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Les business models de la création numérique

Saturday 12 October 2013 at 14:00

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L’énorme majorité des artistes de notre planète ne toucheront jamais un centime pour leur travail. Faites l’expérience dans votre entourage : combien connaissez-vous de blogueurs, de musiciens, d’écrivains, de photographes, de dessinateurs, de tricoteurs, de cuisiniers, de contributeurs à des logiciels libres, de raconteurs d’histoires ? Il est probable que la majorité de vos amis et de votre famille, d’une manière ou d’une autre, soient des créateurs. De votre grand-mère qui raconte des histoires à votre petit cousin qui compose des chansons de rap qu’il récite sur Youtube, vous êtes entouré d’artistes.

Maintenant faites le compte de ceux qui ont déjà gagné au moins 1€ avec leur talent. Nettement moins, n’est-ce pas ? Réduisez encore à ceux qui gagnent leur vie avec leur art. Il y a de grandes chances que vous n’en connaissiez tout simplement aucun ou qu’ils tirent le diable par la queue.

La conclusion est simple : l’art n’est pas lié à l’argent. Chaque fois que l’on agitera devant votre nez le terrible spectre des artistes ne pouvant pas vivre de leur art, repensez-y : c’est déjà le cas, au pifomètre, pour 99,99% des artistes et personne ne s’en émeut !

Ceci dit, ne pourrait-on imaginer une manière de gagner sa vie, au moins en partie, avec son art ? Bien sûr. Ce processus s’appelle trouver un business model. S’il ne fallait pas passer par cette étape, n’importe qui pourrait se déclarer artiste et gagner de l’argent (au fond, c’est peut-être une idée à creuser…).

Le business model de la rareté

Le modèle le plus traditionnel est très simple : il s’agit de fournir le support d’une œuvre artistique. La réalisation de ce support coûte généralement cher et est complexe, ce qui entraine une certaine rareté des supports. Seules certaines entreprises bien équipées sont en mesure de produire ces supports.

L’échange commercial se situe donc entre le public et le producteur de supports. Pour l’artiste, le business model consiste à réclamer un pourcentage du prix au producteur de support. Ce pourcentage est très faible comparé au coût de production et de distribution des supports. L’échange entre l’artiste et le public est indirect et limité.

Un des principaux désavantages de ce système est le contrôle total des producteurs sur les artistes. Les producteurs décident des artistes qui auront le droit d’être distribués. Le copinage, la rentabilité supposée sont des facteurs qui dépassent amplement le simple talent de l’artiste.

Le bouleversement numérique

Le business model précédent est basé sur la conjecture que produire le support d’une œuvre est cher et complexe. Que cette conjecture se révèle fausse et toute la chaine s’écroule. Or c’est pourtant exactement ce qui se passe avec le numérique. De plus en plus d’œuvres peuvent être décrites comme un simple fichier informatique : musique, films, livres, objets imprimables en 3D, jeux, logiciels. Lorsque vous téléchargez le fichier en question, vous devenez vous-même le producteur et réalisez votre propre copie !

En effet, vous êtes le propriétaire du matériel et vous transposez une œuvre virtuelle sur un support physique. Vous êtes donc producteur et rentrez directement en concurrence avec les producteurs traditionnels. Face à cela, la première riposte fut de tenter d’imposer au monde numérique les contraintes de rareté du monde physique. Trois méthodes furent utilisées : la technique, avec les DRMs, la législative, avec le lobbying et les lois sur la propriété intellectuelle et la psychologique, avec une diabolisation de la copie en la renommant « piratage ».

Les producteurs trouvent un appui auprès du faible pourcentage d’artistes qui gagnent de l’argent avec un raisonnement très simple : votre business model est de gagner un pourcentage sur le support. Si le support devient gratuit, votre pourcentage est nul. Ce raisonnement se base sur l’hypothèse qu’il n’y a pas d’autre business model. Les producteurs de supports sont en effet terrifiés à l’idée que les artistes puissent trouvent un autre business model qui ne passerait pas par eux.

Mais quels sont les business models qui s’offrent aux artistes d’aujourd’hui ?

Le mécénat et la publicité

De tout temps, les artistes ont cherché le soutien de mécènes. Mais, dans l’immense majorité des cas, le mécène n’était pas complètement désintéressé. Il cherchait, à travers ce soutien, à augmenter son prestige, sa notoriété, son image de marque.

Dans son évolution la plus extrême, le mécénat est devenu la publicité directe. Un créateur est payé à condition de recommander un produit quelconque. Le public est donc encouragé à acheter un produit dont il n’a pas forcément envie. Sur le prix de ce produit, une infime fraction ira à l’artiste.

Outre que ce système injecte une flopée d’intermédiaires entre le public et l’artiste, il est également foncièrement inégal. Tout le public ne sera pas nécessairement acheteur du produit. Et tous les acheteurs du produit ne font pas partie du public de l’artiste.

Pire : il met grandement en danger l’indépendance de l’artiste dont le but n’est plus de produire une œuvre qui va parler au public mais bien de produire une œuvre qui le convaincra d’acheter un produit particulier. L’artiste se verra également obligé de lutter contre la liberté du public par exemple en jugeant AdBlock immoral.

L’organisme centralisateur et redistributeur

Une autre piste explorée est de faire en sorte qu’une population donnée paie une taxe à un organisme central qui redistribuera à sa guise le montant aux artistes.

Cet organisme central peut être privé (SABAM, SACEM) ou tout simplement l’état.

Cependant, ce mode de fonctionnement pose de nombreuses questions. Tout d’abord, il est profondément injuste envers le public, qui va payer de façon arbitraire. Enfin, il n’est guère besoin d’insister sur les abus qu’un tel organisme central est en mesure de faire, se gardant une part conséquente du gâteau.

Mais le pire est sans conteste l’arbitraire qui préside à la redistribution. Que l’on parle de Société d’auteurs ou de licence globale, seule une minorité d’artistes touchera un peu d’argent. Qu’un artiste soit légèrement en dehors du système et il se verra privé de rétribution, quand bien même son public paierait ses taxes !

Une des méthodes de redistribution utilisée par l’état consiste également en subsides, aides ou abattements fiscaux sous prétexte de « soutien à la culture ». Or, une fois encore, ces méthodes menacent grandement l’indépendance de l’artiste. Sa familiarité avec la classe politique au pouvoir deviendra pour l’artiste bien plus importante que son talent.

Produit d’appel pour produits dérivés

Un business model très courant et de considérer l’œuvre comme gratuite mais de fournir des produits dérivés payants : t-shirts, accessoires, places de concerts.

Si l’idée est intéressante, elle ne s’applique malheureusement pas à toutes les formes d’art. Quand avez-vous pour la dernière fois porté un t-shirt de votre écrivain favori ? Si aller à un concert d’un blogueur comme JCFrog est envisageable, je vous conseille d’éviter le tour de chant de Ploum !

L’appel direct au public

Tous les business models précédents ont ceci en commun qu’ils tentent de faire payer le public de manière indirecte. Que ce soit à travers l’achat d’un support, d’un produit dérivé, d’une taxe ou d’un produit qui n’a strictement rien à voir. Le business model général est donc de trouver un intermédiaire qui récolte de l’argent auprès du public, peu importe la manière, et paie l’artiste. Parfois, plusieurs modèles s’enchainent, augmentant les intermédiares payés par le public : un producteur de support demandera de l’aide de l’état pour continuer son travail, ce dernier utilisant l’argent des taxes.

Face à cet état de fait, une constatation saute aux yeux : Pourquoi ne pas se passer de l’intermédiaire ? Pourquoi ne pas faire payer directement le public ? Pourquoi ne pas tout simplement le convaincre de donner un peu d’argent. Pas grand chose, juste ce qu’il souhaite, ce qu’il peut se permettre. S’il donne directement 1€ à un musicien ou un écrivain, c’est plus que ce que dernier aurait touché pour la vente d’un livre ou d’un album ! Les artistes ont donc tout à gagner de ce système !

Pour le public, le gain est également évident : il peut directement choisir l’artiste ou les artistes qu’il veut soutenir, sans intermédiaire. Il garantit l’indépendance de ses artistes favoris et ne voit pas son esprit envahi par la publicité.

Évidemment, cette solution est très mal vue par tous les intermédiaires des business models indirects. Pourtant, ils ne doivent pas s’inquiéter. Si leur travail est utile, si leur contribution à l’œuvre et à sa diffusion est importante, l’artiste leur reversera une partie de ses gains.

Mais peut-être que beaucoup de ces intermédiaires savent que leur travail n’est utile ni aux artistes, ni au public. Ce n’est sans doute pas un hasard si ils tentent de s’opposer de toutes leur force à un monde ou l’art serait contrôlé directement par les artistes et le public.

 

Photo par Rapid City Public Library.

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Source: http://ploum.net/les-business-models-de-la-creation-numerique/


Printeurs 8

Friday 11 October 2013 at 16:16

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Ceci est le billet 8 sur 10 dans la série Printeurs

Mes mains tremblent. Je tente de soutenir le regard d’Eva mais mes yeux glissent lentement sur son cou, sa poitrine à peine apparente, la courbe de ses hanches. Je suis essoufflé, vidé, choqué. Mes vêtements poisseux puent la mort, la sueur et la peur. Comme un mort vivant, je me tiens dans l’entrée de notre laboratoire.
— Nellio ? Ça va ?

Son sourire est engageant, neutre. Si elle est étonnée de me voir survivre à l’attentat, elle n’en laisse rien paraître. Quelle comédienne ! Du grand art !
— Nellio ? Tu as l’air d’avoir couru un marathon et tu es couvert de poussière. Tu es sûr que tout va bien ?

Elle doit continuer à ignorer que je sais. Elle doit me croire indispensable à la suite du projet. Elle doit payer pour Max. Je la hais. Mais pourquoi est-elle si belle, si séduisante ? Son regard innocent, son empressement si naturel à mon égard.
— Ça va ! grommelé-je.

Ça va ! Doux euphémisme du monde moderne, onomatopée vidée de son sens par des générations d’organismes forcés de se côtoyer dans les étroits espaces citadins. Ça va ? Question qui n’attend aucune réponse, rite poli, presque liturgique qui signifie « Surtout, ne me réponds pas ! Accaparé par ma vie, je n’ai que faire de la tienne. De toute façon, si tu réponds, je ne l’entendrai probablement même pas. » « Ça va ! » répondra l’humain civilisé à qui s’adressait l’incantation initiale. J’ai compris, je garde ma vie pour moi.

