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Le travail : tout un métier…

Monday 13 June 2016 at 15:28

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Le blocage entre le gouvernement et une grande partie de la société au sujet de la réforme du code du travail se situe sur un autre plan que celui — largement traité — d’une volonté des uns d’améliorer la performance des entreprises (tout en offrant de nouveaux outils de dialogue et de protection sociale aux employés) et de l’autre d’un refus de changer quoi que ce soit aux règles qui régissent le travail. En réalité, ce sont deux mondes totalement hermétiques qui ne parlent pas de la même chose. Démonstration.

Le politique ne travaille pas, il gère

Le personnel politique n’a généralement pas de métier. Il ne possède pas un savoir-faire monnayable sur le marché du travail. Le politique est rémunéré pour occuper une fonction, laquelle est totalement détachée de tout corps de métier. Enarque n’est pas un métier. Pas plus que député, ministre ou sénateur.

Gérer, oui, mais gérer quoi au juste ? La société ? Les infrastructures ? Les budgets ? Toutes les actions que les politiques effectuent sont détachées d’une réalité professionnelle connue. Déjeuner pendant trois heures dans un restaurant de luxe est par exemple une activité reconnue comme faisant partie de la « fonction » d’un politique. Tout comme inaugurer des trucs et des bidules. Couper des rubans, serrer des mains. Donner des tapes sur le dos. Féliciter, sanctionner.

Le politique n’est pas un professionnel, tout en bénéficiant de protections, d’avantages, de privilèges que n’importe quel professionnel aimerait avoir, ne serait-ce qu’en une infime fraction.

Étrangement, toutes ces personnes sans métier déclaré, ces non-professionnels — écartés des lieux de production — sont ceux qui veulent réguler, modifier, changer le fonctionnement de ces mêmes lieux. Sans les connaître. Sans être assujétis au droit de ces lieux de production, à leurs contraintes…

Les professionnels et leurs métiers

De l’autre côté du miroir, les administrés sont majoritairement des professionnels, avec un métier. Ils gagnent leur vie non pas en occupant des « fonctions » tout en effectuant des « actions de gestion » plus ou moins floues, mais en exerçant une profession. Ils ont des compétences précises. Qui ont un prix sur le marché du travail. Ils sont assujétis à des règles professionnelles strictes, des horaires, des temps de pause, et peuvent se réunir en corps de métier pour défendre leur profession. [Remarquons que les politiques n’ont pas de syndicat, ni de corporation-métier déclarée : serait-ce parce que celles-ci existent, mais de façon officieuse ?]

« Le professionnel est quelqu’un qui a acquis à la fois un savoir-faire et un savoir-être lui permettant d’occuper un poste précis dans une activité précise, et qui offre une qualité de résultats — dans son activité, grâce à ses compétences — suffisante au regard des standards ayant cours dans la profession qu’il exerce. »

Cette petite définition de ce qu’est un professionnel permet d’envisager autrement le problème actuel sur la loi El Khormi. Les professionnels qui refusent de voir cette réforme se mettre en place, parlent de métiers exercés, de conditions de travail dans l’exercice de professions réglementées et cadrées par le droit du travail. En face, on ne parle pas du tout de la même chose.

Quand deux informaticiens se rencontrent qu’est-ce qu’ils se racontent ?

Myriam El Khomri, qui ce matin expliquait qu’elle « avait travaillé dans le magasin de son père de 16 à 18 ans, puis jusqu’à 23 ans (dans quoi, où, quel métier ?) », à la suite d’une question d’un auditeur — ne parle pas du « travail ». Cette ministre sans travail établi et sans profession (il est indiqué « juriste » dans sa déclaration, bien que n’ayant jamais exercé de métier réglementé reconnu), mais dotée d’une fonction, parle, elle, d’emploi. Elle parle de statistiques de l’emploi plus exactement. Des « salariés » et des « employeurs ». Les professionnels ne l’intéressent pas. Elle ne les connaît pas, et n’a jamais partagé leurs préoccupations. Toute la clique gouvernementale, les parlementaires dans leur quasi totalité sont dans le même état : il ne sont professionnels de rien. Ils n’ont jamais exercé de métier. Comment donc parvenir à échanger dans ces conditions ?

Ubu roi : et en plus ils voudraient qu’on les écoute ?

Le président Hollande est un personnage amusant qui, comme Chirac ou Sarkozy, mange sur la bête depuis plus de 30 ans. Sans profession reconnue. Juste animateur de parti politique (ce qui n’est pas un métier, sinon, ça se saurait), député par ci ou par là. Énarque. Sarkozy revendique être « avocat d’affaires », mais il n’a [pratiquement] jamais exercé en tant que tel.

C’est donc une situation parfaitement ubuesque que nous sommes en train de vivre : des assistés de la République, sans compétence professionnelle ni métier qui veulent imposer de nouvelles règles aux… professionnels et aux détenteurs de métiers.

Tout ça en refusant le débat parlementaire, et en menaçant sans cesse tous ceux qui oseraient contester « leurs » décisions — dans la rue ou au sein des entreprises.

Ubu roi.

Vraiment.

 

 

Source: https://reflets.info/le-travail-tout-un-metier/


Sauver la foire du foot et éteindre la révolte? Traitons les manifestants comme des hooligans!

Saturday 11 June 2016 at 19:56

Voilà une idée qu’elle est bonne ! Délaissée sur sa (vrai) gauche, l’équipe de choc de Manuel Valls trouve heureusement des adversaires droitistes forts compréhensifs pour faire la synthèse entre l’Euro 2016 et la chienlit qui paralyse la France.

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Une très audacieuse proposition de loi, déposée le 24 mai par une centaine de sénateurs de droite emmenés par Bruno Rétailleau (au passage : le plus farouche partisan de ce foutu aéroport de NDDL), envisage ni plus ni moins de traiter tout manifestant trop excité comme de vulgaires hooligans de foot. Ça c’est de la synthèse! La lecture de l' »exposé des motifs » ne laisse planer aucun doute sur le but du jeu: légaliser l’interdiction de manifester comme l’interdiction de stade, avec pointage obligatoire au comico les jours de mobilisation. Verbatim gluant :

Ces derniers jours, un certain nombre d’individus ont été empêchés de participer aux manifestations grâce à l’état d’urgence. Il faut graver dans le marbre de la loi ordinaire cette possibilité donnée aux préfets de mettre hors d’état de nuire les casseurs et les agresseurs des forces de l’ordre. La présente proposition de loi a donc pour objet de transposer aux « casseurs » le dispositif préventif existant à l’égard des « hooligans » et d’introduire un dispositif de peines de sûreté renforcé pour les auteurs de violences contre les personnes dépositaires de l’autorité publique.

Pour parfaire leur idée géniale, Mmes et MM. les sénateurs osent même présenter ce texte – pourquoi se gêner – comme un moyen de garantir à tous le droit de manifester ! Ils brandissent « l’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen [qui] consacre “le droit de s’assembler paisiblement”. » Paisiblement, voilà le mot qui tâche. Histoire de faire le distinguo entre ce que certains médias et la classe politique appellent les « casseurs ». Oubliant que quiconque est aujourd’hui chopé en tête de cortège avec des lunettes de piscines, une écharpe ou une capuche sur la tête sera interpellé et envoyé en comparution immédiate pour « violence envers agent de la force publique », ou d’autres chefs d’accusation du même tonneau. La dissociation classique entre militants radicaux et spectateurs passifs – et non pacifistes ou pacifiques, nuance – est au cœur de la stratégie policière qui justifie ensuite l’usage d’armes de guerre contre des populations civiles.

Il s’agit donc, argumentent les « représentants du peuple » (brrr), de « conférer au préfet la faculté d’interdire la participation à des manifestations sur la voie publique, laquelle se veut tout à la fois plus pertinente et moins attentatoire aux libertés individuelles [sic!] que l’interdiction de séjour issue de la loi sur l’état d’urgence ».

Ensuite, les articles de cette PL déroulent tout l’arsenal classique de la surveillance policière moderne : fichiers des manifestants, vidéosurveillance mobile sur tous les parcours de manifs, interdictions de porter tous « objets susceptibles de constituer une arme » – c’est déjà le cas messieurs-dames, un simple bout de bois chopé dans un sac pouvant être taxé « d’arme par destination »

L’article 5 organiserait la ségrégation sociale des réputés casseurs en élargissant « la faculté de prononcer une interdiction judiciaire de participer à des manifestations sur la voie publique », accompagné d’une « obligation de pointage dans le temps de la manifestation »; quant à l’article 6, le pompon, il créerait un nouveau délit tout nouveau tout moche, à savoir celui de « provocation à la discrimination, à la haine et à la violence en raison de l’appartenance à une profession »; comprendre : tout slogan « anti-flics » serait réprimé comme on crie « à bas les Juifs et les arabes ». Mmmm, la bande à Marine doit avoir les boules de ne pas avoir eu l’idée en premier !

Enfin, dernière joyeuseté, une « période de sureté » pour les mêmes présumés casseurs : prison obligatoire pour les « auteurs de violence contre les forces de l’ordre » et donc aucun « aménagement de peine (suspension ou fractionnement de la peine, placement à l’extérieur, permissions de sortir, bracelet électronique, semi-liberté, libération conditionnelle) ».

Alors oui, certains diront que c’est tout de même pas « très démocratique » de casser des abribus, de balancer des pierres sur des policiers ou de les insulter (ce sont même déjà des délits). Mais souvenez-vous que depuis le début du conflit social au moins de mars, les arrestations sont organisées de manière aléatoire, les interdictions de manifs sur la base de « notes blanches » de la sûreté territoriale (les RG nouvelle vague), et que la moindre résistance à une arrestation ou lorsque l’on est littéralement agressé par la police est aussitôt accompagné d’une plainte pour « outrage, rébellion, violence sur agent ». Ce qui sous-entend que les « casseurs », ou plutpot « manifestants non paisibles », peuvent concerner n’importe qui, et que dans un État de droit – non, j’ai pas dit « de droite » –, cela s’appelle du totalitarisme.

Rares sont les personnes qui osent aujourd’hui riposter en justice contre l’ordre qui leur a été donné de ne pas sortir de chez eux, assignés à résidence (cela a commencé, souvenez-vous, pendant la COP21 après le 13 novembre à l’encontre de militants politiques, pas djiadistes), ou interdits de séjour dans une commune aussi grande que Paris – c’est le cas dans les principales villes de France –, et cela le temps de toute l’instruction les concernant (c’est à dire au moins un an ou plus ! ). Un beau jour, il faudra les décorer – mais pas de la rosette ni de l’ordre national du mérite.

