le Premier ministre riposte et lance un défi à la gauche : “se réinventer ou mourir”

Les Français ont le sentiment que tous les sacrifices auxquels ils ont consenti depuis deux ans et demi n’ont servi à rien. Les déficits sont toujours aussi inquiétants, le chômage toujours aussi haut et la croissance toujours aussi nulle. Comment l’expliquez-vous ?

- Je ne partage pas un constat aussi sévère, mais il est vrai qu’il y a un grand désarroi, de l’inquiétude pour l’avenir, de la colère aussi. On l’a bien vu aux dernières élections municipales et européennes. Nous aurions dû faire dès 2012 un constat plus clair sur la situation de la France, sur sa triple crise : crise de croissance, crise de la dette et des déficits, crise de confiance. Tout part de là. Si nous étions partis de l’analyse très lucide de la Cour des Comptes de juillet 2012, le sens des réformes et le cap du quinquennat auraient été davantage affirmés. Ils l’ont été progressivement par la suite avec les conclusions du rapport Gallois en novembre 2012 qui a mis l’accent de manière implacable sur le décrochage de compétitivité de notre économie et de nos entreprises depuis dix ans.

Vous ne l’aviez pas mesuré avant?

L’enjeu de la production avait été un des thèmes forts de la campagne de François Hollande, mais nous avons sans doute sous-estimé l’ampleur de la crise de compétitivité et de la crise de confiance. Cela nous a empêchés – c’est une responsabilité collective – d’aller plus vite, dès le début.

Vous avez pris du retard ou vous avez fait des mauvais choix à l’époque ?

- Nous avons sans doute pris du retard et il y a eu des mauvais choix.

Lesquels ?

- La hausse de la fiscalité a frappé durement nos concitoyens, notamment les couches populaires et les classes moyennes. Nous avons privilégié l’impôt par rapport à la diminution de la dépense publique. Or ces décisions sont venues s’ajouter à celles effectuées à la fin du précédent quinquennat. 30 milliards de hausse de la fiscalité avec la droite, 30 milliards avec la gauche. C’est ce qui a provoqué un véritable ras-le-bol fiscal. Pendant sa campagne, François Hollande avait été extrêmement raisonnable quant aux promesses, il était lui-même très lucide sur la situation. La victoire de 2012 a créé dans le pays une espérance, une urgence. Et comme les résultats tardent à venir, il y a de la déception.

Cette espérance s’incarnait dans le slogan de campagne : “Le changement, c’est maintenant”. Aujourd’hui, le changement c’est quoi ?

Le changement, depuis le début, c’est redresser la France.

Ça, c’est le discours, mais en quoi cela change-t-il la vie des Français?

Il faut du temps. Certains nous disent : « Faites d’abord des réformes, la croissance viendra après. » C’est illusoire. D’autres nous disent :  « Tant que la croissance ne sera pas là, il faut différer les réformes. » C’est dangereux. Il faut, en même temps, réformer la France et l’Europe. Il faut surtout expliquer la cohérence de ce mouvement de réformes sans précédent. Il a trois finalités. La première, c’est libérer la création d’emplois par tous les moyens. La seconde, et c’est sans doute là où il a manqué des explications, c’est la lutte contre les inégalités. Cela passe d’abord par la refondation de l’Ecole. Avec 1 milliard d’euros supplémentaires en 2015, l’Education redevient le premier budget de la nation. Cela a-t-il été entendu? Pas assez. La troisième finalité, c’est la préparation de l’avenir, avec nos grandes réformes de structures. Au  fond ce que nous recherchons, c’est ce que nous avons perdu : la  confiance. Si les efforts que nous demandons sont expliqués et compris, la cohérence du quinquennat de François Hollande apparaîtra plus évidente.

Et les résultats, c’est pour quand ? Il reste six mois, avez-vous dit…

- Je n’ai jamais dit ça !

NdR : « Si d’ici trois à six mois, la situation ne s’est pas inversée, ce sera foutu » – Source AFP, 15/09/2014

Je sais bien que nous vivons sous la dictature de l’immédiat, mais il faut assumer devant les Français que réformer un pays qui a perdu sa compétitivité prendra dix ans. Je comprends leur impatience, mais il faut du temps pour que la France rattrape pleinement son retard. L’étude de l’OCDE publiée récemment est encourageante. Elle juge que les réformes que nous menons auront un impact significatif sur la croissance.

