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[U4-4] EuroMaïdan : Le dessous des cartes

Friday 7 November 2014 at 03:05

Suite du billet précédent sur l’Ukraine
Index de la série

4.4 Le dessous des cartes

Au-delà de ces faits « publics », d’autres faits sont venus éclairer les différentes « ingérences dans les affaires de l’Ukraine », et le dessous des cartes.

L’implication des Américains

Rien de bien nouveau sous le soleil. Dès 1997, Zbigniew Kazimierz Brzeziński, conseiller de Jimmy Carter de 1977 à 1981, d’origine polonaise, écrivait dans Le Grand Echiquier : « Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire. », et citait le géographe du début du XXe siècle Halford John Mackinder :

« Qui contrôle l’Europe de l’Est contrôle l’Heartland [la Russie] ;

Qui contrôle l’Heartland contrôle l’Île Monde [L’Eurasie] ;

Qui contrôle l’Île Monde contrôle le Monde »

L’évènement le plus marquant aura été l’interception d’une conversation du 25 janvier 2014 entre l’ambassadeur américain en Ukraine Geoffrey Pyatt et Victoria Nuland, très probablement réalisée par la « NSA russe ». Ce morceau d’anthologie vaudra ainsi à Nuland le surnom de Mme « Fuck the UE » :

Victoria Nuland : Que pensez-vous ?

Geoffrey R. Pyatt : Je pense que nous sommes dans le jeu. La pièce Klitchko est évidemment l’électron le plus compliqué ici, en particulier le fait qu’on l’ait annoncé comme vice-Premier ministre. Vous avez vu mes notes sur la difficulté du mariage en ce moment, nous essayons d’obtenir une analyse très rapide pour savoir s’il fait partie de la future équipe. On aurait donc besoin de savoir rapidement où il se situe sur ces questions. Je pense que vous devriez avoir une conversation avec lui, et que c’est le prochain coup de téléphone que vous devriez passer, exactement comme celle que tu as eue avec Yats [Iatseniouk]. Tu as réussi à lui faire jouer le rôle qu’on veut dans ce scénario et c’est très satisfaisant tout autant que ses déclarations en retour.

Victoria Nuland : Bon. Je ne pense pas que « Klitsch » [surnom de Klitschko] devrait être dans le gouvernement. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire, je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

Geoffrey R. Pyatt : Oui, je veux dire… je suppose… Pour ce qui est de sa non-participation au gouvernement, je serais d’avis de le laisser en dehors pour qu’il se consacre à ses obligations politiques et à ses projets. Je pense juste qu’en termes d’avancée du processus, nous voulons garder les démocrates modérés ensemble. Le problème sera avec Tyahnybok et ses gars. Et, vous savez, je suis sûr que cela fait partie du calcul de Ianoukovytch.

Victoria Nuland : Je pense Yats, c’est le gars adéquat. Il a de l’expérience économique et de l’expérience en tant que ministre. C’est le gars. Vous savez, ce dont il a besoin, c’est que Klitsch et Tyahnybok restent à l’extérieur. Il doit leur parler quatre fois par semaine. Vous savez, je pense juste que si Klitchko entre, il va devoir travailler au niveau de Iatseniouk : cela ne va tout simplement pas marcher…

Geoffrey R. Pyatt : Oui, je pense que c’est vrai. Ok, bon. Souhaitez-vous que nous organisions un appel avec lui comme étape suivante ?

Victoria Nuland : Ma conception de l’appel dont vous parlez, c’est que les trois grands participent à leur propre réunion et que Yats leur propose dans ce contexte. Vous le savez, une conversation « trois plus un » ou « trois plus deux » si vous participez. C’est ainsi que vous le comprenez ?

Geoffrey R. Pyatt : Non, je pense que c’est ce qu’il a proposé, mais connaissant leur dynamique interne lorsque Klitchko était aux commandes, il va prendre son temps avant de se manifester pour aller à une de leurs réunions et il doit déjà être en train de parler à ses gars. Donc je pense que si vous le joignez directement, cela aiderait à gérer ces trois personnalités. Cela vous donne également une chance d’d’influer rapidement sur tout cela et nous permettra d’être en arrière-plan avant qu’ils ne s’assoient et qu’il explique pourquoi il n’est pas d’accord.

Victoria Nuland : Ok. Bon. Je suis contente. Pourquoi ne le contacteriez-vous pas pour voir s’il veut discuter avant ou après ?

Geoffrey R. Pyatt : Ok, je vais le faire. Merci.

Victoria Nuland : Ok… encore une chose pour vous Geoff. Je ne me souviens pas si je vous ai dit ou si je n’en ai parlé qu’à Washington : quand j’ai parlé à Jeff Feltman [Sous-Secrétaire général des Nations Unies aux Affaires Politiques] ce matin, il avait un nouveau nom pour le type de l’ONU : Robert Serry. Je vous ai écrit à ce sujet ce matin.

Geoffrey R. Pyatt : Oui, j’ai vu cela.

