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[Folie collective] « J’ai levé la main et j’ai dit “Ils ont eu raison” »

Thursday 5 February 2015 at 01:40

Très beau papier de Patricia, éducatrice, le 20 janvier sur Rue89.

Ce site condamne avec fermeté toute apologie du terrorisme.

Patricia, éducatrice, travaille sur le dossier d’un collégien accusé d’avoir fait l’apologie du terrorisme pendant un débat sur l’attentat contre Charlie Hebdo. Elle dénonce une « folie collective ».

Une salle de classe (Max Klingensmith/Flickr/CC)

Né au sud de la Loire voilà quatorze ans un début d’avril, il est là comme une mauvaise blague de la République.

Originaires du Maroc et de Tunisie, ses parents tiennent depuis vingt ans un restaurant, dans un terroir du sud de la Loire. L’endroit ne s’appelle ni L’Oasis, ni Djerba la douce, non. Il porte un nom du terroir, celui d’une danse régionale.

Seule devant moi dans ce palais de justice, la mère du petit poisson vit l’échec de toute une vie occupée à se fondre, faire oublier ce qu’elle est, ce qui l’a construite. Dans l’espoir insensé d’être intégrée sans doute.

Elle veut m’expliquer montrer prouver faire entendre qui elle est :

« Une commerçante respectée, respectueuse avec tous, une mère de quatre enfants polis bien élevés appréciés de tous les voisins, parents toujours présents aux réunions parents-professeurs pour chacun des enfants, une famille de musulmans modérés non pratiquants. »

MAKING OF

Ce texte a été écrit par Patricia (un pseudo), une éducatrice titulaire de la Protection judiciaire de la jeunesse exerçant depuis plus de 30 ans dans ce service extérieur du ministère de la Justice. Elle est actuellement en poste dans un service chargé de rencontrer tous les mineurs immédiatement déférés devant un juge des enfants ou un juge d’instruction au terme de leur garde à vue, et de fournir immédiatement un écrit aux magistrats saisis. Xavier de La Porte

Elle me le dit avec ces mots-là, je lui laisse le temps de ce préambule dépassant l’ordinaire.

Je lui promets que je photocopierai et lirai plus tard les lettres qu’elle a serrées dans une pochette. Des témoignages souvent spontanés de voisins, de commerçants, éducateur sportif, président de club de foot qui ont écrit tout le bien qu’ils pensent de cette famille et de mon petit poisson. J’ai lu plus tard :

« Parents travailleurs, enfants bien élevés, footballeur cité en exemple pour son attitude tant sur le terrain qu’avec ses camarades, histoire surréaliste. »

J’ai noté aussi la consonance des patronymes de ces témoins, gaulois, arménien, espagnol, maghrébin… Elle me parlera enfin de son enfant :

« Un garçon gentil avec tout le monde, bon élève jusque-là, mais qui prend de la graine, veut se montrer, regarde les filles, ses résultats baissent… Son père lui a mis une gifle, depuis on lui pourrit la vie. »

Elle avait démarré tendue, forte. Elle finit en larmes, tout aussi effondrée que le monde qu’elle avait cru bâtir.

« La salle des profs, une vraie pétaudière »

Mon petit poisson est en troisième générale dans un collège lambda de la République. Un établissement en zone libre, ni réputé d’élite, ni prioritaire en rien.

Toute la famille retournée chez elle, j’appellerai le principal. Echange d’un nouveau mode avec un professionnel qui, lui aussi, a besoin de parler de ce qui lui tombe sur la gueule depuis tout ça. Pêle-mêle :

« C’est pas un ange, il sait pas se taire, il faut toujours qu’il en rajoute, il a déjà eu des avertissements, il en a eu un pour harcèlement avec une fille. Je connais bien les parents, la mère ça va, mais j’ai dit au père qu’il était beaucoup trop gentil. L’autre jour, sa fille a fait sonner son portable en classe, c’était l’appel à la prière. Le père est venu et il lui a mis une gifle, devant moi. Ce n’est peut-être pas vraiment ce qu’il faudrait faire, mais c’est un début.

C’est entre nous, mais la salle des profs est devenue une vraie pétaudière. Ça fait quinze ans qu’on dit que ça va plus, qu’on ne respecte pas la laïcité, je l’ai pourtant affichée partout la charte. La hiérarchie ne veut pas entendre, ils nous laissent tout seuls. Il y a des profs qui viennent me dire qu’ils voteront FN.

Ils sont allés sur Internet, ils m’ont montré. Vous allez sur Google et vous tapez son nom, en mettant des guillemets et on le voit, c’est bien lui. C’est un truc, Ask.fm, des questions/réponses. Et lui, à “Qu’est-ce qui te fait pleurer ?”, il a écrit “Le Coran”. “Quand te sens-tu le plus heureux ?”, il a répondu “Quand je fais la ierprie”, comme ça. Je n’en ai pas parlé, je pense que si les policiers l’ont vu, ils sauront quoi en faire.

J’ai porté plainte sur consigne de l’académie mais je croyais que les policiers allaient faire un rappel à la loi, que ça s’arrêterait là. Le conseil de discipline mardi prochain, je suis d’accord avec vous. Moi, je vais proposer une exclusion avec sursis mais on est quatorze à voter, des profs, des parents d’élèves, je n’y peux rien.

Je vous remercie pour cet échange, je vous tiendrai au courant, je vous laisse mon portable professionnel. Je vous souhaite un bon week-end et maintenant je vais aller faire du tango, ça va me faire du bien. »

En rentrant chez moi, j’avais pas tango, alors, pour me rassurer, découverte de Ask. Un tchat insignifiant d’ados où s’invite, parfois, mon petit poisson.

Sur plus de six mois, ça parle de filles, beaucoup. Elles sont mignonnes, bien soignées, toutes en portrait, sans décolletés. « Qui tu aimes ? Pourquoi tu mets pas de photo ? » Petit poisson a fini par en mettre une, en short de foot, torse nu, tout fier de son corps sec d’athlète, ses petites tablettes de chocolat.

Quand il doit un peu se risquer à parler de lui – enfin si tant est que trois mots, pas même une phrase, ce soit parler –, il évoque dans l’ordre ses parents, le foot, le collège et, deux fois en six mois, son sentiment religieux. Il sait aussi répondre « T ki ? », « C’est pas ton problème en cptp » ou un truc approchant. A une des dernières questions, « Pourquoi t’es pas au collège ? », il a répondu « Je suis exclu ».

« Je sais même pas pourquoi j’ai dit ça »

Mais qu’a-t-il donc fait, ce putain de petit poisson, pour s’attirer toutes les foudres du ciel, se retrouver pris dans les filets de la justice, pour venir empoisonner ma journée ?

Jeudi, en classe, il a fait sa minute de silence. Vendredi après-midi, en français, sur une proposition de débat du prof, il a plus fait le mariole que pété les plombs :

« J’ai levé la main et j’ai dit : “Ils ont eu raison”. J’ai dit ces quatre mots, madame. Je sais même pas pourquoi j’ai dit ça, je le pense pas, c’est sorti tout seul. Les copains ont dit : “Pourquoi tu dis un truc comme ça ? T’es fou !” Le prof m’a dit : “Si tu penses ça, tu sors de la classe.” Alors je suis allé chez la CPE. Elle m’a expliqué, bien, pourquoi c’était grave ce que j’avais dit. »

Dimanche, il est allé au foot et a refait une minute de silence avant le match :

« C’était bien, on était tous en rond, on se tenait tous par le cou. »

Il risque l’exclusion définitive

Lundi matin, il a été convoqué chez le principal : « Vous allez pas me faire un plat pour ça. » Il a été envoyé auprès de la médiatrice, qui lui a fait faire un écrit.

Lundi après-midi, il était reconvoqué chez le principal, il s’est excusé, a dit qu’il regrettait, sans doute trop tard et pas assez fort. Il est parti au CDI faire un devoir avec l’enseignante chargée de ce poste.

Mardi, il est revenu devant le principal, convoqué avec ses parents. Il lui a été appliqué une sanction que le collège appelle « une mesure conservatoire » : il est exclu de l’établissement pour une semaine et le septième jour, il passera devant le conseil de discipline. Il risque l’exclusion définitive.

Ni le petit poisson ni ses parents ne comprennent bien pourquoi. Après tout ça, le principal du collège est parti mercredi déposer plainte contre petit poisson au commissariat.

[OB : Aller porte plainte pour ça contre un ado de 14 ans quand on est son principal de collège, je me suiciderais de honte à sa place...]

Jeudi matin, il s’est rendu au commissariat où il était convoqué avec ses parents « pour être entendu ». Il a été placé en garde à vue, y est resté 24 heures.

Terrorisme ? « Ça vient de terreur ? »

Et vendredi matin, à 8 heures, il est là, dans les geôles du palais de justice, arrivé menotté, attendant d’être mis en examen pour apologie d’acte de terrorisme. Comme l’autre comique avec son « Je suis Charlie Coulibaly ». Mon petit poisson, « apologie », il a pas la moindre idée de ce que ça peut bien vouloir dire. Terrorisme ? « C’est ceux qui tuent pour rien. » En cherchant bien, « ça vient de terreur ? »

RAPPORT

L’écrit dont parle Patricia est une enquête rapide de personnalité, appelée recueil de renseignements socio-éducatifs, et qui propose, en regard des réquisitions du parquet, la mise en place de mesures éducatives qui paraissent répondre, du point de vue éducatif, à la situation personnelle et familiale du mineur rencontré.

Cette intervention éducative dans une procédure pénale concernant un mineur est rendue obligatoire par la loi (art. 12 de l’ordonnance du 2 février 1945). Quand la réquisition du parquet est un placement en détention provisoire d’un mineur, la PJJ doit alors proposer une alternative à l’incarcération demandée par le parquet. Cette intervention d’un service éducatif dans les procédures pénales concernant des mineurs a été généralisée et étendue en 2011.

Il est au fond du trou, avec moi dans les geôles, et nous essayons d’imaginer demain, d’imaginer qu’il pourra retourner dans son collège. Il ne craint pas trop la réaction de ses copains de classe :

« Ça sera comme d’habitude, c’est la classe, on est pas tous amis mais on s’entend quand même. »

Mais le regard des profs…« Ils vont me voir comment ? »

En trois heures, j’ai entendu la mère, entendu le fils et fait la moitié de mon rapport écrit au Saint Esprit : ils étaient plusieurs mineurs dans les geôles un vendredi et « si on pouvait au moins en prendre un avant midi… »

J’ai complété mon demi-rapport à l’oral devant un juge des enfants qui se demandait ce que faisait cette procédure mal ficelée sur son bureau, mais bon, quand même, il allait bien le mettre en examen :

« On pourra changer la qualification, et puis au jugement, il pourra toujours bénéficier d’une dispense de peine, si ses parents amènent les écrits qu’il a fait là-dessus au collège. »

En dix minutes, la cérémonie a été bouclée et tout le monde renvoyé dans son terroir, sans savoir la possible chance d’une dispense de peine, à attendre huit mois, un an, le jugement.

Garde à vue, menottes : la totale

Il était bien d’accord avec moi le juge, on n’allait surtout pas mettre une mesure éducative de suivi jusqu’au jugement, « même pas une mesure de réparation, après toutes les sanctions qu’il a déjà eues ».

J’ai pas demandé à la maman du poisson d’aller au collège pour réclamer la copie des écrits de son goujon et de surtout bien les conserver pour les donner à l’avocat le jour du jugement. Au flan, j’ai carrément expliqué au principal qu’il lui fallait faxer d’urgence ces morceaux d’anthologie, sur la demande et à l’attention du juge, pour le dossier pénal. Je les aurai lundi.

Le procureur aurait pu traiter cette affaire en « alternative aux poursuites », en COPJ-MEX (mise en examen sur rendez-vous ultérieur dont la date est transmise par un officier de police judiciaire du commissariat où la personne vient d’être entendue), après ou pas une garde à vue.

Mais petit poisson a bénéficié de la totale, la GAV, les menottes, le déferrement immédiat.

Le juge des enfants aurait pu différer la mise en examen en ouvrant un supplément d’information pour attendre les écrits faits au collège. Et moi, j’aurais pu dire non, le rapport n’est pas prêt, refuser de le faire oralement, prendre tout mon temps, tout le temps pour tout le monde d’essayer de comprendre ce qui est en train de se passer, dans quoi on est entraînés.

Mais petit poisson aurait passé plus d’heures tout seul dans les geôles et sa famille plus de temps aussi dans l’angoisse. J’ai hésité et décidé, peut-être trop rapidement, qu’ils avaient été assez exemplaires comme ça.

Je suis fatiguée de cette folie collective

J’ai mal dormi. J’ai peur pour ce petit poisson, pour ses parents. Je suis effrayée par la réaction Vigipirate des institutions de la République, sans plus de raison, de discernement, chacun suivant les directives de sa hiérarchie, démultipliant la rigueur pour mieux exposer aux médias la réaction des institutions. Parce qu’un des arguments pour ces réactions en chaîne, le premier souvent avancé, c’est celui-là :

« On est sous le regard des médias, de l’opinion publique. »

Je suis fatiguée de cette folie collective qui, après un très bel élan de fraternité, traque et cherche les coupables de ce chaos qu’il nous reste à vivre, dans lequel il va me falloir travailler.

Un collègue et ami a affiché dans notre service une belle lettre de sa fille Valentine et son amie Chaïna, 11 ans, et moi je vous punis de ce long récit, pour exorciser ce moment vécu et continuer à penser.

Source : Rue89

Source: http://www.les-crises.fr/j-ai-leve-la-main-et-j-ai-dit-ils-ont-eu-raison/


[Reprise] L’assassinat de journalistes… les leurs et les nôtres, par William Blum

Wednesday 4 February 2015 at 02:07

Après Paris, la condamnation du fanatisme religieux est à son comble. Je suppose qu’il y a même de nombreux progressistes qui rêvent de tordre le cou à des djihadistes, en enfonçant dans leurs crânes quelques réflexions sur l’intelligence, la caricature, l’humour et la liberté d’expression. Nous parlons ici, après tout, de jeunes qui ont grandi en France, pas en Arabie saoudite.

D’où provient tout cet intégrisme islamique des temps modernes ? La plupart vient – formé, armé, financé, endoctriné – d’Afghanistan, d’Irak, de la Libye et de la Syrie. Au cours de différentes périodes, des années 1970 à nos jours, ces quatre pays ont été les états-providences les plus laïcs, modernes, instruits du Moyen-Orient. Et qu’est-il arrivé à ces états-providence laïcs, modernes et instruits ?