Pas de lendemain qui chantent d’ici à la fin du quinquennat, alors ?

Evitons le simplisme. Nous agissons aussi à  court terme. La baisse des impôts, intervenue  à l’automne sera amplifiée en 2015, pour 6 millions de ménages supplémentaires, la baisse du coût du travail et de la fiscalité pour les entreprises, la grande réforme des allocations familiales, tout cela, c’est du concret pour les Français.

Vous avez fait “cadeau” aux entreprises de 41 milliards pour qu’elles reconstituent leurs marges et recommencent à embaucher. Jouent-elles le jeu aujourd’hui ?

Voilà un beau cliché ! Les 41 milliards, c’est pour la France, pour rendre notre économie, nos entreprises plus compétitives, pour que nous ne décrochions pas du reste de l’Europe et du monde. Sans compétitivité, il n’y a pas de création de richesses, et sans création de richesses, il n’y a pas d’emplois. Moi, je ne confonds pas les entreprises avec leurs seuls dirigeants ou leurs seuls actionnaires. Les entreprises, ce sont aussi des salariés, des ouvriers, des techniciens, des cadres. Nous devons bâtir des compromis sociaux qui permettent de protéger les salariés sans nuire  à la compétitivité des entreprises. La clé, c’est la qualité des rapports sociaux et c’est la marque de ce quinquennat Je réunirai le 4 novembre prochain l’ensemble des partenaires sociaux pour faire le point sur les aides aux entreprises. Quand la nation tout entière consent un effort aussi important, il faut que les entreprises assument leurs responsabilités.

Réformer, c’est aussi affronter les corporatismes. Or sur Air France, l’écotaxe, ou encore la suppression des conseils généraux, vous avez reculé

Réformer, c’est difficile, il y a toujours des résistances – car beaucoup de Français, dans le privé comme dans le public, ont peur d’être déclassés, de perdre leur situation. Mais il faut savoir les surmonter. La réforme ferroviaire adonné lieu à une grève particulièrement longue au mois de juin. Pourtant, je n’ai pas cédé. Pour Air France, l’essentiel de la réforme concernait le développement de la compagnie low cost Transavia France, pas Transavia Europe. J’ai soutenu personnellement la direction. La grève a été longue mais, pour la première fois, ce ne sont pas les pilotes qui ont eu raison ! Le gouvernement a tenu bon.

Sur l’écotaxe, n y a eu un recul.

Ça ne sert à rien de s’entêter! Le projet d’écotaxe voté par l’Assemblée à la quasi-unanimité, en 2011, s’est révélé il y a un an impossible à mettre en oeuvre pour des raisons techniques et politiques. Ce qui a été inventé en juin dernier ne fonctionnait pas non plus. Nous aurions dû y renoncer plus tôt. Gouverner, ce n’est pas s’entêter, c’est être pragmatique, c’est reconnaître aussi quand des erreurs ont été commises.

Et c’est pour ne pas vous entêter que vous avez cédé aux demandes du PRG sur les conseils généraux ?

Vous voudriez m’enfermer dans un débat que je connais par coeur… Soit on réforme et on est une brute, on passe sur tous les corps intermédiaires : partis, syndicats, élus … Soit on les écoute, et alors c’est le recul ! La réforme la plus importante, c’est celle des régions. Parce qu’elle va changer profondément la réalité du pays avec 12 régions plus fortes, à taille européenne, ayant désormais toutes les compétences sur le volet économique. Cette réforme jugée « impossible » sera votée avant la fin de l’année. Nous avons créé les grandes métropoles, réformé les intercommunalités pour leur donner davantage de moyens d’action. Mais il y a aussi dans certains territoires ruraux, périurbains, un sentiment profond d’abandon, un grand besoin de proximité. Il n’est donc pas absurde que, dans les départements ruraux, on conserve les conseils départementaux. Le pragmatisme n’est en rien contradictoire avec la réforme.

Sur les professions réglementées, la réforme Macron semble moins ambitieuse que oelle de son prédécesseur.

