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[Syrie] Quand le berceau de la civilisation devient son cimetière, par Diana Johnstone

Wednesday 23 September 2015 at 00:06

Source : Counterpunch, le 07/09/2015

Des dégâts syriens qui ne pourront jamais être réparés

Quand le berceau de la civilisation devient son cimetière

par Diana Johnstone

Paris, 6 septembre 2015

Ce lundi 7 septembre, sept citoyens syriens vont au tribunal à Paris pour appuyer leur plainte contre le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius. Ces 5 hommes et 2 femmes ont tous perdu des membres de leur famille et des amis dans des massacres perpétrés par les rebelles armés, qui sont soutenus moralement et logistiquement par Fabius. Ils demandent une indemnité symbolique de un euro.

Au final, la plainte sera très probablement rejetée. Cette audience du 7 septembre se trouve confrontée à une jurisprudence qui interdit les tribunaux de juger les actes du gouvernement relevant de ce cas, même si l’accusation est fondée. Et pourtant cette poursuite futile aborde un point crucial que les médias et politiques occidentaux préfèreraient beaucoup ignorer.

Les dirigeants occidentaux portent une lourde responsabilité dans la création d’un monde inadapté à la vie humaine normale. Et, jusqu’à présent, ils échappent à toute condamnation. La crise massive de réfugiés qui inondent l’Europe n’est que le début des ennuis que ces dirigeants sans scrupules ont apporté à leurs propres pays.

Laurent Fabius peut honnêtement être assimilé à un néoconservateur français. Son alignement avec les politiques israéliennes est visible par le fait qu’il ait été le plus réticent de tous les ministres étrangers impliqués dans les négociations sur le nucléaire iranien à valider l’accord final.

Il a été l’un des plus enthousiastes à préconiser un changement de régime en Syrie, un pays dans le point de mire de la liste des néocons pour son nationalisme arabe et son soutien à la cause palestinienne.

Les plaignants syriens ont fait remarqué que :

En tant que groupe, les plaignants affirment que, par ses déclarations, le ministre des affaires étrangères Fabius a aggravé la guerre civile en Syrie et a encouragé les assauts de la rébellion armée contre le gouvernement en place.

Individuellement, chacun des plaignants a perdu des membres de sa famille et de proches amis lors d’attaques armées et de massacres perpétrés par la les rebelles armés de la milice al-Nosra.

L’épouvantable jumeau d’Israël : “L’Etat islamique”

Sous direction américaine et influence israélienne, les dirigeants politiques français ont soutenu “le changement de régime” en Libye et en Syrie en partant du postulat tacite que la guerre civile valait mieux pour les peuples de ces pays que vivre sous une “dictature”. En réalité, la plupart des gens s’accommodent mieux de vivre sans vote que de vivre sans toit au-dessus de leurs têtes, ou sans tête tout court.

Il n’est pas vraiment surprenant que les vidéos efficacement filmées et diffusées de “l’Etat Islamique” (EI) montrant leurs méthodes disciplinaires aient causé un mouvement de panique parmi les peuples qui vivent sur la route de leurs conquêtes.

Les guerres transforment les gens en réfugiés. Les médias occidentaux ne s’intéressent de près aux réfugiés uniquement lorsqu’ils apprécient le “scénario” sous-jacent. Lorsque les Albanais du Kosovo fuyaient la guerre, en 1999, de l’OTAN contre les Serbes, une énorme attention leur a été portée, parce que ces réfugiés pouvaient être décrits comme des victimes du “nettoyage ethnique” serbe et donc comme une justification de la guerre otanienne en elle-même.

En revanche, aucune attention médiatique n’a été déclenchée par le nombre bien plus important de réfugiés fuyant l’invasion de l’Iraq par les Etats-Unis en 2003, partis pour ne jamais revenir. Plus d’un million de réfugiés iraquiens ont fui en Syrie, où ils ont été bien reçus.

La situation au Moyen-Orient est critique. Armés par les équipements abandonnés de l’armée étatsunienne en Iraq, enrichis par les ventes illégales de pétrole, ses rangs gonflés par de jeunes djihadistes venus du monde entier, l’Etat Islamique menace les peuples du Liban et de la Jordanie, déjà mis en difficulté par l’accueil de réfugiés en masse de la Palestine, de l’Iraq et maintenant de la Syrie.

L’Etat Islamique est vraiment l’horrible caricature de l’adversaire de “l’Etat Juif”, une autre entité politique basée sur une identité religieuse exclusive. Comme Israël, il est dépourvu de frontières clairement établies, mais possède un potentiel démographique bien plus important.

La seule force qui peut empêcher l’Etat Islamique d’étendre son joug fanatique sur et au-delà de la Mésopotamie est l’état syrien mené par Bashar al-Assad. Le choix n’est pas entre Assad et la “Démocratie Occidentale”. Le choix est entre Assad et l’Etat Islamique. Mais les politiciens occidentaux n’ont toujours pas complètement abandonné leur ritournelle démente : “Assad doit partir !”

Réfugiés, Migrants et Terroristes

Le résultat de cette folie est en train d’échouer sur les rivages de la Méditerranée. Les images et les émotions ont remplacé la réflexion sur les causes et leurs effets. Une photo d’un bambin noyé déclenche une tempête médiatique et politique. Les gens sont surpris ? Ils ne savaient pas que des enfants se font tailler en pièces par les bombardements étatsuniens en Iraq, par les drones étatsuniens en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen ? Et qu’en est-il des enfants massacrés par la guerre de l’OTAN pour “libérer la Libye” de son “dictateur” ?