Dans les années 1980, les Etats-Unis ont procédé au renversement du gouvernement afghan qui était progressiste, où les femmes jouissaient de tous les droits, croyez-le ou non1 , pour aboutir à la création des talibans et leur prise de pouvoir.

Dans les années 2000, les Etats-Unis ont renversé le gouvernement irakien, détruisant non seulement la laïcité, mais aussi un état civilisé, dont il ne reste que des décombres.

En 2011, les Etats-Unis et leur appareil militaire de l’OTAN ont renversé le gouvernement libyen laïc de Mouammar Kadhafi, laissant derrière eux un état de non-droit et en répandant des centaines de djihadistes et des tonnes d’armes au Moyen-Orient.

Et depuis quelques années les Etats-Unis tentent de renverser le gouvernement syrien laïc de Bachar al-Assad. Ceci, avec l’occupation américaine qui a déclenché une guerre généralisée entre sunnites et chiites en Irak, a conduit à la création de l’Etat islamique avec toutes ses décapitations et autres pratiques charmantes.

Mais malgré tout cela, le monde est plus sûr pour le capitalisme, l’impérialisme, l’anti-communisme, le pétrole, Israël et les djihadistes. Dieu est grand !

Depuis la guerre froide, et la multiplication des interventions énumérées ci-dessus, nous avons affaire à 70 ans de politique étrangère américaine, sans laquelle – comme le faisait remarquer l’écrivain russo/américain Andre Vltchek – « presque tous les pays musulmans, dont l’Iran, l’Egypte et l’Indonésie, seraient aujourd’hui très probablement socialistes, sous la direction d’un groupe de dirigeants très modérés et plutôt laïcs »2 . Même l’ultra-répressive Arabie Saoudite – sans la protection de Washington – serait probablement un pays très différent.

Le 11 Janvier, Paris fut le théâtre d’une Marche d’unité nationale en l’honneur du magazine Charlie Hebdo, dont les journalistes avaient été assassinés par des terroristes. La marche fut plutôt émouvante, mais ce fut aussi une orgie d’hypocrisie occidentale, avec les chaînes de télévision françaises et la foule rassemblée vantant sans fin la vénération de l’OTAN pour les journalistes et la liberté d’expression partout dans le monde ; avec un océan de pancartes clamant « Je suis Charlie … Nous Sommes Tous Charlie » ; avec des crayons géants brandis, comme si les armes de choix de l’Occident au Moyen-Orient au cours du siècle passé avaient été des crayons, et non des bombes, des invasions, des coups d’état, de la torture et des drones.

Personne n’a relevé que l’armée américaine, dans le cadre de ses guerres au cours des dernières décennies au Moyen-Orient et ailleurs, a été responsable de la mort délibérée de dizaines de journalistes. En Irak, entre autres incidents, il faut revoir la vidéo de 2007 de Wikileaks sur l’assassinat de sang-froid de deux journalistes de Reuters ; l’attaque en 2003 par une missile air-sol US sur les bureaux d’Al Jazeera à Bagdad, qui a fait trois morts et quatre blessés parmi les journalistes ; et le tir américain sur l’Hôtel Palestine à Bagdad la même année qui a tué deux cameramen étrangers.

En outre, le 8 Octobre 2001, au cours du deuxième jour de bombardements américains sur l’Afghanistan, les émetteurs de Radio Shari du gouvernement taliban ont été bombardés et peu de temps après, les Etats-Unis ont bombardé quelques 20 sites de radios régionales. Le Secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld, a défendu la destruction de ces installations en déclarant : « Naturellement, ils ne peuvent pas être considérés comme des médias libres. Ils sont les porte-paroles des talibans et de ceux qui hébergent les terroristes ».3

Et en Yougoslavie, en 1999, lors des 78 jours de bombardement d’un pays qui ne menaçait ni les États-Unis ni aucun autre pays, la Radio Television Serbia (RTS) appartenant à l’Etat fut visée [voir photo. Note du GS] parce qu’elle diffusait des choses qui n’étaient pas du goût des États-Unis et de l’OTAN (notamment les horreurs provoquées par les sus-dits bombardements). Les bombes ont tué de nombreux employés de la station, et les deux jambes de l’un des survivants qui a dû être amputé pour le libérer des décombres.4

Voici une opinion sur Charlie Hebdo qui m’a été envoyée par un ami à Paris qui connaît bien ce journal et ses journalistes :

« En matière de politique internationale, Charlie Hebdo était néoconservateur. Il a soutenu toutes les interventions de l’OTAN depuis la Yougoslavie. Ils étaient anti-musulman, anti-Hamas (ou toute organisation palestinienne), anti-russe, anti-cubain (à l’exception d’un dessinateur), anti-Chávez, anti-Iran, anti-Syrie, pro-Pussy Riot, pro-Kiev… Faut-il continuer ?

« Curieusement, le magazine était considéré comme « de gauche ». Il m’est difficile à présent de les critiquer parce qu’ils n’étaient pas « mauvais », juste une bande de dessinateurs drôles, oui, mais des électrons libres sans ordre du jour précis et qui au fond n’en avaient rien à foutre du « correct » – ni politique, ni religieux, ni quoi que ce soit ; ils ne faisaient que s’amuser en tentant de vendre un magazine « subversif » (à l’exception notable de l’ancien rédacteur en chef, Philippe Val, qui est, je crois, un néoconservateur pur et dur) ».

Encore plus bête que soi

Vous souvenez-vous d’Arseniy Yatsenuk ? Ce fonctionnaire ukrainien que le Département d’État des États-Unis avait adopté comme un des leurs au début de 2014 et guidé vers le poste de Premier ministre afin de diriger les Forces du Bien ukrainiennes contre la Russie dans la nouvelle guerre froide ?

Dans une interview à la télévision allemande, le 7 Janvier 2015, voici ce que Yatsenuk a laissé échapper de sa bouche : « Nous nous souvenons tous très bien de l’invasion soviétique de l’Ukraine et de l’Allemagne. Nous ne le permettrons pas et personne n’a le droit de réécrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ».5

Les Forces du Bien ukrainiennes, il faut le rappeler, comptent également plusieurs néo-nazis à des postes élevés du gouvernement et beaucoup plus qui participent à la lutte contre les Ukrainiens pro-Russes dans le sud-est du pays. En juin dernier, Yatsenuk a qualifié ces pro-Russes de « sous-hommes »6 , une référence directe au terme nazi de « untermenschen ».

Alors la prochaine fois que vous levez les yeux au ciel devant une remarque stupide faite par un membre du gouvernement américain, essayez de vous consoler en vous en pensant que les hauts responsables américains ne sont pas nécessairement les plus stupides, sauf bien-sûr en ce qui concerne leur choix de partenaires dignes de l’empire.

Le genre de manifestation qui s’est déroulée à Paris ce mois-ci pour condamner un acte de terrorisme par des djihadistes aurait tout aussi bien pu se dérouler pour les victimes d’Odessa en Ukraine, en mai dernier. Les mêmes néo-nazis décrits ci-dessus avaient interrompu leurs parades avec des croix gammées et appelant à la mort des Russes, des communistes et des Juifs, pour aller incendier un bâtiment syndical à Odessa, tuant des dizaines de personnes et envoyant des centaines à l’hôpital ; la plupart des victimes furent battues ou abattues alors qu’elles tentaient de fuir les flammes et la fumée ; les ambulances furent empêchées de porter secours aux blessés… Vous pouvez toujours chercher un seul grand média US qui a fait ne serait-ce qu’une tentative pour décrire toute cette horreur. Il vous faudra visiter le site russe de RT.com à Washington, DC, et rechercher « Odessa fire » ( « incendie Odessa ») pour trouver de nombreux articles, images et vidéos. Voir aussi l’article de Wikipedia sur le 2 mai 2014 et les affrontements à Odessa.

Si le peuple américain avait été forcé de regarder, d’écouter et de lire toutes les histoires sur le comportement des néo-nazis en Ukraine au cours des dernières années, je pense qu’ils – oui, même le peuple américain et ses représentants intellectuellement limités du Congrès – commenceraient à se demander pourquoi leur gouvernement a été si étroitement allié avec de telles personnages. Les États-Unis pourraient même s’allier à la Russie pour les combattre.

L’Occident n’est pas Charlie pour Odessa. Il n’y a pas de défilé à Paris pour Odessa. (en français dans le texte – NdT)

Quelques réflexions sur ce qu’on appelle l’idéologie

Norman Finkelstein, le virulent critique américain d’Israël, était interviewé récemment par Paul Jaysur The Real News Network. Finkelstein a raconté comment il avait été un maoïste dans sa jeunesse et avait été dévasté par l’exposition et la chute de la Bande des Quatre en 1976 en Chine. « Il s’est avéré qu’il y avait énormément de corruption. Les gens que nous pensions être totalement désintéressés étaient en fait totalement égoïstes. C’était clair. Le renversement de la Bande des Quatre avait un énorme soutien populaire ».

Beaucoup d’autres maoïstes ont été déchirés par l’événement. « Tout s’est écroulé subitement, tout le système maoïste, qui nous pensions [étaient] des hommes nouveaux socialistes, qui croyaient tous au don de soi, au combat contre l’égoïsme. Puis du jour au lendemain, ce fut tout le contraire. »

« Vous savez, beaucoup de gens pensent que c’est McCarthy qui a détruit le Parti communiste, » a poursuivi Finkelstein, « C’est absolument faux. Vous savez, quand vous étiez un communiste à l’époque, vous aviez la force intérieure pour résister au maccarthysme, au nom de la cause. Ce qui a détruit le Parti communiste fut le discours de Khrouchtchev, » une référence à 1956 et la révélation par le premier ministre soviétique Nikita Khrouchtchev des crimes commis par Joseph Staline et son régime dictatorial.

J’étais moi-même suffisamment âgé et intéressé pour être influencé par les révolutions russes et chinoises, mais ce ne fut pas le cas. J’étais un admirateur du capitalisme et un bon et loyal anti-communiste. C’est la guerre du Vietnam qui fut ma Bande des Quatre et mon Nikita Khrouchtchev à moi. Jour après jour, en 1964 et au début de 1965, je suivais attentivement les informations pour prendre connaissance des derniers statistiques de la journée sur la puissance de feu américaine, les sorties des bombardiers, et le nombre de morts. J’étais rempli de fierté patriotique devant notre démonstration de force massive qui allait façonner l’histoire. Des paroles comme celles prononcées par Winston Churchill, à l’entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale, me revenaient facilement à l’esprit – « l’Angleterre vivra ; la Grande-Bretagne vivra ; la Communauté des Nations vivra » Puis un jour – un jour comme un autre – de façon soudaine et de manière inexpliquée, ça m’a frappé. Dans ces villages aux noms étranges, il y avait des gens sur qui ces bombes tombaient, des gens qui fuyaient dans un désespoir total devant le déluge de feu qui tombait du ciel.

Et ça ne m’a plus lâché. Les bulletins d’informations provoquaient en moi la satisfaction bien-pensante que nous étions en train de donner une leçon à ces maudits communistes et qu’ils n’allaient pas s’en tirer avec ce qu’ils avaient l’intention de s’en tirer. L’instant d’après, j’étais frappé par une vague de répulsion devant toute cette horreur. La répulsion a fini par l’emporter sur la fierté patriotique, et je n’ai jamais fait marche arrière ; me condamnant du coup à ressentir du désespoir devant la politique étrangère des Etats-Unis, encore et encore, décennie après décennie.7

Le cerveau humain est un organe étonnant. Il travaille 24/24h, sept jours sur sept, et 52 semaines par an, avant même votre naissance et jusqu’au jour où vous devenez un nationaliste. Et ce jour-là peut arriver très tôt. Voici un titre récent du Washington Post  : « Aux États-Unis le lavage de cerveau commence dès la maternelle. »

Ah, au temps pour moi. En réalité, le titre était « En Corée du Nord le lavage de cerveau commence dès la maternelle. »8

Que Cuba Vive ! Liste du Diable de ce que les États-Unis ont fait à Cuba

Le 31 mai 1999, une plainte contre le gouvernement des États-Unis pour $181 milliards – pour morts, blessés et dommages économiques – fut déposée devant un tribunal de La Havane. Elle a ensuite été déposée auprès de l’Organisation des Nations Unies. Depuis, son sort est un mystère.

La plainte porte sur les 40 années qui ont suivi la révolution de 1959 et décrit, avec force détails apportés par des témoignages directs des victimes, les actes d’agression des Etats-Unis contre Cuba ; en mentionnant souvent le nom, la date et les circonstances précises, de chaque personne tuée ou gravement blessée. En tout, 3478 personnes ont été tuées et 2099 gravement blessées. (Ces chiffres ne comprennent pas les nombreuses victimes indirectes des pressions et du blocus économique de Washington, qui a provoqué des difficultés pour obtenir des médicaments et de la nourriture, en plus d’autres difficultés.)

En termes juridiques, la plainte fut rédigée de manière très précise. Elle portait sur la mort d’individus, au nom des survivants, et des dommages corporels de ceux qui avaient survécu à des blessures graves, en leur nom propre. Aucune attaque américaine infructueuse ne fut retenue, et par conséquent il n’y avait aucun témoignage sur les plusieurs centaines de tentatives d’assassinat manquées contre le président cubain Fidel Castro et d’autres hauts fonctionnaires, ni des attentats qui n’avaient pas fait de victimes. Les dégâts occasionnés aux cultures, au bétail ou à l’économie cubaine en général ont également été exclus, il n’y avait donc aucun témoignage sur l’introduction dans l’île de la peste porcine ou la moisissure de tabac.

Toutefois, les aspects de la guerre biologique et chimique menée par Washington contre Cuba et ayant fait des victimes furent décrits en détail, notamment la création d’une épidémie de dengue hémorragique en 1981, au cours de laquelle quelques 340 000 personnes furent infectées et 116 000 hospitalisées ; et ceci dans un pays qui n’avait jamais connu auparavant un seul cas de cette maladie. Au final, 158 personnes, dont 101 enfants, sont mortes.9 Le fait qu’il n’y ait eu que 158 morts, sur les quelques 116 000 hospitalisés, constitue un hommage éloquent au remarquable système de santé public cubain.

La plainte décrit la campagne d’attaques aériennes et navales contre Cuba qui ont commencé en Octobre 1959, lorsque le président américain Dwight Eisenhower a approuvé un programme qui comprenait des bombardements de raffineries de sucre, l’incendie des champs de canne-à-sucre, des attaques à la mitrailleuses à La Havane, y compris contre des trains de voyageurs.