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Et les députés, entend-t-on déjà ? Que proposent-ils pour que la France s’apaise et que les supporteurs « paisibles » puissent assister à cette grande fête fraternelle qu’est l’Euro de foot? Le 8 juin, deux jours avant le premier match de la compétition, une autre proposition de loi déposée par une quarantaine de députés – emmenés par… Eric Woerth, un fan de courses hippiques – a trouvé une autre idée géniale. Il s’agit tout simplement de réprimer encore plus fort la « dissimulation volontaire du visage dans les manifestations publiques (…) afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public »… Aujourd’hui, on encourt une simple contravention, et avec ce texte cela deviendrait un délit puni d’«un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende». Ceci allant grandement faciliter l’interpellation aveugle de personnes qui, plus tard, se retrouveront sur le « fichier du manifestant » proposé par leurs collègues sénateurs. CQFD : ça c’est du travail d’équipe dans la merveilleuse famille du sport politique.

Surtout que les députés de la Woerth-team ont encore des flèches à leur arc de compétition. Toute personne embastillée pour ce fait se verrait donc frappée, primo, « d’interdiction des droits civiques, civils et de famille », secundo d’interdiction « d’exercer une fonction publique ou (…)  professionnelle ou sociale (…) », et enfin se verrait interdire « de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation ».

Petit rappel historique : c’est le gouvernement de Berlusconi, fin 2010, qui envisageait de créer une « carte du manifestant » calqué sur la carte du tifosi, avec fichier tentaculaire, interdiction de manifs et assignation à résidence ou pointage au commissariat le jour d’une manifestation.

Nous ne sommes pas dans les petits papiers du Parlement, difficile de savoir si ces deux textes auront l’occasion d’être examinés, ni quand. Mais le gouvernement a encore le pouvoir de les mettre à l’ordre du jour à peu près quand bon lui semble. Avant la fin de l’Euro, on peut en douter, mais après tout « Ensemble, tout devient possible », non?

P.S.– En attendant, la loi sur l’état d’urgence permet toujours d’assurer l’essentiel : des interdictions de manifs (pardon, « de paraître » dans tel ou tel périmètre), viennent d’être à nouveau notifiées avant la prochaine grande journée de mobilisation nationale de mardi prochain à Paris (cf le dernier communiqué du groupe Defcol). Dernière trouvaille scélérate des gradés de la Pref : refuser de remettre à l’intéressé.e la moindre copie de l’arrêté d’interdiction, pour empêcher tout recours devant la justice administrative. Jusqu’où iront-ils ? Et pourquoi pas réquisitionner des gymnases, ou des vélodromes, pour en faire des camps de rétention administrative ?

Photos : Appel à perturber l’Euro 2016 + opération « Joue-la comme Pogba »

Source: https://reflets.info/sauver-la-foire-du-foot-et-eteindre-la-revolte-traitons-les-manifestants-comme-des-hooligans/


Désencercler, tout un métier

Friday 10 June 2016 at 14:18

grenadezoom Les armes de la police anti-émeutes utilisées pour réprimer le mouvement social s’offrent une notoriété inattendue. Cela fait maintenant près de trois mois que les manifestations et les blocages en riposte à la funeste « loi Travaille ! » se succèdent, malgré les espoirs d’un gouvernement aux abois qui n’attend que le début de l’Euro de foot pour espérer voir la contestation baisser d’intensité.

La question des violences et des brutalités policières ne se traite désormais plus seulement dans les colonnes des médias dits « militants ». Même si le rapport de force, en matière de couverture des manifestations, reste fortement déséquilibré au profit des défenseurs de d’ordre (social) établi. Cette photo de l’AFP, reproduite le 4 juin sur le site du Parisien, a sans doute échappé aux rédacs chefs dont la ligne est tenue, faut-il le rappeler, par le patron du luxe Bernard Arnault (celui-là même vilipendé dans le fameux film « Merci patron! », qui a été à l’origine, en mars dernier, des premiers soubresauts populaires contre la loi Valls-El Khomri).

Cette photo est en effet censée illustrer la stratégie des fameux « casseurs », prise lors d’un cortège organisé en mémoire du militant antifa Clément Méric, assassiné par un commando de fachos identitaires il y a 3 ans. Le détail qui tue, c’est bien ce projectile qui semble planer dans l’air comme une plume au vent. Ce n’est pas une pierre ou un bout de pavé lancé par les méchants casseurs cagoulés, mais bien une grenade offensive employée en masse lors de chaque manif depuis des années. Pas n’importe quelle grenade. On les appelle des engins explosifs de « désencerclement ».

Ce terme typique de la novlangue policière – absent des dictionnaires, mais que fait Larousse ? – détourne son usage premier pour en faire un simple objet de défense. Il est assez facile de zoomer sur l’image pour déceler sa carcasse dentelée, puisque cette arme blindée de TNT propulse 18 plots en caoutchouc au hasard et entraîne ensuite immanquablement des blessures graves ou mutilantes, comme lors du fameux cas de ce vidéaste de 28 ans, Romain D., le 26 mai dernier, atteint à la tête et encore hospitalisé après avoir été placé en coma artificiel. A la guerre civile comme à la guerre tout court, faire des blessés procure à l’assaillant des avantages stratégiques qui sont calculés dans les centres de formation répressives. C’est connu comme les haiku du vénérable Sun Sen : un blessé dans les rangs adverses comporte une dimension psychologique indéniable, qui irradie les proches de la personne touchée – tout en évitant les effets indésirables d’une mort qu’il sera alors bien difficile de justifier en « régime démocratique ».

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Pas la peine ici de rappeler les conditions réglementaires du lancer d’une telle arme. Les grands médias ne peuvent plus se taire tant ces conditions ne sont jamais respectées. Dans l’affaire de Romain, si le Robocop l’a lancé à terre, comme c’est prescrit par les guides policiers, celle qui vole dans la photo ci-dessus s’apprête bien à exploser en pleine gueule des manifestants présents. Après, on va encore s’étonner que les têtes de cortèges se protègent avec casques (parfois bricolé de manière rudimentaire), boucliers et masques à gaz, mais là le doute n’est plus permis.

Cette grenade de désencerclement, nous l’appellerons « offensive », pour rappeler celle qui a tué Rémi Fraisse en 2014, la grenade OF-F1 (en dotation uniquement chez les gendarmes). Le verbiage policier appelait donc l’OF une « grenade offensive », pour mieux justifier sa « suspension » tout en laissant les autres en circulation. La règle voudrait que l’on en use si et seulement si les flics sont réellement « encerclés », c’est à dire menacés directement par un attroupement armé ou menaçant. Pas la peine là aussi de rappeler que ces conditions ne sont jamais toutes remplies lorsque qu’un flic décide de la lancer. Dans l’affaire de Romain comme dans tant d’autres. Après tout, ceux qui croient encore que le « maintien de l’ordre » s’exerce dans un contexte légal et réglementaire se mette le doigt dans l’œil. Non, ces engins de mort appelées « armes à létalité réduite » sont surtout à « légalité réduite », sans effet de style.

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Comme l’autopsie avec minutie cet article de Paris Luttes, ces grenades portent des termes aussi tordus que leurs détenteurs : DMP, « Dispositif Manuel de Protection » (fabriqués par SAPL), DBD, « Dispositifs Balistiques de Dispersion » (fabriqués par Alsetex-Lacroix et Verney-Carron), ou les mêmes avec, en prime, une dose de gaz lacrymogène CS concentrée à 20% (DMPL, fabriqués SAPL et Verney-Carron).

Elles sont donc à « effet de souffle » (explosive), « assourdissantes » et à fort effet psychologique puisque la détonation dépasse les 160 décibels. Les anglo-saxons l’ont rangé dans la catégorie « flashbang », ou « stun grenade », les plots en latex ou la dose de lacrymo ajoutant à cet arsenal un effet mutilant ou irritant. Inutile de dire que les tympans et les parties du corps touchées par les plots ne sont pas les seuls à en subir les dégâts : ces engins explosent en disséminant des parcelles de métal ou de plastique qui peuvent infiltrer les tissus humains et y rester indéfiniment ! Non, rien à voir avec des moyens de dispersion et de « désencerclement ».

Elles peuvent être autant mortelles que la funeste OF-F1. La GLI-F4 (grenade lacrymogène instantanée), produit phare du fabricant Alsetex – filiale du groupe Lacroix, qui égaie les fêtes de villages et les cérémonies pompeuses avec ses feux d’artifices… – a pris de relais du modèle interdit par Cazeneuve après la mort de Rémi Fraisse. Mieux, dans le rapport des inspections générales de la flicaille paru juste après les événements du barrage de Sivens, les gradés avouaient ne pas pouvoir faire la différence entre les deux engins. Au chapitre « Les dommages et blessures chez les manifestants », une manif de 2013 motive ce commentaire :

« Pour les grenades à effet de souffle, un cas de blessure grave a été recensé :  le 26 octobre 2013, un jeune homme a eu la main arrachée en ramassant et en voulant relancer une grenade ( OF F1 ou GLI-F4 ?) lors de la manifestation contre les portiques éco-taxes à Pont de Buis (29). »

Pas la peine d’appeler le SAMU pour savoir qu’un engin capable d’arracher une main qui explose à hauteur du visage peut causer des blessures mortelles !

Les baballes de la terreur

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Pierre Douillard-Lefevre, un doctorant en sociologie de Nantes, a une dent, et bien plus, contre l’État répressif qui use de ces armes dites « non létales » (ou « à létalité réduite », défense de rire). En 2007, alors qu’il était lycéen, il reçoit dans son visage une balle en latex lancée par un gendarme mobile, lors d’une manif devant le rectoral de Nantes. Il perdra l’usage d’un œil. Éborgné par l’arme vedette de la flicaille, le flashball ou « lanceur de balle de défense », il sait mieux que quiconque qu’il ne s’agit pas de se défendre, ni de « disperser » comme les grenades, mais bien d’attaquer et de blesser. Testé dès 2007, et déployé depuis 2009 à grande échelle en France, le LBD — le « GL-06″ selon le catalogue de l’armurier suisse Brügger & Thomet – a remplacé le non-moins fameux flashball (invention de Verney-Caron), qui était devenu un peu trop controversé. (Nous avions déjà remarqué à Milipol que Verney tentait de redorer son image en changeant la couleur de son projectile, qui ressemble désormais à une petite balle de tennis verte – cf photo ci-dessus).

