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Étrange défaite à Londres, par Bernard-Henri Lévy + Bonus Rogoff “le fiasco démocratique”…

Thursday 30 June 2016 at 00:01

Parce que BHL, il ne faut jamais s’en priver…

Il a publié ça dans Le Monde, dont il est membre du Conseil de Surveillance…

Du lourd…

brexit-65

Oups :

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Source : La règle du Jeu, Bernard-Henri Lévy, 25-06-2016

Bernard-Henri Lévy

Bernard-Henri Lévy

Ce Brexit, c’est la victoire, non du peuple, mais du populisme.

Non de la démocratie, mais de la démagogie.

C’est la victoire de la droite dure sur la droite modérée, et de la gauche radicale sur la gauche libérale.

C’est la victoire, dans les deux camps, de la xénophobie, de la haine longtemps recuite de l’immigré et de l’obsession de l’ennemi intérieur.

C’est, dans tout le Royaume Uni, la revanche de ceux qui n’ont pas supporté de voir les Obama, Hollande et autres Merkel donner leur avis sur ce qu’ils s’apprêtaient à décider.

C’est la victoire, autrement dit, du souverainisme le plus rance et du nationalisme le plus bête.

C’est la victoire de l’Angleterre moisie sur l’Angleterre ouverte sur le monde et à l’écoute de son glorieux passé.

C’est la défaite de l’autre devant la boursouflure du moi, et du complexe devant la dictature du simple.

C’est la victoire des partisans de Nigel Farage sur une « classe politico médiatique » et des « élites mondialisées » censées être « aux ordres de Bruxelles ».

C’est la victoire, à l’étranger, de Donald Trump (le premier, ou l’un des premiers, à avoir salué ce vote historique) et de Poutine (dont on ne redira jamais assez que la dislocation de l’Union Européenne est son rêve et, probablement, l’un de ses projets).

C’est la victoire, en France, des Le Pen et autres Mélenchon qui rêvent d’une variante française de ce Brexit alors qu’ils ignorent, l’un comme l’autre, jusqu’à la première lettre de l’intelligence française, de l’héroïsme français, de la radicalité et de la rationalité françaises.

C’est la victoire, en Espagne, de Podemos et de ses indignés de carton-pâte.

En Italie, du mouvement 5 étoiles et de ses clowns.

En Europe centrale, de ceux qui, ayant touché les dividendes de l’Europe, sont prêts à la liquider.

C’est la victoire, partout, de ceux qui n’attendaient que l’occasion de tirer leur épingle du jeu européen et c’est le commencement, par conséquent, d’un processus de délitement dont nul ne sait ce qui va, maintenant, pouvoir l’arrêter.

C’est la victoire de la foule de Métropolis sur le déjeuner des canotiers.

C’est la victoire des casseurs et des gauchistes débiles, des fachos et hooligans avinés et embiérés, des rebelles analphabètes et des néonationalistes à sueurs froides et front de bœuf.

C’est la victoire de ceux qui, à la façon, encore, de l’inénarrable Donald hurlant dans un claquement de moumoute jaune en guise de lasso : « we will make America great again ! », songent à mettre un mur, eux aussi, entre « les musulmans » et eux.

Cela pourra se dire en engliche, en rital, en franglais.

Cela va se dire en grognant, en cognant, en virant, en renvoyant à la mer, en interdisant de rentrer ou en proclamant bien fort le dérisoire et fiérot: « je suis Anglais, moi, Monsieur » – ou Ecossais, ou Français, ou Allemand, ou n’importe quoi d’autre.

Ce sera, toujours, la victoire de l’ignorance sur le savoir.

Ce sera, chaque fois, la victoire du petit sur le grand, et de la crétinerie sur l’esprit.

Car « les Grands », amis Britanniques, ce ne sont évidemment pas les « ploutocrates » et les « bureaucrates » !

Ce ne sont même pas ces « privilégiés » dont on rêve partout, ces temps-ci, comme chez vous, de voir la tête au bout d’une pique !

Et ceux que le Brexit a dégommés en dégommant l’appartenance à l’Europe, ce ne sont même pas, hélas, les « oligarques » dénoncés par les batteurs d’estrades !

Les grands, ce sont les amis et inspirateurs de la vraie grandeur des peuples.

Les grands, ce sont les inventeurs de cette chimère splendide, nourrie au lait des Dante, des Goethe, des Husserl ou des Jean Monnet, qui s’est appelée l’Europe.

Et ce sont ces grands-là que vous êtes en train de raccourcir.

Et c’est l’Europe comme telle qui est en train de se dissoudre dans le néant de votre ressentiment.

Que cette Europe ait pris sa propre part au procès de sa mise à mort, c’est vrai.

Que cette étrange défaite soit aussi celle d’un corps exsangue et qui se moquait de son âme, de son histoire, de sa vocation, que cette Europe que l’on achève fût moribonde depuis des années car incarnée dans des dirigeants ternes et déjà fantomatiques dont l’erreur historique était de croire que la fin de l’Histoire était advenue et que l’on pouvait s’endormir du sommeil du dernier des hommes pourvu que l’on ait lancé l’arrosage automatique, c’est certain.

Bref, que la responsabilité de la catastrophe incombe aussi à des politiques qui ont préféré, en fidèles auditeurs de leurs spin doctors et de leurs maîtres sociologues, caresser les événements dans le sens du poil de la non-Histoire, flûter les grondements des orages redoutés et s’enfermer dans une novlangue dont les mots ont toujours servi à taire plutôt qu’à dire, c’est, encore, une évidence.

Mais que la majorité du referendum d’aujourd’hui, et ceux qui l’applaudissent, ne viennent pas nous raconter qu’ils plaidaient, en secret, pour l’on ne sait quelle « Europe des peuples ».

Car ce Brexit ce n’est pas la victoire d’une « autre » Europe, mais de « pas d’Europe du tout ! ».

Ce n’est pas l’aube d’une refondation, mais le possible crépuscule d’un projet de civilisation.

Ce sera, si l’on ne se reprend pas, le sacre de l’Internationale grise des éternels ennemis des Lumières et des adversaires de toujours de la démocratie et des droits de l’homme.

L’Europe était, certes, indigne d’elle-même.

Ses dirigeants étaient pusillanimes et paresseux.

Ses professeurs étaient routiniers, et leur art de gouverner était alangui.

Mais ce qui vient en lieu et place de ce jardin des Fizzi-Contini, c’est une zone pavillonnaire mondialisée où, parce qu’il n’y aura plus que des nains de jardin, l’on oubliera qu’il y eut Michel-Ange.

Mieux : entre ceux qui se résigneraient à laisser pourrir ce monde dans les poubelles trumpiennes de la « grande Amérique » à guns et santiags, ou dans la fascination d’un poutinisme qui réinvente les mots de la dictature ou, depuis ce matin, dans la désolation d’une Grande Bretagne tournant le dos à sa propre grandeur, entre ceux-là, donc, et les contemporains d’une fournaise d’où sortirent les plus effroyables démons de l’Europe, il n’y a que l’épaisseur d’une vie d’homme.

Le choix est donc clair.

Ou les Européens se ressaisissent – ou ce jour sera celui d’une Sainte-Alliance des hussards noirs de la nouvelle réaction trouvant son baptême du Jourdain sur les bords de la Tamise.

Ou ils sortent par le haut, c’est-à-dire par des mots forts doublés par un acte majeur, de cette crise sans précédent depuis 70 ans – ou, dans le large spectre que couvrent les langages pré totalitaires modernes et où la grimace le dispute à l’éructation, l’incompétence à la vulgarité et l’amour du vide à la haine de l’autre, c’est le pire qui surgira.

Source : La règle du Jeu, Bernard-Henri Lévy, 25-06-2016

P.S. commentaires fermés par pitié pour les modérateurs…

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Brexit : le fiasco démocratique du Royaume-Uni

Source : Les Echos, Kenneth Rogoff, 26-06-2016

Brexit : le fiasco démocratique du Royaume-Uni

Brexit : le fiasco démocratique du Royaume-Uni

Si l’on tient compte des abstentions, à peine 36 % des électeurs britanniques ont su à faire plonger le Royaume-Uni et l’Europe dans une grave zone d’incertitude. La démocratie, ce n’est pas cela, estime Kenneth Rogo .

La véritable folie du vote britannique sur une sortie hors de l’Union européenne réside moins dans le fait que les dirigeants britanniques se soient risqués à demander à leur peuple de peser le pour et le contre entre appartenance à l’UE et pressions migratoires liées à ce statut de membre, que dans le fait que la barre ait été placée incroyablement bas en termes de scrutin, le oui au Brexit n’ayant en e et exigé qu’une majorité simple. Compte tenu d’un taux de participation de 70 %, la campagne du Leave l’a ainsi emporté grâce au soutien de seulement 36 % des électeurs.

La démocratie, ce n’est pas cela. Ce vote revient à jouer à la roulette russe au sein même d’un régime politique moderne. Une décision empreinte d’énormes conséquences – au-delà même de ce qu’il peut arriver lorsque la Constitution d’un pays se trouve modifiée (texte qui bien entendu n’existe pas au Royaume-Uni) – vient d’être prise sans que ne soient intervenus de garde-fous appropriés.

A-t-il été prévu que le vote ait à nouveau lieu dans un délai d’un an, pour plus de certitude ? Non. Est-il nécessaire qu’une majorité au Parlement approuve le Brexit ? Apparemment non. Le peuple britannique avait-il réellement connaissance du sujet du vote ? Absolument pas. Personne n’a en e et la moindre idée des conséquences du Brexit, que ce soit pour le Royaume-Uni ou pour le système commercial mondial, ni de son impact sur la stabilité politique du pays. Et j’ai bien peur que le tableau s’annonce pour le moins déplaisant.

Repenser les règles

Certes, nous autres citoyens de l’Occident avons la chance de vivre une époque de paix : l’évolution des circonstances et des priorités peut être gérée au travers du processus démocratique plutôt que par la guerre civile ou à l’étranger. Mais quel genre de processus

juste et démocratique peut aboutir à des décisions aussi irréversibles, et aussi déterminantes à l’échelle de toute une nation ? Une majorité de 52 % est-elle réellement su isante pour décider un beau matin de tout plaquer ?

En termes de permanence et de conviction des choix, la plupart de nos sociétés érigent davantage de barrières sur le chemin d’un couple qui souhaite divorcer que sur celui du gouvernement du Premier ministre David Cameron lorsque la question n’est autre que la sortie de l’UE. Les partisans du Brexit n’ont pas inventé ce jeu de la roulette russe, tant les précédents existent, notamment dans le cas de l’Écosse en 2014, ou du Québec en 1995. Seulement voilà, jusqu’à présent, le barillet du revolver ne s’était jamais arrêté sur la cartouche. Maintenant que c’est chose faite, l’heure est venue de repenser les règles du jeu.

Le fait de considérer que n’importe quelle décision convenue à n’importe quel moment via la règle de la majorité serait nécessairement « démocratique » revient à pervertir cette notion. Les démocraties modernes disposent de systèmes évolués qui font intervenir des garde-fous afin de préserver les intérêts des minorités, et d’éviter que ne soient prises des décisions malavisées, aux conséquences désastreuses. Plus la décision en question est conséquente et permanente, plus les barrières sont élevées.

Pas de consensus académique

C’est la raison pour laquelle une révision constitutionnelle, par exemple, requiert généralement de satisfaire à des obstacles bien plus importants que dans le cas de la simple promulgation de lois budgétaires. Il semble pourtant que la norme internationale actuelle régissant la rupture d’un pays auprès d’autres États soit désormais moins exigeante que le vote d’un texte sur l’abaissement de l’âge légal pour la consommation d’alcool.

L’Europe étant désormais confrontée au risque d’une vague de nouveaux votes de rupture, la question urgente consiste à déterminer s’il existerait une meilleure manière de procéder à de telles décisions. J’ai personnellement interrogé plusieurs experts majeurs en sciences politiques sur la question de savoir s’il existe ou nom un consensus académique en la matière ; malheureusement, la réponse est rapide et négative.