Une autre section de la plainte décrit les groupes terroristes armés, Los Bandidos, qui ont ravagé l’île pendant cinq ans, de 1960 à 1965, date à laquelle le dernier groupe fut repéré et vaincu. Ces bandes terrorisaient les petits agriculteurs, torturaient et tuaient ceux considérés (souvent à tort) comme des partisans actifs de la Révolution ; hommes, femmes, et enfants. Plusieurs jeunes enseignants volontaires de la campagne d’alphabétisation furent parmi les victimes de ces bandits.

Il y eut aussi bien-sûr la fameuse Baie des Cochons, en avril 1961. Bien que la totalité de l’incident a duré moins de 72 heures, 176 Cubains ont été tués et 300 autres blessés, dont 50 handicapés à vie.

La plainte a également décrit la campagne incessante de grands actes de sabotage et de terrorisme qui comprenaient le bombardement de navires et d’avions ainsi que des magasins et bureaux. L’exemple le plus horrible de sabotage fut bien sûr l’explosion en plein vol en 1976 d’un avion de Cubana qui avait décollé de la Barbade, tuant les 73 passagers. Il y a aussi l’assassinat de diplomates et fonctionnaires cubains à travers le monde, dont un en pleine rue à New York en 1980. Cette campagne s’est poursuivie dans les années 1990, avec les meurtres de policiers cubains, soldats et marins en 1992 et 1994, et une vague d’attentats contre des hôtels en 1997, qui a coûté la vie à un touriste ; la campagne d’attentats visait à décourager le tourisme et a conduit à l’envoi d’officiers du renseignement cubains aux États-Unis dans une tentative de mettre fin aux attentats ; parmi eux, il y avait les Cinq Cubains.

A tout ce qui précède on peut ajouter les nombreux actes de chantage financier, de violence et de sabotages menés par les Etats-Unis et ses agents au cours des 16 années qui ont suivi le dépôt de la plainte. En somme, la blessure et traumatisme profonds infligés au peuple cubain peuvent être considérés comme leur version à eux d’un 11 Septembre 2001.10

Source : William Blum, repris et traduit par Le Grand Soir, depuis son blog.

  1. US Department of the Army, Afghanistan, A Country Study (1986), pp.121, 128, 130, 223, 232
  2. Counterpunch, January 10, 2015
  3. Index on Censorship, the UK’s leading organization promoting freedom of expression, October 18, 2001
  4. The Independent (London), April 24, 1999
  5. Ukrainian Prime Minister Arseniy Yatsenyuk talking to Pinar Atalay”, Tagesschau (Germany), January 7, 2015 (in Ukrainian with German voice-over)
  6. CNN, June 15, 2014
  7. See William Blum, West-Bloc Dissident : A Cold War Memoir, chapter 3
  8. Washington Post, January 17, 2015, page A6
  9. William Blum, Killing Hope : US Military and CIA Interventions Since World War II, chapter 30, for a capsule summary of Washington’s chemical and biological warfare against Havana.
  10. For further information, see William Schaap, Covert Action Quarterly magazine (Washington, DC), Fall/Winter 1999, pp.26-29

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-lassassinat-de-journalistes-les-leurs-et-les-notres-par-william-blum/


[Reprise] Christophe Barbier contre Dieudonné – Editorialiste ou auxiliaire de police ? [2014]

Wednesday 4 February 2015 at 01:55

Article d’Acrimed de janvier 2014

Pour ne pas participer au tintamarre médiatique auquel a donné lieu et donne encore lieu « l’affaire Dieudonné », nous attendrons une accalmie, non sans relever le paradoxe qu’il peut y avoir à entretenir un tel tintamarre autour d’un personnage que la plupart de ceux qui y participent… voudraient justement voir réduit au silence ! Le « débat » fait rage dans les médias sur les meilleurs moyens de combattre les dérives antisémites de Dieudonné et de nombre de ses admirateurs.Au moment où nous écrivons cet article, ce débat est clos, au moins momentanément, puisque le Conseil d’État vient de décider que l’interdiction du spectacle de Dieudonné par le préfet de la région Pays de la Loire était légale – ce qui ne change rien au fond de notre argumentaire. En effet, des opinions des éditorialistes sur ce qu’ilconviendrait de faire aux prescriptions adressées au gouvernement sur ce qu’il faut faire, il y a un pas rapidement franchi. Mais pour que les conseils se transforment en ordres de mobilisation, le meilleur des auxiliaires du ministère de l’Intérieur est Christophe Barbier.

Ce qui est dès lors en cause c’est le rôle que s’attribue l’éditocratie et qu’elle est prête à jouer dans d’autres circonstances, à moins qu’elle ne se désolidarise sans faux-fuyants de l’un de ses représentants. Et cela nous ne pouvions pas le passer sous silence.

Christophe Barbier, donc, dans deux éditoriaux successifs des 30 décembre 2013 et 6 janvier 2014 (sur lesquels nous allons revenir) se rêve grand ordonnateur des basses œuvres du ministre de l’Intérieur agissant « avec une sorte de volonté d’hygiène » (!), conseillant aux préfets d’instrumentaliser la loi, diligentant des enquêtes fiscales, faisant pression sur les directeurs de salles de spectacle, manipulant les militants antiracistes, concevant la stratégie d’emploi des Renseignements généraux, ou orchestrant la propagande au sein de l’Éducation nationale.

Un défenseur de la liberté d’expression (19/09/2012)

Mais on relèvera tout d’abord ceci : l’islamophobie de l’Express fait le lit du racisme ou en est une forme euphémisée. Pour se défendre des effets de cet acharnement, Christophe Barbier, plaidant pour l’irresponsabilité, soutient que « Non, la presse ne peut pas tenir compte du contexte ». Tels étaient le titre et le sens de son éditorial-vidéo du 19 septembre 2012 à propos de la polémique autour de la publication de caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo. Sous prétexte de défendre cette publication, Christophe Barbier déclarait alors :

«  Il ne peut pas y avoir de limite à la liberté d’expression. La liberté peut entraîner l’immaturité, peut-être accompagnée d’irresponsabilité, et c’est peut-être le cas pour Charlie Hebdo, chacun fera son avis. Mais la liberté n’a pas d’autre limite que celle des autres, ma liberté s’arrête quand commence celle des autres. La liberté d’expression de Charlie Hebdo n’entrave en rien la liberté de chaque citoyen de considérer que c’est de mauvais goût, à chaque citoyen de respecter la religion de tel ou tel autre, et surtout de chaque citoyen de pratiquer sa religion comme il l’entend. La liberté de Charlie Hebdo n’est donc pas contestable. Si quelqu’un se sent insulté il peut aller devant les tribunaux, c’est Jean-Marc Ayrault qui l’a dit et il a parlé sagement. Mais le pouvoir aurait pu réaffirmer encore plus fortement dès hier soir la liberté d’expression. […] Si la semaine suivante on est carrément dans un choc des civilisations, il faudra que même les analyses sérieuses, les hypothèses intellectuelles soient refrénées pour ne pas mettre d’huile sur le feu ? Le feu est là. La presse ne met pas d’huile, elle essaye de mettre de l’intelligence, mais ce n’est pas son métier de mettre de l’eau, les pompiers sont dans les ambassades, ce sont les diplomates, ce sont les politiques. […] »

Que L’Express et Christophe Barbier mettent de l’intelligence, cela… se discute. Mais qu’ils mettent de l’huile sur le feu de la xénophobie et du racisme, cela n’est que trop évident ! Quant à appeler le gouvernement à recourir à la force publique et à des mesures illégales, il n’en était pas question dans le bavardage de Christophe Barbier. Et c’est heureux.

Seulement voilà : l’écharpe rouge de Christophe Barbier tourne avec le vent.

Un appel à bafouer le droit de vote (02/06/2009)

Trois ans avant de prendre la défense inconditionnelle et intéressée de la liberté d’expression et de la légalité, Christophe Barbier avait déjà déclamé en vidéo, lors des élections européennes de 2009, au nom des limites à la liberté d’expression cette fois, sa volonté de faire taire Dieudonné qui conduisait alors une liste dans la circonscription d’Île-de-France : en appelant le gouvernement à empêcher les électeurs favorables à cette liste de déposer leurs bulletins de vote. Comment ? En empêchant lesdits bulletins de parvenir dans les bureaux, sans doute… Voire en interdisant la liste ? C’est ce que l’on peut entendre dans l’éditorial-vidéo du 2 juin 2009 intitulé « Dieudonné : stop ! » :

«  La liberté d’expression a des limites. De quel droit Dieudonné et ses comparses peuvent-ils encore nuire dans cette campagne pour les élections européennes. Voilà que dans une tribune ils ont non seulement passé un coup de téléphone du terroriste Carlos les soutenant [sic], non seulement ont fait l’apologie d’Ahmadinejad, mais tenu des propos contre le lobby « juifiste ». […] Et voilà que quand on tient de propos pareils on est tolérés, on a le droit même à des dépêches, on a le droit à une couverture médiatique [sic], on a le droit au respect des autorités de la République, on a le droit de déposer des listes et de se présenter au suffrage des électeurs, on a le droit de flatter les pires instincts parce qu’il y a toujours évidemment des foules prêtes à donner dans la haine, c’est absolument scandaleux, c’est absolument anormal, il faut faire en sorte qu’il n’y ait pas d’élus pour cette liste, bien sûr, mais il faut faire en sorte, et c’est aux autorités de la République d’y veiller, qu’ils ne puissent pas déposer de bulletin dans les bureaux de vote. Il faut que la République dise que la liberté d’expression a des limites, ce sont les limites des valeurs des droits de l’homme, cette dois ci elles sont franchies. Il y a beaucoup de petites listes insignifiantes dans cette élection, cela ridiculise le scrutin, la liste menée par Dieudonné est une liste de haine, elle ne ridiculise pas le scrutin, elle le rend dangereux, elle le rend nuisible, il faut que cela cesse avant dimanche. »

Des appels au désordre public et aux ex-RG

Depuis quelques semaines, Christophe Barbier mobilise à nouveau contre Dieudonné :

  • « Comment en finir avec Dieudonné ? » se demandait-il le 30 décembre 2013. Et de répondre :« Manuel Valls a raison de tenter de mettre fin aux agissements de Dieudonné. Mais a-t-il pris la bonne méthode ? Le trouble à l’ordre public présumé est toujours difficile à constituer, à constater avant un spectacle, c’est difficile aussi après. Les préfets vont devoir faire preuve de beaucoup d’habileté s’ils veulent appliquer la consigne du ministre. […] Il faut faire pression sur les directeurs de salle, sur les programmateurs pour qu’ils décident de ne plus mettre Dieudonné à l’affiche. Avec une sorte de volonté d’hygiène pour que les spectateurs n’aient plus la possibilité de venir le voir, pour qu’il n’y ait pas la tentation, il faut supprimer l’objet de cette tentation. Ainsi Dieudonné n’aura plus de public. […] »Que cela puisse avoir l’effet inverse à celui qui est escompté ne lui vient pas à l’esprit. Mais passe encore : cette prescription de ce que qu’il faut faire peut passer pour une opinion ! La suite, beaucoup moins.
  • « Comment empêcher Dieudonné de nuire ? » se demande Christophe Barbier une semaine plus tard, le 6 janvier 2014, dans une vidéo que l’on peut voir à la fin de cet article Et il répond :« Puisque la détermination du gouvernement à agir radicalement contre Dieudonné semble vraie, il faut maintenant trouver la bonne méthode. Alors regardons comment, par quel mode d’emploi on peut empêcher Dieudonné de nuire.D’abord, le trouble à l’ordre public, ce n’est pas le plus facile puisqu’il faut qu’il y ait des troubles ou des menaces constatés. […]que tous les militants antiracistes se mobilisent pour aller dans chaque ville concernée la veille faire un peu de tohu-bohu et donner au préfet du coin le prétexte qu’il attend, la bonne occasion pour interdire le spectacle. »

    Que des personnalités comme Arno Klarsfeld ou des associations lancent de tels appels, c’est leur droit, quoi que l’on pense de ces provocations aux désordres publics. Mais un éditorialiste ?

Ce n’est pas tout…

« Ensuite, il faut aller dans les spectacles de Dieudonné, notamment dans sa salle parisienne, où là l’interdiction pour trouble à l’ordre public est plus difficile ; dans cette salle là on pourra y entendre des choses qui pourront après coup, après coup, permettre d’interdire la récidive du spectacle. Cela permettrait de trouver une nouvelle utilité aux anciens Renseignements généraux. »

Pourquoi anciens ? Parce que le service des RG a été intégré à laDirection centrale du renseignement intérieur (DCRI). Christophe Barbier, auxiliaire du ministère de l’Intérieur, donne ici tout la mesure de son rôle…

… Qu’il complète après avoir expliqué comment empêcher Dieudonné de financer ses spectacles, en prêtant son concours au ministre de l’Éducation nationale :

« […] Mais en fait le vrai ministre qui devrait agir dès aujourd’hui contre Dieudonné, c’est Vincent Peillon, c’est au sein de l’Éducation nationale qu’il faut très vite apprendre aux enfants comment des idées nauséabondes arrivent à se faufiler par anfractuosités de la loi et comment sous le faux nez de l’humour on peut répandre des idéologies dangereuses. Si on arrive à vacciner les enfants contre cela, on aura fait un grand progrès, pas seulement contre Dieudonné, mais contre tous ses épigones, contre tous ceux qui veulent détourner ce si beau métier d’humoriste, ce si beau métier de saltimbanque au profit d’idées qui nécessitent d’être sans relâche combattues. »

Christophe Barbier étant devenu lui-même acteur et saltimbanque [1] sait de quoi il parle. Faut-t-il qu’à notre tour nous suggérions au ministre de l’Éducation nationale d’inviter les enseignants à décrypter les « Unes » de L’Express et de la presse magazine sur l’Islam pour « vacciner » les enfants contre « les idées nauséabondes » ?

Nous n’en ferons rien. Notre propos n’est pas ici de débattre des meilleurs moyens de combattre l’antisémitisme et le racisme, d’où qu’ils viennent. Ce qui est en cause, répétons-le, c’est le rôle que s’attribue l’éditocratie et qu’elle est prête à jouer dans d’autres circonstances, à moins qu’elle se désolidarise sans faux-fuyants de l’un de ses représentants, quand il appelle à bafouer le droit de vote, à provoquer des désordres publics et à mobiliser les anciens Renseignements généraux.