484.ac6a6d50Pierre Douillard-Lefevre vient de sortir un petit ouvrage fort utile pour mieux comprendre la stratégie policière en la matière, intitulé fort joliment L’arme à l’œil – Violences d’État et militarisation de la police (édition Le Bord de l’eau, avril 2016).

« Aujourd’hui l’utilisation décomplexée de grenades et de LBD marque un changement de doctrine. Un tir de balle en caoutchouc ne touche qu’une personne. Il ne repousse pas, il frappe. Il concentre sa violence sur une individualité. Le policier qui presse la détente exerce une vengeance extra-judiciaire, immédiate et irrémédiable contre une personne : il est à la fois juge et bourreau. Alors que tout le monde peut voir un nuage lacrymogène se répandre dans l’air, bien peu – en dehors de la personne touchée et de celles qui l’entourent – s’aperçoivent au cœur d’une manifestation qu’une personne vient d’être fauchée par un tir. (…) C’est la devise du Flashball : en blesser un pour en terroriser des milliers. »

Il décrit alors l’escroquerie intellectuelle qui sous-tend le déploiement de ces arsenaux. En 1995, le Flashball Super Pro était en effet présenté par la bande à Pasqua comme « l’arme anti-bavure ». L’idée à faire passer est que la balle en latex allait se substituer aux balles réelles. Mais « une chose est certaine », poursuit l’auteur de L’arme à l’œil, « l’arrivée du flash-ball n’a pas rendu la gâchette des policiers moins facile, et les gardiens de la paix continuent, autant qu’avant, à tirer à balles réelles, y compris dans des situations de “violences urbaines”« . « En réalité, les LBD ne se sont pas substitués aux armes de service, mais plutôt à la matraque. En 2012, les policiers ont tiré 2573 projectiles de MBD 40 et 44 mm : soit environ sept tirs par jour. »

Voilà l’entourloupe : on présente ces armes comme des moyens de riposte moins mortifères, alors que cela a au contraire considérablement augmenté l’incitation du flic a faire usage de son arme, justement parce qu’elle serait « non létale ». Le corps-à-corps entre flics et manifestants étant une doctrine du passé, ces « armes intermédiaires » (terme repris par le Défenseur des droits, ex-CNDS) sont autant de manœuvres destinées à habituer la masse à se faire viser dans la tête par les nervis du maintien de d’ordre. « Les policiers prennent [ainsi] l’habitude et le goût de tirer sur les foules, de presser sur la détente de façon décomplexée, ce qui était formellement proscrit jusqu’alors, poursuit Pierre Douillard-Lefevre. L’argument selon lequel le flashball serait un progrès est au mieux une escroquerie largement démentie depuis des années, au pire un chantage subtil qui prépare au pire ».

Le journal Le Monde s’étonne que les dernières stats de la police ne fassent état que de « seulement » « 48 enquêtes judiciaires ouvertes, principalement à Paris et Rennes, concernant exclusivement des violences » commises par les policiers. Des plaintes instruites, alors que des centaines de témoignages de blessures plus ou moins graves ont été récoltées par des avocats et des collectifs de manifestants *. 48 plaintes contre la violence policière, alors que la même source évalue à 1500 le nombre de manifestations qui se sont déroulées dans toute la France depuis le début de la contestation contre la loi travail. Défense de rire (bis).

Mise à jour : Les flics français semblent d’être équipé en loucedé d’un « riot gun » déjà utilisé à grande échelle pendant les manifs étudiantes au Québec, le fameux ARWEN (Anti Riot Weapon ENfield 37), un fusil multicoups qui peut balancer à la fois des grenades de gaz lacrymo mais également des balles en plastique, des « bâtons cinétiques ». On vous le répète : sortez couverts !

NB: Nous avons omis de préciser que Pierre DL, l’auteur du bouquin cité dans ce billet, fait partie des personnes interdites de séjour dans la ville de Nantes pendant une période indéterminée, accusé par la justice d’être un dangereux provocateur…


Photo de une : Domnique FAGET (AFP).
Photos des armes : article de Paris Luttes déjà cité.
Plus d’infos sur les armements du maintien de l’ordre sur : http://desarmons.net/ (d’où est tiré l’affiche sur le flashball).
* A Paris, le collectif Stop violences policières, animé par le groupe de défense collective Defcol (actif depuis le début du conflit social en mars), vient de publier un nouvel appel à témoins, voir ici, . Mail : violencespolicieres(at)riseup.net. Sur Twitter #violencespolicieres. FB: https://www.facebook.com/Collectif-Stop-aux-violences-polici%C3%A8res-229796540720118/. A Lyon, allez voir par là pour témoigner.

Source: https://reflets.info/desencercler-tout-un-metier/


Crise sociale : et si on parlait de projets ?

Wednesday 8 June 2016 at 19:21

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La crise sociale déclarée dans laquelle est plongée la France peut être résumée en quelques points. Le pouvoir politique en place à décidé de modifier profondément le rapport de force dans le monde du travail, entre employeurs et employés, par le biais d’une loi. Cette loi, passée en force, sans discussion démocratique, brise des acquis issus des luttes sociales du Front populaire, des propositions du Conseil national de la résistance et de nombreuses autres avancées gagnées de haute lutte par les mouvements ouvriers.

Les syndicats, dans leur grande majorité sont logiquement vent debout contre cette réforme anti-sociale et demandent son retrait. Dans le même temps, un mouvement — plus ou moins spontané — s’est formé avec comme objectif la dénonciation des politiques menées et une volonté de proposer « autre chose » : Nuit debout. Les médias, dans leur ensemble jouent leur jeu habituel, basé sur le « comptage de points » et la stigmatisation des mouvements de grève, comme des débordements violents au sein des manifestations, etc. Rien de neuf sous le soleil. Tous ces éléments sont parfaitement connus, ont déjà existé, Nuit debout inclus, puisqu’au final, le rassemblement en question est parfaitement parallèle à ceux qu’effectuaient les manifestants de mai 68. En nettement plus sage, pour Nuit debout, et avec des idées nettement plus « bourgeoises » qu’en 68.

Un constat ressort, déjà vieux de quelques années, et qui pourtant ne fait toujours pas véritablement débat : le système politique est à bout de souffle, tout comme les institutions, et cette situation ne peut pas durer. Ce sont des analystes politiques, économistes, sociologues, philosophe etc, et même une partie du personnel politique qui effectuent ce constat. Tout comme les membres de Nuit debout. Pourtant, rien, dans les médias, n’est retiré de ce même constat.

Aucun projet autre n’est débattu de façon visible, rien dans les organes parlementaires non plus. Comme si proposer de véritables changements n’était pas nécessaire, et qu’il fallait se contenter de constater l’étendue des dégâts. Pourtant, des projets existent, avec leurs penseurs, leurs acteurs.

Un constat mérite-t-il une contre-proposition ?

Le modèle de traitement de l’information sociale et politique est resté figé : d’un côté des politiques qui veulent réformer envers et contre-tout, de l’autre des syndicalistes qui refusent la réforme. Ce modèle incite chaque citoyen à prendre parti de façon binaire : d’un côté la dénonciation de la « prise en otage » de la population par une minorité syndicale (appuyée par des reportages, des radio-trottoirs, etc), de l’autre le soutien à la lutte « contre » le pouvoir réformiste anti-social. Dans cette arène simpliste, du pouce levé ou abaissé, l’intelligence n’a pas besoin de régner. Les jeux du cirque social et politique encore en cours en 2016 ont ça de formidable : ils permettent à la population de se sentir impliquée tout en économisant sa capacité à réfléchir et à aller plus loin.

Pour autant, faire des constats ne suffit pas. La nécessité d’offrir des espaces de discussions et de contre-proposition est réelle, et devrait se mettre en place. Toute la difficulté de la proposition, en France, réside dans l’assimilation et l’étiquetage idéologique. Parler des problématiques de verticalité et de hiérarchisation dans le monde du travail puis mettre en avant des procédés coopératifs mène immanquablement à des attaques visant à caricaturer les propositions sous le terme de « communisme ». Constater les effets dramatiques du néolibéralisme, parfaitement défini par les spécialistes dès systèmes politiques et économiques, amène le plus souvent des défenseurs du « vrai libéralisme » à contester l’état du système en place qui ne serait pas — selon eux — un système libéral, mais au contraire hyper étatique. La financiarisation de l’économie qui a mené à la dictature des marchés, semble elle, plus évidente. Parler de l’ornière politique dans laquelle nous sommes plongés mérite donc, une fois certains constats collectivement faits, des contre-propositions. Réalistes. Applicables. Pouvant être acceptées par une « majorité ».

Faux constats et solutions mensongères

Le prisme récurent des analystes de la crise en cours est toujours le même, et il a pour but de ne surtout pas parler du fond, afin d’offrir un confort total à ceux qui l’emploient. Ce prisme est celui de l’économie comme unique pilier fondateur de la société, de son équilibre et de sa bonne ou mauvaise santé. Parler d’autre chose que de l’économie (et de ses avatars que sont le chômage, l’emploi, la compétitivité, les aides sociales, l’entreprise, etc) pour décrire les problèmes et chercher des solutions n’a plus aucun poids aujourd’hui. Étonnamment, de nombreux problèmes (et leurs solutions) ne sont pas reliés directement à l’économie du pays. Et surtout : les constats et les solutions pour améliorer cette fameuse économie sont parfaitement biaisés et mensongers de la part des éditocrates et du personnel politique.

Le constat principal serait que nous vivons une crise, puisque la croissance du PIB ne serait pas suffisante pour créer plus de richesses, donc donner du travail aux 5 ou 6 millions de personnes qui en sont écartés. Ce manque de croissance serait dû à un manque de compétitivité des entreprises françaises, écroulées sous le poids des « charges » — qui soit dit en passant sont avant tout des cotisations offrant de la protection sociale — et écrasées par la concurrence étrangère, en premier lieu. Il est donc nécessaire de toujours abaisser les charges (donc abaisser les cotisations et les rentrées financières des caisses de protection sociale), empêcher que le salarié ne soit un frein au développement de l’entreprise, en pouvant s’en débarrasser plus facilement en cas de ralentissement économique de cette dernière, estimant que si les gens sont plus faciles à virer, on les embauche plus facilement. Ces analyses ont débouché dans plusieurs pays sur des réformes, équivalentes à celle imposée par la ministre Myriam El Khomri.