Victoria Nuland : Ok. Il a obtenu aujourd’hui, à la fois de Serry et de Ban Ki-moon, que Serry vienne lundi ou mardi. Ce serait formidable, je pense, ça aiderait à souder ce projet d’avoir l’aide de l’ONU. Et, vous savez quoi ? Que l’Union européenne aille se faire foutre !

Geoffrey R. Pyatt : Exactement. Et je pense que nous devons faire quelque chose pour que ça colle ensemble, parce que vous pouvez être sûre que si ça ne commence pas à prendre de l’altitude, les Russes vont oeuvrer en coulisses pour essayer de le torpiller. Et encore une fois le fait que ce soit la place publique en ce moment, je suis encore à essayer de comprendre pourquoi Ianoukovytch a fait ça. En attendant, il y a en ce moment-même une réunion d’un courant du Parti des Régions et je suis sûr qu’il y a un débat très animé dans ce groupe à ce sujet Mais quoi qu’il en soit je pense qu’on peut retourner la situation si on agit vite. Alors laissez-moi travailler sur Klitschko… Je pense que nous devrions simplement chercher à trouver quelqu’un avec une personnalité internationale pour venir ici et aider à l’accouchement de notre projet. L’autre question concerne Ianoukovytch, mais nous en reparlerons demain, nous verrons comment les choses commencent à se mettre en place.

Victoria Nuland : Donc, sur ce point, Geoff, quand j’ai écrit la note, Sullivan [Jake, le conseiller de sécurité nationale du vice-président américain] est venu me voir directement pour me dire que nous aurions besoin de Biden [Joe Biden le vice-président] et j’ai répondu que ce serait génial de l’avoir demain pour que tout roule. Biden est d’accord.

Geoffrey R. Pyatt : Ok. Très bien, merci.

Cet enregistrement audio révèle donc comment Nuland a tenté, en coordination avec l’ambassadeur américain, d’imposer au gouvernement ukrainien les candidats de l’opposition de leur choix.

Dans sa conversation téléphonique avec l’ambassadeur américain, Nuland s’exprime au passage en termes très peu diplomatiques sur l’incapacité de l’Union européenne, pourtant une puissance alliée des Etats-Unis, à s’imposer, où elle lance le désormais fameux : “Fuck the EU” ! (que l’UE aille se faire foutre !).

On note au passage qu’elle appelle-t-elle les leaders de l’Euromaïdan : « Yats » et « Klitsch ». Utiliser un langage si familier suppose une évidente proximité et une indéniable connivence entre les membres du triumvirat et l’administration américaine…

Au passage les protagonistes expliquent comment Jeff Feltman, secrétaire-adjoint aux Nations unies, promeut les intérêts américains. En effet, Nuland informe également Pyatt qu’elle a évoqué son plan avec le sous-secrétaire des Nations-Unies pour les Affaires politiques Jeffrey Feltman, un ancien du département d’État américain, qui devait nommer un représentant de l’ONU pour promouvoir l’accord envisagé par elle. Le vice-président américain Joe Biden devait également être mobilisé pour promouvoir son choix.

L’intervention de Nuland a lieu peu après la proposition formulée le 25 janvier par le gouvernement ukrainien offrant des postes ministériels à Arseni Iatseniouk et Vitali Klitschko.

Nuland prétend que si l’on permettait à Klitschko de devenir vice-Premier ministre, comme le lui avait proposé le président ukrainien Ianoukovitch, les choses se passeraient mal avec Iatseniouk, son choix préféré comme chef du nouveau gouvernement.

N.B. dans le rôle de « l’espionneur espionné », les États-Unis ont alors accusé la Russie « d’espionnage » par le biais du porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, pour qui le fait que la conversation ait été « diffusée sur Twitter par le gouvernement russe est significatif du rôle de la Russie ». Le département d’État a pour sa part été plus direct, estimant que les méthodes de la Russie étaient « tombées bien bas »…

Soulignons au passage que la réaction de l’Europe-Puissance a été à la hauteur de l’affront « Fuck the UE » :

“Source : lemonde.fr

Mission accomplie : je pense que Nulland, non sanctionnée, a compris que si elle recommençait, elle aurait droit à un second communiqué où on ne lui répondra pas…

Cette évidente implication américaine en Ukraine a été dénoncée le 6 février par le conseiller russe Sergueï Glaziev qui a déclaré que « les Américains ignorent le Mémorandum de Budapest de 1994 sur les Assurances de Sécurité, puisqu’ils dépensent (selon lui) 20 millions de dollars par semaine pour financer l’opposition et les rebelles, y compris pour les armer », accusant les Américains d’en entraîner certains dans les sous-sols de l’ambassade américaine.