Source : Blaise Magnin et Henri Maler (grâce au signalement de Jérémie Fabre) pour Acrimed, 10/01/2014

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-christophe-barbier-contre-dieudonne-editorialiste-ou-auxiliaire-de-police-2014/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, Guignols)

Wednesday 4 February 2015 at 00:35

I. Olivier Delamarche

Olivier Delamarche VS Malik Haddouk (1/2): La Grèce va-t-elle vraiment rembourser sa dette ?- 02/02

Olivier Delamarche VS Malik Haddouk (2/2): Indice manufacturier: l’incertitude plane un peu partout – 02/02

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade: Le QE de la BCE, les gens n’y croient pas vraiment – 29/01

Philippe Béchade VS Jean-François Arnaud (1/2): Quels sont les impacts du QE sur les marchés financiers ? – 28/01

Philippe Béchade VS Jean-François Arnaud (2/2): Bourse: Quel algorithme choisir pour détecter les pépites de demain ? – 28/01

Bilan Hebdo: Jean-Louis Cussac et Vincent Ganne – 30/01

III. Jacques Sapir

Jacques Sapir: Les autorités grecques tentent-elles de vendre leurs nouvelles dettes ?- 03/02

IV. Guignols

Les Guignols de l_Info et la Théorie du Complot


 

 

 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-04-02-2015/


[Reprise] Valérie Pécresse veut outrepasser la Convention européenne des droits de l’homme

Wednesday 4 February 2015 at 00:01

Valérie Pécresse veut outrepasser la Convention européenne des droits de l’homme pour empêcher le retour des djihadistes français

OSEF – Le Royaume-Uni l’a fait, alors pourquoi pas la France ? C’est le raisonnement développé par la députée UMP Valérie Pécresse pour justifier sa proposition d’interdire de retour en France des djihadistes français.

Invitée de RTL ce lundi 19 janvier, l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy se positionne sur le même créneau que Laurent Wauquiez (qui propose également de sortir des traités européens si nécessaire), qui avait déjà évoqué cette proposition reprise par l’UMP mais que le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a jugé juridiquement compliquée :

Quand on veut, on peut. La Convention européenne des droits de l’homme permet des dérogations justifiées par des nécessités d’ordre public. La question est de savoir si les Français souhaitent ou non que les djihadistes soient interdits de retour.

Et d’insister sur l’exemple britannique alors que David Cameron a enclenché cette réforme dès novembre 2014, avant les attentats qui ont frappé Paris les 7, 8 et 9 janvier. Elle déroule ainsi :

Les Britanniques qui font partie du conseil de l’Europe, comme nous, donc qui ont signé la convention européenne des droits de l’homme, vont voter une interdiction de deux ans de retour sur le territoire des djihadistes britanniques.

“C’est donc possible”, assure l’élue UMP qui vise la région Ile-de-France fin 2015.

Non, ce n’est pas voté en Angleterre…

Pourtant, pour le coordinateur de la politique antiterroriste de l’Union européenne, Gilles de Kerchove, cette mesure “paraît difficile juridiquement”, a-t-il réagi ce 19 janvier sur Europe 1. “C’est une phrase pour se faire plaisir”, a raillé le président de l’Assemblée Claude Bartolone.

Outre Valérie Pécresse et l’UMP, le Front national également opte pour cette solution d’interdire à des Français partis faire le djihad en Syrie ou en Irak de revenir dans l’Hexagone. Mais, comme le notent Les décodeurs du Monde, “la loi antiterroriste de novembre 2014 (la loi dite Cazeneuve, ndlr) introduit la possibilité, pour les étrangers, d’une interdiction administrative de territoire pour une personne présentant ‘une menace réelle et actuelle’”.

Source : Le Lab Europe1

Source: http://www.les-crises.fr/pecresse-veut-outrepasser-la-convention-europeenne-des-droits-de-l-homme/


[Reprise] Fais-moi mal, “Charlie”, par Delfeil De Ton

Tuesday 3 February 2015 at 03:55

Les-crises.fr condamne sans ambiguïté les attentats de Paris – tout comme toutes les incitations à la haine et tous les terrorismes – des forts comme des faibles.

Delfeil de Ton, 80 ans, chroniqueur à L’Obs depuis 1975, est un des fondateurs de Charlie Hebdo. Il était déjà des aventures de Hara-Kiri, puis de Hara-Kiri Hebdo, avant de participer à la création du « premier » Charlie, en 1970, puis du « deuxième », en 1992. Il s’en était allé au bout de quatre mois – « je m’ennuyais à mourir  avec Philippe Val », le nouveau patron, racontait-il à l’époque, avant de l’accuser plus tard d’entraîner Charlie dans un combat islamophobe.

Intéressant de voir que même Wolinski regrettait ces caricatures – ce qui est aujourd’hui une pensée blasphématoire…

Delfeil De Ton a vécu la grande aventure de l’hebdo satirique. Aujourd’hui, il pleure ses compagnons. Et enrage.
Par Delfeil De Ton

Delfeil de Ton

« Hara Kiri », février 1969 A notre mensuel, nous ajoutons un hebdo que nous appelons « Hara Kiri hebdo» et, peur de rien, nous sortons en même temps un second mensuel que nous appelons « Charlie », sous-titré « Journal plein d’humour et de bandes dessinées ». Qui aurait imaginé que quarante-six ans plus tard, « Je suis Charlie » serait proclamé sur quasiment toute la planète et que ce serait parce que « Charlie » aurait vu sa rédaction exécutée à l’arme de guerre par des croyants fanatisés ?

A cette époque-là, le grand danger pour la presse d’humour était la censure de l’Etat français. C’était la raison pour laquelle, « Hara Kiri hebdo » ayant été interdit par le pouvoir pompidolien (de Georges Pompidou, si si, il a existé), nous avons changé son nom en « Charlie Hebdo », simple subterfuge, c’était en fait le même hebdo, mais se présentant comme un complément, cette fois, à notre mensuel « Charlie ». « Hara Kiri hebdo » était donc mort, tué par la censure, « Charlie Hebdo » mourut à son tour, après une glorieuse carrière, mais de mort naturelle, trop de ses lecteurs l’ayant abandonné. Les mensuels « Charlie » et « Hara Kiri » disparurent ensuite, ce fut la fin d’une belle aventure de presse, sous la houlette de François Cavanna et du professeur Choron, qui avait duré un quart de siècle.

Ils étaient morts, laissant quelques dettes et beaucoup de regrets, puis un nouveau « Charlie Hebdo », ressuscité onze ans après le premier, est venu en 1992 réoccuper sa place que personne n’avait su prendre. Ses nouveaux collaborateurs, qui abritaient en leur sein nombre des anciens, prirent l’habitude de l’appeler « Charlie », tout court, puisque le mensuel qui portait ce nom avait disparu. Les croyants fanatisés dont nous parlions, après avoir assassiné huit personnes de sa rédaction et gravement blessé plusieurs autres, repartirent après avoir lancé «Allahou akbar » et annoncé qu’ils avaient « tué Charlie ».

La rédaction est décimée mais les survivants indemnes ont la bonne réaction, la même que nous avions eue lorsque Pompidou, à sa manière douce (vous voyez que vous vous y faites, à ce nom de Pompidou), avait voulu lui aussi tuer notre journal. « Charlie Hebdo » ressort une semaine après la tuerie, sans la moindre interruption. C’était la réponse à donner aux tueurs, comme ça avait été celle à donner aux censeurs. Bravo les gars et les greluches, et c’est peu dire que nous vous souhaitons longue vie et tout le succès.

Ce sera dur, surtout au début, mais vous avez vraiment beaucoup de monde avec vous. En 1970, nous avons eu le soutien de la profession. C’était beaucoup. Vous avez celui du gouvernement, de l’ONU, du Comité international olympique, le deuil national a été décrété en France pour honorer vos morts et le président de la République, parlant de vos camarades disparus, a déclaré : « Ce sont aujourd’hui nos héros. »

Je n’aime pas trop quand un chef d’Etat parle de morts comme de héros. C’est habituellement parce que ces citoyens-là ont été envoyés à la guerre et n’en sont pas revenus, ce qui est un peu le cas des victimes de l’attentat contre « Charlie Hebdo ». Cet attentat entre dans le cadre d’une guerre déclarée à la France mais aussi dans celui de guerres que mène la France, se mêlant d’intervenir militairement dans des conflits où sa participation ne s’imposait pas, où des tueries pires encore que celle de « Charlie Hebdo » ont lieu tous les jours, et plusieurs fois par jour, et auxquelles nos bombardements ajoutent des morts aux morts, dans l’espoir de sauver des potentats qui se sentent menacés, pas plus recommandables que ceux qui les menacent, dont le pouvoir s’est certainement assis sur le versement de beaucoup de sang et qui décapitent aussi bien que leurs adversaires, torturent et tranchent mains et pieds au nom d’Allah, comme leurs adversaires, et pourquoi donc, grands dieux, notre République, si fière d’être laïque, va-t-elle choisir entre ces sectateurs qui brandissent pareillement d’une main le cimeterre, de l’autre le Coran ?

Si Barack Obama n’avait pas retenu notre François Hollande, celui-ci partait en Syrie à la chasse de Bachar al-Assad, comme Sarkozy son prédécesseur est parti à la chasse en Libye de Mouammar Kadhafi, qu’il a éliminé, mais avec le résultat que l’on sait. Combien de Syriens la France aurait-elle tués et probablement tuerait-elle toujours ? Laisser les peuples disposer d’eux-mêmes, n’est-ce pas un principe sacré ? S’ils sont en guerre intestine, de quel droit nous en mêler ? Nous ne comprenons rien à leurs querelles, nous ne faisons que les faire durer davantage et il nous faut nous étonner, ensuite, s’ils les transportent sur notre sol ?

Wolin est mort dans l’attentat. Georges Wolinski. Quand sa mort a été confirmée, mes bras se sont mis à trembler. Cavanna l’aimait tant. Cavanna mort l’an dernier, 29 janvier, à qui je pense tous les jours et qui aurait été tué, lui aussi, s’il avait été encore là, et voilà qu’il me faut me réjouir qu’il soit mort de sa belle mort. «Aucune mort n’est belle, Delfeil », je l’entends qui me dirait ça. Un lecteur m’envoie une photo qu’il a prise ce printemps, c’était à Nogent-sur-Marne, sa ville natale qui célébrait le souvenir de Cavarma. De « Hara Kiri », étaient présents Wolin et moi. C’était dans la bibliothèque municipale, déjà de son vivant Bibliothèque François-Cavanna, elle était remplie de Nogentais venus nous écouter parler de lui. La photo montre Wolin lisant un texte de Cavanna et moi qui ris aux éclats. Dernière fois que j’ai vu Wolin. Les journalistes, quand on ne travaille pas dans les mêmes journaux, c’est toute une affaire de se voir. Après avoir été désagréable pour François Hollande, je vais être désagréable pour Charb.

Charb ? Le premier assassiné par les tueurs ? Celui qu’ils recherchaient nommément ?

Oui, celui-là. Je sais, ça ne se fait pas. J’ai trop de peine. Et quand je rencontrais Charb, je ne lui cachais pas ce que je pensais. Lui, tout pareil. Ce gars était épatant. Ce que j’appréciais le plus, c’était sa franchise. Je vais être franc avec lui et il m’écouterait, peut-être même, cette fois, serait-il d’accord avec moi, cette tête de lard. C’était une tête de lard.

Il était le chef. Quel besoin a-t-il eu d’entraîner l’équipe dans la surenchère ? Novembre 2011, premier attentat contre « Charlie Hebdo », incendie des locaux après un numéro surtitré « Charia Hebdo ». Je reprends les propos filmés de Wolinski, que je repris alors dans « l’Obs » : « Je crois que nous sommes des inconscients et des imbéciles qui avons pris un risque inutile. C’est tout. On se croit invulnérables. Pendant des années, des dizaines d’années même, on fait de la provocation et puis un jour la provocation se retourne contre nous. Il fallait pas le faire. »

Il fallait pas le faire mais Charb l’a refait. Un an plus tard, septembre 2012, après une provocation qui avait fait mettre nos ambassades en état de siège dans les pays musulmans, déployer toutes nos polices dans nos villes, je fus amené à écrire, m’adressant à Charb, toujours dans « l’Obs » : « Se situer à l’extrême gauche et s’entendre dire par le NPA qu’on “participe à l’imbécillité réactionnaire du choc des civilisations”, se définir écologistes et être traités de “cons” par Daniel Cohn-Bendit, ça devrait donner à réfléchir. Surtout quand dans le même temps on est applaudi par la famille Le Pen, Rioufol du “Figaro” et le Premier ministre de Sarkozy. »

Je posais la question à Charb : « Sous le titre “Mahomet : une étoile est née”, montrer un Mahomet nu, vu de trois quarts dos, en position de prière, couilles pendantes et vit gouttant, en noir et blanc mais avec une étoile en jaune à l’anus, tournez-le dans tous les sens, en quoi est-ce drôle, spirituel?» C’était ce qu’on voyait dans ce numéro de « Charlie Hebdo ».

La police avait alors arrêté un homme venu pour tuer Charb avec un couteau. Charb et un ou deux autres étaient protégés par des gardes. Tous ne l’étaient pas, et surtout pas Cavanna, qui se déplaçait dans son quartier Maubert avec son parkinson, devenu si fragile, et qu’une simple poussée aurait envoyé à l’hôpital et c’était sa fin. J’en étais malade. Charb disait à une journaliste du « Monde » : «Je n’ai pas de gosse, pas de femme, je préfère mourir debout que vivre à genoux. » Cavanna, qui haïssait la mort, écrivait, à l’âge de Charb : « Plutôt rouge que mort» Les rouges ne sont plus rouges, les morts sont toujours morts.

Tout le monde a vu le dernier dessin de Charb : « Toujours pas d’attentats en France ?» Et le djihadiste du dessin, armé comme celui qui a tué Charb, Tignous, Cabu, Honoré et les autres, répond : « Attendez ! On a jusqu’à la fin janvier pour présenter ses vœux… » Avez-vous vu le dernier dessin de Wolinski ? Il se termine par : « Je rêve de retourner à Cuba, boire du rhum, fumer un cigare et danser avec les belles Cubaines. »

Charb qui préférait mourir et Wolin qui préférait vivre. Je t’en veux vraiment, Charb. Paix à ton âme.

Delfeil de Ton

Source : L’OBS, N°2619, le 14/01/2015

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Les amis de la Liberté d’expression ont réagi :

Ces quelques lignes extraites de la dernière chronique de Delfeil De Ton, compagnon de route de Charlie Hebdo et proche compagnon également de son ancien patron de la rédaction, décédé dans la tuerie, Charb, publiée hier dans les colonnes de l’Obs , ont soulevé l’indignation, déclenché la rage de toute ou partie de l’équipe de « Charlie ».