L’Espagne, en 2012, par l’action de son premier ministre de droite, Mariano Rajoy, a donc réformé dans ce sens, avec comme objectif déclaré d’augmenter la performance des entreprises à l’export, donc booster leur compétitivité. 4 ans plus tard, le chômage est toujours à 21%, les emplois créés en 2015 sont massivement temporaires et précaires (comme ceux du premier trimestre 2016), et la fameuse reprise tant vantée par les spécialistes n’est en réalité due qu’à un phénomène de consommation intérieure causé par la baisse du baril de pétrole et du prix de l’essence à la pompe accompagné de crédits pour renouveler l’appareil productif très vieillot des entreprises espagnoles. Des crédits alimentés par la « planche à billets » du quantitative easing de la BCE avec ses taux d’intérêts proches de zéro, voire négatifs dans certains cas. Les banques ne savent plus quoi faire de leur argent, il faut bien prêter. Le commerce extérieur de l’Espagne est toujours en berne, son économie ne va pas « mieux ». Et la population ? Crise du logement, pouvoir d’achat diminué dans des proportions drastiques, services publics en déliquescence…

La dynamique collective, ça parle à qui ?

Se focaliser sur la performance macro-économique d’un pays et ses statistiques de dettes et déficits sur PIB est dangereux, en plus d’être parfaitement inefficace. Les 8 dernières années l’ont prouvé en France, et de partout en Europe. L’Allemagne produit des excédents budgétaires faramineux et aspire toute la dynamique économique à son profit, tout en paupérisant sa population, en oubliant de moderniser ses infrastructures, avec en vue un problème de paiement des pensions de retraite inouï, et les médias parlent de « modèle allemand » ? Au delà de l’Europe, la nation qui domine [à tous les niveaux] la planète se nomme les Etats-Unis d’Amérique, et étrangement si ses déficits publics sont en baisse, sa dette colossale continue d’augmenter : plus de 104%. Les inégalités au sein de la population américaine sont des plus criantes, les phénomènes de violence, de pauvreté extrême, de précarité médicale, d’exclusion, de crimes policiers y sont énormes. Et c’est pourtant sur ces critères de performance économique seuls que toute la politique française raisonne, sans jamais offrir ne serait-ce que le début d’un projet autre que celui de : faire baisser le chômage, créer de l’emploi, rendre plus compétitives les entreprises. Exactement ce que font l’Allemagne et les Etats-Unis. Quel est le projet de l’Allemagne ? Celui des Etats-Unis ? Comment les citoyens s’y portent-ils ? Quelle démocratie offrent ces pays ?

Un pays qui s’écroule lentement à tous les niveaux (et pas seulement la France, soyons clairs) risque de grands problèmes intérieurs. Précision : l’écroulement en question est social, éducatif, médical, culturel, associatif, politique, industriel, écologique, agricole… La liste est longue et n’est certainement pas complète. Ces problèmes ne se résolvent pas par l’amélioration macro-économique. Clairement : demain, avec 3 ou 4% de croissance, un déficit à moins de 3% et une dette qui redescend, rien n’aura changé. Il y aura peut-être quelques centaines de milliers de personnes qui auront retrouvé du travail, mais soyons certains que ce seront des emplois précaires et qui de toute façon ne changeront rien au vide intersidéral d’une société sans projet. Une société juste bonne à voir des individus ramener un salaire (qui sera toujours au plus bas afin de continuer à accroître la « compétitivité ») et voir les bénéfices de ceux qui détiennent le capital de leur entreprise, s’envoler. La France n’a jamais payé aussi peu d’intérêts sur sa dette qu’aujourd’hui et n’a pourtant jamais eu une dette aussi élevée. Étonnant, non ?

Ce qu’il manque est une dynamique collective, autre qu’économique, qui corresponde aux aspirations d’un peuple plutôt fier, arrogant, mais qui sait parfois aller là où on ne l’attend pas : vers le progrès, le vrai, celui qui humanise et s’intéresse aux plus fragiles plutôt qu’aux plus forts, plus aux cultures et aux bien communs qu’à la réussite individuelle…

Retrouver les fondamentaux français ?

Le vieux pays inventeur de la monarchie absolue (et non pas parlementaire à l’inverse de ses voisines de l’époque) est malgré tout un poids lourd dans le « hall of fame » des nations innovantes, respectées pour les progrès qu’elles ont apporté à l’humanité. C’est en France que les droits universels ont été pondus, que les congés payés ont été gagnés par la lutte en 1936, puis les retraites au sortir de la guerre tout comme la sécurité sociale, la protection de l’enfance, le droit de grève (bien avant, au XIXème siècle, avec la liberté de la presse), la séparation de l’église et de l’Etat, bref : l’universalisme français est reconnu. Le progrès social, c’est ici. Le droit d’asile, l’accueil de l’opprimé, c’est encore ici. Le planning familial, c’est en France, comme le droit à l’avortement. Le principe d’association loi 1901 à but non lucratif, du financement public de la culture, de l’intermittence du spectacle, de la gratuité des soins, de l’école publique…c’est en France.

Si une nation peut offrir un nouveau projet de société progressiste au XXIème siècle, il semble que la France ne serait pas la plus mal placée. Loin de là. En parlant par exemple de redistribution des richesses, d’incitation forte à la création d’entreprises coopératives et solidaires, d’encadrement des rémunérations des plus hauts revenus, de droit au revenu d’existence inconditionnel, de création de plateformes numériques d’échanges publics, de citoyenneté en ligne, d’intéressement et participation obligatoire des salariés dans leurs entreprises, de mise à plat des systèmes de prélèvements des entreprises (RSI, URSSAF) plus justes et basés sur l’activité réelle, de projets éducatifs forts et liés au monde actuel, de réhabilitation architecturale, de transports pour tous, de formations citoyennes aux outils d’information et de communication, d’autonomie énergétique…

Tous ces projets sont pensés, par des chercheurs, des spécialistes de tout poil, qui écrivent, expliquent, et sont accessibles pour qui veut s’en donner la peine. Ces projets sont absolument à la portée d’un pays comme la France.

Ceux qui pensent la société par le biais de la doxa établie diront qu’il n’y a pas les « moyens » de financer de tels projets. Ils ont raison, mais uniquement si le système — absolument mafieux  — en place, perdure. Il faudrait donc simplement faire appliquer la loi — censée être la même pour tous — en récupérant par exemple les 60 à 80 milliards d’évasion fiscale, supprimer les [très nombreuses] niches fiscales les plus absurdes, arrêter de subventionner par dizaines de milliards des entreprises qui ne respectent jamais les accords qu’elles signent en échange de ces aides, purger la monstrueuse dépense d’Etat de tous les privilèges et somptueux « arrangements républicains » ou autres conflits d’intérêts de l’appareil administratif, qui la caractérisent…

Mais pour cela il faudrait que ce ne soient pas des petits comptables obtus qui tiennent les manettes du pays, qu’ils soient de « gauche », de « droite » ou des extrêmes.

Il reste donc une solution, qui a déjà commencé : que les habitants de ce pays fassent ce qui leur semble le plus juste, ensemble, sans attendre des élites qu’elles comprennent où non le sens de l’histoire et du bien commun.  Cette approche est plus fastidieuse et moins efficace qu’avec une volonté politique, il est vrai. Elle prendra beaucoup de temps et requiert de faire des choses concrètes, plutôt que de commenter l’ambiance générale devant des écrans.

A moins que le système politique n’implose complètement, avec toutes les étapes violentes et délétères que cela implique ? Il faudra ensuite — dans ce cas là — reconstruire autre chose. De vraiment différent. Mais ça, c’est avec des « si ». En attendant, il vaudrait mieux se retrousser les manches…

Source: https://reflets.info/crise-sociale-et-si-on-parlait-de-projets/


L’obscurantisme, cette valeur sûre de l’insécurité

Wednesday 8 June 2016 at 16:44

kill-the-french-techMalgré les efforts d’une poignée de parlementaires, la situation les lanceurs d’alerte en matière de sécurité informatique demeure la même depuis 20 ans. Le petit monde de la sécurité a, lui, bien évolué, les attaques, leur impact sur les sociétés privées ou les administrations aussi. La seule chose qui semble immuable, c’est la vision manichéenne du législateur, de ceux qui pensent savoir, qui imposent des lois, comme pour nous imposer un curseur moral. Comme si nous avions besoin d’un curseur moral, imposé par des personnes qui dans 99% des cas ne comprennent pas la porté des problématiques auxquelles nous sommes quotidiennement confrontés. Pourquoi devrions nous nous laisser guider par un législateur qui fait le choix de placer l’ensemble de sa population sous surveillance ? D’appliquer des mesures antiterroristes à l’ensemble de la population ? Comme s’il en avait peur…

Nous n’avons pas peur de vous, nous aurions pourtant des raisons d’avoir peur à chaque fois que nous tirons sur un fil et qu’une pelote se déroule, mais ce n’est pas le cas.

Nous reconnaissons l’importance de vos responsabilités dans la recherche d’une meilleure société, d’un équilibre. Mais cet équilibre, volontairement (combien d’évadés fiscaux poursuivis ?), ou pas (combien de lanceurs d’alertes poursuivis sur des problématiques qui vous dépassent parce que la compréhension de l’impact de la non-action vous est étranger ?), vous le brisez. Vous devenez le layer 8 de notre modèle démocratique, un modèle qui fonctionne pourtant tellement mieux que le vôtre.

En matière de « criminalité informatique », j’en suis à ma seconde affaire, toujours sans plaignant ni victime. Cette fois ci, on me reproche d’avoir mis en évidence, pas écrit, juste copié-collé, un bout de code qui aurait servi à attaquer le site des impôts. À cette période, ce n’était pas un seul site ministériel qui était pourtant menacé mais Gandi, un hébergeur qui croulait sous de violentes attaques par déni de service. Ce n’est pas un site mais des dizaines, centaines de milliers qui étaient menacés d’indisponibilité. Cette publication a permis de les faire cesser. Mais non… un magistrat a trouvé fin de me poursuivre, avec un dossier vide, sans même qu’il soit établi que la personne qui s’est attaquée au site des impôts était venue s’emmerder à utiliser le script du proof of concept que j’avais publié alors que le binaire (prêt à cliquer), se trouvait alors et se trouve toujours sur d’autres sites.