Une chose est sûre, bien que la décision sur le Brexit puisse avoir semblé simple dans le cadre du scrutin, nul ne sait en vérité ce qu’il peut advenir à la suite d’un tel vote de sortie. Ce que nous savons en revanche, c’est que la plupart des pays exigent en pratique une
« supermajorité » lorsqu’une décision s’avère déterminante à l’échelle d’une nation, et non une simple majorité de 51 %. Il n’existe certes pas de chi re universel, de type 60 %, mais

le principe général veut qu’au minimum la majorité en question soit manifestement stable. Un pays ne devrait pas pouvoir procéder à des changements fondamentaux et irréversibles sur la base d’une majorité acquise sur le fil du rasoir et susceptible de ne l’emporter qu’au cours d’une brève fenêtre d’élan émotif.

Même s’il est possible que l’économie du Royaume-Uni ne plonge pas dans une récession pure et simple à l’issue de ce vote (le déclin de la livre sterling étant susceptible d’amortir le choc initial), il y a de fortes chances que le désordre économique et politique provoqué suscite chez ceux qui ont voté en faveur du Leave une sorte de « remord de l’acheteur ».

L’exemple d’Athènes

Depuis l’Antiquité, les philosophes s’e orcent de concevoir des systèmes visant à équilibrer la puissance de la règle majoritaire avec la nécessité de veiller à ce que les toutes les parties informées puissent peser d’un poids plus conséquent en cas de décisions critiques, sans parler de la nécessité que soient entendues les voix de la minorité. À l’époque des assemblées organisées à Sparte dans la Grèce antique, les votes étaient exprimés par acclamation. Les citoyens donnaient ainsi plus ou moins de voix afin de refléter l’intensité de leurs préférences, tandis qu’un magistrat président y prêtait une oreille attentive et se prononçait ensuite sur l’issue du vote. La procédure était certes imparfaite, mais pas forcément moins judicieuse que celle à laquelle nous venons d’assister au Royaume-Uni.

À certains égards, Athènes, cité homologue de Sparte, a pour sa part appliqué le plus parfait exemple historique de démocratie. Les voix de chaque individu, issu de n’importe quelle catégorie de citoyens, pesaient d’un poids équivalent (même si seuls les hommes étaient concernés). Cependant, à l’issue de plusieurs décisions catastrophiques dans le domaine de la guerre, les Athéniens considérèrent nécessaire de conférer davantage de pouvoir à des organes indépendants.

Qu’aurait dû faire le Royaume-Uni s’il avait e ectivement été nécessaire de poser la question de son appartenance à l’UE (nécessité qui en réalité n’existait pas) ? De toute évidence, les freins à toute décision en la matière auraient dû être beaucoup plus conséquents ; le Brexit aurait par exemple pu nécessiter deux consultations populaires, espacées d’au moins deux ans, et suivies d’un vote de la Chambre des communes à 60 %. Si la volonté d’un Brexit avait malgré cela persisté, nous aurions au moins su qu’il ne s’agissait pas uniquement de la photographie ponctuelle d’un fragment de la population.

Le vote britannique plonge désormais l’Europe dans la tourmente. Beaucoup de choses dépendront de la manière dont le monde réagit, et de la capacité du gouvernement britannique à gérer sa propre reconstruction. Il est néanmoins important que nous fassions non seulement le bilan de l’issue du référendum, mais également celui du processus de vote. Toute démarche visant à redéfinir un accord de longue date portant sur les frontières d’un État devrait exiger bien plus qu’une majorité simple, exprimée dans le cadre d’un seul et unique vote. Nous venons tout juste de constater à quel point l’actuelle norme internationale consistant à employer la règle de la majorité simple peut constituer une recette désastreuse.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Kenneth Rogo , ancien économiste en chef au FMI, est professeur d’économie et de politique publique à l’Université d’Harvard.

Cet article est publié en collaboration avec Project Syndicate, 2016 – “Le fiasco démocratique du Royaume-Uni”.

Source : Les Echos, Kenneth Rogoff, 26-06-2016

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Cela aurait aussi été dommage de ne pas avoir Minc…

minc

“Ce vote pour le Brexit, c’est la victoire de ‘Downton Abbey’ sur les bobos, les créateurs d’entreprises et surtout les jeunes. Mais les aristocrates et la classe ouvrière n’avaient pas vu la conséquence du Brexit, c’est-à-dire l’éclatement possible du Royaume-Uni.[…] Ce référendum n’est pas la victoire des peuples sur les élites, mais des gens peu formés sur les gens éduqués”.

À lire ici.

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A lire aussi, l’article de Vincent Delhomme (Génération Libre) intitulé  “Libéraux, n’abandonnez pas l’Europe”

Source: http://www.les-crises.fr/etrange-defaite-a-londres-par-bernard-henri-levy-bonus-rogoff-le-fiasco-democratique/


Entraide recherche Propagande anti-Brexit

Wednesday 29 June 2016 at 18:02

Bonjour

comme je suis en train de poursuivre l’analyse sur le 11 Septembre pour terminer la série, je suis sous l’eau.

Certains d’entres vous pourraient ils me donner un coup de main pour une recherche sur le Brexit ?

J’aimerais recenser la vaste blague médiatique ayant accompagné le Brexit, en citant toutes les infos manipulatoires (avec un lien vers une source mainstream à chaque fois) pour dénaturer le résultat, allant du “les jeunes sont sacrifiés”, à “les votants Brexit regrettent déjà leur vote”, en passant par “certains promesses ont été exagérées”, les recherches UE sur Google, etc.

J’aimerais en effet faire un billet recensant toutes ces stratégies manipulatoires.

Il vous suffit de poster liens et descriptions en commentaire de ce billet…

Merci d’avance

Source: http://www.les-crises.fr/entraide-recherche-propagande-anti-brexit/


[Édit] Résolution Brexit : le Parlement Européen montre son sinistre visage…

Wednesday 29 June 2016 at 16:35

Billet mis à jour, avec le texte de la résolution votée le 28 juin :

Les 4 grands groupes du Parlement ont donc voté hier la résolution quasiment inchangée.

Elle est vraiment très importante, du moins par ce qu’elle démontre.

C’est-à-dire, qu’en réalité, bien loin des discours rabâchés, tous ces européistes :

MAIS que leur ambition est simplement de bâtir leur empire (au mieux de papier, si ce n’est totalement utopique), en supprimant toute souveraineté nationale (corollaire évident de la notion même de Démocratie – vu qu’il n’y a aucun peuple européen).

Et pour cela, ils veulent faire un exemple avec le royaume-Uni, pire que la Grèce.

Car pour ma part, je ne vois pas en quoi on ne peut pas laisser l’Angleterre dans une zone de libre échange avec l’UE, dans Erasmus, etc. Il suffit d’en négocier le principe, qui ne devrait pas être difficile, vu que c’est déjà en place !

Voici en tous cas le texte adopté par 395 contre 200 (Source, pdf, votes) :

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Résolution du Parlement européen du 28 juin 2016 sur la décision de quitter l’Union européenne à la suite du résultat du référendum au Royaume-Uni (2016/2800(RSP))
Le Parlement européen,

–  vu l’article 123, paragraphe 2, de son règlement,

1.  prend note du souhait des citoyens du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne; souligne que la volonté exprimée par la population doit être entièrement et scrupuleusement respectée, en commençant par le déclenchement aussi rapide que possible de l’article 50 du traité sur l’Union européenne;

2.  souligne qu’il s’agit d’un moment crucial pour l’Union européenne: les intérêts et les attentes des citoyens de l’Union doivent être remis au centre du débat; le projet européen doit être relancé dès maintenant;

3.  souligne que la volonté de la majorité des citoyens du Royaume-Uni doit être respectée à travers une mise en œuvre rapide et cohérente de la procédure de retrait;

4.  souligne que les négociations au titre de l’article 50 du traité sur l’Union européenne en ce qui concerne le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne doivent débuter dès que la notification formelle aura eu lieu;

5.  rappelle que pour éviter, à chacun, une incertitude qui serait préjudiciable et protéger l’intégrité de l’Union, la notification prévue à l’article 50 du traité sur l’Union européenne doit avoir lieu dès que possible; s’attend à ce que le Premier ministre britannique notifie le résultat du référendum au Conseil européen des 28 et 29 juin 2016; ladite notification lancera la procédure de retrait;

6.  rappelle que l’accord conclu entre les chefs d’État ou de gouvernement en février 2016 prévoyait qu’il n’entrerait en vigueur que si le Royaume-Uni décidait de rester dans l’Union; par conséquent, il est nul et non avenu;

7.  rappelle qu’il ne peut y avoir d’accord sur toute relation nouvelle entre le Royaume-Uni et l’Union avant la conclusion de l’accord de retrait;

8.  rappelle que l’approbation du Parlement est requise en vertu des traités, et que celui-ci doit être pleinement associé à toutes les étapes des procédures concernant l’accord de retrait et toute relation future;

9.  invite le Conseil à désigner la Commission en tant que négociateur en ce qui concerne l’article 50 du traité sur l’Union européenne;

10.  souligne que les défis actuels nécessitent une réflexion sur l’avenir de l’Union européenne: il est nécessaire de réformer l’Union, de l’améliorer et de la rendre plus démocratique; fait observer que si certains États membres peuvent décider d’intégrer l’Union selon un processus plus lent, ou à un degré moindre, le noyau dur de l’Union doit quant à lui être renforcé et les solutions à la carte devraient être évitées; estime que la nécessité de promouvoir nos valeurs communes, d’assurer la stabilité, la justice sociale, la durabilité, la croissance et l’emploi, et de surmonter l’incertitude économique et sociale persistante, de protéger les citoyens et de relever le défi migratoire exige de développer et de démocratiser, notamment, l’Union économique et monétaire et l’espace de liberté, de sécurité et de justice, ainsi que de renforcer la politique étrangère et de sécurité commune; estime par conséquent que les réformes doivent conduire à une Union qui répond aux attentes des citoyens;

11.  demande l’élaboration d’une feuille de route pour une Union meilleure qui exploite pleinement le potentiel du traité de Lisbonne, complétée par une révision des traités;

12.  modifiera son organisation interne de manière à refléter la volonté de la majorité des citoyens du Royaume-Uni de se retirer de l’Union européenne;

13.  prend acte de la démission du commissaire britannique et de la réattribution de son portefeuille;

14.  invite le Conseil à modifier l’ordre de ses présidences afin d’éviter que le processus de retrait n’affecte la gestion des affaires courantes de l’Union;

15.  charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil européen, au Conseil, à la Commission, à la Banque centrale européenne, aux parlements nationaux et au gouvernement du Royaume-Uni.

 

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Billet original du 25 juin :

Jean Quatremer a bien rappelé la consigne du clergé bruxellois :

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Il ne s’agit donc nullement de trouver une solution fraternelle et humaniste, qui préserve au mieux nos intérêts communs, non, il faut punir – stratégie de plus en plus à l’œuvre ne Diplomatie vous noterez.

Bien évidemment, ces grands stratèges pensant décourager de futurs X-exit montrent au contraire le sinistre visage de cette organisation, et vont donc contribuer à la faire détester encore plus…

Il est fascinant de voir à quel point toutes ces personnes “l-ue-c-est-la-paix” sont prêtes aux pires actes dès qu’un membre leur déplait (Hongrie, Grèce, Pologne…).

C’est finalement comme ces psychopathes qui promettent l’amour éternel à une femme et qui, dès que celle-ci leur dit “Tu es gentil, mais je préféré qu’on se sépare”, sont prêts à la taper, la détruire, l’assassiner…

Les 4 groupes mainstream du Parlement européen (Droite, Socialistes, Libéraux, Verts) ont ainsi mis moins de 24 heures pour pondre un projet de résolution (en anglais, l’Histoire est cruelle…) qui sera discutée mardi :

Je vous la résume :
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Ils demandent donc :

Voici d’ailleurs un de ces projets de rapport. (jetez un coup d’œil, c’est hallucinant…)

Je rappelle ce sondage qui montre pourtant que ces fanatiques ne représentent qu’une faible minorité :

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Cela va donc devenir de plus en plus intéressant, avec des comicos possédant ce niveau lamentable de diplomatie, de démocratie et de préservation de nos intérêts…

À suivre !

