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Engagez-vous, ou la énième rupture

Monday 18 July 2016 at 16:40

Abu-ghraib-leashQue faire contre le terrorisme ? De grandes déclarations creuses ? Continuer de foncer dans le mur en klaxonnant ? Décidément, l’exécutif n’en est pas à une erreur près. Mais ce qui est le plus troublant, c’est cette propension à jeter de l’huile sur le feu. Alimenter la haine qui monte. Bien entendu, ceux qui ont allumé le feu sont à chercher du côté de Daech. Nul ne le contestera. Mais tout de même… Sans vouloir expliquer, ce qui serait sans doute aux yeux de Manuel Valls et de Bernard Cazeneuve un indice de radicalisation de notre part, il n’est pas inutile de faire quelques petits retours en arrière.

Remontons en 2001.

Les attentats de septembre marquent le premier virage des Etats-Unis. Une lente descente aux enfers hors de la voie de la Démocratie. Une marche forcée vers un Etat policier ayant désormais quelques attributs d’une dictature.

Les attentats de septembre 2001 marquent un virage qui permet aux Etats-Unis de déclarer une guerre « préventive ». Ce qui ne s’était pas vu depuis la deuxième guerre mondiale quand Adolphe Hitler avait popularisé ce concept. L’idée, c’est plus ou moins « je t’attaque parce que si je ne le fais pas, tu risques de m’attaquer dans un avenir plus ou moins proche ». On comprend aisément que cette doctrine peut amener des situations avec lesquelles on peut être plus ou moins d’accord selon le côté duquel on se place. Des gentils occidentaux qui attaquent un méchant dictateur fou, on comprend et on est presque prêt à excuser. Mais dès lors, comment refuser ce droit à un dictateur fou qui attaque son voisin. Ou même à un gouvernement démocratique qui « prend ses précautions » à coup de guerre préventive ? Au hasard, l’Inde qui attaquerait le Pakistan, la Chine qui attaquerait l’Inde, la Turquie qui attaquerait la Grèce ?

Vous commencez à comprendre que l’idée d’une guerre « préventive » est particulièrement dangereuse pour la stabilité internationale entre des peuples trop idiots pour comprendre que nous sommes tous coincés sur une toute petite planète qui ne devrait pas connaître de frontières.

On vous passe le fait que nous aurions encore plus de mal à faire comprendre à des extra-terrestres qu’il est idiot de raser la moitié de notre planète pour se prémunir d’une attaque putative de notre part.

Légalisons la torture parce que…

Et comme les Etats-Unis étaient légitimement en colère contre les terroristes qui avaient provoqué quelques milliers de morts sur leur territoire, le gouvernement de George Bush s’en est donné à coeur joie.

Après la guerre préventive qui a contribué à déstabiliser tous les équilibres internationaux, il a décidé de légaliser la torture. Mais pas seulement, il fallait aussi pouvoir enlever n’importe qui n’importe où dans le monde pour pouvoir le jeter au fond d’une prison fantôme, sans aucune existence officielle, afin de pouvoir torturer ou le faire disparaître tranquillement.

Puis est venu le temps des drones tueurs. Simple, efficace, ce concept permet de bombarder des cibles très éloignées avec pas mal de précision, sans risquer de vies humaines… Américaines.

C’est une activité que l’on peut raffiner. Par exemple, tuer un leader d’un groupe terroriste. Puis bombarder le village lors de son enterrement. Comme il est certain que ses copains sont présents pour sa mise en terre, on multiplie les cibles à éliminer. Bien sûr, il y a des dégâts collatéraux. Les villageois. Ou les familles. Mais qu’importe pourvu que le but soit atteint ?

Surveillons tout le monde

La Stasi l’avait démontré (ou pas), la surveillance de l’ensemble de la population permet d’éviter la rébellion en favorisant l’auto-censure. Les Etats-Unis ont donc mis en place un système de surveillance des populations au delà de ce qui pouvait être imaginé. Les révélations d’Edward Snowden le démontrent.

Comme pour la glissade vers un Etat Policier s’affranchissant de toutes les règles (torture, enlèvements, incarcérations indéfinies hors de tout cadre légal, etc.) la population dans sa très grande majorité s’est tue. Elle a laissé faire. On nous surveille ? On n’a rien à cacher. On torture en mon nom ? Mais ce sont des terroristes et ça ne nous arrivera pas à nous, qui n’avons rien à nous reprocher…

A chaque action une réaction

Comme chacun sait, les actions impliquent des réactions. Pour le gouvernement américain, comme pour les gouvernements occidentaux qui ont appuyé ces mutations (la torture, les enlèvements, les vols fantômes de la CIA, les bombardements aveugles, on en passe), ces actions ne devaient aboutir qu’à l’éradication des terroristes. Oui, mais non. La preuve…

D’une part, le terrorisme est une arme qui a toujours été employée et le sera toujours. D’autre part, en tuant des terroristes et leurs proches, on crée des terroristes qui ne l’étaient pas auparavant. Action, réaction. Pas celle attendue, mais celle qui arrive.

Et la France dans tout ça ?

La France a emboîté le pas des Etats-Unis. Bien entendu, on ne torture pas officiellement comme outre-Atlantique. On n’emprisonne pas dans un camp de concentration comme à Guantanamo. Mais on part bombarder les terroristes là où ils sont. Quitte à faire quelques dommages collatéraux. Quitte à prêter le flanc à la propagande terroriste et contribuer à désigner le pays comme une cible prioritaire.

On surveille chaque jour un peu plus la population. On rogne les libertés individuelles sans état d’âme parce que bon, il faut ce qu’il faut pour lutter contre le terrorisme, n’est-ce pas ? Attention si vous répondez que cela vous choque, vous risquez fort d’être accusé de soutien au terrorisme.

Quel bilan peut-on tirer de tout ce qui a été fait par les gouvernements successifs, y compris celui de François Fillon sous la présidence Sarkozy (avec la destruction de la Libye) ?

Il est assez simple et inquiétant. Le plus troublant est que le gouvernement actuel ne l’entrevoit même pas. C’est à se demander si nos dirigeants sont de mauvaise foi ou simplement incompétents.

La présidentielle arrive à grands pas.

Et voici le contexte :

C’est dans ce contexte hautement explosif que le gouvernement actuel incite la population à rejoindre la réserve opérationnelle. Une décision qui ne dépare pas de celles qu’avait prises George Bush en son temps. Lui, allait chercher les jeunes sur les parkings des centres commerciaux pour les envoyer en Irak ou en Afghanistan. Que fait le gouvernement français en lançant cet appel ? Il exacerbe les sentiments nationalistes, jette de l’huile sur le feu du racisme le plus pervers désormais assumé sans complexes et prépare des confrontations entre tranches de la population.

Diviser pour mieux régner ? A quel coût ? Faudra-t-il cinq ans de Marine Le Pen pour que la population retrouve un peu de bon sens ? La situation est désespérante. Presque autant que les dirigeants politiques. C’est dire…

Source: https://reflets.info/engagez-vous-ou-la-enieme-rupture/


Démocratie fissurée : chroniques d’un mauvais élève de la République (2)

Sunday 17 July 2016 at 11:27

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Dernier concert punk des Bérus, les derniers punks, en 1989 : « Nuit Apache ». Leurs remplaçants en 2016 s’appellent Benjamin Biolay ou Fauve. Comment en est-on arrivé là ?

La ré-élection de « Tonton » contre Chirac en 1988, est un moment amusant, presque décalé. Le Pen est déjà sorti du bois depuis les Régionales de 86 et notre manière à nous, une bande de potes un peu hasardeuse, de participer à cette mascarade, se fait en couvrant tous les murs de la ville un peu visibles, d’un personnage passé à la bombe noire, au pochoir. C’est une tête de punk commandée à un pote graphiste, avec une crête, un gros joint dans la bouche, et en dessous, un slogan : « Votez Le Pet ». L’un d’entre nous ira même jusqu’à en bomber un sur le mur du commissariat. Nous sommes hilares. Mais inquiets, au fond. Parce que la population des « Français sérieux », les électeurs, salariés, artisans, commerçants, etc, semblent devenir un poil plus hargneux que quelques années auparavant. A moins que ce ne soit nous qui nous en rendions plus compte, parce qu’arrivant à l’âge adulte ?
▶ 3:25

88, c’est Robocop : un film bien merdique (comparé à Terminator deux ans avant qui nous avait défrisé) et pourtant amusant, qui annonce l’avenir tout en voulant dénoncer les risques du « fascisme technologique ». 28 ans plus tard, les robots tueurs existent et le principe de déléguer des tâches de sécurité publique à des machines autonomes fait son chemin aux Etats-Unis. En 88 il y a les « Béruriers noir », à l’apogée de leur gloire, et cette jeunesse de plus en plus déboussolée qui sent bien que quelque chose est en train de vraiment basculer, que la rue va bientôt redevenir ce qu’elle était quelques décennies auparavant : un espace contrôlé et — certainement désormais —aseptisé.

Même en Chine, la jeunesse lève le poing

Le monde bipolaire de 1989 se fissure sans que personne ne s’y attende. Les cafés enfumés sont encore plein de monde, de générations qui se croisent. Tu peux alors te taper un flipper tout en écoutant la discussion politique de comptoir et donner ton avis en participant à la création du nuage de fumée qui recouvre l’endroit. Tout le monde s’en branle de l’hygiène, de la santé, parce que tout le monde sait qu’il va crever tôt ou tard, et que quelque part, les punks agonisants n’avaient pas tort : « No future ». A Paris, les bandes de Zoulous cassent du crâne rasé à grands coups de boxe taï, en province ça se cogne parfois sévère entre les derniers représentants à crête colorée du doigt levé contre la société de consommation, de prédation, de conservation, et les immondes sbires chauves du renouveau fasciste. Avoir des Rangers en 1989 peut servir. À prendre des coups, mais à en balancer aussi.

Les derniers groupes de musique contestataires s’éteignent, des nouveaux, plus poétique dans leur rage, apparaissent, dont celui de Bertrand Cantat : Noir Désir. J’apprends par la radio que sur une place chinoise des milliers de jeunes gens défient le pouvoir communiste, qu’un type a même réussi à faire reculer un char d’assaut, tout seul. Il se passe quelque chose. La photo est en une de tous les journaux.

Les Cure sont en pleine désillusion, Robert Smith ressemble de plus en plus à une chouette ombrageuse, Chirac est premier ministre, la modernité fantasmée des années 80 se pare des couleurs de l’arc en ciel. Les Macintosh ouvrent des horizons incroyables pendant que le Minitel passe en 16 couleurs…

Un mur, un putsch, et ça s’accélère

Le mur de Berlin tombe à l’automne 89. Tian’anmen a été réprimée, je m’écoute en boucle le premier disque vynil des Fishbones en me demandant comment tout ça va tourner.

Je le saurai un an et demi plus tard avec la première guerre d’Irak. Un truc de dingues, inimaginable à l’époque, qui a saisi tout le monde. Une propagande incroyable aussi, qui fonctionne à merveille. L’URSS n’est pas encore redevenue la Russie, même si on entend qu’elle est en train de franchement se casser la gueule. Personne ne sait s’il faut s’en réjouir ou non. Les Américains restent des gens inquiétants, eux aussi, parce qu’on les connaît mieux que les soviétiques mais que tout le monde a été prévenu par le type à casquette (qui les connaissait de la seconde guerre mondiale) et qui a demandé par référendum 20 ans plus tôt s’il devait partir ou non : ces gens [les yankees] sont dangereux, ne jamais les laisser prendre le dessus chez nous.