Ce genre de petites blagues de la justice a un coût financier et personnel que vous aviez l’opportunité de nous épargner. Car je suis loin d’être le seul dans ce cas. Il existe des cas bien pires que le mien. J’ai encore en tête celui de Serge Humpich, qui a démontré il y a plusieurs années une vulnérabilité sur les cartes bleues. Serge a été victime d’un harcèlement juridique dont nous n’avons pas même idée. Serge avait pourtant tout fait correctement, alerté les bonnes personnes… Il a payé ce service rendu à toute la société au prix fort, pendant plusieurs années. Pourtant sans Serge, nous sommes des millions qui aurions pu voir nos comptes bancaires vidés du jour au lendemain sans qu’aucune explication ne soit donnée puisqu’aucune loi n’oblige une banque à avouer qu’elle a été victime d’un vol ou d’une intrusion.

Vous n’avez donc pas fait le choix de nous l’épargner, pire, vous avez fait le choix de tenter de nous faire taire… Sans même avoir la moindre conscience qu’une brèche sur des données personnelles ouvre naturellement la porte à d’autres brèches, sur d’autres applications, brèches qui se traduisent dans la vie réelle par des vols de données qui pénalisent chaque années des millions de gens. Vous avez fait le choix de l’obscurantisme « surtout ne pas dire que 200 000 mots de passe sont dans la nature, peu importe qu’ils soient réutilisés sur d’autres sites »… Bravo. On ne parle pourtant pas de « transparence », on parle de bon sens.

Quand Michel Sapin se targue d’une avancée significative pour le statut de protection des lanceurs d’alerte, je ricane… Une exemption de peine… Quelle rigolade. Qu’est-ce qu’une porte défoncée à 6h du matin, 48h de garde à vue et quelques milliers d’euros pour se défendre après tout ?… Pour avoir aidé des gens à en protéger d’autres.

Parallèlement, les sociétés ou administrations, qui sont pourtant rarement étrangères à ce que nous découvrons, ne sont jamais inquiétées, ou très, très rarement. La CNIL fait ce qu’elle peut avec les moyens qu’on lui donne et nous reconnaissons que l’art de la défense est plus complexe que celui de l’attaque. Mais c’est très rarement qu’un système d’informations se retrouve compromis par une vulnérabilité inconnue (un 0day), l’immense majorité se retrouvent compromises par des vulnérabilités dont les correctifs sont disponibles depuis des semaines, des mois…
Chaque structure, en fonction de ses moyens et du patrimoine informationnel qu’elle doit protéger actera pour une politique sécuritaire qui lui est propre. Toutes ne peuvent appliquer le bottin téléphonique de l’ANSSI pour protéger leur patrimoine informationnel, c’est ça la réalité de terrain. Et l’ANSSI, elle a probablement des choses plus sérieuses à faire avec nos équipements industriels connectés qu’à se voir devenir la plateforme d’intermédiation entre un internaute qui tombe sur des données personnelles et une PME.

Et pendant ce temps, nous tombons tous les jours sur vos adresses mail @**.gouv.fr en accès public sur des sites web de sex shops, c’est limite si nous ne connaissons pas les pratiques sexuelles de certains… que nous ne rendons pas publiques, non, on s’en fout, ce n’est pas pour ça que nous vous confions vos mandats. Mais peut-être qu’un jour vous prendrez conscience de la monumentale erreur que vous faites, par exemple en ne rendant pas obligatoire la communication sur une brèche qui a conduit à une fuite de données personnelles. Cet obscurantisme nous conduira, un jour, à quelque chose de bien plus grave.

Source: https://reflets.info/lobscurantisme-cette-valeur-sure-de-linsecurite/


Quand les représentants du peuple fragilisent les infrastructures informatiques du pays

Wednesday 8 June 2016 at 11:13

oyeah3NextInpact nous apprend que les députés ont repoussé avec un certain dédain un amendement (dit « Bluetouff ») visant à protéger les « hackers » qui signalent à un site poreux ses failles informatiques. Citant les jurisprudences Kitetoa, Zataz et Bluetouff, les députés qui poussaient cet amendement voulaient éviter des poursuites indues pour accès et/ou maintien dans tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données aux personnes qui découvriraient une faille au hasard de leur surf.

Personne ne demande aux députés d’être des experts de tous les sujets sur lesquels ils légifèrent. Mais on est en droit d’espérer qu’ils sont équipés d’une toute petite dose de bon sens. Bien entendu, les votes à répétition de lois sécuritaires aussi inefficaces que liberticides pouvaient laisser planer un doute.

Les révélations quotidiennes sur les mensonges, les arrangements, les renvois d’ascenseurs ont peut-être fini de dégoutter une majorité de Français de la politique.

Visiblement, sur le sujet de l’amendement Bluetouff, il leur manque un peu de background en matière de sécurité informatique et ils font preuve d’un manque certain de bon sens. Ces quelques lignes d’un ex-cyber-criminel (pour avoir signalé aux magasins Tati une fuite de données personnelles de leurs clients) les aideront peut-être à mieux comprendre la portée de leur rejet de cet amendement.

Je suis vieux. Je promène ma projection numérique sur les réseaux informatiques depuis… Depuis avant l’arrivée d’Internet en France. Sur ce point je suis moins vieux que d’autres, mais ce qui est certain, c’est que je suis bien plus vieux que les députés dans ce domaine.

Dans le temps, il parait que l’on écoutait la parole des anciens, parce qu’ils avaient, disait-on, atteint une sorte de sagesse, ils avaient vu des choses, en avaient tiré des enseignements, généralement pas trop idiots. Aujourd’hui, la morgue des députés (et de certains journalistes – il faut savoir avoir du recul sur sa propre profession) est telle que les vieux sont voués aux gémonies.

Alors voilà, chers députés, laissez moi vous dresser un portrait de ce qui va se passer.

Les infrastructures informatiques sont une passoire. Pas une petite passoire. Une monumentale passoire. Tout est accessible à distance. Il suffit de disposer de deux choses assez répandues : du temps et des connaissances techniques.

Chers députés, vous pensez que Linkedin (j’imagine qu’ils y ont un profil donc je tente de leur parler d’un truc qu’ils connaissent) ne dispose pas d’une armée d’informaticiens dédiés à la protection de ce qu’ils ont de plus précieux (les informations et donc la confiance de leurs clients) ? Et pourtant… Les identifiants et les mots de passes de leurs clients se sont retrouvés dans la nature.

Donc, imaginez vos sites gouvernementaux, les sites universitaires, les sites d’entreprises privées, les messageries, les clouds variés, tout cela, est une passoire.

Ah ? Vous êtes zoophile tendance teckels morts ?

Comme je vous le disais, je suis vieux. Et à l’époque où Internet est arrivé, nous n’étions pas nombreux à nous intéresser aux problématiques de sécurité informatique. Nous nous sommes donc « trouvés ». Qui ça ? Les hackers qui vous effrayent tant. J’ai donc passé des années en compagnie d’une bonne partie de ceux que je considère comme les meilleurs. L0pht, Rhino9, ADM, w00w00, cDc autant de groupes de dangereux terroristes de fabuleux esprits qui ont façonné par leurs trouvailles la sécurité informatique d’aujourd’hui. Si vous êtes un peu mieux protégés aujourd’hui, c’est grâce à eux.

Votre dédain pour leurs activités vous empêchent de les remercier. Je sais.

C’est dommage parce que franchement, vous leur devez beaucoup. Je vais vous donner un exemple simple à comprendre.

Lorsqu’un sex-shop en ligne français ayant pignon sur rue était mal  protégé, les adresses mail de 10.000  clients fuitaient sur le Net.

Ça ne vous regarde pas ? Vraiment ?

gouv.frUn peu quand même…

Bien entendu, j’aurai pu suivre mes habitudes, prévenir les administrateurs du site. Leur dire que quand même, laisser tous les mails des clients dans un fichier « mail.txt » à la racine du site, accessible avec un simple navigateur, en ajoutant le nom du fichier après l’adresse du site, c’était un peu idiot. Mais avec vos décisions, je serai plutôt enclin à ne rien dire. Ne vous y trompez pas, si je ne dis rien, cela ne veut pas dire que vos données seront protégées. Quelqu’un d’autre les trouvera. Et il en fera sans doute un usage moins respectueux de la vie privée que moi, Bluetouff ou Zataz.

Mais revenons à des sujets mois frivoles.

Les sex-shops, c’est rigolo, cela fournit une illustration généralement assez parlante des dangers liés à l’insécurité informatique. Mais parlons de choses qui fâchent. En passant des années aux cyber-côtés des meilleurs hackers, j’ai vu des choses bien pires. Ils n’ont jamais rien mis en péril, jamais tiré un profit de ce à quoi ils accédaient. Mais d’autres auraient pu. Et si vous avez la trouille pour vos données personnelles stockées sur un sex-shop pouvant révéler vos préférences sexuelles, imaginez le reste. Des entreprises de haute technologie transformées en gruyères, des banques devenant soudainement transparentes, qui pourraient être précipitées dans une crise qui dépasse votre imagination, en quelques clics…

Que leur direz-vous après la catastrophe ? Ah, désolés, on avait l’occasion de protéger les gens qui voulaient signaler de bonne foi des failles dans votre système mais on l’a écartée. Ils se sont tus pour éviter un procès long, coûteux, épuisant, et d’autres ont explosé votre système d’information. Désolés… ?

