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V pour Varoufakis : parce qu’une autre spéculation est possible (+ Okéanos)

Sunday 22 February 2015 at 03:59

Quelle que soit l’issue de la confrontation entre le gouvernement grec et les institutions européennes, elle aura au moins permis de dessiner le profil d’une gauche adéquate aux enjeux du capitalisme financiarisé. En la personne de Yanis Varoufakis, le ministre des finances du gouvernement d’Alexis Tsipras, ce profil a même trouvé son premier nom propre. Car jusqu’ici, l’électorat de gauche n’a eu le choix qu’entre deux options : des partis socialistes qui, pour paraître modernes, épousent, plus ou moins hardiment, tous les mots d’ordres néolibéraux, et des formations demeurées fidèles à leurs idéaux d’antan, mais qui, pour leur redonner vie, attendent, plus ou moins patiemment, l’improbable retour du monde fordiste.

Sans doute les représentants de la gauche authentique ne gardent-ils pas que des bons souvenirs de la période du capitalisme industriel – y compris dans les trente glorieuses années qui l’ont achevée. Mais, au moins, c’était un temps l’où on savait comment s’opposer – au patronat et à ses affidés dans la classe politique. Sur le front social, l’opposition prenait la forme de rudes négociations entre travailleurs et employeurs – ce qu’au Front de gauche on appelle encore l’établissement d’un « rapport de force ». Pour négocier dans des conditions favorables, les syndicats recouraient à la grève ou à de grandes manifestations, tandis que les patrons se livraient au chantage à l’emploi. Les intérêts nécessairement conflictuels des salariés et des employeurs fondaient également la polarité du champ politique, où les uns et les autres pouvaient compter sur des partis dévoués à leur cause.

À l’époque, le marché du travail était le lieu privilégié des conflits sociaux et de la création de la valeur économique. Du prix attribué à la force de travail dépendait la répartition de la plus-value entre salaires et dividendes, de sorte que l’aptitude à le négocier à la hausse était la compétence requise pour rendre l’économie capitaliste moins inégalitaire, voire même pour saper ses fondements – puisque, selon Marx, la survie du système passait par une exploitation croissante des travailleurs.

Or, c’est précisément pour s’épargner ce sort funeste que le capitalisme s’est réinventé au tournant des années 1980. En quelques années à peine, son centre de gravité s’est en effet déplacé du marché de l’emploi – soit le lieu où la force de travail est constituée en marchandise – vers les marchés financiers – soit le lieu où les initiatives deviennent des actifs. Autrement dit, davantage que les employeurs, ce sont désormais les investisseurs qui gouvernent. Les premiers continuent sans doute de faire des profits, soit de s’approprier une part du produit supérieure à leurs dépenses en comprimant les coûts du travail. Reste qu’ils doivent se plier aux exigences des seconds, dont la prérogative consiste à allouer le crédit, soit à sélectionner les entreprises qui méritent d’être financées.

De ce changement de régime, la gauche ne s’est jamais remise – tout au moins jusqu’à la récente victoire de Syriza. Il faut dire que sur les marchés financiers, l’art de la négociation, où les syndicats ont appris à exceller, est de peu d’utilité. À la différence des marchandises qui circulent sur les autres marchés – y compris le marché du travail – les titres financiers ne tirent pas leur valeur d’échange de la négociation entre acheteurs et vendeurs mais de la spéculation des investisseurs sur leur rendement futur. Si le profit est affaire de marchandages, ce sont des paris qui déterminent le crédit.

Par conséquent, prendre pied sur les marchés des capitaux en sorte d’y modifier les conditions d’accréditation – et en l’occurrence, pour obtenir que le bien-être d’un peuple y soit davantage valorisé que sa disposition à se saigner pour renflouer le système bancaire – nécessite l’apparition de politiciens capables de spéculer pour leur compte. Or, en moins de deux semaines, Yanis Varoufakis s’est imposé comme le premier d’entre eux. Car en dépit de ce qu’affirment nombre de ses admirateurs, le ministre des finances du nouveau gouvernement grec ne négocie pas : il spécule et, mieux encore, contraint ses interlocuteurs à spéculer en retour sur ses intentions. Au lieu de marchander la restructuration de la dette grecque, il parie concurremment sur la bonne volonté de chacun et sur le risque qu’il y aurait à y déroger.

