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[2 très bonnes raisons de ne pas le faire !!!] Il faut secourir l’Ukraine, par BHL et George SOROS

Monday 26 January 2015 at 23:30

TRIBUNE

Une nouvelle Ukraine est née, il y a un an, sur le Maidan. Et l’esprit qui animait ses centaines de milliers de manifestants est, aujourd’hui, plus fort que jamais.

Cette nouvelle Ukraine est l’exact contraire de l’Ukraine d’hier, minée par la corruption et démoralisée.

C’est beau de faire disparaitre la corruption en quelques mois par la force de la pensée…

C’est une expérience rare de démocratie participative et de construction d’une nation par ses citoyens eux-mêmes.

Heinnnnn ?

Rappel, c’est une démocratie (imparfaite) depuis 1991…

C’est une belle et noble aventure menée par un peuple rassemblé dans le projet commun de s’ouvrir à la modernité, à la démocratie, à l’Europe.

On a vu la qualité du rassemblement…

Et c’est, jusqu’au sommet de l’Etat, le bel exemple donné par des hommes et des femmes d’exception qui n’ont pas craint, telle Natalie Jaresko, la nouvelle ministre des Finances, de renoncer à de brillantes carrières personnelles pour se vouer, corps et âme,

bah oui, le modèle parfait, vu que c’est une américaine d’origine ukrainienne qui a occupé divers postes au département d’État des États-Unis – c’est donc LE bon modèle pour l’Ukraine indépendante !

J’imagine que c’est la méthode Jean Monnet – la prostitution à not’bon’maitr’

au sauvetage d’un pays qui a payé au prix fort – celui des pires épreuves, parfois du sang – sa volonté de s’arrimer à l’Europe.

larguez les amarres – le bateau coule en plus…

Le problème, c’est que cette nouvelle Ukraine est menacée, comme dans toutes les révolutions, par les tenants de l’Ukraine d’hier. Le problème, c’est que les réformes engagées,

je propose désormais une psychothérapie d’office à toute personne employant les mots “les réformes” (engagées, indispensables, nécessaires etc.) sans préciser lesquelles

la mise en place d’une société ouverte fondée sur le système des check and balances

BHL, une autre façon de se faire comprendre du peuple

, la volonté de rupture avec la culture post-soviétique, le dirigisme d’Etat, la corruption généralisée et l’oligarchisme prédateur sont bloquées, comme toujours et comme, par exemple, dans la Géorgie de Saakachvili,

Saakachvili, ancien président de la Géorgie, ami de BHL. Malheureusement, la place manquait dans la tribune pour préciser qu’il avait été accusé d’avoir commandité plusieurs meurtres par son propres ministre de la Défense, et qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt

par les réflexes, les habitudes et les intérêts du passé. Et le problème c’est, surtout, la fuite en avant de la Russie qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, accroît son offensive sur le double terrain où se jouent désormais les guerres.

Bien sûr…

Le terrain militaire avec, sur les frontières de l’Est et, en direction, désormais, de Debaltsevo, Marioupol et Avdeevka, l’escalade des combats et des provocations des séparatistes prorusses.

Et le terrain financer, où des signes nombreux et concordants indiquent qu’un Poutine affaibli par le double effet des sanctions et de la baisse des prix du pétrole est bien décidé à contre-attaquer sur le même terrain et à tenter de mettre à genoux le gouvernement de monsieur Porochenko. Les démocraties, face à cela, sont, comme d’habitude, lentes à répondre

Attention : UN Poutine mais MONSIEUR (le milliardaire blanc comme neige) Porochenko

Et cette association de démocraties qu’est l’Union européenne est, comme il se doit, plus lente encore.

Or beaucoup dépend de ce qui se passera dans les semaines, pour ne pas dire les jours, qui viennent.

Ou bien les dirigeants européens persistent dans leur inquiétante prudence

Sans quoi ils auraient déjà fait à l’Ukraine ce que BHL a fait à la Lybie ?

et, alors, non seulement Poutine poursuivra sa double agression, mais il arguera que les problèmes rencontrés par sa propre économie sont dus à l’hostilité de l’Ouest et gagnera ainsi sur tous les tableaux à la fois. Ou bien les dirigeants européens se rangent derrière Kiev ; ils exhortent les institutions financières internationales à voler au secours de ce pays de 45 millions d’habitants

et pourquoi le monde doit-il aider l’Ukraine et pas, disons, le Mali ?

qui, tandis qu’il semble toucher le fond, demeure politiquement et moralement debout ; ils obtiennent que tel fonds d’aide, en principe réservé aux peuples de l’Union, soit étendu à ces Européens de cœur et d’adoption que sont les Ukrainiens ;

genre, pour leur préter de l’argent comme on a fait aux Grecs ?

et alors Vladimir Poutine sera forcé de mettre un terme à son agression ;

OU ça dégénérera en vrai conflit…

l’Ukraine pourra reprendre sa longue et difficile marche en avant vers les réformes

une psychothérapie, une !

; et la responsabilité du désastre économique qui menace la Russie elle-même incombera clairement aux aventuriers qui la dirigent.

Ah la Lybie, quelle belle non-aventure…

Moi j’admire – sincèrement – BHL sur ce plan là : à sa place, j’aurais été obligé de me suicider de honte…

D’un côté, l’abandon de l’Ukraine : ce serait une perte terrible, peut-être mortelle, pour une Europe

OH OUI OH OUI OH OUI

qui aurait laissé la Russie diviser et régner. De l’autre, une mobilisation politique, économique et, à très court terme, financière des démocraties en direction d’un pays qui a foi en nos valeurs et qui, par sa foi même, les renforce : et l’Ukraine vivra ; et l’Ukraine l’emportera ; et peut-être même – qui sait ? -

HELAS, l’austérité exigée par Bruxelles ne permet pas de telles générosités, désolé…

le peuple russe prendra-t-il modèle sur la nouvelle Ukraine pour s’engager, à son tour, sur le chemin de la démocratie et des réformes.

Peuple russe, écoutez BHL, et votre pays sera bientôt comme l’Ukraine et la Lybie !!!!

Non, en fait, je pense – mais peut-être que je me trompe -, très cher BHL, que le peuple russe t’envoie te faire voir chez Syriza, et te prie de garder pour toi ton beau modèle démocratique Bruxellois, ton super Président SarkHollande, et tes valeurs générales de faucon néoconservateur.

Les heures à venir seront cruciales. L’Europe est à la croisée des chemins et de son destin.

Bernard-Henri LEVY philosophe et Georges SOROS financier américain, président des Open Society Foundations

Grand moment d’humour trouvé sur Libération, la voix des millionnaires.

Source: http://www.les-crises.fr/il-faut-secourir-l-ukraine/


[Reprise] L’alternative de Syriza : passer sous la table ou la renverser

Monday 26 January 2015 at 12:38

Par Frédéric Lordon

Ce dimanche 25 janvier ont lieu en Grèce des élections législatives qui pourraient s’avérer historiques : Syriza, la coalition de gauche d’Alexis Tsipras, est en tête des sondages. Mais pour Frédéric Lordon, l’étau allemand et les inconséquences de la formation grecque condamnent celle-ci à des acrobaties douloureuses…

Il y a maintenant longtemps que l’Europe s’est enfermée elle-même dans la nasse constitutionnelle des traités libéraux, d’où elle n’a plus laissé que deux voies de sortie, et deux seulement : 1) l’effondrement financier de la construction sous le poids de ses contradictions internes, ou bien 2) un accident politique qui renverse la table. La première issue ayant été – temporairement – enrayée par l’annonce du programme OMT de la Banque centrale européenne (BCE) [1], il ne reste que la seconde, raison qui conduit le grand parti institutionnel-européiste à regarder la démocratie, non comme un état normal de la vie politique, mais comme une source permanente de menaces, dont l’étouffement justifie tous les moyens.

De ce point de vue, il faut louer la persévérance dans l’être de la Corée du nord qui offre aux Européens l’inaltérable moyen de se rassurer quant à leurs créances démocratiques, et font passer pour telles que le président de la Commission déclare avoir une nette préférence pour « retrouver des visages connus » à l’issue du scrutin législatif grec, et que le commissaire Moscovici se fende d’une visite sur place pour encourager, à défaut du bien-vivre, le bien-voter, toutes ingérences qui disent assez la considération que les institutions européennes portent à la souveraineté des peuples.

Sans questionner davantage la solidité réelle du verrou tiré à la voie 1 (l’OMT), se peut-il que le degré de confiscation des institutions politiques dans à peu près tous les pays laisse la moindre chance à la voie 2 – hors bien sûr d’un soulèvement en bonne et due forme ? L’expérience Syriza, si tant est qu’elle ait lieu, nous donnera rapidement une réponse. On ne peut pas dire que les choses se présentent idéalement pour Tsipras. C’est que l’Allemagne, très consciente du danger, a par anticipation savonné la planche en déclarant que la sortie de la Grèce est une éventualité à laquelle la zone euro pouvait désormais très bien faire face, manière de fixer d’emblée les termes du rapport de force qui ne manquera pas de se former dès qu’un gouvernement Syriza en place fera connaître ses intentions de renégociation.

« La CDU » et « l’égoïsme », ou l’asile de la cécité européiste

C’est en général le mauvais moment à passer pour le commentariat européiste, désespéré de cette obstination dans la rigidité qui finit – il s’en rend bien compte – par fabriquer une Europe à sale gueule, et qui, pour contenir son accablement, n’a trouvé que la double ressource de mettre la chose au compte de la CDU [2] (« ça n’est pas l’Allemagne, c’est la droite allemande »), ou bien à celui des « égoïsmes » (« les Allemands ne veulent pas payer pour les autres »). Evidemment la double ressource est une double erreur, comme suffit d’abord à le faire apercevoir l’adhésion zélée aux principes de l’Europe libérale de la « gauche » française, et en fait de toutes les gauches de droite européennes, équivalents fonctionnels du SPD [3], lui-même aussi droitier qu’elles toutes. Mais comme l’atteste également la permanence de l’indigent réflexe « intellectuel » qui retourne systématiquement à l’explication morale des choses, ou à l’explication des choses par la morale, en l’occurrence l’« égoïsme », quand évidemment la « solidarité » règlerait tous nos problèmes – misère d’une construction politique qui n’a plus que le recours de la vertu pour espérer contenir ses tares congénitales.

Or rien, dans cette affaire allemande, n’a à voir ni avec la « droite » ni avec l’« égoïsme », et tout avec la défense de principes – qui n’ont rien de moraux. Des principes monétaires, inscrit dans une croyance collective, transpartisane, formée à l’épreuve du trauma de l’hyperinflation de 1923, conçue, à tort ou à raison – en l’occurrence à tort –, comme l’antichambre du désastre maximal, le nazisme.

Il reste que, dans les négociations à répétition avec la Grèce, il y va moins, pour l’Allemagne, de « payer » ou de « ne pas payer », que de maintenir des principes d’orthodoxie – équilibre budgétaire, indépendance absolue de la banque centrale, interdiction de tout financement monétaire des déficits – dont elle s’est fait une constitution économique, une identité nationale de remplacement, un rempart imaginaire contre le chaos social, et la condition sine qua non de sa participation à la monnaie unique. Perdre des milliards d’euros, l’Allemagne y consentirait sans ciller si d’aventure l’abandon par l’Europe des impératifs monétaires catégoriques qu’elle lui a imposés jusqu’ici la déterminait à sortir – elle ! – de l’euro, au prix d’une réappréciation du néo-mark qui torpillerait ses surplus commerciaux. Mais plutôt ça, que transgresser. Et plutôt seule avec ses principes que mal accompagnée par des irresponsables.

Merkel bluffe-t-elle ? – non

Comme souvent, la sauvegarde des valeurs les plus sacrées s’accomplit au travers des manœuvres les plus troubles. Il n’échappe à personne, spécialement depuis les déclarations d’Angela Merkel, qu’un grand jeu de poker est en train de se mettre en place, avec stratégies de pré-intimidation et construction avancée du rapport de force. Au poker, comme on sait, tout l’art est dans l’appréciation du bluff. Merkel bluffe-t-elle ?

Il y a de quoi se poser la question quand on sait les angoisses qui ont entouré en 2012 l’éventualité d’une sortie de la Grèce. Les choses ont-elles changé depuis qui donneraient quelque nouveau crédit à l’apparente légèreté allemande quant à cette perspective ? En fait oui, et pour une raison essentielle : la restructuration de la dette grecque de 2012, telle qu’elle a eu pour effet, après digestion du haircut par les créanciers privés [4], de remettre la plus grande part des titres grecs aux mains des créanciers publics – l’Union européenne (UE), le Mécanisme européen de stabilité (MES), le Fond monétaire international (FMI) et la BCE détenant ensemble 254 milliards d’euros [5] contre 44 au secteur privé. Or les craintes qu’inspirait le scénario d’une sortie de la Grèce avait essentiellement partie liée avec la réactivation d’un risque de système en cas de défaut sur une dette à l’époque de 360 milliards d’euros, mais surtout détenue à presque 85 % par les investisseurs privés. Le fait même de la restructuration aura montré que cette crainte était probablement surestimée, puisque la sphère des créanciers privés aura absorbé des pertes entre 50 % et 70 % de valeur nominale sans dommage apparent. A fortiori maintenant le risque systémique n’est-il plus sur la table – « on peut y aller » conclut l’Allemagne, qui n’a jamais cessé de penser à ses banques dans toute cette affaire [6].

Si les effets collatéraux proprement financiers d’une sortie-défaut semblent assez contrôlables, qu’en est-il cependant des effets collatéraux politiques – alias la contagion ? Car il est bien certain que la sortie d’un pays aurait l’effet d’un coup de tonnerre, aux fortes propriétés d’émulation. Spécialement au Portugal et en Espagne, où des élections législatives doivent se tenir respectivement en novembre et décembre. Mais où en seront les effets d’émulation à ce moment précis ? Probablement pas à leur meilleur, c’est à craindre. Car il faut avoir l’honnêteté de reconnaître qu’entre difficultés logistiques de la réinstallation de la drachme, imperfections de la mise en place des contrôles de capitaux, super-dévaluation de fait, immédiateté de l’inflation importée, temps de réponse des exportations, etc., un processus de sortie-défaut commencera par une phase passablement chaotique, dont la stabilisation, puis la matérialisation des bénéfices, demanderont au moins douze et plus probablement dix-huit mois. Fin 2015, ce sera le fond du creux – soit la plus mauvaise image possible à offrir pour une stratégie de sortie de l’euro, et un caviar pour les « on vous l’avait bien dit » européistes.

N’y a-t-il pas cependant un coin à enfoncer dans le gambit allemand, tout de même marqué par une fameuse contradiction ? Car l’Allemagne déclare par avance s’opposer à toute restructuration de la dette détenue par les créanciers publics si la Grèce reste… mais n’aurait plus qu’à se passer le papier grec en tisane si jamais elle sortait. Annoncer que la moindre perte est intolérable avant, pour consentir – de fait – à tout perdre après, signale au minimum une logique un peu branlante. Et moyennement crédible. Il n’y a là cependant de contradiction qu’au regard d’une logique incomplète, car il faut dire à nouveau que l’Allemagne est moins près de ses sous qu’elle n’est près de ses principes. Refuser de concéder en matière de dette grecque n’a pas à voir avec un égoïsme qui veut faire des économies, mais avec la sauvegarde d’un dogme monétaire – celui que l’Allemagne a imposé à l’Europe monétaire, dont le rigoureux maintien est la condition de sa propre participation, et pour lequel elle est prête à payer des milliards.

La « négociation », ou la certitude du dessous

Dans ces conditions, disons tout de suite que, pour Syriza, le gosse se présente par le siège. Il est vrai que le parti de Tsipras s’est lui-même mis dans un mauvais cas, à soutenir, avec la plus complète inconséquence, et son projet de revenir sur le mémorandum, et son désir de rester dans l’euro. Il y avait là une contradiction que son aile gauche, incarnée par des économistes comme Stathis Kouvelakis, n’avait pas manqué de relever, et depuis quelque temps déjà : la marge des accommodements avec l’Euro-Allemagne sur la dette grecque a été épuisée avec la restructuration imposée aux créanciers privés, imaginer qu’elle pourrait être étendue aux créanciers publics, a fortiori quand on compte parmi ceux-ci la BCE, tient maintenant du rêve éveillé.

L’alternative pour Syriza est donc des plus simples : plier ou tout envoyer paître. Mais il n’y aura pas de tiers terme. Et si Tsipras imagine qu’il pourra rester dans l’euro et obtenir davantage que des cacahuètes, il se raconte des histoires. Sans doute pourra-t-on compter sur le commentariat européiste pour nous faire paraître les pistaches de gigantesques avancées, peut-être même des victoires triomphales, en tout cas la démonstration en acte de la formidable flexibilité des institutions européennes. La vérité c’est que Tsipras ne dépassera pas le stade de l’apéro, et plutôt bon marché, car l’Euro-Allemagne ne cèdera rien de significatif – demanderait-il davantage que Merkel lui montrerait aussitôt la porte.

Lire Alexis Tsipras, « Notre solution pour l’Europe », Le Monde diplomatique, février 2013.

Mais que veut Tsipras exactement ? Tendanciellement de moins en moins, semble-t-il. En deux ans, Syriza est passé d’une remise à plat complète du mémorandum à un très raisonnable rééchelonnement de la dette détenue par les créanciers publics. Il est certain qu’à ce degré d’affadissement, pour ne pas dire de renonciation, les contradictions sont moins aiguisées… Il ne l’est pas moins que toute entreprise de délestage réel de la dette, et d’affranchissement de la camisole de force des politiques économiques, conduirait à une éjection de fait de la zone euro, dont on remarquera qu’il n’est nul besoin d’un article (en l’occurrence manquant) des traités européens pour y procéder, ainsi que le cas chypriote a commencé d’en faire la démonstration : il suffit à la BCE de mettre le système bancaire grec sous embargo – concrètement : de lui interdire l’accès au refinancement – pour lui faire connaître dans les 24 heures une tension d’illiquidité telle que la reconstitution en urgence d’une banque centrale nationale est le seul moyen de le sauver de l’effondrement complet. Laquelle reconstitution équivaut à celle d’une monnaie nationale, puisqu’il ne saurait être question que la BCE reconnaisse comme euros des émissions monétaires en provenance de sources autonomes, situées hors de son contrôle. Les banques grecques pourraient être assez vite réintégrées dans le réseau international des paiements interbancaires, tout ce qui vient d’elles cependant étant compté comme drachmes, le cas échéant à un taux de change de un pour un à l’instant t = 0 – en attendant la dégringolade qui ne manquerait pas de se produire.

Le chemin rectiligne de la normalisation à la désillusion

Ce sera donc l’euro et la camisole, ou bien aucun des deux. Or rien ne semble préparer à ce second terme de l’alternative si l’on considère et la dérive politique de Syriza et le prétexte que lui donnent des sondages assurant que la population grecque demeure très attachée à la monnaie unique – et pour cause : Syriza, dérivant, a de fait abandonné de produire l’effort requis pour ancrer l’abandon de l’euro dans l’opinion comme une option possible, conformément par exemple à une stratégie d’affrontement gradué, au bout de laquelle l’arme ultime de la sortie est indiquée comme fermement intégrée à l’arsenal d’ensemble.

Mais l’on n’en revient pas de ces abandons successifs qui ont conduit un mouvement prometteur à une normalisation si rapide. Et le condamnent à brève échéance à de douloureuses désillusions : car il faut avoir un gros moral pour imaginer que de simples opérations de rééchelonnement, à politique économique globalement invariante, pourrait avoir quelque effet significatif sur l’économie grecque, dont on rappellera tout de même qu’elle a perdu 20 % de PIB depuis 2010 – soit un score qui qualifie pour les annales de la Grande Dépression façon Etats-Unis années 30, mais sans New Deal pour en sortir.

On n’en revient pas, donc, mais en fait, si, on en revient très bien. Car il n’y a là rien d’autre que l’effet écrasant des institutions du parlementarisme, dont le jeu réglé condamne irrésistiblement les disrupteurs politiques, soudainement magnétisés par l’objectif électoral, à nécessairement trahir tout ce qui a fait leur entrée en scène fracassante en infléchissant leur course vers le centre, à la manière dont Syriza a entrepris de récupérer les troupes atomisées du Pasok – un destin que Podemos connaîtra à son tour, à n’en pas douter (mais c’est en réalité déjà fait).