 

Source: https://reflets.info/quand-les-representants-du-peuple-fragilisent-les-infrastructures-informatiques-du-pays/


DPI : la flûte enchantée

Tuesday 7 June 2016 at 14:28

Bernard Cazeneuve - par Marc Rees - Licence CC-BY-SA 3.0

Bernard Cazeneuve – par Marc Rees – Licence CC-BY-SA 3.0

Mediapart et Reflets ont révélé hier la nature du programme IOL (Interceptions Obligations Légales) et des relations commerciales entre Qosmos et le gouvernement français. Mediapart en a profité pour nous remettre à l’esprit le bien joli morceau de pipeau de Jean-Jacques Urvoas. À l’époque président de la délégation parlementaire au renseignement, notre ministre de la Justice répondait à une question d’Edwy Plenel concernant très précisément Qosmos :

« Je n’ai jamais rencontré, depuis que je suis (…) président de la délégation parlementaire au renseignement, cette structure, je n’ai jamais entendu qu’elle soit un prestataire de qui que ce soit, en tout cas pas pour les organes qu’il m’arrive de fréquenter »

S’il ne fréquentait pas les bons organes, le bon Jean-Jacques fréquentait apparemment le même club de flûte qu’un certain nombre de ses petits copains, que Mediapart a, assez injustement, oublié de citer. Lors des débats publics sur la loi renseignement, la députée Laure de la Raudière interrogeait ainsi notre ministre des interceptions administratives, des grenades de désencerclement et des coups de tonfa dans la tronche, Bernard Cazeneuve :

« Allez-vous utiliser la technique du deep packet inspection pour recueillir les données ? »

Notre ministre, saisissant prestement son fifre :

« Madame de La Raudière, nous avons déjà échangé sur cette question, je ne sais pas si vous vous en souvenez. Lorsque nous discutions de la loi du 13 novembre 2014 et que nous évoquions la question du blocage administratif des sites, vous m’aviez déjà demandé si nous utilisions la technique du DPI. J’avais alors déclaré devant l’Assemblée nationale qu’il était hors de question d’utiliser cette technique, et je le confirme. »

Las de répéter encore et encore la même rengaine, l’inlassable Bernard déroulait pourtant impeccablement sa partition :

« Je vous confirme ce que j’ai dit de façon inlassable depuis des jours et des semaines – mais à peine la réponse est-elle donnée qu’elle est oubliée, et il faut y revenir ; ce n’est pas vous que je vise en l’occurrence, madame de La Raudière, mais plutôt le brouhaha ambiant et le vacarme médiatique. »

Pas facile de jouer du galoubet au milieu du « brouhaha ambiant » et du « vacarme médiatique », hein ? Et de conclure :

« Nous n’utiliserons pas cette technique. C’est très clair. Je l’ai déjà dit au mois de novembre et je le répète aujourd’hui. (…) Nous n’utiliserons donc en aucun cas cette technique du DPI. »

Cette réponse avait un peu ébouriffé certains commentateurs. En effet, les données collectées, les fameuses métadonnées, sont situées au niveau applicatif. Elles ne sont en principe pas traitées par les opérateurs télécoms qui n’ont besoin que des informations situées dans les couches les plus basses (adresses IP par exemple) pour assurer le routage des paquets. Dès lors, pour les récupérer, les sondes doivent nécessairement aller inspecter le contenu desdits paquets pour en extraire la substantifique moelle.

Layer 7, c'est DPI par votre serviteur - Licence CC-BY

Layer 7, c’est DPI – par votre serviteur – Licence CC-BY

Deep Packet Inspection. Qosmos. Boîtes noires. Flûte à bec.

Notre orchestre ne serait pas au complet sans Eduardo Rihan-Cypel, député, vice-président du groupe à l’Assemblée Nationale, membre de la commission de la Défense nationale et des forces armées, ancien membre de la commission d’enquête parlementaire sur les services de renseignement, auquel nous souhaitons rendre un vibrant hommage. Le type est tellement doué qu’il arrive à jouer de l’ocarina sans les mains. Si, juré. À tel point que le mélomane Cambadélis l’avait nommé « secrétaire national à la riposte et aux arguments ». Sans rire.

Interrogé par Jean-Marc Manach (à partir de 38:30) sur la mise en oeuvre du DPI et sur les dénégations de Bernard Cazeneuve, il avait réussi l’exploit de hocher la tête, les bras ouverts, auto-satisfait façon « Ah, je vous l’avais bien dit ! Alors, c’est qui le boss du matos ? », cependant qu’Alexandre Archambault, qui connaît un tout petit peu le sujet, était en train de lui enfoncer sa riposte et ses arguments dans l’oreille droite le contredire. Non, sérieusement, courez visionner cette performance artistique. « Moi j’ai juste vu sur Wikipédia, très bêtement », disait-il. Le talent.

Eduardo Rihan-Cypel en plein vol

Eduardo Rihan-Cypel en plein vol

Pas de Qosmos, pas de DPI… Alors les flûtistes, on va pas vous demander de vous excuser. Non, c’est pas notre genre. Et surtout c’est pas le votre. Mais on va quand même vous poser une colle. Sur la première page du document de Qosmos à propos des Interceptions Obligations Légales, il y a marqué quoi ?

ixm-IOL

Les autres, vous dites rien.

Source: https://reflets.info/dpi-la-flute-enchantee/


IOL à l’heure de cette France en état d’urgence permanent, mais qui va mieux

Monday 6 June 2016 at 19:11

iolcatMediapart et Reflets viennent tout juste de vous révéler IOL, ou comment dès 2006, la France déployait un dispositif qui se positionnait aux frontières de la légalité. IOL est le second projet « confidentiel défense » après Kairos et apparu au cours de nos investigations sur la société Qosmos, sur lequel nous pouvons aujourd’hui faire la lumière. IOL porte donc sur les interceptions dites de sécurité, que l’on opposera aux interceptions judiciaires qui se font sous le contrôle d’un juge. IOL est piloté par le GIC qui répond au cabinet du premier ministre. Cette infrastructure est-elle isolée ou transverse à celle de la PNIJ, la plateforme nationale des interceptions judiciaires ? Difficile de concevoir que l’Etat double ce genre d’infrastructures assez coûteuses.

IOL est un projet important de par sa volumétrie, initié en 2005, on parlait déjà pour 2006 de 6000 DSLAM sondables, jusqu’à couvrir 99% du trafic résidentiel en 2012. Quelques points demeurent assez mystérieux à propos d’IOL, sa classification « secret défense » n’est pas faite pour délier les langues, notamment sur le coût réel de ce projet, sur son efficacité, ses usages réels et surtout, sur ce qu’il est devenu, aujourd’hui, dans une France en situation d’état d’urgence permanent.

Peu importe le nom qu’on lui donne : IOL, boites noires, algorithmes… ce dispositif est massivement déployé, ce depuis 2009. La loi est certes venue patcher l’a-légalité du dispositif, mais elle l’a fait tardivement (en 2015). Que s’est il réellement passé entre 2009 et 2015 ?

La légalisation de ce dispositif à coup d’empilement de lois antiterroristes ne va t-il pas nous amener à une utilisation dans une optique plus massive, plus systématique ? La problématique de l’antiterrorisme, c’est aujourd’hui la détection de signaux faibles. Quoi de plus tentant qu’utiliser cette infrastructure IOL pour tenter de détecter ces signaux faibles… à coup d’algorithmes.

Les limites techniques connues de l’interception par inspection en profondeur des paquets sont :

Il n’y a cependant pas besoin de faire du massif pour que des usages pernicieux d’IOL soient envisageables. A l’heure des mouvements de contestation contre la loi travail ou du mouvement Nuit Debout, IOL est une véritable arme nucléaire capable de tuer dans l’œuf tout mouvement citoyen de contestation. En donnant à manger les bonnes règles de configuration aux sondes d’IOL, on peut ainsi monitorer en temps réel un mouvement de grogne, détecter les meneurs, les placer sous surveillance rapprochée, les infiltrer.

IOL est un outil effrayant car il sait surveiller autre chose que des personnes, il sait aussi surveiller des idées.

Si une telle dérive venait un jour à être révélée, et elle le sera forcément, nous entrerions dans une ère inquiétante, une ère où la notion de liberté d’opinions serait biaisée, où l’autocensure serait la norme.
Tout ceci n’est pourtant qu’une étape, la détection de signaux faibles implique d’importantes masses de données manipulées, elle implique le couplage des techniques d’interception à des outils de deep learning.

Si un outil comme Palantir intéresse le Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) et la Direction générale des finances publiques (DGFP), on peut aussi imaginer qu’il intéresse de près le GIC et les services de renseignement, et si Palantir peut probablement se montrer efficace à Bercy, il ne faut pas perdre de vue que sa vocation première, c’est la lutte antiterroriste.

Difficile de concevoir que les services ne s’intéressent pas à l’exploitation de gros volumes de données pour la détection de signaux faibles, le nerf de la guerre contre le terrorisme. Difficile également dans ces conditions de tabler sur des durées de rétention raisonnables et légales pour parvenir à de tels objectifs. Si ces pratiques ne sont pas déjà en place aujourd’hui, elles le seront certainement demain.

Source: https://reflets.info/iol-a-lheure-de-cette-france-en-etat-durgence-permanent-mais-qui-va-mieux/


Qosmos et le gouvernement Français, très à l’écoute du Net dès 2009

Monday 6 June 2016 at 19:03

QOSMOSwholecountryLorsque les enquêteurs se sont penchés sur les activités de Qosmos dans le cadre de poursuites pour une éventuelle complicité de torture en Syrie, ils se sont vus opposer le secret-défense pour quatre « clients » de l’entreprise. Ceux-ci disposaient de codes : KAIROS, CHARLIE, IOL et DELTA. Le Monde a levé le voile sur le projet KAIROS. Selon le quotidien, il s’agit de la DGSE. Restent trois autres clients mystérieux. Le voile se lève doucement sur IOL.

Selon des documents que Mediapart  (lire leur article ici) et Reflets ont pu consulter et les personnes qui ont accepté d’évoquer IOL, il s’agit d’un projet d’interception « légale » chez tous les grands opérateurs, soit  à peu près 99% du trafic résidentiel. Ce projet a été imaginé en 2005. Le cahier des charges terminé en 2006 et le pilote lancé en 2007. La généralisation à tous les grands opérateurs s’est déroulée en 2009. Dans le cadre de IOL, des « boites noires » avant l’heure étaient installées sur les réseaux des opérateurs, mais ceux-ci n’y avaient pas accès. Il s’agissait d’écoutes administratives commandées par le Premier ministre et dont le résultat atterrissait au GIC.