La première guerre d’Irak est un moment vraiment dur. Je repense à « Neuromancien » lu quelques années plus tôt et « 1984 » (bien plus tôt, au début des années 80) et me dis que si des millions de personnes passent leurs soirées à regarder des petits traits verts filer sur un écran noir en stockant du sucre et de la farine dans leurs arrière-cuisine, tout en étant convaincus que la guerre peut être chirurgicale, ça va être compliqué. L’URSS n’est plus, on apprend qu’un type rougeaud a putsché Gorbatchev, c’est dingue. 1991, l’année où le monde bascule une première fois. Certains se réjouissent, d’autres se demandent quand même ce que ça va donner. Mais au fond, on a passé tellement d’années avec la crainte que les deux grands ennemis ne pulvérisent la planète, qu’au fond, on est tous contents.

Le chômage, l’OMC, les PC, Kurt Kobain, le net et… Chirac

Kurt Kobain représente la dernière cartouche de la résistance à la connerie bourgeoise, au recouvrement de la société par la seule quête du confort matériel et la disparition des idéaux. Il se suicide en 1994, et ma jeunesse avec. C’est foutu, ils ont gagné me dis-je. Parce que désormais, sur les ondes, c’est fini. Dans la rue, aussi. Ca commence à se figer. Pas entièrement, puisqu’il y a encore des gens qui discutent, se fâchent, picolent, revendiquent, mais sur quoi au juste ? Le chômage est au même niveau qu’en 2016, plus de 10%, et visiblement les efforts des médias et des politiques pour asséner cette statistique portent leur fruit : tout le monde ne parle que de ça. Et du Sida qui est devenu « cause nationale ». Baiser fait crever, travailler c’est crucial surtout qu’il n’y a plus [ou presque] de travail.

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Taux de chômage de 1968 à 2010

L’OMC est créée l’année du décès de Kobain, et donc de Nirvana. Coluche ou Desproges ont été remplacés par… Pierre Palmade et Murielle Robin. Ou Jean-Marie Bigard. Je regarde de temps en temps chez l’arrière grand mère de mon premier fils, ces pathétiques tentatives arrivistes de ces pseudo artistes de faire rire le bon peuple avec leurs propres travers. Comme si s’identifier à ces petits bourgeois plus ou moins vulgaires, qui détaillent leur manière de manger, recevoir des invités ou pratiquer le racisme (pour Bigard) au second degré (paraît-il) était devenu un loisir acceptable. Le rire coincé. De la petite bourgeoisie empruntée et… bourrée d’emprunts.

1994 : je découvre gopher et http. Ça scotche. Alors comme ça il y a un réseau mondial d’information auquel on peut se raccorder avec un ordinateur ? Je prends. Je regarde le Minitel comme une pure escroquerie gouvernementale. Ce qu’il est.

En 1995 Chirac est élu avec comme slogan « mangez des pommes ». On atteint des sommets de médiocrité. Tout en découvrant définitivement que Mitterrand était un Machiavel moderne, une ordure mégalomane qui a bien endormi les croyants du « dogme progressiste de gauche ». Ce type aura en fait effectué des changements « positifs et progressistes » pendants 3 ans aidé des communistes, puis totalement tourné sa veste pour organiser le monde de la finance-reine, du libéralisme décomplexé, de l’Europe supermarché des multinationales. Le vote de 1992 sur Maastricht était une belle escroquerie. L’Europe des peuples ? Des banques et des fusions de groupes, plutôt, oui. Les PC commencent à arriver dans certaines maisons. Pas beaucoup. Il y a du MS-DOS/Windows dessus. C’est laid et ça plante pas mal. Mais Win95, voulu comme la copie de l’interface du Mac arrive (MS-DOS est caché dedans, on ne le voit plus). Houhouhou : tu peux jouer avec avec — une fois que tu as résolu les conflits d’IRQ — mais c’est chiant.

Sans réseaux sociaux, sans smartphones ils se mobilisent !

Un truc dingue survient en 1995, comparé à aujourd’hui : une super grève paralyse le pays contre la réforme de Juppé le martial qui veut péter le système de retraite. Sans aucun outil numérique la grève, les manifs. Comme quoi, même à la préhistoire, les gens arrivaient à échanger et se mobiliser. La « fracture sociale » que Chirac voulait résorber durant la campagne n’a pas mis 6 mois à être oubliée. La TVA a augmenté. Les médias ne parlent que de chômage et de déficit public. Le grand manège politique propagandiste a commencé, mais ça résiste encore. Plus bien longtemps, pour une raison simple : la globalisation des échanges menée à fond de train par l’OMC et les institutions européennes qui préparent l’arrivée de l’euro, sont en pleine effervescence.

La musique, le cinéma, agonisent doucement. Les cafés se vident pas mal : il n’y a presque plus de jeux vidéo et de flippers dedans. On peut encore fumer et faire un peu chier les autres, mais on sent bien que ça ne va pas durer.

Et ça ne va pas durer…

Source: https://reflets.info/democratie-fissuree-chroniques-dun-mauvais-eleve-de-la-republique-2/


Démocratie fissurée : chroniques d’un mauvais élève de la République (1)

Saturday 16 July 2016 at 10:06

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Le projet n’a rien d’ambitieux, mais il m’amuse : raconter, sur une période de 30 ans, la disparition progressive de tous les idéaux politiques français (et autres…) doublé de l’écroulement de la démocratie.

Cet exercice, ô combien subjectif, passe par le filtre des rencontres, expériences, voire « aventures » d’un informaticien, musicien  et écrivain devenu journaliste, qui n’a jamais voté, mais a toujours cru bon de chercher à comprendre la société qui l’entoure, voire la changer : moi. La stupidité n’est pas l’apanage des puissants, et les erreurs sont humaines.

Je fais partie de ceux qui se comptent comme responsables de « l’état du monde », puisque ayant participé, par force, à mon niveau, à son changement. Ayant en plus jeté dans l’arène du monde deux individus issus pour moitié de mes gènes, et désormais adultes, je ne me vois pas leur dire que je n’ai « aucune responsabilité dans tout ça ». Après tout, j’ai participé à la construction d’un modèle de société… ou oublié de le faire…?

30 ans « d’activité humaine autonome » (hors du foyer parental), c’est une bonne période pour faire le bilan. Pas le mien directement, mais celui de la société dans laquelle je vis. Cette république vacillante, la démocratie française, fissurée… et au bord de s’écrouler. Comment en sommes-nous arrivés là ?

La mort de Coluche, de Desproges : quelque chose change radicalement

C’est étrange, mais la mort de Michel Colluci a été pour moi le début de la fin de quelque chose d’important. Comme celle de Pierre Desproges, deux ans plus tard. Ces deux clown français — totalement différents dans leur approche — ont aidé des millions de personnes à résister à la morgue des politiciens. Le rire, dans une société, est très important, il rapproche les gens, les aide à relativiser. Quand ce rire est fait d’une satire des comportements politiques, des travers humains, de  la société, c’est une sorte de catharsis collective qui soude un peuple contre la bêtise des puissants et de ceux qui les confortent. Coluche était une bête politique au sens le plus noble du terme, et il permettait à des foules hilares de déchiffrer l’absurdité de la société faussement « démocratique ou « libre » dans laquelle ils étaient plongés. Desproges renvoyait les contradictions permanentes qui agitaient à peu près tout le monde.

En 86, Chirac est nommé Premier ministre de François Mitterand, il est ridicule et inquiétant à la fois, Tchernobyl explose,  le scandale du Rainbow Warrior enflamme les unes des journaux, et le plus grand comique agitateur disparait. Je ne dis pas que c’est la mort de Coluche, puis celle de Desproges qui ont fait changer radicalement les choses, mais ne plus les avoir à partir de ce moment, comme « fous du roi » et représentants de l’irrévérence populaire, change quelque chose. Une sensation : tout le monde va se prendre beaucoup plus au sérieux, et prendre beaucoup plus au sérieux ceux qui ont besoin d’être pris au sérieux : les dirigeants politiques.

En 1986, et jusqu’à la mort de Kurt Cobain en 1994 — cette mort de Kurt Cobain est un bon marqueur… de la fin de « la politique par la musique » — la sphère culturelle, artistique, va continuer à tenter de résister à l’envahissement progressif de l’espace sociétal par le management. Ces quelques 8 années sont une sorte de chant funèbre des dernière bribes de la démocratie occidentale issue des 30 glorieuses — celle où la « population » et ceux qui les accompagnaient étaient encore en position de force et de proposition face aux puissances dominantes politico-économiques. La finance nationale internationalisée

Le CAC 40 n’existait pas en 1986, mais son apparition en 1988 (en réalité il est crée le 31 décembre 1987 et s’officialise le 15 juin 1988) n’est pas pour rien dans le basculement de société qui s’opère ensuite. La Cotation en Action Continue remplace la Bourse à la criée, anciennement nommée… Compagnie des Agents de Change, elle s’informatise donc, par force, et disparaît physiquement.

L’histoire de cet indice boursier qui permet d’embarquer la France dans la grande compétition mondiale et d’ouvrir les vannes des flux financiers, avec la possibilité de créer les entreprises géantes aux centaines de filiales installées dans des paradis fiscaux, est intéressante à suivre dans sa progression. Ce tableau montre bien (source : wikipedia) comment une oligarchie de taille internationale s’est créée grâce à la financiarisation de l’économie française (sous une présidence politique socialiste, puis renforcée par un gouvernement socialiste) :

CAC 40 GR : calculé dividendes bruts réinvestis
CAC 40 NR : calculé dividendes nets réinvestis

CAC40-evolution
Le cinéma, la littérature, la musique et la démocratie sont étroitement liés

Pourquoi parler des artistes et de la culture en général pour décrire les changement politico-économiques de la société française ? Parce que le lien entre les aspirations de la population, sa capacité à résister ou au contraire se laisser manipuler par des « élites » est totalement lié à cet aspect des choses. La culture au sens large, populaire, est normalement un ciment commun, et ceux qui la génèrent ont longtemps été les porte-paroles des aspirations, dénonciations, mises en cause, réflexions d’un « plus grand nombre ». Il en a été ainsi en tout cas, à mon sens, plusieurs décennies d’affilée.
Cinéma engagé, contestataire, musique rebelle, théâtre social, romans « dérangeants » : des générations entières se sont levées pour contester l’ordre établi grâce à des œuvres artistiques. Jusqu’à que le marketing recouvre tout, et n’industrialise l’art, le transformant en pur produit industriel sans âme ni inspiration. L’endormissement général, la docilité que le consumérisme généralisé a apporté, sont liés à cette main-mise de la culture par les marchands. Elle débutera de façon très marquée au détour des années 90, et avec l’avènement de l’Internet galerie-marchande, au milieu des années 2000, écrasera totalement toute autre approche.

Que s’est-il passé d’autre de marquant à partir de 1986, pour que nous en soyons arrivés à cet état de délabrement de la société ?