Après deux ans d’édulcoration déjà si prononcée, ne serait-il pas de l’ordre du miracle politique que Syriza ait la ressource interne d’en revenir à sa radicalité première pour envisager à nouveau une sortie de l’euro au cas – probable – où la renégociation du mémorandum ne livrerait que des queues de cerise ? La politique n’étant pas exactement le lieu d’élection du miracle, l’écrasement sous le poids des institutions européennes et du parlementarisme national réunis, et l’abandon de fait de toute ambition d’en finir avec la camisole néolibérale, sont bien le résultat prévisible de cette chronique d’une normalisation annoncée. Rude – mais salutaire – leçon de choses pour tous les partis de la (vraie) gauche européenne qui, à l’image du Front de gauche, n’en finissent pas de tourner autour du pot – s’ils tournent encore… – pour se perdre dans le rêve d’une « transformation de l’euro de l’intérieur », cette chimère dont Syriza leur montrera bientôt et l’inanité et le coût politique.

La réaction européiste, entre le bâton et la carotte

En vérité, la leçon sera, à terme, cuisante pour tout le monde. Car un gouvernement Syriza déconfit et ramené à une austérité à peine adoucie, sera moins la preuve en acte de la qualité des compromis européens que celle de ce que la zone euro est une taule qui ne connait pas les remises de peine. C’est pourquoi l’européisme, lui aussi, va devoir s’employer pour rattraper les dégâts, selon deux lignes prévisibles, la première, celle des intégristes, qui, déterminés à ne jamais rien céder sur rien, se mettront en devoir de justifier que les demandes grecques étaient « économiquement » impossibles à satisfaire ; la seconde, celle des ébranlés, dans l’esprit desquels les quatre années écoulées ont fini par faire passer l’ombre d’un doute, et qui se mettent déjà le cervelet au court-bouillon pour tenter de sauver leur belle Europe, moyennant un nouveau tour de manège constitutionnel.

Lire « Quand l’austérité tue », Le Monde diplomatique, octobre 2014.

D’une certaine manière, c’est l’intégrisme qui a la vie facile. La décision de se tenir à la croyance quoi qu’il arrive simplifie la réflexion, et ne demande que de trouver des chevilles pour accommoder les éventuels « défauts ». Ici l’intégrisme dira : parmi les créanciers publics, le plus précieux, le plus vulnérable, le plus délicat, c’est la BCE. Annuler la dette grecque, c’est prendre le risque de la mettre en perte, et condamner les Etats-membres, c’est-à-dire – ici néon – le contribuable, à devoir la recapitaliser.

On notera d’abord la faible consistance de l’argument qui, parmi les créanciers publics, fait grand cas des pertes de la BCE mais fort peu de celles du MES et de l’UE elle-même (27,7 milliards d’euros d’un côté contre 141 milliards d’euros + 53 milliards d’euros de l’autre pourtant). Mais c’est que dans « banque centrale », il y a « banque », qui permet de faire jouer toutes les associations d’idées avec la crise financière de 2007-2008, comme si la BCE était une sorte de Lehman Brothers en plus gros. « La faillite d’une banque » (de plus), et le spectre à nouveau du « grand effondrement », voilà l’épouvantail agité par les demi-habiles du monétarisme européen.

A l’opposé exact de leurs vaticinations cependant, de toutes les « banques » (et en fait de toutes les entités économiques), la banque centrale est la seule pour laquelle la prise de perte est d’une totale innocuité, en tout cas la faillite une catégorie entièrement dénuée de sens, et ceci pour cette simple raison que la faillite est un état d’illiquidité… que la banque centrale ne peut connaître puisqu’elle est, elle-même, la source de toute liquidité ! La banque centrale crée la liquidité. Elle la crée ex nihilo, par une opération qui n’a rien de magique, mais exprime une croyance collective en l’acceptabilité du signe monétaire comme équivalent général, inscrite dans des institutions particulières (qui, par ailleurs, se distinguent par leurs propriétés à reproduire plus ou moins bien cette croyance). Instance ultime de la liquidité, sommet de la pyramide du refinancement, au-delà duquel il n’y a plus rien – oui, c’est un peu vertigineux pour certains esprits innocents –, la banque centrale n’a pas à être elle-même « refinancée » ou recapitalisée, contresens conceptuel qui témoigne d’une incompréhension profonde des mécanismes monétaires : la banque centrale, si besoin est, apure ses propres pertes et s’autorecapitalise par création monétaire pour ainsi dire pro domo.

Comme souvent cependant, au voisinage immédiat des demeurés, il y a les cyniques – et les idéologues. Ceux-ci savent très bien que la banque centrale peut combler ses pertes par ses propres moyens de création monétaire, mais ils ne le veulent pas – essence même du dogme monétariste qui regarde toute création monétaire « anormale » comme un fléau en cours de formation. Mais qu’est-ce que l’« anormalité » en cette matière ? A cette question, le monétarisme appliqué répond invariablement : tout ce qui excède les besoins de refinancement des banques privées, et notamment tout ce qui pourrait constituer une opération plus ou moins médiate de soutien aux Etats – en quoi consisterait indiscutablement une annulation de la dette grecque inscrite à l’actif de la BCE.

Voilà pourquoi, en passant, le monétarisme se soucie bien moins des pertes du MES que de celles de la BCE en dépit de leurs ordres de grandeur comparés. Les premières sont des pertes sèches pour les Etats-membres, et ceux-ci devront les combler par de nouvelles ressources financières, prélevées ou empruntées – et ça leur coûtera. Les secondes relèvent d’une pure opération de monétisation, qui plus est à destination d’un Etat (grec) – de celles qui appellent le pieu en bois.

En tout cas, la théorie dite « quantitative » [7] ignore ici étrangement toutes les considérations de quantité pour ne répondre en fait qu’à des critères qualitatifs. Que le programme LTRO de la BCE [8] ensevelisse les banques privées européennes sous mille milliards d’euros à des taux proches de zéro et pour des échéances tout à fait hors des standards habituels de la politique monétaire, la chose est déclarée parfaitement « normale ». Que l’Etat grec se voie offrir une remise de dette de 27 milliards d’euros par la BCE, c’est le commencement d’un laxisme aussitôt affublé par les médias de l’étiquette « planche à billets », elle-même annonciatrice de la remise en circulation des brouettes pour aller acheter le pain.

Les eurobonds, ou la politique du plombier

Quoiqu’il ne soit jamais si visible qu’en ces situations très concrètes où le maniement à géométrie variable des mêmes arguments apparaît dans toute sa splendeur, l’entravement de la puissance publique est l’omniprésent non-dit de la construction européenne, dont les articles de traité ne donnent qu’une expression technique, affadie et méconnaissable comme telle. De l’interdiction des aides d’Etat à la fermeture de tous les degrés de liberté de la politique économique, l’impotence de la puissance publique, pour mieux dégager la piste aux puissances privées, est pourtant méthodiquement organisée. C’est le genre de chose qu’à l’inverse des « intégristes » – dont c’est le projet même ! –, les « ébranlés » peinent un peu à voir. Il est vrai que munis de la prémisse que l’Europe est par essence destinée au bien, c’est presque tout leur champ de vision qui pendant des décennies n’a été qu’une gigantesque tache aveugle. Aussi, passé le moment sans doute un peu tardif de l’ébranlement, se mettent-ils précipitamment en devoir de rafistoler le bouzin, avec malheureusement pour seul viatique intellectuel une idée de la politique qui oscille entre une vision de plombier et celle, plus enfantine, de l’ardoise magique.

En suivant d’abord leur ligne de plus grande pente, celle du bricolage technique, comme si quelques nouvelles tubulures financières pouvaient apporter de réelles solutions à des problèmes fondamentalement politiques. Le désastre de la monnaie unique était déjà un pur produit de cette forme de pensée, mais peu importe, c’est sans doute qu’« on n’était pas allé assez loin ». Si la monnaie unique est un peu branlottante, ce serait d’avoir oublié de la compléter de la dette unique. Et toujours pas un pour s’aviser que l’élément manquant n’est pas à chercher dans quelque introuvable instrument miraculeux de la politique monétaire ou financière, les eurobonds ou autre chose, mais dans une authentique communauté politique, pour encore longtemps manquante. Et faute de laquelle toute mise en commun des instruments techniques, loin de faire faire quelque progrès, n’a pas d’autre effet que d’approfondir la crise politique chronique, symptôme par excellence de la malfaçon européenne.

Cette crise politique est une crise de la souveraineté, crise de la soustraction à la délibération démocratique de la politique économique, réduite à une automatique asservie à des valeurs-consignes déposées dans les traités. Dans ces conditions le rapport des institutions européennes aux Etat-membres ne peut être qu’un rapport de surveillance. Et de mise sous tutelle quand les écarts de trajectoire passent un seuil critique. C’est cette logique que la mutualisation de la dette, solution fétiche des ingénieurs-économistes dépourvus de toute vision politique, va porter à un degré inouï. Car, à supposer même que l’Allemagne donne son aval à des eurobonds (auxquels, en première instance, elle a tout à perdre), ce ne pourrait être qu’à la contrepartie d’un dispositif de surveillance sans précédent dès lors que s’établit un mécanisme très formel de garantie solidaire.

Peut-on imaginer que l’Allemagne (et pas seulement elle d’ailleurs) consentirait à apposer sa signature sur des papiers émis solidairement par la Grèce, l’Espagne, le Portugal… et même la France, sans s’assurer de l’absolue rectitude de leurs politiques économiques, c’est-à-dire de leur absolue soumission à des règles draconiennes qui donneront rétrospectivement à celles d’aujourd’hui des airs de camp de vacances. Ce sont donc tous les caractères présents de la monnaie unique que les eurobonds viendraient accuser, et notamment celui de la dépossession pure et simple de souveraineté, la moindre entorse par un Etat-membre donnant lieu à une prise des commandes en direct de sa politique économique par les instances européennes, soit une forme de troïkation aggravée, désormais établie comme institution permanente de l’Union – et il faut avoir de sérieuses propensions au rêve éveillé pour voir dans cette nouvelle configuration du knout une formidable avancée.

L’ardoise magique de l’« avancée démocratique »

Mais la propension au rêve n’est pas ce qui fait défaut à l’européisme ébranlé. « Seule une refondation démocratique de l’Europe permettrait de mener des politiques de progrès social » déclare ainsi avec emphase Thomas Piketty [9]. Sans doute – d’ailleurs si ma tante en avait. Malheureusement (?), elle n’en a pas. Il s’agirait donc de s’aviser que la neutralisation des souverainetés populaires n’est pas une erreur accidentelle, ou une mauvaise tournure malencontreusement acquise en cours de route, mais bien un parti pris constitutionnel et réfléchi, voulu au premier chef par l’Allemagne pour garantir l’absolu respect des principes auxquels elle a conditionné sa participation à la monnaie unique.

De même que Syriza rêve en pensant avoir et le maintien dans l’euro et l’affranchissement de l’austérité, l’européisme ébranlé rêve quand il espère tenir ensemble la participation allemande et la remise complète de la politique économique à la discrétion démocratique. Car la discrétion, c’est-à-dire le maniement souverainement flexible des instruments de la politique économique, notamment monétaire, c’est le cauchemar par excellence de l’ordolibéralisme allemand transplanté à l’échelle européenne. Si donc, en cette matière, la démocratie s’assimile à la discrétion, et que l’Allemagne fait du refus de la discrétion un point d’intransigeance, la réclamation emphatique d’une refondation démocratique a à peu près autant de consistance que celle qui voudrait réformer la curie romaine sur la base d’un club naturiste.

Evidemment, ce sont là des questions qui excèdent passablement la vue économiste des choses, et qui requièrent de s’interroger préalablement sur les conditions de possibilité de la constitution d’une communauté démocratique pluri-nationale. Non que cette constitution soit impossible par principe. Mais que rien, symétriquement, ne garantit qu’elle soit de l’ordre de l’évidence [10]. Si l’on veut bien se souvenir que l’Allemagne n’est entrée dans la communauté monétaire européenne qu’à la condition de lui imposer ses propres principes – tels qu’ils font l’objet chez elle d’une adhésion largement transpartisane et pour ainsi dire méta-politique –, on devrait tout de même avoir à l’idée de se poser quelques questions, et notamment celle de la compatibilité d’un tel ultimatum avec toute construction démocratique.

Lire « Un peuple européen est-il possible ? », Le Monde diplomatique, avril 2014.

Mais, questionneur, il y a beau temps que l’européisme a oublié de l’être. Il est vrai que le monde des abstractions constitutionnelles est autrement plus confortable que le réel. C’est pourquoi on s’adonne avec ardeur à l’architecture en chambre, à la manière du « Manifeste pour une union politique de l’euro » [11], manifeste politique sans pensée politique, incapable de voir tout ce que la construction d’institutions politiques appelle de prérequis, et notamment l’existence d’une consistance communautaire minimale, où résident les conditions d’acceptation de la loi de la majorité – le cœur concret de la démocratie. Mais jamais l’européisme, qui rêve maintenant d’un parlement de l’euro, ne se soucie de savoir si l’Allemagne, qui pourtant a soumis jusqu’ici toute la construction monétaire européenne à ses seuls impératifs, pourrait accepter que soit remis en discussion l’indépendance de la banque centrale, l’interdiction du financement monétaire public, le dogme de l’équilibre budgétaire, l’exposition permanente des politiques économiques aux marchés financiers conçus comme auxiliaires de surveillance, etc. – c’est-à-dire accepter d’être mise en minorité sur ces sujets qui lui sont névralgiques.

Le salut pour Syriza ne viendra ni de quelque compromis européen, ni d’une chimérique reconstruction institutionnelle à froid, promesse aussi vide de réalisme politique que faite pour être renvoyée à des horizons perpétuellement repoussés. Mais l’inanité des fausses solutions n’exclut pas qu’il y en ait de vraies. Puisqu’il y a toujours une alternative. En l’occurrence, non pas caler le pied de table, pour ravauder son estime de soi avant de passer dessous, mais la renverser.

Pour tous ceux qui, au loin, contemplent dans un mélange d’inquiétude, de doute et d’espoir ce qui peut advenir en Grèce, il ne reste qu’une chose à faire vraiment : contre la force gravitationnelle des institutions qui s’efforce de ramener les déviants à leur ordre, rappeler à Syriza, en ce point de bifurcation où elle se trouve, tout ce qui dépend d’elle – et qui est considérable : contester vraiment l’austérité de la seule manière possible, la rupture, signifier à la face de l’« Union » la sédition ouverte d’avec son ordre néolibéral, c’est-à-dire créer un événement libérateur, pour le peuple grec, mais aussi pour tant d’autres qui espèrent avec lui.

Notes
[1] Annoncé en juillet 2012, mis en place en septembre de la même année, le programme OMT (Outright Monetary Transactions) autorise la BCE à racheter des volumes potentiellement illimités de titres souverains de l’eurozone. Cette décision a eu un effet quasi-instantané sur les investisseurs, et a probablement sauvé l’euro de la troisième attaque (juin 2012) qui promettait de lui être fatale.
[2] L’Union chrétienne-démocrate, le parti allemand au pouvoir
[3] Le Parti social-démocrate allemand
[4] L’haircut est une réduction de la valeur de la dette d’un emprunteur dans le cadre d’une restructuration de dette.
[5] Qui se décontractent en UE : 53 milliards d’euros ; MES : 141,8 milliards d’euros ; FMI : 32 milliards d’euros ; BCE : 27,7 milliards d’euros (d’après Flash Natixis, 5 janvier 2015, n° 12).
[6] Comme tous les autres pays d’ailleurs.
[7] Le monétarisme repose sur la théorie dite « quantitative » de la monnaie pour laquelle seul le volume des agrégats monétaires est déterminant.
[8] Long Term Refinancing Operations, programme de refinancement exceptionnel des banques européennes mis en place fin 2011 et début 2012.
[9] Thomas Piketty, « 2015 : quels chocs pour faire bouger l’Europe ? », Libération, 29 décembre 2014.
[10] Pour une discussion plus substantielle de ce problème, voir La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique, Les Liens qui Libèrent, chapitre 6, « Un peuple européen est-il possible ? ».
[11] « Manifeste pour une union politique de l’euro », Le Monde, 16 février 2014.

Source : Le blog de Lordon sur le Diplo

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-alternative-de-syriza/


[Reprise] Le délit d’apologie du terrorisme déporté vers le Code pénal

Monday 26 January 2015 at 03:30

Reprise de ce billet poste le 2 novembre 2014 – dont on a vite vu les dégâts…

Reprise d’un billet du Point et d’Eric Verhaeghe du mois dernier (que j’avais sous le coude). Application dans le billet suivant.

C’est officiel : le délit d’apologie d’actes de terrorisme bascule dans le Code pénal, devenant un délit terroriste. Alors que les députés examinent à l’Assemblée nationale en procédure d’urgence le projet de loi antiterrrorisme, ils ont voté mercredi soir le déplacement controversé du délit de provocation à des actes terroristes ou d’apologie de ces actes de la loi sur la presse de 1881. L’article 4 du projet de loi sur la lutte contre le terrorisme a pour objectif d’appliquer des délais de prescription allongés et des règles de procédure plus souples prévues dans le régime dérogatoire en matière terroriste.

Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a appelé à la “lucidité” face à “un phénomène récent et gravissime” et défendu l’article comme “nécessaire” face à “la stratégie médiatique” des groupes djihadistes et au fait qu’”Internet offre aux thèses les plus extrêmes une caisse de résonance démultipliée”, pas comparable avec la diffusion d’images à la télévision. Il a affirmé, entre autres, que “le basculement (vers le Code pénal) ne modifie en rien la définition et le champ d’application de ces délits existant déjà en droit positif” et que “laisser croire que la liberté de la presse est menacée relève d’une contre-vérité absolue”.

Une disposition qui ne fait pas l’unanimité

Lors du débat dans l’hémicycle, cette disposition a été contestée par plusieurs députés socialistes et écologistes, mais aussi quelques élus UMP. L’écologiste Isabelle Attard a redouté “un nouveau délit d’opinion, outil dangereux dans les mains d’un gouvernement démocratique et arme atomique dans les mains d’un gouvernement autoritaire”, et “un détricotage de la loi de 1881″. “Extrêmement réaliste sur l’existence d’une menace nouvelle et barbare, mais aussi attentif à la défense des libertés liées à l’existence des réseaux numériques”, le socialiste Christian Paul a notamment bataillé en vain contre la création d’une circonstance aggravante liée à l’usage d’Internet. Sur la même ligne, l’UMP Laure de la Raudière a assuré de sa “volonté de supprimer les contenus odieux d’Internet, mais Internet n’est pas hors la loi et je ne voudrais pas qu’on prenne le travers de créer une police privée qui serait les hébergeurs d’accès”.

Et, a critiqué Lionel Tardy, “95 % de ce qui passera sur Internet ne sera pas concerné puisque cela ne se passera pas sur le territoire français”. Soulignant que ses deux collègues ne reflétaient pas la “position dominante” de l’UMP, Guillaume Larrivé a défendu la “pertinence” du dispositif “pour avoir plus de moyens procéduraux de lutter contre ces délits”. Ancien magistrat, l’UMP Alain Marsaud a considéré cet article comme “l’un des plus difficiles à mettre en application”. “Imaginons un intellectuel français avec une chemise blanche, dans un hôtel à Benghazi, qui appelle à l’insurrection de la rébellion libyenne, est-ce qu’il ne pourrait pas tomber sous le coup de cet article ?” a-t-il ironisé, dans une allusion à Bernard-Henri Lévy.

Source : Le Point, 17/09/2014

Liberté du Net et République : Tardy et La Raudière sauvent (un peu) l’honneur, par Eric Verhaeghe

Engrenage sécuritaire

La discussion à l’Assemblée Nationale du projet de loi sur la lutte contre le terrorisme a donné lieu à d’ahurissantes tirades de la part du gouvernement et des élus sur la liberté du Net. En dehors de Lionel Tardy, et à certains égards de Christian Paul, peu de députés ont fait entendre la voix des libertés dans l’hémicycle. Rappelons que ce texte prétend lutter contre le terrorisme en restreignant l’accès à Internet. Une démarche à la chinoise qui a divisé à gauche comme à droite, et a permis à certains de dériver dans des délires stupéfiants.