Au contraire ! Mais je refuse qu’on jette à la vindicte des professions qui comptent pour notre pays : notaires, professions de droit, pharmaciens… Grâce au dialogue, nous bâtissons une loi qui libère les énergies dans ces secteurs. La loi croissance et activité ouvrira aussi avec les contreparties prévues dans le rapport Bailly, davantage de possibilités de travailler le dimanche pour favoriser notamment l’attractivité des zones touristiques. Nous y intégrerons enfin le fruit du dialogue social sur la représentativité et le lissage des seuils sociaux.

Plus de liberté pour les autocars et les professions réglementées, ça ne suffira pas pour ramener la croissance, mais ça suffira peut-être pour donner des gages à Bruxelles ?

Nous faisons cette réforme d’abord pour nous-mêmes!

Comment expliquez-vous que ces réformes ne suffisent pas à convaincre Angela Merkel ?

Qu’en savez-vous? La chancelière elle-même a déclaré que notre programme de réformes était impressionnant par son ampleur et par sa diversité.

Vous aurez donc son soutien sur la question des déficits que la France réduit moins vite que prévu ?

C’est un autre sujet. Ramener nos déficits à 3% dès l’an prochain est impossible. Baisser de 30 milliards supplémentaires la dépense par rapport aux 21 milliards déjà engagés nous plongerait dans l’austérité et bloquerait le pays. Aujourd’hui, l’Europe sous-estime la gravité de sa situation. Certains voyaient, il y a six mois, la croissance revenir doucement. Ce que je vois se profiler, si nous ne faisons rien, c’est un risque de déflation et de récession. Les politiques d’ajustement non coordonnées ont-elles fini par tuer la croissance? Je le crains. Mais il y a deux avancées dont on ne parle pas assez : la baisse de l’euro, que j’avais moi-même réclamée, et l’annonce du plan Juncker de 300 milliards d’euros d’investissements. Cela veut dire que nous pouvons changer la politique budgétaire et monétaire de l’Union européenne. C’est ce que ne cesse de dire François Hollande depuis deux ans et demi.

Réduire les dépenses de 50 milliards, ce n’est pas l’austérité ?

Absolument pas. Mais je suis conscient que pour ceux qui connaissent la crise depuis des années, qui sont au chômage ou dans la précarité, la question peut se poser. Pourtant c’est la réalité ! Quand nous créons 60 000 postes d’enseignants pour lutter contre l’échec scolaire, et aussi des postes de policiers, de magistrats, quand nous augmentons les bourses pour les étudiants, quand nous augmentons les rémunérations des catégories B et C de la fonction publique, nous ne faisons pas de l’austérité ! Nous avons à faire des choix. La dépense publique dans notre pays représente 57 % de la richesse. Réduire ce montant n’est en rien une politique dictée par Bruxelles. Nous le faisons pour nous, pour préparer l’avenir, pour que la dette ne pèse pas davantage sur nos enfants, pour ne pas perdre notre souveraineté.

NdR : vous notez la malhonnêteté visant à rapprocher le niveau des “dépenses publiques” de la dette, alors que rien n’interdit de voter un budget équilibré – mais cela a des conséquences. Les États-Unis ont une dette supérieure à la nôtre, avec des “dépenses publiques” parmi les plus faibles.

Le prix Nobel d’économie Jean Tirole juge le marché du travail en France « assez catastrophique », c’est aussi votre avis ?

ll faut d’abord se féliciter de ce prix Nobel ! Le marché du travail ne fonctionne pas bien, c’est un fait. Et le niveau du chômage est aussi une résultante de ce dysfonctionnement. Se poser la question de l’efficacité et de l’équité des règles est donc légitime. Elle se pose d’ailleurs tous les deux ans à l’occasion de la renégociation de la convention d’assurance-chômage entre partenaires sociaux. Ils le feront au plus tard en 2016. Cela ne doit pas nous empêcher d’ici là d’en parler! D’autant plus que le régime est aujourd’hui en déficit de près de 4 milliards d’euros.

Y a-t-il des abus? Ce régime est-il à vos yeux trop généreux ?