Beaucoup de choses.
Que nous devrions bien observer, pour mieux les déconstruire afin de les reconstruire autrement ?
Fort probable…

A suivre : « Démocratie fissurée : chroniques d’un mauvais élève de la République (2) »

Source: https://reflets.info/democratie-fissuree-chroniques-dun-mauvais-eleve-de-la-republique-1/


Déchets nucléaires : investir, coloniser, enfouir

Thursday 14 July 2016 at 13:43

affiche_reoccupation_FR Un petit coin de Lorraine devient le théâtre d’une radieuse guerre de tranchées. C’est à Bure, un micro village de la Meuse, que les intérêts de toute l’industrie nucléaire vont se jouer pour des millénaires. C’est là qu’une grande poubelle radioactive est en gestation, dans le sous-sol argileux de ce coin de campagne quasi désertique, où les résidus les plus toxiques de la filière atomique se cherchent une petite place au chaud. Cette guerre de tranchées, qui a pris une autre dimension depuis l’été dernier, est davantage une guerre d’usure, où l’important est moins d’investir les lieux et les espaces que de coloniser les esprits et les consciences.

Tout se joue, en ce moment, autour du bois Lejuc, une forêt de charmes, de chênes et de hêtres de 230 Ha convoitée par l’ANDRA, l’Agence de « gestion » des déchets radioactifs qui passe le plus clair de son temps à faire plutôt de la  « digestion » sémantique pour faire apprivoiser les résistances et rendre sa présence acceptable. Depuis le 19 juin, le rapport de forces s’est inversé. Face au rouleau compresseur atomique, une joyeuse troupe est parvenu à occuper le bois Lejuc, à Mandres-en-Barois (au nord de Bure, cf la carte plus bas), qui était tranquillement en train de se faire dévaster par l’ANDRA pour y construire l’un des lieux d’implantation de sa grande poubelle nucléaire. Le bois a été occupé pendant trois semaines, après avoir fait tomber grilles et barbelés et expulser une petite armée de vigiles. Pour l’ANDRA, présente officiellement dans le coin depuis 1999, ce fut une énorme humiliation. D’où une expulsion manu militari intervenue la semaine dernière, le 7 juillet, où une petite trentaine d’occupants ont été délogés par des dizaines de gendarmes mobiles armés jusqu’aux dents. Le deuxième round débute demain, où les opposants appellent à une « manif de réoccupation » qui s’annonce autant savoureuse qu’explosive.

[Update : pour suivre le déroulé de la journée et des suivantes, c’est ici]

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Les pouvoirs publics, qui travaillent en réalité pour des intérêts bassement industriels, ont pourtant mis le paquet pour que la pilule amère devienne digeste et même addictive. Le projet d’enfouissement des déchets nucléaire date du milieu des années 90. Le site de Bure a été choisi en 1998, par un décret signé du premier ministre de l’Environnement issu du parti des Verts, en l’occurrence Domnique Voynet. L’entourloupe a consisté à installer à Bure un simple « laboratoire » destiné officiellement à étudier la faisabilité de stocker à 500 mètres de profondeur les déchets radioactifs les plus nocifs que l’industrie accumule depuis plus de quarante ans : ils représentent seulement 3% des volumes, mais pas moins de 99% de leur radioactivité totale (mettant des centaines voire des milliers d’années à perdre seulement la moitié de leur radiotoxicité). Le « labo » de Bure est la préfiguration d’une phase industrielle bien plus colossale, baptisée Cigeo – Centre industriel de stockage géologique –, un chantier estimé au bas mot à 25 milliards d’euros (41 milliards pour l’estimation la plus haute). Le pire dans tout ça, c’est que parmi les 85.000 m3 de déchets que ce site est censé enfouir, la moitié n’a pas encore été produit.

IMG_3754smC’est là tout l’enjeu de cette guerre de tranchées : enfouir les déchets sert aussi à enfouir tout espoir de résistance à l’industrie nucléaire en tant que telle. La gestion des déchets, c’est bien connu, c’est le talon d’Achille de la filière. Les mettre sous le tapis sert avant tout à les dissimuler du paysage politique, à entretenir l’idée que le nucléaire est non seulement « propre » par son absence de rejets de gaz à effet de serre (même si l’extraction de l’uranium en recrache des tonnes) mais qu’il est aussi capable de se régénérer. Trouver « la » solution des déchets nucléaires, c’est avant tout, pour les nucléocrates, mettre en avant « la » solution pour assurer sa survie économique, alors que tous les acteurs (Areva et EDF en tête) sont embourbés dans un marasme économique et financier hors du commun. Creuser la poubelle de Bure, c’est donc construire la dernière pierre d’un édifice destiné à sauver l’énergie nucléaire d’un ultime discrédit pathétique.

Qu’un village de 80 habitants soit le lieu du plus grand projet inutile que le monde nous envie est donc plus que révélateur. L’ANDRA y travaille consciencieusement depuis vingt ans. L’Agence a d’ailleurs davantage travaillé sur les gens qu’avec ou contre eux. Son travail de sape consiste à accommoder la région et les habitants de son implacable emprise. Elle a notamment créé un  « Comité d’Orientation et de Suivi du Laboratoire de Recherche Souterrain Meuse / Haute-Marne » (COS), organe technique (géologues, hydrologues, physiciens ou ingénieurs divers et variés), ainsi qu’un « Comité d’expertise et de suivi de la démarche d’information et de consultation » (COESDIC). Trois des quatre experts de ce dernier machin sont des sociologues. Le premier d’entre eux, son actuel président, Michel Callon, ex-membre du CA de l’ANDRA, est professeur à l’École des Mines de Paris (haut lieu de la nucléocratie), et figure émérite de son « Centre de Sociologie de l’Innovation » (sorte de laboratoire de « lavage des cerveaux »). Son truc, c’est l’acceptabilité sociale, discipline expérimentée avec succès pour imposer, notamment, les nanotechnologies.

L’atelier de bricolage grenoblois Pièces et main d’œuvre (PMO), poil à gratter de la nanoindustrie, a depuis longtemps repéré la dextérité de Callon dans ce domaine. Dans un article vieux de dix ans, PMO décrit sa philosophie, tiré d’un bouquin paru en 2001, « Agir dans un monde incertain – essai sur la démocratie technique »:

« Élus, décideurs, vous affrontez des « controverses » nées des catastrophes techno-industrielles ? Comment les gérer ? Grâce aux « procédures de dialogue avec le peuple » taillées sur mesure par ces sociologues jaunes. Mode d’emploi : n’entrez pas dans la confrontation directe, tâchez d’« organiser, maîtriser les débordements sans vouloir pour autant les empêcher ». Montez des « forums hybrides », mêlant scientifiques et « profanes », pour favoriser les compromis. Exemple de résultat ? « Le nucléaire qui en sortira  sera socialement, politiquement et même techniquement complètement différent du nucléaire qui aurait été décidé en dehors des forums hybrides. Parler « du » nucléaire en général n’a aucun sens. Jouer au jeu de ceux qui sont pour et de ceux qui sont contre est encore plus inepte. »

REOCCUPbisLes fameux « débats publics », comme celui qui se termine le 17 juillet autour du mégacomplexe du groupe Auchan Europacity, ont sévi autour du projet Cigeo à deux reprises, en 2005 et 2013. Le dernier ayant été boycotté par les opposants regroupés dans la coordination Bure Stop, échaudés par la mascarade « participative » de la première salve.

Comme le dit Claude Kaiser, l’un des membres historiques de Bure Stop, dans un papier récent de Bastamag, le choix de Bure ne s’est pas fait au hasard. La région ne compte que 6 ou 7 habitants au km2. Il se souvient d’un rendez-vous obtenu par les opposants avec un conseiller du Premier ministre Lionel Jospin, peu après la signature du décret Voynet de 1998 :

« Il nous dit d’emblée, “Mettez nous 10 000 personnes dans la rue et là on pourra peut-être commencer à discuter”. On lui répond “mais comment voulez-vous que l’on mobilise autant dans la Meuse ?” Sa réplique, je ne suis pas prêt de l’oublier : “C’est bien pour ça que la Meuse a été choisie” ! »

Pour investir les esprits, rien de mieux que d’investir tout court (au sens économique et financier). Le site de Bure est ainsi devenu l’épicentre d’un « cluster de compétitivité », un « pôle d’excellence nucléaire » destiné autant à sauver une région économiquement sinistrée que d’imposer Cigeo dans les consciences. Avant cela, l’argent public coulait à flot depuis 1991: l’État décide alors de verser 5 millions de francs (MF) par an aux quatre sites présélectionnés pour l’enfouissement des déchets. Une somme annuelle multipliée par deux en 1995. En 1998, quand Bure est seule en lice, la manne passe à 10 MF par an (1,5 millions d’euros, M€) – mais pour chacun des deux départements, Meuse et Haute-Marne (où Cigeo devrait s’implanter aussi). En 2000, on passe d’emblée à 18 M€ par an et par département. Puis 20 M€ en 2006, et 30 M€ depuis 2009 ! Soit 60 M€ par an pour acheter la paix atomique. Sorte de corruption (radio)active complètement assumée!

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Depuis 2006, ce fric est « géré » par un Groupement d’intérêt public (GIP), dont le budget est alimenté par les acteurs de la filière nucléaire. Claude Kaiser : « J’ai cherché d’autres exemples, il n’y en a pas ! C’est la toute première fois dans l’histoire des institutions françaises que de l’argent est distribué massivement aux collectivités, associations, entreprises et particuliers. Et ce avant même que le projet ne soit officiellement décidé. » « Chaque village arbore de magnifiques lampadaires flambant neufs illuminant des trottoirs également neufs », raconte Bastamag. « Des salles des fêtes au design soigné poussent comme des champignons. Réhabiliter une grange ou rénover un chemin privé ? Le GIP est à votre écoute. »

IMG_3747resizLa liste des implantations industrielles ou scientifiques liées au nucléaire est impressionnante : « Areva et EDF ont installé leurs archives, EDF a construit un centre de maintenance pour pièces de centrales, Areva une plate-forme logistique pour ses transports de colis radioactifs, et des formations liées aux métiers du nucléaire se sont développées dans les lycées ou universités du coin. Sans oublier la touche « écolo » : panneaux solaires et champs d’éoliennes à tout-va. »

Le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) – et « aux énergies alternatives » (sic) –  a même installé un fumeux centre de recherche « pilote » pour fabriquer du « biocarburant » (Syndiese pour « diesel de synthèse ») à base de cellulose de bois. Les militants du coin l’ont mauvaise : et si cette usine à gaz était là pour digérer le bois (pardon, la « biomasse ») qui sera rasé suite à la construction des 600 Ha que nécessitera l’implantation de Cigeo? Le combat qui s’engage dans le bois Lejuc, celui qui fut occupé jusqu’au 7 juillet et qui sera l’objet d’une nouvelle tentative de « libération » le week-end prochain, est donc plus que symbolique. L’ANDRA, qui dispose d’un énorme budget communication, a aussi installé une « écothèque » et propose depuis un an, au sein même du labo, une « exposition » baptisée « Découverte en forêt ». Complètement désertée – pour y pénétrer il faut laisser une pièce d’identité, et être accompagné par un gent de sécurité pour passer une barrière cadenassée – elle met en avant le travail de l’Office national des forêts (ONF). « Dans cette « expo », ils recommandent exactement tout le contraire de ce qu’ils ont fait dans le bois Lejuc !« , affirme un militant qui a pu constater les dégâts lors de l’occupation du bois de Mandres : 9 Ha sauvagement défrichés, des chênes centenaires ravagés sans aucun respect des règles d’abattage, en pleine période de nidification des oiseaux, sans que les recommandations de l’ONF n’aient été respectées. « Faites ce que je dis, pas ce que je détruit! »

IMG_3718resizLe mot de la fin d’un agriculteur de la région, Jean-Pierre Simon, preuve que la lutte contre Cigeo n’est pas l’apanage de vulgaires « zadistes » hors-sol qui cherchent un os à ronger pour assouvir leur soif anticapitaliste. C’est son matériel agricole qui a été « saisi » après la contre-attaque des gendarmes qui ont repris le bois Lejuc.