Voici un florilège des interventions:

Bernard CazeneuveCette loi est aujourd’hui nécessaire à la sécurité de notre pays. Certes, il n’existe pas de risque zéro en matière de lutte contre le terrorisme – même ces nouvelles mesures ne peuvent garantir à elles seules un risque zéro. Mais l’entreprise criminelle des terroristes ou de ceux qui veulent les rejoindre aura été entravée, compliquée, empêchée. Des internautes, souvent jeunes, auront échappé aux actions de propagande et de glorification du crime. La justice et, sous son contrôle, les services de police auront à leur disposition des moyens d’action et d’investigation plus efficaces et plus protecteurs.

Sébastien Pietrasanta, rapporteur (socialiste) du texte: S’agissant, enfin, des garanties devant entourer la décision de blocage, toute décision de l’autorité administrative peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, dont l’indépendance et l’impartialité ne peuvent pas être mises en doute. Il s’agira là d’une garantie essentielle, dont l’importance ne saurait être minimisée.

On relira ici mes différents articles sur la connivence entre le juge administratif, qui est un fonctionnaire, et l’Etat, pour mesurer la mauvaise foi du rapporteur.

Alain Marsaud (UMP) à Bernard Cazeneuve: Vous avez passé huit minutes à rassurer, à vous justifier devant votre majorité en lui expliquant que vous n’étiez pas en train de vous asseoir sur les libertés individuelles et les libertés publiques. Mais ce n’est pas de cela que nous vous soupçonnons et ce n’est pas là le procès que nous vous ferons, bien au contraire.

Alain Tourret (PRG): Jusqu’où devrons-nous suspendre les libertés démocratiques ? Cette question est très importante. Je n’ai pas dit « supprimer », j’ai dit « suspendre » ! Nous avons su, dans notre histoire, suspendre à un moment donné les libertés démocratiques. Celles-ci, en effet, ne peuvent pas avoir le même contenu en temps de paix et en temps de guerre. Or la guerre nous a été déclarée. Nos grands textes sur l’état de nécessité en démocratie – je relisais l’œuvre du professeur Morange – ou sur l’état d’exception, à travers l’article 16 de la Constitution, permettent à l’évidence de considérer que, pendant un certain temps, lorsque la guerre nous est déclarée, les libertés démocratiques doivent être, sinon mises à l’écart, du moins appréciées en fonction du risque subi.

Marie-Françoise Bechtel (SRC): En définitive, c’est l’individualisation de la pulsion terroriste qui est traquée à travers ce projet de loi. Les réseaux sociaux, le partage, l’interactivité permettent certes à la redoutable puissance d’internet de contribuer à la vie collective des idées et des échanges, voire à une forme bienvenue de démocratie participative, mais ces progrès ont aussi un prix : l’alimentation à jet continu des pulsions les plus sombres, ainsi que la mise à disposition permanente, et quasiment gratuite, de la formation, idéologique ou matérielle, à l’attentat terroriste. Ce prix, la société tout entière le paie. C’est pourquoi – nous aurons un débat sur cette question – il ne paraît pas excessif que ceux qui ont la charge de faire vivre internet – et qui sont aussi ceux qui en vivent : opérateurs, fournisseurs d’accès, hébergeurs, éditeurs – soient responsabilisés, dès lors qu’ils le sont dans un cadre sécurisé, respectueux de la libre expression, mais aussi protecteur du droit à la sécurité, et dans certains cas, du droit à la dignité.

Merci à Marie-Françoise, donc, d’avoir tout haut ce qui guide le texte tout bas: la lutte contre « l’alimentation à jet continu des pulsions les plus sombres » dont Internet est le vecteur. Voilà ce qui en coûte à un pays d’avoir une classe politique périmée, qui ne comprend rien à l’évolution technologique: nos décideurs ont peur du progrès et cherche à l’encadrer coûte-que-coûte.

Pierre Lellouche (UMP): tout doit être fait pour empêcher le retour de ces terroristes, qui représentent autant de menaces mortelles – et je pèse mes mots – sur nos concitoyens. Tel est le sens de la déchéance de nationalité – mesure dont je mesure la gravité –, que je propose, avec d’autres collègues, d’introduire dans notre droit et qui s’appliquerait à tous les « Français » qui combattent au nom de l’État islamique. Qu’ont-ils de commun, ces égorgeurs, avec notre pays et avec les valeurs qui fondent notre République ? En choisissant le djihad, ces « Français »-là actent leur sortie définitive de la communauté nationale. Pour ma part, je les invite à rester en Irak et Syrie – et, si possible, à y trouver la mort de martyr qu’ils souhaitent.

Guillaume Larrivé (UMP): Je pense en outre qu’une mesure complémentaire doit être envisagée. Je propose, avec une vingtaine de collègues qui ont bien voulu cosigner un amendement en ce sens, que des policiers spécialement habilités, dans un cadre procédural défini par le Gouvernement, puissent agir comme des « corsaires » habilités à neutraliser, par des opérations techniques de piratage légal, des contenus informatiques provoquant à la commission d’actes terroristes.Il y a dans notre droit, notamment depuis l’adoption de la loi de programmation militaire, un dispositif analogue permettant de répondre à une cyber-attaque. Dans une logique antiterroriste, je propose que nous dotions les services spécialisés de la police nationale d’une immunité pénale leur permettant de s’introduire dans certains systèmes informatiques et de les détruire.

Thierry Mariani (UMP): nous le savons tous, internet contribue pour une part déterminante à cette évolution qui nuit aux intérêts fondamentaux de notre nation. C’est l’outil grâce auquel nombre de djihadistes suivent les étapes d’un processus d’auto-radicalisation et d’embrigadement.
Ces différentes mesures attribuent à la justice et aux services de police des moyens d’investigation adaptés à la menace et à ses évolutions. Cependant, si ces propositions intéressantes représentent des réelles avancées, elles risquent aussi d’être rapidement insuffisantes, de sorte que nous serons obligés d’aller plus loin dans les années à venir, particulièrement si un attentat devait malheureusement survenir sur notre sol.
Ainsi, s’il est vrai que le blocage administratif des sites internet faisant l’apologie du terrorisme réduira la diffusion de propos qui sont les principaux vecteurs de radicalisation, je regrette qu’une démarche de riposte informatique contre ces sites ne soit pas envisagée.

Face à ces délires et ces surenchères liberticides, je cite in extenso quelques interventions qui me paraissent sauver l’honneur de l’esprit démocratique:

Laure de la Raudière: Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, oui, la France doit être unie en matière de lutte contre le terrorisme. Cependant, mon intervention ne sera pas à l’unisson de celles des autres membres du groupe UMP ; c’est pourquoi je remercie au préalable le groupe UMP de m’avoir laissé la parole pour apporter un éclairage différent.

Beaucoup d’entre nous sont déjà intervenus pour rappeler la gravité de la situation et l’obligation de garder à l’esprit, au moment de prendre des décisions, que le pire est sans doute à venir. Aujourd’hui, tous les experts s’accordent sur le fait, très inquiétant, que la France peut connaître sur son sol de nouveaux actes terroristes, comme l’affaire Merah l’a malheureusement montré en 2012.

Les départs et la radicalisation de jeunes dans la pratique du djihadisme ne sont pas des faits nouveaux : ils sont connus, observés, analysés et surveillés depuis le milieu des années 1990. Mais tous les experts s’accordent aussi à dire que le phénomène syrien atteint une ampleur jamais égalée auparavant. Les départs sont beaucoup plus importants et concernent des individus aux profils très différents, qui deviennent par conséquent souvent difficiles à identifier.

Nul non plus ne pourrait nier l’usage que font d’internet les groupes terroristes recruteurs et les jeunes aspirant à se radicaliser. Internet n’est qu’un moyen, qui vient généralement en appui à des contacts bien physiques et locaux. L’usage d’internet est facile, rapide et discret ; il permet ainsi à ceux qui le souhaitent de chercher des informations, puis, éventuellement, de s’endoctriner, et enfin d’entrer en contact avec des groupes constitués sur place et d’élaborer un projet de départ.

En revanche, les différentes personnes auditionnées, notamment le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, sont en désaccord quant aux moyens à mettre en œuvre pour contrôler ou empêcher efficacement ces sites internet de nuire. Et pour cause ! La plupart estiment que les dispositions de ce projet de loi relatives à l’usage d’internet comme outil de propagande seront sans effet pour lutter contre le terrorisme. Monsieur le ministre, seul le retrait à la source des contenus illicites est efficace ; il est donc urgent d’entamer des négociations sur ce point avec les États-Unis et le Canada.

Pourquoi dès lors vouloir introduire coûte que coûte de telles dispositions dans ce texte ? Je veux m’arrêter spécifiquement sur cet aspect du projet de loi, sur votre volonté, votre persévérance, votre obstination, devrais-je dire, à prévoir une aggravation des sanctions quand le délit est commis via internet et à élargir encore, par une extension de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, le champ d’application du rôle de police privée des hébergeurs et du filtrage administratif, sans contrôle judiciaire d’internet.

Je constate malheureusement plusieurs choses récurrentes. Les dispositions relatives au filtrage administratif du Net, prévues à l’article 9, relèvent au mieux d’une méconnaissance du fonctionnement des réseaux, et donc de l’amateurisme, au pire d’une atteinte volontaire aux libertés individuelles des internautes par l’absence préalable de saisine du juge judiciaire.

Le parti socialiste se perd une nouvelle fois dans ses contradictions, puisqu’il avait combattu en 2011 les dispositions prévoyant un filtrage administratif de la pédopornographie en ligne, à l’article 4 de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, dans le cadre d’un amendement du groupe parlementaire SRC signé par l’ensemble des députés socialistes. J’ai encore en mémoire les propos de Patrick Bloche, de Christian Paul, qui était dans cet hémicycle il y a quelques instants, et même de Corinne Erhel. Pourquoi sont ils tous les trois si discrets ce soir ?

Monsieur le ministre, tout ceci donne l’impression que, face au constat de l’utilisation d’internet dans le phénomène de radicalisation, vous avez réagi comme votre prédécesseur, et même comme le ministre de l’intérieur précédent. Vous vous êtes dit : « On doit faire quelque chose pour arrêter la diffusion et la consultation de ces sites internet ; alors on va mettre en place le même dispositif que pour la lutte contre la pédopornographie en ligne. On va filtrer, sans passer par un juge, car il faut aller vite, il faut être réactif. » Et hop, la décision est prise ! Est-ce sérieux ?

Monsieur le ministre, vous êtes-vous posé deux questions essentielles ? Quelles sont les conséquences du fait de vouloir systématiquement écarter la justice a priori lorsqu’il s’agit d’internet ? Le dispositif proposé est-il réellement efficace et utile ? N’a-t-il pas, au contraire, des effets pervers ? Non, vous ne vous êtes pas vraiment posé ces questions, c’est évident ! Et pourtant, elles sont primordiales. Pour vous, l’important était de montrer que vous preniez des décisions et que vous agissiez face à ces nouveaux cyber-risques. C’est exactement la posture que vous reprochiez hier, avec force, à un certain Nicolas Sarkozy. Alors, je vais me permettre de répondre à ces deux questions.

La première question porte sur les conséquences de votre choix d’écarter le juge judiciaire préalablement. En quoi un délit commis sur internet doit-il faire l’objet d’une procédure ne permettant pas le débat contradictoire préalable et l’expression de la défense ?

M. Bernard Cazeneuve,ministre. C’est faux !

Mme Laure de La Raudière. Tout le monde reconnaît que les images de pédopornographie en ligne ou de provocation au terrorisme sont abjectes et ignobles, et qu’il est de bon sens de les interdire et d’empêcher leur diffusion le plus rapidement possible. Mais, loi après loi, vous mettez le doigt dans un engrenage bien pervers. Texte après texte, vous diffusez une doctrine attentatoire aux libertés individuelles : quand un délit est commis sur internet, alors aucun juge n’est saisi au préalable. Or internet n’est pas un monde à part ou placé hors du droit. Le préalable d’une décision judiciaire apparaît comme un principe essentiel, de nature à permettre le respect de l’ensemble des intérêts en présence lorsqu’est envisagé le blocage de l’accès à des contenus illicites sur des réseaux numériques. Non seulement ce préalable constitue une garantie forte de la liberté d’expression, mais il vise aussi à préserver la liberté de communication et la neutralité des réseaux. Votre choix risque d’entraîner une systématisation du filtrage administratif ; c’est d’ailleurs ce qui avait été initialement proposé, dans une récente proposition de loi déposée par le groupe SRC, pour lutter contre les sites de proxénétisme.

Comme vous le savez, l’Assemblée nationale a créé en février 2014 une commission ad hoc de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge numérique. Composée de treize députés de tous bords et de treize personnalités qualifiées, cette commission est co-présidée par le député socialiste Christian Paul et l’ancienne bâtonnière Christiane Féral-Schuhl. Elle s’est fixé l’objectif de définir une doctrine et des principes durables en matière de protection des droits et libertés à l’âge numérique, et ainsi d’éclairer les travaux parlementaires sur cette question. Elle a remis à la commission des lois un avis très réservé sur l’article 9. Alors qu’il est issu du travail de députés et d’experts qualifiés, cet avis n’a pas été pris en compte.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. À la commission des lois, nous avons aussi travaillé sérieusement !

Mme Laure de La Raudière. La deuxième question porte sur l’efficacité du dispositif proposé. Monsieur le ministre, vous ne trouverez pas un seul expert en cybersécurité pour défendre votre mesure de blocage des sites internet. Telle est la réalité ! En effet, le diagnostic sur les techniques de blocage et de filtrage fait l’objet d’un consensus : ces techniques sont totalement inefficaces, et vous le savez.

Rentrons un peu dans le détail du choix des technologies qui s’offrent à vous pour mettre en place ce blocage – c’est important pour savoir si la loi sera applicable, mais vous ne nous en avez pas parlé. Les blocages par adresse IP ou par nom de domaine sont les plus aisés à mettre en place, mais soit ils conduisent à des « surblocages » de sites licites, soit ils sont très facilement contournables. Les blocages par inspection du contenu sont lourds à mettre en œuvre, dégradent la qualité de service internet et sont très attentatoires aux libertés individuelles, car ils consistent à inspecter l’ensemble des échanges sur internet et à bloquer les flux jugés illicites.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Et là, que fait-on ?

Mme Laure de La Raudière. C’est le genre de technique qu’utilisent les pays totalitaires. Je n’ose imaginer que vous utiliserez soit une technologie totalement inefficace, soit une autre très attentatoire aux libertés individuelles… Aussi aurez-vous l’amabilité, monsieur le ministre, d’indiquer devant la représentation nationale ce que vous avez prévu de faire avec l’article 9.

Les études montrent de plus que 80 % des contenus qu’il faudrait bloquer sont diffusés via des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou Youtube. Les techniques de blocage actuelles, que je viens de citer, ne permettent pas de bloquer, sur ce type de sites, un seul contenu, une seule URL, une seule vidéo ou un seul message. On peut donc être sûr que les dispositions de l’article 9 ne seront quasiment jamais mises en œuvre, à moins de bloquer entièrement des sites parmi les plus fréquentés au monde. Parce que nous sommes là pour faire la loi – une loi applicable et efficace au regard d’un objectif fixé que nous soutenons tous –, je vous demande de revoir votre position sur l’article 9 relatif au filtrage d’Internet et de suivre l’avis éclairé de la commission ad hoc de l’Assemblée nationale, qui s’est opposée à ces dispositions.

Mme Isabelle Attard et M. François de Rugy. Très bien ! (…)

A propos du blocage administratif des sites (article 9):

M. Lionel Tardy. Mes soucis – mon malaise, dirais-je – devant le projet de loi se concentrent principalement sur cet article 9. J’y reviendrai lors de la défense de mes amendements. Cet article instaure ce contre quoi le parti socialiste s’était toujours opposé sous l’ère Sarkozy : le blocage administratif des sites.

En préambule, je souhaite préciser que je partage l’objectif de lutte contre le terrorisme. La France doit se donner les moyens de mener cette lutte et ne pas se priver de possibilités nouvelles. Le problème n’est pas là. Dans cet article 9, nous touchons à la liberté d’expression et aux limites techniques du projet de loi. Faut-il, une fois encore, faire reculer les libertés pour lutter contre le terrorisme ? Le meilleur exemple est celui de la NSA américaine qui, pour isoler des terroristes, finit par espionner toute la population.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Ce n’est pas faux !

M. Lionel Tardy. La France s’engage, à petits pas, dans cette direction. Vous  me répondrez que vous avez pleine confiance dans les services de police, où travaillent des gens compétents. Moi aussi. Mais le problème n’est pas là non plus.

Les incertitudes techniques, les risques de surblocage et l’absence d’intervention d’un juge a priori font du blocage administratif un dispositif qui peut être dangereux pour ceux qui n’ont rien à voir avec le terrorisme, et totalement contre-productif dans la lutte contre ceux qui baignent dedans. Monsieur le ministre, vous êtes, je le sais, conscient de ces risques. Persévérer en disant « on verra bien » ne me paraît pas raisonnable.

Si le Conseil constitutionnel a estimé que cette mesure était acceptable de façon exceptionnelle pour lutter contre l’exploitation sexuelle des mineurs, cette exception serait-elle valable en matière de lutte contre le terrorisme ? La question mérite d’être posée, et je souhaite que le Conseil constitutionnel soit saisi.

Qui va décider du blocage ? Pour quels sites ? Suivant quels paramètres ? Les réponses à ces questions sont trop incertaines.

Comme je viens de le dire, le Gouvernement a opté, pour des raisons d’efficacité, et à rebours de la position historique des socialistes sur le sujet, pour le blocage administratif, au détriment du recours classique à un juge tel que la loi le prévoit déjà. C’est la méthode qui avait déjà été retenue dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2, contre les contenus pédopornographiques. Lorsque la LOPPSI avait été adoptée, l’opposition socialiste avait saisi le Conseil constitutionnel, notamment sur la question du blocage sans juge. Parmi les députés signataires de la requête figuraient de nombreux poids lourds de l’actuelle majorité, dont un certain Manuel Valls, et vous également, monsieur le ministre de l’intérieur. Cette mesure de blocage administrative n’a jamais été mise en œuvre, je le rappelle,…

Mme Laure de La Raudière. Le Gouvernement n’a jamais pris de décret !

M. Lionel Tardy. …faute de décret d’application. Les négociations entre les pouvoirs publics et les fournisseurs d’accès à internet – les FAI – avaient achoppé sur les questions du dédommagement et de la méthode du blocage. Dans l’étude d’impact du projet de loi, fournie lundi à la commission, on apprend que le décret d’application de la LOPPSI est quasiment finalisé et qu’un seul et même décret d’application serait envisagé pour les deux textes.

En l’état actuel du projet de loi, les FAI se verront communiquer par les services de renseignement, si ces derniers n’ont pas réussi à obtenir la suppression du contenu auprès de l’hébergeur ou de l’éditeur, une liste de sites à bloquer. Mais, trois ans après l’adoption de la LOPPSI 2, cette solution reste un véritable casse-tête, quelle que soit la solution utilisée. Laure de La Raudière l’a expliqué excellemment tout à l’heure.

Outre le risque de bloquer des sites qui ne devraient pas l’être, les dispositifs envisagés dans ce projet de loi sont très facilement contournables, que ce soit par les tenanciers des sites ou par leurs visiteurs. Ce risque était souligné dès 2011 dans le rapport sur la neutralité des réseaux de Corinne Erhel et Laure de La Raudière. Certaines pratiques de chiffrement, « notamment le chiffrement, présentent des risques pour la sécurité bien supérieurs à la défense des intérêts protégés, de manière inefficace, par le blocage ou le filtrage », écrivaient les députées. Je les rejoins.

Mme Laure de La Raudière. Ce rapport n’a pas pris une ride !

M. Lionel Tardy. Sauf à vouloir interdire tous les sites sécurisés, notamment dans le domaine bancaire ou de la vente par internet, vous ne pourrez rien faire contre le chiffrement des données, seul garant de la sécurisation des transactions. On se mord donc la queue.

L’annonce du recours au blocage de sites a été fraîchement accueillie par les groupes de défense des libertés sur internet, mais aussi, plus surprenant, par le directeur de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, l’organisme chargé de la sécurité informatique de l’État.

Mme Laure de La Raudière. Il a fait part de ses réserves lors de son audition !

M. Lionel Tardy. Lors d’un colloque organisé le 10 septembre, le directeur de l’ANSSI, Guillaume Poupard, a expliqué être « très réservé sur ces mesures d’un point de vue technique », ainsi que l’a rapporté le site Nextinpact.

