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Obama ordonne au Pentagone de viser l’affiliation d’al-Qaïda en Syrie, une des plus puissantes forces qui combattent Assad

Friday 9 December 2016 at 01:30

J’adore le titre…

Vosu savez, Al-Qaïda, 11 Septembre, 3 000 américains morts, tout ça tout ça…

Source : The Washington Post, le 10/11/2016

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Cette photo de 2015 postée sur la page Twitter de Jabhat al-Nosra, un affilié à al-Qaïda en Syrie, montre les combattants d'al-Nosra dans la province d'Idlib ou les États-Unis ont commencé à bombarder les dirigeants du groupe. (AP)

Cette photo de 2015 postée sur la page Twitter de Jabhat al-Nosra, un affilié à al-Qaïda en Syrie, montre les combattants d’al-Nosra dans la province d’Idlib ou les États-Unis ont commencé à bombarder les dirigeants du groupe. (AP)

Par Adam Entous

Le président Obama a donné l’ordre au Pentagone de trouver et de tuer les dirigeants d’un groupe lié à al-Qaïda en Syrie que l’administration avait largement ignoré jusqu’à maintenant et qui a été à l’avant-garde du combat contre le gouvernement syrien, déclare un représentant des États-Unis.

La décision de déployer plus de drones et d’agents de renseignement contre le groupe militant précédemment connu sous le nom de Jabhat al-Nosra reflète l’inquiétude d’Obama que celui-ci ne soit en train de transformer des parties de la Syrie en une nouvelle base d’opération pour al-Qaïda aux portes du Sud de l’Europe, déclare le représentant.

L’action souligne dans quelle mesure Obama a évolué vers une priorité donnée à la mission de contre-terrorisme en Syrie au détriment des efforts pour pousser le président Bashar al-Assad à se retirer, puisqu’al-Nosra compte parmi les plus efficaces des forces combattant le gouvernement syrien.

Ce changement devrait s’accélérer une fois que le président élu Donald Trump sera entré en fonction. Trump a dit qu’il serait encore plus agressif qu’Obama dans la lutte contre ces militants, une position qui pourrait mener au renforcement de la campagne contre al-Nosra, possiblement en directe coopération avec Moscou. Le groupe s’est renommé Jabhat Fatah al-Sham – ou le Front pour la Conquête de la Syrie – et dit avoir rompu avec al-Qaïda, une affirmation réfutée par les autorités américaines.

Le président Obama arrive à la 71ème Assemblée Générale annuelle des Nations Unies à New York, le 20 Septembre 2016. (Peter Foley-Via Bloomberg)

Le président Obama arrive à la 71ème Assemblée Générale annuelle des Nations Unies à New York, le 20 Septembre 2016. (Peter Foley-Via Bloomberg)

Les États-Unis ont par le passé mené des frappes sporadiques contre les membres vétérans d’al-Qaïda qui ont migré vers le Nord-Ouest de la Syrie depuis l’Afghanistan et le Pakistan pour rejoindre al-Nosra, et que les autorités américaines soupçonnent de conspirer contre les États-Unis et leurs alliés.

Les nouveaux ordres d’Obama donnent au Joint Special Operations Command, ou JSOC, de l’armée américaine une autorité élargie et des ressources additionnelles pour collecter des renseignements afin de lutter contre l’ensemble des meneurs d’al-Nosra, et non juste les vétérans d’al-Qaïda parmi eux ou ceux directement impliqués dans des projets d’attaques à l’étranger.

La Maison-Blanche et le Département d’État ont mené au sein de l’administration Obama le mouvement en faveur d’une priorité accordée aux actions contre le groupe. Les dirigeants du Pentagone étaient dans un premier temps réticents à diminuer l’engagement dans le combat mené contre l’État Islamique.

Mais selon des assistants, Obama était de plus en plus frustré à l’idée que le Pentagone et le renseignement ne faisaient pas plus pour liquider les dirigeants d’al-Nosra étant donné les avertissements qu’il avait reçu de la part des plus haut responsable du contre-terrorisme au sujet du risque grandissant qu’ils posaient.

Dans le Rapport Quotidien au président, le rapport de renseignement produit par les services d’espionnages américain avec le plus haut niveau de confidentialité, Obama a été informé à de multiple reprises durant l’été que le groupe permettait aux dirigeants d’al-Qaïda au Pakistan et en Afghanistan de créer, dans le Nord-Ouest de la Syrie, le plus large sanctuaire du réseau depuis son éclatement après les attaques du 11 septembre 2001. Les fonctionnaires ont également averti Obama qu’al-Nosra pouvait essayer de remplir le vide que laisserait l’État Islamique, en perte de terrain.

Lisa Monaco, la conseillère à la Maison-Blanche d’Obama pour la sécurité intérieure et le contre-terrorisme, a déclaré que la décision d’Obama était de “donner la priorité à notre combat contre al-Qaïda en Syrie, y compris par le ciblage de leurs dirigeants et de leurs agents, qui sont pour certains des membres historiques d’al-Qaïda.”

“Il faut que nous expliquions clairement à toutes les parties en Syrie que nous n’autoriserons pas al-Qaïda à développer sa capacité à attaquer les États-Unis, nos alliés et nos intérêts,” a-t-elle indiqué dans une déclaration. “Nous allons continuer à agir pour ne laisser aucune zone de repli en Syrie à ces terroristes.”

Sur cette photo de 2013, qui a été authentifiée sur la base de son contenu et d'autres rapports de l'Associated Press, des rebelles de l'organisation affiliée à al-Qaïda, Jabhat al-Nosra, sont assis sur un camion chargé de munitions à la base aérienne de Taftanaz, qui a été capturée par les rebelles dans la province d'Idlib dans le Nord de la Syrie. (Edlib News Network/AP)

Sur cette photo de 2013, qui a été authentifiée sur la base de son contenu et d’autres rapports de l’Associated Press, des rebelles de l’organisation affiliée à al-Qaïda, Jabhat al-Nosra, sont assis sur un camion chargé de munitions à la base aérienne de Taftanaz, qui a été capturée par les rebelles dans la province d’Idlib dans le Nord de la Syrie. (Edlib News Network/AP)

Afin de soutenir l’expansion de la poussée contre al-Nosra, la Maison-Blanche a fait pression pour que le Pentagone déploie des drones armés supplémentaires et ses actifs en matière de renseignement au-dessus du Nord-Ouest de l’espace syrien, une zone peu couverte par les États-Unis jusqu’à présent en raison de sa proximité avec la flotte et des systèmes avancés de défense anti-aérienne russe.

L’administration amèrement divisée d’Obama a essayé au cours de l’été de négocier une entente avec Moscou sur une campagne aérienne commune contre al-Nosra en échange d’un engagement russe de retenir au sol les avions du gouvernement syrien et de permettre l’entrée à plus d’aide humanitaire dans les zones assiégées. Cependant les négociations se sont rompues de manière houleuse, Moscou accusant les États-Unis d’échouer à distinguer al-Nosra des groupes rebelles modérés et Washington accusant les Russes de crimes de guerre à Alep.

En septembre, les opérations contrôlées par le JSOC utilisant des drones armés se sont intensifiées d’après les responsables militaires.

Les frappes de drones dans le cadre de ce programme de l’armée américaine ont débuté en octobre et ont tué jusqu’ici au moins quatre cibles de haut rang, incluant le planificateur externe en chef d’al-Nosra. Le Pentagone a révélé deux frappes jusque-là. L’une des frappes les plus importantes, ciblant un rassemblement de leaders d’al-Nosra le 2 novembre n’a pas encore été divulguée, d’après un officiel, parlant sous couvert d’anonymat pour évoquer les opérations.

Jusqu’ici, ni la flotte russe ni son système de défense anti-aérien n’a interféré dans l’intensification des opérations américaines contre al-Nosra. Les officiels ont attribué le consentement de Moscou au nombre limité d’avions américains engagés dans les missions et à l’intérêt de la Russie à laisser Washington combattre l’un des ennemis les plus puissants au régime Assad au sein de l’insurrection. Les officiels américains ont prévenu les Russes des frappes visant al-Nosra pour éviter tout malentendu.

Les officiels ont dit que l’élargissement de la campagne contre al-Nosra était similaire à celle qu’Obama a dirigée contre des affiliés d’al-Qaïda au Yémen, Somalie et Pakistan.

Alors que la direction centrale d’al-Qaïda au Pakistan a été décimée, les États-Unis font maintenant face à plus de menaces impliquant plus de terroristes provenant de plus d’endroits que cela n’a été le cas depuis le 11-Septembre, a déclaré Nicolas J. Rasmussen, directeur du National Counterterrorism Center à un comité sénatorial en septembre.

La poussée dans la province d’Idlib et d’autres parties du Nord-Ouest syrien coïncide avec les offensives soutenues par le Pentagone dans et autour des bastions de l’État Islamique dans l’Est Syrien et Irakien, ces dernières ayant attiré la majorité des ressources de l’armée américaines et de l’attention du public.

Les officiels de la Maison-Blanche ont envisagé de lancer une campagne plus systématique pour détruire al-Nosra de haut en bas, rappelant l’approche du Pentagone vis-à-vis de l’État Islamique. Cette option a été repoussée car nécessitant trop de ressources. De nombreux combattants d’al-Nosra sont des Syriens qui ont rejoint le groupe à cause de son approvisionnement important en armes et en liquidité, ainsi qu’à son engagement à défaire Assad, pas pour conspirer contre l’Ouest.

Les officiels disent que les frappes visant les dirigeants étaient censées envoyer le message aux unités rebelles plus modérées, y compris celles soutenues par la CIA, de s’éloigner des affiliés d’al-Qaïda. A des moments critiques de cette guerre civile vieille de cinq ans, les rebelles modérés se sont battus côte-à-côte avec al-Nosra dans des opérations au sol contre les forces d’Assad. En fait, les responsables américains estiment que ces campagnes rebelles mirent tellement de pression sur le gouvernement Syrien que la Russie et l’Iran décidèrent de doubler leur engagement militaire en soutien à Assad.

Les officiels américains qui se sont opposés à la décision de poursuivre un plus large panel de dirigeants d’al-Nosra ont averti que les États-Unis feraient en fait les affaires du gouvernement Assad en affaiblissant un groupe en première ligne de la lutte contre le régime. Les frappes, ont averti les officiels, pourraient se retourner contre les États-Unis en renforçant l’image du groupe, les aidant à attirer plus de recrues et de ressources.

Des responsables soutenant le changement disaient que l’administration Obama ne pouvait tolérer plus longtemps ce que l’un d’eux décrivait comme “un pacte avec le diable”, par lequel les États-Unis ont largement cessé le feu contre al-Nosra car le groupe était populaire chez les Syriens des zones contrôlées par les rebelles et faisait avancer les objectifs des États-Unis de faire pression militairement sur Assad. La Russie avait accusé les États-Unis de protéger al-Nosra, une accusation répétée jeudi à Moscou par le Ministre des Affaires étrangères Sergei Lavrov.

“Le président ne veut pas que ce groupe soit ce dont héritera le pays si jamais Assad échoue,” a dit un responsable américain. “Cela ne peut être l’opposition viable en Syrie. C’est al-Qaïda.”

Des officiels disent que l’espoir de l’administration serait que des factions de rebelles plus modérées soient capables de gagner du terrain alors que l’État Islamique et al-Nosra se retrouvent sous une pression militaire accrue.

Un nombre grandissant de fonctionnaires de la Maison-Blanche et du Département d’État ont toutefois émis des doutes en privé sur la sagesse d’utiliser la puissance militaire américaine, même d’une manière dissimulée, pour faire pression sur Assad afin qu’il se retire, particulièrement depuis les interventions militaires russes en Syrie l’année dernière.

Les agents du renseignement américain disent qu’ils ne sont pas sûrs de ce que sera l’approche de Trump vis à vis des rebelles soutenus par les États-Unis une fois qu’on lui aura expliqué l’ampleur du programme secret de la CIA. Trump a largement exprimé son scepticisme quant à l’armement des rebelles Syrien par le passé, suggérant que les agences des services de renseignement n’en savent pas assez sur les intentions des rebelles pour choisir des alliés fiables.

Le Secrétaire à la Défense Ahston B. Carter ainsi que d’autres dirigeants du Pentagone ont initialement combattu l’idée d’affecter plus d’avions de surveillance et de drones armés du Pentagone à la lutte contre al-Nosra. Au cours des réunions tenues dans la Situation Room de la Maison-Blanche [salle spéciale dédiée à la gestion des situations de crise, NdT], Carter ainsi que d’autres hauts gradés du Pentagone ont défendu que les ressources militaires étaient nécessaires pour combattre l’État Islamique et qu’il serait difficile d’opérer dans l’espace aérien étant donné la présence militaire russe, rapporte un officiel.