Il parle de « rouleau compresseur » et de « chape de plomb » pour décrire les méthodes de l’Andra. « Il est très difficile de résister à l’annexion des consciences, quel que soit sa taille, son statut, son activité dans le secteur. Sans l’occupation du bois, il était difficile de contester les méthodes utilisées, il faut maintenant les montrer et les combattre avec les moyens juridiques dont on dispose. »

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Plus d’infos sur l’actualité de la lutte sur place : http://vmc.camphttp://burestop.free.frhttps://burezonelibre.noblogs.org

Source: https://reflets.info/dechets-nucleaires-investir-coloniser-enfouir/


Nous vous scrutons, bien que ce ne soit pas vous la cible

Thursday 14 July 2016 at 10:53

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Comment repérer des criminels dans une foule, sans scruter la foule ? Comment connaître les habitudes des terroristes sans connaître celles des non-terroristes ? Comment établir des profils type, sans les comparer à un ensemble ? Comment créer des alarmes comportementales sans connaître les habitudes du plus grand nombre ? Comment fouiller la vie privée d’un seul individu, sans savoir à quoi correspond le quotidien des autres ?

Toutes ces questions n’en représentent qu’une seule. Celle de la fin et des moyens dans la lutte contre le terrorisme, et plus généralement, contre la criminalité. Plus avant encore : quels moyens mettre en place pour empêcher, répondre à toute tentative d’opposition aux institutions et leurs représentants, contre l’ordre établi. Ou de fraude. De dissidence. De contestation ?

Nous parlons bien entendu de la surveillance — par des biais technologiques — cette nouvelle forme de gouvernance politique qui se répand à une vitesse exponentielle, sans garde-fous ni débats de fond. Comprendre ces technologies — et leur utilisation effective ou supposée — est une nécessité citoyenne, puisque sans connaissance il est impossible de contrecarrer un projet, quel qu’il soit.

Cet article est le premier d’un dossier sur « l’algopolitique », ou comment les algorithmes peuvent remplacer les hommes et les femmes politiques quand ceux-ci n’ont plus aucune vocation autre que celle de renforcer et administrer un système politico-économique en grande déliquescence.

Data mining, IOL et croisements de bases de données sont dans un bateau

Et personne ne tombe à l’eau. Car le bateau est très neuf, avec des rambardes en acier trempé. Pour l’instant.

La récente annonce du succès de l’administration française « pour chasser les fraudeurs » aux prestations sociales grâce au « big data » couplé aux algorithmes de data mining (précisons que sans le data mining via des algorithmes, on voit mal comment des êtres humains pourraient croiser des milliards d’informations issues des big data) est une bonne campagne de communication. Imaginez que plus de 200 millions d’euros de prestations indûment versées à ces scélérats de citoyens indélicats ont été ainsi économisés. Le citoyen affalé sur son canapé devant son poste (en attente de la retransmission d’un match de l’Euro 2016 ou de son épisode de téléréalité) applaudit : la technologie se préoccupe d’économiser ses impôts en fouillant dans la vie administrative de tous. Formidable. Quel progrès…

Le croisement d’informations entre la CAF, la CPAM, l’UNEDIC, etc, permet aux robots logiciels de détecter les anomalies et pointer ainsi de leur doigt digital tous ceux qui ont touché de l’argent des caisses de l’État ou des commissions paritaires alors qu’il n’auraient pas dû.

Extrait du document « Lutte contre la fraude bilan 2014 » de la Délégation nationale de lutte contre la fraude :

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Dans le sens inverse, rien n’est fait, bien entendu. On estime pourtant à… plus de 7 milliards d’euros annuel le montant des prestations sociales qu’une partie de la population pourrait toucher… et ne touche pas (lire « La face cachée de la fraude sociale » — le Monde Diplomatique, juillet 2013). Toute cette technologie de fouille des données par des agents informatiques à été mise en place sans aucune concertation, comme si déléguer des tâches administratives [pouvant créer des drames humains] n’avait aucune importance. Remarquons que la majorité des bénéficiaires de prestations sociales (allocations logement, chômage) est de condition modeste. N’oublions pas non plus que la fraude à la sécurité sociale en France représente 4 milliards d’euros, qu’il faut comparer à celle aux impôts qui s’élève à 25 milliards et celle aux prestations (des entreprises)… à 16 milliards d’euros. Mais avec le discours politique sur la fraude des « petits en grand nombre » , des « sociétés de l’innovation numérique » ne s’y sont pas trompées et proposent leurs services :

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La formidable puissance des algorithmes et du machine learning au service de la chasse à la fraude : difficile de ne pas adhérer au concept…

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Et IOL dans tout ça, me direz-vous ? Les interceptions administratives sur Internet ont été mises en place dans le plus grand secret, et personne n’est en [encore] en mesure de dire comment les sondes implantées dans les DSLAM (les équipements auxquelles sont connectées les paires de cuivre des abonnés au téléphone pour accéder à Internet) « travaillent », ni quand, ni à quelle fréquence, à quelles fins, ni même pour quels services de l’État. Mais pour autant, de nombreux indices peuvent permettre de se faire une idée de l’utilisation effective ou future d’IOL…

Scruter la population en préservant l’anonymat : la panacée selon… les politiques

Les élus feignent semblent ne pas comprendre parfaitement les technologies mises en œuvre aux fins de surveillance ou de détection du « crime ». Les concepts d’algorithme, de data mining, de machine/deep learning peuvent par exemple leur paraître tout à fait pertinents et sans conséquences pour les libertés publiques dans le cas de la reconnaissance faciale par caméras, alors qu’ils jurent — dans le même temps — ne pas vouloir « surveiller tout le monde » sur Internet. L’exemple récent du projet de loi de reconnaissance faciale donne une bonne indication de la duplicité compétence toute relative des responsables politiques dans ce domaine. Nos confrères de NextInpact s’en sont fait l’écho :

(…) Une proposition de loi autorisant les forces de l’ordre à recourir à des logiciels capables de reconnaître – en temps réel – le visage de certaines personnes à partir des images retransmises par des caméras de vidéosurveillance (…)

Des bases de données avec des photos de fichés « S » (les individus considérés dangereux pour la sécurité intérieure), des caméras publiques, des algorithmes qui scrutent, scannent les visages dans la foule et tentent de « matcher » ceux qui défilent sous leurs yeux électroniques avec ceux référencés dans les bases de données (vidéo France TV : http://www.francetvinfo.fr/monde/terrorisme-djihadistes/lutte-contre-le-terrorisme-la-reconnaissance-faciale-bientot-utilisee_1407057.html) : voici la proposition des politiques. Bien entendu, toutes les « garanties » sont là pour préserver les libertés publiques, l’anonymat, etc… d’après eux. Mais NextInpact souligne un point incontournable, et central :

(…) Les auteurs de cette proposition de loi ne peuvent toutefois feindre que pour repérer un individu dans un océan de visages, les logiciels de reconnaissance faciale devront nécessairement scruter l’ensemble des personnes entrant dans le champ des caméras(…)

Les sondes IOL et les boîtes noires fonctionnent exactement comme la reconnaissance faciale : elles sont obligées de capturer toute l’information qui passe, pour en faire l’analyse. Et de la même manière que les caméras, ce n’est pas toute la population française qui est scannée, mais toute la population qui passe devant ces caméras. Ou toutes les métadonnées (ou via le DPI, certaines informations contenues dans les paquets IP ?) de la portion de population que les sondes des DSLAM — actives à un moment « T » —décident de capturer.

Gestionnaires politiques assistés par ordinateur

Les gouvernants ont l’intention de faire de la « transition numérique » une opportunité pour améliorer leur contrôle dans la gestion du pays, et des administrés qui le peuplent. La GPAO (gestion politique assistée par ordinateur) se met en place sans se nommer. Ce que de nombreux chercheurs appellent gouvernance algorithmique ou plus simplement : algopolitique. Sans paranoïa aucune, ou comparaison avec des œuvres de fiction dystopiques, il est nécessaire de permettre au plus grand nombre de bien comprendre ce qui est mis en œuvre par les différents gouvernements français, dans le cadre de l’utilisation des technologies issues des big data (ou mégadonnées en bon français) à des fins politiques. Que ces fins soient déclarées uniquement sous des prétextes sécuritaires, anti-terroristes, que les mesures soient « encadrées » ou « sous contrôle » ne change rien à un phénomène qui doit être débattu. Avec l’algopolitique, nous changeons de modèle de société, de mode de gouvernance, et de contrat social. Si aucun représentant du peuple ne vient rapidement soulever cette problématique, il y a fort à parier que ce que nous nommons encore « libertés individuelles » aujourd’hui, n’aura plus rien à voir demain.

[Le prochain article traitera spécifiquement de l’algopolitique et des  technologies, recherches, outil liés à ce « concept » à l’étranger comme en France]

 

Source: https://reflets.info/nous-vous-scrutons-bien-que-ce-ne-soit-pas-vous-la-cible/


Bug Bounty : le Pentagone enfume avec succès la presse

Sunday 26 June 2016 at 14:34

hack_the_pentagon_thumb1Remercions ici Emmanuel Paquette, journaliste à l’Express. Sans sa sagacité, nous aurions raté ce merveilleux article qu’il a retweeté : « Des hackers ont repéré 138 failles dans le système informatique du ministère de la Défense américain« . Cela nous donne l’occasion d’expliquer comment la presse peut se faire enfumer par une entreprise ou une organisation avec un titre vendeur. Quoi ? Le Pentagone, cette forteresse imprenable, ce temple de la sécurité informatique aurait des failles ? Mieux, ce sont des hackers qui les auraient découvertes ? Incroyable ! Ou pas…

Tous les historiens du Net le savent (mais visiblement pas tous les journalistes) le Pentagone, comme la NASA, sont des gruyères depuis… Toujours.

Le programme de bug bounty du Pentagone portait sur des sites Web publics. Un peu plus conscient des restrictions que cela implique que la presse, le ministère de la défense américain précise en fin de communiqué de presse qu’à l’avenir d’autres services seront soumis à la même procédure.

Cent trente-huit bugs, donc… C’est tout ?

Nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, Reflets est assis sur une tonne (ou deux) de documents internes de l’armée américaine concernant ses réseaux informatiques, ses outils lui permettant de communiquer, de mener des guerres. Ce n’est pas juste pour les autres journaux qui travaillent sur ces sujets, mais cela nous donne une vision un peu plus large pour analyser les événements. A titre d’exemple, peu après les premières révélations PRISM, nous avions pris la peine d’alerter nos lecteurs que PRISM était sans doute un petit bout de quelques chose qui s’insérait dans quelque chose de beaucoup plus gros. Cet apparente perspicacité s’explique par notre étude de ces documents depuis des années.

De la même manière, nous pouvons annoncer que de très nombreux bugs seront trouvés lorsque le Pentagone élargira à d’autres services son opération de bug bounty.

Pas simplement parce qu’il serait passé à côté de failles difficilement identifiables.