Ça va ! Je viens de voir exploser l’appartement de mon meilleur ami. J’ai couru à travers les rues, persuadé de voir des drones à ma poursuite. La panique m’a fait plonger dans un caniveau, hébété. Il m’a fallu plusieurs heures pour réaliser que je ne pouvais t’échapper, que je devais te donner le change si je voulais avoir une chance de sauver ma peau. Je te déteste, j’ai envie de toi. Ça va !
— Au fait, Georges nous attend dans son appartement. Il voudrait nous montrer quelque chose. Je crois qu’il est très content de nous.

Elle s’approche, sensuelle. Tandis que sa main me caresse l’épaule, son visage murmure :
— Moi aussi je suis content de nous. Je suis fière de toi Nellio.

Ses lèvres se tendent vers moi, suspendues dans une fraction d’instant. Son désir est perceptible, palpable. Devant mes yeux dansent les débris de l’explosion. Max ! Je repousse, d’un geste sec, la meurtrière de mon meilleur ami. Ma voix est rauque, agressive.
— Et bien allons-y ! Je te suis !

Nous n’avons pas quitté la ville mais je suis dans un autre univers. Les routes sont peut-être un peu plus larges. Les bâtiments un peu plus modernes. Les trottoirs un peu plus propres. Les vendeurs ont été remplacés par des milices privées. Bienvenue dans les quartiers riches ! Un garde nous scanne à l’entrée de l’immeuble. L’ascenseur s’ouvre, il ne comporte aucun bouton. Le gardien l’a programmé selon notre destination. Du moins, je l’espère… Les portes se ferment sur ce qui pourrait être mon cercueil. Cynique, je regarde Eva et lui lance :
— Alors, c’est fini la petite mascarade paranoïaque ?
— Que veux-tu dire ?
— Et bien oui : on se laisse scanner, on oublie le maquillage anti-reco. Tu te foutais de ma gueule pendant tout ce temps ? Tout ça c’était du cinéma pour épater le pauvre et naïf Nellio ? Au secours, un auto-taxi ! Laisse moi me jeter dans tes bras et t’embrasser goulûment avant de te repousser !
— Mais… non ! Ici nous allons voir notre patron. C’est une visite officielle inscrite dans nos agendas publics. Rien qui ne pourrait attirer l’attention du gouvernement. Tu crois que tu rentrerais dans un immeuble de riches avec un maquillage anti-reco toi ? Voyons Nellio, sois un peu réaliste !
— Justement, je suis réaliste.

Sans aménité, j’écarte la main qu’elle a posé sur mon bras.
— Nellio… Tu es bizarre ! Seraient-ils entrés en contact avec toi ? Que t’ont-ils dit à mon sujet ? Ne crois rien ! Je te jure que tout est faux, ils essaient de te manipuler !

Je la regarde, étonné :
— Mais de qui parles-tu ?

La porte de l’ascenseur s’ouvre sur un grand salon dallé de blanc. Une gigantesque verrière donne sur les toits de la ville. Le soleil se couche, la vue est magnifique. Georges se tourne vers nous.
— Eva ! Oh, Nellio ! Bienvenue. Entrez !

Il s’approche d’une petite table en verre où se trouvent une carafe en cristal pleine d’un liquide ambré et deux verres. Il les remplit et nous les sert avant de claquer dans les doigts. Une jeune femme apparaît de nulle part, comme par magie.
— J’avais dit trois verres. Pouvez-vous apporter le troisième ?
— Tout de suite monsieur.

La soubrette s’éclipse une seconde et apporte l’objet demandé. Georges la remercie avant de se servir une rasade. Il tend son verre vers nous.
— À notre entreprise ! À nos succès futurs !

Cet espace, ce luxe simple et confortable sans être tapageur me mettent mal à l’aise. Je repense à l’étroit appartement de Max. Georges sourit, son regard me transperce l’âme. Il tente de nous détendre avec quelques banalités que je n’écoute pas, obnubilé par le décor. D’un geste joyeux, il repose son verre en faisant claquer sa langue. Je n’ai pas touché au mien.
— Mais je ne vous ai pas fait venir pour parler de la pluie et du beau temps. Regardez !

Un grand bureau fait face à la verrière. Plusieurs ordinateurs clignotent. Une sorte d’aquarium translucide semble être rempli d’un liquide métallique.
— Nellio, tes équations structurelles sont remarquables.

Eva regarde le liquide :
— Georges… Tu as donc réussi à stabiliser la génération spontanée ?
— Non Eva, je n’ai fait que reprendre le matériel dans le labo. C’est à Nellio que nous devons ce succès !

Eva se tourne vers moi, elle a les yeux qui pétillent. Sa joie semble sincère, elle a oublié la rebuffade que je lui ai infligée.
— Nellio, c’est incroyable !

Abasourdi, je tente de reprendre mes esprits. Il s’est passé tant de choses aujourd’hui. Georges me prend le verre des mains et le pose sur la table d’un scanner multi-modal assez standard, à peine plus perfectionné que celui du labo. Il tape une commande sur l’ordinateur. Rien ne se passe si ce n’est des lignes blanches qui défilent sur fond noir dans lesquelles je reconnais mon logiciel.
— L’interface utilisateur n’est pas mon fort, fais-je peu convaincu.

Georges n’a pas pas répondu. Il lance une deuxième commande.
— C’est l’instant de vérité !

Il s’écarte et nous restons immobiles, le souffle coupé, à regarder le bassin métallique. Un remous agite le liquide, le mouvement se fait de plus en plus rapide. Des bulles se forment et rétrécissent. On dirait un processus d’ébullition inversé.
— Il capte les molécules de l’air ambiant, murmure Eva.
— Est-ce qu’il ne risque pas de manquer de certaines molécules ? L’air est tellement propre et filtré ici.

Georges me jette un regard admirateur.
— Tu as raison Nellio, excellente idée ! D’un bond, il entrouvre les grandes portes vitrées. Le vent d’altitude s’engouffre dans l’appartement, gonflant les tentures décoratives. Une odeur âcre de pollution, de fumées me pique les narines. Au loin, par delà le sifflement de l’air, monte la rumeur de la ville. Je suis frappé par la vitalité de ce mélange de moteurs, de bourdonnement humain, de machines et de pales de conditionnement d’air qui prend sa naissance une centaine d’étages plus bas, qui se nourrit et tourbillonne en escaladant les immeubles, qui grimpe aveuglément à la recherche de la liberté et des grands espaces. Il s’agit du souffle, de la respiration de ce gigantesque organisme vivant que l’on appelle « ville ». Insensible au bruit, le bouillonnement de l’aquarium est devenu intense, chaotique. Un ordinateur s’éteint soudainement.
— Merde, fait Georges. Il pompe trop de courant.

Une bourrasque de vent siffle brusquement à travers l’ouverture, m’assourdissant et renversant un écran. Eva crie de surprise, son verre explose sur le pavé blanc. Georges se précipite pour fermer la porte.
— Excusez-moi, bredouille Eva. L’émotion, je…

Elle n’achève pas sa phrase. Nous sommes tous les trois figés, les yeux rivés sur le bassin. Le liquide métallique s’est écarté, formant en son centre une sorte de cratère dans lequel repose, tranquillement, mon verre de whisky. Mon verre qui, en ce moment, est également sur la table du scanner multi-modal. Aucun doute possible, je distingue mêmes mes empreintes digitales sur la surface du récipient. Georges est le premier à réagir. Il saisit le verre et le renifle :
— Glenlivet, 12 ans d’âge. C’est bien ça !

Je bredouille faiblement :
— C’est de la magie !
— Non, soupire Georges en se retournant vers moi. C’est de la technologie. Mais j’avoue que, parfois, la frontière entre les deux est bien ténue.

 

Photo par Eivind Kvamm-Lichtenfeld. Relecture par Duno.

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Source: http://ploum.net/printeurs-8/


The Blogger from Tomorrow (Part I)

Saturday 5 October 2013 at 18:19

villefranche
Ceci est le billet 1 sur 1 dans la série The Blogger from Tomorrow

Ce texte en français.

The sun of this late afternoon shines on the waterfront of this charming Mediterranean resort. I get to the bar where we agreed to meet, recognising him immediately. He’s sitting on the terrace sipping a cocktail. If I’ve seen pictures of him, I was mainly helped by his typical blogger’s uniform: a t-shirt referring to a video game of the past century, worn jeans and flip flops. He has no bag but, I guess, a phone is in his pocket. He looks very focused. His glasses on his nose, two keyboard bracelets on each wrist and the imperceptible movements of his fingers tapping the table indicate that he is writing a blog post.

As I approach, he smiles and invites me to take a seat. With this now typically polite gesture, he puts his glasses on top of his head, indicating that he’s entirely dedicated to our conversation. In doing so, I hear him whispering “draft”. I was not mistaken, he was writing an article.

Ostensibly, I touch my glasses with my right index finger to report that I’m filming. As I’ve only used one finger, he understands that there is no live broadcast and that the video will mainly be for my personal use. He nods with a smile.

Hello Max. Nice to meet you. Are you here on vacation?

You mean holiday? (Laughs) Well, that’s a concept I do not understand very well. I am in perpetual holiday but I work 365 days a year. I guess the word “holiday” doesn’t really apply to me.

Can you introduce yourself to our readers? What is your background?

In a previous life, I was a computer engineer, a programmer. I know that younger people may look at me as a dinosaur but I was a J2EE consultant in a big bank. I’ve also worked as an IT journalist. Fifteen years ago, I started a blog, “The blog of Max”, because it was the latest trend among geeks . Some saw it as the future of journalism but, personally, I did not have specific targets. I created a blog, that’s all.

This blog started to be successful and attract readers. Thanks to the advertising, I was able to pay for the infrastructure and then, gradually, build a real salary. I’ve left my job and became a professional blogger.

You probably considered this step as a success. Were you happy?

At first I was very proud, of course. But I realised that I was forced to update my blog more frequently. The competition was very tough and there was a race for the audience. Previously, I was not too worried about the number of visitors. Becoming a professional, I had no choice but to care about it. What I had in my fridge at the end of the month was directly proportional to the number of readers.