EDIT : bon, ben ça va vite…

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Mais alors, là, on crois rêver :

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Le Ministre des AE français qui demande le départ du Premier Ministre anglais, comment dire… ?  😯

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Source: http://www.les-crises.fr/resolution-brexit-le-parlement-europeen-montre-deja-son-sinistre-visage/


[Recommandé] La folie collective du Département d’État des États-Unis, par Robert Parry

Wednesday 29 June 2016 at 03:11

Source : Le Grand Soir, Robert Parry, 19-06-2016

Victoria Nuland, Secrétaire d’État adjoint aux Affaires européennes

Victoria Nuland, Secrétaire d’État adjoint aux Affaires européennes

Plus de 50 « diplomates » du Département d’Etat des Etats-Unis [Ministère des Affaires Etrangères – NdT] ont envoyé un rapport « dissident » exhortant le président Obama à lancer des frappes militaires contre l’armée syrienne, un signe de plus que ce Ministère a disjoncté de façon collective.

Au cours des dernières décennies, le département d’Etat des Etats-Unis qui était jadis une maison raisonnablement professionnelle et réaliste en matière de diplomatie est devenu un repaire de bureaucrates guerriers possédés par des obsessions impériales, un phénomène dangereux souligné par la récente « dissidence » de masse en faveur de nouvelles tueries en Syrie.

51 « diplomates » du Département d’Etat ont signé une note de service distribuée par un « canal de la dissidence » officiel, demandant des frappes militaires contre le gouvernement syrien de Bachar al-Assad dont les forces ont mené la contre-offensive contre les extrémistes islamistes qui cherchent à contrôler cette importante nation du Moyen-Orient .

Le fait qu’un si grand nombre de fonctionnaires du Département d’Etat plaident en faveur d’un élargissement de la guerre d’agression en accord avec l’agenda néoconservateur, qui a placé la Syrie sur une liste noire il y a vingt ans, est révélateur du degré de folie qui s’est emparé du Département d’Etat.

Le Département d’Etat semble être devenu un mélange de néoconservateurs pur jus, de libéraux interventionnistes et de quelques arrivistes qui ont compris qu’il était dans leur intérêt de se comporter comme des proconsuls globaux qui imposent leurs solutions ou recherchent un « changement de régime » plutôt que de se comporter en diplomates respectueux à la recherche de véritables compromis.

Même certains fonctionnaires du Département d’Etat, que je connais personnellement et qui ne sont pas vraiment néoconservateurs ou libéraux-faucons, agissent comme s’ils avaient avalé la pilule et toute la boîte avec. Ils parlent comme des durs et se comportent avec arrogance envers les populations des pays sous leur contrôle. Les étrangers sont traités comme des objets stupides tout juste bons à être soumis ou soudoyés.

Il n’est donc pas tout à fait surprenant que plusieurs dizaines de « diplomates » étasuniens s’en prennent à la position plus modérée du président Barack Obama sur la Syrie tout en se positionnant en prévision de l’élection d’Hillary Clinton, qui devrait autoriser une invasion illégale de la Syrie – sous couvert d’établir des « zones d’exclusion aérienne » et des « zones de sécurité » – ce qui signifie en clair, tuer d’avantage de jeunes soldats syriens. Les « diplomates » demandent l’utilisation d’ « armes à longue portée et aériennes ».

Ces faucons sont si avides guerres que le risque d’un conflit direct avec la Russie ne les dérange pas. D’un léger revers de la main, ils balaient la possibilité d’un conflit avec une puissance nucléaire en affirmant qu’ils ne préconisent pas « d’emprunter une pente glissante qui se terminerait dans une confrontation militaire avec Russie. » Dis comme-ça, ça rassure.

Risquer une victoire Djihadiste

Il y a aussi le risque qu’une intervention militaire directe des Etats-Unis pourrait faire s’effondrer l’armée syrienne et ouvrir la voie à une victoire du Front Al-Nusra/Al-Qaïda ou de l’Etat Islamique. La note ne précise pas comment ils comptent réaliser la délicate opération d’infliger suffisamment de dégâts à l’armée syrienne tout en évitant une victoire pure et simple des djihadistes et une confrontation avec la Russie.

On peut supposer que, quels que soient les dégâts infligés, ce sera à l’armée US de nettoyer après, en supposant que l’abattage d’avions militaires russes et la mort de militaires russes ne dégénérera pas en une conflagration thermonucléaire à grande échelle.

En bref, il semble que le Département d’Etat est devenu un asile de fous dont les malades auraient pris le contrôle. Mais cette folie n’est pas une aberration temporaire qui pourrait être facilement corrigée. C’est quelque chose qui vient de loin et il faudrait un nettoyage de fond en comble du « corps diplomatique » actuel pour rétablir le Département d’Etat dans son rôle traditionnel qui est censé être celui d’éviter les guerres plutôt que de les provoquer.

Bien qu’il y ait toujours eu des cinglés au sein du Département d’Etat – généralement placés aux échelons les plus élevés – le phénomène d’aliénation mentale institutionnelle n’est apparue qu’au cours des dernières décennies. Et j’ai vu le changement.

J’ai couvert la politique étrangère des Etats-Unis depuis la fin des années 1970 quand il y avait nettement plus de gens sains d’esprit au sein du corps diplomatique. Il y avait des gens comme Robert White et Patricia Derian (tous deux décédés) qui défendaient la justice et les droits de l’homme, et tout ce qu’il y avait de meilleur aux Etats-Unis.

Mais la déchéance du Département d’Etat des Etats-Unis devenu un repaire de petits voyous bien habillés, beaux-parleurs et serviteurs zélés de l’hégémonie US, a commencé sous l’administration Reagan. Le Président Ronald Reagan et son équipe avaient une haine pathologique des mouvements sociaux d’Amérique centrale qui cherchaient à se libérer des oligarchies oppressives et leurs forces de sécurité brutales.

Pendant les années 1980, les diplomates US dotés d’intégrité ont été systématiquement marginalisés, harcelés ou écartés. (Derian, qui était Coordinatrice des Droits Humains, a quitté ses fonctions à la fin de l’administration Carter et a été remplacée par le néoconservateur Elliott Abrams. Blanc fut congédié comme ambassadeur US en El Salvador, en expliquant : « Le Secrétaire d’Etat, Alexander M. Haig Jr. , m’a demandé de recourir aux canaux officiels pour couvrir la responsabilité de l’armée salvadorienne pour les meurtres de quatre sœurs religieuses américaines. J’ai refusé » )

La montée des néoconservateurs

Au fur et à mesure des départs des professionnels de la vieille garde, une nouvelle génération de néo-conservateurs agressifs prenaient leur place, des gens tels que Paul Wolfowitz, Robert McFarlane, Robert Kagan et Abrams. Après huit années de Reagan et quatre années de George H.W. Bush, le Département d’Etat avait été remodelé en un foyers de néo-conservateurs, mais quelques poches de professionnalisme avaient résisté aux assauts.

Alors que l’on aurait pu s’attendre à ce que l’administration Démocrate de Clinton inverse la tendance, ce ne fut pas le cas. Au lieu de cela, la « triangulation » de Bill Clinton fut appliquée aussi bien en politique extérieure qu’en politique intérieure. Il était toujours à la recherche de ce « juste milieu » confortable.

Vers fin des années 90, la décimation des experts en politique étrangère de la trempe de White et Derian n’a laissé que quelques survivants du côté Démocrate avec le courage ou les compétences pour défier les néoconservateurs profondément enracinées. De nombreux démocrates de l’ère Clinton se sont acclimatés à la domination des néo-conservateurs en se réinventant comme « progressistes interventionnistes », en partageant l’amour des néoconservateurs pour la force militaire mais justifiant les tueries par des raisons « humanitaires ».

Cette approche était une façon pour les « progressistes » de se protéger des accusations de « faiblesse » lancées par la droite, une accusation qui avait profondément marqué les Démocrates pendant les années Reagan / Bush. Mais cette posture de « Démocratique dur » n’a fait qu’isoler un peu plus les diplomates sérieux favorables à une politique de donnant/donnant avec les dirigeants étrangers et leurs peuples.

Il y avait donc des Démocrates comme l’Ambassadrice auprès des Nations Unies (et plus tard secrétaire d’Etat) Madeleine Albright qui justifiait les sanctions brutales de Bill Clinton envers l’Irak, sanctions qui selon l’ONU ont provoqué la mort de 500.000 enfants irakiens, comme « un choix très difficile, mais le prix – nous pensons que cela en valait le prix ».

Les huit années de la politique du « juste milieu » de Bill Clinton, qui comprenait la guerre aérienne brutale contre la Serbie, ont été suivies par huit années de George W. Bush, qui a renforcé encore plus l’influence des conservateurs sur la politique étrangère des Etats-Unis.

A ce stade, ce qui restait des anciens Républicains « réalistes » tels que Henry Kissinger et Brent Scowcroft, vieillissait ou était tellement compromis que les néo-conservateurs n’avaient plus d’opposition significative dans les cercles républicains. De plus, la politique étrangère officielle des Démocrates était presque impossible à distinguer de celle des néoconservateurs, à l’exception de leur recours à des arguments « humanitaires » pour justifier les guerres d’agression.

La capitulation des médias.

Avant l’invasion de l’Irak par George W. Bush, une grande partie de l’élite des médias « progressistes » – du New York Times au  New Yorker – s’est alignée derrière la guerre, et n’a posé que quelques rares questions gênantes sans offrir de véritable résistance. Etre favorable à la guerre devint un plan de carrière « sage ».

Mais un mouvement anti-guerre surgit des rangs démocrates, propulsant Barack Obama, un Démocrate opposé à la guerre en Irak, à la nomination du parti pour l’élection présidentielle de 2008 au détriment de la va-t-en-guerre Hillary Clinton. Mais les sentiments pacifistes de la « base » du parti Démocrate n’ont pas eu grand effet chez les ténors Démocrates en matière de politique étrangère.

Lorsque Barack Obama est entré à la Maison Blanche, il a du faire face à un défi difficile. Le Département d’Etat avait besoin d’une purge complète des néoconservateurs et des faucons/libéraux, mais les experts en politique étrangère qui n’avaient pas vendu leur âme aux néoconservateurs étaient devenus rares. Une génération entière de décideurs politiques démocrates avait été élevée dans un monde dominé par des conférences, des réunions, des éditoriaux et des think tanks néoconservateurs, où un discours musclé passait bien et où un discours diplomatique plus traditionnel vous faisait passer pour un mou.

En revanche, de plus en plus de gens au sein de l’armée US et même de la CIA étaient favorables à des approches moins agressives, en partie parce qu’ils avaient effectivement combattu dans la « guerre mondiale contre le terrorisme » sans espoir de Bush. Mais le haut commandement, soigneusement désignée par Bush et aux penchants néo-conservateurs – comme le général David Petraeus – sont restés en place et ont favorisé l’extension des guerres en Irak et en Afghanistan.

Obama a ensuite pris l’une des décisions les plus fatidiques de son mandat. Au lieu de nettoyer le Département d’Etat et le Pentagone, il a prêté l’oreille à certains conseillers qui ont brandi la notion, astucieuse sur le plan de la communication, d’ « Equipe de Rivaux » – une référence au premier cabinet d’Abraham Lincoln pendant de guerre civile [des Etats-Unis] – et a maintenu à leurs postes la direction militaire de Bush, y compris Robert Gates comme secrétaire à la Défense, et a tendu la main au sénatrice belliciste Hillary Clinton en lui proposant le poste de secrétaire d’État.