Mais parce que le Pentagone, comme n’importe quelle organisation ou entreprise est amené à faire des compromis. Un projet, il faut que ça marche. Entre un besoin, un service rendu et la sécurité, il faut toujours faire des compromis :

Dans le cas du Pentagone, comme pour toute autre organisation, ces cas de figure se présentent régulièrement. Éclairons donc la presse sur ce que fait le ministère de la défense américain lorsqu’il demande une autorisation de mise en service d’un projet (oui, il y a quand même une supervision en termes de sécurité).

Le Pentagone passe en revue les problèmes de sécurité. Il les classe (grave, moyennement grave, pas très grave, limite inoffensif, etc.). Et il fait un choix. Tant pire… Let’s roll et on verra bien si le pire se produit ou pas.

Voici donc quelques copies d’écran qui permettront à tous de se faire une idée du volume de bugs que le Pentagone connaît, parfois des failles critiques, mais qu’il accepte pour pouvoir faire marcher ses outils nécessaire à ses guerres.

Commençons par les satellites.

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Des failles ?

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On fait quoi ?

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Passons à un système de dissémination d’information :

CS1

Des failles ?

CS2

C’est grave ?

CS3

CS4

On fait quoi ?

CS5

Enfin, le NIPRNet…

nirp1

Des bugs ?

nirp2

On fait quoi ?

nirp3

Et ça continue comme ça pour chaque outil…

Il y a du boulot pour les bug bounty hunters, mais il faut avouer que le Pentagone le leur facilite un peu… Quant à la presse qui s’émerveille des 108 bugs découverts sur des plateformes Web…

Source: https://reflets.info/bug-bounty-le-pentagone-enfume-avec-succes-la-presse/


IOL : mais à quoi ça pourrait bien servir ?

Sunday 26 June 2016 at 11:55

92598bf66d5c4602900f944ac180a1e1_bc9fe3a176844ad7bd96ffaddef2e978_1_postLe système d’interception des communications Internet (IOL, Interceptions Obligations Légales), mis en place depuis 2009 par le gouvernement français — via, notamment, l’entreprise Qosmos — permet d’écouter les personnes connectées au réseau. Tout le réseau français.

La question de l’ampleur de l’utilisation de ce système est posée, renvoyant dos-à-dos (pour ceux qui daignent s’intéresser à cette révélation) les défenseurs d’une thèse d’une surveillance « systématique », « massive », ou « ciblée ». Comme si le système des sondes IOL n’était qu’une sorte de réseau de caméras de vidéo-surveillance des communications numériques. Pourtant, la loi renseignement, via la mise en place des « boîtes noires » chez les opérateurs Internet démontre que la surveillance pure n’est pas le principal objectif de ces systèmes. Ou plutôt : la détection des criminels par ce type de systèmes requiert la mise en œuvre d’une « politique algorithmique » très vaste, et utilisable pour de nombreuses autres choses.

Sans robots, la surveillance est aveugle

Envisager la surveillance numérique comme un outil intrusif, équivalent à ce que pourrait faire La Poste en ouvrant les courriers pour lire les correspondances des contribuables est un raccourci intellectuel décalé et sans intérêt. Le principe même de connaître le contenu des communications en tant que telles n’est pas pertinent pour un État et son administration. La quantité d’informations inutiles en termes de lutte contre la criminalité, le terrorisme ou tout élément mettant en danger la sécurité de l’État est d’une ampleur si immense, que le tri discriminant à la volée des contenus et menant à des alertes positives relève plus du fantasme que d’autre chose.

La seule manière de repérer, puis écouter ensuite des criminels à l’échelle d’un pays sur les réseaux de communication passe donc par le « profilage algorithmique ». Ce que le gouvernement a annoncé tardivement en 2015, lors du vote de la loi renseignement.

Les « algorismes© » secrets de Bernard Cazeneuve sont des systèmes logiciels de profilage prédictifs : ils sont les agents administratifs numériques d’une forme moderne des fiches de renseignements. Ces fiches n’ont pas besoin d’être individuelles — de par leur fonction de profilage — mais au contraire, elles travaillent par ensembles. Les sondes IOL sont des yeux, des oreilles, les robots que constituent les algorithmes de profilage, sont leur cerveau.

Gouverner, c’est prévoir

L’intérêt d’un système d’écoute des communications au niveau national — implémenté chez les fournisseurs d’accès Internet — se situe dans le cadre de la gouvernance algorithmique prédictive. Le principe de cette nouvelle forme de gouvernance est lié aux nouvelles pratiques du pouvoir, plus soucieux de contrôler l’opinion et sa propre communication… que du bien public. Pour autant, si de tels systèmes peuvent donner l’illusion de resserrer une nasse numérique autour de terroristes ou de criminels afin de connaître par avance leurs intentions, ils nécessitent par essence de connaître les habitudes et les comportements de ceux… qui n’en sont pas. La majorité.

Quelques explications nécessaires à la bonne compréhension du sujet : un système informatique de détection des terroristes sur Internet ne « sait » rien. Si des critères précis sont donnés par avance au système (le fameux algorisme©) ils ne peuvent être fiables — seuls — puisque fabriqués par avance, et ne correspondant pas à la réalité. Les algorithmes prédictifs travaillent par apprentissage, ils se nourrissent donc en permanence de données qu’ils comparent, trient, et au final « analysent » en fonction de plusieurs ensembles remis à jour en permanence. Les algorismes© ont donc besoin de savoir comment se comporte la masse d’Internautes inoffensifs : heures les plus fréquentes de connexion, types de sites visités, fréquence d’échange sur les réseaux sociaux, utilisation de la messagerie, des types de protocoles utilisés, etc., etc.

Un système prédictif de surveillance va donc se créer des échantillons de populations, des ensembles de profils, les « ranger » en fonction de certains critères établis par les comportements divers et variés des utilisateurs. Au fur et à mesure de la « quête » (sans fin) de ces agents statistiques, divers modèles comportementaux vont se générer, « discuter ensemble », se comparer. Ceux qui, en opérant sur Internet, sortent de ces modèles (avec plus ou moins de force) se retrouvent donc discriminés par les algorismes©, c’est-à-dire pointés du doigt par les agents digitaux (© @touitouit) repérés comme des personnes à comportement divergent. C’est là que la traque des méchants peut commencer, ce que l’ on appelle (dans notre jargon © @Rihan_Cypel) « la surveillance ciblée ».

Un pouvoir, ça peut énormément

Si le pouvoir politique français s’est doté — dans un premier temps —d’un système de sondes numériques à base de DPI via, notamment, l’entreprise Qosmos, bien connue pour son commerce d’armes numériques auprès de dictatures pays peu connus pour leur respect des droits de l’homme mais en liens commerciaux avec la France, puis d’une loi idoine pour généraliser la surveillance sans contrôle de l’autorité judiciaire, ce n’est pas pour rien.

Qu’une volonté de traquer le terroriste existe, c’est une évidence, et personne ne peut s’en plaindre, mais dans ce cas là pourquoi ne pas avoir soumis ce système à la sagacité parlementaire, à l’époque ? Parce que cela aurait été trop contesté ? Admettons. Pour autant, croire qu’un théâtre d’opération de surveillance numérique à l’échelle nationale ne puisse servir qu’à seulement traquer des méchants est un peu naïf. Surtout quand celui-ci est mis en œuvre dans le plus grand secret. Ce qui est certain est la chose suivante, dans tous les cas de figure : la surveillance prédictive des boîtes noires est basée sur des systèmes apprenants, sur une modélisation de groupes importants de populations et peut très facilement permettre de connaître autre chose  que les seuls déviants discriminés par les algorismes©. Elles peut en outre finir par créer une somme monumentale de faux-positifs avec les tragiques conséquences que l’on imagine aisément.

Le sociologue Fabien Jobard, qui travaille depuis longtemps sur la problématique des mouvements sociaux, et des politiques de répression policière fait un parallèle dans un article sur Mediapart avec la situation actuelle et les politiques de l’ex Allemagne de l’Est à ce sujet :

« Il y a quelques années, je m’étais intéressé au « maintien de l’ordre » dans les régimes autoritaires, en RDA plus précisément. Ce qui était fascinant dans ce pays, des années 1960 à la fin des années 1980, c’est que la « répression » s’exerçait essentiellement par la prévention ; la prévention des troubles, de la déstabilisation, des menées anti-socialistes ou ennemies. Le vocabulaire ne manquait jamais, mais le quotidien de la surveillance était toujours le même : l’écoute, le fichage, l’assignation à domicile, l’éloignement. Le but était que la voie publique ne laisse jamais paraître la moindre banderole, ne laisse jamais entendre la moindre parole contestataire. »

Le pouvoir socialiste français actuel, assigne à résidence des militants écologistes lors de la Cop21, interdit par avance des manifestants (et les interpelle avant même qu’il ne rentre dans la manifestation du 23 juin), organise à la place des syndicats des « manifestations cloisonnées » et menace en permanence de soumettre les contestataires de sa politique par la force. Ce même pouvoir fait voter la Loi renseignement, parle de « guerre », s’arroge des pouvoirs de surveillance digne des pires Etats policiers sous prétexte de lutter contre le terrorisme, et ne jouerait pas avec les possibilités qu’offre la gouvernance algorithmique prédictive ?

Ce serait vraiment… surprenant.

Pour tout dire, ce n’est pas le massif, le systématique ou la pêche au harpon qui se joue en ce moment. Non. C’est une nouvelle manière de gouverner, prévoir, observer et manipuler les populations. Les faire rentrer dans une nouvelle société. Celle de la peur, de l’omnipotence du pouvoir et de sa capacité à connaître ses opposants les plus vindicatifs. Mais aussi savoir ce que la masse peut accepter ou non, et comment la contraindre. Pas par la force, mais par la manipulation.

Cette question de IOL, des algorismes© prédictifs va donc bien au delà de la vie privée en tant que telle, du secret des correspondances, ou du droit ou non à être observé. Cette question touche à l’essence même de notre système politique et social. A la démocratie, en réalité. Ou ce qu’il en reste.

Source: https://reflets.info/iol-mais-a-quoi-ca-pourrait-bien-servir/


Comment transformer une manif en promenade carcérale

Thursday 23 June 2016 at 19:48

tour-de-manegeComment dire… La manifestation du jeudi 23 juin, d’abord menacée d’interdiction, puis carrément interdite, ensuite finalement « autorisée » mais fermement encadrée dans un parcours circulaire entre Bastille et Bastille, avait des airs de manège de fête foraine, ou même de cage de cochon d’inde avec sa petite roue en plastique.

Les négociations qui se sont déroulées ces derniers jours autour de cette nième mobilisation contre la loi « Travaille! » ont occupé toute l’actualité politique de ces derniers jours. Mais le résultat, que l’on peut sans doute toujours observer à l’heure où nous écrivons ces lignes, est pathétique. Les quelques dizaines de milliers de manifestants qui se sont déplacés avaient l’air bon enfant, mais comment ne pas penser, en admirant ce spectacle, à une promenade de prison où les détenus sont conviés par l’Administration pénitentiaire à se dégourdir les jambes en tournant en rond dans une cour à ciel ouvert, profitant de leur instant de liberté surveillée en pouvant admirer le ciel et les nuages.

Le plus drôle, c’est la manière dont les abribus de la place de la Bastille ont été décorés, jeudi matin. Les panneaux de pub JC Decaux recouverts par deux plaques de contreplaqué achetées la veille chez Casto, scéllées par deux bandes métalliques, le tout protégé par de la mousse expansée… Un bricolage ridicule : cette promenade autour de la Bastille, dont tous les accès avaient été bloqués par des camions blindés et des grilles anti-émeute, avait depuis longtemps été boycotté par les manifestants les plus radicaux !