Ainsi, loin d’affecter une posture intransigeante ou, à l’inverse, d’implorer un geste de clémence, Yanis Varoufakis  va répétant :

(1) que ses propositions sont raisonnables et aussi soucieuses de l’avenir de l’Europe que du sort de la Grèce,

(2) que l’attachement de ses partenaires européens au pouvoir de la raison et à la préservation de l’Union qu’ils forment est certainement égal au sien

et, par conséquent,

(3) qu’il est pleinement confiant dans l’issue des discussions en cours.

Est-ce à dire qu’en dépit des promesses de campagne d’Alexis Tsipras son ministre est ouvert aux compromis ? Se montre-t-il au contraire convaincu que ses interlocuteurs se rendront à ses arguments ? Nul ne le sait – et cette incertitude tend à pétrifier la plupart des dirigeants européens. Sans doute Wolfgang Schaüble, le ministre des finances allemand, a-t-il tenté de briser le sortilège en proclamant que son collègue grec et lui-même étaient tombés d’accord sur leur complet désaccord. Mais Varoufakis a aussitôt rétorqué qu’en réalité ils n’étaient même pas d’accord sur le fait d’être en désaccord – autrement dit, qu’il était bien possible que leurs positions ne soient au fond pas tellement éloignées. Le grand prêtre de l’austérité dut alors conclure que, décidément, il ne comprenait pas ce que voulaient les autorités d’Athènes… Même les mesures de rétorsion préventive décidées par la BCE – sous pression allemande – n’ont pas altéré le ton du ministre grec : en limitant l’accès des banques de son pays aux liquidités, explique-t-il sans sourciller, Mario Draghi entend seulement signifier que le temps presse, et qu’il faut donc se hâter de trouver une issue conforme à l’intérêt de l’Europe.

Si l’indéchiffrable assurance de Yanis Varoufakis perturbe les politiques, en revanche, à chaque fois qu’il prononce le mot confiance, les bourses repartent aussitôt à la hausse – ce qui explique que même les gouvernants les plus friands de rigueur budgétaire hésitent à le contredire. C’est que, depuis longtemps déjà, les malheureux investisseurs balancent entre deux inquiétudes contraires: la crainte de voir les pays emprunteurs se défausser de leurs obligations mais aussi la peur de la déflation, dont les politiques d’austérité sont justement la cause – et qu’un défaut de la Grèce ne manquerait pas de tirer vers la dépression. Ne sachant trop sur quel pied danser, les bailleurs de fonds, qui sont de grands émotifs, ne peuvent qu’apprécier un homme qui, dans de telles circonstances, leur affirme que, selon lui, tout va bien se passer. Pour la même raison, on comprend que les autres dirigeants européens n’osent pas trop doucher la confiance affichée par Yanis Varoufakis : tributaires des marchés financiers, ils ne veulent à aucun prix que ceux-ci les jugent responsables d’avoir gâché l’ambiance.

Sur le plan du contenu, les propositions formulées par le ministre grec sont en parfait accord avec sa rhétorique. D’un côté, soutient-il, le gouvernement d’Athènes est trop « raisonnable » pour réclamer un pur effacement de la dette – notamment parce qu’une telle mesure représenterait un aveu trop humiliant de l’échec des politiques menées jusqu’ici. Mais d’un autre côté, parce qu’il est persuadé que le bon sens est partagé par toutes la parties prenantes de la discussion, Yanis Varoufakis veut croire que la nécessité d’un changement de cap fait consensus – pour autant que les commanditaires de feu la troïka sauvent la face. Aussi propose-t-il deux formules qui se veulent des hommages à la raison commune mais ne constituent pas moins des chefs-d’œuvre d’ironie.

