Je vous propose aujourd’hui un texte que j’ai trouvé globalement remarquable : il s’agit du discours de Yanis Varoufakis, tenu le 23 août 2015 à Frangy-en-Bresse, à l’invitation d’Arnaud Montebourg.
Quoi que vous pensiez du personnage, de sa vision et de sa politique, il FAUT le lire – oui, je sais c’est un peu long, mais bon, ça ne fait pas du tout mal à la tête… Merci aussi aux traducteurs pour leur précieux travail régulier…
Il s’agit du témoignage d’un des 3 acteurs-clés grecs pour la négociation de 2015. Il témoigne de ce qu’il a vu et vécu, et donne son analyse, sans aucune langue de bois, ce qui est rarissime. Bien entendu, on lira avec un peu de recul et d’esprit critique…
Le discours
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La conclusion
Tordons rapidement le cou à un débat qui n’est pour moi pas central dans ce texte : la conclusion de Yanis Varoufakis est en gros qu’il faut “un réseau européen dont l’objet explicite soit la démocratisation de l’euro”.
Bon, qu’il en soit encore à ce genre d’absurdité (même s’il a bien montré qu’il était prêt à faire ce qu’il fallait pour se faire mettre dehors de l’euro par les autres pays) restera pour moi un mystère insondable de la “pensée” de la gauche radicale. Vouloir rendre l’euro démocratique, c’est un peu comme vouloir rendre le fascisme démocratique – merci de prévoir un délai, hein… Et en plus, sur le fond, l’euro est une absurdité, tout à fait identique à la distribution de sabots taille unique à toute la population – les pieds vont mieux quand ils ont une chaussure à leur pointure, comme une économie avec sa monnaie.
Je rappelle au passage ce mot du général :
Alain Peyrefitte– – Le traité de Rome n’a rien prévu pour qu’un de ses membres le quitte.
Général de Gaulle – C’est de la rigolade ! Vous avez déjà vu un grand pays s’engager à rester couillonné, sous prétexte qu’un traité n’a rien prévu pour le cas où il serait couillonné ? Non. Quand on est couillonné, on dit : « Je suis couillonné. Eh bien, voilà, je fous le camp ! « Ce sont des histoires de juristes et de diplomates, tout ça.
Mais bon, il est facile d’être courageux dans son fauteuil de commentateur, c’est une autre paire de manches d’être à la place de Tsipras, quand l’UE vous menace en cas de défaut de bloquer l’accès des touristes à la Grèce ainsi que l’importation de produits grecs – et plus de touristes ni d’huile d’olive ne peut que conduire à des violences politiques majeures en Grèce, et probablement à un coup d’État. Après, évidemment, le bon choix est sans doute de démissionner, mais on tombe alors – hélas – sur la logique du pétainiste : “il vaut mieux que je fasse moi-même, ce sera moins cruel que si d’autres le font” – ce qu’a d’ailleurs rapporté Varoufakis à propos de Tsipras.
Bref.
Je souhaitais aussi, en lien avec la vision de Tsipras, partager une citation de l’EXCELLENT livre d’Yves Benot, Massacres coloniaux: 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies française, hélas épuisé. Mais on en parlera un jour.
Je suis tombé sur cette citation à la fin du livre, qui traite d’un autre sujet, mais dont le lien avec la Grèce m’a semblé limpide :
Dans l’Hexagone, la République s’affirme antifasciste, invoque les principes de 1789, tandis qu’aux colonies, elle tolère le fascisme – fort bien identifié par Charles-André Julien -, qui lui sert à maintenir, sous couvert d’Union française, l’ancienne domination coloniale. [...] [Nous avons déjà évoqué] les communistes et l’aspect contradictoire de leurs positions. Ils sont engagés à fond dans le combat contre la guerre du Vietnam qui prend des formes d’actions de masse qu’ils étaient seuls à pouvoir animer et diriger. Ils restent à l’avant-garde dans toutes les campagnes contre les atrocités coloniales. Mais en même temps, ils continuent à s’accrocher à une Union française qui a perdu tout sens concret. [...] “
Et en effet :
- on avait des communistes admirablement anti-colonialistes, mais qui expliquaient qu’on n’allait quand même pas simplement accorder l’indépendance aux colonies, mais qu’une autre Union française était possible.
- on a des membres de la gauche radicale admirablement anti-austérité, mais qui expliquent qu’on ne va quand même pas simplement quitter l’euro austéritaire, qu’une autre Union européenne est possible.
Mais bref, outre ces remarques anecdotiques, je répète que ce n’est pas cette conclusion qui fait l’intérêt du texte…
Le reste du propos
Bien entendu, il y a 2 intérêts à ce texte. Le premier est évidemment le récit des négociations (au moins avec la vision grecque, mais elle est à l’évidence bien plus proche de la réalité que celle de Moscovici/Quatremer), tout ce qu’on n’a donc pas lu dans nos médias. Et une analyse impitoyable, prenons juste les titres :
- Les élections ne peuvent rien changer
- Un coup d’État très européen
- Remède toxique
- Face à un mur
- De plus gros poissons à ferrer
- Perte de la souveraineté sur les ministères clés de l’État
- Déficit démocratique
Tu m’étonnes qu’on fasse passer le gars pour un extrémiste fou – va répondre à un tel réquisitoire, sinon en étant un peu convaincant..
Donc l’ancien ministre grec de l’économie parle d’un coup d’État dans son pays, indiquant :
“Notre Printemps d’Athènes a été écrasé, tout comme, autrefois, celui de Prague. Pas par des tanks, bien sûr, mais par des banques.” [Yanis Varoufakis, 23/08/2015]
C’est quand même proprement incroyable, et cela aurait du provoquer un énorme débat dans le pays – surtout quand on voit comme on est chatouilleux sur “les valeurs des principes républicains du respect de la Démocratie” tout ça tout ça, enfin, surtout en ce qui concerne la Russie par exemple…
Et donc, c’est là qu’on arrive au second intérêt de la chose : comment nos médias ont-ils accueilli ceci ?
Analyse complète à lire dans ce billet.