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Le plus pathétique dans cette histoire est sans doute la réaction victorieuse des principales organisations syndicales, FO et CGT en tête (relayés par le Parti de gauche de Mélenchon). Ces vénérables représentants ont cru bon de souligner, mercredi soir, qu’ils avaient « fait plier le gouvernement » en obtenant cette aumône de manifestation. Le communiqué de la préfecture de police de Paris (PPP), hier matin, qui indiquait clairement que la manif du 23 allait être purement et simplement interdite (à lire ici), n’était-il pas un appât sur lequel se sont jetés avidement les leaders syndicaux?

Fan de politique fiction, nous avons reconstitué des échanges informels qui se sont produits ces derniers jours entre Manuel Valls, son premier flic Bernard Cazeneuve, et les gradés de la PPP.

[Réunion de crise, Hôtel Matignon, lundi 20 juin, 22h43.]

Valls – Bon, ça peut plus durer, les orgas syndicales sont vraiment complètement irresponsables, ils ne pourront jamais se désolidariser des casseurs gauchos, et on a même des preuves — n’est-ce pas Michel? [le préfet de police Michel Cadot] – qu’ils ont participé aux violences et dévastations diverses du 14. Mais faut jouer serré. L’Élysée me fait la guerre, impossible d’interdire la manif, les frondeurs sont prêts à bondir, et ça va foutre la merde avec la primaire…

Cadot – Qu’est que vous proposez? Les forces de l’ordre sont exténuées. Ils en peuvent plus. J’ai le patron d’Alliance sur le dos depuis 3 jours. Bernard [Cazeneuve] est de leur côté… Faut trouver une solution qui respecte le cadre républicain et qui démontre le fermeté de votre gouvernement… S’il ne s’agissait que de moi, ça fait longtemps que tout ce cirque serait fini et que l’arrêté d’interdiction serait signé…

Valls – On va les piéger. On négocie – enfin, on fait gentiment semblant – jusqu’à mardi soir, on les balade, ça on sait faire, et bam! mercredi matin, tu balances un communiqué qui explique en gros que tout a été fait, blablabla, mais que les syndicats sont manipulés sur leur gauche, et qu’on ne peut pas assurer la sécurité des Français, tu rajoutes une couche sur l’Euro de foot, enfin tu vois, tout le tintoin…

Un conseiller du ministère de l’Intérieur – Et après… Je vois pas où cela va nous mener…

Valls – C’est le 2ème étage de la fusée… C’est couru d’avance : Mailly et Martinez vont illico se ruer sur leurs téléphones, et harceler Bernard… Moi, ils ne m’appellent même plus. Ils vont exiger d’être reçus en urgence à Beauvau. Bon, j’appellerai Bernard pour le rassurer, t’inquiètes pas.

[Mardi 21, 11h42, ça sonne sur le smartphone sécurisé de Valls…]

Cazeneuve – Manuel ?… Ça va plus, là, je suis harcelé par les syndicats, des 2 côtés, Alliance et SGP sont fous furieux, ils n’en peuvent plus de ces manifs et des casseurs, et Bailly et Martinez me mettent une pression d’enfer…

Valls – Laisses-les mariner encore un peu. Demain matin, Michel se prononce pour l’interdiction…

– Ah non, on va pas en reparler ! Tu sais ce qu’on risque?! Même Jacquot [Urvoas, garde des Sceaux], qui est de ton côté, ne pourra jamais cautionner ça, et il fait le tour des matinales radio demain matin ! C’est pas tenable !

– Calme toi, calme toi ! Keep cool ! La pref va dire que la manif est interdite, mais que l’arrêté « sera pris en ce sens dès aujourd’hui », au futur… Là, tu entres en scène, ils vont t’appeler, et tu joues au négociateur, tu sais comme au RAID ! Tu connais ! Mais il y aura une seule fenêtre de négo : ils ne veulent pas de parcours statique, et bien ils auront un parcours circulaire, à Bastille, en faisant le tour de l’Arsenal. Il y a 2 km en tout. Y’aura que quelques milliers de pékins, ça suffira bien…

– Bon… C’est toi qui décide. Espérons qu’ils vont pas flairer l’arnaque…

– Prends le pas comme ça, dans cette histoire, c’est toi le gentil flic! Et moi de toutes façons, ils peuvent plus me blairer. Mais tu joues au type qui met son poste en jeu, tu dis que c’est toi qui propose ce compromis. Ils vont plonger. […]

[Mercredi 22, 8h50. JC Mailly appelle un conseiller de Cazeneuve.]

– C’est quoi ce bordel, je sais que la préfecture va diffuser un communiqué qui interdit le cortège! Vous nous prenez pour des débutants? Je viens de parler à Philippe [Martinez], et là-dessus, on est unis comme les 2 doigts de la main: vous avez tout à perdre. Quand je pense que j’ai encore ma carte [celle du PS]. Non mais quel con je fais !
– Euh… Calmez-vous, M. Mailly. C’est Matignon qui a exigé cette position. Mais venez au ministère, le ministre est prêt à trouver un compromis… Mais ne dites rien, il prend tout sur lui! Sinon ça va capoter…

[9h12. SMS d’un conseiller de Beauvau à un de ses collègues de Matignon.]

– C’est bon… Ils ont mordu… On les recoit tt à l’h, passe le mot au grand chef… Slt.
[…]

DSC00533f
Cela n’est pas la première fois, au passage, que les orgas se font berner par la Pref et le gouvernement. C’était le 9 mars, l’un des premières manifs d’une grande série, et le cortège devait partir – séduisant – du siège du Medef, 55 avenue Bosquet dans le 8ème Arrt de Paris, vers le ministère du Travail, au 123 rue de Grenelle, dans le 7ème. Mais ce qui devait arriver arriva, à savoir que l’avenue Bosquet était bloquée dans sa partie sud, la portion qui héberge le siège du patronat (au niveau du métro École militaire), et dans le même élan, la pref avait coupé l’accès à la rue de Grenelle (à deux pas de la rue de Varenne, le « quartier des ministère » et de l’Assemblée nationale) à partir du boulevard des Invalides. On vous passe les détails, mais ce parcours minimaliste de 1,7 km s’est donc réduit à… 600 m. Le long de l’avenue de Tourville, derrière les Invalides. Soit la plus petite manif du monde ! Celle du 23 juin était sans doute la plus ridicule !

Source: https://reflets.info/comment-transformer-une-manif-en-promenade-carcerale/


Do you speak tout est normal ?

Tuesday 14 June 2016 at 23:30

Encore un nouveau trajet. C’est surprenant, je parierai sur un accord avec les casseurs, ils sont en train de cartographier toutes les banques de Paris. Mais un nouveau trajet, ça veut dire du stress, peu de visibilité pour savoir où l’on est, ce qui reste comme trajet.

Le bon point du choix d’un départ Place d’Italie, c’est que l’on est aux portes du quartier sud-est asiatiques, et l’on peut donc troquer l’éternelle merguez pour une brioche à la vapeur. L’ambiance est détendue, le temps favorable. Aucune idée de la direction que doit prendre la manif, mais la place est dense, et le camion de la CGT spectacle fait son show, et ils sont bons, ça change du Zebda en conserve. Le son est puissant, tout vibre aux pulsations des enceintes.

Je suis à la bourre, et plutôt en queue de manif, je remonte pour avoir un peu de visibilité. Il y a beaucoup d’imports de régions, quelque chose comme 600 bus a déversé des hordes de syndicalistes. Il y a même des bigoudènes violettes, avec des bouteilles en plastique peintes. La densité de drapeaux est impressionnante, les gens sont regroupés par entreprise, mais c’est le foutoir, on n’a pas le classique rangement par syndicat. Ce n’est pas plus mal.

Je remonte la manif et tombe sur un carré de casques colorés, en rangs serrés, menés au son du tambour. Ce sont les dockers du Havre. Impressionnant. Ça ressemble au choc d’un lecteur de Alix qui verrait 300 pour la première fois. Autant de testostérone qu’une pub Taureau ailé qui aurait abusé de Red Bull. Et surtout, une fanfare devant, qui donne le ton. Équilibre comme une pizza aux chips, cette fanfare est composée de caisses claires, et d’une grosse caisse. Avec le rythme, et la masse dense, derrière eux, rien ne semble pouvoir les arrêter. Le chef d’orchestre, celui qui a les plus gros biceps tatoués, forme un cercle avec la fanfare, tous regardants vers le centre. Comme la manif est bloquée, ll fait un peu agrandir le cercle, sort un truc de sa poche, un cylindre de 15cm avec un petit pied, qu’il pose par terre, au centre du cercle, en voyant ça, les musiciens agrandissent brusquement le cercle au taquet, certains dans la foule se bouche les oreilles. À Rome, fait comme les Romains, je fais de même. Mais ce quoi ce machin? ah tiens, il y a une mèche, qu’il allume. Le bruit de l’explosion est massif, suivi par un gros nuage blanc. Un chienchien à sa mémère fait une crise de panique dans les bras de sa patronne. Tedieu, ça ne doit pas se trouver en farce et attrape, ce machin!

C’est un peu ballot de mettre la meute de bisons en fin de cortège, peu de chance qu’ils rencontrent des CRS qui cherchent des noises.

Je continue d’avancer pour voir des choses. Tout est normal. La plupart des gens ont des masques à portée de main. Les journalistes ont fait évoluer la mode, elles ont de discrets casques d’équitation.

L’ambiance est détendue, les gens sont là avec leurs copains de boulots, il n’y a pas encore de CRS pour bloquer les rues adjacentes. Il fait beau, les platanes sèment leur pollen dans une ambiance bucolique.

Les CRS que l’on voit sont super en retrait dans les voies perpendiculaires. À un gros croisement, ils sont même en train de replier leur mur de grillage, alors qu’il reste encore de tonnes de manifestants. Devant un escalier descendant vers un parking souterrain, les gens sont goguenards. En jetant un oeil dans le trou, je vois une grosse poignée de CRS déployé au fond du trou, qui ressentent bien le ridicule de leur situation.

Ça avance plutôt bien, les CRS sont plus proches, mais détendus. De grands grillages bloquent les côtés. Ça donne un peu une impression de feria, avec un laché de manifestant qu’il faudrait canaliser.

Une dame traverse la foule en diagonale, pour se diriger vers les grillages. Elle marche comme un zombie, accompagnée par des gens inquiets. Elle est drapée dans une couverture de survie dorée, et porte un gros bandage sur la tête. Les CRS refusent de la laisser passer, avec leur classique « non non non ». Un des flics lâche l’affaire, et l’accompagne lui même jusqu’aux pompiers, dont le camion est en retrait. Clairement, elle était inquiétante. Je ne sais pas ce qu’elle a pris dans la tête, mais clairement, ce n’est pas un truc recommandé par l’OMS.

Je continue d’avancer jusqu’à la barrière de SO, le début officiel de la manif syndicale, au-delà, ce sont les manifestants créatifs, qui n’aiment ni les flics, ni les flics, euh, les SO. Casques, gants renforcés, grosses lunettes, voir masque à gaz, mixte.

Ça commence à bien bloquer. Une vague de huées se déplace dans la foule. C’est un type qui remonte la foule avec sa grande pancarte. Un portrait de Hollande, béat, avec un gros titre : « La honte », écrit bien gros. Le nouveau slogan, cette fois-ci, fait consensus : « Tout le monde déteste le PS ».