Tandis qu’Obama, la conseillère à la Maison-Blanche en matière de sécurité nationale Susan E. Rice, le Secrétaire d’État John F. Kerry et l’envoyé spécial présidentiel Brett McGurk ont convenu avec Carter de la nécessité de rester concentré sur l’État Islamique, ils ont privilégié une ré-allocation des ressources afin d’essayer d’empêcher al-Nosra de devenir une plus grande menace par la suite.

Un haut représentant à la Défense a dit que d’avantage de drones étaient affectés à la mission du JSCOC. Carter a également expliqué clairement que l’objectif du Pentagone serait de frapper directement les dirigeants d’al-Nosra, et non pas d’essayer de séparer les rebelles modérés d’al-Nosra.

“Si nous nous réveillons dans cinq ans, et que l’État Islamique est mort mais qu’al-Qaïda en Syrie a l’équivalent (des zones tribales au Pakistan) dans le Nord-Ouest de la Syrie, alors nous aurons un problème,” a dit un autre responsable supérieur.

Source : The Washington Post, le 10/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/obama-ordonne-au-pentagone-de-viser-laffiliation-dal-qaida-en-syrie-une-des-plus-puissantes-forces-qui-combattent-assad/


Le patrimoine net des foyers blancs du District de Columbia est 81 fois supérieur à celui des foyers noirs, par Perry Stein

Friday 9 December 2016 at 01:20

Source : The Washington Post, le 02/11/2016

Par Perry Stein

(Bonnie Jo Mount/The Washington Post)

(Bonnie Jo Mount/The Washington Post)

Une nouvelle étude qui vise à explorer les disparités historiques de richesses entre les résidents Noirs et Blancs de la région du District de Columbia a montré que les ménages blancs ont un patrimoine net 81 fois plus élevé que celui des ménages noirs.

Il est dit dans le rapport de l’Urban Institute intitulé « The Color of Wealth in the Nation’s Capital » (La couleur de la richesse dans la capitale de la nation), que la Grande Récession et la crise du logement de 2007 à 2009 ont exacerbé des disparités déjà existantes, avec les foyers noirs et hispaniques perdant environ la moitié de leur richesse. En 2013 et 2014, les ménages blancs dans la zone du District de Columbia (D.C.) avaient un patrimoine net de 284 000 dollars alors que celui des ménages noirs était de 3500 dollars. Les Hispaniques avaient un patrimoine de 13 000 dollars. Le patrimoine net est la valeur des biens moins les dettes.

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Selon cette étude, les américains asiatiques de la région ont accumulé plus de patrimoine que les résidents blancs. Les indiens asiatiques, par exemple, avaient un patrimoine net de 573 000 dollars alors que ce chiffre s’est maintenu à 496 000 dollars pour ceux d’origine coréenne et 220 000 pour les résidents d’origine chinoise. Le City paper [Journal Municipal, NdT] a été le premier à publier ces résultats.

Mais c’est le manque de patrimoine net des résidents noirs locaux, et les raisons de cet écart, qui sont si désolants.

“La différence de patrimoine est stupéfiante,” a déclaré William Darity Jr., professeur à la Duke University, qui a collaboré à l’étude avec l’Urban Institute et la New School de New York. “Les résultats montrent que l’éducation ne comble pas l’écart racial de richesse. Cela est cohérent avec les résultats au niveau national, mais c’est beaucoup plus dramatique ici.”

Le rapport retrace les tendances historiques qui ont empêché les familles noires d’atteindre un certain niveau de richesse, dans la région et dans tout le pays, de l’esclavage au manque de maisons abordables. En 1840, par exemple, les lois interdisaient aux noirs de posséder une entreprise. Plus récemment, les expropriations et les décisions de construire des autoroutes à travers des quartiers historiquement noirs ont atteint gravement les biens individuels et communs, déclare le rapport.

Dans le District, la proportion de la population noire s’est accrue alors que les résidents blancs partaient s’installer en banlieue. Jusque dans les années 70, les résidents noirs constituaient 70% de la population du D.C. En 2015, alors que les blancs commençaient à revenir en ville, et les revenus à grimper, les résidents noirs constituaient encore 48% de la population. Les hispaniques comptaient pour 10,4%.

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Mais les barrières structurelles dans le logement et l’emploi ont affecté la mobilité des résidents noirs, selon le rapport.

“Les Noirs du district métropolitain de Washington sont situés en bas de l’échelle des richesses,” dit le rapport. “Il y a une tendance à attribuer la différence de richesse entre les origines ethniques, aux défauts des caractères individuels des personnes démunies. Ce rapport donne l’histoire complète des barrières structurelles dans les politiques locales et nationales, les décisions de la Cour Suprême, les programmes et pratiques qui ont généré de la richesse pour les familles blanches et empêché l’accumulation de biens pour les familles noires, ou même les ont ruinées.”

La majeure partie du patrimoine net des américains est liée à leurs maisons, selon le rapport, et la valeur immobilière typique des ménages noirs est de 250 000 dollars, soit environ les 2/3 de la valeur des ménages blancs.

En plus du patrimoine net, le rapport examine aussi le niveau d’endettement, les autres biens, la possession d’une voiture et le taux de chômage. Le rapport indique que 95% des ménages blancs possèdent une voiture, comparé à 78% des ménages noirs. Concernant l’endettement, 33% des ménages blancs ont un véhicule à crédit, contre 47,3% des ménages noirs.

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Dans le District de Columbia, un même pourcentage de résidents noirs et blancs possède une entreprise, autour de 9%.

“Ce résultat peut être expliqué par la présence d’un grand nombre de Noirs au sein du gouvernement fédéral et local, avec des politiques étudiées pour accroître les possibilités de contrats pour les entreprises appartenant aux minorités,” lit-on dans le rapport.

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Lisez le rapport complet ici.

Source : The Washington Post, le 02/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-patrimoine-net-des-foyers-blancs-du-district-de-columbia-est-81-fois-superieur-a-celui-des-foyers-noirs-par-perry-stein/


Paul Magnette à propos du CETA : “Il ne faut pas jouer avec les pieds des Wallons”

Thursday 8 December 2016 at 01:37

Source : RTBF, 02-12-2016

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Voir la vidéo

Le ministre-président wallon menace d’enterrer le traité commercial CETA si âprement négocié entre l’Union européenne et le Canada. La région wallonne s’était entendue avec le gouvernement fédéral pour qu’il consulte la Cour de Justice européenne sur la validité des tribunaux privés qui devraient régler les éventuels conflits, selon les termes même du CETA. Mais, manifestement, le fédéral n’est pas pressé.

Redoutant une manœuvre, Paul Magnette menace d’activer la clause de suspension du traité. ” Je ne cherche pas l’escalade. Je ne cherche pas à ce que l’on ravive le conflit sur le CETA. Nous avons trouvé un accord de bonne fois entre la Région et le gouvernement fédéral. Mais si ce dernier ne respecte pas les engagements qu’il a lui-même signés, alors- je suis désolé- mais on ne peut pas jouer avec les pieds des Wallons. 

Les Wallons n’ont fait aucune bourde

Devant les membres du Cercle de Wallonie ce jeudi midi, le ministre-Président est apparu très remonté, menaçant même. Dans ses propos, il a donc expressément demandé au gouvernement fédéral de demander l’avis de la Cour de Justice européenne.  “C’est hallucinant, on a négocié de bonne foi, tout était écrit noir sur blanc, y compris la demande d’avis à la Cour de Justice et le gouvernement fédéral le sait.

Sur l’idée selon laquelle les wallons auraient laissé passer une close lourde de conséquence, Paul Magnette est catégorique: “Les Wallons n’ont fait aucune bourde. Tout a été relu virgule par virgule, et la démarche devant la Cour de Justice devait être entreprise tout de suite, c’était parfaitement clair. Et aujourd’hui, il y a une volonté du Premier ministre de réveiller des querelles, de remettre de l’huile sur le feu.

La menace d’une suspension définitive du CETA

Paul Magnette ne laisse planer aucun doute sur sa détermination en cas de tergiversation: “Dans ce cas-là, nous activerons la clause de suspension. Je demanderai au parlement wallon de décréter une non-ratification définitive et permanente du CETA. Ce qui aura pour effet une suspension du traité pour les 28 Etats-membres. Quand je négocie de bonne foi, j’espère que les autres font de même. Je suis donc indigné de voir qu’aujourd’hui, on cherche à tordre les textes pour leur faire dire ce qu’ils ne disent pas. Il faut une lecture honnête des textes que chacun a signés et, comme le ministre Reynders s’y est engagé par écrit, et encore oralement hier avec moi, il faut entamer immédiatement la demande d’avis auprès de la Cours de Justice européenne”. 

Source : RTBF, 02-12-2016

Source: http://www.les-crises.fr/paul-magnette-a-propos-du-ceta-il-ne-faut-pas-jouer-avec-les-pieds-des-wallons/


Corbyn alerte sur un retour de la Guerre froide à moins que les frontières ne soient démilitarisées, par Joe Watts

Thursday 8 December 2016 at 01:15

Source : Independent, le 13/11/2016

L’OTAN a annoncé récemment qu’elle allait positionner des milliers de soldats supplémentaires en Europe de l’Est

Joe Watts | Lundi 14 novembre 2016

Jeremy Corbyn lors du Andrew Marr show

Jeremy Corbyn lors du Andrew Marr show

Jeremy Corbyn a attiré l’attention des leaders occidentaux sur la nécessité de démilitariser la frontière entre la Russie et l’Europe de l’Est, pour éviter une nouvelle Guerre froide.

Le leader syndical a précisé qu’il avait des critiques à faire à Vladimir Poutine, mais que l’Ouest devait s’assurer de ne pas amasser des troupes à la frontière russe.

Ceci intervient après que l’OTAN, sur laquelle M. Corbyn a été longtemps critique, ait annoncé un nouveau déploiement en Europe de l’Est à la suite de la tension croissante avec Moscou.

S’adressant au présentateur de la BBC, Andrew Marr, M. Corbyn a affirmé : “J’ai beaucoup, beaucoup de critiques envers Poutine, sur le non-respect des droits de l’Homme en Russie, sur la militarisation de la société. Mais je pense réellement qu’il doit y avoir un processus que nous devons tenter – démilitariser la frontière entre ce que sont les États actuels de l’OTAN et la Russie, afin de séparer ces forces et de les écarter pour ramener une sorte d’apaisement.

“Nous ne pouvons accepter une nouvelle Guerre froide.”

Jeremy Corbyn réagit à la victoire de Trump

En octobre, l’OTAN a révélé qu’elle s’apprêtait à positionner 4000 soldats à la frontière russe en accord avec les États de la Baltique, la plus importante concentration militaire depuis la Guerre froide. Les troupes seront placées sous la responsabilité des nations membres de l’Alliance, notamment le Royaume Uni.

Un responsable de l’OTAN a déclaré : “L’OTAN renforce la dissuasion et la défense à tous les niveaux et ceci constitue un effort continu. Nous prenons des décisions pour renforcer notre présence dans la partie Est de l’Alliance, notamment avec le déploiement de quatre bataillons dans les pays de la Baltique et la Pologne. Et notre fer de lance d’environ 5000 soldats est en haut degré d’alerte, pouvant se déployer très rapidement au sein de toute l’Alliance. Ceci est renforcé par la Response Force de l’OTAN comptant 40 000 soldats, et le personnel militaire des alliés de l’OTAN. Nos forces à l’Est s’entraîneront et collaboreront avec les forces de défense des pays concernés.

M. Corbyn a suggéré dans son entretien que l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, qui comprend la Russie, pourrait remplacer l’OTAN comme un forum pour résoudre les problèmes dans la région.

Durant la campagne électorale, M. Corbyn a suscité la controverse après avoir refusé de reconnaître l’article 5 de l’OTAN, qui oblige les pays à défendre les autres s’ils sont attaqués.

Source : Independent, le 13/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/corbyn-alerte-sur-un-retour-de-la-guerre-froide-a-moins-que-les-frontieres-ne-soient-demilitarisees-par-joe-watts/


Le boss de Wells Fargo’s mène le bal des faux-culs, par Dave Lindorff

Thursday 8 December 2016 at 00:59

Par Dave Lindorff – Le 22 septembre 2016 – Source CounterPunch

Hey, les Américains! Nous allons tous commencer à prendre la responsabilité de ce que nous faisons mal. Nous allons tous commencer à être responsables de nos actions ou de notre inaction.

John Stumpf, PDG de Wells Fargo Bank, l’une des plus grandes banques too big to faildu pays, nous montre le chemin dans ce nouveau monde radieux engagé.