Il faut éviter les caricatures : le haut niveau du chômage ne résulte pas d’un refus des chômeurs de travailler. Il y a toujours des abus, mais personne n’est au chômage par plaisir. Et, vous le savez, seulement la moitié des demandeurs d’emploi sont indemnisés. Mais se poser la question des devoirs des chômeurs, de leur formation, d’un meilleur accompagnement par Pôle emploi, des bonnes incitations pour retrouver un travail, ce n’est pas une régression sociale. Le fonctionnement du marché du travail n’est pas satisfaisant car il ne crée pas assez d’emplois, il génère des inégalités importantes entre, d’une part, des salariés très protégés en CDI et, d’autre part, des salariés très précaires en CDD et en intérim. C’est là-dessus qu’il faut agir.

NdR : traduction : ami lecteur en CDI, tu es un peu un salaud quand même, tu devrais avoir honte et partager ta sécurité…

Vous dessinez le contrat unique?

Les partenaires sociaux n’ont pas souhaité s’engager sur le contrat unique. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas intéressant. Mais il faut être pragmatique. Certains économistes comme Jean Tirole en sont venus à proposer cette idée parce qu’ils font le constat qu’aujourd’hui un certain nombre d’entreprises ne veulent pas embaucher en raison du coût trop élevé du licenciement, notamment parce que l’incertitude juridique est trop forte. Je partage ce constat. La loi de sécurisation de l’emploi votée l’an dernier encourage fortement la recherche d’un accord entre partenaires sociaux. Et déjà le nombre de recours juridiques suite à des plans sociaux a chuté. Pour ce qui est des conflits individuels, une concertation s’engage. Elle devra permettre de rendre la justice prud’homale plus rapide et plus efficace.

La gauche au pouvoir a toujours mené des réformes emblématiques : les lois Auroux, la cinquième semaine de congés payés, les 35 heures, la CMU… On cherche en vain la grande réforme sociale du quinquennat Hollande ?

- Il ne faut pas s’enfermer dans l’idée de la réforme emblématique, même si nous avons déjà fait beaucoup de choses. Le mariage pour tous, c’est une grande avancée pour l’égalité des droits. Personne ne reviendra dessus. Je suis certain qu’on retiendra de ce quinquennat la refondation de l’École et cette réforme historique qui vient d’être votée : la transition énergétique. C’est une grande loi de gauche ! Mais méfions-nous des symboles pour les symboles…

L’histoire de la gauche est jalonnée de symboles…

- Il faut en finir avec la gauche passéiste, celle qui s’attache à un passé révolu et nostalgique, hantée par le surmoi marxiste et par le souvenir des Trente Glorieuses. La seule question qui vaille, c’est comment orienter la modernité pour accélérer l’émancipation des individus.

Cette gauche est pragmatique plus qu’idéologique ?

- Oui parce que l’idéologie a conduit à des désastres mais la gauche que je porte garde un idéal : l’émancipation de chacun. Elle est pragmatique, réformiste et républicaine.

Pas socialiste ?

- Je le répète : pragmatique, réformiste et républicaine.

Vous avez dit que la gauche pouvait mourir ?

Oui. Si la gauche est menacée, c’est parce qu’elle n’a pas réussi à articuler des réponses fortes sur des questions essentielles : comment faire face à la globalisation qui crée des gagnants et des perdants ? Comment réformer l’Etat-providence ? Quelles réponses apporter en termes de citoyenneté, de laïcité, d’égalité femme-homme, notamment avec la construction d’un islam de France compatible avec nos valeurs ? Comment encore répondre à l’individualisme, qui épanouit et fragilise en même temps ? Le temps des solutions globales, identiques pour tous, est révolu. Il faut rechercher l’universalité des principes tout en tenant compte de l’hétérogénéité des situations.

C’est ce que nous faisons en réformant les allocations familiailes. C’est pourquoi j’assume totalement cette réforme. Un autre enjeu fondamental, c’est la question de l’identité. La gauche l’a négligée car elle pensait que seule comptait l’identité sociale. D’où votre question : « Quelle est la grande réforme sociale emblématique de ce quinquennat ? » Cette négligence nous revient aujourd’hui conune un boomerang parce que la nation n’est pas soluble dans le social. On peut mener les politiques le plus sophistiquées sur le plan technique, si nos concitoyens n’ont pas le sentiment d’appartenir à quelque chose de plus grand, ils retombent dans la défiance.