Mme Laure de La Raudière. Il a dit la même chose lors de son audition par la commission !

M. Lionel Tardy. Internet constitue un bon moyen de repérer et de suivre les candidats au djihad qui, très souvent, se font repérer en commettant des erreurs, ne pensant pas être surveillés. Le blocage risque donc de priver les services de police, au sens large, d’une partie de leurs moyens de surveillance. Cette critique a été formulée par le Conseil national du numérique dans son rapport du 15 juillet relatif au projet de loi. Le CNN estime que le blocage fait courir « le risque de pousser les réseaux terroristes à complexifier leurs techniques de clandestinité, en multipliant les couches de cryptage et en s’orientant vers des espaces moins visibles du réseau ».

Alors, vous aurez beau nous assurer qu’un arbitrage sera fait entre l’intérêt qu’ont les services à maintenir des sites en ligne, quitte à alerter les djihadistes de la mise sous surveillance de leur site, et le danger que font peser ces sites, notamment les sites de recrutement, sur les Français. L’inefficacité de ces mesures et leurs dommages collatéraux ne disparaîtront pas par enchantement.

M. Pietrasanta, rapporteur du texte, se félicitera sûrement d’avoir introduit des garde-fous qui n’étaient pas prévus dans le texte initial. À sa sortie du ministère de l’intérieur, le projet de loi prévoyait qu’un juge de l’ordre judiciaire contrôlerait a posteriori la liste fournie par les autorités, sans pouvoir de sanction. La commission des lois de l’Assemblée a remplacé ce juge par une personnalité qualifiée désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui aura un pouvoir de recommandation auprès de l’autorité administrative et pourra saisir le juge administratif si sa recommandation n’est pas suivie.

Un principe de subsidiarité a été introduit à l’article 9 en commission des lois. L’autorité administrative cherchera d’abord à faire supprimer le contenu auprès de l’hébergeur et de l’éditeur à la source avant de recourir au blocage au niveau des FAI : quelques mesurettes à la marge, mais le compte n’y est pas.

Que faire, me direz-vous ? La seule solution efficace et respectueuse des droits fondamentaux des citoyens pour faire disparaître un contenu illicite est de le supprimer directement à la source, là où il est hébergé. Et, si besoin, de faire comparaître son auteur devant un juge après une enquête de police.

Vous l’aurez compris, la difficulté est liée au fait que si le contenu illicite est hébergé à l’étranger, votre loi n’y pourra rien. Il serait au demeurant intéressant, monsieur le ministre, de connaître la proportion de sites terroristes hébergés en France et à l’étranger. Pour ma part, je pense que la fourchette se situe à environ 5 % de sites en France contre 95 % à l’étranger. Ce qui signifie que votre loi sera inefficace dans 95 % des cas.

De mon point de vue, il vaut mieux renforcer nos moyens de surveillance, ce qu’on appelle « se mettre dans le flux », plutôt que de procéder à des mesures de blocage administratif, lesquelles iront à l’encontre de l’objectif visé et des intérêts de nos concitoyens en termes d’efficacité.

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. L’article 9 suscite nombre de critiques, l’une venant d’être exprimée par notre collègue Tardy; et beaucoup de députés, monsieur le ministre, sur tous les bancs, partagent ce qui vient d’être dit à l’instant. C’est du reste la position qui a été adoptée à l’unanimité par le Conseil national du numérique, instance créée par le Gouvernement et régulièrement consultée lorsque des projets de loi ou des politiques publiques concernent les enjeux numériques et les libertés. C’est également la position qui a été prise à l’unanimité par la commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge numérique, au sein de notre Assemblée. Ces positions sont aussi partagées par de nombreux experts et par des magistrats, y compris celui qui a été cité à plusieurs reprises ce soir dans nos débats. Je mentionnerai du reste un extrait de son intervention devant le Conseil national du numérique.

La question est simple. Faut-il une mesure de police administrative pouvant être renvoyée devant le juge administratif, ou faut-il une décision préalable du juge judiciaire pouvant permettre de faire obstacle à des sites qui font l’apologie du terrorisme et qui veulent procéder à des recrutements ? Dans ce dernier cas, le ministère de l’intérieur, la puissance publique, par une procédure qui serait à préciser, peut saisir à la fois le parquet et par son intermédiaire le juge judiciaire, par exemple le juge des libertés.

Nous avons ainsi à faire ce soir le choix soit de maintenir l’article 9 soit de le supprimer, ce que je proposerai par mon amendement. Cet arbitrage doit prendre en compte un certain nombre de paramètres.

Le premier est bien sûr la question de l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme.

M. Lionel Tardy. Bien sûr.

M. Christian Paul. Après avoir pris connaissance des travaux de la commission des lois, de vos propres déclarations, nous avons compris que 80 %, peut-être même 90 % des contenus incriminés se déploient sur les réseaux sociaux – Facebook, Twitter ou d’autres.

M. Lionel Tardy. En effet.

M. Christian Paul. Dans ce cas, la question posée n’est pas celle du blocage, mais celle du retrait de ces contenus par la coopération des réseaux sociaux. De ce point de vue, les modifications apportées en commission des lois par le rapporteur vont dans le bon sens s’agissant en quelque sorte de l’introduction de la subsidiarité du blocage et de la priorité au retrait. Jusque-là, nous pouvons être d’accord.

Pourquoi faisons-nous germer dans le pays une polémique sur l’article 9 alors qu’il s’agit en l’occurrence de quelques dizaines de site chaque année ? Non des milliers qui viendraient engorger les institutions judiciaires, mais quelques dizaines, pas davantage.

C’est la raison pour laquelle je voudrais porter à votre connaissance l’appréciation du juge Trévidic dont il a fait part lors des travaux du Conseil national du numérique. « Ces quelques sites de recrutement pourraient être bloqués en urgence, tout en restant dans le cadre de procédures judiciaires. Ces sites de sélection doivent être bloqués immédiatement » – sélection signifie recrutement. « La question des sites de propagande est plus problématique » – je pense qu’il est fait là allusion aux réseaux sociaux. « Le blocage de ces quelques sites officiels qui sont au nombre d’une dizaine peut se faire par référé. »

M. Lionel Tardy. Bien sûr.

M. Christian Paul. « Ces sites seraient bloqués dans leur totalité. »

Évidemment, la question de la technique à laquelle on a recours se pose : « Les sites de propagande trop nombreux ne peuvent être tous traités par référé » – l’essentiel est sur les réseaux sociaux. « En cas de référé, c’est un juge civil qui sera chargé de rendre la décision – un juge spécialisé pourrait s’en charger. Les juges antiterroristes connaissent les sites en cause. »

Voilà une appréciation – qui en vaut certainement d’autres – sur l’efficacité du dispositif. Je reviendrai plus tard sur les effets collatéraux et les questions de surblocage. La question qui nous est posée – parce qu’il y va aussi de principes –, c’est de savoir s’il est utile de mettre fin à un principe ou plutôt à la défense par notre groupe de ce principe. Cela n’a rien de politicien, monsieur le ministre. Pendant dix ans, nous nous sommes battus avec beaucoup de celles et ceux qui sont présents ce soir en faveur du respect de ce principe,…

M. Lionel Tardy. Oui.

M. Christian Paul. …c’est-à-dire pour le recours au juge judiciaire en cas de demande de blocage d’un site, avec une procédure préalable qui peut être contradictoire – moins quand il s’agit d’un site hébergé dans des situations non coopératives. Si l’on veut ouvrir une brèche et mettre fin à ce principe que nous avons défendu sans relâche, y compris devant le Conseil constitutionnel,…

M. Lionel Tardy. Tout à fait.

M. Christian Paul. …il faudrait faire la démonstration – permettez-moi d’inverser la charge de la preuve – que l’on ne peut pas faire autrement. Certes, il est vrai que la menace djihadiste sur internet est sans doute nouvelle par rapport à des combats menés il y a trois, cinq ou dix ans. Face à cette menace nouvelle, il faut une détermination particulière, mobiliser les services du ministère de la justice sans pour autant créer des dizaines de postes de magistrats. Nous avons souvent regretté au cours des années 2000 et encore récemment qu’il n’y ait pas davantage de magistrats spécialisés en matière de cybercriminalité.

Mme Laure de La Raudière. Oui !

M. Christian Paul. Oui, il faut davantage de magistrats et de policiers spécialisés en matière de cybercriminalité ou de cyberterrorisme. L’enjeu est là.

M. Lionel Tardy. Exactement.

M. Christian Paul. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de la mobilisation du Gouvernement, comme nous l’avions demandé au précédent.

Voilà les raisons pour lesquelles l’article 9 ne me paraît pas utile et c’est pour cela qu’avec un certain nombre de collègues du groupe SRC – Patrick Bloche, Corinne Erhel, Laurence Dumont première vice-présidente de l’Assemblée nationale, Marie-Anne Chapdelaine, membre de la commission des lois, Cécile Untermeier et d’autres –, nous avons souhaité vous exposer très sereinement, mais avec conviction notre point de vue sur ce débat lequel n’est pas le premier sur ces questions. Très franchement, je n’ai pas entendu jusqu’à présent de raisons valables d’oublier ce principe ou d’introduire une exception forte. Je ne les ai pas entendues dans la présentation du texte par le Gouvernement ni dans les travaux de la commission des lois. J’ai certes apprécié les amendements déposés par le rapporteur, mais je persiste à croire qu’il s’agit d’une erreur et je vous invite, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ne pas la commettre.

Source : Blog, Eric Verhaeghe,19/09/2014

Source: http://www.les-crises.fr/delit-apologie-du-terrorisme/


Beaucoup de journalistes ont aussi été tués à Gaza, par Noam Chomsky

Monday 26 January 2015 at 02:00

Les attentats de Paris montrent l’hypocrisie de l’indignation occidentale, par Noam Chomsky, 19/01/2015

NdE : Noam Chomsky est professeur émérite du département de linguistique et de philosophie de l’Institut de Technologie du Massachussetts (MIT). Il a publié récemment « Masters of Mankind » [NdT : « Les maîtres de l'humanité »]. L’adresse de son site web est www.chomsky.info. Les opinions exprimées dans ce texte n’appartiennent qu’à l’auteur.

(CNN) Après l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo qui a fait 12 morts dont le rédacteur en chef et quatre autres dessinateurs, et le meurtre de quatre juifs le lendemain dans un supermarché casher, le premier ministre français Manuel Valls a déclaré « la guerre contre le terrorisme, contre le djihadisme, contre l’Islam radical, contre tout ce qui vise à détruire la fraternité, la liberté, la solidarité. »

C’est sous la bannière « Je suis Charlie » que des millions de personnes ont manifesté pour condamner ces atrocités et dénoncer en chœur ces horreurs. Il y eut d’éloquents discours d’indignation, brillamment résumés par Isaac Herzog, chef du parti travailliste israélien et candidat favori aux prochaines élections, qui a déclaré que « Le terrorisme, c’est le terrorisme. Il n’y a pas d’autre manière de le définir », et que « toutes les nations qui cherchent la paix et la liberté [font face] à l’énorme défi » de la violence brutale.

Ces crimes ont également provoqué un torrent de commentaires, cherchant les racines de ces agressions choquantes dans la culture islamique et explorant des façons de contrer cette vague meurtrière de terrorisme sans sacrifier nos valeurs. Le New York Times a qualifié l’attentat de « choc des civilisations », mais il a été corrigé par l’éditorialiste du Times, Anand Giridharadas, qui a tweeté que cela « n’était pas et ne serait jamais une guerre de civilisations, entre elles. Mais une guerre POUR la civilisation, contre des groupes qui se trouvent de l’autre côté de cette ligne. #CharlieHebdo. »

Le déroulement des événements à Paris a été décrit de manière très détaillée dans le New York Times par Steven Erlanger, correspondant vétéran du journal en Europe : « une journée de sirènes, de survols d’hélicoptères, de bulletins d’informations ; de cordons de police et de foules angoissées ; de jeunes enfants emmenés loin des écoles par mesure de sécurité. C’était un jour comme les deux précédents, de sang et d’horreur, dans Paris et ses alentours. »

Erlanger a également cité un journaliste survivant qui disait que « Tout s’est effondré. Il n’y avait pas d’issue. Il y avait de la fumée partout. C’était terrible. Les gens hurlaient. C’était comme dans un cauchemar. » Un autre a raconté « une énorme détonation, puis tout est devenu noir. » La scène, rapporte Erlanger, « était une scène de plus en plus familière faite de verre brisé, de murs effondrés, de poutres tordues, de peinture brûlée, de dégâts émotionnels. »

Cependant, ces dernières citations – comme nous le rappelle le journaliste indépendant David Peterson – ne datent pas de janvier 2015. En fait, elles proviennent d’un reportage d’Erlanger datant du 24 avril 1999, qui avait reçu moins d’attention. Erlanger y décrivait « l’attaque des missiles de l’OTAN sur le siège de la télévision nationale serbe » qui avait « fait disparaître Radio Television Serbia des ondes », tuant 16 journalistes.

« L’OTAN et les responsables américains ont justifié l’attaque », a écrit Erlanger, « en disant qu’il s’agissait d’un effort pour affaiblir le régime du président Slobodan Milosevic de Yougoslavie. » Kenneth Bacon, le porte-parole du Pentagone a déclaré lors d’une réunion à Washington, que « la télé serbe fait autant partie de la machine meurtrière de Milosevic que son armée », ce qui en faisait par conséquent une cible militaire légitime.

Il n’y eut aucune manifestation ni pleurs d’indignation, ni slogan « Nous sommes RTV », pas d’enquête sur la raison des attaques, dans la culture chrétienne et son histoire. Au contraire, l’attaque contre la presse a été applaudie. Le très respecté diplomate américain Richard Holbrook, alors représentant en Yougoslavie, a décrit le succès de l’attaque de la RTV comme un « développement positif et, je pense, extrêmement important », sentiment partagé par d’autres.

Il y a beaucoup d’autres événements qui n’appellent aucune enquête sur la culture occidentale et son histoire – par exemple la pire atrocité terroriste en Europe de ces dernières années, en juillet 2011, lorsque Anders Breivik, un extrémiste chrétien ultra-sioniste et islamophobe, a massacré 77 personnes, principalement des adolescents.

Dans la « guerre contre le terrorisme », la campagne terroriste la plus extrême des temps modernes est aussi passée sous silence – la campagne mondiale d’assassinats de Barack Obama visant quiconque suspecté de peut-être vouloir nous faire du mal un jour, ainsi que les malheureux se trouvant dans les parages. On ne manque pas d’exemples de ces malchanceux, comme ces 50 civils tués dans un bombardement américain en Syrie, en décembre, dont on a à peine parlé dans les medias.

Une personne a effectivement été punie, en lien avec le bombardement du siège de la RTV (Radio-TV Serbe) par l’OTAN. Ce fut Dragoljub Milanović, le directeur général de la station, qui a été condamné par la Cour européenne des Droits de l’Homme à 10 ans de prison pour n’avoir pas réussi à faire évacuer le bâtiment, selon le Comité de Protection des Journalistes. Le Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie a examiné l’attaque de l’OTAN et a conclu que ce n’était pas un crime, et bien que les pertes civiles aient été « malheureusement élevées, elles n’apparaissaient pas comme clairement disproportionnées. »

La comparaison entre ces cas nous aide à comprendre la condamnation du New York Times par l’avocat des droits civiques Floyd Abrams, connu pour son infatigable défense de la liberté d’expression. « Il y a des moments pour la retenue », a écrit Abrams, « mais dans le sillage immédiat de la plus grande attaque contre le journalisme de mémoire d’homme, [les éditeurs du Times] auraient mieux servi la cause de la liberté d’expression en s’engageant pour elle », en publiant les dessins de Charlie Hebdo ridiculisant Mahomet qui ont provoqué cette attaque.

Abrams a raison de décrire l’attaque de Charlie Hebdo comme « étant de mémoire d’homme, le plus grave assaut contre le journalisme. » La raison est liée au concept de « mémoire d’homme », une catégorie minutieusement élaborée pour inclure leurs crimes contre nous, tout en excluant scrupuleusement nos crimes contre eux – ces derniers n’étant pas des crimes, mais une noble défense des plus hautes valeurs, parfois perverties par inadvertance.

Ce n’est pas l’endroit pour analyser ce qui « était à défendre » lorsque la RTV fut attaquée, mais une telle recherche nous en apprend beaucoup (voir mon livre A New Generation Draws The Line [NdT: « Une nouvelle génération fixe ses règles »).

Il y a bien d’autres illustrations de cette intéressante catégorie qu’est la « mémoire des faits ». L’une d’elles est l’attaque des Marines contre Falloujah en novembre 2004, l’un des pires crimes commis lors de l’invasion de l’Irak par l’alliance américano-britannique.

L’attaque a commencé par l’occupation de l’hôpital général de Falloujah, un crime majeur en soi, au-delà de la manière dont elle s’est déroulée. L’attaque a été largement reprise à la Une du New York Times, accompagnée de photos décrivant comment “les patients et le personnel soignant ont été sortis de leur chambre à la hâte par des soldats armés. Ceux-ci leur ont ensuite ordonné de s’asseoir ou de s’allonger sur le sol pendant que des soldats leur attachaient les mains derrière le dos”. L’occupation de l’hôpital était louable et justifiée, a-t-on estimé : elle a « forcé l’arrêt de ce que les agents considéraient comme une arme de propagande pour les militants : l’hôpital général de Falloujah et son flot de blessés civils. »

De toute évidence, il ne s’agissait pas d’une attaque contre la liberté d’expression, et cela n’entre pas dans la catégorie « mémoire des faits. »

D’autres questions viennent à l’esprit. On pourrait naturellement se demander comment la France fait respecter la liberté d’expression et les principes sacrés de « fraternité, liberté, solidarité ». Est-ce par exemple grâce à la Loi Gayssot, appliquée à de nombreuses reprises, qui accorde à l’état le droit de décider de la Vérité Historique et de punir quiconque a une interprétation divergente ? Ou bien en expulsant les malheureux descendants des survivants (Roms) de l’Holocauste vers l’Europe de l’Est où les attend une implacable persécution ? Ou alors en traitant de manière déplorable les immigrants nord-africains des banlieues de Paris dans lesquelles les terroristes de Charlie Hebdo sont devenus des djihadistes ? Est-ce enfin quand le courageux journal Charlie Hebdo a licencié le dessinateur Siné au motif qu’un de ses commentaires aurait eu des connotations antisémites ? Cela soulève tout de suite beaucoup d’autres questions.

Quiconque ayant les yeux ouverts aura immédiatement remarqué d’autres omissions assez frappantes. Ainsi, les palestiniens sont au premier rang de ceux qui affrontent « l’ énorme défi » de la violence brutale. A l’été 2014, lors d’une nouvelle attaque vicieuse d’Israël sur Gaza, au cours de laquelle de nombreux journalistes ont été assassinés, quelquefois dans des voitures clairement identifiables comme appartenant à la presse, en même temps que des milliers d’autres victimes, alors que cette prison à ciel ouvert gérée par Israël était à nouveau réduite à l’état de gravats, sous des prétextes qui ne résistent pas une seconde à l’analyse.

L’assassinat de trois autres journalistes d’Amérique latine en décembre, portant le total de l’année à 31, a également été ignoré. Il y a eu plus d’une douzaine de journalistes tués rien qu’au Honduras depuis le coup d’état militaire de 2009, qui a été reconnu par les États-Unis (mais par peu d’autres pays), ce qui place probablement le Honduras en tête de la compétition du meurtre de journalistes par habitant. Mais là encore, ce n’est pas, de mémoire d’homme, une attaque contre la liberté de la presse.

Ce n’est pas bien compliqué de détailler. Ces quelques exemples illustrent un principe très général qui est observé avec professionnalisme et constance : plus nous pouvons imputer de crimes à nos ennemis, plus ils sont violents ; plus notre responsabilité y est importante – et par conséquent plus nous pouvons les faire cesser – moins nous y porterons intérêt, plus nous aurons une tendance à l’amnésie ou même au déni.

Contrairement à l’éloquente déclaration, ce n’est pas vrai que « Le terrorisme, c’est le terrorisme. Il n’y a en a pas deux sortes ».

Il en existe clairement deux : le leur contre le nôtre. Et pas seulement pour le terrorisme.