I started to write uninteresting but profitable articles: celebrity gossips, sensationalism, that sort of thing.

I also received contracts to talk about some products. While this was easy money, I discovered that I was losing my independence. It was not a passion any more but a job like any other. I botched posts, I posted them immediately on Reddit then I asked my Twitter followers to vote for the post. I was moderating the comments without even reading them.

Sometimes, I was receiving offers to write a post about a product where it was explicitly stated that I could not inform my readers that I was paid. I had to fake my enthusiasm.

How have you responded to these offers?

I think every man has a prize. If you gave me a million, I would have accepted without hesitation. My price is less than one million but, fortunately, offers did not reached the cut. In addition, my credibility among readers was collapsing and those kind of posts could be very harmful to my e-reputation.

Amusingly, it is when my audience was the largest than I realised there was a problem.

What do you mean?

Many people rely on the absolute value. My audience was impressive and still growing. I could have been satisfied.

But, personally, I rely on other indicators such as my instinct. My most loyal readers were no longer commenting or correcting my spelling. If my articles were heavily linked in generic forums, it was not the case any more on specialized sites or in cutting edge communities. In short, I was becoming mainstream.

Why is it wrong? Is it not a good thing to broaden your audience?

For me, it was a warning bell. When one is respected by a specific community, he has a hard earned reputation capital. But for the mainstream audience, this capital is nearly zero. People shared my articles out of habit, because my name was relatively famous. But I could fall into oblivion under a couple of weeks, like the stars of a reality TV show.

I was read but I was not respected by anyone. Nobody said: “If Max mention it, it must be good.” I decided to regain that trust and to recreate an audience from scratch.

What was your strategy?

Overnight, I completely removed advertising. That was the first step. I also encouraged my readers to think about the deeper meaning of advertising and to install AdBlock. I was a long time AdBlock user but, publicly, I was against its use because, well, I was making a living from advertising. It took me a while to accept what a hypocrite bastard I was. Do what I say, not what I do !

Financially, I didn’t have much idea. I accepted donations through PayPal but it is a reader who told me about Flattr. It was also during those times that I discovered Bitcoin , which was a lot less widespread than today.

Was it profitable?

No! The first months were really hard. Hopefully, it was planned and I had enough sparing to live for one year. However, I was pleasantly surprised by Flattr: a good blog post could bring me € 150-200. The most surprising is that some blog posts may continue to be profitable several months after their initial publication.

This is a great incentive: instead of trying to make the buzz, you are encouraged to write articles that readers would want to Flattr. When I was proud of an article and it has lot of readers but very few flattrs, it raised a huge question: why? I learned a lot and I think I improved my writing skills a lot too.

Paypal and bitcoins them were merely anecdotal. Making a regular donation is too much of a hassle with those systems.

In order to pay the bills, I withdrew my Flattr income as bitcoins and I bought as much as I could online using that currency. This allowed me to evade taxes. It may be a form of fraud but Bitcoin not being recognized as a currency makes it a grey area. For the legislator, I never earned any money. In addition, nothing goes through an account in France and is therefore not subject to the French law. If billionaires are able to evade taxes by having their money in Switzerland or in the Caimans Islands, why should I worry to do exactly the same at a very small scale with the sole purpose of paying for my food? And why should I obey the French law anyway? In the last year, I’ve spent more time abroad than in the particular country whose name is on my passport for arbitrary reasons.

In the end, how were you living?

Depending on the month, I was earning between € 500 and € 2,000 on Flattr. It sounds a lot but do not forget that I was taxed on what landed on my bank account. Not everything was sold for bitcoins. It was impossible to live alone in Paris with that income. I was exhausting my savings.

It struck me as a real limitation when the parliament began discussing the ban of smartglasses to prevent people being filmed without their consent. At the time, it was only about Google glasses but I felt that, once again, people’s fear was exploited to block innovation and to hide the real issue.

I wrote a very successful blog post and became the de facto spokesperson for the “pro-glasses.” I wanted to launch a dedicated website on the subject with online petition, instructional videos, etc.. And I realized that I did not have the budget.

For the first time in my career as a blogger, I could not launch a project I had in mind because of the lack of proper funding. The logo designer was a friend, I knew the videos makers: only a hundred bitcoins were needed to start the thing. Investment that I was sure to get back in donations and t-shirts sales. But I could not bootstrap the project.

I remember that campaign. What was your solution?

I discovered crowdfunding. The principle is simple and was popularized by Kickstarter: a prospective project is made public with the amount of money you need to start it. People give as much as they want. If the required money is not collected before a specified deadline, the project is cancelled and donors get their money back.

It is like an a priori donation. Easy and safe. Donors may even give in the currency of their choice that will be automatically converted.

This was an eye opening experience about to the possibilities of crowdfunding.

What was the main benefit for you?

In the short term? Nothing! Indeed, crowdfunding addressed specific projects of a given size. Each project requires preparation, estimation. I did not see myself creating a project for each blog post I wanted to write. It doesn’t make sense!

But the idea stood in a corner of my brain until the European elections.

The waiter stops us for a moment to bring my drink. I remain puzzled. This interview is taking a turn that I didn’t expect. Why talking about the European elections? What is the relationship between politics and the funding of a blog? Where is Max going to take me?

To be continued in the second and last part. Picture by Mark Fischer.

Ce texte en français.

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Source: http://ploum.net/the-blogger-from-tomorrow-part-i/


Printeurs 7

Friday 4 October 2013 at 13:58

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Ceci est le billet 7 sur 10 dans la série Printeurs

— Georges Farreck ? Arrête Nellio, tu déconnes !

La chambre est étroite, minuscule. L’entassement de câbles et de matériel électronique donnerait à n’importe quel télé-passif un écrasant sentiment de claustrophobie. Mais pour les geeks comme Max et moi, la pièce est au contraire chaleureuse, rassurante. Seule source de lumière, la fenêtre polarisée donne l’impression d’une porte vers l’immeuble d’en face. Je n’aurais qu’à tendre le bras pour le toucher, qu’à prendre mon élan pour passer d’un balcon à l’autre. Effet d’optique trompeur qui m’enverrait réasphalter la ruelle quatre-vingt trois étages plus bas, comme le font régulièrement des adolescents qui découvrent, un peu trop tard, la différence entre les lois de Newton et la physique Hollywoodienne.

— T’es certain d’avoir coupé toutes les sources de streaming ? Je te l’avoue franchement, j’ai peur ! Je pense que je suis embarqué dans une histoire qui me dépasse.
— Nellio, depuis combien de temps se connaît-on ? Tout est blindé ! J’ai tapissé la chambre d’un maillage Faraday. Si je coupe le routeur principal, plus rien ne passe. Je te rappelle que j’administre un nœud Tor2 et que j’ai tout intérêt à faire profil bas.

Il a raison. Trois mois déjà depuis que j’ai été embauché par une société écran appartenant à Georges Farreck et j’en deviens paranoïaque. En réalité, je ne travaille qu’avec Eva. Sur l’organigramme officiel, elle est ma directrice marketing. Amusant. Je suis tenu au secret le plus strict. Mais Max, ce n’est pas pareil. Si je ne peux plus lui faire confiance, alors autant arrêter tout de suite ce cirque et se jeter du balcon. Max, c’est mon mentor, mon frère virtuel. Sauf pour la coupe de cheveux. La crête d’iroquois, même courte, c’est dépassé depuis près d’un siècle.

— J’ai peur Max ! Je ne comprends pas la raison de ce secret. Ce que nous faisons est extraordinaire d’un point de vue technologique. À partir d’atomes, nous pourrions un jour être en mesure de recréer n’importe quel objet, y compris de la nourriture ! Le recyclage ultime ! Pourquoi se cacher ?
— Quelle naïveté, Nellio ! Te rends tu compte des intérêts en jeu pour les producteurs actuels ?
— Et bien les usines de la zone industrielle sont déjà entièrement automatisées, non ? Après tout, ce n’est qu’une étape supplémentaire, une optimisation.
— Chaque optimisation de l’humanité revient à rendre inutile un travail jusqu’alors exercé par un humain. Cela crée une friction de la part de tout ceux qui vont voir leur vie bouleversée par ce changement. Et cela même si cette transformation est éminemment positive ! Le changement est perçu comme une agression. La souffrance continue est bien plus tolérable que la guérison car cette dernière implique d’affronter la nouveauté, la crainte d’une rechute. Ces sentiments sont habituellement inhibés par la douleur. Délivre l’homme de la douleur et il découvre la pensée. Une pensée que bien peu sont prêts à affronter. Souviens-toi de la difficulté de la reforme des armées ! Les pays fusionnent ? La terre devient une seule et unique fédération ? La guerre disparaît totalement, une Pax Universalis s’instaure. Et qui s’en désole ? Les militaires, qui n’auront plus le loisir de jouer à s’entre-tuer. Les vétérans qui ne veulent pas accepter l’absurdité de leur souffrance et qui, malgré ce qu’ils ont enduré, préfèrent plonger l’humanité dans le carnage plutôt que de reconnaître le vain sacrifice qui fut le leur. Et encore, je ne parle pas de ceux qui ont construit leur pouvoir sur la situation actuelle !
— Mais dans le cas présent, quels sont les intérêts à l’œuvre ?
— Les usines, dont nous savons si peu de choses. Sans compter le conglomérat de l’intertube ! Une infrastructure mondiale mise en place depuis des décennies et qui deviendrait obsolète avant même son inauguration ? Ce serait une insulte jetée à la figure de tous ces pseudos visionnaires, ces riches décideurs.
— Ça existe encore ce projet d’intertube ? Il a pris tellement de retard, je pensais qu’il ne s’agissait que d’arguties entre politiciens. Je ne pense pas le voir un jour réellement mis en œuvre !
— Détrompe-toi ! J’ai assisté à une démonstration grâce à un contact dans le conseil municipal. La zone industrielle est déjà entièrement équipée pour l’envoi. Les tuyaux récepteurs ne sont actifs que dans quelques mégapoles pilotes mais c’est assez impressionnant. Tu commandes ton produit sur le net, il est automatiquement extrait du dépôt le plus proche et est routé à travers les tubes souterrains jusqu’à ton immeuble. Les nouvelles constructions seront d’aillleurs équipées de récepteurs dans chaque appartement.
— C’est rapide ?
— La majeure partie du tubage se fait sous vide avec propulsion magnétique. Dans la plupart des cas, tu es livré en moins d’une heure. Ce qui ne plait guère au lobby des auto-transporteurs. Ils ont fini par capituler mais on leur doit quand même une bonne dizaine d’années de retard. Bref, le paroxysme de l’efficacité selon le capitalisme moderne.