Lorsque le gouvernement a découvert que Wells Fargo Bank avait, depuis 2011, trafiqué son bilan en ouvrant des millions de comptes de cartes de crédit au nom des clients de Wells Fargo, mais derrière leur dos, puis en prenant des frais sur ces comptes, et enfin en taxant, à leur insu, les titulaires des cartes, de frais et d’intérêts de retard pour non paiement des charges indues précédentes, il a infligé à la banque une amende de $185 millions. Mais il n’a pas inculpé les dirigeants de la banque cette fois-ci, alors qu’il l’avait fait précédemment pour le comportement criminel des plus grandes banques du pays – Citibank, Goldman Sachs, Morgan Stanley et JPMorgan Chase.

Mais bon, ce John Stumpf est un gars engagé. Il a dit aux médias et à la Commission sénatoriale permanente des banques qu’il prenait «l’entière responsabilité» pour la fraude gigantesque commise à l’encontre des clients de la troisième plus grosse banque du pays, et dit qu’il était «responsable» de la forte pression mise sur les commerciaux de bas niveau pour qu’ils vendent des produits bancaires – cette pression a conduit plus de 5 000 de ses employés à mettre en place les comptes frauduleux.

Mais voici le pompon : se lever  et dire : «Je prends l’entière responsabilité» et «Je suis responsable» est vraiment facile ! Vous ne devez pas réellement faire quoi que ce soit d’autre et rien ne vous arrive ! En fait, Stumpf, interrogé par une membre de la Commission sénatoriale des banques, Elizabeth Warren – sénatrice démocrate du Massachusetts – a admis qu’il avait gagné $19,3 millions l’an dernier, dont $4 millions de bonus pour avoir supervisé l’opération frauduleuse, cela dans une année où la banque et son conseil d’administration étaient bien conscients qu’une enquête était en cours pour la gigantesque escroquerie. «Prendre ses responsabilités» et être «responsable» n’a apparemment aucune implication réelle, comme, par exemple, démissionner de son poste lucratif de PDG, et encore moins quitter son entreprise. Cela ne semble même pas signifier une réduction de salaire. Joli travail, vraiment !

Mais ce n’est pas vrai pour les milliers d’employés qui ont ouvert les comptes frauduleux. Ils ont tous été virés par la banque, sans aucun doute à la demande de Stumpf. La fiche de paie a subi une ponction substantielle suite à leur comportement criminel, ce que l’on peut qualifier d’une sorte de «prise de responsabilité» pour ce qu’ils ont fait, même s’ils ne l’ont pas fait volontairement.

Mais Stumpf ? Alors qu’il avait clairement détourné les yeux de l’escroquerie pendant cinq ans, jusqu’à ce que les autorités fédérales aient eu vent de celle-ci, et une fois que la fraude fut devenue de notoriété publique, il se leva et dit qu’il «assumait la responsabilité»pour ce qui est arrivé. Non seulement cela. Il a aussi dit qu’il était «responsable» de la fraude. Quel homme !

Cela me fait penser que nous devrions tous commencer à faire ça. Le pays se porterait tellement mieux, si nous étions tous des gens engagés comme Stumpf.

Alors, la prochaine fois que vous êtes arrêté pour excès de vitesse, ne discutez pas avec le flic qui vous est tombé dessus. Il suffit de dire : «Monsieur l’agent, vous avez raison. J’ai commis un excès de vitesse, et je prends l’entière responsabilité. Je serai responsable de mon mauvais comportement sur la route.» Ensuite, remerciez-le et démarrez. Vous avez fait la bonne chose. Sans doute le flic va juste retourner dans sa voiture et chercher d’autres conducteurs imprudents, impressionné par votre volonté de prendre votre responsabilité.

Même chose si vous avez une vérification fiscale de l’IRS et qu’ils vous disent que vous avez sous-estimé votre revenu et réclamé des déductions indues, que vous devez donc au département du Trésor $20 000 en arriéré d’impôts, pénalités et intérêts. Remerciez-les d’avoir pris la peine de vous vérifier et de corriger vos erreurs, dites-leur que vous prenez l’entière responsabilité de celles-ci, assurez-les que vous êtes responsable, puis raccrochez le téléphone. Vous avez fait votre devoir civique. Vous vous êtes engagé et avez pris votre leçon. Vous êtes un citoyen responsable, et vous ne serez sûrement pas dérangé à nouveau par l’IRS.

Les criminels violents pourraient faire la même chose. Disons que vous avez tué un employé de magasin, lors d’une tentative ratée de voler la caisse. Lorsque vous êtes devant le tribunal, ne plaidez pas innocent, prenez tout de façon insouciante et exigez un procès devant un jury. Vous savez que vous l’avez fait. Je ne dis pas que vous devez plaider coupable. John Stumpf n’a pas fait cela, après tout. Juste comme Stumpf, dites au magistrat lors de votre mise en accusation : «Votre honneur, je prends toute la responsabilité pour cette assassinat. Je suis responsable.» Vous pouvez même dire que vous suivez l’exemple du célèbre banquier John Stumpf. Alors attendez-vous, comme Stumpf, à être autorisé à poursuivre votre chemin en continuant votre vie de criminel. Quel juge de bon sens pourrait être en désaccord ?

Si John Stumpf peut gérer une banque qui n’est rien d’autre qu’un syndicat criminel et ensuite se lever, prendre la responsabilité, et continuer ses escroqueries sans avoir à payer même une amende, pourquoi ne devrions-nous pas tous être en mesure de faire la même chose chose, quand nous sortons des clous et sommes pincés à faire quelque chose d’illégal ou de vil ?

D’autres banques ont fait à peu près la même chose, donc on ne peut pas dire que c’est une idée nouvelle. Rien que l’an dernier, le ministère de la Justice a chargé cinq autres grandes banques, Citibank, JPMorgan Chase, Barclays PLC, Royal Bank of Scotland et UBS, avec le crime de fraude pour avoir manipulé illégalement les marchés monétaires internationaux – apparemment, Wells Fargo était trop occupé à frauder ses propres clients pour participer à la fête. Les cinq banques ont plaidé coupable, et payé collectivement $2 milliards d’amendes. Mais, alors que les principaux dirigeants ont tous «pris leur responsabilité» pour les crimes de leurs institutions, ils n’ont personnellement pas payé d’amendes ou fait de la prison, ni même perdu leur emploi. En fait, après que sa banque, en mai 2015, a plaidé coupable pour alléger sa peine – rappelez-vous que les sociétés sont aussi des gens – le PDG de JPMorgan Chase et le président Jamie Dimon ont obtenu une augmentation de $7 millions pour l’année par le conseil d’administration qu’ils président, augmentant leur salaire de 35% jusqu’à $27 millions, par rapport à $20 millions en 2014. Oh, attendez ! Dimon n’a jamais pris de responsabilité pour le comportement criminel de la banque. Il a reporté tout cela sur un lampiste. Tant pis.

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Peut-être que ce dont nous avons vraiment besoin est l’ancien système traditionnel japonais, où la conséquence de la prise de responsabilitéd’une fraude d’entreprise consistait à enfoncer un poignard de samouraï dans son intestin en le tournant un peu. Ils pourraient même en distribuer aux nouveaux diplômés de MBA.

Dave Lindorff est membre fondateur de ThisCantBeHappening!, un journal en ligne collectif, il a contribué aussi à Hopeless: Barack Obama and the Politics of Illusion (AK Press).

Source: http://www.les-crises.fr/le-boss-de-wells-fargos-mene-le-bal-des-faux-culs-par-dave-lindorff/


Le point de bascule : analyse de la victoire de François Fillon, par Philippe Leroy

Thursday 8 December 2016 at 00:45

Source : Philippe Leroy, 01-12-2016

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Les primaires de la droite ont mis en évidence un phénomène électoral jusqu’ici rarement perçu lors des précédentes consultations politiques : celui du basculement très rapide d’une masse conséquente d’électeurs vers un candidat au détriment du ou des favoris.

Nous allons analyser ce mouvement à l’aune de la théorie du point de bascule énoncée par Malcom Gladwell (The Tipping Point: How Little Things Can Make a Big Difference).

Cette élection présente un caractère très particulier qui a contribué à accroître l’intensité et la rapidité de ce phénomène. Nous verrons ensuite combien la position dominante acquise à ce jour par François Fillon est nettement plus fragile que ne le laisse transparaître la série triomphante des sondages qui ont suivi sa victoire.

Le point de bascule est une théorie d’analyse de la dynamique d’influence au sein d’un groupe d’individus. Elle analyse l’intensité de diffusion d’une idée ou d’un message en fonction de trois composantes :

  1. Les déclencheurs. Ce sont des personnes d’influence qui vont accélérer la diffusion de l’idée. Ces influenceurs se divisent en trois catégories, les « connecteurs » (ceux qui maîtrisent les bons réseaux), les « mavens » (ceux qui maîtrisent l’information), « les vendeurs » (ceux qui savent convaincre).

    Les deux premiers sont nécessaires pour produire un contenu cohérent support de l’adhésion. Les derniers, les vendeurs, sont fondamentaux pour assurer la propagation d’une idée. Nous verrons que François Fillon a bénéficié, presque malgré lui, de redoutables vendeurs d’une idée qui n’était pas celle portées par les connecteurs et mavens …

  2. Le contexte. La profondeur et la rapidité de diffusion d’une idée dépend de l’évolution de l’humeur et de l’opinion des personnes concernées par celle-ci. Il suffit d’un retournement ou d’une inflexion de cette humeur, pour que l’adhérence à une idée, un concept ou une image s’effectue. Cette adhérence peut être très rapide si un ou des événements déclencheurs marquants cristallisent cette évolution.

  3. L’adhérence. Pour emporter l’adhésion, l’idée ne doit pas nécessairement être bonne, elle doit marquer les esprits, s’installer peu à peu comme une évidence, comme une solution à un problème, parfois indépendamment du contenu réel du vecteur qui porte l’idée. Si le problème apparaît très conséquent, l’adhérence peut avoir lieu, alors même que les conséquences anticipables de la victoire du vecteur qui porte l’idée sont partiellement négatives pour celui qui va y adhérer. Nous verrons combien ce cas d’adhérence à priori paradoxal a fortement joué en faveur de François Fillon (comme il l’a sans doute également fait pour Donald Trump aux USA).

Un candidat austère, un programme profondément clivant

François Fillon n’avait pas au départ les meilleurs cartes en main pour gagner la primaire. De nature austère, peu adepte des envolées lyriques, il n’est pas l’homme politique le plus empathique, ni celui à même d’emporter l’adhésion des foules lors des meetings.

De plus, l’ancien candidat à la présidence de l’UMP a longtemps pâti des séquelles désastreuses de sa confrontation avec Jean-François Coppé.

Les premiers mois de sa longue campagne ont été plus que difficiles. Longtemps, il a stagné à la troisième place, largement distancé par le duo de tête, au positionnement personnel très différencié (bien plus que leurs programmes), et menacé par le trublion Le Maire qui promettait le renouveau du haut de sa jeunesse relative et de son programme de 1000 pages.

Déjà fortement marquées lors de son passage à Matignon, les positions libérales et ‘austéritaires’ de François Fillon se sont accentuées dans ses discours et ses écrits de campagne. Sa préférence pour le capital contre le travail socialement organisé (suppression de l’ISF, allégement considérable et immédiate des charges sociales pour les employeurs, diminution de l’impôt sur les sociétés, encouragement à l’auto entreprenariat, fin des 35 heures, des emplois aidés etc.), sa volonté de « fluidification » intense du marché du travail (modalités de licenciement facilitées, plafonnement des allocations chômage, etc.), sa préférence pour l’assurance privée individuelle versus la solidarité sociale nationale (assurance publique universelle portant uniquement sur les affections graves ou de longue durée) et sa vision du rôle de l’Etat essentiellement régalien (suppression de 500000 fonctionnaires intégrant une forte augmentation des effectifs de policiers, importante création de places de prison etc.) en faisait dès le départ, un candidat clivant.

A cette dimension thatchérienne assumée, son programme ajoute un conservatisme social important, une vision de la France basée sur la valorisation de l’identité chrétienne dont la promotion devient un crédo d’importance (défense des chrétiens d’Orient, souhait de réécriture des livres d’histoire etc.).

La dernière partie de campagne va être particulièrement orientée sur ces dimensions, communication parfaitement orchestrée avec la sortie du deuxième livre du candidat, «Vaincre le terrorisme islamique » qui succède à « Faire », paru en 2015, plus porté sur la transformation économique.