En d’autres termes, non seulement Obama n’a pas pris le contrôle de l’appareil de politique étrangère, il a renforcé le pouvoir des néo-conservateurs et des faucons libéraux. Il laissa alors ce puissant bloc Clinton-Gates-Petraeus l’entraîner dans une contre-insurrection téméraire en Afghanistan dont le seul bilan fut la mort de 1.000 soldats US supplémentaires ainsi que de nombreux autres Afghans.

Obama a également laissé Clinton saboter sa tentative de rapprochement avec l’Iran en 2010 sur la question de son programme nucléaire et il a succombé à sa pression en 2011 pour envahir la Libye sous le faux prétexte d’établir une « zone d’exclusion aérienne » pour protéger les civils, et qui se transforma en une catastrophique « changement de régime » qu’Obama a désigné comme sa plus grande erreur de politique étrangère.

Le conflit syrien

Obama a résisté aux appels du Secrétaire Clinton pour une autre intervention militaire en Syrie tout en autorisant un certain soutien militaire limité aux rebelles prétendument « modérés » et a permis à l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie de faire beaucoup plus pour soutenir les djihadistes liés à Al-Qaïda et même à l’État islamique.

Sous Hillary Clinton, le bloc néoconservateur / libéral-faucon a consolidé son emprise sur le corps diplomatique du département d’Etat. Sous la domination néo-conservatrice, le Département d’Etat est passée d’une « pensée collective » à une autre. N’ayant rien appris de la guerre en Irak, la pensée unique continua sa lancée en Libye, en Syrie, en Afghanistan, en Ukraine, en Russie, en Chine, au Venezuela, etc.

Partout, l’objectif était le même : imposer l’hégémonie des Etats-Unis, forcer les populations à se plier aux diktats US, les orienter vers des solutions néo-libérales et de « marché libre » qui étaient souvent assimilées à la « démocratie », même si la plupart des gens concernées n’étaient pas d’accord.

Le double-discours et la double-pensée prirent la place d’une pensée politique axée sur des réalités. Le terme « Communications stratégiques », à savoir l’utilisation agressive de la propagande pour faire avancer les intérêts étasuniens, devint un mot d’ordre. Un autre fut « Smart Power » [« pouvoir intelligent » – NdT], à savoir l’application de sanctions financières, de menaces d’arrestations, des frappes militaires limitées et d’autres formes d’intimidation.

Chaque occasion de propagande, comme l’attaque au gaz sarin en Syrie en 2013 ou l’abattage du vol 17 de Malaysia Airlines dans l’est de l’Ukraine, fut exploitée au maximum pour pousser les adversaires sur la défensive, même si les analystes du renseignement US doutent que les éléments présentés constituent des preuves.

Le mensonge au plus haut niveau du gouvernement des Etats-Unis – mais surtout chez les hauts fonctionnaires du Département d’Etat – devint une épidémie. Peut-être pire encore, le « diplomates » étasuniens semblaient croire à leur propre propagande.

Pendant ce temps, les médias traditionnels étasuniens ont connu une dérive similaire pour finir dans l’orbite de domination des néoconservateurs et du carriérisme professionnel, ce qui exclut les principaux organes de presse que tout type de contrôle sur des mensonges officiels.

Les nouvelles têtes d’affiche

La nouvelle star du Département d’Etat – qu’on attend à être nommée à un poste important par la Présidente Clinton – est la néoconservatrice et Secrétaire d’État adjoint aux Affaires européennes, Victoria Nuland, qui a orchestré le putsch de 2014 en Ukraine qui a renversé un président élu, pro-russe pour le remplacer par un régime nationaliste ukrainien dur qui a ensuite lancé des attaques militaires dans l’est du pays contre les Russes ethniques qui résistaient aux putschistes.

Quand la Russie est venue en aide à ces citoyens ukrainiens retranchés, y compris en acceptant la demande de la Crimée de rejoindre la Russie, les médias du Département d’Etat et des États-Unis ont parlé d’une seule voix pour dénoncer une « invasion russe » et soutenir les manoeuvres militaires de l’OTAN sur les frontières de la Russie pour dissuader toute « agression russe. »

Toute personne qui ose remettre en question cette dernière « pensée de groupe » – qui plonge le monde dans une dangereuse nouvelle guerre froide – est accusé d’être un « apologiste du Kremlin » ou un « larbin de Moscou », tout comme les sceptiques de la guerre en Irak ont été raillés comme des « apologistes de Saddam. » Pratiquement tous ceux qui comptent dans les milieux officiels à Washington sont sur le sentier de la guerre. (Victoria Nuland est mariée à Robert Kagan, ce qui fait d’eux l’un des principaux couples de pouvoir à Washington.)

Voilà le contexte de la dernière rébellion du Département d’Etat contre la politique plus tempérée d’Obama en Syrie. En prévision d’une probable élection d’Hillary Clinton, ces 51 « diplomates » ont paraphé une déclaration « dissidente » qui préconise le bombardement de l’armée syrienne pour protéger les rebelles syriens « modérés » qui – en admettant qu’ils existent – se battent pour la plupart sous les couleurs du front Al-Nusra, une filiale d’al-Qaïda, et son proche allié, Ahrar al Sham.

La pensée confuse dans cette « dissidence » affirme qu’en bombardant l’armée syrienne, le gouvernement US pourra accroître l’influence des rebelles et forcer Assad à négocier son retrait. Mais il n’y a aucune raison de penser que ce plan pourrait marcher.

Au début de 2014, lorsque les rebelles occupaient une position relativement forte, les pourparlers de paix initiés par les Etats-Unis se sont transformés en une conférence dominée par les rebelles et posait comme condition préalable le départ d’Assad, tout en excluant les alliés iraniens de la Syrie. Sans surprise, le représentant d’Assad est rentré chez lui et les négociations ont échoué.

Désormais, avec Assad dans une position relativement forte, soutenue par la puissance aérienne russe et les forces terrestres iraniennes, les diplomates étasuniens « dissidents » disent que la paix est impossible parce que les rebelles ne sont pas en mesure de contraindre Assad de partir. Ainsi, les « dissidents » recommandent que les États-Unis étendent leur rôle dans la guerre pour donner un nouveau coup de main aux rebelles, ce qui entraînera de nouvelles exigences maximalistes de leur part.

Risques graves

Ce projet de guerre élargie présente de très graves risques, dont celui d’un effondrement de l’armée syrienne, ce qui ouvrirait les portes de Damas au front al-Nusra/Al-Qaïda (et ses alliés) ou à l’État islamique – un scénario qui, comme le souligne le New York Times, « n’est pas abordé dans le memo »

À l’heure actuelle, l’État islamique et – dans une moindre mesure – le Front Al-Nusra sont sur la défensive, pourchassés par l’armée syrienne avec le soutien de l’aviation russe et par certaines forces kurdes avec le soutien des Etats-Unis. Mais ces avancées pourraient facilement être renversées. Il y a aussi le risque de déclenchement d’une guerre plus large avec l’Iran et / ou la Russie.

Mais faire des étincelles près d’un baril de poudre n’a jamais fait peur aux néo-conservateurs et aux faucons libéraux. Ils ont toujours concocté des plans qui peuvent paraître séduisants lors d’une conférence ou dans un éditorial, mais échouent face à la réalité du terrain où les des soldats étasuniens sont censés réparer les dégâts.

Nous avons vu comment cette pensée magique a mal tourné en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Ukraine et même en Syrie où, après l’accord d’Obama de fournir des armes et une formation aux soi-disant « licornes » – ces rebelles « modérés » difficiles à observer – on a vu les combattants rejoindre avec armes et bagages les rangs d’Al-Qaïda ou de l’État islamique.

Pourtant, les néo-conservateurs et faucons libéraux qui contrôlent le Département d’Etat – et qui attendent avec impatience l’élection d’Hillary Clinton – ne cesseront jamais de sortir de nouvelles idées folles de leurs chapeaux tant qu’un effort concerté ne sera pas entrepris pour évaluer leurs responsabilités dans tous les échecs subis par la politique étrangère des États-Unis.

Tant qu’il n’y aura pas de responsables – tant que le président des Etats-Unis ne freinera pas ces bellicistes – cette folie ne fera que s’amplifier et deviendra de plus en plus dangereuse.

Robert Parry

Traduction “et dire qu’on a les mêmes chez nous” par VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

Source : Le Grand Soir, Robert Parry, 19-06-2016

 

 

Un témoin oculaire explique comment l’ambassadeur étasunien a fomenté la « révolution » en Syrie.

Source : Le Grand Soir, Moon of Alabama, 23-06-2016

C’est pour dialoguer que vous êtes allé à Hama ? Vos rencontres de Malki portaient sur la paix ? Vous me prenez pour un imbécile ?

C’est pour dialoguer que vous êtes allé à Hama ? Vos rencontres de Malki portaient sur la paix ? Vous me prenez pour un imbécile ?

S. Rifai, également connu sous le nom@ THE_47th, est un « activiste » syrien de Homs. Il est impliqué dans les événements en Syrie depuis début 2011, date à laquelle l’ambassadeur américain Robert Ford (@ fordrs58) a fomenté la « révolution » en Syrie. Depuis, il a envoyé beaucoup de tweets sur la « révolution » et a montré qu’il était parfaitement au courant de ce qui se passait. Ci-dessous, S. Rifai met en lumière la propagande étasunienne et rétablit la vérité.

L’ancien ambassadeur Ford ne serait pas étranger à la lettre « dissidente » [voir sur le Grand Soir] publiée dernièrement par des employés du Département d’Etat. La lettre suggère que les Etats-Unis déclarent officiellement la guerre à la Syrie et à son gouvernement. Le New Yorker a récemment offert à Ford l’occasion de se s’expliquer.

Dans l’interview, Ford a déclaré au New Yorker :

Nous avons tous appris en Irak que le changement de régime n’est pas le bon moyen d’apporter un changement politique positif. En cas de guerre civile, il faut des négociations entre l’opposition et le gouvernement. La question est de savoir comment accroître les chances de succès. Et depuis que la Secrétaire Clinton et Sergueï Lavrov, ont signé le communiqué de Genève, en juin 2012, la politique de l’Administration n’a pas réussi à créer les conditions nécessaires au succès.

Citant ce qui est écrit ci-dessus, S. Rifai a répondu aux affirmations de l’ex-ambassadeur Ford. (C’est moi qui ai souligné en gras et j’ai aussi fait des phrases à partir de la sténo) :

S. Rifai @THE_47th 05:02 – 19 juin 2016

Ce n’est pas ce que vous nous avez dit dans les réunions à Damas, Ambassadeur @fordrs58 .., ce n’est pas le message que vous nous avez transmis

Ambassadeur Ford @fordrs58, vous avez eu plus de liberté à Damas en 2011 que la plus grande partie de l’opposition politique et, tout au long de vos réunions, votre message était différent de celui rapporté ci-dessus

En fait, vous avez eu le courage, Ambassadeur @fordrs58, de rencontrer les responsables du régime qui semblaient prêts à l’abandonner et votre message n’était certainement pas un message de « négociation »

Vos réunions à Abou Remmaneh, à Malki, et chez des dissidents connus, M.@fordrs58, vous vous en souvenez ? Vous vous rappelez vos promesses ?

Je pourrais être plus précis au sujet de ces réunions, M.@fordrs58, mais ce ne serait pas bon pour vous, ni pour moi.

Ces détails n’ont pas d’importance, Monsieur l’Ambassadeur @fordrs58 – ce qui compte c’est le « Assad doit partir » que vous et votre président n’avez cessé de répéter.

Ford n’a pas répondu immédiatement, mais S. Rifai a insisté

S. Rifai @THE_47th 05:14 – 19 juin 2016

@Fordrs58 S’il vous plaît expliquez-moi : vous saviez tout au long qu’Obama voulait des « négociations avec le gouvernement », mais vous et Obama n’avez pas cessez de nous dire « Assad va partir » ?