La première consiste non pas à annuler la dette, ni même à en reporter les échéances de remboursement, mais à la convertir en obligations indexées sur la croissance de l’économie grecque. Tant la Commission que la Banque centrale européennes – sans oublier le FMI – n’ont-elles pas toujours proclamé que les mesures d’austérité qu’elles imposaient à la Grèce avaient pour objectif ultime, non de renflouer des banques délinquantes, mais, in fine, de relancer l’activité économique du pays ? Eh bien, chiche, semble dire Yanis Varoufakis : désormais, les Grecs payeront leurs créanciers au prorata du bienfondé de leurs requêtes.

Quant à la seconde proposition, l’opération de conversion qu’elle met en avant est d’une autre nature mais répond aussi aux proclamations des maîtres d’œuvre de la politique européenne. Ceux-ci aiment en effet rappeler aux Grecs tout ce qu’ils doivent à l’Europe : les citoyens de l’Union n’ont-ils pas mis la main à la poche pour soutenir un État à la dérive ? Plutôt que d’insister trop lourdement sur le fait qu’en réalité, les prêts consentis ont essentiellement servi à sauver des banques grecques mais aussi allemandes et françaises, Yanis Varoufakis s’empresse d’abonder : moi ministre, affirme-t-il, la Grèce ne lésinera pas sur sa gratitude. Mieux encore, une fois leur dette convertie en « obligations perpétuelles », à savoir des titres dont les intérêts sont « perpétuellement » payés mais le capital jamais remboursé, les Grecs seront en mesure de témoigner une reconnaissance proprement éternelle au reste de l’Europe. Une telle proposition trouve son modèle chez le Dom Juan de Molière qui, à défaut de rembourser ce qu’il doit à Monsieur Dimanche, assure à son créancier qu’il est éternellement son obligé.

Tout comiques qu’ils soient, ces deux modes de résolution ont également pour eux le sérieux économique. Mais surtout, en prenant les dirigeants l’UE au mot, les deux formules proposées exposent leurs destinataires au risque de paraître se dédire s’ils se bornent à les rejeter du revers de la main. Quelle est l’importance de ce risque ? Comme toujours en pareil cas, la réponse à cette question résultera des spéculations qu’elle aura suscitées.

Non content de parier sur le pouvoir de contagion de la confiance qu’il affiche, Yanis Varoufakis s’adonne également à l’art de la spéculation baissière. Ses propos sont en effet émaillés de sombres conjectures – au cas où ses partenaires et lui seraient contraints de reconnaître leur insurmontable désaccord. Ainsi, face aux experts qui assurent qu’en raison du transfert de la dette grecque aux institutions publiques, un Grexit n’affecterait guère le système bancaire des autres pays européens, il se contente de répondre : « en êtes-vous réellement sûrs ? Avez-vous récemment consulté les bilans de vos propres banques ? » Et d’ajouter aussitôt que c’est moins comme Grec qu’il craint l’incidence d’un défaut de son pays – celui-ci ne pouvant guère tomber plus bas – qu’en tant qu’Européen préoccupé par le bien-être de tous les peuples de l’Union.

Plus remarquable encore est l’avertissement que Yanis Varoufakis lance spécifiquement au gouvernement allemand. D’une part, à la grande indignation de ses détracteurs, il rappelle que l’Allemagne n’a jamais acquitté sa dette de guerre à l’endroit de la Grèce – pas plus qu’elle n’a remboursé l’impôt odieux extorqué lors de l’occupation. À cette évocation d’un passé pas si lointain – et d’autant moins que les thuriféraires de la construction européenne répètent à l’envi que leurs efforts sont informés par le souvenir du mal absolu que fut le nazisme – le ministre des finances grec ajoute que la justice de son pays se penche ces jours-ci sur des scandales de moindre envergure mais plus récents, tels que les pots de vins versés par nombre d’industriels allemands – peut-être même avec l’appui de leur gouvernement – en sorte de vendre leurs marchandises à la pléthorique armée grecque. (À cet égard, il est notable qu’une réduction du budget militaire de la Grèce – le quatrième en Europe ! – n’a jamais figuré parmi les exigences de la troïka.) Pour Angela Merkel et son ministre des finances, l’ouverture de ces procès pour corruption présenterait surtout l’inconvénient de démentir l’équation fièrement promue par Berlin, entre austérité économique et rigueur morale.