Un noyau de fidèles très complémentaires

La force de ce programme tient dans sa cohérence avec la composition de l’équipe rapprochée de Fillon et sa capacité à mobiliser des réseaux pour sa production et sa diffusion.

Economiquement, Fillon s’est appuyé principalement sur deux hommes aux carnets d’adresses conséquents. François Bouvard, ancien directeur général de McKinsey et Pierre Danon qui dirigea British Telecom, Capgemini puis Numéricâble. Ce dernier permet au candidat de rencontrer des dizaines de grands patrons et ainsi d’étoffer son programme en lui donnant sa marque particulièrement droitière. C’est lui également qui redessine les modalités de campagne du candidat, notamment sur les réseaux sociaux. Naissent alors des supports WEB didactiques, centrés sur des cibles marketing (Femmes avec Fillon, Professionnels de santé avec Fillon etc.).

Ce réseau idéologiquement structuré va toutefois accroître l’ancrage socialement très homogène de la campagne de Fillon, comme l’illustre la photo ci-dessous, entête du site les Femmes avec Fillon. L’uniformité de la classe sociale, de la classe d’âge et de l’origine culturelle des supportrices du candidat est ici particulièrement marquée.

Source : https://www.fillon2017.fr/femmes-avec-fillon/

Source : https://www.fillon2017.fr/femmes-avec-fillon/

Culturellement, l’apport de Bruneau Retailleau, chef de file des républicains au Sénat, est déterminant. Ce dernier, ancien bras droit de Philippe de Villiers, est un catholique pratiquant qui possède des réseaux conséquents dans les milieux très conservateurs.

Enfin, au cœur de la galaxie Fillon, Patrick Stefanini, directeur de campagne, est un communiquant alchimiste de talent. Il a dirigé la campagne de Valérie Pécresse, lui permettant d’accéder à la tête de l’Ile-de-France en 2015. L’homme est proche d’Alain Juppé et dispose d’un carnet de contacts très étoffé, en politique, dans les agences de communication etc.

François Fillon a eu l’intelligence de s’entourer d’une équipe redoutable de « connecteurs » et de « mavens ». Par contre, les « vendeurs » ne sont pas au rendez-vous. Cela ne tient pas aux compétences avérées de son directeur de campagne, mais au produit à vendre.

Il faudra le renforcement d’un contexte bien marqué pour faire adhérer à l’image de François Fillon, une idée nouvelle, sans rapport direct avec le contenu réel de son programme.

Le contexte : les erreurs tactiques de Sarkozy et de Juppé

La qualité et l’enthousiasme de l’équipe de François Fillon ne suffisent pas. La campagne ne prend pas. Malgré la rugosité de son programme économique, celui-ci ne se différentie pas nettement de ceux des principaux candidats, tous marqués par une orthodoxie libérale très forte.

Alain Juppé, malgré son programme également très droitier, joue la carte du rassembleur, du Père de la Nation qui vise à la réconciliation, à l’identité heureuse, avec une vaste alliance de la droite et du centre. La tactique de Juppé, inspirée de la France unie de François Mitterrand, semble fonctionner à merveille pendant des mois. Elle ressort pourtant d’une erreur de positionnement et d’un effet d’optique.

Grisés par des sondages stratosphériques, Juppé a opté pour un slogan de campagne présidentielle de second tour, visant au rassemblement le plus consensuel possible.

La France de 2016 n’est pas celle de 1988. Les attentats, l’affaire du Burkini et la rixe sur la plage de Sisco en Corse ont fortement marqué le débat sur l’identité. Accoler les deux termes dans un slogan, sans promouvoir de politique nette de transformation sociale lui donnant une substance réelle, ne constituait au mieux qu’un affichage marketing sans grand effet et au pire un angle d’attaque dont ne s’est pas privé Nicolas Sarkozy.

La primaire est un exercice terriblement partisan qui privilégie les options tranchées et affirmées. La popularité instantanée dont jouissait Alain Juppé ne provenait pas de la puissance de son message ou de l’adhésion à son programme mais de la personnalité repoussoir de son principal challenger. Cette erreur de positionnement et l’effet d’optique allaient être fatals à Alain Juppé.

Compte tenu des menaces judiciaires qui pesaient sur lui et de son passif d’ancien chef de l’Etat, la tactique de Nicolas Sarkozy ne pouvait être que celle de la surenchère qui correspond d’ailleurs parfaitement à son caractère.

Le tonitruant candidat a occupé tout l’espace médiatique, avec une succession de saillies qui visaient à monopoliser le débat autour de ses propositions ou de ses sorties.

Cette surenchère particulièrement marquée sur les questions sociales et identitaires avait pour vocation de créer le clivage, de faire adhérer autour de l’ancien chef de l’Etat la partie la plus droitière de l’électorat pour faire pièce aux centristes et aux supposés électeurs de gauche votant pour Alain Juppé.

Cette tactique et notamment l’ultime polémique autour du soutien de François Bayrou ont contribué à « gauchiser » le positionnement perçu d’Alain Juppé, fragilisant ainsi le candidat favori des sondages. Elle a surtout renforcé l’effet repoussoir du candidat Sarkozy créant de facto une possibilité d’adhérence pour un candidat alternatif.

Les déclencheurs et l’effet d’adhérence : l’effet cumulatif des deux premiers débats

La dimension extraordinaire de la chevauchée fantastique de François Fillon vers la victoire tient au fait que les principaux déclencheurs de l’effet de basculement sont ses propres adversaires. François Fillon ne disposait pas de vendeurs performants dans son équipe. Il n’a pas eu besoin d’en trouver. Ces principaux concurrents ont fait pour lui, à leurs frais, la promotion d’une nouvelle idée accolée à l’ancien premier ministre, celui de l’ultime recours, symbolique particulièrement forte dans l’imaginaire des partis de droite.

Le premier débat : l’émergence de l’idée

Le premier débat de la primaire eu lieu le 13 octobre 2016. Dans sa posture de puncheur victimaire, Nicolas Sarkozy reçoit et distribue les coups. Alain Juppé contemple ses adversaires en demeurant le plus lisse et consensuel possible. François Fillon, quant à lui, détaille sur un ton calme et ferme son programme ultra libéral et conservateur. Il adopte un ton professoral et recadre les candidats sur leur programme ou la légèreté de leurs erreurs de chiffrage.

En conclusion du débat, les principaux candidats challengers (Fillon et NKM notamment) insistent sur la dictature des sondages qui prive les électeurs de leur choix et demande à la majorité silencieuse de sortir de chez elle pour voter le 20 novembre. «Vous avez la possibilité de prendre le pouvoir, alors prenez-le ! » conclue François Fillon.

Fillon a joué une corde sensible qui va se révéler gagnante : celle du complot des sondages.

Cette antienne est reprise par presque tous les candidats, à l’exception évidente d’Alain Juppé. Nicolas Sarkozy en fait même un élément majeur de campagne contre son principal adversaire, au lendemain de la victoire de Donald Trump. Malheureusement pour lui, cet argumentaire ressortait d’une erreur tactique fatale. La présidentielle américaine est une élection à un tour. Elle consiste pour le challenger à battre le prétendant le mieux placé. Cet argument prôné par un des deux favoris des sondages d’une primaire qui doit qualifier deux candidats était non seulement contradictoire mais porteur de l’idée fatale que l’inéluctabilité de la confrontation Juppé / Sarkozy n’avait pas de raison d’être.

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Sarkozy s’est trouvé être un des principaux déclencheurs de la montée en puissance de son ancien premier ministre.

Dès la fin du mois d’octobre, la côte de François Fillon progresse autour de 13 %. Elle se situe toutefois encore très loin de celle de Juppé (environ 35 à 40 %) et de Nicolas Sarkozy (environ 25 à 30%).

Ce frémissement indique clairement que les sondés considèrent que Fillon peut incarner une alternative au duo annoncé, position que lui conteste encore Bruno Le Maire qui demeure au contact (environ 10%).

Le second débat : l’encrage définitif de l’idée

Le second débat du 3 novembre 2016 va changer la donne, pour deux raisons.

La première est celle de l’effet cumulatif qui va permettre à l’idée « renverser la table des sondages », prônée par tous les challengers de Juppé de s’incarner dans la candidature de Fillon.

Lors de ce débat, Juppé et Sarkozy adoptent la même posture que précédemment.

Placé physiquement au centre des débatteurs, Sarkozy a été la cible des attaques de tous et de chacun illustrant combien un rassemblement de la droite sur son nom apparaissait improbable. Il est l’homme clivant qui cristallise l’idée du recours contre lui.

Juppé a continué de vanter l’identité heureuse et l’alliance avec le centre, toutes deux bien éloignées de l’intensité partisane qui anima la campagne de primaire très marquée à droite. Dans une réponse à une apostrophe de Sarkozy, il fait même involontairement le parallèle entre son alliance avec Bayrou et le recrutement de personnalités de gauche par Nicolas Sarkozy en 2007.

Juppé commet là une faute politique qu’il ne pourra jamais rattraper. Incapable de corriger une image perçue comme trop recentrée, sa situation va rapidement se dégrader une fois la véritable raison d’être de sa popularité, celle d’être le recours contre Sarkozy, battue en brèche par Fillon.

La seconde raison qui va propulser François Fillon est l’effondrement de Bruno Le Maire sous l’effet de ses propres imprécisions et de son incapacité à répondre aux attaques des autres challengers. Le second débat a cruellement montré la dimension marketing du candidat du « renouveau » qui n’avait que cela à proposer, alors même qu’il fut ministre pendant de longues années.

Fillon de son côté est apparu « au-dessus de la mêlée » attaquant peu les deux favoris, tançant les journalistes afin d’apparaître subtilement en homme libre de toute accointance avec l’élite médiatique et s’adressant au peuple de droite sur leurs thèmes les plus identitaires.

Dès lors, l’adhérence devient fulgurante et tous ceux qui prévoyaient de voter par défaut, contre l’un ou l’autre des favoris déclarés, rejoignent le camp du Sarthois.

Une fois la mécanique enclenchée, plus rien ne pourra l’enrayer.

Le mirage Fillon

L’incroyable scénario des primaires, déjouant des mois de prédictions constantes, n’a pas conduit les sondeurs à une plus grande prudence. François Fillon est crédité de la même victoire facile que celle constamment annoncée pour Juppé, avant le premier tour. Les sondeurs devraient avoir la modestie de regarder leurs propres prévisions suite à la victoire de François Hollande à la primaire socialiste de 2011. Victoire tout autant improbable, consécutive au vaudeville Strauss Kahn. Dans les premiers sondages post primaire, François Hollande planait à 38 % au 1er tour et à 62 % au second.

Tous les ingrédients sont réunis pour que le triomphe annoncé de Fillon ne se réalise pas ou pas aussi facilement qu’attendu.

François Fillon a été magistralement élu, grâce à l’adhérence sur sa personne d’une idée en grande partie indépendante de la réalité de son programme. En effet, les programmes étaient trop proches pour qu’une telle remontée s’explique par leurs différences relatives.

Fillon se trouve paradoxalement dans la même situation que celle initialement occupée par Juppé. Il est ancré dans un positionnement politique marqué qui lui laisse peu de possibilités de se replacer. Indépendamment du contenu réel de ses propositions, Alain Juppé n’a jamais pu se départir de son positionnement perçu comme trop favorable à la gauche et perméable au danger islamique. Il a incarné, par défaut et malgré lui, l’image de François Hollande, l’autre maudit de la politique française.

Fillon aura beaucoup de mal à endosser le rôle de rassembleur qui est celui qui permet la victoire au second tour. Son électorat est très marqué. Il est en moyenne masculin, urbain, âgé et provenant des classes supérieures. C’est l’association des petits patrons et de la France traditionnelle inquiète de la transformation culturelle du pays.  Bien qu’il s’en défende et que cela ne soit pas la raison principale de sa victoire, il est le candidat du patronat, des classes supérieures aisées.

Pour peu que ses concurrents soient un peu habiles, il pourrait facilement incarner un rejet, sur lequel une adhérence pourrait se former.

François Fillon a rassemblé presque 3 millions de voix sur son nom, ce qui représente 7,8 % des votants (y compris blancs et nuls) à l’élection présidentielle de 2012.

Son programme et sa vision de la transformation économique sont très éloignés des attentes de la majorité des français qui ne rêvent pas tous les matins d’une purge libérale. Son adhérence ponctuelle à la nécessité impérieuse de faire barrage à Nicolas Sarkozy ne lui sera plus d’aucun secours. Il peut certes espérer être le réceptacle de la volonté de sanctionner le quinquennat de François Hollande, surtout si son premier ministre se présente à l’élection. Toutefois, tous les candidats, de Mélenchon à Le Pen, peuvent tout autant espérer incarner cette adhérence.