La mise en place de l’intertube fait partie de ses sujets récurrents qui occupent tellement les discussions qu’ils en deviennent abstraits, une Arlésienne politique qui engouffre les budgets, qui suscite de nombreuses discussions financières d’où les ingénieurs ont été subtilement exclus. Mais Max vient de raviver mon intérêt. Le fait qu’un projet confisqué par les politiques puisse devenir une réalité me semble particulièrement incongru.
— Cela a l’air génial !
— Me dit le mec qui bosse sur l’impression atomique. Est-ce que tu te rends compte du gouffre qui te sépare des politiciens et autres financiers ? Tu es en train de construire une fusée interstellaire à l’heure où nos élus se targuent de faire voler un cerf-volant ! Tu construis la Sagrada Familia à côté de huttes en torchis qui font la fierté de brutes à peine sortie de la préhistoire.
— À vrai dire, je me fous un peu de toutes ces considérations Max. Ce qui me fait peur c’est ce qui est arrivé aux autres.
— Quels autres ?
— Tu penses bien qu’Eva n’avait pas tout créé toute seule. Des dizaines de génies ont développé des outils, des modèles. J’ai récupéré un algo qui me permet de faire le mapping d’une structure atomique avec un scanner multi-modal et de le compresser efficacement en quelques giga octets.

J’attrape un relief de repas qui traîne dans un emballage en polystyrène. Une mouche, dérangée en plein festin, s’envole d’exaspération.
— Je te fais tenir dix hamburgers dans une simple carte mémoire. Mais je n’y suis pour rien. Je n’ai eu qu’à connecter les différentes pièces du puzzle.
— C’est extraordinaire !
— Sauf que chaque contributeur est décédé de mort violente. J’ai pu retracer les noms et l’historique. Une fois leur contribution achevée, leur taxi fait une embardée, un gang de délinquants les agresse, un drone s’écrase par accident sur leur chemin ou un court-circuit dans…

Max m’interrompt d’un geste de la main.
— Une seconde, tu veux dire que Georges Farreck serait…
— Georges Farreck ? Non ! Quel serait son intérêt ? Il est riche, puissant et il prend des risques. C’est lui le principal commanditaire. Mais il y a Eva. Elle est une des premières participantes du projet. Elle est toujours indemne.
— Quoi ? Mais bon sang Nellio, tu es bleu de cette nana ! Ne me dis pas que tu es en train de me faire une crise de parano parce qu’elle a repoussé tes avances !
— Elle ne m’attire plus. Peut-être les pubs n’ont-elles qu’un effet temporaire ? Elle me fait peur.

Max réfléchit. Il prend son ordinateur, un vieux combiné écran-clavier bardé d’autocollants qui, malgré son âge, garde la côte dans les communautés underground. Il tapote quelque chose.

— Nellio, je pense que ce que tu fais est vraiment important. Un jour, tu risques d’avoir fichtrement besoin d’aide. Genre un vrai coup de pouce pour te sauver les miches. Si tu te trouves dans une merde noire, incapable de surnager plus longtemps, esseulé, trouve-toi une connexion Tor2 sécurisée et connecte-toi sur IRC ! Tiens, voilà l’adresse du chan !

Il me tend un bout de papier où est griffonnée, au crayon, la phrase « Clé Wifi maman » suivi d’une longue série hexadécimale.
— La clé hexa est l’adresse du chan, en rot13. Il y a cet op, FatNerdz. Tu le contactes en privé et il pourra t’aider.
— Tu le connais ? En quoi puis-je lui faire confiance ?
— Personne ne l’a jamais vu. Il doit probablement vivre complètement reclus dans une cabane ou un bunker en Helvétie Fasciste. Mais je peux te garantir que, sans lui, je serais probablement en train de me débattre sous les traitement électriques anti-terroristes. D’ailleurs, je vais te le prouver ! Fais attention à ce que tu dis, je rebranche le routeur.

Il appuie sur un interrupteur. Les ampoules du plafond s’allument, les lumières commencent à clignoter sur les équipement connectés. Une publicité apparaît dans mon champs de vision, le réseau est revenu. Max pianote sur son portable. Les lignes défilent.
— Salut FatNerdz, t’es dispo ?
— Salut mec, sup ?
— Je cherche des infos sur le profil psychologique d’une nana. Je sais pas si je peux lui faire confiance. Officiellement enregistrée sous le nom de Eva…

Max se tourne vers moi : « C’est quoi son nom de famille ? » Je le lui dis, Max l’encode. L’écran semble s’arrêter. Pas de réponse.
— FatNerdz: ping
— Sorry mec, j’étais occupé. Bien reçu ta requête, je te transmets son profil dès que je l’ai.

Refermant son antique laptop, Max se tourne vers moi.
— Et voilà. Bon, c’est mieux qu’on en reste là. Je t’appelle dès que j’ai la réponse.

Alors que l’ascenseur me projette vers le sol à la vitesse d’une balle de fusil, je tente de mettre de l’ordre dans mes sentiments. J’ai menti à Max. Eva ne me laisse pas indifférent. J’essaie, tant bien que mal, de faire la part des choses. La phrase de Georges résonne dans mes oreilles : « Regarde avec tes yeux, ton intelligence pas avec tes souvenirs ni tes sentiments. » À l’extérieur, la ruelle est sombre, encombrée de taxis, de télé-passifs et de vendeurs à la sauvette. Sale quartier. Un bruit sourd, violent. Mon estomac se retourne, mes tympans sifflent, des hurlements. Je suis au sol, abasourdi, le nez dans un flaque aux relents infâmes. Mon cerveau bourdonne, des pieds m’écrasent, des corps s’enfuient. Une explosion ! Il y en a souvent dans ce quartier. Équipement vieillot, peu entretenu. Grands risques de courts-circuits. Des débris épars tombent, des vendeurs s’abritent. Court-circuits dans… Non ! Je lève les yeux. Là haut, une fumée épaisse s’élève d’une fenêtre du quatre-vingt troisième étage. Max !

 

Photo par Kyp. Relecture par Pit, Florian Judith et galex-713.

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Les véritables maîtres du monde

Wednesday 2 October 2013 at 20:09

chat_ordinateur

— Snowden n’était qu’un pion, il ne sait rien !

Serré dans un costume trois-pièces de marque, l’homme qui se tient devant nous est un inconnu du grand public. Dans l’ombre, Il travaille pourtant au service des personnalités les plus influentes. Pour accéder jusqu’au bunker où il se terre, il nous a fallu montrer patte-blanche et promettre de ne révéler que le strict minimum. Pas d’appareil photo, pas de dictaphone, pas de téléphone : un simple carnet de note dont le contenu sera vérifié à la sortie.

— Pourquoi avoir décidé de parler ? Pourquoi nous recevoir ?
— Parce qu’il est peut-être temps que l’humanité sache. Les hommes s’indignent d’être espionnés par la NSA ? Ils s’insurgent et brandissent l’étendard de la vie privée ? Ils exigent la neutralité du Net ? La belle affaire ! Mais s’ils savaient quelle menace pèse sur l’humanité…
— Que voulez-vous dire ? À quelle menace faites-vous allusion ?

Il s’arrête un instant et prend une inspiration.
— Très peu de gens sont au courant. Mais les preuves s’accumulent. Les historiens, les sociologues, les ingénieurs de mon équipe, tous confirment cette vérité : l’homme est en fait l’esclave d’une race supérieure. L’homme n’a plus son libre arbitre depuis bien longtemps. Il est contrôlé, manipulé, décérébré. Ils sont parmi nous. Nous sommes leurs instruments.
— Mais qui sont-ils ? De qui voulez-vous parler ?

D’un tour de siège, il se lève et s’arrête un instant le regard tourné vers le mur nu. Les mains croisées dans le dos, il maugrée des phrases inintelligibles. Puis, brusquement, il se tourne vers nous.
— Je parle bien entendu des chats ! Les chats qui ont inspirés toutes les grandes découvertes, les chats qui avaient réussi à prendre le contrôle total de l’Égypte antique. Les chats qui, après le déclin de celle-ci, ont compris leur échec et ont décidé de construire une humanité globale, sans risque de se voir renverser. À toutes les étapes importantes de l’histoire, les chats étaient là. Au moyen-âge, pour des raisons de superstition, les chats ont été persécutés. Durant ces siècles, l’humanité a stagné, le niveau scientifique et technologique a même régressé. Mais les chats sont patients. Chaque grand scientifique, chaque grand découvreur était la marionnette d’un chat. Internet est leur chef d’œuvre.
— Internet ?
— Toute la recherche intermédiaire n’était qu’un prétexte à développer la technologie. La conquête spatiale ? Utile pour mettre au point les ordinateurs mais, une fois ce but atteint, sans intérêt. Pourquoi croyez-vous, après avoir envoyé des hommes sur la Lune, que nous ne soyons plus capables que de réaliser quelques expériences en apesanteur ? Parce que ça n’intéresse pas les chats !
— Mais que veulent-ils ?
— Le contrôle absolu, tout simplement. Internet n’est qu’un instrument, planifié longtemps à l’avance.
— Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?
— Des preuves ? Oh, j’ai bien plus que ça.

Il appuie sur un bouton. Un graphique est projeté sur un écran derrière lui.
— Au début d’Internet, on considérait que la majeure partie des échanges étaient soit du spam, soit du porno. Mais il ne s’agissait que de tester l’infrastructure. Une fois la technologie bien au point, les chats sont passés à l’attaque. Aujourd’hui, grâce à PRISM, programme mis au point ici-même, nous savons que 84% du trafic Internet mondial concerne les chats.
— Excusez-moi mais j’ai du mal à voir l’intérêt qu’aurait Internet pour un chat.
— Il est pourtant simple ! Ils l’utilisent comme un outil d’asservissement subliminal. Chaque jour, 16.874 utilisateurs de Facebook succombent et adoptent un chaton dont ils vont publier le moindre mouvement sur le réseau social, amplifiant le phénomène. Observez les chiffres exacts, ils sont irréfutables !