Le financement de Maïdan

Un autre point est à souligner : les milliers d’activistes et de miliciens qui n’ont pas travaillé pendant 2 mois ne l’ont pas fait gratuitement… Et n’ont pas acheté avec leur argent les centaines de masques à gaz…

De même, ils n’ont pas trouvé par miracle en quelques heures fin novembre les centaines de drapeaux déployés… Comme l’indiquait dès le 25 novembre Grigori Trofimtchouk, vice-président du Centre de modélisation du développement stratégique :

« Il ne faut pas beaucoup de temps pour organiser des meetings politiques en Ukraine. A la différence de toute autre chose, là, il n’y a pas de problème. À en juger d’après la plus récente information dans les réseaux sociaux, la mobilisation d’une personne coûte 100 grivnas. »

Selon l’opposition, quelque 100 000 personnes participent aux actions de protestation, et trois fois moins d’après des données officielles. Les premières annonces sont parues sur Internet dès vendredi (22/11). Et c’est également vendredi que l’opposition a fixé la journée d’action pour le dimanche 24 novembre. Suivant la tradition ukrainienne, l’essentiel des participants est alors constitué de la couche de la société la plus démunie : agents de la sphère publique, étudiants et retraités. Mais ils sont peu nombreux.

Pour les experts du marché de publicité, la confection de drapeaux, le dessin des banderoles prend d’habitude deux semaines. Donc, soit tout ce matériel avait été commandé d’avance, soit les organisateurs ont dû payer beaucoup plus pour les avoir en urgence. Comme l’indiquait Sergueï Iakovlev dès le 24/11/2013 :

« Si l’action était programmée d’avance, le coût de l’action de protestation est deux fois moindre. Si on le faisait d’urgence c’était deux-trois fois plus cher. Les drapeaux, les banderoles et la livraison de la nourriture, cela représente 30 % de la facture. De telles actions de protestation engageant plusieurs milliers de personnes reviennent à environ 200 000 à 300 000 dollars. »

“Source : french.ruvr.ru

Il est apparu par la suite que, le danger augmentant, un certain nombre de manifestants ont été payés entre 200 et 300 grivnas par jour, soit entre 20 et 30 dollars par jour (soit l’équivalent en termes de pouvoir d’achat de 250 € par jour en France).

“Source : paulcraigroberts.org

Alors qui a payé pour le Coup d’État ?

De façon certaine : l’oligarque Petro Poroshenko (fortune : 1,3 milliards de dollars), puisqu’il l’a avoué lui-même sur CBS :

Clarissa Ward : D’où vient l’argent pour financer de ce mouvement de protestation?

Petro Porochenko : Il n’y a pas de sponsor de Maïdan, vous pouvez le croire.

Clarissa Ward : Donc, vous affirmez que vous n’avez pas donné d’argent à ce mouvement ?

Petro Porochenko : Non, ce n’est pas vrai. Mais je l’ai fait comme beaucoup d’autres personnes…

“Source : Cbsnews

Il a été très discret, mais quelques photos existent…

À Maïdan…

Avec Klitchko (et Tyahnybok)…

Toujours avec Klitchko…

Avec les Américains (Nuland, Pyatt, Kerry)

Reçu par les dirigeants à Londres et Paris…

Il avait déjà cofinancé la Révolution Orange de 2004, et est un (très) proche de Timochenko :

Et il est donc désormais le favori des Occidentaux pour la Présidentielle de mai 2014 :

Pour revenir au financement de Maïdan, il semble aussi que Fondation Konrad Adenauer, proche du CDU, le parti chrétien-démocrate d’Angela Merkel, ait joué un rôle important.

Un autre nom revient avec insistance, celui de l’oligarque Viktor Pintchouk. Comme nous l’avons vu précédemment, il s’agit de la deuxième fortune d’Ukraine. Marié à la fille de Léonid Kuchma, ancien président de l’Ukraine (1994-2005), il a fait fortune dans l’acier et a établi de solides relations avec le couple Clinton aux États-Unis. On a vu également qu’il finançait la fondation du nouveau Premier ministre ukrainien…

Dans une interview à notre quotidien de référence, il déclare le 23 février :

« Ce matin même, l’Union européenne aurait dû annoncer, en guise de premier pas, la suppression des visas pour nos citoyens ! […]

Les gens ont dépassé les politiciens. Au cours de ces trois mois, ils ont eu une vision, des valeurs en commun. Ce sont des héros. La révolution leur appartient. La société civile est passée loin devant le grand business et les politiciens, qui devront s’adapter.

["Quant aux menaces séparatistes, Viktor Pintchouk se montre optimiste" – un visionnaire !] Il n’existe pas une seule force en Ukraine souhaitant que le pays rétrécisse. Et particulièrement le grand business. En réalité, ce qui se passe accroît l’attractivité de l’Ukraine. Nos problèmes financiers n’existent qu’à court terme.

Nous pouvons devenir le pays le plus tendance du monde. Enfin, si on ne fiche pas tout en l’air et qu’on ne se retrouve pas encore dans l’impasse. »

“Source : lemonde.fr

À suivre dans le prochain billet

Source: http://www.les-crises.fr/u4-4-le-dessous-des-cartes/