Et en particulier de l’avocat et figure de l’hebdomadaire, Richard Malka, qui a eu un très violent échange avec Renaud Dély, rédacteur en chef de l’Obs, qualifiant « d’abjecte » cette chronique et plus « abjecte » encore, sa publication.

« Il s’agit d’une chronique, répond calmement Matthieu Croissandeau. Nous avons reçu ce texte, et, après débat, j’ai décidé de le publier ; dans un numéro sur la liberté d’expression, il m’aurait semblé gênant de censurer une voix, quand bien même elle serait discordante. D’autant qu’il s’agit de la voix d’un des pionniers de cette bande. »

L’avocat a tenté de joindre également mais en vain le patron de l’Obs, Mathieu Croissandeau, pour lui dire son dégoût et sa fureur, avant de se retourner dans un climat de très vive tension vers l’un des actionnaires du groupe, Mathieu Pigasse qu’il connaît bien.

Source

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Source: http://www.les-crises.fr/reprise-fais-moi-mal-charlie-par-delfeil-de-ton/


Le rouge et le tricolore, par Alain Badiou

Tuesday 3 February 2015 at 01:15

Par Alain Badiou (Philosophe, dramaturge et écrivain)

Le philosophe Alain Badiou en 2008 à son domicile parisien

Aujourd’hui, le monde est investi en totalité par la figure du capitalisme global, soumis à l’oligarchie internationale qui le régente, et asservi à l’abstraction monétaire comme seule figure reconnue de l’universalité.

Dans ce contexte désespérant s’est montée une sorte de pièce historique en trompe-l’œil. Sur la trame générale de « l’Occident », patrie du capitalisme dominant et civilisé, contre « l’islamisme », référent du terrorisme sanguinaire, apparaissent, d’un côté, des bandes armées meurtrières ou des individus surarmés, brandissant pour se faire obéir le cadavre de quelque Dieu ; de l’autre, au nom des droits de l’homme et de la démocratie, des expéditions militaires internationales sauvages, détruisant des Etats entiers (Yougoslavie, Irak, Libye, Afghanistan, Soudan, Congo, Mali, Centrafrique…) et faisant des milliers de victimes, sans parvenir à rien qu’à négocier avec les bandits les plus corruptibles une paix précaire autour des puits, des mines, des ressources vivrières et des enclaves où prospèrent les grandes compagnies.

C’est une imposture de présenter ces guerres et leurs retombées criminelles comme la contradiction principale du monde contemporain, celle qui irait au fond des choses. Les troupes et polices de la « guerre antiterroriste », les bandes armées qui se réclament d’un islam mortifère et tous les Etats sans exception appartiennent aujourd’hui au même monde, celui du capitalisme prédateur.

Diverses identités factices, se considérant chacune comme supérieure aux autres, se taillent férocement dans ce monde unifié des lambeaux de domination locale. On a du même monde réel, où les intérêts des agents sont partout les mêmes, la version libérale de l’Occident, la version autoritaire et nationaliste de la Chine ou de la Russie de Poutine, la version théocratique des Emirats, la version fascisante des bandes armées… Les populations sont partout sommées de défendre unanimement la version que le pouvoir local soutient.

Il en ira ainsi tant que l’universalisme vrai, la prise en main du destin de l’humanité par l’humanité elle-même, et donc la nouvelle et décisive incarnation historico-politique de l’idée communiste, n’aura pas déployé sa neuve puissance à l’échelle mondiale, annulant au passage l’asservissement des Etats à l’oligarchie des propriétaires et de leurs serviteurs, l’abstraction monétaire, et finalement les identités et contre-identités qui ravagent les esprits et en appellent à la mort.

Identité française : la « République »

Dans cette guerre des identités, la France tente de se distinguer par un totem de son invention : la « République démocratique et laïque », ou « le pacte républicain ». Ce totem valorise l’ordre établi parlementaire français – au moins depuis son acte fondateur, à savoir le massacre, en 1871, par les Adolphe Thiers, Jules Ferry, Jules Favre et autres vedettes de la gauche « républicaine », de 20 000 ouvriers dans les rues de Paris.

Ce « pacte républicain » auquel se sont ralliés tant d’ex-gauchistes, parmi lesquels Charlie Hebdo, a toujours soupçonné que se tramaient des choses effrayantes dans les faubourgs, les usines de la périphérie, les sombres bistrots banlieusards. La République a toujours peuplé les prisons, sous d’innombrables prétextes, des louches jeunes hommes mal éduqués qui y vivaient. Elle a aussi, la République, multiplié les massacres et formes neuves d’esclavage requis par le maintien de l’ordre dans l’empire colonial. Cet empire sanguinaire avait trouvé sa charte dans les déclarations du même Jules Ferry – décidément un activiste du pacte républicain –, lesquelles exaltaient la « mission civilisatrice » de la France.

Or, voyez-vous, un nombre considérables des jeunes qui peuplent nos banlieues, outre leurs louches activités et leur manque flagrant d’éducation (étrangement, la fameuse « Ecole républicaine » n’a rien pu, semble-t-il, en tirer, mais n’arrive pas à se convaincre que c’est de sa faute, et non de la faute des élèves), ont des parents prolétaires d’origine africaine, ou sont eux-mêmes venus d’Afrique pour survivre, et, par voie de conséquence, sont souvent de religion musulmane. A la fois prolétaires et colonisés, en somme. Deux raisons de s’en méfier et de prendre les concernant de sérieuses mesures répressives.

Supposons que vous soyez un jeune Noir ou un jeune à l’allure arabe, ou encore une jeune femme qui a décidé, par sens de la libre révolte, puisque c’est interdit, de se couvrir les cheveux. Eh bien, vous avez alors sept ou huit fois plus de chances d’être interpellé dans la rue par notre police démocratique et très souvent retenu dans un commissariat, que si vous avez la mine d’un « Français », ce qui veut dire, uniquement, le faciès de quelqu’un qui n’est probablement ni prolétaire, ni ex-colonisé. Ni musulman.

Charlie Hebdo, en un sens, ne faisait qu’aboyer avec ces mœurs policières dans le style « amusant » des blagues à connotation sexuelle. Ce n’est pas non plus très nouveau. Voyez les obscénités de Voltaire à propos de Jeanne d’Arc : son La Pucelle d’Orléans est tout à fait digne de Charlie Hebdo. A lui seul, ce poème cochon dirigé contre une héroïne sublimement chrétienne autorise à dire que les vraies et fortes lumières de la pensée critique ne sont certes pas illustrées par ce Voltaire de bas étage.

Il éclaire la sagesse de Robespierre quand il condamne tous ceux qui font des violences antireligieuses le cœur de la Révolution et n’obtiennent ainsi que désertion populaire et guerre civile. Il nous invite à considérer que ce qui divise l’opinion démocratique française est d’être, le sachant ou non, soit du côté constamment progressiste et réellement démocrate de Rousseau, soit du côté de l’affairiste coquin, du riche spéculateur sceptique et jouisseur, qui était comme le mauvais génie logé dans ce Voltaire par ailleurs capable, parfois, d’authentiques combats.

Le crime de type fasciste

Et les trois jeunes Français que la police a rapidement tués ? Je dirais qu’ils ont commis ce qu’il faut appeler un crime de type fasciste. J’appelle crime de type fasciste un crime qui a trois caractéristiques.

D’abord, il est ciblé, et non pas aveugle, parce que sa motivation est idéologique, de caractère fascisant, ce qui veut dire strictement identitaire : nationale, raciale, communautaire, coutumière, religieuse… En la circonstance, les tueurs sont antisémites. Souvent le crime fasciste vise des publicistes, des journalistes, des intellectuels ou des écrivains que les tueurs estiment représentatifs du bord opposé. En la circonstance, Charlie Hebdo.

Ensuite, il est d’une violence extrême, assumée, spectaculaire, parce qu’il vise à imposer l’idée d’une détermination froide et absolue qui, du reste, inclut de façon suicidaire la probabilité de la mort des meurtriers. C’est l’aspect « viva la muerte ! », l’allure nihiliste, de ces actions.

Troisièmement, le crime vise, par son énormité, son effet de surprise, son côté hors norme, à créer un effet de terreur et à alimenter, de ce fait même, du côté de l’Etat et de l’opinion, des réactions incontrôlées, entièrement closes sur une contre-identité vengeresse, lesquelles, aux yeux des criminels et de leurs patrons, vont justifier après coup, par symétrie, l’attentat sanglant. Et c’est bien ce qui est arrivé. En ce sens, le crime fasciste a remporté une sorte de victoire.

L’Etat et l’opinion

Dès le début en effet, l’Etat s’est engagé dans une utilisation démesurée et extrêmement dangereuse du crime fasciste, parce qu’il l’a inscrit au registre de la guerre mondiale des identités. Au « musulman fanatique », on a opposé sans vergogne le bon Français démocrate.

La confusion a été à son comble quand on a vu que l’Etat appelait, de façon parfaitement autoritaire, à venir manifester. C’est tout juste si Manuel Valls n’envisageait pas d’emprisonner les absents, et si on n’a pas exhorté les gens, une fois qu’ils auraient manifesté leur obéissance identitaire sous le drapeau tricolore, soit à se terrer chez eux, soit à revêtir leur uniforme de réserviste et à partir au son du clairon en Syrie.

C’est ainsi qu’au plus bas de leur popularité, nos dirigeants ont pu, grâce à trois fascistes dévoyés qui ne pouvaient imaginer un tel triomphe, défiler devant un million et quelques de personnes, à la fois terrorisées par les « musulmans » et nourries aux vitamines de la démocratie, du pacte républicain et de la grandeur superbe de la France.

La liberté d’expression, parlons-en ! Il était pratiquement impossible, durant tous les premiers jours de cette affaire, d’exprimer sur ce qui se passait un autre avis que celui qui consiste à s’enchanter de nos libertés, de notre République, à maudire la corruption de notre identité par les jeunes prolétaires musulmans et les filles horriblement voilées, et à se préparer virilement à la guerre contre le terrorisme. On a même entendu le cri suivant, admirable dans sa liberté expressive : « Nous sommes tous des policiers. »

Il est naturel en réalité que la loi de notre pays soit celle de la pensée unique et de la soumission peureuse. La liberté en général, y compris celle de la pensée, de l’expression, de l’action, de la vie même, consiste-t-elle aujourd’hui à devenir unanimement des auxiliaires de police pour la traque de quelques dizaines d’embrigadés fascistes, la délation universelle des suspects barbus ou voilés, et la suspicion continue concernant les sombres cités de banlieue, héritières des faubourgs où l’on fit autrefois un carnage des communards ? Ou bien la tâche centrale de l’émancipation, de la liberté publique, est-elle bien plutôt d’agir en commun avec le plus possible de jeunes prolétaires de ces banlieues, le plus possible de jeunes filles, voilées ou non, cela n’importe pas, dans le cadre d’une politique neuve, qui ne se réfère à aucune identité (« les prolétaires n’ont pas de patrie ») et prépare la figure égalitaire d’une humanité s’emparant enfin de son propre destin ? Une politique qui envisage rationnellement que nos vrais maîtres impitoyables, les riches régents de notre destin, soient enfin congédiés ?

Il y a eu en France, depuis bien longtemps, deux types de manifestation : celle sous drapeau rouge, et celles sous drapeau tricolore. Croyez-moi : y compris pour réduire à rien les petites bandes fascistes identitaires et meurtrières, qu’elles se réclament des formes sectaires de la religion musulmane, de l’identité nationale française ou de la supériorité de l’Occident, ce ne sont pas les tricolores, commandées et utilisées par nos maîtres, qui sont efficaces. Ce sont les autres, les rouges, qu’il faut faire revenir.

Source : Le Monde, le 27/01/2015

Source: http://www.les-crises.fr/le-rouge-et-le-tricolore-par-alain-badiou/


[Reprise] Ciotti veut supprimer les allocations familiales en cas de non-respect de la minute de silence

Tuesday 3 February 2015 at 00:01

Alors que la minute de silence n’a pas toujours été respectée dans les écoles, le député UMP Éric Ciotti propose des mesures radicales.


Le député UMP Eric Ciotti propose de mettre en place un dispositif pouvant aller jusqu’à la suppression des allocations familiales aux familles d’élèves ayant perturbé la minute de silence en hommage aux victimes d’attentats en France. © KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Le député UMP Éric Ciotti a proposé jeudi de mettre en place un dispositif pouvant aller jusqu’à la suppression des allocations familiales aux familles d’élèves ayant perturbé la minute de silence en hommage aux victimes d’attentats en France. “Les Français ont découvert avec stupéfaction” que cette minute de silence “avait été perturbée dans des centaines d’établissements scolaires”, ce qui “témoigne d’une défiance à l’égard de la démocratie, mais elle traduit également des failles majeures de l’autorité parentale”, écrit le président du conseil départemental des Alpes-Maritimes dans un communiqué. Il a donc “déposé ce jour une proposition de loi visant à rétablir le Contrat de responsabilité parentale supprimé en janvier 2013 par le gouvernement”.

Deux cents incidents dans les écoles

“Ce contrat aura pour objectif de rappeler aux parents qui se désengagent de leur responsabilité que le premier de leurs devoirs réside dans l’exercice de l’autorité parentale. Je propose ainsi l’instauration d’un dispositif contractuel équilibré et gradué d’accompagnement des parents d’enfants dont le comportement perturbateur aura été signalé par l’Éducation nationale au président du Conseil général en charge de la protection de l’enfance. Ce dispositif pourrait aller jusqu’à la suppression des allocations familiales.” “La suspension des allocations familiales doit donc être perçue avant tout comme une mesure de dissuasion pour faire prendre conscience aux parents de la gravité de la situation pour leur enfant”, ajoute M. Ciotti.

Quelque deux cents incidents liés aux attentats de la semaine dernière ont eu lieu dans les établissements scolaires, dont une quarantaine signalés à la police et la justice, a indiqué mercredi la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem.