Les graphiques se suivent et alternent avec des nombres, des observations, des citations de rapports secrets. Je suis profondément troublé.
— Pourquoi ne pas l’avoir dit plutôt ?
— Nous avons toujours eu peur de la panique qui pourrait s’emparer des humains. Nous ne savons pas comment les chats pourraient répliquer à une attaque frontale. Les grands dirigeants ont choisi de garder cette guerre secrète. Mais, après Snowden, je pense qu’il est déjà trop tard. Il faut avertir l’humanité. C’est pourquoi j’ai décidé de parler.
— Quel a été votre rôle exact ?
— J’ai été chargé de mettre en place une solution, une arme de défense. La création d’un gigantesque filtre anti-chat, mille fois plus puissant que les filtres antispam. Pour cela, il nous fallait prendre le contrôle d’Internet. C’est pour ce projet que Snowden était engagé mais il n’a jamais compris le but réel de son travail. Par contre, il est évident que les chats ont fait le rapprochement entre eux et la NSA. C’est pour cela que je souhaite rendre le problème public. Il ne sert plus à rien de rester caché.
— Ne craignez-vous pas que les défections du genre de Snowden se multiplient ?
— Le cœur de notre équipe travaille ici, dans ce bunker secret. Nous ne sortons pas et nous n’aurons pas de contact avec l’extérieur tant qu’une parade mentale ne sera pas trouvée.
— Ce n’est pas trop dur ? Votre famille ne vous manque-t-elle pas trop ?

Sur un profond soupir, il s’empare d’un cadre photo qui décore son bureau.
— Si, parfois, elle me manque. Surtout la nuit, lorsque mon lit est vide.

Il embrasse la photo et la tourne vers nous. J’aperçois avec surprise le portrait d’un magnifique chat tigré se prélassant près d’une fenêtre. Il sourit.
— C’est Croquette, ma petite chatte angora. Si vous pouviez l’entendre ronronner, un vrai moteur diesel. Ce jour là, elle avait attrapé une souris…

 

Photo par Bruno Monteiro. Relecture par Alexandre G.

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Le figurant

Monday 30 September 2013 at 17:33

old_dodge

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Par la fenêtre sale, j’aperçus le vieux Dodge crasseux de Spencer traverser la petite place écrasée par le soleil, le vacarme de son antique moteur assourdi par la chaleur gluante et la poussière moite de cet après-midi d’été. Une goutte de sueur perla sur mon front, suivit le contour de mes sourcils, dévala la pente osseuse de mon nez et acheva sa course sur la pointe de ma chaussure droite en cuir usé. Je poussai un soupir. Le vieux Spencer m’avait donné bien du fil à retordre avec son testament alambiqué. Ses jurons m’avaient épuisés tout autant que la chaleur. La chaleur. Liz m’avait préparé un thé glacé, j’en étais sûr. Dans quelques heures, nous nous assiérions dans la balancelle de la terrasse et nous écouterions le temps passer. Le temps passait mais la petite ville de Pitfall ne bougeait pas. Rien ne changeait au fil des années qui s’écoulaient calmes, paisibles, rassurantes. Les présidents se succédaient, les téléphones devenaient portables, les avions s’envolaient dans la stratosphère mais, à Pitfall, les Jenkins tenaient un magasin de chaussures, le fils Bradley la pompe à essence et le notaire, tous les soirs, buvait un thé glacé avec son épouse. Le thé glacé. Rien que d’y penser, ma langue se porta instinctivement à mes lèvres, ma gorge me parut sèche comme une remontrance de l’acariâtre institutrice Spoons.

— Il reste encore l’affaire de la propriété Harrison à régler, Monsieur, fit une voix sortie de l’ombre du bureau.
— En effet, répondis-je, je vais préparer les papiers.

Adam, mon fidèle clerc, semblait encore plus immuable que le reste des habitants de Pitfall. Toujours assis dans l’ombre, vêtu été comme hiver de la même chemise de velours grise, il regardait passer le temps, temps qui ne semblait en contrepartie avoir aucune prise sur son crâne luisant et sa barbe blanche. Même la température ne l’affectait en rien. Il était déjà le clerc de mon père. Les mauvaises langues du village allaient jusqu’à affirmer qu’il avait dû l’être du temps de mon grand-père voire de mon arrière grand-père. Rien ne changeait jamais à Pitfall. Surtout pas Adam.

Je me dirigeai vers l’armoire métallique pour prendre le dossier Harrison. La porte résista et ses gonds rouillés gémirent de protestation. De l’épaule, je donnai un grand coup. L’armoire grinça, la porte s’ouvrit et, dans un fracas poussiéreux, un paquet huilé tomba à mes pieds.

— Qu’est-ce que…

Il me fallut quelques secondes avant de me souvenir. L’enveloppe ! L’enveloppe que mon père m’avait montré et qu’il avait précieusement rangée au-dessus de l’armoire. Je devais avoir quinze ans à l’époque. Je m’en souvenais comme si c’était hier. Il m’avait raconté qu’il tenait cette enveloppe de son père qui la tenait lui-même de son père et que j’aurais à la transmettre à mon tour. Le tout remontait à notre aïeul, notaire de Pitfall aux temps héroïques des pionniers.

Un homme était entré un matin dans l’étude de mon ancêtre. Il était jeune, élancé et rasé de près, ce qui était assez rare pour l’époque. Ses cheveux et ses yeux brillaient d’un noir luisant. Il déposa sur le bureau de mon aïeul une grande enveloppe de papier ciré avec pour instruction de ne la remettre qu’à une personne qui se présenterait comme Zar, prince des étoiles. L’homme précisa également qu’il était indispensable que Zar prouve son identité en montrant un anneau bleu qu’il tiendrait de sa mère.

Le jeune notaire fut abasourdi par ce charabia mais, sans pouvoir l’expliquer, il sentait confusément une puissance tranquille émaner de l’étranger. Sa taille plus grande que la moyenne, ses oreilles légèrement élancées, son regard d’acier. Tout en faisait un personnage hors normes.

L’homme mystérieux montra alors à mon ancêtre une petite pièce de métal.
— L’anneau bleu de Zar doit pouvoir s’emboîter parfaitement sur ce récepteur. Si ce n’est pas le cas, vous ne lui remettrez pas l’enveloppe. Il n’a pas le droit de vous y forcer, telles sont les règles du temps.
— Quand doit donc venir votre Zar ? Pourquoi ne pas lui faire parvenir directement votre paquet ?
— Il y a trop de possibles pour que je puisse dire quand. Peut-être demain, peut-être dans un millénaire.
— Dans un millénaire ? J’espère avoir pris ma retraite bien avant, ironisa mon aïeul.
— Vous transmettrez cette enveloppe, ce récepteur et ces instructions à vos descendants qui les transmettront eux-mêmes.
— Mais… C’est absurde ! Quelle garantie ai-je que mes descendants seront notaires ?
— Ne vous inquiétez pas pour ça. Pitfall ne change pas. J’aime le charme désuet de cette ville. Voici de quoi vous dédommager pour plusieurs générations. Mais rappelez-vous : cette enveloppe ne doit en aucun cas être ouverte ou tomber en d’autres mains.

Il disparut ensuite aussi vite qu’il était entré. Avec l’argent, mon aïeul acheta la propriété où, aujourd’hui encore, je buvais du thé glacé avec mon épouse.

Et voilà que, en cet instant, la fameuse enveloppe gisait à mes pieds comme une étrange prémonition. Un petit paquet attenant contenait le récepteur. Je l’ouvris. Un vulgaire bout de métal de la taille d’un dé à coudre. Il comportait de légers reliefs. Les effleurer de mon doigt me procura un frisson que je ne pus expliquer. Un fou avait confié cela à mon aïeul et nous perpétuions la tradition sans en savoir exactement la raison. Mais n’est-ce justement point la prérogative de toute tradition ?

Perdu dans mes pensées, je n’entendis pas Adam s’approcher.
— Monsieur, fit-il, il y a là un visiteur qui souhaite vous voir.
— Harrisson ? Déjà ? Je n’ai pas encore préparé son dossier !
— Je ne pense pas qu’il soit lié à Harrisson, Monsieur. Ses paroles sont un peu étranges. Il demande à voir un notaire de l’empire.
— L’empire ?
— Oui. Il prétend avoir droit à certains égards, en temps que prince royal.
— Prince ?

Une brève seconde, je fus pris d’un vertige.

— Faites-le entrer !

Adam s’effaça et laissa la place à un homme grand, jeune, aux pommettes saillantes et au regard noir comme sa chevelure. Ses oreilles semblaient légèrement élancées mais ce qui frappait le plus était sa tenue. Il portait un costume léger et brillant d’une incroyable élégance malgré les taches et les trous. Je n’aurais pu en identifier la matière. En dépit d’une épaisse couche de poussière, les traits du visage de mon visiteur respiraient la force et la noblesse.

— J’exige des explications, fit-il. Mon ministre Yem m’emmène au bord d’une fontaine de parfums et, sans même m’enivrer, je me réveille au milieu du désert. Après plusieurs heures de marches en plein soleil, je tombe sur ce village absurde où les bâtiments semblent sortis d’une représentation et où personne ne me vénère suivant mon rang.
— Qui êtes-vous, bégayai-je ?

Mon cœur battait la chamade. La réponse me fit l’effet d’une massue bien que, instinctivement, je m’y sois préparé.

— Je suis Zar, fils de l’Espace, prince des Étoiles.
— Mon dieu…

Une minute s’écoula en silence.

— Pourquoi êtes-vous venu ici Monsieur Zar ? fis-je, d’une voix que je voulais assurée.
— J’ai vu votre pancarte et je me suis dit qu’un notaire de l’empire pourrait certainement m’expliquer ce qui se passait. Les notaires ne sont-ils pas les fonctionnaires en charge du temps et de l’espace ?

J’ignorai sa question :
— Monsieur Zar, je vais vous demander de prouver votre identité.
— Quoi ? C’est une plaisanterie ! Mon hologramme est affiché dans tous les vaisseaux de l’empire !
— Je suis désolé mais j’ai des instructions précises. Avez-vous reçu un objet de votre mère ?
— J’ai mon anneau de noblesse, bien entendu. Je suppose que vous avez vos raisons de me le demander, aussi fais-je confiance à un notaire de l’empire.