Si la gauche croit encore au progrès, la France, elle , n’y croit plus. Le pays sombre dans le déclinisme… 

- Face au repli que propose l’extrême droite – on sort de l’euro, on ferme les frontières, on accable les immigrés et les musulmans de tous les maux –, face à une droite elle aussi aspirée par le déclinisme, il est essentiel que la gauche se réarme intellectuellement. faut aussi qu’elle redonne de la fierté aux Français. La France est un grand pays, la cinquième puissance économique mondiale, la deuxième en Europe, sa parole compte et elle contribue pleinement à la stabilité du monde. La gauche est forte quand elle s’adresse à tous. Le projet de cette gauche moderne, c’est de combattre tout ce qui aliène et enferme l’individu. Sa valeur cardinale, c’est l’émancipation. Son combat, c’est la République. Mais, si la gauche ne se réinvente pas, oui, elle peut mourir…

NdR : vous noterez le bug due à la contradiction absolue entre la vision proclamée du discours “notre projet est de combattre tout ce qui aliène”, et le fond du discours qui est une soumission totale aux diktats du néolibéralisme – qui aliènent pas mal, si, si…

Beaucoup pensent que c’est vous l’assassin…

- Quand la gauche se recroqueville sur le passé, sur les totems, elle cesse d’être fidèle à l’idéal du progrès, et donc à elle-même.

[NdR. Pensée pour Orwell et Jean-Claude Michéa - mais nous en parlerons bientôt...]

Ceux qui vous accusent de trahir sont des représentants de la gauche du passé ?

- Moi, j’évite l’insulte, la caricature, mais je pense, oui, qu’ils sont dépassés. La gauche qui renonce à réformer, qui choisit de défendre les solutions d’hier plutôt que de résoudre les problèmes d’aujourd’hui, cette gauche-là se trompe de combat. Ce que je reproche à la démarche de Jean-Luc Mélenchon, c’est son manque d’imagination. Aux autres, je demande si laisser filer les déficits et augmenter les impôts, c’est une nouveauté ? Non. C’est ce qui a été fait systématiquement depuis quarante ans et cela n’a pas marché !

[NdR. Comme le néolibéralisme, en fait ?]

Si un assouplissement de notre marché du travail, une intervention repensée de l’État ou la remise en cause de telle ou telle rente de situation contribuent à lutter contre les inégalités et à faire progresser l’intérêt général, il est de mon devoir d’envisager ces solutions. 57% de dépenses publiques, est-ce que l’on considère que c’est efficace ? Non. Face à ce modèle inefficace qui redistribue aveuglément sans tenir compte des besoins de chacun, et revient a posteriori sur les inégalités pour les corriger, nous devons proposer un modèle que j’appelle la prédistribution pour prévenir les inégalités. D’où la nécessité d’investir massivement dans l’éducation, la recherche, la formation et la culture.

Cette gauche, au fond, elle est sociale-libérale ?

J’écarte les mots piégeux qui visent à enfermer. Et j’invite toutes les forces progressistes à envisager leur propre dépassement. On ne milite plus au XXIe siècle comme au XIXe siècle.

Le PS doit-il changer de nom ?

Pourquoi pas ? Mais ce changement ne peut être que l’aboutissement d’un processus. Depuis la refondation du PS au congrès d’Epinay de 1971, la gauche réinvente le monde dans l’opposition, puis elle gouverne de façon pragmatique, mais comme elle ne l’assume pas, elle perd les élections. Ce cycle d’Epinay est terminé. Moi, je suis d’une gauche qui marche et qui assume les responsabilités. A l’heure des réseaux sociaux, le verticalisme des partis ne fonctionne plus. Ils doivent changer. J’invite donc à un nouveau compromis entre toutes les forces progressistes du pays.

Sous quelle forme ?

L’idée pourrait être de bâtir une maison commune dans laquelle chacun se retrouve.

Mais les écologistes ont quitté le gouvernement, le PRG a menacé de le faire, et le fossé entre les formations de gauche n’a jamais paru aussi profond.

Si nous restons tous dans nos chapelles et nos boutiques à défendre nos prés carrés, nous ne nous en sortirons pas. Nous devons créer demain une maison commune, une fédération ou une seule formation, tout est ouvert, mais, en tout cas, c’est le chemin à suivre. Le paradoxe, c’est que les différences aujourd’hui entre les partis de gauche sont beaucoup moins importantes qu’elles ne l’étaient hier.