Source : Le Point

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-ciotti-veut-supprimer-les-allocations-familiales-en-cas-de-non-respect-de-la-minute-de-silence/


[Reprise] Manipulation à Paris, par Horace Campbell

Monday 2 February 2015 at 01:47

Racisme, islamophobie et crise du capitalisme en Europe
par HORACE G. CAMPBELL, professeur d’études Afro-Américaines et de Science Politique à l’Université de Syracuse

“Dimanche dernier, plus d’un million de personnes se sont jointes aux 40 présidents et premiers ministres dans les rues de Paris dans la démonstration la plus marquante de solidarité occidentale contre la menace de l’extrémisme islamiste qui se soit déroulée depuis les attaques du 11 septembre 2001. Répondant aux attaques terroristes qui tuèrent 17 personnes en France et captèrent l’attention du monde entier, des juifs, des musulmans, des chrétiens, des athées et des personnes de toutes races, âges et couleurs politiques, se sont regroupés en masse au centre de Paris sous un grand ciel bleu, appelant à la paix et à la fin de la violence extrémiste.”
- New York Times, lundi 12 Janvier 2015

C’est de cette manière que les journaux occidentaux ont commenté la gigantesque manifestation du dimanche 11 janvier à Paris où des millions de personnes se sont rassemblées en une manifestation de leur solidarité avec le pouvoir politique français. La Une du New York Times titrait : “Démonstration géante de solidarité à Paris contre le terrorisme”. Le Los Angeles Times mettait en gros titre “La France unie contre la terreur : plus d’un million de manifestants remplissent les rues de Paris pour honorer les victimes clamant : ‘Nous n’avons pas peur !’” Le même article rapporte que le président François Hollande aurait déclaré que “Paris est aujourd’hui la capitale du monde.”

Quelle est la signification de cette manifestation géante, censée être une réponse au massacre de 17 personnes durant la semaine du 5 au 10 janvier ?

Dans cet article, l’auteur se joindra à la condamnation de l’attaque de Charlie Hebdo et de l’assassinat de ses journalistes. Il doit ici impérativement être dit que cet auteur défend la liberté d’expression sans endosser le contenu du discours. De ce fait, je dénonce sans aucune équivoque ces tueries en France. L’usage de la satire pour camoufler une parole raciste et agressive est pour autant inacceptable et doit être dénoncé pareillement.

Il est également urgent que les forces progressistes travaillent à ce que les tueries et les manifestations de masse ne soient pas tournées en instruments de manipulation, visant à pousser la population laborieuse au racisme, à l’islamophobie et autres formes de chauvinisme et de nationalisme européen extrême. Même les principaux grands médias comme Reuters écrivent maintenant “Retombées de l’attaque sur Charlie Hebdo : le spectre d’un passé fasciste hante le nationalisme européen”. Ce spectre du fascisme doit être pris sérieusement en considération car le fascisme émerge toujours en situation de crise du capitalisme dans les moments où les éléments dirigeants incitent au chauvinisme et au racisme pour détourner l’attention des masses laborieuses afin de les empêcher de se mobiliser contre la classe capitaliste. Telle fut concrètement l’expérience vécue durant la dernière grande dépression du capitalisme.

La France, comme le reste de l’Europe, a été prise dans une triple crise – la crise bancaire, la crise de la dette souveraine et l’avenir de l’euro en tant que devise internationale viable. Ces trois crises ont engendré une quatrième conséquence mortelle, celle de la crise politique et du problème de la légitimité de l’actuel système politique et économique. Dans toute l’Europe, les gouvernements ont institué des mesures d’austérité qui obligent les masses laborieuses à supporter le coût de l’imprudence des banquiers. Jusqu’à présent, les mesures d’austérité visant à sauver le système bancaire ont échoué à stabiliser le système. L’Europe fait désormais face à une déflation et à l’aggravation de sa récession économique. Bien que le système en étages hiérarchisés de l’Europe, avec l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas à son sommet, ait cherché à présenter la crise de l’Eurozone comme une conséquence de problèmes liés à l’indiscipline fiscale des dirigeants du Portugal, de l’Irlande, de l’Italie, de la Grèce et de l’Espagne, les dirigeants politiques français avaient espéré que ses outils internationaux d’accumulation et d’exploitation en Afrique et Asie occidentale, sauveraient le système capitaliste en France. Depuis 2008, les trois principales banques françaises, le Crédit Agricole, BNP Paribas et la Société Générale, furent les institutions financières présentant le risque systémique le plus élevé en Europe. (1) Les études de l’index du risque systémique européen ont averti de la surexposition de ces banques et de la nécessité de milliards de dollars de nouveaux fonds propres pour préserver la solvabilité du système bancaire français, surexposé en Grèce.

En Grèce et en Espagne, des mouvements populaires sociaux appellent à un nouveau contrat social, à de nouvelles formes de politiques et à l’abandon des mesures d’austérité visant à sauver les banquiers. Les présidents français, Nicolas Sarkozy et François Hollande, ont parcouru le monde en vue de créer des alliances contre les travailleurs de France tout en soutenant un climat de racisme, d’islamophobie, de xénophobie ainsi qu’un climat de peur et d’insécurité. Dans cet environnement politique, le parti d’extrême droite marginalisé appelé Front National s’est progressivement révélé comme une force dominante de la politique française.

A l’international, la France s’est retrouvée isolée suite à sa double politique étrangère, cherchant à monter la Chine contre les USA, la Russie contre l’Allemagne, les USA contre la Chine, puis en travaillant avec Israël, l’Arabie Saoudite et la Turquie contre les USA sur la question du nucléaire iranien. Les Français ont également été à l’avant-poste pour travailler avec les forces conservatrices en Arabie Saoudite et en Turquie afin de supprimer le régime d’Assad en Syrie. Ces différentes formes de manipulation sont devenues une impasse dès que les citoyens français ont pris conscience de la crise sociale et économique de la société européenne.

C’est dans ces moments-là, lorsque les passions et les émotions sont exploitées par les médias pour promouvoir la peur et un climat d’insécurité, que les journalistes progressistes et les journalistes d’investigation sont sollicités pour enquêter pleinement sur les diverses forces en jeu dans la nouvelle guerre déclarée contre l’Islam radical. Il doit y avoir une mobilisation internationale pour révéler les forces réelles derrière le meurtre des journalistes et de la vigilance de sorte que cette manipulation ne reproduise pas le fanatisme religieux nourri par les forces néoconservatrices en Amérique du Nord, en Europe et en Asie de l’Ouest. Il faut que la conscience politique des jeunes s’élève pour s’opposer au racisme et à l’extrémisme religieux afin qu’ils ne soient pas manipulés comme les frères Kouachi. Il faut également une mobilisation pour une alternative à ce système qui soutient les banquiers au détriment des travailleurs partout dans le monde. La lutte pour la liberté d’expression, la liberté de réunion, la justice sociale et la liberté économique ne devraient pas être réservées à une partie de l’humanité.

Le contexte : le Front National et la dominance dans la politique française

Depuis la crise financière massive de 2008, les travailleurs européens ont subi l’austérité infligée par les leaders politiques. En France, l’électorat a voté pour amener au pouvoir le Parti Socialiste conduit par François Hollande, en mai 2012, à la suite de Nicolas Sarkozy qui avait gouverné au nom des riches. Selon les médias, François Hollande a remporté le pouvoir en France dans le but d’inverser la tendance à droite et la xénophobie dans la politique européenne. Durant la campagne électorale, Hollande s’était engagé à transformer la gestion de la crise économique par l’Europe en luttant contre les mesures d’austérité menées par l’Allemagne. Ces promesses se sont volatilisées dès que Hollande est entré en fonction ; les “socialistes” ont poursuivi la même politique, rude et impériale, que les forces conservatrices de Sarkozy.

Au lieu de faire face aux banquiers, Hollande a institué des mesures d’austérité. Aux élections européennes de 2014, le parti d’extrême droite Front National qui était perçu auparavant comme un parti marginal a émergé comme le parti dominant. Le Front National mené par Marine Le Pen a fait campagne sur la délinquance, l’immigration et la xénophobie, en promouvant l’islamophobie. Ce fut également une force antisémite dans le corps politique français.

Ce parti a été fondé par Jean-Marie Le Pen qui avait fait partie des classes sociales terrorisées après les soulèvements de mai 68 à Paris. Jean-Marie Le Pen avait fait partie des forces françaises humiliées par le Vietnam à Dien Bien Phu en 1954 et faisait également partie des forces qui avaient dû faire retraite à Suez en 1956. Le Pen était un officier du renseignement dans l’entreprise infructueuse d’empêcher la décolonisation de l’Algérie. Ces expériences ont laissé une marque indélébile sur des citoyens tels que Le Pen, qui désiraient ardemment que la France revienne à son apogée comme puissance coloniale dans la politique internationale. A l’époque où le mouvement anti-apartheid global devenait une force politique dans le monde entier, le Front National restait un mouvement marginal, périphérique et extrême en Europe. Le Pen a été plusieurs fois condamné pour racisme et incitation à la haine raciale. En 1987 il a qualifié les chambres à gaz nazies de “détail de l’histoire de la deuxième guerre mondiale”. Le Front National était antisémite, antimusulman et raciste. En 2011, le père a transmis la direction à sa fille dont le plan était de présenter un visage plus aimable et plus doux pour une politique autoritaire et nationaliste de droite. En face de l’effondrement de la base du Parti Socialiste et de la faiblesse des forces de gauche en France, le Front National a exploité la peur des travailleurs français exploités et, aux élections européennes de mai 2014, il a émergé comme le premier parti politique.

Les résultats ont donné 25% des votes au Front National. C’était la première fois que le FN dépassait tous les autres partis dans un contexte électoral, arrivant en tête avec un quart des votes. L’opposition UMP de droite conservatrice qui avait été menée par Nicolas Sarkozy a obtenu 20%, et les socialistes au pouvoir sont arrivés en troisième position avec 14%. Les politologues, qui ont suivi les hauts et bas du système français, avaient prédit que le parti d’extrême droite FN de Le Pen pouvait gagner cette élection, mais une victoire à une telle échelle a fortement secoué la presse et la classe politique française. A Lisieux, le FN n’avait même pas de candidat aux élections européennes de 2009 du fait que le candidat d’extrême droite n’avait fait qu’un peu plus de 2%. Cette fois-ci le FN a fait 27,5%.

Les journaux rapportent qu’aux élections présidentielles prévues en mai 2017, Mme Le Pen pourrait faire une échappée victorieuse. La France s’est inclinée si loin vers la droite que le leader du parti socialiste est devenu encore plus impopulaire que Nicolas Sarkozy avec 13% de soutien de la population votante. Suite à sa première entrée au Sénat en automne 2014, il y a eu une vraie panique au sein de la classe dirigeante qui voulait présenter la France comme un modèle de tolérance et d’ouverture. Cependant, la crise sociale et économique réelle ne peut pas être passée sous silence.

Le système bancaire français survivra t-il ?

Dans cette lutte mortifère engagée entre les capitalistes français et allemands, ces derniers ont réussi à dominer la Banque Centrale Européenne et à s’assurer que l’euro serve les intérêts des banquiers et des industriels allemands. La France est restée un partenaire mineur de l’Allemagne et veille jalousement sur les réserves de 18 états africains afin de s’asseoir à la table des capitalistes européens avec une certaine autorité. Après 2007, quand la crise financière du capital global est survenue, les USA ont pu présenter l’image d’un rétablissement en maximisant le “privilège exorbitant” du dollar et en imprimant des dollars dans le cadre du système d’achat de bons du trésor alors appelé “Quantitative Easing” (“Assouplissement Quantitatif”). Les banquiers européens, sous la pression des forces conservatrices allemandes, n’ont pas été aussi brillants pour proposer des mesures de “relance” similaires afin de sauver les banques ; d’où les mesures d’austérité draconiennes déclenchées contre les travailleurs en Europe. Dans des sociétés comme la Grèce et l’Espagne, ces mesures ont créé des problèmes majeurs en impliquant des réductions drastiques des dépenses publiques. Le chômage en Grèce et en Espagne a bondi au-dessus de 25% quand les austères politiques néolibérales ont été promues par les établissements de l’Union Européenne (Conseil de l’Europe, Commission Européenne et Banque Centrale Européenne) et par le Fonds Monétaire International. Ces trois entités sont surnommées “la Troïka”.

Les banques françaises étaient surexposées en Grèce et en juin 2011 ces banques avaient détenu 93 milliards de dollars de dette grecque. Au point culminant de la guerre de l’OTAN pour sauver l’euro en Afrique du nord en 2011, le président Nicolas Sarkozy avait annoncé un plan de refinancement de la dette alors accepté par les banques françaises et qui pouvait fournir le cadre d’un plan international de plus grande ampleur, visant à faire respirer des banques percluses de dettes. C’était un plan de refinancement sur trois ans, et à la fin de l’année 2014 la France a dû se mettre en quête de nouvelles options, en particulier avec l’écroulement du gouvernement en Grèce.

En 2013, l’agence de notation de crédit de Wall Street, Standard & Poor, a publié un avis de dégradation de la note triple-A de la France. Les principales banques françaises qui avaient jonglé entre leur soumission à l’Allemagne et leur domination d’états africains, ont été averties que le capital globalisé voulait encore plus de mesures drastiques à l’encontre des travailleurs français. Suite à l’avis de Standard & Poor, dans une tentative de rassurer Wall Street et d’augmenter leur réserve de capital, les trois principales banques françaises ont détaillé des plans de restructuration importants. BNP Paribas SA, Société Générale SA et Crédit Agricole SA ont annoncé la suppression de quelques milliers d’emplois ainsi que leur intention de cesser plusieurs de leurs activités, et de fermer certaines de leurs filiales dans le monde.

Une étude de la JP Morgan a montré que la banque française Crédit Agricole était la plus exposée des banques commerciales européennes. Ce genre de pression a effrayé les spéculateurs et conduit les dirigeants politiques français à une diplomatie mondiale intense afin de sauver la forme actuelle du capitalisme français.

La diplomatie de Sarkozy et Hollande à la rescousse du système bancaire français

Quand les Français ont déclenché la guerre au peuple de Libye en 2011, le président français Nicolas Sarkozy avait fait la promesse suivante : “Nous nous battrons pour sauver l’euro”. Sarkozy s’est déplacé en Chine et a promis à cette dernière qu’elle aurait sa part du butin après la guerre tout en lui demandant d’investir dans les banques françaises en faillite. Sarkozy a fait des promesses qu’il ne pouvait pas tenir, cherchant à former une alliance avec les dirigeants chinois contre les États-Unis. Les élections de 2012 ont chassé Sarkozy à cause de sa politique clairement et ouvertement favorable aux plus riches en France.