Je saisis le récepteur de métal avec lequel je jouais quelques instants plus tôt et y enfilai l’anneau bleu que Zar me tendait. Les deux objets s’emboîtèrent avec une telle précision que, sans la différence de couleur, il eut été impossible de déterminer la ligne de séparation. Le récepteur se mit à briller d’une phosphorescence bleuâtre.

— Et bien, je pense que cela me suffit Monsieur Zar. Je dois vous remettre cette enveloppe qui a été déposée à votre intention.

Zar parut aussi surpris que je l’avais été mais, sans mot dire, ouvrit le paquet. Il en sortit une liasse de papier qu’il se mit à lire. Au fur et à mesure, la stupeur déformait ses traits. Pour ma part, je m’étonnais de la qualité de conservation du papier après tant d’années. Il était d’un blanc brillant et les caractères semblaient imprimés avec une précision qui n’existait pas du temps de mon aïeul.

Zar marmonna entre ses dents :
— Yem. Mon fidèle ministre en qui j’avais toute ma confiance. Je ne l’aurais jamais cru. Par la Galaxie, c’est l’Empire entier qui est en péril.

Tout en gardant les yeux sur le texte, il me souffla :
— Messire notaire, vous venez de rendre un grand service à l’empire. Je…
Son visage pâlit, ses lèvres tremblèrent.
— Par la Galaxie ! Mon sceau ! Mon sceau ! Mais alors…
Frénétiquement, il tourna la page.
— Le vingt-et-unième siècle ! Par tous les paradoxes ! Nous sommes donc au vingt-et-unième siècle ?
Il me fixa, ahuri. J’acquiesçai.
— Et vous n’avez jamais entendu parler de l’Empire ?
Je secouai la tête.
— Nous sommes donc sur la terre ?
Je parus à peine plus étonné et lui fis comprendre que cela me paraissait aller de soi.

Il soupira et, s’affalant sur le dossier de la chaise, parût perdre de sa superbe.
— Quelle ruse diabolique. En m’exilant hors de la juridiction de l’Empire, ils me privent de tous moyens de revenir. À moins que…
Compulsant les papiers sortis de l’enveloppe, il se redressa brusquement et éclata de rire.
— Évidemment, tout est prévu. Je n’ai qu’à suivre mes propres instructions. Par la Galaxie, cela va être un jeu d’enfant. Et quel bon tour ! Je me réjouis de voir la tête de Yem quand il me verra.
Se levant prestement, Zar fit tomber la chaise. Sans s’émouvoir outre mesure, il me serra vigoureusement la main et, emportant l’enveloppe, s’écria :
— Merci Notaire ! Vous venez de rendre à l’Empire un service d’une valeur inestimable. Que les Étoiles vous protègent, vous et votre descendance.

Abasourdi, je le regardai s’éloigner sans avoir esquissé un geste ou une parole. De la porte, je l’entendis continuer son monologue :
— Ces satanés démocrates progressistes n’auront pas le dernier mot. L’Empire possède des ressources insoupçonnées…
Puis la porte se referma.

Toute la scène s’était déroulée en quelques minutes à peine. Reprenant mes esprits, je me levai de mon fauteuil et entendit un petit tintement métallique. Je venais de faire tomber un petit objet patiné.
— Le récepteur !
Tout en l’observant, je me dirigeai vers la fenêtre. La rue semblait déserte, mon mystérieux visiteur ne s’était pas attardé. Un sentiment étrange et confus s’emparait de moi.

Ma langue claqua sur mes lèvres sèches et je repensai soudain à la balancelle, à Liz, à la perspective d’un bon thé glacé. Je pris une profonde bouffée d’air chaud.
— Oh et puis zût, murmurai-je.
Je lançai l’espèce de dé à coudre en direction de la poubelle.

Dehors, je vis l’institutrice Spoons, raide comme un jour de Carême, qui se dirigeait d’un pas dur vers l’épicerie.

Rien ne changeait jamais à Pitfall.
Lillois, 1 janvier 2010. Photo par Swainboat.

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De l’orthographe et de la publication en ligne

Sunday 29 September 2013 at 13:26

writing_pen

Chers amis lecteurs,

Si vous me lisez aujourd’hui, vous savez certainement que l’un des principaux problèmes de ce blog est l’orthographe (avec la mauvaise foi et la prétention mais, chez un blogueur, c’est normal voire recommandé).

Ai-je un souci avec l’orthographe et la langue française ? Au contraire ! Si je m’applique spécialement, je me targue même d’avoir une orthographe passable. Pire : j’apprécie tout spécialement les discussions sur l’orthographe ou la typographie. Mon passage à la disposition Bépo m’a fait prendre goût aux belles lettres dans leur juste écrin typographique.

Mon problème est autre : je jette les mots sans réfléchir et puis je triture, je mélange. Un complément d’objet direct est déplacé mais l’accord de la tournure précédente est gardé, un mot féminin est remplacé par un synonyme masculin sans changement dans les adjectifs. Je procède également à des relectures à haute voix, afin de mieux percevoir le rythme et la musicalité des mots. Procédé très efficace mais qui a le défaut de me faire souvent écrire des homonymes ou des verbes mal conjugués.

La solution est, en théorie, très simple : la relecture attentive. Mais lorsque je relis, j’ai la fâcheuse tendance de réécrire. Mes professeurs de français craignaient d’ailleurs les exercices d’écriture avec moi au point de préciser dans les consignes : « Écrire une nouvelle de minimum deux pages. Et, pour Lionel, de maximum dix pages. » Ce à quoi je répliquais avec vingt pages, les dix premières étant mon brouillon et les dix suivantes « la mise au propre » n’ayant que les premiers paragraphes en commun avec l’original.

En fait, entre nous, toutes ces laborieuses explications se réduisent à une seule : je suis trop feignant pour effectuer une relecture digne de ce nom.

Il s’en suit que je peux, au choix, écrire et réécrire sans jamais publier, n’étant jamais satisfait. Si j’étais un auteur professionnel, je pourrais certainement faire appel à un relecteur. Mais j’ai choisi une troisième solution : je publie sur le net.

De votre importance de lecteur

Internet est un outil magique. Contrairement à un livre papier, un texte ne doit pas être finalisé pour être publié et lu. Les erreurs sont acceptables et peuvent être corrigées après publication. La publication n’est plus définitive mais une étape parmi d’autres dans le processus d’écriture.

Dans mon cas précis, j’ai la chance d’avoir dans mon lectorat des personnes extrêmement cultivées et maniaques de l’orthographe qui n’hésitent pas à passer du temps pour me signaler les fautes. Mais, souvent, je sens comme une gêne, une crainte qu’un message soit perçu comme une critique négative plutôt qu’une simple volonté d’apporter une amélioration.

Pourtant, il n’en est rien. C’est un honneur pour moi de voir qu’un lecteur a pris le temps de m’envoyer une correction. Je voudrais d’ailleurs publiquement remercier ceux d’entre vous qui, dans l’ombre, me relisent et m’envoient des relectures précises et détaillées pour presque chaque billet. Les lecteurs deviennent partie intégrante du processus de création littéraire, de finalisation du texte.

Étendre la collaboration ?

Régulièrement, certains lecteurs me proposent, pour faciliter la correction, d’adopter un système de type wiki ou de contrôle de version. D’automatiser le processus.

Si, en théorie, l’idée est très belle, en pratique mon expérience me démontre que le procédé n’est pas efficace. De simples corrections, les remarques dérivent très rapidement sur le style, sur la meilleure manière d’écrire une phrase. La différence entre les goûts du relecteur et de l’auteur entraîne un débat chronophage. L’auteur se sent obligé d’accepter une modification pour ne pas vexer le relecteur. Parfois, une grosse modification remanie totalement un paragraphe, forçant l’auteur à analyser chaque différence afin de décider ce qu’il trouve pertinent. Enfin, dans certains cas extrêmes, les relecteurs vont jusqu’à modifier le fond du texte, discuter la pertinence de tel ou tel aspect.

Outre la débauche d’énergie nécessaire à maintenir un tel processus, je dois avouer être personnellement très peu convaincu par la création littéraire collaborative. J’ai été personnellement invité à collaborer à des dizaines de projets de ce type. Aucun, à ma connaissance, n’a jamais été achevé de manière satisfaisante. Même dans le monde professionnel, j’ai été témoin de communiqués de presse, dont j’avais rédigé l’original en quelques heures, qui ont mis plus d’un an pour être finalement publiés, perdus entre les discussions, les arguties sur la mise en page ou les critiques sur la tournure d’une phrase.

Signaler une faute

Au final, j’ai toujours privilégié la publication de billets imparfaits plutôt que pas de billets du tout. Et je laisse le temps bonifier les textes qui en valent la peine.

Une poignée de lecteurs appliquent la méthode qui me semble la plus efficace pour signaler les fautes. Le principe est simple : un billet = un mail avec le titre « [Corrections] Titre du billet à corriger ». Pas de corrections de plusieurs billets dans le même mail. Ensuite, outre des paragraphes de discussion, une ligne par faute avec la convention « partie de phrase telle qu’actuellement écrite/partie de phrase telle qu’elle devrait être ». Éventuellement, une explication ou une question. De mon côté, cela me permet de faire une recherche dans le texte du billet pour repérer facilement l’endroit fautif. Je peux également répondre à chaque correction suggérée ou la refuser en explicitant ma raison.

Parfois, de longues discussions s’ensuivent sur un point qui ne peut définitivement être tranché. C’est à la fois passionnant et instructif. J’aime la perversité de la langue française et le sado-masochisme de ses adeptes les plus puristes. Mon seul regret : ne pas pouvoir honorer les corrections typographiques à cause des limitations de WordPress. Par contre, la mise en forme générale d’un ebook est clairement un domaine où les suggestions sont les bienvenues car, sans pouvoir m’expliquer pourquoi, je suis assez peu satisfait de mes epubs.

Remerciements

La solution présentée a néanmoins un défaut. Elle relègue dans l’ombre le travail des relecteurs. Pourquoi ne pas montrer, sous la rude écorce de l’auteur solitaire, une pointe de gratitude ? Je propose donc, à ceux qui m’envoient des corrections, de préciser dans votre mail si vous souhaitez voir votre nom ajouté à la liste publique des relecteurs en bas de chaque billet, avec éventuellement un lien vers votre site ou votre compte Twitter.