Selon un document interne de Qosmos, dimensionné pour permettre de l’interception sur 6000 DSLAM, IOL, pour Interceptions Obligations Légales, pouvait analyser jusqu’à 80 000 paquets IP par seconde. Un DSLAM pouvant accueillir à l’époque entre 384 et 1008 lignes d’abonnés, c’est entre 2,3 et 6,04 millions de lignes qui étaient alors concernées par ce projet pour la seule société Qosmos. Du massif potentiel. Déjà en 2009. A l’inverse donc, de tous les discours officiels entendus au moment des révélations Snowden et des discussions autour de la Loi sur le Renseignement… En France, on  pêche au harpon, paraît-il, pas à la grenade. Bien entendu, on peut concevoir que l’objectif n’était pas d’écouter 6 millions de foyers (pour un seul opérateur) au même instant et tout le temps. D’autant qu’à l’époque, il n’est pas certain que les moyens de traitement efficaces étaient disponibles.

Dans le cas d’IOL, l’outil décrit permettrait d’intercepter les communications électroniques d’un quartier, d’une ville, d’une région ou un protocole spécifique. Ce n’est pas du systématique, comme le fait la NSA, mais c’est une capacité d’interception qui peut très vite glisser vers du massif qui a été installée en coeur de réseau chez tous les grands opérateurs. Les mots ont un sens…

« Quelques faucons dans les cabinets ministériels se sont dit qu’il y avait matière à mutualiser l’infra existante pour faire de l’analyse de trafic à la volée, ils ont vu que dans la série « 24 heures » ça se faisait…« , indique un brin acide un responsable d’un opérateur qui a vécu l’installation du projet. Mais tempère-t-il, à l’usage, cette infrastructure était inopérante pour du massif. Pour plusieurs raisons. L’une étant l’évolution des infrastructures, une autre étant le volume important du trafic chiffré et enfin, la dernière étant qu’il existe une grosse différence entre un démonstrateur (une maquette) et la vraie vie…

Reste que dans le cadre d’IOL, les interceptions du trafic Internet des Français s’opéraient en temps réel, et de façon déportée. Les grandes oreilles avaient donc accès aux données et aux métadonnées en temps réel.

Étonnant, lorsque l’on sait que la pêche aux données en temps réel auprès des opérateurs n’a été rendue possible que par la Loi de Programmation militaire (LPM) de 2013 et par un décret publié en décembre 2014. On comprend mieux l’invention par les autorités et les services du mot jargonneux « a-légal » pour justifier une multitude de pratiques… Non légales. En tout cas prévues par la Loi.

Si  la bonne utilisation était, selon les documents de Qosmos, plutôt de définir une cible, et de donner pour instruction à l’ensemble des sondes de repérer et collecter le trafic de cette cible, était-elle, forcément humaine ? Si la cible est par exemple un réseau social ou un type de comptes mails (Yahoo Mail, GMail,…),  ou encore un protocole (IRC, SIP, Jabber…), on peut très vite franchir une ligne rouge.

D’autant que le document de Qosmos précise qu’il est possible de définir comme cible… des plages d’adresses entières. Et pas seulement des plages de 254 adresses IP…  Le document évoque des classes B, soit 65 534 IPs simultanées. Insérer une telle fonctionnalité (qui permet du massif) pour ne pas s’en servir semble pour le moins incongru.

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Ces précisions techniques figurent dans le document de configuration pour « la sonde Qosmos ixM IOL » datant de 2009, dans le cadre du projet d’interception légale IOL. Ce projet est bien devenu réalité puisqu’en octobre 2012, le directeur juridique de Qosmos indiquait aux enquêteurs que IOL était une « société » « cliente » de Qosmos. En outre, en Juillet 2012, Qosmos produisait un patch (mise à jour/correctif) de son produit vendu sous le nom de code IOL. Il s’agissait de la « release 2.1.3 ». Qosmos indique s’être retirée du marché de l’interception légale en 2012. Qui entretient aujourd’hui l’infrastructure technique IOL mise en place ? Mystère…

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Pourtant, cette question n’est pas innocente. Tout au long de l’instruction qui la vise pour la vente d’un système d’interception global à la Syrie, Qosmos a axé sa défense sur le fait que lorsque ses sondes n’étaient pas mises à jour, elles devenaient inutilisables. Soit le beau jouet du GIC ne fonctionne plus depuis 2012, soit Qosmos continue d’entretenir les sondes, soit un autre prestataire a pris le relais. Reste que la liste des protocoles siphonnables est bien à récupérer auprès de Qosmos, qui la tient à jour dans son ProtoBook.

« Les opérateurs n’avaient pas le contrôle sur les infrastructures, ils se conformaient aux dispositions légales, c’est à dire à la Loi n°91-646. Celle-ci a été toilettée discrètement à l’été 2004 pour remplacer téléphone par communications électroniques (transposition des paquets télécoms oblige), et hop, ça permet de tout faire », indique un salarié d’un opérateur. Ceux-ci n’avaient pas de contrôle sur ces invités surprises dans leurs réseau, mais ils ont su, pour certains tout du moins, mettre en place quelques mesures de protection. « Des opérateurs qui maitrisent plutôt bien leur réseau l’ont conçu pour que ce dernier fasse échec à toute fonctionnalité non documentée qui pourrait être mis en oeuvre par la brique logique (sous contrôle Etat, via le prestataire retenu) du dispositif d’interception (au hasard une interception qui ne correspondrait pas à une décision transmise par le GIC, une volumétrie qui excéderait ce qui a été convenu au regard du contingentement des interceptions de sécurité)« , précise ce cadre d’un opérateur.

François Fillon, un premier ministre à l’écoute ?

En novembre 2014, Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), lançait un cri d’alarme à propos des écoutes administratives. Mediapart rendait compte de cette prise de position inhabituelle :

« Le « dispositif actuel n’est pas satisfaisant », a-t-il affirmé à l’occasion de son audition par la Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique de l’Assemblée nationale. « Et  le risque est grand de voir se développer de nouvelles approches plus  ou moins intrusives sans dispositions législatives et donc sans les  garanties qui entourent les interceptions de sécurité » »

(…)

« Outre les questions de moyens, son successeur estime surtout que les  garde-fous prévus par la loi sont loin d’être suffisants. Le nouveau  patron de la CNCIS regrette tout d’abord que son institution ait été  dépossédée de son droit de regard prioritaire au profit de cette « personnalité qualifiée », « dont les qualités personnelles ne sont pas en doute mais sur l’indépendance de laquelle on peut légitimement s’interroger ». « Il a été reconnu en ce domaine le contrôle de la CNCIS », précise-t-il, « mais c’est un contrôle a posteriori et c’est la personnalité qui donne toutes les autorisations nécessaires. Je le regrette. » »

(…)

« Le patron de la CNCIS a également évoqué « les pratiques éventuellement illégales des services » qui « doivent cesser » en proposant « un renforcement du code pénal sur les éventuelles infractions ». »

A propos de la personnalité qualifiée et de Matignon dont dépendent les interceptions administratives sur lesquelles reposaient IOL… Fin septembre 2010, le Canard Enchaîné révélait que Jean-Paul Faugère, ancien préfet d’Alsace et alors directeur de cabinet de François Fillon, avait signé une lettre classée « confidentiel-défense » permettant à Matignon, d’obtenir un « accès sans contrôle » à des écoutes téléphoniques, sans en référer à la commission compétente. Une commission de contrôle, c’est tellement désuet et inutile…

Comme lors de nos précédentes enquêtes sur ses activités, la société Qosmos a refusé de répondre à nos questions. Matignon s’est également muré dans le silence en dépit de nos nombreuses relances. Même mutisme de la part des opérateurs comme Orange ou Free.

Au delà de la mise en place d’une infrastructure qui sur le papier pourrait être utilisée dans le cadre des « Boîtes Noires » de la Loi Renseignement, une autre problématique se pose. Qosmos fait actuellement l’objet d’une instruction pour complicité de torture. Une justice sereine peut-elle être rendue alors que cette entreprise est à ce point liée aux services de renseignement en particulier et aux gouvernements successifs en général ?

Source: https://reflets.info/qosmos-et-le-gouvernement-francais-tres-a-lecoute-du-net-des-2009/


Crise sociale : c’est l’injustice qui est en cause

Sunday 5 June 2016 at 12:35

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La loi travail n’est potentiellement qu’un déclencheur d’un malaise de société bien plus profond. Les dernières révélations des Panama Papers ne sont qu’une partie du puzzle, celui d’un système profondément injuste que les populations des pays développés commencent à parfaitement cerner, et subissent de plein fouet depuis la crise financière de 2008. Les « soulèvements » populaires (ou contestations) sont toujours causés par une accumulation d’injustices à l’encontre du plus grand nombre, et ce, au profit d’une minorité. Où en est-on sur le front de l’injustice dans les sociétés riches — et plus particulièrement dans la société française ?

Ecrasement économique

Les réglementations budgétaires européennes — votées par les parlementaires UMP et socialistes, dans le cadre du Traité de Lisbonne (remplaçant celui de 2005 pourtant rejeté en France à 54% par référendum, tout comme aux Pays-Bas) — sont le combustible de la crise, mais pas son moteur. Le TSCG était censé être renégocié par François Hollande, qui — en tant que candidat — jouait à fond la carte du contestataire de l’austérité, facteur pour lui de « moins-disant social ». Las, à peine élu, Hollande courait embrasser Merkel pour la rassurer sur le TSCG : les 3% de déficit budgétaire ne devaient — enfin de compte — surtout pas être remis en cause, et toutes les réformes à appliquer dans les pays de l’Union devaient donc être calquées sur cette statistique absurde, avec comme seul méthode : la réduction des dépenses de l’Etat alliée à des réformes dites « structurelles ». Cette terminologie de « réformes structurelles » a été, et est toujours unilatérale, basée sur les préconisations du FMI, de la commission européenne de Bruxelles et de la BCE. Ce sont des réformes économiquement « libérales » : baisse des « coûts du travail » (nommées les « charges »), donc abaissement des parts de cotisations sociales pour les entreprises — avec à la clef la baisse des recettes fiscales et sociales —, « assouplissement du droit travail » (retrait des protections sociales des salariés), et baisse des impôts pour les entreprises pour améliorer la « compétitivité » (baisse des recettes de l’Etat, encore une fois).

Alors que l’économie mondiale a connu des ralentissements colossaux, voire des récessions pour certains pays, depuis la crise financière de 2008 partie des Etats-Unis, la France dirigée par François Hollande a entretenu la crise économique par ses différents « plans de réforme » : le CICE a, à lui seul, coûté 45 milliards d’euros publics en faveur des entreprises qui ont reconstruit leurs marges mais n’ont — en toute logique — pas investi, vu le contexte quasi-récessif. Et donc pas embauché.