Son positionnement très marqué et son image autoritaire réaffirmée par les débats lui offrent une emprise sur le FN. Il concurrence directement le parti de Marine Le Pen sur l’électorat conservateur du Sud Est qui a voté très largement pour lui aux deux tours de la primaire. Toutefois, le FN possède un avantage qui fait défaut à François Fillon : celui d’être un Janus au double visage, l’un tourné vers les classes populaires de la France Périphérique décrites par Christophe Guilluy, en recherche de sécurité sociale, l’autre vers la France conservatrice, inquiète d’une identité perdue. A ce jour, Marine Le Pen a réussi l’exploit de conserver et renforcer ce mélange d’électorats. Une des clés du prochain scrutin tiendra dans cette capacité à maintenir la cohérence de cet assemblage. Si les électeurs de Marion Maréchal Le Pen qui ont voté pour lui lors de cette primaire préfèrent Marine plutôt que François en mai 2017, la base électorale du candidat Les Républicains en sera encore plus réduite.

Désormais au centre des attentions, le programme de François Fillon fait l’objet de toutes les critiques, les plus virulentes provenant de la périphérie de son propre camp, la gauche restant à ce jour inaudible, engluée dans la palinodie de ce quinquennat raté.

Henry Guaino, Nicholas Dupont-Aignan et François Bayrou n’ont aucun mal à mettre en avant les dimensions destructrices du lien social qu’emporte le programme libéral de François Fillon. Sa posture nationaliste est également facilement critiquée, compte tenu de son adhésion sans grande réserve à l’édifice européen actuel.

La deuxième clé du scrutin portera sur la capacité pour la gauche d’avoir un candidat qui ne soit pas un repoussoir. La candidature de Manuel Valls pourrait engendrer cet effet qui cherchera un support pour s’incarner. Mais cela ne sera sans doute pas le seul. Le tissu citoyen est en effet parcouru d’angoisses et de fractures qui constituent un contexte propice à l’émergence d’un « moment », d’une cristallisation qui pourrait profiter à Mélenchon, à Le Pen ou à un troisième homme (ou femme) capable de synthétiser un espoir pour un vaste ensemble de classes sociales distinctes ou d’incarner un recours contre une éventualité perçue négativement.

Il est probable que le premier tout de la présidentielle soit nettement plus disputé que ne le prévoit les sondages actuels.  Compte tenu de son programme très clivant, de sa personnalité, de ses soutiens, Fillon symbolise plus l’incroyable tendance à la fragmentation de la société française qu’une promesse d’union et de réconciliation. Dans une élection classique, sa candidature est trop marquée pour emporter l’adhésion majoritaire.

Son éventuelle victoire tiendrait plus à sa capacité d’adhérence à une idée particulière, tellement forte qu’elle transcenderait les clivages et gommerait les autres dimensions.  Par exemple, celle de la volonté de préserver une identité culturelle majoritaire, vue comme bafouée par les pouvoirs en place et fragilisée par la vague migratoire. Dans ce cas, sa personnalité et son parcours lui permettraient sans doute de paraître plus crédible que Marine Le Pen.

A moins, bien évidemment, que l’élection ne se fasse encore une fois par défaut, contre la gauche d’abord, pour sanctionner un quinquennat catastrophique,  puis le FN ensuite, au nom du front “républicain” et avec une abstention massive. Avec toutes les conséquences qu’une telle élection entraînerait alors pour la France.

Source : Philippe Leroy, 01-12-2016

Source: http://www.les-crises.fr/le-point-de-bascule-analyse-de-la-victoire-de-francois-fillon-par-philippe-leroy/


François Fillon, un conservateur du 19e siècle, par Romaric Godin

Wednesday 7 December 2016 at 01:45

Source : La Tribune, Romaric Godin, 28/11/2016

François Fillon, candidat conservateur pour 2017. (Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)

François Fillon, candidat conservateur pour 2017. (Crédits : CHRISTIAN HARTMANN)

Le candidat de la droite et du centre promet aux classes moyennes le retour à l’âge d’or de la bourgeoisie française, celui d’avant 1914. Un positionnement qui répond au malaise de la société française.

Conservateur ? Ultralibéral ? Réactionnaire ? Modéré ? Gaulliste ? Thatchérien ? François Fillon, désormais candidat de la droite et du centre à l’élection présidentielle de 2017, a été cuisiné à toutes les sauces. Laquelle est la plus juste ? Au-delà des étiquettes, il peut être utile de revenir aux inspirations du nouveau chef de file de la droite et à sa tradition historique. Et pour cela, il convient évidemment de revenir au programme qui lui a permis, à la surprise générale, d’emporter deux tiers des voix lors de la primaire.

La réaction est désordre

Pour comprendre d’où vient François Fillon, il faut examiner ses positions sur la société française. Sur ce plan, on l’a souvent décrit comme un « réactionnaire ». C’est, en réalité, inexact. Certes, le nouveau candidat propose un retour sur quelques points de la loi Taubira, mais ce retour est partiel et ne porte que sur une loi récente. Pour le reste, il n’y a pas de remise en cause des évolutions de la société depuis la fin des années 1960. « S’il est bien entendu indispensable de défendre les valeurs familiales qui fondent notre société, il est aussi nécessaire de prendre en comptes ses évolutions », explique le projet de François Fillon qui, par ailleurs, consacre un chapitre aux droits des femmes et au renforcement de la lutte contre le « sexisme ». Un authentique réactionnaire chercherait non seulement à revenir sur la loi Taubira, mais également sur tout l’héritage de « mai 68 » en favorisant le retrait des femmes de la vie active ou en revenant sur le droit à l’avortement, par exemple. Rien ne dit que ce ne soit pas les convictions profondes de François Fillon, mais ce n’est pas son programme.

Pourquoi ? Parce que le Conservateur ne désire rien tant que l’ordre. Et la réaction est un désordre, c’est une révolution qui veut un retour vers le passé, qui trouble la société. Aussi est-elle rejetée par les Conservateurs qui, eux, sont obsédés par la stabilité. Un Conservateur veut stopper les évolutions pour conserver les acquis actuels. La réaction lui fait en réalité autant peur que le socialisme. Dans les deux cas, la société est malmenée et l’ordre social troublé. François Fillon s’inscrit dans la lignée de la pensée conservatrice française du 19e siècle incarné par un François Guizot. Ce dernier a ainsi lutté ouvertement contre la réaction aristocratique de Charles X, puis, il s’est efforcé de maintenir la société dans l’état qui était celle de la révolution de 1830 : celle qui assurait le triomphe d’une bourgeoisie possédante à la fois contre les masses et contre les Nobles. Le Conservateur entend donc maintenir l’état de fait social pour assurer la stabilité. C’est ce qui avait conduit, par exemple, Adolphe Thiers, longtemps monarchiste, à se rallier après 1871 à la République. Non par conviction, mais parce que c’était le seul état politique qui assurait la stabilité sociale. D’où son mot célèbre d’alors : « La République sera conservatrice ou ne sera pas ». Il s’agit bien, comme le précise le projet de François Fillon, « de prendre en compte les évolutions » de la société tout en les contenant dans ses limites actuelles.

Eviter la faillite

Cet héritage de la pensée conservatrice du 19e siècle semble l’inspiration première de François Fillon, y compris en matière économique. Là aussi, la stabilité est la priorité : c’est le sens de l’emploi de ce mot de « faillite de l’Etat » prononcée par celui qui était premier ministre en 2007 et qui est repris tel quel dans le projet présidentiel dix ans plus tard. La « faillite de l’Etat » est la grande peur de la classe moyenne française. Ce mode de gestion de l’Etat, utilisé régulièrement par l’Ancien régime, a ruiné des milliers de Bourgeois français, et la Révolution française est d’abord une révolte contre cette gestion. Ce sont les rumeurs de faillite qui décidèrent le Tiers Etat à soulever le peuple les 13 et 14 juillet 1789. On l’oublie souvent à notre époque, où la France est caricaturée en « enfer socialiste à l’Etat démesuré », mais notre pays a longtemps été gouverné sur deux principes simples : le refus de la faillite de l’Etat et la stabilité monétaire. Jusqu’en 1914, la France était un pays à la croissance assez médiocre, mais où les classes moyennes étaient formidablement enrichies par leurs investissements dans les fonds publics et par la monnaie forte. C’était l’âge d’or de la bourgeoisie française, celui où elle pouvait utiliser ses capitaux dans le monde entier pour « la grandeur » du pays. Et, après le choc de la première guerre mondiale, c’est sur un retour à cet âge d’or que Raymond Poincaré en 1926 est revenu au pouvoir. Par l’équilibre des finances publiques et par la monnaie forte, la France devait retrouver sa place dans le concert des Nations après l’humiliation des attaques contre le Franc des années 1920-24.

On retrouve parfaitement cette idée dans le programme de François Fillon. La seule véritable politique publique que propose le nouveau candidat de la droite et du centre, c’est la réduction des déficits. Une fois cette politique réalisée, la France, à son sens, retrouvera sa puissance passée. L’idée que la « gabegie » de l’Etat est la source de l’effondrement de l’influence française est celle qui a présidé au sein de la bourgeoisie française pendant plus de 150 ans. Il en est de même de la monnaie forte, et c’est ce qui explique la conversion de François Fillon, ancien “séguiniste” opposé à Maastricht, à l’euro. La monnaie unique assure, selon l’ancien premier ministre, bien mieux que le franc, la stabilité et la puissance. On est frappé de constater cette obsession qui traverse le projet de François Fillon de faire de l’euro une « monnaie de réserve » à l’égal du dollar. Il y a là le rêve d’un retour à une forme d’étalon-or, une monnaie si stable et si puissante qu’elle assure à l’épargne une valeur permanente. Or, la classe moyenne n’a qu’un désir : disposer d’une épargne sûre et forte. Le programme de François Fillon reprend donc là encore le vieux rêve conservateur du 19e siècle.

Un Etat réduit sur le plan économique

Sur le plan économique, on est frappé par les critiques qui viennent tant de la gauche (ceci n’est guère étonnant) qui voit dans le programme de François Fillon un « ultralibéral » que des rangs libéraux qui, à l’image de l’économiste Jean-Marc Daniel, y voit un programme non pas « libéral, mais patronal ». On peut comprendre cet apparent paradoxe en revenant encore à cet « âge d’or » bourgeois que constitue le 19e siècle français. Jusqu’en 1914, la France dispose d’un Etat peu présent dans l’économie. Lorsqu’il s’y implique, c’est pour réduire les abus les plus apparents qui gênent les sentiments chrétiens comme le travail des enfants, interdit en 1841 en dessous de 8 ans, ou pour distribuer des avantages aux grands capitalistes, comme dans le cas de la gestion des chemins de fer par la loi de 1842, où l’Etat ne ménage pas les cadeaux aux sociétés privées. Le projet de François Fillon entend réduire le rôle de l’Etat dans l’économie, à la fois en tant qu’acteur direct, mais aussi en tant qu’ordonnateur. Sur le plan social, il le limite à un « filet de sécurité » pour les cas les plus graves : longues maladies ou extrême pauvreté. Pour le reste, l’Etat s’efface.

Ce recul de l’Etat s’inspire évidemment d’une pensée libérale, ce qui ne manquera pas de séduire les Libéraux d’aujourd’hui. Compte tenu du poids de l’Etat dans l’économie française, François Fillon défend, sur le plan économique, une vraie « rupture » qu’il revendique « radicale ». Ce « choc libéral » doit en finir avec le droit du travail, les syndicats, « l’Etat hypertrophié » et, dans ces domaines, le candidat de la droite abandonne, du moins en apparence, sa prudence conservatrice. Il souhaite ici un vrai changement qui soit à la fois « libéral », puisqu’il donne plus de place au marché, mais aussi « réactionnaire », puisqu’il vise à revenir à un Etat moins présent.

Mais, au fond, il est surtout conservateur : car réduire le rôle de l’Etat, c’est assurer moins d’impôt, donc des revenus supplémentaires pour les classes moyennes en garantissant et valorisant au mieux leur épargne tout en réduisant les transferts sociaux. C’est donc renforcer leur position sociale. La « TVA sociale » va dans ce sens. En faisant porter l’effort fiscal davantage sur la consommation que sur les revenus et le capital, on favorise l’état social existant. Et ce n’est pas un hasard si, jusqu’en 1914, les impôts indirects constituaient l’essentiel des ressources de l’Etat français.

Un vrai « libéral » ?

 

Lire la suite sur : La Tribune, Romaric Godin, 28/11/2016

Source: http://www.les-crises.fr/francois-fillon-un-conservateur-du-19e-siecle-par-romaric-godin/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, ScienceEtonnante, DataGueule)

Wednesday 7 December 2016 at 01:20

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute de Delamarche : Se passera-t-il quelque chose après le vote ?