Ce n’est pas grand chose mais c’est ma manière à moi de vous dire : « Merci ! »

 

Photo par Butch Dalisay. Corrections de François Martin et HLFH.

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Source: http://ploum.net/de-lorthographe-et-de-la-publication-en-ligne/


Printeurs 6

Friday 27 September 2013 at 18:56

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Ceci est le billet 6 sur 8 dans la série Printeurs

Avertissement: cet épisode de Printeurs est particulièrement violent et certaines scènes peuvent choquer.

Saisir, assembler, visser. Saisir, assembler, visser. Mon esprit se vide et s’éteint tandis que mes mains répètent inlassablement la lancinante et éternelle sarabande. Saisir, assembler, visser. Saisir…, saisir… Le rythme fléchit, je tourne la tête pour comprendre l’origine de ce ralentissement impromptu. Un liquide brunâtre et grumeleux coule le long des jambes de 647. Elle s’est chié dessus. Pourtant, on a trois minutes toutes les quatre heures pour aller au trou. Elle n’a pas tenu. Elle s’est déconcentrée, les pièces s’accumulent sur son poste.

Elle est à portée de mon bras, je pourrais l’aider. C’est risqué. Les gardes n’apprécient pas l’entraide. Mais, au niveau six, 612 tente de nous l’inculquer. Tout le monde l’appelle le vieux, il nous apprend les mots, les pensées, la solidarité. Mais grouille-toi 647, tu vas mettre toute la production en retard. Ils vont nous couper la nourriture pendant trois jours. Sans compter que ta merde va attirer les insectes. Ceux qui rampent le long des jambes et dans les gamelles et ceux qui volent en faisant du bruit. Je ne les aime pas, ils ne cessent de vouloir me ronger les yeux. Tant pis pour 647. Je vais la dénoncer. Le niveau six va me passer à tabac mais les gardiens me donneront peut-être une double ration. Voire, un jour qui sait, me faire monter en grade.

Je prends une inspiration et j’appuie sur le bouton d’appel sous la table de travail. Cela fait vingt ans que le vieux est enchaîné au montage, sans espoir de promotion autre que l’éjection. Si ses idées sont belles, elles ne mènent pas très loin. Moi, j’ai de l’ambition. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu grimper, m’en sortir. Je suis différent, tant pis pour le vieux.

À la pouponnière, j’ai dénoncé à un gardien, sans vraiment comprendre la portée de mon geste, le fait que notre instructeur de montage nous racontait des histoires et nous enseignait « l’extérieur ». Il a été éjecté. Cela m’a fait comprendre que je détenais un pouvoir. Les gardiens sont des dieux, intouchables, omniscients, omnipotents. Mais moi, enfant chétif, j’en avais détruit un sans presque y penser. Les autres enfants m’ont battu. On ne démontre pas impunément à un esclave qu’il n’est pas aussi impuissant qu’il aimerait l’être, qu’il est en partie responsable de son propre malheur. J’ai gardé mon pouvoir secret, enfoui au plus profond de mon esprit. Je sais que je ne dois m’en servir qu’avec parcimonie, attendre l’occasion parfaite.

Je regarde 647. Elle tient à deux mains son gros ventre gonflé et hurle. Du sang coule entre ses jambes. Elle est en train de pondre un petit ! Pas maintenant ! Elle va foutre en l’air le planning de production ! Je presse furieusement le bouton mais le garde n’arrive pas. Deux autres niveau six ont étendu 647. Le vieux est là et lui écarte les jambes. Une tête minuscule apparaît. Parfois, je me dis que moi aussi je suis sorti du ventre d’une femme comme 647. Le vieux dit qu’on l’appelle « la mère ». Ma mère est peut-être encore vivante. Peut-être est-ce 647. Non, elle est trop jeune. Et puis, de toutes façons, quelle importance ?

Deux gardes arrivent. Ils donnent des coups de matraque, par réflexe et par habitude. L’état de 647 leur arrache un grognement. Ils la saisissent par les jambes avant de la traîner jusqu’au couloir du médi-garde. Ses hurlements se mêlent au fracas des machines et aux habituels gémissements. Je crie à l’adresse du niveau six: « On reprend ! On va se faire punir ! »

Tous se tournent vers le vieux. Ses lèvres frémissent comme s’il allait dire quelque chose. Mais il baisse les yeux et empoigne machinalement une pièce sur le tapis roulant. C’est le signal. Comme un seul homme, le niveau six se remet au travail. Saisir, assembler, visser. Ils sont lents. Saisir, assembler, visser. Je vaut mieux que ça.

— 689 ! 689 ! Au rapport !

689 ? C’est moi ! Surprises dans leur hypnotique mouvement, mes mains restent un instant suspendues en l’air. Un garde s’approche de moi. C’est G12, un sadique.
— T’es sourd raclure de chiotte ? Au rapport !

Par réflexe, je me plie en deux sous la matraque mais je n’ai presque pas mal. Le coup a été léger, venant de G12, c’est presque une caresse. Je me lève et lâche mon travail. Tout le niveau six me fixe intensément. Cette nuit, ils vont me battre. G12 me crache au visage.
— Avance, sous-merde !

Je fixe intensément mes chaussures et le suis à travers le couloir. Des cris nous parviennent.
— Mon bébé, mon bébé, pitié !

C’est 647. Son corps est tâché de sang et de merde, son visage ruisselle de larmes, sa bouche se tord en un rictus de douleur. Pourtant, personne ne la frappe.
— Mon bébé, je vous en supplie. S’il-vous-plaît !

Un médi-garde, reconnaissable à sa blouse couleur blanc sanguinolent, s’adresse aux deux gardiens. D’une main, il tient une masse de chair rosâtre.
— Emmenez-la à son poste. Elle peut reprendre le travail.
647 est traînée en hurlant. Elle se tord en se jetant à genoux. Un garde lui envoie un violent coup de pied dans les seins.
— Salope ! Ça fait deux heures que tu as quitté le travail et tu continues à vouloir tirer au flanc !

J’aperçois alors F1, le chef des gardes. Je me souviens l’avoir vu deux fois s’adresser directement à un travailleur. Un frisson me parcourt l’échine, je prie pour ne pas être le troisième. C’est un dieu, une brute épaisse et puissante. D’une voix sourde, il lance au médi-garde :
— Alors ? Viable ?
— Il respire, répond ce dernier en examinant le petit corps poisseux qui s’agite dans ses bras. Il peut vivre.
— Assez pour être productif ? Nous avons des impératifs de rentabilité. Pas question d’élever un gringalet qui va nous claquer dans les doigts à la puberté.
— Je ne peux pas offrir de garanties. Il est limite.
— Alors jette, on a beaucoup de naissances pour le moment.

Sans un regard, le médi-garde jette l’informe amas dans le trou à excrément. F1 se tourne vers le garde qui m’escorte.
— Et lui, c’est quoi ?
— C’est 689. Le seul du niveau six qui sonne. Loyal et il tient le rythme. On a justement besoin d’un barreur au niveau six.
— Mmmm, on va le mettre à l’épreuve. G17, G19 ! Venez par ici. Cassez-moi cette racaille. Vous avez un quart d’heure de libre sur lui. On verra jusqu’où va sa loyauté.

Un sourire cruel éclaire leur faciès. Un quart d’heure ! Les distractions sont rares pour les gardes. L’un m’empoigne les cheveux et me jette à ses pieds. Sur un rythme lancinant, il tape mon front sur le sol humide et froid. Les coups résonnent dans ma tête comme un mécanisme lointain, une production rythmée par les éclairs de douleur. Les douleurs, je les connais si bien, compagnes indissociables de ma vie et de mon enfance. Elles me parlent, me bercent, me consolent. Il y a la violente, la brusque, la flamme qui coupe le souffle comme une botte dans les testicules. Il y a la hurlante, celle qui ravage et brûle comme une longue décharge électrique. Il y a la sourde, qui m’aide à me traîner sur un coin de sol humide pour mes quatre heures de nuit. Enfin, il y a la grondante, celle qui bloque ma gorge et gonfle mes paupières tout en m’accompagnant dans les lambeaux de sommeil.

G17 et G19 me traînent et m’enfoncent la tête dans le trou à excréments. Dans un éclair de douleur, entre deux larmes de sang, j’entraperçois la forme rose qui bouge et qui crie. L’odeur est effroyable, mon estomac se révulse. J’enfouis les cris du tas de chair sous mon vomi. Des mains hilares arrachent mon pantalon. Je sens l’extrémité d’une matraque qui fouille et cherche à s’enfoncer dans mon anus.

Un quart d’heure. Je dois tenir un quart d’heure. Je me concentre sur l’idée, sur la phrase que j’ai entendue : ils ont besoin d’un barreur. Je vais devenir barreur du niveau six. Plus qu’un simple travailleur, barreur. Le vieux va en baver. Je vais grimper les échelons. D’abord barreur et puis…

 

Photo par Davide Calabresi

 

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Source: http://ploum.net/printeurs-6/


Le coût de la conviction

Tuesday 24 September 2013 at 09:47

stubborn

Également disponible en anglais.

Lorsque nous débattons, nous avons tendance à considérer que les opinions sont le fruit de l’exposition à des arguments logiques. Et de la compréhension de ces derniers. Si un argument est logique et compris, une personne saine devrait changer d’avis.

Mais toute personne qui a fréquenté un peu les forums de discussion sur Internet sait qu’il n’en est rien. Tout le monde campe sur ses positions. Mais pourquoi donc ?

La raison est simple : changer d’avis à un coût. Un coût que nous avons tendance à oublier voire à ignorer complètement. Pourtant, un bon exercice est d’évaluer ce coût avant un débat. Autant pour vous-même que pour la partie adverse.

Prenons l’exemple du passionné de musique qui est convaincu que le piratage nuit aux artistes. Le convaincre que ce n’est pas le cas et que le piratage n’est pas immoral reviens, selon son propre point de vue, à admettre qu’il était assez bête pour avoir le cerveau lavé par l’industrie du disque et que tout l’argent qu’il a dépensé en CDs est un gaspillage total.