Un autre « révolutionnaire » se joint à lui :

Abdul @al_7aleem 05:36 – 19 juin 2016

@THE_47th @fordrs58 C’est sans doute de notre faute, dans notre enthousiasme, nous avons oublié les 90 dernières années de l’histoire des États-Unis…

S. Rifai @THE_47th 05:38 – 19 juin 2016
Nous n’avions rien oublié mais nous voulions un changement.. Ce n’est pas comme s’il y avait eu une autre puissance sur laquelle compter

Ford a répondu plus tard :

Robert Ford @fordrs58 10:34 – 19 juin 2016

vous devriez vous rappeler que nous (l’Ambassade américaine et d’autres) avons encouragé au dialogue avec le gouvernement syrien et insisté pour que les manifestations restent pacifiques

(Le Tweet de Ford implique que, en dépit de son insistance, les manifestations ne sont pas restées pacifiques. Il admet donc que les manifestants, et non le gouvernement, ont initié la violence.)

rifai-a7645

Rifai contre-attaque :

S. Rifai @THE_47th 23:36 – 19 juin 2016

espoirs versus Réalité

C’est pour dialoguer que vous êtes allé à Hama ? Vos rencontres de Malki portaient sur la paix ?Vous me prenez pour un imbécile ?

. @Fordrs58 Lorsque vous avez appris que Manaf Tlass ou le premier ministre étaient sur le point d’abandonner le gouvernement syrien, les avez-vous incités au dialogue à la place ?

. @Fordrs58 Où est le « dialogue » quand Obama dit « Assad doit démissionner » ? Assad doit partir, selon Obama

. @Fordrs58 Quand farouk Al Chareh a invité l’opposition à une réunion en 2011 vous avez conseillé à Nabil Maleh, Michel Kilo, Fayez Sara de NE PAS dialoguer.

. @Fordrs58 Voulez-vous que l’ambassadeur bulgare vous rafraîchisse la mémoire ? Ou B.R ? Ou M.T ? Ils étaient tous là quand vous avez conseillé à l’opposition de NE PAS dialoguer.

. @Fordrs58 Vous ne cessiez pas de nous parler de l’importance de nous rendre dans l’Union Européenne pour y défendre notre cause et tirer parti du fait que l’UE avait coupé les liens avec Assad

Plus tard :

Robert Ford @fordrs58 07:33 – 20 juin 2016

@THE_47th S’il vous plaît ne dites pas n’importe quoi. Je n’ai même jamais rencontré Fayez en 2011. Nous avons insisté pour que Chareh élargisse le dialogue à des gens comme Michel et Haithem M.

S. Rifai @THE_47th 08:10 – 20 juin 2016

. @Fordrs58 Très bien. Je vais leur demander de répéter ce que vous leur avez dit. Mais j’ai une autre question : pourquoi avez-vous fourni une aide « non létale » aux rebelles ?

. @Fordrs58 Et quand vous êtes allé à la frontière syrienne avec la Turquie pour rencontrer les rebelles, les avez-vous aussi exhortés au dialogue ?

Récapitulons. Ford affirme maintenant que lui et Obama ne voulaient pas provoquer un « changement de régime » immédiat, par la force, en Syrie. Ce qu’ils voulaient, c’était dialoguer et négocier avec le gouvernement d’Assad.

Rifai, qui était là depuis le début, dit que ce sont des mensonges. Dans ses entretiens avec l’opposition Ford l’a dissuadée de négocier. Ses discours ne portaient pas sur la paix ou le dialogue. Ils incitaient à un « changement de régime » pur et simple, et quoiqu’il en coûte.

Les naïfs « révolutionnaires » se sont fait avoir.

— –

Complément d’information :

Ford raconte au moins un autre gros mensonge dans l’interview du New Yorker. Il dit :

[En 2012, nous autres, du Département d’Etat …] n’avions pas prévu que l’organisation Al-Qaïda se diviserait et accoucherait d’une forme encore plus virulente – qu’une forme plus extrémiste encore viendrait contrôler la partie orientale de la Syrie qui se prolonge en Irak.

Mi-2012, la Defense Intelligence Agency a publié une évaluation de grande qualité de la situation en Syrie, qui disait le contraire. En réalité, l’administration Obama avait prévu l’Etat islamique. Selon (vidéo, 8min50) le directeur de l’époque de la DIA, le général Flynn, ce fut une « décision réfléchie » de l’administration Obama de ne rien faire pour l’empêcher.

IL Y A LA POSSIBILITE D’ETABLIR UNE PRINCIPAUTÉ SALAFISTE OFFICIELLE OU NON DANS L’EST DE LA SYRIE (HASAKA ET DER ZOR), ET CECI EST EXACTEMENT CE QUE VEULENT LES PUISSANCES QUI SOUTIENNENT L’OPPOSITION, […]

ISI POURRAIT EGALEMENT INSTITUER UN ÉTAT ISLAMIQUE EN S’UNISSANT A D’AUTRES ORGANISATIONS TERRORISTES EN IRAK ET EN SYRIE, CELA FERA COURRIR UN GRAVE DANGER A L’UNIFICATION DE L’IRAK ET A LA PROTECTION DE SON TERRITOIRE.

Ford savait parfaitement ce qui allait arriver. Il ment bel et bien.

Moon of Alabama

Traduction : Dominique Muselet

Source : Le Grand Soir, Moon of Alabama, 23-06-2016

syrie

Source: http://www.les-crises.fr/recommande-la-folie-collective-du-departement-detat-des-etats-unis-par-robert-parry/


Le faucon à l’affût derrière Hillary Clinton, par Philip Giraldi

Wednesday 29 June 2016 at 02:15

Source : The American Conservative, le 19/05/2016

Si Hillary Clinton gagne, attendez-vous à trouver, à ses côtés, Victoria Nuland.

Par PHILIP GIRALDI • 19 mai 2016

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Ambassade des États-Unis, Géorgie

L’autre jour, une question a surgi sur un fil de Facebook que je commentais : « Où est donc Victoria Nuland ? » On peut, bien sûr, répondre brièvement qu’elle est toujours à son poste comme sous-secrétaire d’État pour les affaires européennes et eurasiennes.

Mais se pose aussitôt une question connexe qui appelle une réponse plus détaillée. Où sera Victoria Nuland après janvier ? Nuland est l’une des protégés d’Hillary Clinton au secrétariat d’État et elle est aussi fort admirée par la branche dure des Républicains. Ceci laisse entendre que le Congrès approuverait sans problème sa nomination comme secrétaire d’État ou même comme conseillère pour la sécurité nationale, ce qui, en retour, suggère qu’il vaut la peine d’examiner de plus près ses opinions en politique étrangère.

Victoria Nuland vient de ce qu’on pourrait appeler la Première famille des interventionnistes militaires. Son mari, Robert Kagan, est un éminent néoconservateur qui a cofondé le Projet pour le Nouveau siècle américain en 1998 alors au milieu des demandes pour « un changement de régime » en Irak. Non seulement c’est actuellement un membre important du Conseil d’administration du groupe de réflexion, l’Institution Brookings, mais c’est aussi un écrivain et il contribue aux pages d’opinion d’un grand nombre de journaux nationaux. Il a déjà déclaré qu’il allait voter pour Hillary Clinton en novembre, se détachant ainsi du Parti républicain, ce que beaucoup ont vu comme une façon avisée de donner une impulsion à sa carrière et à celle de sa femme.

Son frère, Fred, travaille dans le belliciste Institut de l’Entreprise américaine, et sa belle-sœur, Kimberly, dirige l’Institut de l’étude de la guerre, subventionné, en grande partie, par des marchands d’armes. Les Kagan travaillent à encourager les actions militaires, à la fois grâce à leurs postes gouvernementaux et à leur influence dans le débat public par l’entremise de groupes de réflexion et des articles dans les pages d’opinion. C’est une entreprise familiale qui est représentative du complexe militaro-industriel dans son ensemble, avec des groupes de réflexion. Ces derniers trouvent des raisons d’augmenter les dépenses militaires et  fournissent un soutien d’« expertise » aux responsables gouvernementaux qui, eux effectivement, promeuvent et mettent en œuvre les politiques. Les marchands d’armes, quant à eux, tirent profit de ces dépenses et rétrocèdent certaines sommes aux groupes de réflexion qui, alors, trouvent de nouvelles raisons de faire encore d’autres dépenses d’armement.

Les Kagan pensent fondamentalement que les États-Unis ont à la fois le pouvoir et le devoir de remplacer les gouvernements dont on considère qu’ils ne coopèrent pas avec Washington, le Leader du monde libre, ou qu’ils sont hostiles aux intérêts américains. Ces intérêts peuvent, bien sûr, changer. Ils incluent des valeurs comme la démocratie et la primauté du droit aussi bien que des considérations pratiques comme la concurrence économique et politique. Compte tenu de l’élasticité de ces intérêts, de nombreux pays peuvent être et sont considérés comme des cibles potentielles pour l’aide impitoyable de Washington.

On rapporte que le président Obama apprécierait énormément les livres de Robert Kagan, où ce dernier soutient que les É-U doivent maintenir leur puissance militaire pour faire face à « leurs responsabilités mondiales ». On a souvent fait remarquer que les opinions néoconservatrices continuaient à prévaloir dans l’administration Obama, même si les Démocrates et les Républicains se rallient, pour des raisons différentes, à l’interventionnisme militaire. Le Parti républicain le considère comme un impératif pour un leadership international qui repose sur le caractère exceptionnel de l’Amérique tandis que les Démocrates sentimentalisent « l’intervention libérale » et la voient comme un mal parfois nécessaire auquel il faut se résoudre, la plupart du temps pour des raisons humanitaires. Le résultat, cependant, est le même. En effet, aucune administration ne veut avoir l’air faible dans ses rapports avec le monde extérieur. Les échecs catastrophiques de George W. Bush en Afghanistan et en Irak continuent à porter leurs fruits dans une administration démocrate, même si le président a ajouté une série d’interventions au sol en Libye, en Syrie, au Yémen, aux Philippines et en Somalie.

Et Victoria Nuland elle-même, beaucoup s’en souviennent, était celle qui a tout fait pour déstabiliser le gouvernement ukrainien de Victor Ianoukovitch en 2013-2014. Ianoukovitch, de l’avis général un autocrate corrompu, a pris ses fonctions après des élections libres. En dépit des relations ostensiblement amicales de Washington et de Kiev, Victoria Nuland a souvent fourni un soutien aux manifestants de la place Maidan opposés au gouvernement de Ianoukovitch, distribuant des cookies aux protestataires assemblés et organisant des opérations photos avec un sénateur McCain rayonnant.

Victoria Nuland a commencé sa rapide ascension comme conseiller du vice-président Cheney. Par la suite, elle a été régulièrement promue par les secrétaires d’État, Hillary Clinton et John Kerry, jusqu’à atteindre son poste actuel en septembre 2013. Cependant ce sont ses agissements en Ukraine qui ont fait d’elle un personnage médiatique. Il est difficile d’imaginer qu’une administration étatsunienne tolérerait qu’un pays étranger essaie de cette façon d’intervenir dans sa politique intérieure, surtout avec un budget de 5 milliards, mais Washington adhère depuis longtemps au principe du double standard quand il s’agit d’estimer sa propre conduite.

Victoria Nuland est bien connue pour le langage cru qu’elle utilise pour évoquer le rôle éventuel que pourrait jouer l’Europe dans la gestion des troubles en Ukraine qu’elle-même et le Natural Endowment for Democracy ont contribué à créer. Elle a même discuté avec l’ambassadeur Geoffroy Pyatt de l’identité du nouveau dirigeant de l’Ukraine. « Yats (elle parlait de Yatsenyuk) est l’homme qu’il nous faut », a-t-elle dit, tout en réfléchissant à la façon dont elle pourrait « bricoler la chose » alors que Pyatt, dans le même temps, pensait à la manière d’« accoucher » de cette nomination. Leur conversation téléphonique non sécurisée a été interceptée et fuitée, peut-être par le service de renseignement russe, mais, de toute façon, n’importe qui, équipé d’un laser, aurait pu le faire.