Mais d’autre part, Yanis Varoufakis ne convoque jamais le passé de l’Allemagne sans immédiatement l’articuler au futur de la Grèce. Dans le pays où je m’apprête à retourner, a-t-il notamment expliqué dans la capitale allemande, lors de sa conférence de presse commune avec Wolfgang Schaüble, la formation politique qui est arrivée en troisième position aux dernière élections législatives n’est pas « populiste », ni même néonazie, mais tout simplement nazie. Bien plus, seul l’espoir représenté par Syriza est parvenu à enrayer sa progression. Par conséquent, ruiner cet espoir revient à exposer l’Europe au retour de ce que l’UE a pour mission de conjurer à tout prix. Et Varoufakis de conclure que si l’effacement de la dette allemande a bien été décidé pour enterrer définitivement la bête immonde, il serait aussi absurde qu’abject de favoriser aujourd’hui son réveil, en opposant une fin de non recevoir aux raisonnables propositions du gouvernement d’Athènes.

Plus encore qu’à donner une leçon de morale politique, le ministre grec vise à alerter les autorités allemandes sur les risques qu’elles courent en demeurant intransigeantes : lorsqu’on dirige un gouvernement dont le siège est à Berlin, demande-t-il, est-il vraiment « raisonnable » de s’exposer à l’accusation d’encourager l’essor d’un parti nazi – fût-ce en dehors du territoire national ? En même temps, pas question pour Yanis Varoufakis de soupçonner qu’Angela Merkel et Wolfgang Schaüble  puissent faire preuve d’irresponsabilité en ce domaine. N’a-t-il pas qualifié la première de visionnaire et gratifié le second d’une puissance intellectuelle sans égale parmi les dirigeants européens ? Bref, une fois encore la confiance règne – à charge, pour la chancelière et son argentier de ne pas prendre le risque de la décevoir.

Qu’il s’applique à communiquer sa foi dans la disposition de ses partenaires à sortir de l’impasse ou à pénétrer les publics auxquels il s’adresse que les institutions européennes ne sauraient rester sourdes aux besoins du peuple grec sans mettre en péril l’ensemble des populations dont elles ont la charge, l’ancien professeur d’économie de l’université d’Austin est bien le premier politicien de gauche à opérer dans le champ de la spéculation. « V pour Varoufakis », lisait-on sur une pancarte, lors d’une marche de soutien au gouvernement d’Alexis Tsipras – formule qui est ensuite devenue le nom d’une page facebook dédiée aux faits et gestes du ministre. V de la victoire ? Il serait pour le moins hasardeux de le suggérer. Mais V comme virage, cela ne fait aucun doute : car à une gauche partagée entre la vaine déploration de l’hégémonie des spéculateurs et  la honteuse soumission à leur joug, Yanis Varoufakis oppose la conviction qu’une autre spéculation est possible. Reste à souhaiter qu’il fasse de nombreux émules.

Source : Michel Feher, pour son Blog Mediapart

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Une interview de notre correspondant sur place :)

« Les Grecs veulent en finir, pas seulement avec la dette… », par Okéanos

Créateur d’Okeanews, site francophone de référence sur la Grèce, Okéanos a voulu montrer de l’intérieur la situation du pays. Il raconte maintenant comment la victoire de Syriza et ses premiers jours au pouvoir sont vécus, entre espoir et fierté.

Lancé en 2011, Okeanews est devenu une référence essentielle pour suivre l’actualité grecque à partir d’autres sources que celles répercutant les discours majoritaires sur la dette du pays et ses origines. En prise directe avec les habitants, Olivier Drot passe depuis quatre ans la majeure partie de son temps à Athènes, où il a ressenti aussi bien les ravages de l’austérité que le sentiment d’humiliation des Grecs. Il nous aide à mieux comprendre l’immense portée de la victoire de Syriza là-bas.