Devant, on voit les nuages de gaz, les gros boums sourds. Ce ne sont plus les pétards cette fois-ci. Le vent est fort, les lacrymos ont du mal. Ah tiens, tout devant, une baleine doit passer, on voit l’énorme jet d’eau. Tout est normal.

L’attente est longue. Ah, ça redémarre. Ah tiens, le ciblage des casses de vitrines devient brouillon. Les banques et les panneaux de pubs, c’est un classique, mais le marchand de lunettes ou un croquemort, j’ai un peu plus de mal à voir la portée symbolique. Le sol est jonché de dosettes de sérum physiologique, de sachets de Maalox. Les palets noirs, les bouchons des grenades lacrymaux stagnent dans les caniveaux. Le goudron est grignoté, pour servir de projectile. Le sol est maintenant mouillé, comme à la fin du marché, quand la voirie passe le jet. Le canon à eau n’y est pas allé de main morte, ils ont du vider une piscine pour mouiller une surface pareil. Ah merde, un reste de grenade de désencerclement. Le tube central est déchiqueté, ça a envoyé du shrapnel non biodégradable, en plus des plots en caoutchouc. Une pensée pour le photographe qui a pris ça dans la tête, et pour ceux qui y ont laissé une couille.

Au coin, un des bus des manifestants s’est fait caillasser, ils seront bons pour rentrer à pied ces provinciaux. J’ai du mal à comprendre le pourquoi de ce caillassage.

Les murs sont maintenant recouverts de tags. Certains sont poétiques et calligraphiés. D’autres maladroits et juste laids.

Le mur de SO, devant, est bien flippant. Ils ont bien fait attention de ne pas sortir les manches de pioche, cette fois-ci, mais quand même.

Sud refuse cette approche qu’affecte CGT et FO, leur SO ont de simples casquettes blindées, et ne font pas les gros yeux, eux. Tout est normal.

Un type traverse la foule, il a du sang sur sa chemise froissée, un gros bandage sur la tête, un air halluciné. Un look de prof trop sage qui vient de se prendre un coup de réalité sur le coin de la gueule. Clairement pas un look de black block.

Au fur et à mesure de la progression, on croise des gens « de devant », qui récupèrent sur des bancs. Comme dit Silmarils, « Il y a eu du sport ».

Un photographe, barbe rousse, avec une tête chien mouillé, les lunettes de piscines sur le front est concentré sur son bel appareil. Il a du choper des gros plans bien rapprochés, vu l’humidité de ses fringues. Dans le filet de la poche extérieure de son sac à dos, il y a deux Chuppa Chups. Tout est normal.

On arrive à l’église Saint François Xavier, où il y avait une ambiance exécrable la dernière fois. Cette fois-ci, le trajet est simplifié : plus de boucles absurdes, mais un contournement par la droite.

Il y a une chance d’arriver au bout, sans gazage massif.

La manif se termine au cul des Invalides. Il faut faire tout le tour pour chopper le métro sur l’autre rive. Il y a des bus qui attendent les syndicalistes absolument partout, ça bloque la vue, et ils sont tous bien rangés, en épis. L’ambiance est étonnement tranquille, les CRS semblent globalement blasés. Le contournement est interminable. Arrivé sur l’avant, avec l’esplanade, c’est de nouveau grand n’importe quoi. L’esplanade est énorme, rien à voir avec la place de la Nation, et il y a beaucoup de vents. Les lancées de lacrymo sont peu efficace, les charges à la tonfa paraissent poussives, et il y a le gros camion avec le canon à eau. Ce n’est pas une baleine, mais un diplodocus qui éjacule, c’est obscène et pathétique. Ça semble surtout peu efficace. C’est dommage, ils en ont un deuxième de camion comme ça. Le déploiement de force est massif, ils sont nerveux et fatigués.
Il faut traverser l’armada pour rejoindre le métro. Les contrôles de sac se font à la tête du client. Mais ils sont clairement préoccupés par les affrontements au milieu de l’esplanade, ce qu’il se passe sur les côtés ne les concerne plus.

Des supporters suédois regardent le petit spectacle de la France, le sourire aux lèvres. Les touristes asiatiques sont plus flippés.
Tout est normal, c’est juste une journée de manifestation bien massive pour un projet de loi qui emmerde tout le monde, les CRS les premiers.

Source: https://reflets.info/do-you-speak-tout-est-normal/


IOL : un radeau nommé Confiance

Tuesday 14 June 2016 at 17:01

BloodyQosmos-Évoquer  un programme visiblement secret-défense portant sur des outils de  surveillance du trafic Internet n’est pas chose aisée. Notre premier article était trop technique pour les uns, pas assez détaillé pour les autres, inintéressant pour la majorité de la presse qui a ignoré superbement nos révélations, il nous fallait revenir sur le sujet.

Tout  d’abord les mots. De quel type de surveillance parle-t-on ? Massif, pas massif ? Jean-Marc Manach (1) martèle, comme à chacun de nos articles sur le sujet, qu’en France, on pêche au harpon, pas à la grenade. Discours officiel répété par ailleurs par tous les responsables  des services de renseignement et tous les ministres avant, pendant et  après le débat sur la Loi Renseignement. IOL ne ferait donc pas de massif. Il nous faut définir les termes que nous utilisons.

En France, il  existe deux principaux régimes d’interception. Celui, d’abord, concernant les écoutes réalisées pour la surveillance dite « internationale », notamment par la  DGSE sur les câbles sous-marins qui relient les côtes françaises à d’autres pays, voire à d’autres continents. Les communications par satellite sont en effet extrêmement minoritaires, 99 % des communications transcontinentales voyagent aujourd’hui au milieu des  poissons. Pour ces écoutes de surveillance internationale, c’est quasiment open-bar. D’autres pays ont mis en place ce genre de choses,  par exemple le programme « Upstream Collection » de la NSA américaine,  ou « TEMPORA » du GCHQ britannique. Ce n’est pas de ce type d’interceptions dont nous parlerons ici.

Les interceptions qui visent les citoyens sur le sol français sont en pratique plus encadrées, et de deux types : judiciaires et administratives. Les  premières sont réalisées sous le contrôle d’un juge. Tout est  transparent et se retrouvera dans le dossier d’instruction, consultable  par les parties. Illustration : un certain Paul Bismuth. Les secondes, également appelées « interceptions de sécurité »,  sont bien plus opaques. Elles sont autorisées par le Premier ministre et émanent  généralement d’un service de renseignement. Les demandes sont transmises au GIC, le Groupement Interministériel de Contrôle, qui en assure l’exécution. Il peut exister une interception administrative vous concernant sans que vous ayez le moyen de le savoir. Tout ce qui a trait à cette écoute est classé secret-défense.

Dans les deux cas, sur le papier, les interceptions concernent une personne. Pas une ville ou un quartier.

Dat veniam corvis, vexat censura columbas

Aux États-Unis, les révélations Snowden l’ont montré, la philosophie est différente. La NSA ne jure que par le « collect it all« . On prend tout ce  que l’on peut, avec les limites techniques et de stockage et l’on fait le tri après. En France, ce serait plutôt, on prend tout ce que l’on  peut dans les limites de la Loi. Et ces limites sont nombreuses : la procédure judiciaire et ses restrictions pour protéger les parties d’un délire intrusif, par exemple. Pas de massif donc. En tout cas pas sur le territoire.

Oui,  mais… C’est quoi exactement du massif ? Pour Reflets, on entre dans  du massif lorsque l’on dépasse les limites habituelles. Prenons une interception visant un parrain  de la drogue. Un juge décide d’autoriser un interception concernant un individu. Les interceptions ou l’enquête mettent en lumière des liens étroits avec d’autres dealers de  gros calibre. Imaginons qu’ils fassent également l’objet d’une  interception. In fine, on aboutit, disons, à 20 interceptions ? Au delà, on entre dans du massif. Autre approche, quand on commence à rechercher une information  pouvant incriminer une personne dans une masse de données récoltées au hasard, on entre  dans du massif. Il y a une grosse différence entre suspecter quelqu’un  de contrevenir à la Loi et déclencher une interception et ramasser à  l’aveugle des données pour ensuite rechercher des comportements  contraires à la loi.

Conclusion  ? Si l’on décide d’intercepter, par exemple, tout le trafic Internet  d’un quartier, d’une ville, même de 1000 habitants, d’un immeuble,  c’est du massif. Si l’on cherche à capter tout le trafic concernant un  protocole en particulier pour repérer dans la masse celui qui concerne M. Tartampion, c’est du massif.

Ce  massif, est très différent du systématique à l’américaine. Il est bien  moins volumineux. Mais il est plus volumineux que la pêche au harpon.  C’est de la petite grenade. Du genre qui fait plus de dégâts que le  harpon. Des dégâts à la Démocratie.

Cogito ergo sum

On  entre dans la zone philosophie/psychologie de comptoir. Après les mots, les concepts. Dans quel esprit dérangé naît l’envie de mettre sur écoute  des pans entiers de la population ? On pourrait au surcroît s’interroger sur le principe même de l’interception des communications privées. Dans vie  privée, il y a le mot « privé ». Si la grande majorité de la population  d’un pays respecte le contrat social qui l’unit, il est impossible de  viser une population qui suivrait scrupuleusement toutes les règles qui  lui sont imposées. Une soupape de sécurité est essentielle. Sans quoi, c’est généralement le craquage assuré en fin de course. Doit-on  forcément punir, réprimer tout écart ? Les plus vertueux, sur le papier,  les députés eux-mêmes, les membres du gouvernement ont droit à leur vie  privée, car il est possible, si, si, de trouver chez eux des tendances  sexuelles un peu particulières sur les sites des sex-shops. Ne parlons pas des comptes cachés dans des paradis fiscaux…

Qu’on me donne six lignes écrites de la main du plus honnête homme, j’y trouverai de quoi le faire pendre, disait le Cardinal Richelieu…

Dans  le cas d’interceptions massives, où l’on recherche dans une masse de  données des comportements « déviants », ce n’est pas six lignes dont disposeraient les « autorités », mais des milliards. What could go wrong?

Pour  ce qui est des mots et des concepts, nous pouvons dire que IOL, sur le  papier, peut faire du massif, pas du systématique, mais que la Loi, les  problématiques techniques et les pratiques françaises auraient poussé  les autorités à faire du ciblé. Reste que l’infrastructure installée  permet de faire du massif et que la seule chose qui nous sépare de cet  usage, c’est la volonté politique de ne pas le faire. En outre, l’une  des personnes ayant évoqué avec nous le projet IOL dans le cadre de  notre enquête a été très claire : la collecte massive de métadonnées a été testée. Impossible toutefois d’obtenir des détails sur ce qui a été collecté, pendant combien temps et pour quoi faire.

Tarde venientibus ossa

Maintenant, les aspects techniques. Que trouve-t-on sur un plan technique dans le document de Qosmos qui explicite le projet ?

Chaque  foyer connecté à l’ADSL l’est par le biais d’un modem ADSL connecté à  une ligne téléphonique. Chez les plus grands opérateurs, le modem est généralement intégré dans une « box » qui joue également le rôle de  routeur. À l’autre bout, toutes les lignes de tous les abonnées  atterrissent dans un « noeud de raccordement abonné », ou NRA, qui  contient les DSLAM,  équipement dont le rôle est de donner accès à leurs abonnés aux  réseaux des différents opérateurs, de les connecter à Internet. Les NRA,  au nombre de 17 000 environ, sont répartis sur l’ensemble du territoire  français et contiennent généralement autant de DSLAM que d’opérateurs.  Soit au total, environ 60 000 DSLAM. Dans le cas de la fibre optique, le  principe est assez similaire, mais l’on parle alors de NRO, pour «  noeud de raccordement optique ».