L’actuelle crise des réfugiés en Europe est l’inévitable, prévisible, résultat attendu de la politique occidentale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La Libye de Kadhafi était le mur qui empêchait des centaines de milliers d’Africains d’immigrer illégalement en Europe, non seulement par des méthodes policières mais encore plus efficacement en leur offrant le développement chez eux et du travail payé décemment en Libye. Dorénavant la Libye est source à la fois de migrants économiques et de réfugiés en provenance de Libye et d’autres terres dévastées. Dans le but d’affaiblir le Soudan, les Etats-Unis (et Susan Rice en particulier) ont activement soutenu la création du nouvel état du Sud-Soudan, qui n’est pas du tout un état mais le théâtre de massacres entre rivaux poussant de plus en plus de réfugiés vers des pays réticents à les accueillir.

La célèbre photo du petit Aylan noyé dans la Méditerranée est utilisée très largement pour culpabiliser les Européens. Les gouvernements devraient en effet se sentir coupables – c’est certainement le cas du riche mégalomane Bernard-Henri Lévy, qui se vante d’avoir convaincu le gouvernement français de Nicolas Sarkozy de déclarer la guerre contre la Lybie où, affirme-t-il, il n’y avait point d’extrémistes islamiques, mais uniquement des pro-occidentaux aspirant de toutes leurs forces à la démocratie. Grâce à l’OTAN, les extrémistes islamiques ont depuis essaimé dans tout le pays.

La chancelière allemande Angela Merkel a accepté d’accueillir huit cent mille réfugiés syriens. D’un point de vue humanitaire, cela est admirable. L’Allemagne est économiquement forte et démographiquement faible; avec sa population en diminution progressive, les Syriens appartenant à la classe moyenne, nombre d’entre eux des chrétiens terrifiés, peuvent sembler être une addition bienvenue à la population. Mais cela approfondit les divisions politiques entre l’Allemagne et l’Europe.

Cela est particulièrement le cas avec les nouveaux membres de l’UE en Europe de l’est. Avec la Hongrie en première ligne, leurs dirigeants ont exprimé sans détour que leurs pays se préoccupaient avant tout de leur identité ethnique, et ne veulent pas accepter un nombre important de personnes ne parlant pas leur langage. Contrairement aux pays d’Europe de l’ouest, les états ethniques d’Europe de l’est n’ont pas de tradition de prise en charge d’immigrants et aucun attachement idéologique à l’idéologie occidentale des Droits de l’Homme. En Europe de l’est, “les droits de l’homme” sonnaient bien comme arme à utiliser contre les Russes et l’Union Soviétique mais ça s’arrête là.

La crise grecque a dores et déjà beaucoup pesé sur l’unité de l’Union Européenne. Pour la première fois, de nombreuses personnes se posent des questions sur l’idée en elle-même. La crise a montré qu’il n’y a aucun sentiment de réel solidarité entre les peuples d’Europe ; quand il faut prendre une décision douloureuse, les Allemands sont les Allemands, les Grecs sont les Grecs et “l’Européen” est une abstraction. La crise des réfugiés montre de nouvelles fissures dans “l’unité européenne”.

L’essentiel de l’Europe souffre aujourd’hui d’un chômage de masse, en particulier les pays du sud où les réfugiés débarquent en premier : Grèce, Italie, Espagne. Les politiques de l’Union Européenne, qui étranglent déjà la Grèce, ne favorisent pas la création d’emplois pour des centaines de milliers d’arrivants. Même les réfugiés avec des qualifications professionnelles trouveront difficile ou impossible de se plier aux normes protégeant l’accès à leurs professions dans leurs pays d’accueil. La plupart des emplois qu’ils arriveront à trouver seront à faibles qualifications et illégaux, poussant les salaires et les conditions de travail des pays d’accueil à la baisse.

De plus, il est impossible de distinguer dans les mouvements de masse actuels les “réfugiés” des “migrants économiques” – c’est à dire, des personnes simplement à la recherche de meilleurs opportunités d’emplois. Aujourd’hui, l’UE a peu à leur offrir et le ressentiment envers cette immigration non sollicitée est certain de contribuer à l’amélioration du sort politique de la droite nationaliste.

Il y a une autre raison pour laquelle de nombreux citoyens européens se sentent assez peu enthousiastes à l’idée d’accueillir des centaines de milliers d’étrangers inconnus dans leurs communautés. L’Etat Islamique s’est ouvertement vanté d’envoyer des terroristes en Europe parmi les réfugiés, avec l’intention ferme de perpétrer des actes violents afin de déstabiliser l’Occident. Bien sûr, la menace du terrorisme est utilisée de manière cynique par les gouvernements pour mettre en place des politiques policières étatiques, mais cela ne veut pas dire que la menace de terrorisme est irréelle. Malheureusement, elle existe, et il faut remercier très largement pour cela les politiques de ces mêmes gouvernements.

La crise des réfugiés devrait être vue comme un signal d’alarme que les Etats-Unis et ses alliés de l’OTAN – en particulier l’Angleterre et la France – sont en train d’emmener le monde vers un état de chaos qui continuera de s’étendre et qui approche un point de non-retour. Il est facile et rapide de casser quelque chose. La réparer peut se révéler impossible. La civilisation elle-même pourrait être plus fragile qu’elle n’en a l’air.

Source : Counterpunch, le 07/09/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/quand-le-berceau-de-la-civilisation-devient-son-cimetiere/