Olivier Delamarche VS Pierre Sabatier (1/2): Référendum italien: quels impacts sur les marchés ? – 05/12

Olivier Delamarche VS Pierre Sabatier (2/2): Qu’attendre de la BCE après les résultats du référendum en Italie ? – 05/12

II. Philippe Béchade

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (1/2): Quel est l’impact du référendum italien sur les marchés ? – 30/11

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (2/2): Le pétrole dictera-t-il les tendances sur les marchés mondiaux dans les prochains mois ? – 30/11

III. Jacques Sapir

Jacques Sapir VS Bruno Fine (1/2): Quid de la croissance économique française ? – 06/12

Jacques Sapir VS Bruno Fine (2/2): Les marchés européens ont-ils une carte à jouer pour 2017 ? – 06/12

IV. ScienceEtonnante

Crétin de cerveau ! #1 — L’effet de Halo

V. DataGueule

Abreuvés de brevets #DATAGUEULE 22


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-scienceetonnante-datagueule-3/


Le parlement de Grande-Bretagne approuve la dévolution de nouveaux pouvoirs de piratage et de surveillance, par Ryan Gallagher

Wednesday 7 December 2016 at 01:10

Source : The Intercept, le 22/11/2016

Photo: Akira Suemori/AP

Photo: Akira Suemori/AP

Ryan Gallagher

Le 22 novembre 2016

Il y a quelques années, il aurait été impensable qu’un gouvernement britannique admette qu’il allait pirater l’ordinateur des gens et collecter des données personnelles à grande échelle. Mais aujourd’hui, ces pratiques controversées sont sur le point d’être autorisées dans une nouvelle loi de surveillance sans précédent.

Le parlement de Grande-Bretagne a approuvé la semaine dernière un projet de loi appelé le Investigatory Powers Bill, surnommé la “charte des fouineurs” par la critique. La loi, qui devrait entrer en vigueur avant la fin de l’année, a été introduite en novembre 2015 à la suite des retombées des révélations du lanceur d’alerte de l’Agence Nationale de Sécurité, Edward Snowden, à propos d’un vaste plan de surveillance des Britanniques. Le Investigatory Powers Bill (projet de loi sur les pouvoirs d’enquête) a pour but essentiel de légaliser rétroactivement le programme d’espionnage électronique dévoilé par les documents de Snowden, mais il permet également d’élargir les pouvoirs de surveillance du gouvernement.

L’aspect le plus controversé de cette nouvelle loi est qu’elle donnera au gouvernement britannique l’autorité de contraindre les fournisseurs d’Internet à fournir leurs services avec “un avis de sauvegarde de données”, les obligeant à enregistrer et à stocker l’historique des sites visités par leurs clients sur une période allant jusqu’à douze mois. Les agences de maintien de l’ordre pourront avoir accès à cette base de données sans mandat ou ordre d’une cour. De plus, cette nouvelle loi donnera aux enquêteurs de police et aux investigateurs fiscaux, avec l’aval d’un ministre du gouvernement, la possibilité de pirater des téléphones et des ordinateurs ciblés. La loi permettra aux agences de renseignement de passer au crible “un vaste ensemble de données personnelles” contenant des millions de dossiers sur les appels téléphoniques des gens, leurs habitudes de voyage, leurs activités sur internet ou encore leur transactions financières ; enfin, cela rendra légal pour les espions britanniques d’opérer le piratage à grande échelle d’ordinateurs et de téléphones hors de leurs frontières afin d’identifier de potentielles “cibles d’intérêt.”

“Chaque citoyen aura son activité internet – les applications qu’il utilise, les messages qu’il envoie, et leurs destinataires – enregistré pendant 12 mois,” dit Eric King, un expert de la vie privée et ancien directeur de “Don’t Spy On Us“, une coalition de groupes britanniques de protection des droits de l’Homme faisant campagne contre la surveillance de masse.

“Il n’y a pas une seule démocratie, ou même un autre pays dans le monde, qui fasse cela.”

King affirme que cette nouvelle loi aura un effet dissuasif, se traduisant par une perte de confiance du public quant à la libre communication entre les gens. Il cite une enquête Pew publiée en mars 2015 selon laquelle 30% des adultes américains ont modifié leurs habitudes d’utilisation d’Internet ou de leur téléphone en raison de la surveillance gouvernementale. “Cela va changer la façon dont les gens communiquent et expriment leur pensées,” dit King. “Pour une société censée être progressiste, encourageant les débat ouverts et le dialogue, c’est affreux.”

D’autres défenseurs des libertés individuelles s’inquiètent que cette nouvelle loi soit perçue par les gouvernements à travers le monde comme un feu vert pour lancer des régimes de surveillance similaires. “Le passage du projet de loi aura un impact qui dépassera les frontières du Royaume-Uni,” dit Jim Killock, directeur exécutif du groupe basé à Londres Open Rights Group. “Il est probable que d’autres pays, incluant les régimes autoritaires respectant peu les droits de l’Homme, utiliseront cette loi pour légitimer leurs propres pouvoirs de surveillance intrusive.”

Malgré la large portée du projet de loi sur les pouvoirs d’enquête, il n’a généré que peu de débat au Royaume-Uni, et n’a pas reçu une grande couverture de la part des médias grand public. L’une des raisons à cela est indubitablement le vote choc du Royaume-Uni, en juin, de sortir de l’Union Européenne, communément appelé le Brexit – qui a dominé l’espace médiatique et les discussions ces derniers mois. Cependant, il existe un autre facteur majeur à l’adoption rapide de cette loi, en l’absence de réaction. Le parti travailliste, le parti principal de l’opposition du Royaume-Uni, s’était engagé à combattre “l’espionnage injustifié“, mais a finalement soutenu le gouvernement et voté en faveur de cette nouvelle loi de surveillance. “La faute revient au parti travailliste,” dit Killock. “Ils ont demandé beaucoup trop peu de contreparties et n’étaient pas préparés à contester fortement les principaux dogmes inhérents à ce projet de loi.”

Dans un effort pour apaiser certaines de ces critiques, le gouvernement a accepté de renforcer le contrôle de cette surveillance. Le projet de loi sur les pouvoirs d’enquête introduit pour la première fois un “commissaire judiciaire”, probablement un ancien juge, qui pourra examiner les mandats d’espionnage autorisés par un ministre du gouvernement. Il renforce également les dispositions relatives à la façon dont la police et les agences d’espionnage pourront cibler les journalistes afin de tenter d’identifier leurs sources confidentielles. De nouvelles garanties impliquent que les autorités devront demander l’aval du commissaire judiciaire afin d’obtenir les enregistrements téléphoniques ou les emails d’un journaliste ; auparavant ils pouvaient obtenir ces données sans supervision indépendante.

Le syndicat national des journalistes de Grande-Bretagne croit cependant que la loi ne va pas assez loin dans la protection de la liberté de la presse. Le syndicat s’inquiète particulièrement qu’une potentielle surveillance des organisations médiatiques pourrait être gardé totalement secrète, signifiant qu’il n’y aura aucun recours pour contrer les décisions les concernant eux ou leurs sources. “Le projet de loi est une attaque contre la démocratie et le droit du public à l’information, il permet à l’État d’interférer secrètement et de manière illégitime dans la presse,” s’est lamenté le syndicat à travers une déclaration la semaine dernière, ajoutant que “le manque de protection des sources a des répercussions sur les journalistes travaillant dans les zones de guerre ou bien ceux enquêtant sur le crime organisé ou les fautes étatiques.

D’autres problématiques relatives à la façon dont la loi sera appliquée restent obscures. Ainsi, la loi contient une disposition qui permet au gouvernement de délivrer à une société un “avis de capacité technique” pouvant inclure “des obligations relatives à la suppression par un opérateur de la protection électronique appliquée à toutes communications ou données par ou au nom de cet opérateur.” Plus tôt cette année, les géants Apple, Facebook, Google, Microsoft, Twitter et Yahoo ont critiqué ce pouvoir, exprimant leurs inquiétudes quant à l’utilisation de ce dernier par le gouvernement afin de forcer des entreprises à affaiblir ou contourner la technologie de cryptage utilisée pour protéger le secret des communications et des données.

En pratique, si la loi est utilisée pour contrer les bénéfices du cryptage, cela pourrait ne jamais être découvert. Le gouvernement a inclus dans le projet de loi une section qui criminalise “les révélations non-autorisées” de toute information liée à ses ordres de surveillance, ce qui pourrait potentiellement dissuader les lanceurs d’alertes ou les leakers de se manifester. La sentence pour ce type d’infractions peut aller jusqu’à douze mois de prison, une amende, ou bien les deux.

Bien que le projet de loi sur les pouvoirs d’enquête entrera bientôt en vigueur, il est probable de le voir être l’objet de plusieurs poursuites en justice. Il y a d’ores et déjà trois affaires en cours pouvant aboutir à la modification de certaines de ses dispositions. L’une de ces affaires est une contestation sérieuse devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et pourrait décider de l’illégalité de cette collecte et rétention de données. (Les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme restent en vigueur au Royaume-Uni, en dépit du Brexit.)

Quoiqu’il arrive, certains ne semblent pas vouloir laisser le soin aux institutions judiciaires de déterminer à quel point le gouvernement peut siphonner leurs données. Une organisation britannique à but non lucratif récemment établie, Brass Horn Communications, dit préparer un nouveau fournisseur d’accès à internet basé sur Tor, un outil pour surfer anonymement sur internet, dans un effort destiné à permettre aux gens de se protéger contre l’espionnage. “Nous devrions pouvoir faire une recherche sur un problème médical embarrassant, ou poser des questions à Google, sans avoir à se soucier que cela soit répertorié dans des archives internet de manière permanente,” dit un porte-parole de l’organisation. “Le gouvernement a décidé que chacun est un suspect, mais vous ne pouvez pas traiter une société entière comme criminelle.”

Source : The Intercept, le 22/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-parlement-de-grande-bretagne-approuve-la-devolution-de-nouveaux-pouvoirs-de-piratage-et-de-surveillance-par-ryan-gallagher/


Trump à la Maison-Blanche : une interview de Noam Chomsky

Tuesday 6 December 2016 at 02:01

Source : Truthout, le 14/11/2016

Lundi 14 novembre 2016  Par C. J. Polychroniou

Noam Chomsky lors d'une conférence à Buenos Aires, le 12 mars 2015. (Photo: Ministerio de Cultura de la Nación Argentina)

Noam Chomsky lors d’une conférence à Buenos Aires, le 12 mars 2015. (Photo: Ministerio de Cultura de la Nación Argentina)

Le 8 novembre 2016, Donald Trump a réussi le plus grand bouleversement de la politique américaine en exploitant avec succès la colère des électeurs blancs et en faisant appel aux penchants les plus vils de la population, d’une manière qui aurait probablement impressionné le propagandiste nazi Joseph Goebbels lui-même.

Mais que signifie au juste la victoire de Trump, et à quoi peut-on s’attendre de la part de ce mégalomane lorsqu’il prendra les rênes du pouvoir le 20 janvier 2017 ? Quelle est l’idéologie politique de Trump, et le « trumpisme », s’il existe, constitue-il un mouvement ? La politique étrangère des États-Unis sera-t-elle différente sous l’administration Trump ?

Il y a quelques années, l’intellectuel reconnu Noam Chomsky avertissait que le climat politique aux États-Unis était mûr pour l’émergence d’un personnage autoritaire. Maintenant, il partage ses pensées sur les conséquences de cette élection, l’état moribond du système politique américain et il dit pourquoi Trump est une réelle menace pour le monde et la planète en général.

C. J. Polychroniou pour Truthout : Noam, l’impensable est arrivé : déjouant tous les pronostics, Donald Trump a remporté une victoire décisive sur Hillary Clinton, et l’homme que Michael Moore décrivait comme un “dépravé, ignorant, un clown à mi-temps et un sociopathe à plein temps” va être le prochain président des États-Unis. Selon vous, quels ont été les éléments déterminants qui ont amené les électeurs américains à provoquer le plus grand bouleversement de l’histoire de la politique américaine ?

Noam Chomsky : Avant de répondre à cette question, je pense qu’il est important de prendre du recul pour comprendre ce qui s’est passé le 8 novembre, une date qui pourrait se révéler être une des plus importantes de l’histoire humaine, selon la manière dont nous l’interprétons.

Pas d’exagération.

L’information la plus importante du 8 novembre a été à peine remarquée et a une certaine importance en soi.

