La décision du sénateur Joe Manchin, baron du charbon, de bloquer le programme d’énergie propre de son propre parti représente un énorme revers dans la lutte contre la dégradation du climat. C’est d’autant plus dramatique que les États-Unis sont la seule grande économie au monde à ne pas avoir de politique climatique nationale. Bien sûr, ce triste état de fait n’est pas seulement dû à des gens comme Manchin, mais à la nature réactionnaire globale du paysage politique et économique du pays, comme le souligne Noam Chomsky dans cette interview exclusive pour Truthout. En effet, les forces obscures qui sont à l’œuvre dans le monde contemporain des États-Unis sont si puissantes qu’elles peuvent étouffer les réformes même lorsque l’avenir de la planète est en jeu. Mais Chomsky soutient que, comme par le passé, le militantisme organisé — la mobilisation sur le terrain — peut offrir une porte de sortie même face aux situations les plus pénibles.
Source : Truthout, C.J. Polychroniou, Noam Chomsky
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Des militants écologistes se rassemblent près du Capitole des États-Unis, le 6 juillet 2022, à Washington. DREW ANGERER / GETTY IMAGES
Noam Chomsky est professeur émérite du département de linguistique et de philosophie du MIT, professeur lauréat de linguistique [[Le titre de professeur lauréat est décerné aux universitaires les plus éminents en reconnaissance de leurs réalisations et de leur contribution exceptionnelle à leur domaine d’études et à leur université, NdT] et titulaire de la chaire Agnese Nelms Haury du programme sur l’environnement et la justice sociale de l’université d’Arizona. Il est l’un des chercheurs les plus fréquemment cités dans le monde et un intellectuel reconnu considéré par des millions de personnes comme un trésor national et international, Chomsky a publié plus de 150 ouvrages sur la linguistique, la pensée politique et sociale, l’économie politique, l’étude des médias, la politique étrangère des États-Unis et les affaires mondiales. Ses derniers livres sont The Secrets of Words (avec Andrea Moro ; MIT Press, 2022) (Le mystère des mots, non traduit) ; The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan, and the Fragility of U.S. Power (avec Vijay Prashad (Le repli : Irak, Libye, Afghanistan, et la fragilité de la puissance américaine, non traduit ); The New Press, 2022) ; et The Precipice : Neoliberalism, the Pandemic and the Urgent Need for Social Change (avec C. J. Polychroniou ; Haymarket Books, 2021) (Le Précipice : néolibéralisme, pandémie et urgence d’un changement social, non traduit).
C.J. Polychroniou : Noam, les États-Unis, de l’avis général, font un travail catastrophique en ce qui concerne la lutte contre la crise climatique. L’indice de performance environnementale, élaboré par les universités de Yale et de Columbia, classe les États-Unis au 43e rang sur 180 nations pour les performances couvrant le changement climatique, la santé environnementale et la vitalité des écosystèmes. En fait, les États-Unis sont la seule grande économie à ne pas avoir de politique nationale en matière de changement climatique, et la campagne de Biden en faveur d’un programme d’énergie propre est quasiment enterrée, notamment à cause de la détermination d’un seul sénateur à protéger son propre portefeuille d’investissement plutôt que l’avenir de la planète. En outre, la Cour suprême a restreint l’autorité de l’EPA en matière de réglementation des émissions de gaz à effet de serre. Il est donc très clair que les États-Unis ne parviendront pas à atteindre l’objectif de réduction de 50 à 52 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport aux niveaux de 2005. À mon humble avis, la question cruciale qui se pose est donc la suivante : pourquoi les États-Unis sont-ils si exceptionnellement nuls face à la crise climatique ? Il doit y avoir une explication autre que l’influence de l’industrie des combustibles fossiles, non ?
Lire la suite