Source : CNN, le 19/01/2015 Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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En bonus, un discours d’Howard Zinn, ami de Noam Chomsky, sur la guerre source : partage-le.com) :

Source: http://www.les-crises.fr/beaucoup-de-journalistes-ont-aussi-ete-tues-a-gaza-par-noam-chomsky/


Attaque contre “Charlie Hebdo” : Michel Onfray regrette que les médias n’aient été “que dans l’émotion”

Monday 26 January 2015 at 01:52

Un bel extrait où Onfray pose de très bonnes questions.

Je vous proposerai la version intégrale très rapidement…

Invité sur le plateau de “On n’est pas couché“, Michel Onfray est revenu sur le traitement par les médias des attentats de la semaine dernière. Il se faisait ainsi l’écho d’une de ses tribunes, dans laquelle il racontait sa perception des évènements le mercredi 7 janvier dernier, jour de l’attaque contre “Charlie Hebdo”. Affirmant avoir ressenti une vive émotion lorsqu’il a appris l’attentat contre le journal satirique, il n’a cependant pas caché avoir été “sidéré” par ce qu’il avait vu et entendu devant sa télévision ce jour-là.

À REGARDER ICI

“J’ai juste vu de l’émotion”

Je n’ai pas vu de mise en perspective de ce qui avait eu lieu avec de la politique, de la géopolitique, avec des explications qui auraient pu nous expliquer pourquoi on en était arrivé là” a-t-il regretté. “J’ai juste vu de l’émotion”, a-t-il poursuivi. “Ca me paraît normal l’émotion. On est tous des enfants ou des petits-enfants de Cabu ou Wolinski“, a-t-il commenté. Avant de réaffirmer sa critique vis-à-vis des médias : “Je me suis dit : ‘Effectivement, ça ne pense pas beaucoup et ça n’a pas pensé beaucoup pendant très longtemps’“.

Une prise de position qui n’a pas convaincu Léa Salamé. “Pardonnez-moi, mais comment voulez-vous qu’il en soit autrement quand il y a une tuerie avec 12 personnes qui sont tuées en plein Paris. Comment voulez-vous qu’on fasse des analyses géopolitiques à chaud ? (…) Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas d’émotion ?“. “Je n’ai pas dit qu’il ne fallait pas de l’émotion“, a rectifié Michel Onfray, précisant qu’il n’y avait eu “que de l’émotion“. Alors que Léa Salamé évoquait un état naturel d’effroi face à ces faits, le philosophe a critiqué les journalistes. “Je pense que les journalistes sont prescripteurs. Ils ont des avis sur tout. Ils commentent en permanence. Ils nous disent ce qu’il faut penser, où est le bien, où est le mal… En permanence c’est ça“, a-t-il estimé.

“On a envie d’autres choses”

Avant de poursuivre : “Et on a une information qui nous est donnée à jet continu et on y va dans le pathos. C’est normal le pathos. On a tous été choqué. Mais je pense que quand on a des journalistes qui font des écoles de journalistes, qui sont payés pour être journalistes, c’est à dire pour être informés, c’est à dire pour connaître les dossiers, on a envie d’autres choses que ce que l’on voit en temps normal, c’est à dire du surcommentaire. A un moment donné sur mon écran, il n’y avait pas moins d’une dizaine informations. Et on commentait ce que l’on voyait“, a-t-il expliqué, évoquant les descriptions par les journalistes des images montrées en direct à l’antenne.

Et de conclure : “Il y avait des informations. Le président de la République qui était en train de faire quelque chose, d’un seul coup s’arrête. Il quitte l’Elysée et, nous dit-on, il dévale quatre à quatre les marches en compagnie de son conseiller en communication. L’obscénité, elle est aussi là, me semble-t-il“. 

Source: http://www.les-crises.fr/onfray-regrette-que-les-medias-naient-ete-que-dans-l-emotion/


Série Charlie

Sunday 25 January 2015 at 05:30

Petit billet informatif

Les passions étant un peu retombées, je souhaite publier ici pas mal de billets / informations assez intéressantes qui me sont passées sous les yeux dans le drame Charlie Hebdo.

Nous avons tous été frappés de plein fouet par ce drame injustifiable, frappant une vingtaine d’innocents.

Comme cela restera à mon avis un élément très important pour notre avenir, je souhaiterais qu’on réfléchisse plus en profondeur.

Et ce dans le but de comprendre l’histoire de ce journal, les polémiques passées, réfléchir à la liberté d’expression, aux notions de sacré et tabous, aux causes profondes du terrorisme (qui sont quand même un peu plus profondes que quelques sourates dans le Coran…)…

Le tout en se posant en arrière plan la question : comment ne pas donner gain de cause à Al Qaeda, comment ne pas abandonner nos valeurs, comment faire en sorte que la Nation sorte renforcée de cette épreuve, et non pas affaiblie ou divisée.

Ce qui revient à dire : comment renforcer notre “vivre ensemble”, dans la fraternité, en luttant contre toutes les “phobies” (islamophobie, judéophobie, voisinophobie, religiophobie, athéophobie, etc.), car on ne construit jamais rien sur la haine, sinon des ruines…

Je vous proposerai donc durant 7 à 10 jours plusieurs billets sur ce sujet – rendez-vous après cette date si le sujet ne vous intéresse pas (ou plus)…

Car si nous étions tous dans une bien légitime émotion (hommage de nouveau aux victimes de la barbarie et pensées pour leur famille) quand ce n’était pas de la passion exacerbée, il est temps de revenir à plus de réflexion…

N.B. pour les gens animés d’un mauvais esprits par rapport à cette image humoristique, cela ne signifie nullement qu’on pense juste, mais juste qu’on pense, ou au moins qu’one ssaye… (merci au lecteur du blog pour le slogan)

P.S; : n’hésitez pas à nous signaler en commentaire les liens vers les analyses qui vous ont marquées ces derniers jours…

P.P.S. tout commentaire haineux et a fortiori pouvant tomber sous le coup de la loi (certains tribunaux étant dingues ne ce moment) sera immédiatement supprimé – donc merci de modérez votre expression svp…

Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots.” [Martin Luther-King]

Source: http://www.les-crises.fr/serie-charlie/


Bondy Blog Café – Spécial Charlie Hebdo

Sunday 25 January 2015 at 02:44

Belle émission. Je trouve qu’il y a beaucoup de finesse souvent chez ces jeunes – plus que dans la plupart des médiocraties…

Suite aux attentats le Bondy Blog Café a tenu à faire une émission spéciale Charlie Hebdo, dans laquelle Edwy Plenel, co-fondateur et président de Médiapart, Nacer Kettane, président de radio Beur Fm et Plantu, dessinateur de presse et caricaturiste, ont été invité à répondre aux réactions et questions des blogueurs.

Source: http://www.les-crises.fr/bondy-blog-cafe%cc%81-spe%cc%81cial-charlie-hebdo/


[Reprise] Les régimes islamiques de la planète ne menacent l’Occident que depuis que l’Occident les menace, par Michel Onfray

Sunday 25 January 2015 at 02:00

Papier intéressant – sauf pour le titre, avec lequel je suis en désaccord…

Mercredi 7 janvier 2015 : Notre 11 Septembre Par Michel Onfray

- Il est 11h50 ce mercredi 7 janvier 2015 quand arrive sur l’écran de mon portable cette information qu’une fusillade a lieu dans les locaux de Charlie-Hebdo. Je n’en sais pas plus, mais que des tirs nourris aient lieu dans la rédaction d’un journal est de toute façon une catastrophe annoncée.

Au fur et à mesure, j’apprends avec consternation l’étendue des dégâts ! Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, Bernard Maris… On annonce dix morts, deux policiers, des blessés en nombre, « une boucherie » est-il dit… A 12h50, j’ai tweeté « Mercredi 7 janvier 2015 : notre 11 septembre », car je crois en effet qu’il y aura un avant et un après. Les choses ne font que commencer.

Charlie-Hebdo est, avec Siné-Hebdo ou le Canard Enchainé, l’honneur de la presse : car un journal satirique, et il m’arrive d’en faire régulièrement les frais, n’épargne rien ni personne, et c’est tant mieux. Ce sont des supports libres parce qu’ils vivent de la fidélité de leurs lecteurs. Sans publicité, ils n’ont aucun riche annonceur à ménager, aucun actionnaire à flatter, aucun propriétaire milliardaire à satisfaire. Ils ne roulent pour aucun parti, aucune école, aucune chapelle : au sens étymologique, ils sont libertaires.

Sur les religions en général, et l’islam en particulier, cette presse dit tout haut avec humour, ironie ou cynisme, ce que beaucoup pensent tout bas. La satire leur permet de dire ce que le politiquement correct de notre époque interdit de faire savoir. En ouvrant les pages du journal, on pouvait se lâcher et rire d’autant plus joyeusement que, sur les questions de religion, dans le restant de la presse, on peut crucifier le chrétien, c’est même plutôt bien porté, mais il faut épargner les rabbins et les imams. A Charlie, la soutane, la kippa et la burka sont également moquées – faudra-t-il écrire étaient ?

Rivé devant ma télévision, sidéré, je prends des notes. J’assiste à un raccourci de ce qui fait notre époque : avant 13.00, un journaliste égyptien parle à i-télé, il précise avec fermeté qu’on va encore mettre tout cela sur le dos des musulmans ! Même à cette heure, l’attentat ayant lieu à Charlie, le journal qui a publié les « caricatures » de Mahomet et qui est menacé pour cela depuis des années, je vois mal comment on pourrait incriminer Raël ou les Véganes ! Mais, déjà pointe l’insulte islamophobe contre quiconque va affirmer que le réel a eu lieu !

Les éléments de langage probablement fournis par les communicants de l’Elysée  invitent à dépolitiser les attentats qui ont eu lieu avant Noël : des fous, des déséquilibrés, des dépressifs fortement alcoolisés au moment des faits. Même s’ils crient « Allah Akbar » avant d’égorger un policier, ça n’a rien à voir avec l’islam. Les familles des tueurs en rajoutent en protestant de la gentillesse de leur fiston criminel et l’on passe en boucle leur témoignage.  Qui dit vrai ? Ainsi, pour prendre un exemple,  Rue 89 parle de « l’attaque présentée (sic) comme  terroriste (re-sic) » à Joué-lès-Tours… Dormez bonnes gens. Circulez, il n’y a rien à voir…

I-télé, 13h20. Une journaliste nous dit que François Hollande a précipitamment quitté l’Elysée et qu’on l’a vu « dévaler les escaliers en compagnie de son conseiller en communication » ! Je me frotte les yeux. Non pas le ministre de l’intérieur, ou le chef d’Etat major des Armées, non, mais Gaspar Gantzer –  son conseiller en communication ! Hollande arrive sur place, il enfile des perles de rhétorique. Il repart. Dans la voiture, probable débriefing avec le conseiller en communication.

La dépêche de l’AFP tombe : l’un des tueurs a crié « Nous avons vengé le Prophète ». Plus tard, une vidéo passe en boucle et on entend très bien cette phrase. Le journaliste égyptien n’est plus là pour nous dire que ça n’a rien à voir avec l’islam, mais c’est ce que diront nombre d’autres personnes qui se succèdent à l’écran.

C’est d’ailleurs très exactement le propos de l’imam de Drancy Hassen Chalghoumi. Pas un journaliste pour lui rappeler qu’en septembre 2012, lors de la parution des caricatures dansCharlie, ce fameux imam tout terrain et judicieusement judéo-compatible, avait trouvé l’attitude du journal « irresponsable »… Le même Hassen Chalghoumi se fend d’un : «  Nous sommes les premières (sic) victimes » sur LCI à 14h17. En effet, les musulmans sont les premières victimes et passent avant Cabu, avant Charb, avant Wolinski, avant Tignous, avant Bernard Maris, avant les deux policiers, avant les blessés en nombre… Avant leurs familles, avant leurs enfants, avant leurs amis.

La litanie du ça n’a rien à voir avec l’islam continue. Droite et gauche confondues. Avec quoi alors ? Il n’est pas même possible de dire que ça a à voir avec un dévoiement de l’islam, avec une défiguration de l’islam, avec une fausse et mauvaise lecture de l’Islam ? Non : rien à voir on vous dit. C’est comme l’Etat islamique qui n’a tellement rien à voir avec l’Islam qu’il faut dire Daesh, parole de Fabius. Dès lors, l’Etat Islamique ne massacre pas puisque, comme la théorie du genre, ça n’existe pas ! Daesh on vous dit. Mais que veut dire Daesh ? C’est l’acronyme d’Etat islamique en arabe.  Abracadabra…

La classe politique continue son show. Sarkozy intervient. Drapeau français, drapeau européen, fond bleu, nul sigle UMP : il se croit toujours président de la république ! Il invite à « éviter les amalgames » mais il ne dit pas avec quoi ! Malin…

14h21 sur LCI, Mélenchon intervient : « Le nom des meurtriers est connu : lâches, assassins » ! Tudieu, quel talent pour éviter… les amalgames ! Sarkozy verbigère : les criminels seront poursuivis, châtiés avec une extrême sévérité, il parle de fermeté absolue, de barbarie terroriste, de violence aveugle, il invite à ne pas céder. Les éléments de langage de tout politique qui n’a rien à dire et donne dans le compassionnel – c’est bon pour la cote dirait le conseiller en communication. Et puis, toujours la côte de popularité, on invite à l’unité nationale ! Bayrou, Julien Dray, etc, tous entonnent le même psaume.

LCI, 15h05, Emmanuelle Cosse secrétaire d’Europe Ecologie les Verts invite à … éviter l’amalgame. Mais on ne sait toujours pas avec quoi. Elle déplore l’absence de débats et déplore plus encore ceux qui veulent un débat pour savoir ce qu’il en est de l’amalgame ! ça sent le coup de pied de l’âne à Zemmour ou Finkielkraut ! Le Parti Socialiste dispose d’une riposte à la mesure de la boucherie : « une marche des républicains » ! En effet, c’est une réponse politique à la hauteur des évènements. Gageons que le président de la République, qui doit parler à 20.00, volera dans la même stratosphère politique.

Un bandeau défile en bas de mon écran : Marine Le Pen dénonce « un attentat terroriste commis par des fondamentalistes islamistes ». Pourquoi une fois de plus le personnel politique, suicidaire, lui laisse-t-il le monopole des mots justes sur des situations que tout le monde comprend ? C’est en effet « un attentat terroriste » et il a été effectivement perpétré « par des fondamentalistes islamistes ». Quiconque le dira désormais va passer pour un lepéniste !  Le musulman qui n’est pas fondamentaliste se trouve ainsi épargné, et c’est très bien ; on dit donc en quoi ça a à voir avec l’islam parce que ça en est la version radicale et armée, brutale et littérale ; on laisse entendre qu’il faut lutter contre cette formule-là et rassembler tous ceux qui sont contre, y compris les musulmans ; et on dit d’un attentat terroriste que c’est un attentat terroriste. Le succès de Marine Le Pen vient beaucoup du fait que, mises à part ses solutions dont je ne parle pas ici, elle est en matière de constats l’une des rares à dire que le réel a bien eu lieu. Hélas, j’aimerais que cette clarté sémantique soit aussi, et surtout, la richesse de la gauche.

Les commentaires tournent en boucle. Mêmes images, mêmes mots, mêmes derviches tourneurs. Pas d’amalgames, ça n’a rien à voir avec l’islam, actes barbares… Des manifestations s’annoncent dans toute la France. Je suis sollicité par des journalistes français, télés et radios, je suis en province, pas question d’aller à Paris. Entretiens avec deux journalistes italien, demande de Skype avec le Danemark, calage d’un direct avec la Suisse pour une heure de direct le lendemain matin à 7.00. La France regarde le monde : est-ce que Hollande va annoncer quelque chose qui soit à la hauteur ?

Les rues sont remplies. Besancenot est à la télévision. « Pas d’amalgames ou de récupération politicienne » dit-il. Mais aussi : « Rien à voir avec une quelconque idée religieuse ». Comme les autres hommes politiques. Les foules se constituent.

Sous mes fenêtres, à Caen, un immense ruban silencieux, immense, immense. Une foule considérable et silencieuse.  Je suis au téléphone avec une journaliste de la Reppublica. Je regrette. J’aurais voulu être en bas, avec eux, dans la foule, anonyme, silencieuse et digne. Mais je m’imagine plus utile à répondre autant que faire se peut aux sollicitations qui ne cessent d’arriver par téléphone.

Je rêve un peu : j’imagine que Hollande va trouver dans cette épreuve terrible pour le pays matière à renverser son quinquennat en prenant des décisions majeures. Il en a le devoir, il en aurait le droit, il lui en faudrait l’audace, le courage. Il joue ce soir son nom dans l’Histoire.

20h00. Il annonce : journée de deuil national et drapeaux en berne, réunions avec les deux représentants des deux assemblées et les chefs de parti, minute de silence dans les administrations et une phrase que personne ne sculptera dans le marbre : «  Rassemblons nous ! »…

Je pense au cadavre de Cabu, au cadavre de Charb, au cadavre de Wolinski, au cadavre de Tignous, au cadavre de Bernard Maris… A leurs cadavres ! A celui du policier abattu d’une balle dans la tête. A celui qui assurait la garde rapprochée de Charb. A celui de l’hôtesse d’accueil. Aux blessés entre la vie et la mort à l’hôpital. Je ne parviens pas à y croire.

Il y aura un avant et un après mercredi 7 janvier 2015. D’abord parce que ceux qui ont tué sont aguerris : l’opération commando a été redoutablement exécutée. Repérage, arrivée, méthode, interrogation sur les identités des journalistes, abattage, carnage, repli, couverture de l’un par l’autre, tir sur des policiers, l’un d’entre eux est à terre, les tueurs s’approchent, l’un tire une balle dans la tête, l’autre couvre le tireur, retour à la voiture, tranquillement, l’un d’entre eux prend une basket tombée à terre et la remet dans le véhicule, ils repartent, même pas sur les chapeaux de roue. Le policier de la BAC est mort ; il gagnait moins de 2000 euros ; il s’appelait Ahmed – lui aurait pu dire pourquoi ça n’a rien à voir. Cabu et les autres gisent dans leur sang. « On a vengé le prophète » dit l’un d’entre eux… Il ajoute : «  On a tué Charlie ». Puis ils se perdent dans la nature…

Ces hommes sont des soldats, des guerriers : le déroulement de l’opération, sa préparation et son exécution, la façon de tenir leurs armes, l’harnachement de combat avec cagoule et magasin de munitions sur le thorax, le carton du tir groupé effectué avec une kalachnikov sur le pare-brise de la voiture de police, les changements de voitures, la disparition dans la mégapole, tout cela montre des gens qui ont appris le métier de la guerre.

Dès lors, ils continueront. Il n’est pas dans le genre de ces individus de prendre des vacances et de se fondre dans l’anonymat. Ils veulent tuer plus encore et mourir au combat, puisqu’ils pensent qu’ainsi, djihad oblige et paradis aidant, ils retrouveront le Prophète dans la foulée. Rien à voir avec l’islam, bien sûr.

Peut-on penser un peu l’événement et se défaire un tant soit peu de l’émotion, du pathos, du compassionnel qui ne mange pas de paix et dans lequel communient les tenants de l’unité nationale ? Il ne suffit pas de crier à la barbarie des tireurs du commando et d’affirmer que ces barbares attaquent notre civilisation pour se croire quittes !

Le matin même, aux informations de 7.00, j’apprenais que la France avait dépêché un sous marin nucléaire sur les côtes est de la Méditerranée, non loin de la Syrie.  Nous sommes en guerre. Et cette guerre a été déclarée après le 11 septembre par le clan des Bush. Hormis l’épisode à saluer de Chirac refusant d’y aller, de Mitterrand à Hollande en passant par Sarkozy, nous avons bombardé des pays musulmans qui ne nous menaçaient pas directement : Irak, Afghanistan, Lybie, Mali, aujourd’hui l’Etat Islamique,      et ce en faisant un nombre considérable de victimes musulmanes depuis des années. Voit-on où je veux en venir ?

Précisons. A qui peut-on faire croire qu’hier le régime des Talibans en Afghanistan, celui de Saddam Hussein en Irak ou de Kadhafi en Lybie, aujourd’hui celui des salafistes au Mali ou du califat de l’Etat Islamique menaçaient réellement la France avant que nous ne prenions l’initiative de les attaquer ? Que maintenant, depuis que nous avons pris l’initiative de les bombarder, ils ripostent, c’est, si l’on me permet cette mauvaise formule, de bonne guerre !