Le 8 novembre, au Maroc, lors de la conférence internationale sur le changement climatique (COP22) qui a été organisée pour poursuivre l’accord de Paris signé lors de la COP21, l’Organisation Mondiale de la Météorologie (WMO) a rendu public  un rapport. La WMO a indiqué que les cinq dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. Elle a mentionné une élévation du niveau des océans, devant encore augmenter très prochainement du fait de la fonte étonnamment rapide de la glace polaire, plus particulièrement des glaciers de l’Antarctique. Déjà, la glace de la mer de l’Arctique, durant ces cinq dernières années, est 28% en dessous de la moyenne des 29 années précédentes, élevant non seulement le niveau des océans, mais réduisant aussi l’effet de refroidissement dû à la réflexion des rayons solaires par la glace polaire, accélérant donc les effets du réchauffement mondial. Le WMO a indiqué de plus que les températures approchaient dangereusement de l’objectif établi par la COP21, en plus d’autres affirmations et prévisions.

Un autre événement a eu lieu le 8 novembre, qui pourrait également avoir une certaine importance historique pour des raisons, encore une fois, à peine mentionnées.

Le 8 novembre, le pays le plus puissant de l’histoire mondiale, celui qui va marquer de son empreinte le futur proche, a vécu une élection. Les résultats ont placé les pleins pouvoirs du gouvernement – exécutif, Congrès, Cour suprême – dans les mains du parti républicain, devenu ainsi l’organisation la plus dangereuse de l’histoire.

Hormis la dernière phrase ci-dessus, tout ceci est incontestable. Si la dernière phrase peut sembler farfelue, voire scandaleuse, est-ce vraiment le cas ? Les faits parlent d’eux-mêmes. Le parti a pour objectif de détruire la vie humaine développée le plus rapidement possible. Il n”existe aucun précédent historique à une telle position.

Est-ce une exagération ? Prenez en compte que nous n’avons été qu’observateurs.

Durant les primaires des Républicains, chaque candidat a nié dire que ce qui arrive, arrive réellement – à l’exception des modérés, comme Jeb Bush, qui a dit que tout est incertain mais que nous n’avons rien à faire car nous produisons plus de gaz naturel, grâce à la fracturation. Cependant, John Kasich a confirmé que le réchauffement mondial a bien cours, mais il a ajouté que “nous allons brûler du charbon en Ohio et nous n’allons pas nous en excuser.”

Le candidat vainqueur, désormais le président élu, vise une augmentation rapide de la consommation de carburants fossiles, dont le charbon, le détricotage des réglementations, le rejet de toute aide aux pays en voie de développement qui cherchent à transiter vers une énergie renouvelable, et, en règle générale, foncer dans le mur le plus vite possible.

Trump a déjà posé des jalons pour démanteler l’Environmental Protection Agency (EPA), en plaçant à sa tête pour la transition de l’EPA un climato-sceptique bien connu et fier de l’être, Myron Ebell. Le conseiller de Trump en matière d’énergie, le milliardaire du milieu pétrolier Harold Hamm, a annoncé ses souhaits, qui étaient prévisibles : démanteler la réglementation, couper les taxes de l’industrie (et généralement celles du riche secteur des affaires), augmenter la production de carburants fossiles, en supprimant le moratoire d’Obama sur le pipeline Dakota Access. Le marché a réagi rapidement. Les actions des sociétés liées à l’énergie ont grimpé en flèche, notamment le plus important groupe mondial d’extraction du charbon, Peabody Energy, qui était alors placé sous surveillance financière pour risque de dépôt de bilan, mais qui a enregistré un gain de 50% après la victoire de Trump.

Les effets du déni républicain ont déjà été ressentis. Il y avait eu l’espoir que l’accord de la COP21 à Paris mènerait à un traité à la hauteur des enjeux, mais de telles idées ont été abandonnées car le Congrès républicain n’allait pas accepter les contraintes, ce qui fait que seul un accord volontaire a vu le jour, évidemment beaucoup plus faible.

Les effets peuvent bientôt devenir encore plus évidents qu’ils ne le sont déjà. Au seul Bangladesh, des dizaines de millions de personnes devraient fuir les plaines de faible altitude au cours des prochaines années à cause de l’élévation du niveau de la mer et des conditions météorologiques plus violentes, créant une crise migratoire qui rendra la situation actuelle insignifiante. « Les migrants doivent avoir le droit de se rendre dans les pays d’où proviennent tous ces gaz à effet de serre. Des millions devraient pouvoir se rendre aux États-Unis. Et dans les autres pays riches qui se sont enrichis tout en apportant une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène, marquée par la transformation humaine radicale de l’environnement. Ces conséquences catastrophiques ne peuvent que s’accroître, non seulement au Bangladesh, mais dans toute l’Asie du Sud, car les températures, déjà intolérables pour les pauvres, montent inexorablement et les glaciers himalayens fondent, menaçant l’approvisionnement en eau. Déjà en Inde, environ 300 millions de personnes manquent d’eau potable. Et les effets vont aller bien au-delà.

Il est difficile de trouver les mots pour signifier le fait que les humains se trouvent face à la question la plus importante de leur histoire – si la vie humaine développée va survivre dans la forme que nous lui connaissons – et que la réponse est une accélération vers le désastre.

Des observations similaires concernent l’autre problème à propos de la survie humaine, la menace d’une destruction nucléaire, qui a plané au-dessus de nos têtes pendant les 70 dernières années et qui s’amplifie désormais.

Il n’est pas plus facile de trouver les mots pour décrire le constat tout à fait étonnant que, dans toute la masse d’informations concernant l’extravagance électorale, ces faits ont à peine été mentionnés. Je manque terriblement de mots appropriés.

Pour revenir enfin à la question soulevée, pour être précis, il semble que Clinton ait obtenu une légère majorité des voix. La victoire apparemment décisive est en relation avec des caractéristiques curieuses de la politique américaine : entre autres facteurs, le collège électoral qui est un reliquat de la fondation du pays en tant qu’alliance d’États distincts ; le système du gagnant-rafle-tout dans chaque état ; l’organisation des districts du Congrès (parfois par tripatouillage électoral) pour donner plus de poids aux votes ruraux (dans les élections passées, et probablement celle-ci aussi, les démocrates ont eu une marge confortable de victoires dans le vote populaire pour la présidence, mais détiennent une minorité de sièges) ; le taux très élevé d’abstentions (habituellement près de la moitié à des élections présidentielles, celle-ci incluse). Le fait d’une certaine importance pour l’avenir est que dans la classe d’âge 18-25, Clinton a gagné facilement, et que Sanders avait un niveau de soutien encore plus élevé. Ce qui démontre que ces problèmes dépendent de la façon dont la future génération y fera face.

Selon les informations actuelles, Trump a battu tous les records dans le soutien qu’il a reçu de la part des électeurs blancs, de la classe ouvrière et de la classe moyenne basse, en particulier dans la fourchette de revenus de 50 000 à 90 000 dollars, ruraux et suburbains. Ces groupes partagent la colère, répandue dans tout l’Occident, envers l’establishment centriste, révélée aussi bien par le résultat du vote inattendu du Brexit que par l’effondrement des partis centristes en Europe continentale. [Beaucoup] de ceux qui sont en colère et qui sont mécontents sont victimes des politiques néolibérales de la dernière génération, les politiques décrites par le président de la Fed, Alan Greenspan, « Saint-Alan », comme l’a qualifié révérencieusement la profession économique et d’autres admirateurs jusqu’à ce que l’économie miraculeuse qu’il supervisait s’écrase en 2007-2008, menaçant de faire s’écrouler l’économie mondiale avec elle. Comme l’a expliqué Greenspan durant ses jours de gloire, ses succès en matière de gestion économique reposaient essentiellement sur une « insécurité croissante des travailleurs ». Les travailleurs intimidés ne demanderaient pas des augmentations de salaire, des avantages et une sécurité plus élevées, mais seraient satisfaits de la stagnation des salaires et des avantages réduits qui indiquent une économie saine selon les normes néolibérales.

Les travailleurs, qui ont été les cobayes de ces expérimentations en théorie économique, ne sont pas particulièrement heureux du résultat. Ils ne sont pas, par exemple, enchantés du fait qu’en 2007, au sommet du miracle néolibéral, les salaires réels des travailleurs des basses classes étaient plus bas qu’ils ne l’avaient été des années auparavant, ou que les salaires réels des travailleurs masculins se situaient aux alentours de ceux des années 1960 pendant que des gains spectaculaires sont allés dans les poches d’un très petit nombre au sommet, disproportionnellement une fraction de 1%. Ceci ne dépendait pas du résultat de l’offre et de la demande du marché, de la réussite ou du mérite, mais plutôt de décisions politiques déterminées, des sujets analysés avec soin par l’économiste Dean Baker dans un travail récemment publié.

Le sort réservé au salaire minimum illustre ce qui s’est passé. Durant les années 50 et 60 qui sont des périodes de croissance forte et équitable, le salaire minimum sous lequel aucun salaire ne peut être fixé a évolué de la même manière que la productivité. Cela prit fin avec le déclenchement de la doctrine néo-libérale. Depuis lors, le salaire minimum a stagné en valeur réelle. S’il avait continué sur la même lancée qu’auparavant, il serait probablement aux alentours de 20$ par heure. De nos jours, l’augmenter à 15$ par heure est considéré comme une révolution politique.

Avec tous les discours sur le quasi plein emploi d’aujourd’hui, la participation de la population active reste inférieure à la norme antérieure. Et pour les travailleurs, il y a une grande différence entre un emploi stable dans le secteur manufacturier avec des salaires et des avantages sociaux syndicaux, comme dans les années précédentes, et un emploi temporaire avec peu de sécurité dans certaines professions de service. Mis à part les salaires, les avantages et la sécurité, il y a une perte de dignité, d’espoir pour l’avenir, et du sentiment d’appartenance à un monde dans lequel on joue un rôle digne d’intérêt.

L’impact est bien senti au travers du portrait sensible et lumineux fait par Arlie Hochschild d’un bastion Trump en Louisiane, où elle a vécu et travaillé pendant de nombreuses années. Elle utilise l’image d’une file dans laquelle les habitants sont debout, s’attendant à avancer progressivement car ils travaillent dur et respectent toutes les valeurs conventionnelles. Mais leur position dans la file s’est bloquée. Devant eux, ils voient des gens bondir en avant, mais cela ne les désespère pas, parce que c’est « le mode de vie américain » pour (prétendument) mériter d’être récompensé. Ce qui cause la détresse réelle est ce qui se passe derrière eux. Ils croient que des « gens indignes » qui ne « suivent pas les règles » sont propulsés devant eux par des programmes du gouvernement fédéral qu’ils estiment à tort conçus pour les Afro-Américains, les immigrants et d’autres qu’ils considèrent souvent avec mépris. Tout cela est exacerbé par les inventions racistes de Ronald Reagan au sujet des « assistés » (implicitement noirs) qui volent l’argent durement gagné des Blancs et autres fantasmes.

Parfois, l’incapacité à expliquer, en soi une forme de mépris, joue un rôle dans la haine du gouvernement. J’ai rencontré une fois un peintre à Boston qui s’était tourné amèrement contre le gouvernement « malveillant » après qu’un bureaucrate de Washington, qui ne connaissait rien à la peinture, avait organisé une réunion de peintres pour leur dire qu’ils ne pouvaient plus utiliser de peinture au plomb, « la seule qui était fiable » comme tous le savaient, mais le technocrate ne le comprenait pas. Cela a détruit sa petite entreprise, l’obligeant à peindre des maisons ainsi que la sienne avec des produits de qualité inférieure imposés par les élites du gouvernement.

Parfois il y a aussi de véritables raisons à ces attitudes envers les bureaucraties gouvernementales. Hochschild décrit un homme dont la famille et les amis souffrent amèrement des effets mortels de la pollution chimique, mais qui méprise le gouvernement et les « élites libérales » parce que, pour lui, l’EPA (Environmental Protection Agency) signifie qu’un type ignorant lui dit qu’il ne peut pas pêcher, mais ne fait rien contre les usines chimiques.

Ce sont juste des exemples de la réalité des vies des partisans de Trump, qui sont amenés à croire que Trump va faire quelque chose pour remédier à leur sort, même si un rapide regard sur ses propositions fiscales et autres démontrent le contraire, se révélant un problème de plus pour les activistes qui espèrent repousser le pire et faire avancer les changements désespérément nécessaires.