Parce qu’il n’y a plus d’idéologie ?

Oui, et parce que les modèles ont failli. L’histoire est passée par là. C’est pourquoi nous devons nous réinventer, mais en acceptant de gouverner. Un autre impératif nous y contraint, c’est la menace d’une droite dure et d’une extrême droite qui progresse…

Si vous échouez, après vous, c’est le FN ? Vous avez dit que l’extrême droite était aux portes du pouvoir…

Quand je regarde les résultats des élections et les sondages, c’est une réalité. La progression du FN s’appuie sur un courant décliniste, anti-européen, celui d’une France rétrécie qui propose comme solution la régression, ça s’appelle la réaction. Le camp progressiste, lui, est divisé, morcelé, sur la défensive…

La gauche est-elle minoritaire en France?

En ce moment, électoralement sans doute, au vu des millions d’abstentionnistes, comme on l’a constaté aux municipales. Mais il y a une bataille d’idées à mener. Soyons gramsciens : il nous faut reconquérir l’hégémonie culturelle. Sur beaucoup de sujets, le mariage pour tous, la priorité à l’école, la réforme des allocations familiales, la nécessité de l’ordre républicain, le soutien aux entreprises, sommes-nous minoritaires dans l’opinion ?

[NdR. Fantastique, le type au pouvoir qui donne des leçons d e Démocratie à la terre entière explique tranquillement qu'il est "minoritaire électoralement", mais bon, c'est sans importance. RIP de Gaulle...]

L’aide aux entreprises, ce n’est pas vraiment un canon de la gauche…

Il y a les canons de la gauche et il y a les thèmes que nous avons conquis : la sécurité, l’aide aux entreprises, la réduction de la dépense publique, ce sont des idées que nous portons désormais.

À gauche, Martine Aubry vous somme de changer de cap.

- Martine Aubry a assumé les responsabilités du pouvoir. Aujourd’hui, elle participe au débat d’idées. Je ne partage pas sa proposition consistant à revenir en arrière et donc à perdre tous les fruits de nos efforts, et ce alors même que les choix que nous avons faits viennent de se mettre en place. Le débat, c’est utile, mais il y a aussi la responsabilité, l’unité et le devoir de cohésion. J’y suis attaché. Je suis adhérent du PS depuis l’âge de 18 ans. Mes inspirations sont multiples : Clemenceau, Mendès, forcément Jaurès et Blum, mais aussi Felipe González, Olof Palme, Willy Brandt. Et j’ai eu la chance de travailler avec Rocard et Jospin. Cette filiation, c’est aussi celle de Martine Aubry. Mais ma gauche à moi se nourrit de ce passé, sans s’y enfermer. Elle est pragmatique.

Cette gauche pragmatique, c’est aussi le visage d’Emmanuel Macron, très critiqué par une bonne partie de la gauche ?

- C’est une nouvelle génération qui assume ses responsabilités. Le plus grand danger qui guette la gauche, c’est le sectarisme. Parce qu’il a été banquier, Emmanuel Macron ne pourrait pas être de gauche ? Notre impératif, c’est le rassemblement. François Mitterrand, en 1981, a su s’entourer de gens qui venaient d’horizons très divers. En 2012, nous avons commis l’erreur de ne pas tendre la main à François Bayrou. Peut-être l’aurait-il refusée, mais nous aurions dû le faire, alors qu’il avait appelé à voter pour François Hollande. Il n’y a rien de pire que le sectarisme au nom d’une prétendue pureté.

C’est une question qui ne se pose qu’à gauche ?

C’est vrai! Peut-être parce qu’on demande beaucoup plus à la gauche. On est plus exigeant Oui être de gauche, c’est plus difficile, mais c’est passionnant. Alors, vive la gauche !

Propos recueillis par Matthieu Croissandeau, Renaud Dély et Sophie Fay pour le Nouvel Obs.

P.S. Lire aussi pour mémoire ce fabuleux billet :  ”Je me bats depuis longtemps pour une vision libérale de l’économie” de François Rebsamen

Source: http://www.les-crises.fr/valls-enterre-le-socialisme/