L’inévitable remplacement du gouvernement de Kiev, qui est, en fait, un coup d’État vendu aux médias comme un triomphe de « la démocratie » n’était que le prélude d’une rupture brutale et d’une escalade du conflit avec Moscou qui s’efforçait simplement de protéger ses propres intérêts en Ukraine. Le nouveau régime de Kiev, aussi corrompu que son prédécesseur et soutenu par les néonazis, a toujours été blanchi dans les médias occidentaux et le conflit décrit comme opposant des forces « en faveur de la démocratie », résistant à une « agression russe » délibérée.

Effectivement, l’intervention en Ukraine a eu, depuis le départ, comme véritable objectif d’installer un régime hostile à Moscou. Carl Gershman, le dirigeant du National Endowment for Democracy, subventionné par le contribuable, a dit de l’Ukraine qu’elle représentait « le plus grand succès » dans ce qui pouvait contribuer à la chute du régime du président Poutine. Sans doute ce dernier « allait-il être le perdant non seulement dans un territoire proche de son pays mais dans son pays lui-même ». Carl Gershman et Victoria Nuland, cependant, jouaient avec le feu dans leur appréciation, alors qu’il y allait pour la Russie, dans cette crise, d’intérêts vitaux, et qu’elle est la seule nation capable militairement de détruire les États-Unis.

Et ne vous y trompez pas : Victoria Nuland a clairement l’intention d’étendre le conflit vers une confrontation directe avec Moscou. Dans sa déposition devant le Sénat, en mai 2014, elle a mentionné la façon dont l’administration Obama « fournissait un soutien aux autres États frontaliers de la Russie comme la Moldavie et la Géorgie. »

Victoria Nuland et ses alliés néoconservateurs ont célébré leur « changement de régime » à Kiev, en ignorant le fait que Poutine allait se rendre compte de la menace stratégique posée à son propre pays et réagir, surtout pour protéger l’historique base navale de Sébastopol en Crimée. Barack Obama a répondu comme on pouvait s’y attendre en déclenchant ce qui n’allait pas tarder à apparaître comme une nouvelle Guerre froide contre la Russie et en risquant une escalade vers une éventuelle confrontation nucléaire. C’est là une crise qui n’aurait jamais existé sans Nuland et ses alliés.

Bien qu’il n’y ait aucune preuve que Poutine soit à l’origine de la crise ukrainienne, et beaucoup de preuves du contraire, la machine de la propagande du gouvernement des É-U s’est mise en branle et a prétendu que les agissements des Russes en Ukraine étaient la première étape d’une invasion de l’Europe de l’Est. L’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton a comparé Poutine à Adolf Hitler. Et Robert Kagan a fourni l’argument pour étendre l’intervention en publiant, dans le New Republic, un texte intitulé « Superpowers don’t get to retire (les superpuissances ne peuvent pas prendre leur retraite) » où il a critiqué le président Obama pour son échec à maintenir la domination américaine dans le monde. Le New York Times a révélé que ce texte faisait partie manifestement d’un projet conjoint où Victoria Nuland remaniait régulièrement les articles de son mari, même si cet article en particulier attaquait l’administration pour laquelle elle travaillait.

Alors que la situation en Ukraine a continué à se détériorer en 2014, elle s’est donnée beaucoup de mal pour anéantir plusieurs tentatives européennes de cessez-le- feu. Quand on a rapporté que le commandant de l’OTAN, le général Philip Breedlove, était favorable à l’envoi de davantage d’armes au gouvernement ukrainien pour « augmenter le coût des combats pour Poutine », Nuland a commenté : « Je vous prie instamment d’utiliser l’expression “systèmes de défense” pour évoquer ce que nous allons livrer et qui va s’opposer aux ” systèmes offensifs ” de Poutine ».

Pour en revenir à notre question initiale « où est donc Victoria Nuland ? », nous pourrions répondre que même si on ne parle pas beaucoup d’elle dans les médias, elle continue à fournir un soutien à des politiques que manifestement la Maison-Blanche approuve. À la fin du mois dernier, elle se trouvait de nouveau à Kiev. Elle a critiqué la Russie pour son manque de liberté de la presse et ses « fantoches » de la région du Donbass tout en déclarant devant l’assistance ukrainienne : « les États-Unis s’engagent avec force à se montrer solidaires de l’Ukraine tant qu’elle reste sur la voie d’un avenir juste, démocratique et européen … Nous demeurons résolus à continuer les sanctions en vigueur à cause de la situation en Crimée jusqu’à ce que la Crimée soit rendue à l’Ukraine. » Avant, elle se trouvait à Chypre et en France et elle discutait avec de hauts responsables gouvernementaux d’une série de problèmes régionaux et mondiaux. »

On doit cependant penser qu’en ce moment elle attend surtout de voir ce qui va arriver en novembre. Et elle se demande où elle pourrait bien se trouver en janvier.

Philip Giraldi, ancien agent de la CIA, est directeur général du Council for National interest (Conseil pour l’intérêt général).

Source : The American Conservative, le 19/05/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-faucon-a-laffut-derriere-hillary-clinton-par-philip-giraldi/


[Propagande] Brexit : L’arnaque du “vote des jeunes”…

Tuesday 28 June 2016 at 02:00

Bon, je suis un peu dur sur le titre – car oui, il y avait plus d’anti-Brexit que de pro-Brexit chez les jeunes – mais l’utilisation à outrance qui est faite depuis vendredi de ce thème commence à être très pénible…

I. La propagande

Bien sûr, la propagande tourne à plein dans les médias européistes anglais :

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(Source : Time)

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(Source : The Guardian)

Mais les médias français ne sont pas en reste :

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Notez au passage que c’est un dur métier que de trouver une bonne photo pour le Leave quand on est “journaliste”.

Du coup, amis journalistes, je vous en ai créé plusieurs, cela vous gagnera du temps :

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Voilà – ne me remerciez pas, quand je peux aider, cela me fait plaisir…

Bon, plus sérieusement (enfin, façon de parler…), on a ça aussi :

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(Source : Le Monde)

Eh oui, car il n’y a plus de futur sans “Europe”…

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(Source : Libération)

Amère, tu m’étonnes, quand on t’a détruit ton avenir radieux…

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(Source)

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(Source : 20 minutes)

II. Les chiffres

Évidemment, ce genre de graphique a été utilisé jusqu’à plus soif :

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Et il est vrai, en effet :

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Les jeunes sont particulièrement européistes, donc…

Mais il est “dommage” – pour ne pas dire franchement manipulateur – de ne pas parler de l’abstention (sondage Sky News) :

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(Source)

Ce qui change un peu la vision des choses quand on s’intéresse à la classe d’âge entière, non ? :

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Il est difficile d’étendre les résultats aux abstentionnistes : sont-ils aussi europhiles que les votants ? Osent-ils dire le fond de leur pensée quand ils sont sondés ?

En tous cas, leur non mobilisation démontre leur désintérêt du sujet…

III. Analyse

Le jeunisme à l’oeuvre est assez interpellant :

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Il postule en effet deux choses :

  1. que le “jeune” a une maturité politique d’une valeur au moins égale à celle d’adultes plus âgés, ce qui est osé…
  2. que le “jeune” ne vieillit jamais, ne devient jamais vieux, ne comprend donc pas avec le temps ce qu’est l’UE et ne change donc jamais d’avis… Bref, que les différences apparentes ne sont en fait pas basées sur un critère d’âge (et donc d’expérience), mais de génération (c’est à dire qu’on postule que les jeunes d’aujourd’hui seront toujours de grand europhiles à 50 et 70 ans…)

Alors, après, tout ceci peut, certes, se discuter, mais je trouve dommage que nos défenseurs de la maturité politique de la jeunesse et du respect de ses souhaits eu égard aux nombre d’années qu’il lui reste soient restés aussi silencieux par exemple au moment des européennes 2014 (où FN = PS + UMP…) :

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ou du référendum écossais #GrosHypocrites :

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Et comment ont voté les jeunes hommes au 1er tour de la Présidentielle en Autriche le mois dernier ?

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51 % pour l’extrême droite au 1er tout, pas mal…

(si quelqu’un peut me trouver le chiffre pour le deuxième tour, merci…)

Mais bon, on lira donc ce genre d’analyse chez Jacques Attali :

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(Source)

À mettre en place pour le prochain référendum prévoyant un saut fédéral vers Bruxelles ?

Et on saluera la vision (prophétique ?) de Peter Sutherland, ancien Commissaire européen à la concurrence (1989-1993), ancien directeur général de l’OMC (1993-1995), et ancien président de Goldman Sachs International (1995-2015), ancien président du pétrolier BP (1997-2009), ancien directeur de Royal Bank of Scotland, ancien administrateur du Groupe Bildergerg et ancien Président Europe de la Commission Trilatérale (je crois qu’on valide tout là…) :

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« La jeune génération au Royaume-Uni a été sacrifiée, tout ça à cause d’une déformation des faits et des conséquences. D’une façon ou d’une autre, ce résultat doit être annulé. » [Peter Sutherland] (Source)

Intéressant, ils ne se cachent même plus…

Sylvie Goulard, eurodéputée libérale :

“Moi je ne crois pas que le peuple, dans sa grande sagesse, est capable de tout comprendre. (…). Donc, il faut arrêter de penser que les élites sont mauvaises et que le peuple est bon; on a une interaction à réinventer, et dans le mot “leader”, il y a vraiment “to lead”, donc il y a aussi la question de dire, est ce qu’à un moment, il y a aussi les gens qui prennent leurs responsabilités, et peuvent dire aux autres, après les avoir écoutés, après avoir dialogué avec eux : “Bah là, non : ma responsabilité à moi, parce que c’est moi qui suis en fonction, c’est de faire quelque chose qui est douloureux pour toi mais qui sera bon pour tes enfants, ou qui sera bon pour l’ensemble de la collectivité”

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(Source : L’Obs)

Mais en revanche….

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(Et l’avis des jeunes qui vont se payer l’aéroport toute leur vie, toutça toutça… ?)

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IV Autres données

Je termine par quelques autres données sur le Brexit.

Vote en fonction de la CSP :

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Raisons du vote :

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Vote par parti :

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(Conservateurs, Travaillistes, Libéraux Démocrates, Ukip, Écologistes)

Répartition des votants de chaque camp en fonction du vote aux dernières législatives :

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(40 % des lecteurs du Leave sont Conservateurs, 21 % Travaillistes, 25 % Ukip…)

Moment du choix du vote :

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Vision du monde (différence entre les réponses positives et négatives) :

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Zoom sur la dernière question : “Pensez-vous que la vie dans le pays est meilleure ou pire qu’il y a 30 ans :

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Pour près de 50 % des femmes et 40 % des hommes, la vie est pire… C’est aussi le cas pour 34 % des cadres (!) et 57 % des ouvriers (en gros, AB cadres, C1 prof. intermed., C2 employés, DE ouvriers).

Alors du coup :

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On voit aussi que des raison politiques profondes guident le Leave, et pas qu’économiques, puisqu’on calcule que 38 % de ceux qui pensent que la vie est meilleure veulent néanmoins partir (contre 70 % chez ceux qui pensent le contraire).

Et enfin vision des conséquences :

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À suivre…

Source: http://www.les-crises.fr/brexit-l-arnaque-du-vote-des-jeunes/


Pourquoi les Britanniques ont dit non à l’Europe, par John Pilger

Tuesday 28 June 2016 at 01:15

Source : Le Grand Soir, John Pilger, 27-06-2016

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La décision de quitter l’Europe votée par la majorité des Britanniques est un acte parfaitement démocratique. Des millions de gens ordinaires ont refusé de se laisser impressionner, intimider et mépriser par les analystes des principaux partis, le monde des affaires, l’oligarchie financière et les grands médias.

Ce fut en grande partie le vote de ceux qui étaient déçus et démoralisés par l’arrogance des défenseurs d’une politique de maintien dans l’UE associée à la déconstruction d’une politique sociale équitable en Grande Bretagne. Le service National de Santé, dernier bastion des réformes historiques de 1945, a été à ce point démantelé par les Conservateurs et les Travaillistes partisans des privatisations qu’il en est réduit à devoir se battre pour sa survie.