Mais l’on confond la cause et la conséquence : les régimes islamiques de la planète ne menacent concrètement l’Occident que depuis que l’Occident les menace. Et nous ne les menaçons que depuis que ces régimes aux sous-sols intéressants pour le consumérisme occidental ou aux territoires stratégiquement utiles pour le contrôle de la planète, manifestent leur volonté d’être souverains chez eux. Ils veulent vendre leur pétrole ou les produits de leurs sous-sols à leur prix et autoriser leurs bases à leurs seuls amis, ce qui est parfaitement légitime, le principe de la souveraineté des pays ne souffrant aucune exception.

Si les droits de l’homme étaient la véritable raison des attaques françaises aux côtés, comme par hasard, des Etats-Unis, pourquoi n’attaquerions nous pas les pays qui violent les droits de l’homme et le droit international ? Pourquoi ne pas bombarder la Chine ? Cuba ? L’Arabie Saoudite ? L’Iran ? Le Pakistan ? Le Qatar ? Ou même les Etats-Unis qui exécutent à tour de bras ? Il suffit de lire le rapport d’Amnesty International pour choisir ses cibles, elles ne manquent pas…

Les politiques qui n’ont d’idées qu’en fonction de leurs élections ou de leurs réélections n’ont pas pensé la guerre. Ils regardent les crédits de la défense et ils coupent pour faire des économies, mais ils n’ont aucune théorie en rapport avec le nouvel état des lieux. La géostratégie est le cadet de leur souci.

L’existence de l’URSS légitimait, disons-le ainsi, l’armement nucléaire pour l’équilibre des terreurs. L’ouvrage incontournable en matière de polémologie, De la guerre de Clausewitz, a théorisé les conflits qui relevaient de ce qu’il appelait la Grande Guerre : celle qui oppose deux Etats, deux nations, deux peuples.  Il a également parlé, mais beaucoup moins, de la Petite Guerre : celle qu’on peut aussi appeler la guérilla.

Ce qui a eu lieu ce mercredi 7 janvier illustre parfaitement que notre Etat s’évertue à penser contre vents de guérilla et marées terroristes en terme de Grande Guerre : voilà pourquoi le chef de l’Etat, qui est aussi chef des armées, entre l’annonce du film à venir de Trierweiller et le prochain dîner avec Julie Gayet à soustraire au regard des paparazzis, lui qui est chef des Armées a décidé   d’envoyer porte-avions et sous-marins en direction de la Syrie. Pour quoi faire dans un conflit fait de combats dans les rues ?

Pendant ce temps, emblématiques de la Petite Guerre, trois hommes peuvent, avec chacun une kalachnikov  et un lot de trois voitures volées, décapiter un journal, mettre la France  genoux, montrer notre pays saigné à la planète entière, décimer le génie du dessin satirique français et n’obtenir pour toute réponse du chef de l’Etat qu’un : « Rassemblons nous ! ». Je vois bien ce que nos dessinateurs assassinés auraient fait de cette palinodie d’Etat.

Juste après avoir appris cette information du sous-marin envoyé par Hollande dans les eaux non loin d’Israël ou du Liban, France-Inter invitait ce mercredi matin dans sa Matinale Michel Houellebecq pour Soumission. Plus personne n’ignore désormais que ce roman se déroule dans une France islamisée après un second mandat de Hollande. Le politiquement correct lui reprochait depuis plusieurs jours d’annoncer une guerre civile et une humoriste, c’est du moins ce que l’on dit d’elle, une certaine Nicole, a même ricoché plusieurs fois avant de dire que la guerre civile annoncée pour dans quinze ans, si elle devait arriver un jour, serait un pur produit de son roman ! Paf, trois heures plus tard, le roman futuriste de Houellebecq racontait notre présent. Mais c’est lui qui était responsable, bien sûr, de ce qui advenait.

Ce mercredi 7 janvier est un jour qui inaugure une ère nouvelle, hélas ! Quand les trois tueurs tomberont, soit dans leur sang, soit dans un panier à salade, trois autres se lèveront. Et quand ces trois là tomberont, trois autres à nouveau, etc. Ne nous est-il pas dit que plus de mille soldats revenus du front de l’Etat Islamique sont en état de marche guerrière sur le sol national ? On fait quoi maintenant ? Rappelez vous l’excellent film de Mathieu Kassowitz, La Haine : « Jusqu’ici, tout va bien ». Jusqu’au 7 janvier 2015, c’était vrai… Aujourd’hui, plus très sûr…

© Michel Onfray janvier 2015

 

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-michel-onfray/


Revue de presse internationale du 25/01/2015

Sunday 25 January 2015 at 00:01

Aujourd’hui dans la revue internationale, pendant que le franc suisse frappe, le pétrole se répand dans de nombreux thèmes, comme l’après Charlie-Hebdo, alors que les sanctions anti-Russie pourraient bientôt se retrouver en berne. Merci à nos contributeurs et bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/rdpi-25-01-2015/


Pour eux-mêmes, pour l’Europe, les Grecs doivent voter Syriza (+ son programme)

Saturday 24 January 2015 at 04:50

Ma vision pour demain :

1 Soit la droite gagne

2 Soit Syrisa gagne

2-1 Soit Syrisa n’a pas la majorité (avec des alliés) : gros bug

2-2 Soit Syrisa trouve une majorité. Il y aura alors des négociations avec l’UE pour assouplir les contraintes, et l’UE cèdera, car la Grèce a toutes les cartes en main (elle peut faire exploser la BCE). Cela déplaira beaucoup aux Allemands et là, ça peut devenir TRÈS intéressant). Mais je ne crois pas à des choses miraculeuses, plus au final à un “tournant de 1983″. Mais on vira…

Jean-Pierre Vesperini | 21/01/2015, 11:42

En portant Syriza au pouvoir, les Grecs obtiendront une réduction de dette bien plus importante qu’en renouvelant Samaras. Ils pourraient contribuer à changer la donne en Europe, au point de pousser l’Allemagne à sortir elle même de la zone euro. par Jean-Pierre Vesperini, Professeur agrégé des Facultés de droit et des sciences économiques

Le 25 janvier 2015, le peuple grec va procéder à un choix qui sera décisif pour lui-même comme pour l’ensemble de l’Europe. Ce jour-là, il devra choisir entre les partis qui soutiennent le Premier ministre, M. Samaras, et le parti Syriza. Voter pour le Premier ministre reviendra à choisir de continuer à appliquer la politique que M. Samaras a exécutée sous les ordres des gouvernements européens et du FMI. Sa politique a achevé de ruiner la Grèce. En effet, entre le moment où la crise grecque a éclaté, en 2010, et l’arrivée au pouvoir de M. Samaras, en 2012, les gouvernements successifs, déjà sous la houlette des gouvernements européens et du FMI, avaient fait chuter le PIB de la Grèce de 18 % en deux ans et augmenter le chômage de 600.000 personnes.

Une soumission aux gouvernements européens
En arrivant au pouvoir en juin 2012, M. Samaras a appliqué la même politique de soumission aux gouvernements européens et obtenu les mêmes résultats de baisse du PIB (‒ 5 % entre le second trimestre 2012 et le second trimestre 2014) et de hausse du chômage (+ 215.000 chômeurs supplémentaires). La chute dans la pauvreté s’est donc poursuivie en se ralentissant. Elle ne pouvait guère en effet continuer à un rythme aussi vertigineux. Et si les derniers chiffres montrent quelques signes d’amélioration (+ 1,2 % pour le PIB et ‒ 7.500 chômeurs entre le 3ème trimestre 2013 et le 3ème trimestre 2014), il est clair que la Grèce est désormais ruinée et que, au rythme d’amélioration constaté aujourd’hui, il faudrait au moins dix ans pour revenir à une situation plus acceptable.

Un échec lié à des politiques erronées
L’échec de M. Samaras résulte des politiques erronées que lui ont imposées les gouvernements européens et le FMI dans le but que la Grèce puisse retrouver sa solvabilité budgétaire et rembourser les sommes que ces mêmes Etats et le FMI lui ont prêtées. Pour rétablir sa solvabilité budgétaire, ils ont imposé à la Grèce une politique d’austérité budgétaire draconienne conjuguée à une politique de déflation salariale destinée à compenser la surévaluation de l’euro pour l’économie grecque. La combinaison de cette politique d’austérité budgétaire et de déflation salariale a ruiné la Grèce sans pour autant rétablir sa solvabilité budgétaire tant il est vrai qu’une économie qui ne connaît ni croissance, ni inflation, et dont la dette est égale à 175 % de son PIB, est évidemment insolvable.

Mettre fin à l’austérité et réduire la dette
La Grèce ne peut donc sortir de ce cauchemar où l’ont plongée ces politiques erronées qu’en mettant fin à l’austérité et en obtenant une réduction de sa dette. C’est précisément le programme que souhaite appliquer le parti Syriza. C’est non seulement le programme que Syriza souhaite appliquer, mais c’est surtout, et c’est le plus important, le programme qu’il est aujourd’hui en mesure d’appliquer parce que, s’il gagne les élections, il obtiendra une réduction de la dette de la Grèce. Les gouvernements européens savent en effet que ne pas accorder de réduction de dette à la Grèce la contraindra à sortir de l’euro.

Aucun gouvernement ne souhaite voir la Grèce sortir de l’euro
Or aucun gouvernement européen ne souhaite voir la Grèce sortir de l’euro. D’abord, parce que tous les responsables de ces gouvernements ont lié leur sort politique au maintien à tout prix de l’intégrité de la zone euro. Une sortie de la Grèce serait pour eux un échec collectif et personnel qui mettrait leur carrière en péril. Ensuite, parce qu’une sortie de la Grèce engendrerait des pertes dont les contribuables de leurs pays, c’est à dire leurs électeurs, les rendraient responsables.

On notera d’ailleurs à cet égard que la chancelière allemande, pourtant habituellement fort avisée, a commis une erreur en commençant d’abord à sortir le bâton de la menace de l’exclusion de la Grèce de la zone euro, pour se faire ensuite désavouer par ses pairs et finalement se rétracter. Elle a ainsi permis à Syriza de se présenter en position de force à la table des négociations qui s’engageront s’il gagne les élections.

Dans ces conditions, l’intérêt du peuple grec est de voter pour Syriza plutôt que pour M. Samaras. Indépendamment du fait qu’il est urgent de mettre fin à une politique d’austérité aussi cruelle que contreproductive, il est certain que les Grecs obtiendront une réduction de dette beaucoup plus importante si leurs intérêts sont défendus pour M. Tsipras qui a fait de cette réduction l’un des points principaux de son programme plutôt que par M. Samaras qui, dans le sien, a soigneusement omis d’en parler.

Une économie sinistrée au sein d’une zone sinistrée
Mais le 25 janvier, les électeurs devront avoir conscience qu’ils ne sont pas seulement des citoyens grecs. Ils sont aussi des ressortissants de la zone euro. Or il est clair que, même si le programme de Syriza est préférable à celui de M. Samaras, même s’il pourra améliorer la situation du peuple grec par rapport à celle qui prévaut aujourd’hui, ce programme ne parviendra pas à assurer le retour au plein emploi et un niveau de vie satisfaisant si la zone euro ne retrouve pas elle-même la croissance.

Car la Grèce est une économie sinistrée qui appartient à une zone économique elle-même sinistrée. Et qui est sinistrée d’abord parce que les principes sur lesquels elle est fondée sont une négation des lois de l’économie politique et ensuite parce qu’elle applique des politiques erronées. Il faut en effet souligner que tous les pays de la zone euro à l’exception de l’Allemagne et de quelques pays qui lui sont liés, appliquent aujourd’hui des politiques d’austérité budgétaire et de déflation salariale, même s’ils les appliquent à des degrés divers et jamais avec le degré de violence qu’elles ont atteint en Grèce.

Ni les Etats-Unis, ni le Japon, ni la Grande-Bretagne doivent avoir un déficit public inférieur à 3 % du PIB
En ce sens, si le peuple grec, en votant pour Syriza, rejette ces politiques et si son exemple est suivi par d’autres peuples lors des élections qui vont se dérouler cette année en Espagne et au Portugal, alors il donnera le signal d’un changement de la gouvernance budgétaire de la zone euro et mettra au rebut les règles budgétaires que la zone euro s’est donnée sous l’influence de l’Allemagne, mais qui ne sont justifiées par aucune théorie économique. Ni les Etats-Unis, ni le Japon, ni la Grande-Bretagne ne se sont donnés pour règle d’avoir un déficit public inférieur à 3 % du PIB ou un déficit structurel proche de 0. Pourtant, tous ces pays se portent mieux que la zone euro. Entre le point bas atteint en 2009, à la suite de la crise de 2007-2008, et le troisième trimestre 2014, les Etats-Unis ont connu une croissance de leur PIB de 13%, le Japon et la Grande-Bretagne de près de 10%, mais la zone euro de seulement 3,7%.

L’Allemagne, non satisfaite du fonctionnement de la zone euro, pourrait en sortir d’elle même
Si ce changement de gouvernance budgétaire se produit au moment où par ailleurs la zone euro inaugure, sous l’influence de la BCE, une politique monétaire entièrement nouvelle, alors il se pourrait que l’Allemagne, constatant que la zone euro n’est plus conforme à la conception qu’elle s’en faisait, et ne pouvant en exclure les pays qui risquent de lui coûter trop cher, décide d’en sortir elle-même. Le départ de l’Allemagne de la zone euro serait pour l’Europe la manière la moins douloureuse de se débarrasser de cette construction contraire à la logique économique qu’a été l’euro et de pouvoir ainsi retrouver la croissance.

C’est dire qu’en accordant ses suffrages à Syriza, le peuple grec peut changer le cours de l’Histoire en Europe.

Source : latribune.fr

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Premières mesures et programme d’un gouvernement mené par Syriza - Alexis TSIPRAS (élections le 25 janvier)

Le Parlement grec n’ayant pas été en mesure, après 3 tours de scrutins, d’élire le Président de la République proposé par le gouvernement, des élections législatives anticipées doivent se tenir le 25 janvier. Les sondages donnent Syriza vainqueur. Un gouvernement anti austérité pourrait voir le jour dans ce pays ravagé par la crise et la politique imposée par la Troïka depuis 6 années. Quelle sera la politique de Syriza ? Alexis Tsipras, son principal dirigeant, a tenu un important discours sur cette question le 13 septembre dernier lors de l’Exposition Internationale de Thessalonique. Il y résume les mesures d’urgence préconisées par SyrizaNous reproduisons ce discours ci dessous.. .

Ensemble

Thessalonique , 13 Septembre 2014

Je suis heureux d’être de nouveau, ici, à l’Exposition Internationale de Thessalonique.

Si je suis parmi vous aujourd’hui, ce n’est pas pour accomplir une simple formalité.

Si je suis ici, c’est pour mettre en lumière quelques vérités et exposer mes engagements vis-à-vis du peuple grec en présentant un projet de sortie de crise fondé sur l’idée de progrès et de justice.

Un projet qui définit les axes fondamentaux de la nouvelle orientation « post mémorandaire » de notre pays. Un projet concret, dont les propositions chiffrées démontrent que les principes de la politique gouvernementale de SYRIZA, fondés sur la justice sociale, la solidarité, l’état de droit, la transparence, la méritocratie, la sécurité économique et le respect de la dignité de tout citoyen ne sont pas dépourvus du sens des réalités économiques.

Amies et amis,

Notre rencontre ne se place pas dans le cadre du calendrier rituel des promesses automnales adressées aux habitants de Thessalonique, à l’occasion de l’exposition, par des premiers ministres toujours frappés d’amnésie sitôt que décolle leur avion vers Athènes.

Nous connaissons bien les problèmes de Thessalonique qui illustrent exactement l’hydrocéphalie et le repli d’un état centralisateur et clientéliste.

Mais nous connaissons aussi les ressources et les potentialités de Thessalonique qui pourrait jouer un rôle de premier plan dans le cadre d’un projet de coopération et de rapprochement des états balkaniques dans des domaines comme celui de la croissance, de la culture, de l’économie et de l’environnement.

Un rôle qui se révèle encore plus précieux dans un contexte d’instabilité internationale comme celui que nous vivons actuellement. En abandonnant les postures nationalistes qui ont tant fait souffrir la région dans le passé, la Grèce du Nord et sa capitale pourraient constituer le pivot d’un nouveau pôle de croissance et d’équilibre.

Car le contexte international assigne et impose à l’état grec une conduite responsable en tant que force européenne, mais aussi un rôle de négociateur international fiable.

La Grèce ne peut pas être réduite au rôle de la cinquième roue du carrosse. Elle ne peut pas être une spectatrice passive de l’évolution internationale.

Agir dans le périmètre de ses capacités n’exclut pas la force d’âme. Sans complexe d’infériorité, et surtout avec une politique extérieure active et multidimensionnelle, la Grèce pourra protéger ses intérêts.

En dépassant le rôle de l’élève obéissant ou celui de commissionnaire des intérêts allemands endossés docilement par M. Samaras et M. Venizelos qui se sont empressés de consentir à l’imposition de sanctions économiques contre la Russie, sans aucune réserve, sans se préoccuper de leurs répercussions sur l’économie grecque et entraînent le pays, malgré la situation dramatique de son économie, dans une guerre économique dangereuse qui ramène toute l’Europe à une guerre froide qu’on avait cru révolue.

Et ce n’est pas tout. M. Samaras et M. Venizelos, font preuve non seulement d’ inconscience quant au coût financier de leurs décisions, mais ils font aussi preuve à toute occasion d’un refus ferme et obstiné de soutenir les intérêts nationaux.

Leur impudence a atteint un point culminant il y a quelques jours, lorsqu’ils se sont abstenus de voter pour la protection de la souveraineté nationale des états surendettés, à l’Assemblée Générale de l’ONU.

Pendant que la position de l’Allemagne de Mme Merkel se voyait bloquée par son isolement, la Grèce surendettée s’est rangée avec les protecteurs des spéculateurs, dévoilant ainsi l’immoralité politique et l’indignité du gouvernement Samaras, d’un gouvernement qui ne se considère pas responsable devant le peuple grec, mais uniquement devant les lobbies financiers des créanciers et des fonds spéculatifs.

Mais permettez moi de revenir sur le sujet principal de mon discours aujourd’hui, qui concerne l’économie de notre pays et plus particulièrement la sortie de cette crise épouvantable que nous traversons depuis quelques années.

Une crise qui n’est pas derrière nous, mais qui persiste et récidive tant en Grèce que dans le reste de l’Europe.

Mais si en Europe, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer un changement de politique, nos gouvernants continuent de parler de « success story ». Pendant que les autres signalent le gouffre, M. Samaras nous y entraîne tête baissée.

Tout le monde se rend enfin compte que face à la crise les politiques d’austérité s’avèrent non seulement inappropriées et inefficaces mais aussi dangereuses.

Car nous avons été témoins en Europe de la succession de toutes les phases de mutation de la crise. Initiée par une crise financière, elle a évolué ensuite vers une crise sur les dettes des États qui a provoqué la propagation de la déflation que nous observons dernièrement.

L’establishment politique européen, face à la menace déflationniste engendrée par son obstination dogmatique dans l’austérité néolibérale, se trouve contraint aujourd’hui de réajuster sa politique. Ces réajustements, qui ne sont ni profonds ni suffisants, sont pour autant visibles.

Mais M. Samaras suit à distance non seulement le processus décisionnel européen mais aussi les événements. Uniquement appliqué à suivre à distance respectueuse Mme Merkel, il se range finalement du côté des forces d’hier.

SYRIZA ne suit personne. Nous montons un front et luttons pour un changement aussi grand que nécessaire. A coté de nous se rangent toutes les forces de demain, stimulées par la mobilisation des peuples aguerris de l’Europe du Sud.

L’évidence saute aux yeux de l’Europe. Le néolibéralisme a échoué. Le réalisme impose le choix du progrès pour sortir de la crise. Celui de la solidarité et de la justice sociale et non pas celui de l’exténuation des sociétés par les programmes d’austérité.

Le danger de récession qui menace l’Europe et par ricochet l’économie mondiale fait de ce changement immédiat de la politique de notre pays par un gouvernement de SYRIZA une nécessité pour le salut social de notre pays et un sujet d’émulation pour l’Europe.

Notre voix est entendue. Nous ne sommes plus seuls. Nous ne crions pas dans le désert. Nos propositions pour l’arrêt immédiat de l’austérité, pour l’application d’une politique de la demande, pour la mutualisation de la dette, pour un « paquet d’investissements » destiné à promouvoir la croissance dans les pays périphériques sont écoutées et comprises.