La baisse des dépenses pour les services publics ainsi que celles des dotations aux collectivités territoriales sont venues couronner le grippage de la machine : plus aucun investissement digne de ce nom n’est effectué au niveau national. Le dernier recours, quand une crise économique internationale sévit, est la relance par les investissements publics, ce qu’Obama a bien compris depuis 2010 et a permis aux Etats-Unis d’éviter l’écroulement de l’économie du pays. En France, il semble que suivre les demandes de la Commission et du FMI est plus central que tenter de relancer la machine. Cette option de « vassalisation » française au TSCG et donc aux demandes absurdes et technocratiques de l’Union est un carburant qui entretient le moteur principal de la crise : la captation des richesses et l’explosion des injustices.

Le moteur : la captation des richesses

L’écrasement économique pratiqué dans l’UE via des politiques absurdes, contreproductives et analysées comme telles par les meilleurs spécialistes de la chose, s’il est un carburant de la crise, n’est ni anodin, ni sans objet. Ce carburant alimente un moteur. Le moteur est celui de la captation des richesses. Les LuxLeaks ont dévoilé un trou noir fiscal au cœur de l’Europe des 28, au sein du pays dont l’ancien premier ministre, Jean-Claude Junker est aujourd’hui président de la Commission de Bruxelles : le Luxembourg. Ce pays à organisé le détournement de la fiscalité des plus grandes multinationales à son profit, créant ainsi une gigantesque « trappe fiscale » à l’échelle du continent. Des centaines de milliards d’euros sont ainsi détournés des budgets d’Etats pour augmenter les profits des actionnaires des multinationales, tandis qu’il est demandé aux populations européennes de « faire des sacrifices ».

Les « richesses » créés France sont de grande ampleur : ce petit pays est la cinquième ou sixième puissance économique au monde et possède les plus grandes entreprises de secteurs aussi divers et cruciaux que l’automobile, l’eau, l’énergie, le bâtiment ou encore les médicaments. Ces entreprises de taille mondiale ont pu le devenir grâce à la mise en place d’infrastructures de qualité, infrastructures payées par… la contribution… des populations. Grâce à leur travail. Tant que la redistribution proportionnelle aux efforts [de ceux qui participaient à la créer], établie comme « justice sociale », fonctionnait à peu près normalement, ces outils de création de richesses fournis par un ensemble de puissance économiques capitalistes ne posaient pas de problème. Au contraire. L’Etat investisseur a pu ainsi améliorer le système de santé, éducatif, des transports, etc, pendant des décennies. La « modernisation » de l’une des plus grandes puissances mondiales a pu s’opérer, et sa population en profiter, d’un point de vue capitaliste : accès au crédit, aux aides sociales, à l’éducation, à la consommation, etc.

Le virage qui caractérise le moment où ce statu-quo ne tient plus est celui observé aujourd’hui : l’injustice par la captation des richesses d’une petite minorité au détriment de la grande majorité. Quand l’Etat réduit les moyens des hôpitaux, abaisse les remboursements des soins, retire ses dotations à tous les niveaux, la population commence à nettement moins bien vivre. Alors que dans le même temps, les bénéfices des grands groupes explosent, que les dividendes de leurs actionnaires sont maintenus quoi qu’il en coûte en termes de casse sociale, et que leurs dirigeants se font payer des salaires inimaginables pour 99% des Français, il est demandé aux plus modestes, par le personnel politique, d’encore plus « contribuer » tout en acceptant de perdre (en pouvoir d’achat, en protection sociale). Cette inversion de la justice sociale ne peut que créer du ressentiment. Surtout quand les affaires de corruption se succèdent, démontrant qu’à tous les niveaux, cette inversion est calculée, orientée, et surtout : organisée.

Projet univoque mafieux ?

Les Panama Papers révèlent une partie de l’organisation de la captation des richesses au niveau mondial, et soulignent leur caractère systémique, tout comme les LuxLeaks ou bien encore, les décisions absurdes et injustes de la Commission. Les plus grandes banques utilisent les mêmes circuits financiers pour soustraire une partie de leurs bénéfices aux taxations publiques (le bien commun) que les organisations mafieuses. La grande machine à soustraire, blanchir l’argent (du plus grand nombre) se révèle d’une puissance inouïe, et pose des questions sur la véritable marche du monde. La confusion entre ceux censés maintenir l’équilibre et la justice dans les sociétés (les politiques) et ceux qui cherchent à en profiter à n’importe quel prix (les criminels) est mise à jour par l’ensemble des phénomènes politico-économiques décrits plus haut. De façon plus limpide, les organisations criminelles travaillent avec les mêmes outils que les décideurs politiques ou économiques, et une partie de ces trois « secteurs » est active dans les trois sphères. L’idée que l’organisation globale des sociétés, au profit unique des grandes « machines à cash », qui mêlent activités légales et illégales, respectant ou non les réglementations, soit le fait de mafias criminelles ou assimilées, commence à faire son chemin. Un chemin inquiétant que les extrêmes droites mondiales ont su capter et qu’elles sont en train de capitaliser en termes électoraux.

Le projet de société français, s’il a été large à une époque (éducation, culture, émancipation, solidarité, etc) est aujourd’hui univoque et potentiellement mafieux. L’objectif déclaré des politiques pour le pays, n’a d’autre objet que l’enrichissement. Croissance et bénéfices sont l’unique but à atteindre que propose le pouvoir politique. Exactement comme le font les structures économiques légales ou illégales. Les « affaires » de corruption se succèdent, dévoilant toujours un peu plus la porosité entre cercles mafieux illégaux et cercles officiels légaux, mêlant dirigeants d’entreprises, personnels politiques, personnes d’influence ou autres hommes et femmes de « pouvoir ».

Le propre des mafias (ou de ceux qui utilisent les mêmes méthodes pour parvenir à leurs fins) est le contrôle : pour faire « taire » tout ce qui pourrait entraver la bonne marche de leurs affaires. En France, c’est la presse qui possède ce pouvoir de dénonciation à l’encontre des « mafias » ou assimilés. Comment la faire taire ? En toute logique, 80% de la presse à été rachetée par ceux-là mêmes qui possèdent les plus grosses « affaires » du pays. Sept milliardaires ont racheté la quasi totalité des journaux, ou groupes de médias sans qu’aucune voix politique ne s’élève pour les en empêcher. Quand les pratiques illégales de l’entreprise Free pour fermer certaines de ses activités — en poussant les gens à démissionner — sont dévoilées (par ce qu’il reste de presse indépendante), le quotidien français le plus réputé, le Monde, n’en touche pas un mot. Logique : l’un des trois patrons-actionnaire du Monde, Xavier Niels, dirige l’entreprise Free.

L’injustice peut-elle augmenter sans conséquences graves ?

La réponse à cette question se trouve dans l’observation des pires systèmes politiques, les moins respectueux des droits humains. Plus une société possède un système démocratique de qualité, moins l’injustice peut s’y répandre : des organes de contrôles y existent, des moyens importants sont donnés pour réprimer la corruption, et la société dans son principe même de fonctionnement politique tente de ne pas laisser l’injustice s’y répandre. La corruption, et son lot d’injustices est le propre des sociétés de « basse fréquence démocratique », ou bien entendu, des dictatures. Les pouvoirs en place y sont le plus souvent mélés aux organisations souterraines les plus criminelles, la répression des populations — lorsqu’elles tentent de se soulever contre l’injustice en place — y est la règle. Dans ces sociétés baignées d’injustice, les conséquences sont graves pour les individus qui ne participent pas à l’exercice du pouvoir politico-économique et mafieux, en termes de difficultés quotidiennes et d’indignation morale. Mais au fond, ces sociétés continuent à fonctionner, voire à se développer fortement d’un point de vue macro-économique, comme dans le cas de la Chine. L’injustice et la corruption ne sont pas les ennemies des systèmes capitalistes. Au contraire.

Un pays comme la France est en train — sous la volonté d’un homme élu un peu par défaut, aidé de quelques lieutenants politiques — de dégrader son fonctionnement démocratique de manière accélérée, sous les yeux effarés d’une partie conséquente de la population.  La réponse du gouvernement Valls et du chef de l’Etat face à la contestation de la fameuse loi travail (demandée en haut lieu, par les instances européennes) atteste de ce basculement d’une démocratie —  certes imparfaite mais jusqu’à il y a encore peu de temps, un tant soit peu « vivante » — vers ce nouveau système de basse fréquence démocratique. Des élections ont lieu, des gens sont élus, des médias informent ou désinforment, des manifestations sont réprimées avec des outils de répression policière démesurés, des juges oublient de juger ou jugent en fonction de critères de classe, des pressions sont exercées, des lobbies imposent en coulisses leurs volonté, des influences de masse sont exercées, des pans entiers de populations courbent l’échine, craignent pour leur avenir, et pour leur présent. Le pouvoir politique, au service du projet mafieux global continue d’imposer et amplifie la nouvelle gestion univoque  de la société. Quoi qu’il en coûte en termes de Droit, de risques de violences, de destruction du contrat social.

Les Français sont conscients de ces phénomènes, certainement dans des proportions importantes, mais ils continuent de croire que leurs choix individuels sont les bons, et que ce sont les politiques les seuls responsables de cette dégradation. L’un des choix individuels français est pourtant celui de se laisser manipuler devant des écrans de télévision et de croire « penser » la société en toute liberté, alors que [les Français] ne font majoritairement qu’une seule chose : cautionner l’injustice par leur passivité quotidienne et leur collaboration active au système en place — qu’ils dénoncent par ailleurs.

La « délivrance » et le changement ne surviendront qu’à une condition pour les Français: accepter de sortir de l’état d’hypnose dans lequel ils sont plongés en jetant leurs télévisions à la poubelle, puis en sortant dehors respirer l’air, rencontrer leurs congénères et dire fermement à leurs « maîtres » politiques, censés être à leur service : « ça suffit ».

Quand on sait l’angoisse procurée par une seule soirée sans télévision chez 80% des Français, jeunes inclus, il est clair que cette option ne surviendra pas de si tôt…

A moins que d’autres options ne soient envisageables ?

Source: https://reflets.info/crise-sociale-cest-linjustice-qui-est-en-cause/