L’alarme a été déclenchée quand George Osborne, secrétaire au trésor, incarnation de l’ancien régime britannique et de la mafia bancaire en Europe, a menacé d’amputer de 30 milliards de £ le budget des services publics si la population faisait le mauvais choix. Ce chantage était scandaleux.

Le problème de l’immigration a été exploité au cours de la campagne avec un cynisme achevé non seulement par les populistes délirants d’extrême droite mais aussi par les travaillistes traînant avec eux une vieille tradition de racisme, symptôme de corruption du sommet plutôt que de la base du parti. On connaît pourtant les raisons de la présence de ces millions de réfugiés qui ont fui le Proche et le Moyen Orient – d’abord l’Iraq, maintenant la Syrie – suite aux invasions et aux agressions lancées par la Grande Bretagne, les Etats-Unis, la France, l’Union Européenne et l’OTAN. Avant cela, il y eut la destruction délibérée de la Yougoslavie ; plus loin encore la confiscation de la Palestine et l’imposition de l’Etat d’Israël.

Les casques à plumes ont disparu mais le sang n’a jamais séché. Ce mépris du dix-neuvième siècle pour les pays et les peuples, selon l’importance de leur utilité coloniale, demeure une pièce maîtresse de la « globalisation » avec son socialisme pervers pour les riches et son capitalisme débridé pour les pauvres : liberté pour le capital, déni de liberté pour le travail, politiciens perfides et agents civils politisés.

Tout cela a maintenant atterri en Europe, enrichissant Tony Blair et ses semblables en appauvrissant et asservissant des millions de personnes. Ce 23 juin, les Britanniques n’ont rien vu d’autre.

Les promoteurs les plus efficaces de « l’idéal européen » n’ont pas été l’extrême droite mais une insupportable classe patricienne dirigeante pour laquelle Londres représente le Royaume Uni. Ses membres dirigeants se voient comme instruits, libéraux, élite éclairée du vingt et unième siècle et même un peu cool. Ils ne sont en réalité qu’une bourgeoisie aux goûts consuméristes insatiables, porteuse de sentiments de supériorité dépassés.

Dans leur quotidien, le Guardian, ils ont aboyé jour après jour sur ceux qui osaient considérer l’Union Européenne comme profondément anti-démocratique, à la source d’injustices sociales et d’un extrémisme virulent connu sous le nom de néolibéralisme.

L’objectif de cet extrémisme est d’installer une théocratie capitaliste figée qui conforte une société à trois classes : une majorité divisée et endettée dirigée par une classe structurée stable et une classe permanente de travailleurs pauvres. Aujourd’hui, en Grande Bretagne, 63% des enfants pauvres vivent dans une famille dont un seul membre travaille. Pour eux, la trappe est déjà fermée. Une étude rapporte que 600.000 habitants du Grand Manchester, la seconde ville britannique, découvrent les effets de la grande pauvreté tandis que 1.6 millions de Britanniques s’enfoncent dans la précarité.

Cette situation catastrophique a été trop peu évoquée par les médias contrôlés par la bourgeoisie, notamment par la BBC dominée par Oxbridge. Pendant la campagne du referendum, aucune analyse en profondeur n’a pu éclipser le cliché hystérique d’une sortie de l’Europe, comme si la Grande Bretagne allait subitement dériver vers les courants hostiles quelque part au nord de l’Islande.

Au matin après le vote, un reporter de la BBC accueillait les politiciens dans son studio comme de vieux copains en disant, notamment à Lord Peterson, architecte déconsidéré du Blairisme : « Pourquoi ces gens rejettent-ils l’Europe à ce point ? ». « Ces gens » sont la majorité des Britanniques.

Tony Blair, opulent criminel de guerre, reste un héros de la classe « européenne » Mandelson, ce que l’on n’ose plus guère dire aujourd’hui. Le Guardian a décrit Blair en son temps comme un mystique fidèle à son projet de guerre prédatrice. Après le scrutin, l’éditorialiste Martin Kettle a apporté une réponse Brechtienne au mauvais usage de la démocratie par les masses. « Aujourd’hui, nous pouvons nous accorder sur le fait que les referendums sont mauvais pour la Grande Bretagne. » titrait-il sur sa page. Le « nous » n’était pas explicité mais bien compris, tout comme l’était « ces gens » à la BBC. « Le referendum a conféré moins de légitimité aux politiques, rien de plus, » écrivait Kettle…Le verdict au sujet des referendums devrait être brutal : plus jamais ça.

Ce genre de brutalité à laquelle aspire Kettle est illustré par le spectacle de la Grèce, un pays passé à l’aspirateur. Là, il y a eu un referendum dont on n’a pas tenu compte. Comme pour le parti travailliste en Grande Bretagne, les dirigeants du gouvernement Syriza à Athènes sont issus de milieux aisés, privilégiés, éduqués, frottés à l’hypocrisie et aux trahisons postmodernistes. Le peuple grec a utilisé courageusement le referendum pour demander à son gouvernement de négocier de meilleurs termes pour l’accord conclu à Bruxelles qui broyait la vie de leur pays. Ils ont été trahis comme les Britanniques l’auraient été.

Vendredi, la BBC a demandé à Jeremy Corbyn, leader du parti travailliste, s’il rendrait hommage à son partenaire, le démissionnaire Cameron, dans leur combat pour le « oui » et il a alors, jusqu’à provoquer la nausée, rendu hommage à la dignité de Cameron, rappelé son soutien au mariage gay et ses excuses aux familles irlandaises pour les victimes du « bloody Sunday ». Il n’a rien dit des germes de division semés dans le pays par Cameron, de ses politiques d’austérité brutales, de ses mensonges au sujet des garanties apportées au Service National de Santé. Il n’a pas non plus rappelé la folie guerrière du gouvernement Cameron : l’envoi de forces spéciales en Libye, la fourniture de lanceurs et de munitions à l’Arabie Saoudite et, par-dessus tout, sa disponibilité pour une troisième guerre mondiale.

Au cours de la semaine précédant le referendum, aucun politicien ni, à ma connaissance, aucun journaliste britannique n’a fait mention du discours de Vladimir Poutine à Saint Pétersbourg commémorant le septante-cinquième anniversaire de l’invasion de l’Union Soviétique par les Nazis le 22 juin 41. La victoire des Soviétiques au prix de 27 millions de vies soviétiques et de la majorité des forces armées allemandes nous a permis de l’emporter dans cette seconde guerre mondiale.

Poutine a associé l’actuel renforcement fébrile des troupes de l’OTAN ainsi que la consolidation des bases militaires aux frontières occidentales de la Russie à l’opération Barbarossa du troisième Reich. Les exercices de l’OTAN en Pologne ont été les plus importants depuis l’invasion nazie ; l’opération Anaconda a simulé une attaque de la Russie, vraisemblablement avec des armes nucléaires. A la veille du referendum, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a sournoisement prévenu les Britanniques de ce qu’ils mettraient en danger la paix et la sécurité en votant pour la sortie de l’Union Européenne. Ces millions-là l’ont ignoré, comme ils ont ignoré Cameron, Osborne, Corbyn, Obama et celui qui dirige la banque d’Angleterre ; en votant ainsi ils ont peut-être, et seulement peut-être, rendu un espoir de paix réelle et de démocratie en Europe.

John PILGER

Source : Le Grand Soir, John Pilger, 27-06-2016

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Pour approfondir : Anaconda contre “Union des Rouges”: grosses manoeuvres occidentales face à la Russie

 

Source: http://www.les-crises.fr/pourquoi-les-britanniques-ont-dit-non-a-leurope-par-john-pilger/


Espagne : Mariano Rajoy net vainqueur des élections, amère déception pour Podemos, par Romaric Godin

Tuesday 28 June 2016 at 00:50

Source : La Tribune, Romaric Godin, 26/06/2016

Mariano Rajoy peut célébrer une victoire électorale en Espagne, mais n'est pas encore sûr de rester à la Moncloa. (Crédits : JUAN MEDINA)

Mariano Rajoy peut célébrer une victoire électorale en Espagne, mais n’est pas encore sûr de rester à la Moncloa. (Crédits : JUAN MEDINA)

Les premiers sondages s’étaient entièrement trompés : le PP de Mariano Rajoy a progressé nettement lors des élections générales espagnoles, gagnant 13 sièges de plus. Unidos Podemos ne dépasse pas les Socialistes, toujours deuxième. Mais la crise politique est loin d’être réglée.

Les sondages sortis des urnes – et ceux publiés jusqu’à ce jour de vote en Espagne – s’étaient lourdement trompés. Finalement, Unidos Podemos (UP), l’alliance de Podemos, d’Izquierda Unida, formée des Communistes et des Ecologistes, n’a pas réussi à dépasser le parti socialiste, le PSOE, qui reste la deuxième force politique du pays derrière le Parti Populaire (PP) conservateur de Mariano Rajoy. Les vrais perdants de ce scrutin seront donc les instituts de sondage qui ne se sont révélés guère plus efficaces que leurs confrères britanniques qui n’avaient pas vu la victoire du Brexit le 23 juin.

Le PP, grand vainqueur

Quant au grand vainqueur, ce sera le PP qui, sur 95 % des bulletins dépouillés, a obtenu 32,9 % des voix et 137 sièges contre 28,7 % et 123 sièges le 20 décembre. Le président du gouvernement sortant Mariano Rajoy peut s’estimer satisfait de ce résultat. Il apparaît qu’il a bénéficié, comme le PSOE, mais dans une plus grande ampleur, d’un réflexe de retour aux partis traditionnels. Réflexe certes limité, puisque le PP avait obtenu 45 % des voix et la majorité absolue en 2011, mais la progression de près de quatre points est nette et elle donne clairement à l’équipe sortante la légitimité pour tenter de former un gouvernement. Le président du gouvernement pourra prétendre avoir gagné ces élections du 26 juin et effacé en partie les lourdes pertes subies entre 2011 et 2015. Sans doute faut-il y voir un effet de crainte face à la crise politique que traverse le pays et la volonté, en conséquence, de renforcer le gouvernement sortant.

Les Socialistes en progrès

Mais la vraie surprise de ces élections, c’est la progression des Socialistes du PSOE que l’on donnait pour moribond. Avec 22,8 % des voix contre 22 % le 20 décembre, il perd 5 sièges à 85 sièges contre 90 voici six mois. Le secrétaire général du PSOE Pedro Sánchez a fait mentir tous les pronostics et est parvenu à conserver largement la deuxième place dans l’échiquier politique espagnol en se renforçant. Il peut désormais espérer imposer sa candidature alternative à celle de Mariano Rajoy pour la présidence du Congrès qui avait échoué le 2 mars dernier en jouant cette fois sur l’affaiblissement d’Unidos Podemos.

Défaite pour Unidos Podemos

Car la sensation de cette soirée électorale, c’est que l’alliance menée par Pablo Iglesias n’a pas convaincu l’électorat espagnol de gauche. L’addition de IU et de Podemos avait obtenu 71 sièges et 24,4 % des voix le 20 décembre. Cette fois, la coalition ne recueille que 21,2 %, soit un recul de 3,4 points, mais préserve ses 71 députés. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette défaite : l’effet « Brexit » qui a peut-être effrayé une partie de l’électorat qui a préféré se rallier aux partis « connus », l’alliance avec les « Communistes » d’IU qui a pu là aussi inquiéter une partie de l’électorat de Podemos et les projets de référendum en Catalogne qui ont peut-être provoqué un retour vers les partis « unionistes ». L’abstention, en hausse de 3,5 points à 30,3 %, a sans doute aussi joué négativement. En tout cas, toute la stratégie de Pablo Iglesias, basée sur le « sorpasso » et donc sur une alliance « proposée » au PSOE s’effondre. Podemos va devoir réfléchir à ses choix en vue de la formation de la prochaine coalition gouvernementale.