Chers amis et amies,

Beaucoup de choses ont changé depuis les dernières élections nationales en 2012. Et non pas seulement en Grèce.

Dois je vous rappeler que :

Quand il y a deux ans nous proposions des solutions « européennes » à la crise, ils nous répondaient que nous manquions de réalisme puisque l’ euro-zone ne disposait pas de mécanismes institutionnels communs pour la gestion de la crise. Mais cela a été fait depuis. Malheureusement l’adoption de ces mécanismes a été accompagnée de l’imposition à ses états-membres de Mémorandums de dévaluation interne. Un choix politique qui enfonce l’Europe dans la récession et recycle la crise. Pour y mettre fin, il faut un nouveau rapport de forces au sein de l’Europe.

Ils nous disaient aussi que la Banque Centrale Européenne devait faire preuve de parcimonie dans l’achat des obligations d’État sur le marché secondaire, car ceci équivalait à un financement indirect institutionnellement interdit. Toutefois, en 2012, M. Draghi a annoncé qu’il n’y aurait pas » de limite quantitative » aux interventions de la BCE. Actuellement, même notre revendication du rachat direct des obligations d’État n’est plus un tabou.

L’assouplissement des règles de la discipline budgétaire, et l’étendue des projets européens d’investissement sont également de plus en plus évoqués comme des moyens d’éviter la déflation et une nouvelle récession.

Et pourtant ! Nos adversaires politiques, aveuglés par leur dogmatisme et leur irréflexion, ironisaient sur notre hardiesse à avancer de pareilles propositions, en nous accusant tantôt d’ irréalisme tantôt d’« antieuropéenisme ».

Aujourd’hui, nos propositions, formulées dès le début de la crise, se trouvent au centre des débats de la BCE. Mais la pertinence d’un débat n’est pas seulement une question de contenu mais aussi de timing. Et les fissures entreprises actuellement par la BCE sur le mur de Berlin n’auront pas les effets espérés sur la crise car elles n’arrivent que très tardivement.

Si l’impasse de l’austérité est principalement visible en Grèce, on l’aperçoit également partout en Europe. Je ne vais pas démontrer encore une fois l’échec des mémorandums. Nous avons déjà fait une analyse détaillée de cette calamité, ici même, et à deux reprises par le passé.

Il faudra cependant souligner l’augmentation du taux d’inflation de 0,99% en 2013 à 1,4% en 2014. La déflation menace de replonger notre pays au fond de la récession avant même qu’il n’ait sorti la tête de l’eau.

Le Premier Ministre, M. Samaras, a fourni il y a une semaine, en ce lieu même, une preuve supplémentaire de l’échec de la « dévaluation interne » en Grèce, en confirmant la continuation ou plutôt la pérennisation de la surimposition pour les petits et moyens revenus.

L’aberration des taux de la nouvelle taxe foncière (ENFIA) prolongeant sous une autre appellation l’impôt instauré en 2011 et inclus directement sur les factures d’électricité, la continuation de la taxe « exceptionnelle » de solidarité, l’augmentation de la taxe de consommation sur les produits pétroliers illustrent la perpétuation de l’acharnement du Ministère des Finances sur les petits revenus.

Toutefois, M. Samaras a promis en même temps un miracle : La croissance dans un contexte défavorable, avec un marché intérieur ruiné et le volume des investissements en chute libre.

Regardons de plus près : La formation brute de capital fixe de 26,7% du PIB en 2007 est passée à 13% en 2013. Et sa baisse a continué au deuxième trimestre de 2014 en enregistrant une baisse annuelle de 0,8% du PIB.

Ainsi, avec une récession de 0,7% au premier semestre de 2014 pour atteindre l’objectif fixé pour cette année d’une augmentation de 0,6% du PIB il faut enregistrer les deux prochains trimestres un accroissement de 3,8%. C’est infaisable.

Mais, même si un tel miracle était réalisé, il n’entraînerait pas une amélioration qualitative de la société ou de l’économie. Il ne mettrait pas fin à l’effondrement de la société et de l’économie.

La déstructuration économique et la désertification sociale ne se corrigent pas par des variations infimes du PIB.

Chômage très élevé, bas salaires, emplois précaires, la Grèce est condamnée à vaciller entre récession et stagnation par la politique de M. Samaras et de M. Venizelos.

Par ailleurs, M. Samaras ne promet pas seulement une croissance sans investissements mais aussi une sortie de la crise sans diminution de la dette publique. La question d’une négociation sur le problème de la dette ne fait pas partie de ses objectifs. Car d’après lui, et comme il le déclare souvent en chœur avec les créanciers, la dette est viable. Il a même annoncé, il y a quelques jours, qu’il attendait que les créanciers lui livrent un certificat de viabilité de la dette( !).

Qu’est ce qu’on ne doit pas entendre ! Mais pour finir, on déduit que puisque M. Samaras prétend que la dette est viable – avec la garantie des créanciers– toute négociation est superflue et sans objet.

Amies et amis, ne nous faisons pas d’illusion.

En se riant du peuple grec, M. Samaras se ridiculise lui même.

Une telle situation pourrait prêter à rire si la situation n’était pas aussi grave.

Il nous faut dire la vérité au peuple grec, si désagréable soit-elle.

Il faut que le peuple grec se rende à l’évidence. Il n’est plus possible que notre pays sorte de la récession, qu’il retrouve une croissance viable, quand tous les indicateurs sont au rouge :

• Dette publique : deux fois supérieure du PIB.

• Dette privée sous la forme de dettes à l’État, aux fonds de pensions et aux banques : quasiment équivalente au PIB.

• Et en plus, une obligation mémorandaire d’un excédent de 10 milliards d’euros destinés uniquement au paiement des intérêts.

Dans une telle conjoncture, la viabilité de la dette est aussi illusoire que la quadrature du cercle.

Nos partenaires le savent naturellement aussi bien que nous. Et la restructuration de la dette publique de notre pays est inévitable.

En fait, la seule vraie question qui se pose est de savoir comment et dans quels termes elle sera concrétisée :

Une négociation pour aboutir à une solution plausible et viable ou pour mieux hypothéquer notre pays en cédant totalement son économie aux mains des créanciers ?

Une négociation dont les termes favoriseront la croissance ou l’imposition de nouvelles mesures d’austérité qui vont compromettre encore plus les potentialités productives de notre pays ?

Ce qui importe donc est de savoir les objectifs et le projet politique de la Grèce dans le cadre d’une négociation de la dette.

La Grèce sera-t-elle seule face à ses créanciers ou entourée du soutien des alliés qu’elle aura sollicités ?

Se tiendra-t-elle comme serre-file de la stratégie allemande ou sera-t-elle le fer de lance des changements nécessaires de l’Europe ?

Depuis le début de la crise SYRIZA déclare fermement et avertit que la Grèce ne constitue pas un cas à part et que la crise de la dette n’est pas spécifiquement grecque mais européenne.

C’est pour cela que nous réclamons la réunion d’une « Conférence Européenne pour la Dette » pour la gestion du surendettement de l’euro-zone et nous avons comme objectif une solution à l’instar de celle adoptée pour l’Allemagne par la Conférence Internationale de Londres.

La négociation sur la dette nécessite un projet politique concret et présuppose un débat qui laisse s’exprimer des avis divergents sur l’objet du litige. Des contestations sur la pertinence de la politique appliquée et ses résultats.

Mais M. Samaras ne conteste jamais. Il est toujours d’accord sur tout. Bien obéissant, il obtempère toujours aux ordres de Mme Merkel. Il n’est donc pas apte à négocier.

Quand on le voit à tout bout de champ vanter les résultats de l’austérité, comment ne pas penser que la poursuite de cette politique d’austérité sera la condition préalable de tout accord avec les créanciers sur la dette publique.

Par conséquent, ce gouvernement n’a ni la volonté ni la capacité de négocier et de défendre les intérêts nationaux. Il est inapte à revendiquer une solution viable pour le peuple grec.

Seul un gouvernement investi par un mandat populaire récent pourra organiser une stratégie nationale approuvée et soutenue par le corps social.

Pour cela nous demandons des élections sans délai, pour que s’apaise le vent de la catastrophe.

Nous ne demandons pas des élections par impatience de gouverner.

Nous demandons des élections immédiates parce que le pays ne peut plus attendre. Parce que le peuple ne peut plus patienter.

Nous demandons des élections parce que l’intérêt du peuple l’exige.

Nous demandons un mandat fort, soutenu par une large majorité parlementaire et un encore plus large consensus social, pour mener une négociation qui protège au mieux les intérêts de notre peuple en Europe.

Nous demandons le recours immédiat au verdict populaire et un mandat de négociation qui vise à l’effacement de la plus grande partie de la dette nominale pour assurer sa viabilité.

Ce qui a été fait pour l’Allemagne en 1953 doit se faire pour la Grèce en 2014. Nous revendiquons :

• Une « clause de croissance » pour le remboursement de la dette.

• Un moratoire – suspension des paiements – afin de préserver la croissance.

• L’indépendance des programmes d’investissements publics vis-à-vis des limitations qu’impose le Pacte de Stabilité et de Croissance

• Un « New Deal » : projet européen d’investissements pour la croissance, financé par la Banque européenne d’investissement.

• Un assouplissement quantitatif, avec le rachat direct des titres de dette publique par la Banque centrale européenne.

Nous déclarons aussi, haut et fort, que nous revendiquions toujours le remboursement du prêt imposé à la Grèce par les forces d’occupation nazies. Notre position sur ce sujet est connue de nos partenaires. D’ailleurs, dès le début de notre charge gouvernementale, cette question fera l’objet d’une demande officielle.

Chères amis et amies,

Nous, nous sommes prêts à négocier et nous multiplions les contacts pour l’élaboration de plans communs et d’associations collaboratives au sein de l’Europe, pendant que le gouvernement Samaras se contente de préserver uniquement son alliance avec le gouvernement allemand et de se soumettre aux décisions des créanciers.

Voilà donc deux approches différentes qui posent le dilemme suivant :

Une négociation européenne avec un gouvernement SYRIZA ou la contresignature de toutes les décisions des créanciers concernant la Grèce par le gouvernement Samaras ?

Ou, en deux mots :

Négociation ou renonciation ?

Croissance ou austérité ?

SYRIZA ou Nouvelle Démocratie ?

Amies et amis, Mesdames et Messieurs,

En assurant une solution socialement viable au problème de la dette grecque, notre pays aura la capacité de rembourser le restant de la dette avec les nouvelles disponibilités créées par le retour à la croissance et non pas celles créées par les privations des excédents primaires.

Nous mettrons en œuvre tous les moyens pour assurer la relance économique et industrielle du pays :

- En augmentant immédiatement le programme des investissements publics de 4 milliards.

- En réparant progressivement toutes les injustices commises par l’application du mémorandum.

- En redressant progressivement les salaires et les retraites afin de renforcer la demande et la consommation.

- En soutenant les petites et moyennes entreprises avec des incitations à l’emploi. L’industrie en subventionnant le coût d’énergie avec des clauses d’emploi et environnementales.

- En investissant dans le savoir, la recherche, les nouvelles technologies avec également pour objectif le retour au pays des jeunes diplômés qui l’ont quitté pour chercher du travail ailleurs.

- En reconstruisant l’état social, et du même coup, un état de droit et de méritocratie.

- Et pendant les négociations, et avant d’aboutir à une solution européenne viable, qu’est ce que vous faites ? Avez vous un plan ? C’est le genre de questions que nous ont posées avec bienveillance plusieurs personnes.

Conscients de notre responsabilité et aussi de l’inquiétude accrue pour l’avenir, nous répondons avec la franchise et la clarté requises par les circonstances.

Nous nous engageons, face au peuple grec, à remplacer dès les premiers jours du nouveau gouvernement – et indépendamment des résultats attendus de notre négociation – le mémorandum par un Plan National de Reconstruction, rigoureusement élaboré, et chiffré avec précision.

Le Plan National de Reconstruction se constitue d’un ensemble de mesures pour le redressement économique et social, regroupées autour de quatre grands axes :

1 : Mesures pour remédier à la crise humanitaire.

2 : Mesures prioritaires pour la relance de l’économie.

3 : Plan national de lutte contre le chômageet d’amélioration de la situation du marché du travail.

4 : Rétablissement institutionnel et démocratique du système politique.

A. Mesures pour remédier à la crise humanitaire

Notre programme d’un coût approximatif de 2 milliards d’euros, se constitue d’un ensemble d’interventions d’urgence servant de bouclier de protection pour les couches sociales les plus vulnérables.

Il inclut :

1) Emploi de l’énergie électrique à titre gratuit pour 300000 familles qui se trouvent en-dessous du seuil de pauvreté ( 3600 Kwh par an).

Programme de subventions alimentaires (coupons-repas pour 300000 familles). La mise en place de ce programme sera effectuée par un organisme public chargé de coordination avec la collaboration des instances régionales, de l’Église grecque, des mouvements associatifs solidaires, et par le biais d’épiceries sociales subventionnées.

2) Soins médicaux gratuits pour tous / Réduction drastique de la participation des patients aux dépenses pharmaceutiques.

Notre projet prévoit l’accès gratuit pour tous (avec ou sans sécurité sociale) aux services publics de santé et la préservation de l’accès aux médicaments nécessaires, en diminuant drastiquement – jusqu’à l’intégralité pour certaines catégories spéciales – la charge des patients à la dépense pharmaceutique.

3) Projet pour l’accès au logement.

Le projet prévoit la réhabilitation des anciens logements et hôtels abandonnés, afin d’assurer dans une première phase une disponibilité de 25.000 nouveaux logements avec des loyers subventionnés .

4) Mesures en faveur des petites retraites.

Nous nous sommes déjà engagés pour le relèvement progressif des petites retraites.

Nous nous engageons aujourd’hui, de surcroît et afin de renforcer la demande, à rétablir la prime du treizième mois pour les 1.262.920 retraités dont la pension ne dépasse pas les 700€. Et cette mesure sera étendue – progressivement et en fonction de la conjoncture économique – à tous les retraités et à tous les salariés.

5) Réduction des prix des transports publics.

Les chômeurs de longue durée et ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté pourront bénéficier d’une carte spéciale à prix très réduit (voire symbolique) pour tous les transports publics.

6) Différenciation de la taxe spéciale de consommation sur les produits pétroliers, en fonction des usages (en tant que carburant ou combustible de chauffage) afin de réduire le prix du pétrole de chauffage (de 1,20 à 0,9 €/litre).

B. Mesures pour la relance de l’économie

Le deuxième axe réunit les mesures de relance de l’économie, mesures dont la priorité est l’arrêt de la politique d’imposition actuellement menée malgré ses conséquences néfastes pour l’économie réelle, la mise en place d’une nouvelle seisachtheia [ndlr. « remise du fardeau » : mesure établie par Solon, pour faire passer l’intérêt de l’État avant celui des grands propriétaires], et le renforcement de la liquidité et de la demande.

Car la situation de l’économie réelle est aujourd’hui vraiment désastreuse.

Le raid fiscal opéré par le gouvernement sur la classe moyenne et la surimposition de ceux qui ne fraudent pas accablent la plus grande partie de la population, qui voit constamment menacés sa vie professionnelle, les bribes de son patrimoine, et même sa propre existence. De cette angoisse insupportable témoigne le nombre record de suicides.

Les classes laborieuses, les agriculteurs, les salariés, les petits et moyens entrepreneurs, le corps de l’économie réelle, en somme, doit affronter actuellement une tourmente d’impôts qui dépasse leurs forces de résistance.

Et sous peu c’est une nouvelle tourmente qu’ils vont devoir affronter. Celle des saisies de leurs propriétés privées par les banques, puisqu’ils rencontrent des difficultés à rembourser les emprunts qu’ils avaient contractés par le passé, avant la crise, avant leur chômage, avant la mutilation de leurs revenus, avant la fermeture de leurs entreprises.

L’obstination du gouvernement à accabler de charges supplémentaires ceux qui sont déjà à terre ne peut mener qu’à une impasse, tout simplement parce qu’on ne peut rien recevoir de quelqu’un qui n’a rien à donner. « Qui n’a rien, ne peut rien donner. »

Pour constater l’aberration de leur politique, il suffit de regarder le montant des créances attestées et non perçues par l’État : Il est à ce jour d’environ 68 milliards d’euros.

Et chaque mois qui passe, ce chiffre augmente d’un milliard d’euros.

C’est pour cela que nous sommes ici aujourd’hui. Pour établir la vérité sur l’économie réelle du pays et exposer les mesures d’urgence qui permettront de la délivrer de la pression qu’elle subit. Nous nous adressons aux millions de victimes de M. Samaras et de la Troïka – salariés, petits et moyens entrepreneurs, agriculteurs, chômeurs – en leur dédiant notre intervention d’aujourd’hui.

1. Mesures pour la levée immédiate de la répression dans l’économie réelle

1. Création de Comités spéciaux pour le règlement extrajudiciaire des litiges fiscaux dans chaque région afin de procéder aux règlement immédiat des dettes fiscales authentifiées et non acquittées jusqu’au 31.12.2014. Le règlement des litiges fiscaux concernant les petites et moyennes entreprises pour des dettes authentifiées, amendes ou tout autre différend les opposant à l’administration fiscale sera prioritaire afin d’être établi équitablement et dans un délai de six mois le montant exact des créances réelles et percevables par l’État.

2. Les montants qui résulteront de l’apurement seront réglés en 84 mensualités et dans tous les cas de façon à ce que le montant total des versements annuels ne dépasse pas le plafond de 20% du revenu annuel du débiteur.

3. Un processus de régularisation similaire des dettes arrivant à échéance sera appliqué aux conflits les opposant aux caisses d’assurances. En cas d’accumulation des dettes et de taxes contributives, le montant total des versements annuels de remboursement sera plafonné au 30% du revenu annuel du débiteur.

4. L’engagement d’un processus de régularisation entraîne pour tout redevable l’arrêt immédiat des poursuites pénales et des saisies des comptes bancaires, de la résidence principale, des salaires, etc., ainsi que l’octroi d’une attestation de régularité fiscale.

5. L’engagement du processus de régulation entraîne également la suspension de peines et des mesures coercitives pendant douze mois pour les débiteurs dont l’absence de revenu est attestée.

6. Suppression de l’extension de la procédure simplifiée des flagrants délits à l’égard des débiteurs de l’État . Suppression de l’avance de 50% de la dette établie comme condition préalable au recours du contribuable devant les tribunaux, en privant de la protection judiciaire les personnes incapables de payer. L’acompte sera défini par acte judiciaire et sera fixé selon la capacité financière (10% à 20%).

Avec ces mesures, nous n’aspirons pas uniquement à soulager les gens qui souffrent et qui forment l’épine dorsale de l’économie, mais aussi relancer l’économie réelle en la libérant de la répression étouffante des taxes et des majorations imposées, totalement improductives car non percevables.

Le bénéfice immédiat estimé par la régularisation des dettes et le début des paiements des acomptes nous permettra de financer des actions nécessaires pour l’allègement et la répartition équitable des charges.

D’ailleurs dans le cadre des mesures visant à relancer l’économie nous annonçons aujourd’hui l’abrogation immédiate de la nouvelle taxe foncière.

2. Abrogation immédiate de la nouvelle taxe foncière (ENFIA)

Car elle est le symbole de l’injustice sociale qui caractérise l’ensemble de la politique économique du gouvernement Samaras.

Au service des grands patrimoines, les dirigeants actuels ont créé une taxe qui méprise les règles les plus élémentaires tant pour fixer sa base que son taux. Sans l’addition globale de la valeur de toutes les propriétés, sans l’établissement d’un barème de taux progressif, ou d’un seuil d’ exonération, c’est une taxe prélevée au détriment des personnes pauvres et des couples à faibles revenus avec des enfants qui ont comme patrimoine unique leur résidence principale.

L’ ENFIA, par conséquent, ne peut pas être corrigée, elle ne peut pas être améliorée – elle ne peut être qu’abrogée. A sa place :

• Nous établirons une taxe socialement juste sur la grande propriété (FMAP) et nous ne taxerons personne sur des valeurs fictives.

• Les valeurs des biens retenues pour la base d’imposition seront réajustées immédiatement de 30% à 35%.

• Son taux sera progressif et le seuil d’exonération élevé.

• La résidence principale sera exemptée, à l’exception des propriétés de grand luxe ostentatoire.