Les sondages effectués à la sortie des bureaux de vote révèlent que l’engouement pour Trump a été inspiré principalement par la conviction qu’il représentait le changement, tandis que Clinton était perçue comme le candidat qui perpétuerait leur détresse. Le « changement » que Trump est susceptible d’apporter sera nuisible ou pire, mais il est compréhensible que les conséquences ne sont pas claires pour des personnes isolées dans une société atomisée dépourvue des types d’associations (comme les syndicats) qui peuvent éduquer et organiser. C’est une différence cruciale entre le désespoir d’aujourd’hui et les attitudes généralement optimistes de beaucoup de travailleurs sous une contrainte économique beaucoup plus grande pendant la grande dépression des années 1930.

Il y a d’autres facteurs qui expliquent le succès de Trump. Des études comparatives montrent que les doctrines de suprématie blanche ont eu une influence encore plus forte sur la culture américaine qu’en Afrique du Sud, et ce n’est pas un secret que la population blanche est en déclin. Dans une décennie ou deux, on estime que les Blancs seront une minorité de la main-d’œuvre, et peu de temps plus tard, une minorité de la population. La culture traditionnelle conservatrice est également perçue comme étant attaquée par les succès de la politique identitaire, considérée comme le domaine des élites qui n’ont que du mépris pour les “américains [blancs] pratiquants, patriotiques, travailleurs, avec de vrais valeurs familiales” qui voient leur pays familier disparaître sous leurs yeux.

L’une des difficultés pour éveiller l’inquiétude du public face aux très graves menaces du réchauffement climatique est que 40% de la population américaine ne voit pas en quoi c’est un problème, puisque le Christ reviendra dans quelques décennies. Environ le même pourcentage pense que le monde a été créé il y a quelques milliers d’années. Si la science entre en conflit avec la Bible, tant pis pour la science. Il serait difficile de trouver une situation analogue dans d’autres sociétés.

Le Parti Démocrate a abandonné toute réelle préoccupation pour les travailleurs dans les années 1970, et ils ont donc été attirés dans les rangs de leurs ennemis de classe, qui au moins prétendent parler leur langue : le style folk de Reagan de faire de petites blagues tout en mangeant des haricots, l’image soigneusement cultivée par George W. Bush d’un type normal que vous pourriez rencontrer dans un bar, qui a aimé couper des broussailles sur le ranch par une température de 40 degrés, et ses erreurs de prononciation probablement simulées. (Il est peu probable qu’il ait parlé comme ça à Yale). Et maintenant Trump, qui donne la parole aux gens qui ont des griefs légitimes : des gens qui ont perdu non seulement leur emploi, mais aussi le sentiment d’estime de soi, et qui se défendent contre le gouvernement qu’ils perçoivent comme ayant détruit leur vie (non sans raison).

L’une des grandes réalisations du système doctrinal a été de détourner la colère du secteur des entreprises vers le gouvernement qui met en œuvre les programmes que le secteur des entreprises conçoit, comme les ententes de protection des entreprises et des droits des investisseurs, qui sont uniformément décrites comme “Accords commerciaux” dans les médias. Avec tous ses défauts, le gouvernement est, dans une certaine mesure, sous influence et contrôle populaire, contrairement au secteur des entreprises. Il est très avantageux pour le monde des affaires d’entretenir la haine pour les bureaucrates gouvernementaux à lunettes et de chasser de l’esprit des gens l’idée subversive que le gouvernement pourrait devenir un instrument de la volonté populaire, un gouvernement par et pour le peuple.

Trump représente-t-il un nouveau mouvement dans la politique américaine ou le résultat de cette élection est-il essentiellement un rejet d’Hillary Clinton par les électeurs qui détestent les Clinton et qui en ont marre de la « politique habituelle » ?

Ce n’est pas nouveau. Les deux partis politiques se sont déplacés vers la droite pendant la période néolibérale. Les néo-démocrates d’aujourd’hui sont à peu près ce qu’on appelait les « républicains modérés ». La « révolution politique » que Bernie Sanders appelait, à juste titre, n’aurait pas grandement surpris Dwight Eisenhower. Les républicains se sont tellement orientés vers le dévouement aux riches et au secteur des entreprises qu’ils ne peuvent espérer obtenir de votes sur leurs programmes actuels. Ils se sont tournés vers la mobilisation de secteurs de la population qui ont toujours été présents, mais pas comme force de coalition politique organisée : les évangéliques, les nativistes, les racistes et les victimes des formes de mondialisation conçues pour faire travailler les travailleurs du monde entier en concurrence les uns avec les autres. Le tout en protégeant les privilégiés et en sapant les mesures légales et autres assurant une protection aux travailleurs avec des moyens d’influencer la prise de décision dans les secteurs publics et privés étroitement liés, notamment avec des syndicats efficaces.

Les conséquences ont été évidentes dans les récentes primaires républicaines. Tous les candidats issus de la base, comme Michele Bachmann, Herman Cain ou Rick Santorum, ont été si extrêmes que l’establishment républicain a dû utiliser ses vastes ressources pour les battre. La différence en 2016 est que l’establishment a échoué, à son grand désarroi, comme nous l’avons vu.

A tort ou à raison, Clinton était l’incarnation des politiques craintes et haïes, alors que Trump a été perçu comme le symbole du « changement ». Un changement de ce genre exige un examen attentif de ses propositions réelles, quelque chose qui a grandement manqué dans ce qui a été porté à la connaissance du public. La campagne elle-même a été remarquable en évitant les questions, et les commentaires des médias se sont généralement conformés à la norme, en restant au plus près du concept selon lequel la véritable « objectivité » signifie signaler exactement ce qui est « dans le cadre », sans s’aventurer au-delà.

Trump a déclaré à la suite du résultat de l’élection qu’il « représentera tous les Américains ». Comment va-t-il le faire alors que la nation est si divisée et qu’il a déjà exprimé une haine profonde pour de nombreux groupes aux États-Unis, y compris les femmes et les minorités ? Voyez-vous une ressemblance entre le Brexit et la victoire de Donald Trump ?

Il y a des similitudes avec le Brexit, mais aussi avec la montée des partis ultra-nationalistes d’extrême droite en Europe, dont les dirigeants ont vite félicité Trump pour sa victoire, car ils le perçoivent comme un des leurs : Nigel Farage, Marine Le Pen, Viktor Orban et d’autres comme eux. Et ces développements sont assez effrayants. Un regard sur les sondages en Autriche et en Allemagne – l’Autriche et l’Allemagne – ne peut manquer d’évoquer des souvenirs désagréables pour ceux qui sont familiers avec les années 1930, encore plus pour ceux qui ont observé directement, comme je l’ai fait étant enfant. Je me souviens encore avoir écouté les discours d’Hitler, ne comprenant pas les mots, bien que le ton et la réaction de l’auditoire étaient assez effrayants. Le premier article dont je me souviens était en février 1939, après la chute de Barcelone, sur la propagation apparemment inexorable de la peste fasciste. Et par étrange coïncidence, c’est de Barcelone que ma femme et moi avons regardé les résultats de l’élection présidentielle américaine de 2016.

Quant à la façon dont Trump va gérer ce qu’il a apporté – non créé, mais mis en avant – nous ne pouvons pas en dire plus. Peut-être que sa caractéristique la plus frappante est l’imprévisibilité. Beaucoup de choses vont dépendre des réactions de ceux qui ont été consternés par sa performance et les visions de sociétés qu’il a projetées, telles qu’elles sont.

Trump n’a pas de posture identifiable sur les problèmes économiques, sociaux et politiques, cependant il y a de claires tendances autoritaires dans son comportement. Donc, n’y a-t-il pas un certain fond de vérité dans ceux qui clament que Trump pourrait représenter l’émergence d’un “fascisme à visage humain” aux États-Unis ?

Pendant de nombreuses années, j’ai écrit et parlé à propos du danger de la montée d’un idéologue honnête et charismatique aux États-Unis, quelqu’un qui pourrait exploiter la peur et la colère qui ont depuis longtemps bouillonné dans une grande partie de la société, et qui pourrait les détourner loin des agents réels de ce malaise vers des cibles vulnérables. Cela pourrait bien conduire à ce que le sociologue Bertram Gross a appelé un « fascisme à visage humain » dans une étude perceptive qu’il avait menée il y a 35 ans. Mais cela exige un idéologue honnête, de type hitlérien, et non pas quelqu’un dont la seule idéologie percevable est lui-même. Les dangers, cependant, ont été réels pendant de nombreuses années, peut-être encore plus à la lumière des forces que Trump a déchaîné.

Avec les Républicains à la Maison Blanche, et contrôlant aussi les deux chambres ainsi que la future composition de la Cour Suprême, à quoi vont ressembler les États-Unis pour au moins les quatre prochaines années ?

Son succès dépend de ses affectations et du cercle de ses conseillers. Les premières indications sont peu attrayantes, pour le dire modérément.

La Cour suprême sera dans les mains des réactionnaires pendant de nombreuses années, avec des conséquences prévisibles. Si Trump suit ses programmes budgétaires selon le modèle de Paul Ryan, il y aura d’énormes avantages pour les très riches, estimés par le Centre de politique fiscale comme une réduction d’impôt de plus de 14% pour le top 0,1% et une réduction substantielle plus généralement à l’extrémité supérieure de l’échelle de revenu, mais avec pratiquement aucun allègement fiscal pour les autres, qui seront également confrontés à de nouvelles lourdes charges. Le correspondant économique du Financial Times, Martin Wolf, écrit : « Les propositions fiscales donneraient d’énormes avantages aux américains déjà riches, comme M. Trump, » tout en laissant les autres le bec dans l’eau, y compris, bien sûr, dans sa circonscription. La réaction immédiate du monde des affaires révèle que Big Pharma, Wall Street, l’industrie militaire, les industries de l’énergie et diverses autres institutions merveilleuses en attendent un avenir très brillant.

Un point positif pourrait être le programme d’infrastructures qu’a promis Trump (avec son lot de discussions et de commentaires), qui dissimule le fait que c’est essentiellement le programme de relance d’Obama qui aurait été très bénéfique pour l’économie et la société en général, mais qui a été enterré par le Congrès républicain sous prétexte qu’il allait faire exploser le déficit. Bien que cette accusation fût fausse à l’époque, étant donné que les taux d’intérêt étaient très bas, c’est un atout pour Trump, qui a repris ce programme en le complétant par des réductions d’impôts radicales pour les riches et le secteur des entreprises, et par des augmentations des dépenses accordées au Pentagone.

Il y a cependant une échappatoire, fournie par Dick Cheney quand il explique au secrétaire du Trésor de Bush que “Reagan a prouvé que les déficits n’ont pas d’importance,” signifiant que les déficits que nous, Républicains, créons dans le but de gagner en popularité, laissons quelqu’un d’autre, de préférence les Démocrates, réparer les pots cassés. Cette technique pourrait marcher, pendant un moment au moins.

Il y a également de nombreuses questions, au sujet des conséquences en termes de politique étrangère, qui restent sans réponse.

Il existe une admiration mutuelle entre Trump et Poutine. Quelle probabilité a-t-on de voir s’ouvrir une nouvelle ère dans les relations USA-Russie ?

Une perspective encourageante pourrait être une réduction des très dangereuses tensions croissantes à la frontière russe : notez “la frontière russe” et pas la frontière mexicaine. C’est donc un sujet que nous ne pouvons pas aborder ici. Il est également possible que l’Europe s’éloigne de l’Amérique de Trump, comme l’ont déjà suggéré la chancelière [Angela] Merkel et d’autres dirigeants européens, et la voix britannique du pouvoir américain, après le Brexit. Cela pourrait éventuellement conduire à des efforts européens pour désamorcer les tensions et peut-être même des efforts pour aller vers quelque chose similaire à la vision de Mikhaïl Gorbatchev d’un système intégré de sécurité eurasienne sans alliances militaires, rejeté par les États-Unis en faveur de l’expansion de l’OTAN, une vision remise au goût du jour par Poutine, proposition sérieuse ou non, nous ne le savons pas, puisque le geste a été ignoré.

La politique étrangère des États-Unis sous l’administration Trump a-t-elle toutes les chances d’être plus ou moins militariste que ce que nous avons vu sous l’administration Obama, ou même sous l’administration de George W. Bush ?

Je ne pense pas que quiconque puisse répondre à cette question avec certitude. Trump est trop imprévisible. Il reste trop de questions ouvertes. Ce que nous pouvons dire est que la mobilisation populaire et l’activisme, correctement organisés et menés, peuvent faire une grande différence.

Et nous devons garder à l’esprit que les enjeux sont très importants.

C.J. Polychroniou est un économiste politique et politologue qui a enseigné et travaillé au sein d’universités et de centres de recherche en Europe et aux États-Unis.

Source : Truthout, le 14/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Pour les passionnés de Noam Chomsky, il reste quelques places (inscriptions ici)…

apero

Source: http://www.les-crises.fr/trump-a-la-maison-blanche-une-interview-de-noam-chomsky/