Regards. L’envie de lancer Okeanews a-t-elle d’abord procédé du sentiment que le traitement de l’actualité grecque était insatisfaisant en France ?

Okéanos Je lisais la presse française avant de m’intéresser de près à la Grèce. En passant du temps ici, en discutant avec des Grecs, en essayant de comprendre la situation, je me suis rendu à quel point mon avis était biaisé. J’ai vu aussi arriver les premiers articles, principalement du journal allemand Bild, évoquant les Grecs paresseux et fraudeurs. Ces préjugés ne rendent évidemment pas compte de comment vivent et travaillent les Grecs. Le mouvement des indignés sur la place Syntagma et les deux jours de guerre ouverte déclarée par le gouvernement ont été un autre déclencheur. En suivant les événements sur les médias indépendants, j’ai pris conscience de la violence de la police et de la manière dont elle cherchait à mettre fin à ce mouvement qui se voulait différent. Or, j’ai là aussi constaté qu’il manquait des éléments essentiels dans la façon dont il en était rendu compte. Okeanews est parti de cette envie de comprendre, et de partager ce que je voyais.

Il s’agissait de donner le point de vue des Grecs sur leur propre situation ?

On va toujours parler de la fraude, de la corruption, du clientélisme, de l’église – des thèmes qui servent à dire que tout est de la faute des Grecs, sans chercher à savoir ce qu’en pensent les Grecs eux-mêmes. C’est ce qui m’intéressait : les Grecs se complaisent-ils dans ces problèmes, ou ont-ils envie d’en sortir ? On a la preuve aujourd’hui, avec l’élection de Syriza et ce soutien populaire sans précédent, qu’ils veulent en finir : ce n’est pas seulement refuser la dette, mais aussi l’oligarchie, les élites et la corruption représentées par les partis précédemment au pouvoir. Les clichés sur les Grecs ont servi à présenter la situation comme le résultat d’une incurie qui aurait été voulue par la population. Ce procédé est abject, à mes yeux.

« Les Grecs ont ressenti une véritable indignation envers la façon dont ils étaient représentés »

Ce traitement médiatique partiel et ces préjugés sont-ils allés en se renforçant avec le développement de la crise et des effets de la cure d’austérité ?

Cela a été sinusoïdal : en schématisant, on parlait de la Grèce soit s’il y avait des émeutes, soit si la Grèce mettait l’Europe en péril. Sinon, on n’en parlait pas, comme pour dire « Tout se passe mieux ». Le tout ponctué de brèves croustillantes sur des histoires de fraudes rocambolesques, comme ces habitants d’une île dont les trois quarts se seraient déclarés aveugles pour toucher des aides de l’État, ou cette ville dont les habitants n’achèteraient que des Porsche…. Il y a évidemment des journalistes qui font du très bon travail sur la Grèce (ce sont généralement ceux qui y résident), mais les grands événements comme les manifestations ou les élections en font tout à coup débarquer beaucoup qui ne comprennent rien au pays et à ses habitants.

Comment l’image qu’ont les Grecs d’eux-mêmes a-t-elle été affectée, à la fois par l’image donnée d’eux à l’étranger et par ce que la crise a révélé ?

Il y a eu une réelle prise de conscience que le schéma politique était malsain, ce dont témoigne l’effondrement en six ans du PASOK et la défaite de Nouvelle démocratie. Mais aussi une réelle indignation envers la façon dont les Grecs étaient représentés. Dans un premier temps, ils ont eu la volonté d’expliquer leur identité mais, voyant l’image qui leur était renvoyée, ils ont ensuite exprimé une réelle méfiance, voire de la colère. Leur ressenti a été celui d’une perte de dignité. L’élection de Syriza marque un retour de balancier. Pour la première fois, un gouvernement met en œuvre la politique annoncée durant sa campagne électorale et semble déterminé à ne pas reculer. Un sondage a montré que près de la moitié des électeurs de Nouvelle démocratie le soutenait dans sa confrontation avec l’Europe…