L’introduction de cette taxe dans le système fiscal grec fait partie de la réforme fiscale qui se mettra en place progressivement afin de rétablir sa conformité au principe constitutionnel de la répartition des charges fiscales selon la capacité contributive des personnes imposables, afin également d’enrayer toute possibilité de contourner la loi et afin de lutter efficacement contre la fraude fiscale.

3. Restauration du seuil de non-imposition à 12000 €/an.

Nous rétablirons la progressivité de l’imposition des personnes physiques en augmentant le nombre de tranches d’imposition et en restaurant le seuil de non imposition de 12 000€/an pour tous afin de redistribuer la charge fiscale au profit des personnes à faible et moyen revenu. Cette mesure est d’autant plus nécessaire qu’après quatre années de frénésie fiscale les « classes populaires » et les « classes moyennes » sont vraiment exténuées financièrement.

4. Nous institutionnalisons une « nouvelle Seisachtheia » (libération des dettes)

Elle s’appliquera aux créances douteuses, aussi appelées « rouges », car leur effacement partiel est un préalable indispensable tant à l’assainissement des portefeuilles bancaires, qu’à la restauration de la liquidité monétaire et au soutien de la croissance et de la relance de l’économie.

La « nouvelle seisachtheia » s’appliquera au cas par cas et consistera à l’effacement partiel des dettes des personnes qui se trouvent sous le seuil de la pauvreté. Elle régira en tant que principe général le rajustement des dettes des particuliers de façon à ce que leur remboursement (à l’état, aux banques, aux caisses d’assurance) ne dépasse pas le tiers du revenu de l’emprunteur.

5. Création d’un organisme public chargé de la gestion de la dette privée.

Son rôle ne sera pas celui d’une « bad bank », mais bien au contraire il interviendra en tant que gestionnaire de toute dette envers une banque arrivée à échéance et sera également chargé du contrôle des moyens de recouvrements accordés par les banques.

Il garantira le traitement juste et équitable de tous les emprunteurs, en gérant l’ensemble des dettes exigibles envers les banques, avec la collaboration des Comités Spéciaux d’arbitrage chargés à leur tour des dettes envers l’état et des caisses d’assurances, afin d’avoir une image globale des charges de tout débiteur et faciliter les remboursements.

Bien évidemment, il s’agit tout d’abord d’empêcher l’utilisation de la dette privée comme moyen de confisquer la propriété des citoyens, et comme moyen de contrôler le secteur privé de l’économie.

Au cours des prochains jours, SYRIZA va déposer au Parlement un amendement législatif pour une prolongation indéfinie de la suspension de la vente aux enchères des résidence principales dont la valeur est inférieure à 300 000 €. Nous déposerons également une proposition d’ interdiction législative de vente ou de cession des titres à des institutions bancaires non reconnues ou à des entreprises de gestion de contrats de prêts et de garanties.

En deux mots, nous ne permettrons pas aux vautours des « distress funds » internationaux de spéculer en confisquant les maisons des citoyens.

Chers amis et amies

Je l’ai dit l’année dernière, ici, à cette tribune – je le répète encore une fois cette année : la clé pour la relance de l’économie est le système financier.

Avec SYRIZA au gouvernement, le secteur public reprend le contrôle de la Caisse de Stabilité Financière et exerce tous ses droits sur les banques recapitalisées.

Cela signifie qu’il a le premier mot à dire sur leur administration.

En même temps, nous mettons en place des opérations ciblées afin d’assurer la liquidité dans l’économie réelle. Parmi ces opérations figure la mise en place d’une banque de développement et de banques spécifiques.

6. Mise en place d’une banque de développement et de banques spécifiques

Pour nous, la nouvelle architecture du système bancaire comprendra, outre les banques recapitalisées systémiques, de nouvelles banques coopératives spécifiques et une banque publique de développement.

C’est pourquoi, nous allons créer une Banque de Développement, et des banques à mission spécifique, pour le financement des PME et des agriculteurs. Pour soutenir la liquidité nécessaire au développement d’équipes professionnelles dynamiques qui à leur tour donneront de l’énergie et une nouvelle impulsion à la croissance et au redressement productif.

7. Restauration du salaire minimum à 751€

Nous augmenterons le salaire minimum à 751€ pour tous les travailleurs, indépendamment de toute condition d’âge.

Notre modèle économétrique confirme les conclusions du modèle de l’Institut du travail de la GSEE (Confédération Générale des Travailleurs Grecs) : la restauration du salaire minimum non seulement n’aggrave pas, par son coût, la croissance mais elle lui est même bénéfique.

Selon les estimations, même en ne prenant en compte que la première année de sa mise en place, elle aura comme effet une augmentation de la demande intérieure de 0,75%, et du PIB de 0,5%. En outre, elle permettra de créer 7.500 nouveaux emplois.

Chers amis,

Le troisième axe de notre Plan National de Redressement que nous vous présentons aujourd’hui s’inscrit dans la perspective de notre grand objectif national, celui de rétablir le plein emploi dans notre pays, de redonner de l’espoir et des perspectives d’avenir à nos jeunes qui émigrent massivement alors que leur force vive est nécessaire pour reconstruire notre pays.

C. Plan de reprise de l’emploi

1. Restauration du droit du travail

Les droits des travailleurs supprimés par les lois mémorandaires seront immédiatement rétablis, en même temps que le salaire minimum. Les conventions collectives seront rétablies ainsi que le principe de la prorogation des avantages acquis en vertu d’une ancienne convention collective ou accord.

L’OMED (Organisme de Médiation et d’Arbitrage), chargé du soutien des négociations entre employeurs et employés, sera également rétabli dans ses fonctions.

Les réformes concernant les licenciements collectifs et abusifs, les contrats précaires de « location des employés » seront abrogées.

2. Plan de création de 300.000 nouveaux emplois dans les secteurs publics et privés et dans ceux de l’économie sociale.

Nous mettons immédiatement en œuvre un programme spécial d’aide à la reprise d’emploi, qui s’étale sur deux ans, d’un coût total de 5 milliards d’euro dont 3milliards pour la première année.

Le programme prévoit une augmentation nette des postes – environ 300 000 – dans tous les secteurs, privé, public, et dans le secteur de l’économie sociale et solidaire.

La mise en place d’un programme de cette ampleur a pour vocation – et je dirais même pour contrainte – l’insertion des chômeurs de longue durée, des seniors de plus de 55 ans, et des jeunes. Il concerne en somme tous ces chômeurs qui ne pourront pas trouver un emploi sans incitations spécifiques à l’embauche.

En dehors de l’administration locale, leur insertion dans le secteur privé sera accompagnée de subventions ciblées pour la création de nouveaux postes pour les jeunes de 15-24 ans et les chômeurs de longue durée de plus de 35 ans, dans les petites et moyennes entreprises.

Notre projet prévoit également de financer des partenariats public-privé en faisant appel à des prestataires privés pour la gestion des équipements et des opérations de service public. Ces contrats de partenariat seront accompagnés de clauses d’embauche de chômeurs de longue durée et de jeunes.

Des aides financières sont également prévues pour les chômeurs qui créent de nouvelles entreprises ou leur propre activité.

3. Les catégories des bénéficiaires de l’allocation chômage seront élargies.

Avec la réduction du nombre de chômeurs actuels, par la création de 300 000 nouveaux emplois, nous pourrons faire bénéficier de l’allocation chômage à un nombre équivalent de chômeurs à qui les critères sociaux actuels ne permettent l’accès à aucune autre allocation.

Le quatrième axe de notre Plan National concerne les changements institutionnels, des changements majeurs, à savoir les transformations qu’apportera SYRIZA aux institutions et à la fonction publique.

D. Interventions pour la reconstruction institutionnelle et démocratique de l’État.

Dès la première année de la gouvernance de SYRIZA, nous mettons en œuvre le processus de redressement institutionnel et démocratique de l’État.

Le redressement de l’État est en effet devenu une nécessité. Cependant, il ne peut être atteint par des cycles successifs de licenciements, qui plus est, de licenciements souvent illégaux, et ce par des illégalités commises pour atteindre des objectifs budgétaires insignifiants et ce aux dépens de services souvent essentiels pour le bon fonctionnement de l’État.

Donc, nous procédons directement au renforcement institutionnel et opérationnel des trois cellules de la République : le Parlement, les collectivités locales et le syndicalisme de base.

(a). Nous soutenons les structures régionales.

Nous renforçons tout d’abord la participation démocratique et la transparence, l’autonomie économique et le fonctionnement efficace des municipalités et des régions.

Nous organisons une transition ordonnée vers un état décentralisé. En parallèle, nous amorçons le dialogue avec la société et les instances régionales pour le remplacement du plan de décentralisation actuel (« Kallikratis ») par un nouveau cadre institutionnel pour la décentralisation qui sera achevé avant les prochaines élections régionales.

Progressivement, nous augmentons les ressources des collectivités régionales pour renforcer leur participation active au redressement productif du pays.

Ainsi, elles pourront bénéficier non seulement de prêts à faible taux d’intérêt, mais aussi de l’émission par la future Banque de Développement des obligations destinées au financement de leurs interventions.

(b) Nous renforcerons les institutions de la démocratie représentative et introduirons de nouvelles applications institutionnelles de la démocratie directe dans le fonctionnement du système politique, telles que l’initiative législative populaire, le veto populaire, le référendum d’initiative citoyenne.

Nous renforcerons le rôle du Parlement dans sa fonction législative et sa fonction de contrôle de l’exécutif, nous délimiterons sévèrement l’immunité parlementaire et nous supprimerons le statut particulier des ministres en matière de responsabilité pénale qui institutionnalise une « déviation vicieuse des principes d’une société démocratique. »

(c) Nous redéfinissons la charte de fonctionnement de l’ensemble des moyens de diffusion de l’information grecs, en redessinant le paysage audiovisuel conformément aux exigences légales et avec une surveillance accrue sur leur transparence.

Nous renfonçons les médias régionaux.

Nous créons une vraie télévision publique, démocratique, pluraliste et de haute qualité en reconstituant l’ERT à partir de zéro.

Chers amis

Nous, nous ne promettons pas. Nous nous engageons.

Et maintenant, ici, dans la 79e exposition de Thessalonique, nous ouvrons un grand débat avec les citoyens pour aboutir à la prise de décisions communes.

Ce débat se prolongera avec treize autres conférences régionales programmatiques qui viendront illustrer ce nouveau processus de planification, décentralisé et démocratique, de la politique de notre pays.

Chers amis

Nous aspirons à un consensus national et social sur le long terme qui engage notre responsabilité commune sur les choix et les décisions qui concernent la reconstruction de notre pays.

Il ne s’agit pas là d’un simple effet d’annonce. Il s’agit du seul espoir de notre peuple, de la condition de la survie nationale et sociale.

C’est pourquoi aujourd’hui, nous vous avons présenté, non pas ce que nous souhaitons, mais ce que nous pouvons faire. Un plan réaliste et réalisable d’apaisement social et de relance de l’économie.

Notre plan est chiffré.

Nous avons calculé le coût total du plan immédiat contre la crise humanitaire et le coût budgétaire de la suppression des mesures fiscales qui ont été imposées arbitrairement par le gouvernement actuel.

Il sera entièrement financé par les actions suivantes :

Tout d’abord par toutes les mesures et les procédures de régularisation que j’ai déjà présentées. Car nous attendons d’elles un double avantage, aussi bien social qu’économique : d’une part, qu’elles soulagent des citoyens de l’emprise d’une imposition lourde et qu’elles reconstituent de leurs capacités contributives, et d’autre part, qu’elles inversent la récession et relancent l’économie.

Sur les 68 milliards de dettes exigibles, les régularisations permettront à l’état d’encaisser au moins 20 milliards sur une durée de sept ans, dont €3 milliards dès la première année. La répression de la fraude et de la contrebande, si elle est menée avec détermination et animée par la volonté politique de faire hardiment face aux grands intérêts privés, sera une autre source de recettes pour l’état.

Et ici, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse.

La déclaration de Mme Lagarde sur les menaces dont elle aurait fait l’objet (à la suite de ses critiques sur l’attitude des Grecs face aux impôts) est stupéfiante.

Mais le silence du gouvernement l’est tout autant. Il est même inacceptable.

Et je pose la question : Tous ces gens qui en écoutant nos propositions agitent le doigt en ressassant toujours la même phrase « avec quel argent ? » ont-ils entendu cette déclaration ?

Envisagent-ils de faire quelque chose ?

Répondront-ils un jour aux questions qui concernent l’impunité scandaleuse dont bénéficient certaines catégories de personnes ? Nous, nous avons déjà élaboré un plan d’action étalé sur six mois contre cette gangrène, qui prévoit :

Tout d’abord, l’intensification et l’accélération des contrôles des transactions intragroupe, des « listes Lagarde », de Liechtenstein, des transferts de fonds, des sociétés offshore et de l’immobilier à l’étranger.

A cet effet, on met en place un service spécial composé d’experts et muni du support technologique approprié après la longue, déplorable et énigmatique inaction du gouvernement actuel.

Deuxièmement, notre plan d’action prévoit l’amélioration et la rapide installation de systèmes d’entrées-sorties et de détecteurs moléculaires dans tous les réservoirs et toutes les stations d’essence afin d’éradiquer la contrebande des carburants.

Notre projet prévoit également l’installation accélérée de détecteurs à rayons X, aux entrées douanières du pays, car nous pouvons et nous voulons être efficaces dans la lutte contre la contrebande à la fois des carburants, et des cigarettes et d’autres produits.

Les estimations des recettes provenant de la répression de la fraude fiscale et de la contrebande, ont parfois été très ambitieuses. Nous, avec modération, nous estimons que notre plan d’action apportera aux caisses de l’état, la première année, au moins trois milliards d’euros .

En ce qui concerne le coût du capital de départ du secteur public, du vecteur intermédiaire et de banques spécialisées – estimé à 3 milliards d’euros – , il sera financé par le soutien de 11 milliards d’euros prévu pour les banques par le Mécanisme de Stabilité.

Quant au coût de notre plan pour la reprise de l’emploi, estimé à 3 milliards d’euros pour la première année de son application (5 milliards d’euros coût global), il sera financé par les fonds structurels (FEDER et FSE) prévus (CRSN 2007-2013 :€1milliard + €1,5 milliards dans le cadre de ESPA 2014-2020), et 500 millions d’euros par d’autres fonds européens pour le soutien de l’emploi.

Et ici, je voudrais ajouter que dans le cadre des efforts titanesques que nous engageons pour la restauration des retraites, notre gouvernement attribuera aux fonds d’assurance certaines des parties du patrimoine public qui stagnent actuellement dans les tiroirs du TAIPED (Fonds de Privatisation).

C’est une mesure nécessaire pour réparer le crime du PSI (« private sector involvement ») qui a dévasté les caisses d’assurance et les détenteurs d’obligations, avant la restauration progressive des retraites.

Chers amis et amies,

Je viens de répondre de manière claire, au moyen de faits et de chiffres, à l’éternelle question que l’on nous pose depuis trois ans à chaque fois que nous proposons une voie de sortie de la crise : « Avec quel argent ? »

Mais aujourd’hui, au-delà de l’analyse des coûts et des bénéfices de nos engagements, je veux souligner le besoin de voir la crise et ses impératifs d’un autre œil que celui du petit comptable qui ne sait qu’aligner des chiffres.

Il faut aussi faire preuve d’un regard critique et libéré de tout dogmatisme.

L’économie n’est pas une simple comptabilité.

Plusieurs facteurs dynamiques concourent à un résultat et déterminent l’économie.

Ce n’est pas un exercice de répartition de ressources limitées.

C’est un système ouvert avec des capacités de production.

Nous, nous connaissons bien les chiffres néfastes de l’économie que nous allons hériter de nos prédécesseurs. Nous connaissons l’état pitoyable causé par les œillères des gouvernements mémorandaires.

Mais nous sommes aussi profondément convaincus qu’il y a une possibilité de sortie du bourbier de la récession. Elle implique la mobilisation de toutes les grecques, de tous les grecs.

La mobilisation et le salut du potentiel productif de notre pays. De tous ceux qui restent debout, qui résistent et se battent.

Nous, nous croyons que SEUL le désir des classes laborieuses, des créateurs féconds et productifs, et surtout des jeunes, de dépasser la conditions actuelle et de s’ouvrir un nouvel horizon peut remettre debout la Grèce et son économie.

C’est une aspiration collective, un projet commun et l’espoir d’un meilleur avenir qui peuvent ramener la croissance à notre pays et non pas l’outillage de l’OCDE et les recettes du FMI.

C’est le patriotisme, la droiture d’esprit, l’ingéniosité et l’étoffe du citoyen grec qui aura le courage et la force de porter sur ses épaules la réussite du Projet de Redressement National, en mettant à profit les potentialités inestimables et les avantages incomparables de notre terre et de ses habitants. D’ailleurs, chers amis, c’est devenu maintenant une prise de conscience collective : La crise que nous vivons n’est pas seulement économique, elle n’est pas seulement une destruction du tissu productif, une récession prolongée et un désinvestissement.

La crise est aussi sociale, comme le démontre on ne peut plus clairement le caractère sans précédent en temps de paix du chômage et de la pauvreté. Mais c’est aussi une crise des institutions et des valeurs, une crise de confiance de la société envers la politique, le Parlement, les partis politiques, les syndicats. Une crise de confiance sur notre propre capacité à affronter ensemble, en tant que société, la crise.

C’est pour cela que le point de départ de la réflexion de notre projet est cette ultime analyse, cet ultime constat : il est de la première importance de croire à notre force collective, de croire, nous tous, à un avenir meilleur que nous dessinerons et nous matérialiserons ensemble, « Simul et Singulis ».

Ensemble et aussi individuellement, car notre force est collective mais elle suppose la conscience de notre propre responsabilité en tant qu’individus. Chaque personne a besoin de croire à un état respectueux et bienveillant à l’égard de l’individu et de la société, mais l’état et la société ont également besoin des individus soucieux du bien-être commun. Un état décentralisé et concentré sur ses citoyens, en somme.

Nous devons croire à notre capacité, en tant que corps social, à tracer des projets collectifs, mais nous devons aussi nous engager personnellement et consciencieusement à leur matérialisation.

Ce défi ne nous intimide pas. Nous avons prouvé par le passé et à des moments encore plus difficiles de notre histoire que nous en étions capables.

C’est pour cela que le premier cycle des mesures de réédification de la société débutera avec la mise en œuvre de deux actions parallèles.

La première consiste à affronter les causes endogènes de la crise.

La deuxième concerne les causes extérieures, en revendiquant une nouvelle place et un nouveau rôle pour notre pays au sein de l’Europe, des Balkans, de la Méditerranée et dans le monde.

Ils se trompent ceux qui croient que la relance de l’économie – si un jour, elle s’amorce – réduira par son simple fait la pauvreté et le chômage ou qu’elle restaurera la confiance dans la politique et les institutions.

En revanche, si notre projet est simple, concret et réaliste, c’est parce qu’il se fonde sur un diagnostic pragmatique. Et aussi et surtout parce qu’il est subversif. Le réalisme commande le renversement des choix uniques des néolibéraux, le renversement des enfermements mémorandaires.

Chers amis,

Aujourd’hui, SYRIZA a fourni des réponses.

Réalistes et subsersives à la fois.

Nous n’ avons pas formulé des suppositions.

Nous avons pris des engagements.

Nous n’avons pas partagé des promesses.

Nous avons départagé des responsabilités.

Car nous nous engageons dans un sentier ardu.

Ce n’est pas seulement de la terre brûlée qu’il va trouver le gouvernement de SYRIZA.

Mais un pays divisé et dévasté politiquement, socialement et économiquement.

Notre responsabilité : De le rassembler et de le ramener à la terre ferme et féconde du redressement, de la démocratie, et de la justice sociale.

C’est cette responsabilité que nous avons voulu partagé avec vous aujourd’hui.

La responsabilité d’un combat commun pour la Grèce dont nous sommes dignes.

Pour une Grèce volontaire et fière, démocratique et juste.

C’est cela notre dette.

Vis à vis de notre histoire.

Vis à vis de nos enfants.

Vis à vis de notre avenir.

Je vous remercie.

Alexis Tsipras

Syriza, TSIPRAS Alexis

Source  : www.ensemble-fdg.org

Source: http://www.les-crises.fr/pour-eux-memes-pour-leurope-les-grecs-doivent-voter-syriza-son-programme/