En  France et contrairement à ce qui peut exister dans d’autres pays, le  réseau physique est extrêmement décentralisé. Cela signifie qu’une  partie significative du trafic n’emprunte pas le coeur de réseau des  opérateurs, mais reste en périphérie et circule sur des voies plus «  locales ». Installer des équipements d’interception en coeur de réseau  aurait ainsi été très inefficace pour les grandes oreilles, il leur  fallait au contraire imaginer un système qui leur permette d’écouter le  trafic là où il passe, c’est à dire, dans la mesure du possible, sur  chacun des DSLAM des « noeuds de raccordement abonnés » des grands  opérateurs français.

L’architecture proposée par Qosmos se base ainsi sur l’intégration d’équipements d’analyse de trafic, des sondes DPI,  dans les noeuds de raccordement, à côté de chaque DSLAM. En dehors des  sondes, le système s’appuie sur deux composants principaux : le serveur  de configuration et l’équipement d’intermédiation.

Le serveur de configuration, « convertit les demandes d’interception reçues, en commande de configuration à appliquer sur l’ensemble des sondes  ». Autrement dit, c’est lui qui pilote les sondes, notamment pour la  sélection des cibles. Rien à voir avec la bretelle d’interception  téléphonique de Papy, ici tout est dirigé à distance et les sondes sont  reconfigurées en moins de temps qu’il n’en faut pour le tapoter sur un clavier.

descriptif-schema-capture

Lorsqu’une  sonde détecte du trafic correspondant aux sélecteurs, à la cible, elle  effectue (effectuait ?), à la bourrin, une copie en temps réel de ce  trafic — données de connexion et contenus — et la transfère en temps  réel à l’équipement d’intermédiation. Ce dernier marque, d’un côté, la  fin du réseau de l’opérateur et, de l’autre, le début réseau de  collecte, le réseau du GIC, qui centraliste les interceptions de  sécurité et auquel l’équipement d’intermédiation transmet les flux de données interceptés.

screen-trafic

Les  commandes de contrôle des sondes Qosmos permettent d’intercepter une  adresse IP spécifique, ou l’ensemble d’un sous-réseau, ou encore cibler  un ou plusieurs appareils spécifiques via leur adresses MAC (les sondes sont utilisées à d’autres fins, mais dans le cas précis des DSLAM la sélection par adresse MAC ne sert probablement à rien).  Les capacités de ces sondes et du protocole ixM de Qosmos n’ont cessé de  progresser, d’après la communication de la société, et et les mises à jour ont été récentes, sinon fréquentes. Néanmoins, si les sondes sont  directement exposées au(x) serveur(s) qui les contrôle(nt), ce dernier est lui-même soumis aux instructions de l’équipement d’intermédiation, qui pilote les demandes d’interception, en amont, et est censé vérifier la conformité des données interceptées, en aval.

Ce  dispositif d’intermédiation, l’un des rares éléments placé  véritablement sous le contrôle de l’opérateur, joue un rôle  prépondérant. Au delà de sa fonction de transmission des données, il  s’assure que les données poussées vers le GIC puis aux services  demandeurs correspondent à une demande d’interception légitimement reçue en amont. Figurez-vous que, pour le meilleur et pour le pire, il existe  un standard pour les « interceptions légales ». Si, si. Il porte un  joli acronyme rien qu’à lui, celui de l’ETSI. On y trouve trois types  d’interfaces, numérotées HI1, HI2, et HI3 (Handover interfaces). HI1 normalise les demandes  que reçoit la passerelle d’intermédiation. HI2 et HI3 correspondent, respectivement,  aux flux sortants de « métadonnées » et de contenus. Chez  Qosmos, visiblement, à l’époque, on était plutôt parti directement sur du HI3 (avec du HI2 en remorque).

Et devinez quoi ? Le système proposé par Qosmos est compatible avec le protocole ETSI, bien que les sondes soient initialement beaucoup plus… compétentes.

screen-etsi

60  000 interceptions judiciaires, contre 6 000 interceptions de sécurité.  Bon, l’ordre de grandeur n’est vraiment pas le même, à première vue. Nous voyons bien que les juges, gardiens des libertés, sont  beaucoup plus gourmands que les services et le GIC. Oui. Mais alors il  faut s’intéresser au rapport d’activité 2013-2014 de la Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité, qui nous explique, avec force arguments, qu’elle a accepté de modifier un chouilla les règles de comptage.

En  effet, en judiciaire, chaque ligne interceptée est comptabilisée comme une  interception, à l’unité. Ainsi, si un magistrat accepte que vous soyez  écoutés, il est probable que vous comptiez au minimum pour deux, pour  trois, ou pour quatre, ou plus, selon le nombre de bidules et de machins correspondant à des abonnements à votre nom. Depuis 2008, en ce qui concerne les  interceptions de sécurité, c’est exactement la logique inverse qui  s’applique, dans la mesure où si vous devenez une « cible », vous  compterez pour une unité, quel que soit le nombre d’abonnements (ou de lignes qui seront concernées).

Autrement dit, si vous divisez 60 000 par 3  d’un côté, ou multipliez 6 000 par 3 de l’autre, vous obtenez un compte de cibles beaucoup plus proche, du même ordre de grandeur. Dans un cas, un juge aura autorisé chaque interception individuellement, dans l’autre, les services de renseignement ou de police seront passés au travers du tamis de la CNCIS, devenue CNCTR.

On  pourrait donc mesurer l’étendue du dispositif d’interception à l’aune du nombre de sondes, correspondant au nombre de DSLAM et à la quantité  d’abonnés. Mais on pourrait aussi tenir compte du  nombre d’étages composant notre fusée IOL, des sondes, en passant par la passerelle d’intermédiation, le réseau du GIC, les autorisations des commissions de « contrôle » — CNCIS puis CNCTR, jusqu’aux demandes des services qui, on le rappelle, s’appuient  régulièrement sur de vagues notes blanches pour tenter d’encabaner de vilains anarcho-gauchistes.

Abusus non tollit usum

Pour  ce qui est de la possibilité de faire du « massif » (tel que défini  ci-dessus) avec IOL, il faut se plonger dans le détail des paramétrages possibles d’IOL, selon Qosmos.

Le document explique comment ajouter ou supprimer un couple adresse/masque de sous-réseau (network/netmask).

Cela  veut dire, et les détails sont intéressants, que l’opérateur du système peut ajouter comme cible une adresse unique, ou une plage d’adresses IP. Sachant qu’un réseau local « classique » (de classe C) peut identifier jusqu’à 254 machines, cela peut sembler un petit « massif ».

Pas  de souci, Qosmos précise que l’on peut choisir une plage d’adresses de  type « 182.23.32.0/255.255.0.0 », donc de classe B. Ce qui veut dire, en clair, que cette cible, donnée à titre  d’exemple, désignera 65 534 adresses IP, soit potentiellement 65 534 connexions individuelles. Notez que sur le papier, il s’agirait d’une cible et donc, d’une seule interception…

En jouant avec cette option, on pourrait même entrer le couple 0.0.0.0/0 qui écouterait… Tout Internet.

Bien entendu, rien ne dit que :

  1. l’État ait testé ces options,
  2. que le système (du côté des infrastructures de l’État ou de celles des opérateurs) ait été dimensionné pour recevoir ce volume de trafic, ça doit quand même piquer un peu.

Mais trois éléments (au moins) sont très inquiétants :

  1. la gourmandise démesurée de l’Etat en matière d’interceptions n’est plus à démontrer
  2. le fait d’utiliser ou pas cette option, si elle dépend aussi des moyens alloués et des capacités techniques, découle essentiellement de la volonté politique. Et celle-ci est changeante.
  3. plusieurs ministres (dont Bernard Cazeneuve) et députés ont promis que le DPI était exclu, alors qu’il est pratiqué depuis 2009, à l’échelle du pays entier, pour les interceptions (non judiciaires) du trafic résidentiel.

Prenons un exemple plus explicite de ce qui peut être fait avec cette fonctionnalité proposée par Qosmos dans IOL :

« Les Local_network et global_network sont gérés comme des pool de réseau et non des listes »

L’exemple donné dans la documentation Qosmos porte sur l’AS5089 (Virgin Media) :

li_target tune add local network 82.23.0.0/255.255.254.0

Imaginons maintenant qu’un opérateur  souhaite intercepter ce qui se passe chez Air France qui dispose de son propre AS composé de six /24, des classes C, donc.

Il lui suffit  de quelques commandes :

li_target tune add local network 193.57.218.0/255.255.255.0

li_target tune add local network 193.57.219.0/255.255.255.0

li_target tune add local network 193.57.220.0/255.255.255.0

li_target tune add local network 193.57.244.0/255.255.255.0

li_target tune add local network 193.57.245.0/255.255.255.0

li_target tune add local network 193.57.218.0/255.255.255.0

Parlons maintenant du pourquoi… pourquoi vouloir intercepter tout l’AS d’AirFrance ?

Réponse possible, si la volonté politique de le faire est au rendez-vous :  par exemple pour savoir si un mouvement de grève va être suivi pendant  l’euro de foot… est-ce une bonne raison, est-ce une mauvaise ? Peu importe, c’est techniquement possible… et bien documenté.  Rien de neuf sous le soleil du renseignement. Les politiques ont  toujours adoré que les renseignements généraux prennent le pouls de la  société. Seule différence, on est passé de Marcel qui va boire un coup au Bar des Amis avec un syndicaliste, à une arme d’interception massive pouvant induire des analyses et conclusions complètement fausses.

Reste la question du futur. Vers quoi vont évoluer les systèmes d’interception. Si l’on se réfère à la tendance politique depuis le 11 septembre, à l’évolution des technologies, à la baisse du coût du stockage, on peut raisonnablement anticiper le renforcement des structures existantes, un durcissement de la tendance « collect it all » et une évolution vers du systématique dans tous les pays disposant des capacités. Le vote comme un seul homme (ou presque) par les représentants du peuple députés et sénateurs de la Loi sur le Renseignement militent en ce sens.

En outre, il est légitime de s’interroger sur la politique budgétaire des gouvernements successifs dans ce domaine. Les impôts des citoyens sont ils bien employés lorsqu’ils sont dépensés pour intercepter les communications privées… des mêmes citoyens ?

D’un côté, on a Kairos pour les interceptions internationales. De l’autre la PNIJ pour les interceptions judiciaires domestiques. Maintenant ÌOL pour les interceptions de sécurité nationales.

Existe-t-il une rationalisation des moyens mis en place pour en limiter les coûts ? Les technologies étant proches, il y a sans doutes des voies possibles en ce sens. Ont-elles été explorées ? Quelle serait l’implication d’une perméabilité entre ces systèmes ? Nous n’en saurons à priori rien puisque le gouvernement se refuse à répondre à nos questions.

Surveillance et confiance sont sur un radeau, devinez qui est tombé à l’eau ?…

 


(1) full disclosure : l‘un des auteurs de cet article (Kitetoa) connait Jean-Marc Manach depuis 2001. Jean-Marc Manach était journaliste au service Société de Transfert dont Kitetoa était le responsable.

Source: https://reflets.info/iol-un-radeau-nomme-confiance/