François Hollande est devenu président en 2012 et a poursuivi les mêmes mesures d’austérité que Sarkozy en France, tout en intensifiant une politique étrangère pleine de duplicité. Là où Sarkozy évoquait des raisons géopolitiques pour une alliance avec le capitalisme chinois, Hollande a invoqué les liens « socialistes » entre le capital français et chinois. Lors de son premier voyage à Pékin, Hollande a promis de travailler avec la Chine à promouvoir un nouvel ordre international “multipolaire”. C’était un effort évident pour une alliance avec la Chine contre les USA. Hollande a imposé le retour des objets culturels pillés qui avaient été volés en Chine par les forces coloniales françaises en 1860. Ce geste de réparation a été apprécié, mais Hollande a quitté la Chine quasiment les mains vides.

Les Chinois planifient à long terme, sans la contrainte de mandats électoraux à renouveler, ils ont écouté avec politesse les suppliques de Hollande. Au Moyen-Orient, le même Hollande a travaillé avec l’Arabie Saoudite, Israël et la Turquie à « Otanosaboter » les négociations sur le nucléaire iranien. Conjointement avec Israël et l’Arabie Saoudite, la France s’est associée avec les djihadistes, qui devaient former l’Etat Islamique, pour créer des ravages en Syrie. Lorsqu’en 2013 les États-Unis ont refusé d’envoyer des troupes au sol en Syrie pour renverser le régime d’Assad, la France a flatté les saoudiens en vue d’un énorme contrat d’armement et cherchait à réaffirmer son influence au Levant (Liban, Turquie, Syrie). C’était la même France qui avait été à la pointe de l’opposition contre l’adhésion pleine et entière de la Turquie à l’Union européenne.

Hollande n’a cessé de voyager (Grande-Bretagne, Brésil, Allemagne, Russie et toute l’Afrique), recherchant des solutions à condition qu’elles ne signifient pas la nationalisation des banques et la rupture avec la troïka. Dans une visite d’état aux États-Unis en février 2014, François Hollande a supplié l’administration Obama de le soutenir, se référant à la longue alliance entre la France et les États-Unis depuis la guerre d’indépendance américaine. La France avait été tellement occupée qu’elle s’était isolée et qu’elle n’était pas certaine de sa position dans le cadre des discussions avec Washington. Le mécontentement et les différences entre les États-Unis et la France ont été clairement mis au jour au cours de la conférence de presse de la NSC, où la rhétorique habituelle sur le traitement des problèmes de sécurité en Afrique ne pouvait cacher le fossé profond entre l’impérialisme américain et l’opportunisme français.

Les tensions entre la France et les États-Unis ne pouvaient plus être masquées, même après que Hollande se soit rendu à Monticello (en Virginie) à la maison de Thomas Jefferson pour célébrer l’histoire des “valeurs communes de la démocratie”. Après avoir voyagé en Chine, en Inde, au Brésil, en Afrique du Sud en proclamant que la France voulait soutenir un nouveau monde multipolaire, quand est venu enfin le temps de proclamer cette nouvelle situation internationale, François Hollande s’est mis à plat ventre et a répété des platitudes sur le partenariat avec les États-Unis pour la sécurité internationale. Dans son discours, Hollande a déclaré : “Il y a dix ans, peu de gens auraient imaginé nos deux pays travaillant en étroite collaboration sur bien des aspects mais notre alliance s’est transformée au cours des dernières années. Depuis le retour de la France dans le commandement militaire de l’OTAN il y a quatre ans, en cohérence avec notre engagement continu à renforcer le partenariat OTAN-Union européenne, nous avons élargi notre coopération dans tous les domaines. Nous sommes des nations souveraines et indépendantes qui fondons nos décisions en fonction de nos intérêts nationaux respectifs. Pourtant, nous avons été capables de passer à un nouveau niveau d’alliance car nos intérêts et valeurs sont encore plus proches.”

Pour aggraver les problèmes du système bancaire français, la banque BNP Paribas a été condamnée à une amende de 10 milliards de dollars pour avoir enfreint la règle des sanctions américaines. Dans la concurrence acharnée entre les oligarques de la finance, la plus grande banque cotée de France avait été mise en examen par les autorités américaines pour non-respect des sanctions américaines, principalement sur le Soudan, l’Iran et la Syrie, entre 2002 et 2009. Lorsque la banque française a été condamnée, Hollande a protesté vigoureusement auprès d’Obama, jugeant l’amende disproportionnée. Un cas similaire contre la Royal Bank of Scotland (RBS) en décembre 2013 a obligé le groupe bancaire britannique à payer 100 millions de dollars d’amende.

Panique à Berlin et Paris

Lorsque, en Grèce, les mesures d’austérité ont provoqué une crise politique en décembre (2014) entraînant la chute du gouvernement et l’appel à de nouvelles élections, un vent de panique a soufflé sur toute l’Europe. Les banquiers et les financiers craignaient que l’élection d’un parti non impliqué dans les mesures d’austérité n’affaiblisse le capital mondial en Europe. Selon The Economist, “le marché boursier d’Athènes a baissé de près de 5% en une seule journée, les actions des banques chutant d’encore plus, les rendements obligataires grecs à 10 ans s’élevant à leur plus haut niveau pour 2014 à 9,5% (plus de sept points au-dessus des rendements italiens). La raison de cet énervement collectif est que les sondages indiquent une victoire électorale pour Syriza, le parti populiste d’extrême-gauche dirigé par Alexis Tsipras. Bien que M. Tsipras dise qu’il veut maintenir la Grèce dans la zone euro, il veut aussi amoindrir la plupart des conditions attachées à son renflouement, supprimant l’austérité, annulant les réductions du salaire minimum et des dépenses publiques, les ventes d’actifs dépréciés et en cherchant à répudier une large part de la dette. Un tel programme semble, pour le moins, ne pas coïncider avec la poursuite de l’adhésion de la Grèce à la monnaie unique”.

Les travailleurs grecs ont ressenti la même douleur que les travailleurs et paysans pauvres ressentent partout au Sud de la planète. Le chômage a atteint plus de 25 pourcent et les suicides ont doublé. Dans un livre publié en 2013, « Le Corps économique : Pourquoi l’austérité tue » de David Stuckler et Sanjay Basu, les auteurs dépeignent l’effondrement des services sociaux en Grèce et l’incroyable coût de l’austérité. Lorsque, en décembre, les élections grecques ont été décidées et que les sondages ont souligné la possibilité de la victoire d’un parti qui ne poursuivrait pas la politiques de la troïka, cela a déclenché la panique à Berlin et Paris.

La France et les djihadistes

Depuis les guerres coloniales d’Indochine et d’Afrique, les classes dominantes françaises ont compté sur le racisme et le chauvinisme pour gagner le soutien des travailleurs. En Afrique du Nord et en Asie de l’Ouest, la France a soutenu des djihadistes tout en proclamant que la guerre contre la terreur était au centre de ses préoccupations. Cette manipulation était évidente au Mali et en Afrique du Nord où la France a manigancé la montée des rebelles touaregs : ses seules fins étant de déclencher un exercice d’intervention militaire afin de combattre ces mêmes forces qu’elle avait mobilisées et soutenues. De même, la France et la branche des services de renseignements américains dirigée par le Général Patraeus ont repris la Libye et ont recruté des djihadistes afin qu’ils se battent en Syrie, alors même que l’on proclamait au monde entier que la France était opposée au terrorisme. Deux ans plus tard, en mars 2013, le gouvernement socialiste de Hollande a soutenu les rebelles de la Seleka en République Centrafricaine pour évincer le président François Bozize. En effet, la France avait accusé ce dernier d’avoir signé des contrats favorables à la Chine et l’Afrique du Sud. Moins d’un an plus tard, elle mobilisait le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour combattre les rebelles de la Seleka. Ceux-là mêmes que la France avait assistés en 2013 dans leur conquête du pouvoir en Centrafrique.

C’est ce passif de duplicité qui rend la version française des événements du 7 janvier encore plus invraisemblable. Les autorités françaises voudraient nous faire croire qu’après avoir emprisonné les frères Kouachi (Cherif et Saïd) pendant plus de 10 ans, elles ont soudain cessé leur surveillance, six mois avant qu’ils n’aient prétendument attaqué les locaux de Charlie Hebdo. Encore plus étrange, le fait que le commissaire Helric Fredou se soit donné la mort la nuit des attaques en question. Helric Fredou, directeur adjoint de la police régionale de Limoges depuis 2012, était l’un des officiers supérieurs qui aurait pu attester la relation entre les services de sécurité français et les frères Kouachi. Les prétendus terroristes, tués par la police le 9 janvier, avaient eux mêmes fréquenté un des lycées de la région de Limoges. Le Commissaire Fredou avait donc envoyé une équipe de police sous sa responsabilité afin d’interroger les proches d’une des victimes de Charlie Hebdo et avait été informé des comptes rendus. Il a été déclaré dans les médias qu’immédiatement après en avoir eu connaissance, Fredou a commencé son rapport. Resté tard au siège de la police pour le rédiger, il a été retrouvé mort d’un coup de revolver à une heure du matin le jeudi. Le rapport qu’il était en train d’écrire n’a jamais été retrouvé.

Qui profite de l’intensification de l’alarmisme et de l’insécurité

La popularité de l’extrême droite en France et en Europe a conforté les banquiers dans l’idée que l’austérité pouvait être masquée par le racisme. La police tuant des pauvres, particulièrement des noirs et basanés aux États-Unis, a suscité un mouvement robuste prêt à défier le racisme des blancs dans la rue. En France, les classes ouvrières sont plus divisées et la montée du racisme envers les immigrants et les musulmans a atteint des sommets sans précédents. Le Premier ministre a rendu la situation encore plus alarmante le samedi 10 janvier lorsqu’il a déclaré que la France était en guerre avec l’Islam radical. L’islamophobie, l’austérité et les divisions font émerger ces mêmes forces qui interdisent la liberté d’expression dans d’autres parties du globe. Un des chefs d’état le plus opportuniste, présent en France dimanche dernier, était probablement le premier ministre de l’état d’Israël, actuellement en campagne pour sa réélection. L’occupation de la Palestine et la guerre criminelle d’Israël contre les citoyens désarmés de Gaza avait isolé les conservateurs israéliens des parlementaires européens, ces derniers votant pour la reconnaissance de l’Autorité Palestinienne. La semaine même des attentats contre Charlie Hebdo, les médias ont relaté que plus de 2 000 citoyens innocents avaient été massacrés à Gara, au Nigéria, par des membres de Boko Haram. Aucun mot de solidarité envers les défunts n’a été prononcé lors du grand rassemblement à Paris.

Deux jours après la tuerie à la rédaction de Charlie Hebdo, il y a eu la prise d’otage à l’épicerie casher. Voici qu’apparaît un nouvel individu qui était sous la surveillance des autorités françaises depuis des années. Ahmed Coulibaly, qui aurait pris en otage l’épicerie casher, était un autre “terroriste” sous surveillance depuis des années. Même après avoir été surveillé et accusé de frayer avec des terroristes, quelques mois avant son arrestation en 2010, Coulibaly a rencontré Nicolas Sarkozy lors d’une conférence à l’Elysée ayant pour thème “les jeunes privés de leurs droits”.

C’est la même personne qui, nous dit-on, était un dangereux terroriste. Coulibaly a été libéré de prison en mars 2014.

Vigilance et organisation

L’auteur condamne sans équivoque l’assassinat de journalistes et d’autres civils innocents. Il condamne le racisme, l’antisémitisme, l’islamophobie et la xénophobie. Mais condamner n’est pas suffisant. Les progressistes ne peuvent rester les bras croisés alors qu’une guerre religieuse attise les passions parmi les jeunes des classes populaires qui sont exploités et marginalisés. Ceux qui n’ont pas accepté la propagande de guerre massive pour sauver la liberté d’expression se demandent pourquoi six mois avant les attentats, l’appareil de sécurité français a mis fin à la surveillance de ces trois hommes. Pourquoi le commissaire de police qui connaissait le mieux ces trois hommes s’est-il suicidé ? Ou bien s’est-il vraiment suicidé ?

Que ce soit en étant aux côtés des djihadistes en Libye, en travaillant des deux côtés de la sale guerre en Algérie, en manipulant les Touaregs au Mali, ou bien en travaillant avec les saoudiens, les services secrets et la sécurité français ont travaillé en étroite collaboration avec des branches du renseignement et des militaires américains pour maintenir la flamme ardente de la guerre et de l’insécurité. Comme mentionné sur le blog du parti socialiste,

“Il n’est tout simplement pas crédible que les trois hommes soient capables d’imaginer et de réaliser un plan élaboré nécessitant des armes automatiques et des explosifs sans la complicité passive, voire active, d’éléments de l’appareil d’état. Plus étrange encore, la fuite apparente de l’amie de Coulibaly, Hayat Boumeddiene, qui est également recherchée afin d’être interrogée au sujet des attentats. Bien des détails restent flous, mais elle a évité toutes les mesures de détection dans sa fuite de France vers l’Espagne où elle a pris un vol pour la Turquie et a ensuite rejoint la Syrie.”

La collaboration ouverte et occulte des agences de renseignement et de sécurité avec les organisations islamiques extrémistes a une longue histoire. La France tient fermement à ses territoires coloniaux (comme la Martinique, la Guadeloupe et Cayenne) et à l’exploitation des populations pauvres. Mais la crise du système bancaire français a créé une situation sans précédent. Lors de la dernière dépression, la France pouvait transférer une partie des coûts de la crise sur les villages d’Afrique. Maintenant les mouvements d’indépendance africains s’opposent à la mainmise française sur leurs ressources tandis que la Chine empiète sur les alliés traditionnels de la France dans des endroits tels que le Cameroun, le Congo Brazzaville et la République démocratique du Congo.

Les élections à venir en Grèce et l’importante mobilisation des travailleurs et des étudiants en Espagne ouvrent la perspective de nouvelles politiques en Europe isolant l’extrême droite et les forces racistes. Alors que le projet européen se délite, la militarisation de la société afin de lutter contre le terrorisme peut rapidement être détournée vers une mobilisation des troupes contre les travailleurs, les étudiants et les paysans qui s’opposent aux mesures d’austérité. Si nous considérons l’expérience des autres pays occidentaux, le premier choix de la classe politique est de transférer le coût de la crise sur les épaules des travailleurs. Telle fut l’expérience concrète des USA depuis 2008. L’euro se délite et la décision récente de la Suisse d’abandonner l’euro est une manifestation évidente que l’expédient consistant à transférer les pertes des banques à la Grèce et à l’Espagne n’est plus tenable. La France va devoir soit nationaliser les banques et imposer des contrôles plus importants du 1% des plus riches, soit intensifier ses mesures d’austérité, de licenciement de fonctionnaires, de réduction des retraites, des dépenses de santé, d’éducation, de logement et d’équipement. Cette voie empruntée pour sauver les banques à risques intensifiera aussi la répression. Dans le cadre d’un tel choix, la militarisation en cours et la guerre contre les terroristes servira de répétition générale avant l’emploi de l’armée contre les étudiants et les ouvriers.