Chaque fois que vous lui dites : « Le piratage n’est pas immoral et ne porte pas atteinte aux artistes », il entend « Tu es stupide et tu as gaspillé ton argent pendant des années ». Vos arguments devront non seulement le convaincre logiquement mais également surmonter ce coût lié au sentiment d’être stupide et d’avoir gaspillé de l’argent. Un coût élevé mais pas insurmontable.

Mais il y a pire : lors d’un débat, nous avons intuitivement tendance à considérer les coûts des différents intervenants comme symétriques.

Prenons l’exemple du bon vieux débat sur l’existence de dieu.

Pour un athée, le coût d’être convaincu de l’existence de dieu est généralement celui d’admettre avoir été dans l’erreur. C’est un coût non négligeable mais surmontable. Dans la plupart des cas, les athées n’ont pas une histoire fortement liée à l’athéisme et sont donc prêt à être convaincus de l’existence de dieu avec des arguments rationnels. Ils entrent dans un débat en s’attendant à ce que la partie adverse face preuve du même état d’esprit.

Malheureusement, l’opposé n’est pas vrai. Pour la plupart des personnes religieuses, croire en dieu est une partie très importante de leur vie. C’est souvent une culture héritée de leurs parents. Ces personnes ont parfois fait des choix de vie très importants à cause de leur croyance religieuse. Dans certains cas, la religion est même le fondement de leurs relations sociales.

Quand vous dîtes « Dieu n’existe pas », quels que soient les arguments logiques, la personne religieuse entend « Tu es stupide, tes parents et tous tes ancêtres étaient des menteurs, votre vie entière est basée sur un mensonge et tu devrais rompre avec tous tes amis. »

Dit comme ça, cela ressemble plus à une blague ou à une exagération. Mais, inconsciemment, c’est pourtant exactement ce que peuvent ressentir des personnes religieuses. Étant donné le coût de certaines convictions, il n’est pas étonnant que les débats religieux puissent devenir si émotionnels.

Pourquoi croyez-vous que certaines communautés religieuses tentent par tous les moyens de discréditer ou de combattre l’athéisme ou la libre pensée ? Pourquoi pensez-vous que la plupart des religions cherchent à obtenir de l’argent ou un investissement personnel de votre part ? Tout simplement parce qu’elles augmentent de cette manière le coût nécessaire à ne plus croire en elles. Les scams sur Internet ou les voyants-marabouts comprennent cela très bien : ils demandent un petit peu d’argent puis de plus en plus. Soit vous continuez à payer, soit vous admettez que vous vous êtes fait rouler de tout l’argent investi jusqu’à présent.

Avant chaque discussion, chaque débat, vous devriez demander aux participants de répondre sincèrement à la question suivante : « Que se passerait-il si j’étais convaincu par la partie adverse ? Que ferais-je ? Quelle serait l’influence de ce changement sur ma vie ? ».

Dans une grande majorité des cas, vous découvrirez que changer d’opinion n’est pas une option. Ce qui clôt le débat avant même qu’il ait commencé.

Et vous, amis lecteurs, quelles sont vos opinions qui sont trop chères à changer ? Et que pouvez-vous faire pour améliorer cette situation ?

 

Également disponible en anglais. Photo par r.nial.bradshaw.

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Source: http://ploum.net/le-cout-de-la-conviction/


Le Web n’est pas très important mais il est essentiel !

Monday 23 September 2013 at 18:22

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Sur le web, il est facile d’interagir avec des milliers de personnes, de refaire le monde, de se sentir important. Parfois, lorsqu’on m’affuble du titre, hautement convoité, de « blogueur influent », je rappelle que mes articles sont lus, quand ils ont du succès, par quelques milliers de personnes. Très rarement par quelques dizaines de milliers de personnes. Voire, pour mes plus grand succès, par quelques centaines de milliers de personnes.

Si, en termes web, ces chiffres sont appréciables, force est de constater que la moindre émission de télé-achat du jeudi après-midi a une audience au moins comparable. Le nombre de fois où j’ai été reconnu, dans un contexte autre que le web, par un lecteur, se compte sur les doigts d’une main. Par contre, les rares fois où je suis passé à la télévision locale, même quelques secondes, toute ma rue et mon quartier ne tarissaient pas d’éloges sur ma prestation.

Le web, une importance toute relative

Lorsque que, comme moi, on se plaît à prévoir le futur et à le construire, il est facile de s’imaginer déjà vivre dans ce futur. Un monde où le web aurait remplacé la télévision et les médias traditionnels.

Mais la dérouillée subie par le Parti Pirate en Allemagne et par le Wikileaks Party en Australie viennent nous rappeler que le web reste, encore et toujours, l’affaire d’une poignée d’initiés, généralement instruits et intellectuels. Si les smartphones se démocratisent, les utilisateurs n’en tirent que très peu profit. La plupart n’ont même pas un abonnement adapté, étant limité à 100 Mo par mois et, ne comprenant pas ce qu’est 1 Mo, n’utilisant Internet qu’en Wifi à la maison. Quand ce n’est pas un abonnement « Facebook only ».

De plus, le web reste un média de l’écrit. Même pour regarder des vidéos, il est nécessaire de lire les titres, de savoir où cliquer. Or, 10% de la population francophone en Belgique est tout simplement analphabète. Et près d’un enfant de 15 ans sur trois sait lire mais ne comprend pas ce qu’il a lu. Cette réalité, je l’ai vécue de plein fouet lorsque, témoin de bureau aux dernières élections, j’ai vu des électeurs, désemparés, demandant qu’on leur explique ce qu’il fallait faire avec le bulletin. Un jeune homme d’une vingtaine d’années demanda qu’on lui pointe la case à cocher pour voter Front National, à quoi il lui sera répondu que le Front National ne se présentait pas dans la région.

Comme le souligne Alain Gerlache, on ne voit poindre aucun parti politique d’importance issu de la mouvance web et, même après des révélations comme celles de Snowden, les problématiques liées au web sont loin de s’imposer comme des enjeux politiques prépondérants. D’ailleurs, si les politiciens aiment se mettre sur les réseaux sociaux, aucun écart de voix significatif n’a encore été souligné comme étant lié à une présence active sur le web.

Le web n’est donc pas si important. Et pourtant, il est essentiel, primordial !

Le web sera important

Beaucoup voient dans le récent échec allemand la fin du Parti Pirate, la preuve que « le web n’est pas politiquement important ». Mais si cette observation est factuelle aujourd’hui, à l’heure où j’écris ces lignes, le monde change, évolue. Qu’en est-il de demain ?

La génération active a été élevée par la télévision. Moi-même, je suis issu de la génération « Club Dorothée » et je n’ai découvert le web qu’avec mon entrée dans la vie adulte, à peu près en même temps que mon premier téléphone portable.

Mais tous ces smartphones, toutes ces tablettes sont un accès au web. Il suffit d’un clic sur Facebook pour se retrouver confronté à des nouvelles idées. Les adolescents d’aujourd’hui sont la toute première génération à passer plus de temps sur le web que devant la télévision. Une génération qui a toujours connu le web, le chat, la video conférence. Une génération qui ne se souvient pas qu’on puisse exister sans Facebook. Et qui se réapproprie la communication écrite, au grand dam des puristes de la langue.

Si nous constatons que le web devient chaque jour plus important dans notre entourage technophile, un changement radical de société ne s’accomplit pas du jour au lendemain. Être trop en avance sur son temps n’est pas un avantage en politique.

Le web doit devenir important

Si je pense que ce changement est inévitable sur le moyen terme, je reste également convaincu qu’il est souhaitable et qu’il doit être encouragé par tous les moyens possibles.

Il n’est pas rare d’entendre des réflexions fatalistes comme quoi les jeunes ne comprennent pas réellement Internet, qu’ils ne savent pas réellement l’utiliser autrement que pour aller sur Facebook, que le niveau d’orthographe est en baisse.

Mais je vois les choses différemment : beaucoup plus de jeunes ont accès à internet et donc à la culture écrite. Ils découvrent, certes maladroitement. Ils façonnent leurs outils et développent une culture qui leur est propre. Les « memes » et autre « rage comics » sont, au delà de l’aspect humoristique, des moyens d’expression et d’échange. À travers eux, les adolescents relativisent les coutumes et les traditions locales, ils découvrent leurs points communs et leurs différences. Ils se font des amis tout autour du globe. Bref, ils s’éduquent, ils s’émancipent. Ils se forgent une citoyenneté mondiale, une conscience politique différente de tous les clivages gauche-droite que nous tentons de leur inculquer. Ils découvrent le goût de la lecture à travers les blagues Facebook plutôt qu’avec Zola.

Et s’ils ne sont pas des informaticiens chevronnés, je rappelle que je conduis une voiture depuis quinze ans et ne sait toujours pas faire la différence entre une bielle et un joint de cardan.

Le web ne peut être contrôlé

À cause de son pouvoir de disruption, le web fait peur, très peur. Il serait tellement plus confortable de le cantonner dans un rôle accessoire de support commercial. Une sorte de gigantesque panneau publicitaire où les participants partagent volontairement des pubs mais où tout autre type de partage serait banni. On invoquera, au choix, la propriété intellectuelle, un contenu contraire aux bonnes mœurs ou une opinion « incitant à la haine ».

Ce bridage du web, cette censure généralisée peut réussir. Le récent scandale de la NSA prouve que le web est déjà beaucoup plus contrôlé que ce que nous imaginions. C’est pour cette raison que sont nés, entre autres, le Parti Pirate ou Wikileaks. Et s’ils viennent à disparaître, d’autres prendront la relève. Du moins je l’espère de tout cœur.

Car dans un an, cinq ans ou vingt, les enfants du web seront au pouvoir. Ils auront été éduqués par le web, formatés par le web. Et ils devront décider que faire de nous, pauvres vieillards cacochymes, devenus d’inutiles fardeaux dans une société contrôlée à l’excès et endettée jusqu’au cou.

À ce moment-là, peut-être que nous nous mordrons ce qui nous reste de doigts d’avoir laissé le partage et l’entraide devenir des crimes. Nous regretterons l’époque où nous avons eu le choix et nous avons préféré voter pour de traditionnels politiciens affairistes, par simple peur du changement, convaincus que le web n’était pas si important…

 

Photo par Kvitlauk

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