Le soutien à Syriza semble porter à la fois sur un programme de réformes en profondeur et sur cette volonté de restaurer la fierté nationale…

Déjà, et c’est très inhabituel, les membres de ce gouvernement ont fait des études, souvent à un haut niveau, dans les domaines sur lesquels ils ont été nommés. Le ministre des Finances Yanis Varoufakis redonne aussi ce sentiment de fierté à la population en ne s’aplatissant pas. Durant cinq ans, les gouvernements successifs ont fait croire qu’ils voulaient renégocier alors qu’ils n’en avaient même pas l’intention. Les grandes manifestations de soutien, la semaine passée, sont des incitations à poursuivre les négociations dans la voie du refus de l’austérité.

« Les Grecs ont le sentiment de s’être fait berner en 2012, quand on a cherché à leur faire peur pour les dissuader de voter pour Syriza »

Comment évolue l’opinion, le soutien à Syriza en Grèce avec le “bras de fer” engagé entre le gouvernement et les institutions européennes ? Assiste-t-on à un renforcement de ce soutien, la période voit-elle les critiques de la droite resurgir ?

Ce soutien va en se renforçant. Le discours de la droite depuis deux ans a toujours consisté à annoncer l’arrivée des chars dans Athènes, le retour des zombies et de Godzilla (rires). Or il n’y a pas eu de “bank run” – de toute façon, les Grecs n’ont plus d’argent, alors ils ne vont pas se précipiter dans les banques pour le retirer. Ils ont le sentiment de s’être fait berner en 2012, quand on a cherché à leur faire peur pour les dissuader de voter pour Syriza (lire “Catastrophisme anti-Syriza : le top 10 des “petites” phrases du gouvernement”). Ils ont constaté que passer du PASOK à Nouvelle démocratie n’a rien changé, sinon en pire pour les droits de l’homme, les droits des migrants et bien d’autres domaines. Aujourd’hui, ils vont en majorité soutenir un gouvernement qui reste ferme sur ses positions et qui n’entend pas laisser d’autres gouverner à sa place (lire “Syriza monte en flèche dans un premier sondage post-électoral”).

La reconquête d’une souveraineté nationale est-elle centrale dans les préoccupations ?

Alexis Tsipras a dit quelque chose d’assez significatif à cet égard : « La Grèce ne reçoit plus d’ordres par e-mail. » Lors de la conférence de presse réunissant Yanis Varoufakis et son homologue allemand Wolfgang Schaüble, ce dernier – qui a éludé une question sur la contribution des entreprises de son pays à la corruption en Grèce – a de nouveau proposé d’y envoyer cinq cents collecteurs d’impôt allemands… Comment s’étonner ensuite que les Grecs aient le sentiment d’être occupés ou colonisés ? Ce regain de souveraineté nationale les incite à soutenir d’autant plus le gouvernement. Je pense que cet état de grâce va se consolider et que de plus en plus de Grecs se disent « On ne pas crever pour nos dettes ». Et que si l’Europe ne veut rien entendre et ne veut pas comprendre à quel point leur situation est dramatique, ils pourront aller jusqu’à la rupture, jusqu’à la sortie de l’euro.

Comment envisagez-vous la suite pour Okeanews ?

J’avais pris la décision d’arrêter si la Grèce était de nouveau gouvernée comme précédemment, dans la mesure où nous avons le sentiment d’avoir déjà tout dit de cette politique. Il y a aujourd’hui un bel espoir, pour la démocratie, les droits de l’homme, la liberté de la presse et beaucoup d’autres sujets. La Grèce va énormément changer. Il suffit d’écouter le discours de Zoe Konstantopoulou, la nouvelle présidente du parlement, pour le comprendre. Après quatre ans d’actualité sombre, j’espère que l’on va pouvoir donner des nouvelles positives… Mais rien n’est encore gravé dans le marbre !

Source : Jérome Latta, pour Regards

Source: http://www.les-crises.fr/v-pour-varoufakis-parce-quune-autre-speculation-est-possible/