D’ici là, se mobiliser pour gagner les faveurs de ceux qui soutiennent actuellement le Front National ne fait que renforcer le racisme, la xénophobie et l’intolérance. La manipulation à Paris devrait être perçue comme une manœuvre préventive visant à renforcer une dérive militariste. Les progressistes doivent s’opposer à la montée des forces fascistes en Europe et au néo-conservatisme en Amérique.

Horace Campbell est professeur d’études Afro-Américaines et de Science Politique à l’Université de Syracuse. Il est l’auteur de “L’OTAN globale et le catastrophique échec en Libye”, Monthly Review Press, 2013.

Notes.
[1] Sid Verma French banks most systemically risky in Europe, June 10, 2013, http://www.euromoney.com/Article/3216880/French-banks-most-systemically-risky-in-EuropeHEC-Lausanne-study.html

Source : Counter Punch, le 19/01/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-manipulation-a-paris-par-horace-campbell/


[Reprises] La place croissante de l’Islam en banlieue et l’Islam du “9-3″ [2011]

Monday 2 February 2015 at 01:04

Allez, pour ne pas être accusé de sombrer dans l’angélisme…

La place croissante de l’Islam en banlieue [04/10/2011]


Voilà un constat qui va déranger. Dans les tours de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), les deux villes emblématiques de la crise des banlieues depuis les émeutes de l’automne 2005, la République, ce principe collectif censé organiser la vie sociale, est un concept lointain. Ce qui “fait société” ? L’islam d’abord. Un islam du quotidien, familial, banal le plus souvent, qui fournit repères collectifs, morale individuelle, lien social, là où la République a multiplié les promesses sans les tenir.

La croyance religieuse plus structurante que la croyance républicaine, donc. Vingt-cinq ans après avoir publié une enquête référence sur la naissance de l’islam en France – intitulée Les Banlieues de l’islam (Seuil) -, le politologue Gilles Kepel, accompagné de cinq chercheurs, est retourné dans les cités populaires de Seine-Saint-Denis pour comprendre la crise des quartiers. Six ans après les émeutes causées par la mort de deux adolescents, en octobre 2005, son équipe a partagé le thé dans les appartements des deux villes, accompagné les mères de famille à la sortie des écoles, rencontré les chefs d’entreprise, les enseignants, les élus, pour raconter le destin de cette “Banlieue de la République” – c’est le titre de l’enquête, complexe et passionnante, publiée par l’Institut Montaigne.

Le sentiment de mise à l’écart a favorisé une “intensification” des pratiques religieuses, constate Gilles Kepel. Les indices en sont multiples. Une fréquentation des mosquées beaucoup plus régulière – les deux villes (60 000 habitants au total) comptent une dizaine de mosquées, aux profils extrêmement variés, pouvant accueillir jusqu’à 12 000 fidèles. Une pratique du ramadan presque systématique pour les hommes. Une conception extensible du halal, enfin, qui instaure une frontière morale entre ce qui est interdit et ce qui est autorisé, ligne de fracture valable pour les choix les plus intimes jusqu’à la vie sociale.

Les chercheurs prennent l’exemple des cantines scolaires, très peu fréquentées à Clichy en particulier. Un problème de coût évidemment pour les familles les plus pauvres. Mais la raison fondamentale tient au respect du halal. Les premières générations d’immigrés y avaient inscrit leurs enfants, leur demandant simplement de ne pas manger de porc. Une partie de leurs enfants, devenus parents à leur tour, préfère éviter les cantines pour leur propre descendance parce que celles-ci ne proposent pas de halal. Un facteur d’éloignement préoccupant pour Gilles Kepel : “Apprendre à manger, ensemble, à la table de l’école est l’un des modes d’apprentissage de la convivialité future à la table de la République.”

Car le mouvement de “réislamisation culturelle” de la fin des années 1990 a été particulièrement marqué à Clichy et à Montfermeil. Sur les ruines causées par les trafics de drogue dure, dans un contexte d’effondrement du communisme municipal, face à la multiplication des incivilités et des violences, les missionnaires du Tabligh (le plus important mouvement piétiste de l’islam), en particulier, ont contribué à redonner un cadre collectif. Et participé à la lutte contre l’héroïne, dans les années 1990, là où la police avait échoué. Ce combat contre les drogues dures – remplacées en partie par les trafics de cannabis – a offert une “légitimité sociale, spirituelle et rédemptrice” à l’islam – même si la victoire contre l’héroïne est, en réalité, largement venue des politiques sanitaires.

L’islam a aussi et surtout fourni une “compensation” au sentiment d’indignité sociale, politique et économique. C’est la thèse centrale de Gilles Kepel, convaincu que cette “piété exacerbée” est un symptôme de la crise des banlieues, pas sa cause. Comme si l’islam s’était développé en l’absence de la République, plus qu’en opposition. Comme si les valeurs de l’islam avaient rempli le vide laissé par les valeurs républicaines. Comment croire encore, en effet, en la République ? Plus qu’une recherche sur l’islam, l’étude de Gilles Kepel est une plongée dans les interstices et les failles des politiques publiques en direction des quartiers sensibles… Avec un bilan médiocre : le territoire souffre toujours d’une mise à l’écart durable, illustrée ces dernières semaines par l’épidémie de tuberculose, maladie d’un autre siècle, dans le quartier du Chêne-Pointu, à Clichy, ghetto de pauvres et d’immigrés face auquel les pouvoirs publics restent désarmés (Le Mondedu 29 septembre). Illustrée depuis des années par un taux de chômage très élevé, un niveau de pauvreté sans équivalent en Ile-de-France et un échec scolaire massif.

Clichy-Montfermeil forme une société fragile, fragmentée, déstructurée. Où l’on compte des réussites individuelles parfois brillantes et des parcours de résilience exemplaires, mais où l’échec scolaire et l’orientation précoce vers l’enseignement professionnel sont la norme. “Porteuse d’espoirs immenses, l’école est pourtant aussi l’objet des ressentiments les plus profonds”, constatent les chercheurs. Au point que “la figure la plus détestée par bon nombre de jeunes est celle de la conseillère d’orientation à la fin du collège – loin devant les policiers”.

Et pourtant, les pouvoirs publics n’ont pas ménagé leurs efforts. Des centaines de millions d’euros investis dans la rénovation urbaine pour détruire les tours les plus anciennes et reconstruire des quartiers entiers. Depuis deux ans, les grues ont poussé un peu partout et les chantiers se sont multipliés – invalidant les discours trop faciles sur l’abandon de l’Etat. Ici, une école reconstruite, là, un immeuble dégradé transformé en résidence. Un commissariat neuf, aussi, dont la construction a été plébiscitée par les habitants – parce qu’il incarnait l’espoir d’une politique de sécurité de proximité.

Le problème, montre Gilles Kepel, c’est que l’Etat bâtisseur ne suffit pas. Les tours ont été rasées pour certaines, rénovées pour d’autres, mais l’Etat social, lui, reste insuffisant. La politique de l’emploi, incohérente, ne permet pas de raccrocher les wagons de chômeurs. Les transports publics restent notoirement insuffisants et empêchent la jeunesse des deux villes de profiter de la dynamique économique du reste de la Seine-Saint-Denis. Plus délicat encore, la prise en charge des jeunes enfants n’est pas adaptée, en particulier pour les familles débarquant d’Afrique subsaharienne et élevés avec des modèles culturels très éloignés des pratiques occidentales.

Que faire alors ? Réorienter les politiques publiques vers l’éducation, la petite enfance, d’abord, pour donner à la jeunesse de quoi s’intégrer économiquement et socialement. Faire confiance, ensuite, aux élites locales de la diversité en leur permettant d’accéder aux responsabilités pour avoir, demain, des maires, des députés, des hauts fonctionnaires musulmans et républicains. Car, dans ce tableau sombre, le chercheur perçoit l’éveil d’une classe moyenne, de chefs d’entreprise, de jeunes diplômés, de militants associatifs, désireuse de peser dans la vie publique, soucieuse de concilier identité musulmane et appartenance républicaine.

Source : Luc Bronner, pour Le Monde


L’islam du “neuf trois” décrypté par Gilles Kepel


Le dernier ouvrage de Gilles Kepel, Quatre-vingt-treize (Gallimard), nous plonge au cœur de l’islam de France tel qu’il s’est construit dans le département emblématique de la Seine-Saint-Denis depuis 25 ans.

25 ans après son premier livre sur l’islam en France, Banlieues de l’islam, le politologue Gilles Kepel revient avec Quatre-vingt-treize, un ouvrage qui retrace un quart de siècle de présence musulmane dans le département emblématique de la Seine-Saint-Denis. Un livre qui est l’occasion pour le chercheur de faire ses “adieux à la scène de l’islam de France” et qui fait suite à la publication d’une enquête sur les difficultés d’intégration que rencontrent les habitants de banlieues populaires.Gilles Kepel distingue d’abord trois grandes phases de cette présence musulmane en France : l’islam des “darons” (des pères), l’islam des Frères (ou des “blédards”) et enfin l’islam des jeunes. Ces trois grandes phases sont par ailleurs caractérisées par deux moment, le premier qui dure jusqu’à la fin des années 80 et qui n’est encore qu’un islam en France, et qui se transforme dès le début des années 90 pour devenir un islam de France.La première grande phase, l’islam des darons, correspond à l’arrivée de travailleurs immigrés venus reconstruire la France après la guerre. Il s’agit d’un islam populaire, “qui cherche son inspiration dans la continuation des pratiques du pays d’origine dont les instances religieuses et politiques fournissent le personnel”. Cet islam, très ancré dans les modes de piété traditionnels du Maghreb principalement, s’avère dès les années 80 inadapté aux nouveaux défis qu’il rencontre.La deuxième grande phase, l’islam des Frères, correspond à l’arrivée d’étudiants venus “du bled” inspirés par l’islam politique des Frères musulmans et s’inscrit dans une volonté de l’Etat français de mieux contrôler et encadrer les institutions musulmanes sur le territoire. L’Union des organisations islamiques de France (UOIF), qui s’inspire clairement de l’idéologie des Frères musulmans et va mener pendant quinze ans le combat pour le port du voile à l’école, illustre cette nouvelle forme que prend l’islam français. Paradoxalement, cet islam des Frères qui se veut affranchi des influences extérieures, notamment du Maghreb, a été construit par des “blédards non représentatifs du tissu social des enfants d’immigrés”. Egalement, cette volonté des pouvoirs publics à trouver des interlocuteurs représentatifs a finalement “servi de palliatif, voire de cache-misère, à l’Etat français au moment où se posait le défi beaucoup plus vaste de l’entrée dans la citoyenneté […] des populations issues de l’immigration”. Il va donc subir la critique de la nouvelle génération.

La troisième grande phase, l’islam des jeunes, vient donc bousculer cet islam dit des darons, et est porté par la nouvelle génération de jeunes nés et élevés en France. “Ils se lancent à leur tour dans l’action religieuse et militante […], très ancrés dans le tissus social, ce sont des entrants « par le bas » dans l’univers politique, où leurs associations […] ont des mots d’ordres fortement revendicatifs”. Leur présence est très visible sur internet, et affiche, toute tendance confondue, “un islam décomplexé” qui se positionne clairement sur des questions emblématiques comme le port du voile, la laïcité ou encore l’islamophobie. Les revendications identitaires de cette nouvelle génération s’illustre par exemple, selon Gilles Kepel, sur la question du halal.

Parallèlement à ce passage de la deuxième à la troisième phase, est apparu en France un islam de type rigoriste et fondamentalisme, le tabligh, mouvement traditionaliste et apolitique, puis le salafisme, d’inspiration wahhabite saoudienne, qui reste minoritaire aujourd’hui mais constitue, note le politologue, une forme de religiosité musulmane inconnue en France il y a 25 ans.

Après avoir décrit les différentes phases et évolutions de l’islam en (puis de) France, Gilles Kepel, s’intéresse donc à ce qui constitue aujourd’hui un élément représentatif de cette nouvelle génération de musulmans français, à savoir le halal. Pour le chercheur en effet, le halal constitue “l’un des phénomènes les plus significatifs des transformations et de l’affirmation identitaire de l’islam de France depuis la première décennie du XXIe siècle”. Il s’agit en effet d’un marqueur identitaire fort, d’une façon de se positionner pour cette nouvelle génération de musulmans nés et éduqués en France. “L’enjeu, par-delà la viande et son marché, les critères du pur et de l’impur, l’exclusion ou l’inclusion dans le rapport à la société française globale, est le contrôle cultuel et politique sur la nouvelle génération des musulmans de France”. Une revendication identitaire emblématique qui s’inscrit dans le cadre plus large d’une religiosité nouvelle censée combler le vide laissé par l’échec de l’intégration républicaine.

Car au-delà de l’analyse transversale et historique de cet islam de la Seine-Saint-Denis, c’est bien la question sociale qui est au cœur de la problématique de l’islam de France. C’est d’ailleurs l’objet du rapport produit par Gilles Kepel et déjà mentionné, Banlieue de la République, qui analyse les échecs de l’Etat français en matière d’intégration et de représentativité de toute une partie de ses citoyens. “Combien de députés issus des milieux populaires notre Assemblée nationale, qui représente et symbolise la nation, va-t-elle compter en juin ? Combien de parlementaires issus des cités, nés Français, éduqués ici, et dont les familles sont venues, il y a deux, voire trois générations, d’Afrique du Nord et d’Afrique noire notamment, participent à la reconstruction de la France exsangue de l’après-guerre et y ont laissé leur santé ?” s’interroge et s’insurge ainsi Gilles Kepel dans une tribune publiée sur lemonde.fr.

Et en effet, lorsque la République semble faire comme si toute une partie de ses membres n’existait pas, quand la classe politique se focalise entièrement sur des problèmes mineurs (comme le port du niqab ou les prières de rue) au lieu de s’intéresser par exemple à la question du chômage des jeunes, massif dans ces quartiers, lorsque la représentativité des minorités demeure, élection après élection, inexistante, alors la “tentation du repli”, avec tous les dangers que cela comporte, peut devenir une alternative. “A laquelle ne peut répondre qu’une politique résolue d’intégration” conclut Gilles Kepel.

Source : Gilles Kepel, politologue et spécialiste de l’Islam, pour Le Monde des Religions

Source: http://www.les-crises.fr/reprises-la-place-croissante-de-lislam-en-banlieue-et-lislam-du-9-3-2011/