Recul pour Ciudadanos

Reste qu’il n’est pas le seul perdant de la soirée. Le parti libéral Ciudadanos a obtenu 12,9 % des voix et 32 députés, contre 13,9 % et 40 députés le 20 décembre. La défaite de son président, Albert Rivera, est claire. Ce dernier se présentait pourtant comme un politique pragmatique, seul capable, affirmait-il, s’il était renforcé, de construire autour de lui un gouvernement. Les électeurs ne l’ont pas réellement cru et l’ont même sanctionné. Il est vrai qu’il était difficile de savoir avec qui Ciudadanos, qui avait passé un pacte avec le PSOE en février, mais qui regardait également du côté du PP, voulait gouverner. En tout cas, cette défaite réduit la perspective d’un grand partie du centre après la disparition dans les années 1980 du CDS d’Adolfo Suárez, le “parti de la transition”.

Mariano Rajoy renforcé

Que va-t-il se passer à présent ? Le scrutin n’offre pas de majorité claire, mais il change la donne. Mariano Rajoy en sort renforcé et il sera plus difficile de demander sa démission pour gouverner avec le PP. Mais en a-t-il les moyens ? Sa victoire n’est pas suffisante pour construire une majorité gouvernementale et, à part Ciudadanos, il ne dispose pas de partenaires possibles à part le PSOE. Mariano Rajoy va sans doute demeurer ferme sur sa volonté d’établir une « grande coalition » avec le PSOE, mais Pedro Sánchez sort également renforcé du scrutin puisqu’il a réussi à empêcher le « sorpasso » par Unidos Podemos et à maintenir ses positions. Il pourra faire taire ses opposants en interne et imposer davantage ses conditions à ses éventuels partenaires de coalition. Autrement dit, lui aussi va retenter de devenir président du gouvernement.

Les conditions d’une alliance à gauche

Le scrutin apparaît donc comme un statu quo par rapport au 20 décembre, malgré la progression du PP. L’addition des partis de centre-droit est nettement supérieure à celle de la gauche et se creuse (169 contre 157 contre 163 à 160 auparavant). Mais les deux partis de droite ne disposent guère de réserve de voix au Congrès et sans majorité absolue (fixée à 176 sièges), ils auront du mal à obtenir le feu vert du parlement. Reste alors trois solutions, comme auparavant : une « grande coalition », un pacte à trois entre Ciudadanos, le PSOE et Podemos qu’avait proposé en mars Pedro Sánchez et une alliance de gauche avec l’appui des nationalistes catalans ou basques. Les trois cas demeurent toujours aussi peu probables qu’avant le scrutin.

Changement de position sur la Catalogne chez Unidos Podemos ?

Le changement pourrait venir de la déception d’Unidos Podemos. Si Pablo Iglesias et les siens considèrent qu’ils ont payé leur position dure face au PSOE et leur engagement trop fort pour le référendum catalan, ils pourraient décider de se montrer plus ouvert face à Pedro Sánchez. Mais la difficulté sera de faire accepter leurs alliés catalans, basques et galiciens un abandon de cette idée de référendum. Ce serait renforcer en Catalogne les Indépendantistes.

Un gouvernement minoritaire de droite ?

En cas de blocage persistant, le PSOE pourrait finalement accepter la victoire du PP et tolérer un gouvernement PP/Ciudadanos qu’il pourrait renverser quand il le désirera. Mais un tel gouvernement n’est pas certain de voir le jour (Ciudadanos acceptera-t-il un pacte avec le PP après une telle défaite ?) et il serait très fragile. Ces élections du 26 juin n’ont donc pas réglé la crise politique espagnole. Tout se passe comme s’il s’agissait d’un retour à la case départ et aux mêmes blocages qu’avant le scrutin…

Source : La Tribune, Romaric Godin, 26/06/2016

Source: http://www.les-crises.fr/espagne-mariano-rajoy-net-vainqueur-des-elections-amere-deception-pour-podemos-par-romaric-godin/


Mépriser le peuple, le censurer, le déconstruire, par Mathieu Bock-Côté

Monday 27 June 2016 at 01:00

Source : Journal de Montréal, Mathieu Bock-Côté, 24-06-2016

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Le référendum britannique n’a pas donné le résultat escompté par les élites. Elles se demandent dès lors, de plus en plus ouvertement, comment neutraliser son résultat. Une chose est certaine: on se jure qu’on ne se laissera plus prendre: on ne fera plus de référendum. Le référendum ne serait pas un mode de consultation accordé aux exigences de la démocratie. Il libérerait les passions et pousserait le peuple à s’approprier la question qu’on lui pose, en l’investissant d’une signification autre que celle qui lui est prêtée par le système médiatico-politique. En gros, on reproche au référendum de politiser la politique, de la délivrer de la gangue gestionnaire et juridique. Par exemple, on ne pardonne pas au peuple d’avoir fait un lien entre la souveraineté britannique et l’immigration massive: ce serait un lien interdit.

Évidemment, la disqualification du référendum s’appuie aussi sur une disqualification du peuple: celui-ci ne serait pas habilité à se prononcer sur une question aussi complexe que celle de son appartenance à un cadre politique ou un autre. La question de l’appartenance de la Grande-Bretagne serait trop complexe pour lui. Le peuple ne serait pas rationnel: ce serait un animal étrange, inquiétant, qu’il faudrait domestiquer en l’empêchant de faire trop de mal. Les démagogues joueraient avec ses craintes. Depuis ce matin, on nous explique que les électeurs du Leave étaient insuffisamment éduqués, qu’ils étaient trop vieux, qu’ils n’étaient pas assez modernes. L’électorat du Brexit serait composé de rebuts indésirables au sens commun intoxiqué. La marche de l’histoire ne saurait s’encombrer d’un tel bois mort.

En gros, on considère que leur vote serait moins légitime que celui des partisans du Remain, qui eux seraient éclairés et emportés par le vent du progrès. On l’a dit et redit: les éduqués et les instruits étaient massivement pour le Remain. Il serait regrettable qu’ils aient à subir les préférences politiques de leurs mauvais concitoyens. Nuançons quand même: on adule la jeunesse sophistiquée parce qu’elle embrasse le rêve européen. Il faudrait quand même se rappeler qu’au vingtième siècle, si nous avions toujours suivi par jeunisme les préférences idéologiques des jeunes générations, la liberté politique serait aujourd’hui en bien mauvais état. On pourrait en dire de même de l’intelligentsia qui n’est pas toujours éclairée. On ne doit ni idéaliser la jeunesse ni la diaboliser.

Que faire pour se débarrasser du peuple: telle est la question? En temps normal, on judiciarise la politique: on passe de la souveraineté populaire au gouvernement des juges. On technocratise aussi la vie politique: il faudrait dissoudre la charge politique des enjeux électoraux pour les transformer en questions strictement techniques. Mais lorsqu’on pose ouvertement la question d’un peuple à un ensemble politique, que faire? Comment faire taire le peuple. La solution prescrite depuis près de 24 h, c’est tout simplement de cesser de le consulter. Cette tentation de déconstruction du peuple s’opère essentiellement au nom du parachèvement de la démocratie, qui ne serait jamais aussi belle que lorsqu’elle parvient à se priver du demos. C’est au nom d’une démocratie évoluée qu’on étouffera le principe premier de la démocratie : la souveraineté populaire.

Source : Journal de Montréal, Mathieu Bock-Côté, 24-06-2016

Source: http://www.les-crises.fr/mepriser-le-peuple-le-censurer-le-deconstruire-par-mathieu-bock-cote/


Interview de Romaric Godin sur la situation politique et économique en Espagne

Monday 27 June 2016 at 00:01

27Source : actualité espagnole, Romaric Godin, 23-06-2016

L’entrée principale du palais de La Moncloa, siège de la présidence du gouvernement espagnol (photographie : El Confidencial)

L’entrée principale du palais de La Moncloa, siège de la présidence du gouvernement espagnol (photographie : El Confidencial)

Pas spécialement a priori. Mes intérêts allaient plutôt au départ vers l’Allemagne, où j’ai vécu six ans, ou vers l’Italie. Mais mes travaux sur la crise européenne et ses conséquences m’ont amené à m’intéresser à ce pays qui est plus méconnu qu’on le croit souvent en France. J’ai découvert un pays complexe, avec une histoire riche, une diversité remarquable et une pensée politique originale. De quoi essayer d’aller plus avant encore dans l’étude de l’Espagne pour tenter de comprendre et de faire comprendre sa réalité aux lecteurs français et francophones.

La question est difficile. La réponse dépend de plusieurs facteurs qui ne seront connus qu’après le 26 juin : le poids respectifs des partis, celui de la « gauche » et de la « droite », la nature des négociations sur la question catalane, les développements internes au PP et au PSOE, etc. Ce qui est certain, c’est que le jeu politique espagnol a changé durablement l’an dernier en passant de la bipolarité à un jeu à quatre. Dans ce cadre, avec des acteurs nouveaux, Citoyens et Podemos, qui se définissent en rupture et des acteurs anciens, PP et PSOE, qui semblent difficilement conciliables, la formation d’un gouvernement relève de la gageure. Toute tentative sera naturellement instable et le système politique espagnol devra s’adapter à cette nouvelle donne en faisant des tentatives et des essais sans doute multiples. Il en résultera nécessairement une clarification, mais elle prendra du temps. Pour moi, l’Espagne est entrée dans un nouveau régime, celui issu de la transition de 1975-1978 est clos. Le processus est nécessairement long et douloureux.

Le PSOE est face à son histoire. Il subit une dégradation qui n’est pas propre à l’Espagne. La social-démocratie « centriste » traverse une crise dans toute l’Europe et, de ce point de vue, le PSOE résiste même mieux que ses « frères » néerlandais, irlandais ou grec grâce à son implantation locale, notamment en Andalousie. La participation du PSOE aux mesures d’austérité et sa déconnexion des attentes d’une partie de l’électorat expliquent cette décadence. La mécompréhension de la situation en Catalogne, une de ses places fortes dans les années 2000, a encore aggravé le mouvement.

Le PSOE n’a pas trouvé le moyen de freiner cette dégradation de son audience. En fait, il ne le peut pas en raison de l’influence de ses barons qui le poussent à un conservatisme qui le rend politiquement de moins en moins « utile ». Du coup, il est pris en tenaille entre les deux forces montantes, Citoyens et Podemos. Le premier joue sur le renouvellement et une certaine innovation en termes de mesures économiques pour attirer les électeurs centristes du PSOE, le second joue sur sa volonté d’incarner la gauche et de faire davantage participer les gens aux décisions. Quoi que fasse le PSOE, il risque de perdre désormais des voix à gauche ou au centre. Il est piégé.

Dans ce contexte, que fera-t-il après l’élection ? Je ne pense pas que l’alliance avec Unidos Podemos soit acquise compte tenu du poids du « social-libéralisme » au sein du PSOE et du rejet de la plurinationalité de l’Espagne. Il y aura une lutte serrée au sein du parti pour déterminer la ligne à suivre, mais mon avis est qu’une abstention permettant à une alliance PP-Citoyens sans Mariano Rajoy de gouverner est plus probable qu’une union avec Unidos Podemos.

Dans tous les cas, ces discussions affaibliront encore le PSOE. En cas d’alliance à gauche, il risque de devenir ce que le PCF a été pour le PS après 1980 en  France, de façon inversée : un parti de plus en plus inutile qui laisse la place à la force montante, et laisse dominer Podemos au centre-gauche.S’il permet au PP de rester au pouvoir, le PSOE va encore perdre de sa signification. À mon sens, il est voué à jouer un rôle secondaire à l’avenir.  C’est ici, peut-être, un des éléments clés de la résolution de la crise politique actuelle en Espagne.

En régime parlementaire, la coalition est normale et c’est l’addition des forces qui compte. La SPD allemande a longtemps gouverné dans les années 1970 après des défaites électorales face à la CDU/CSU grâce aux Libéraux qui décidaient alors de la politique de la RFA avec 5 % à 8 % des voix…

Ce qui compte, c’est la cohérence politique des coalitions. Si la coalition dispose de buts clairs et d’ambitions affichées acceptées par les partis qui la composent, elle est aussi solide et légitime que les autres partis. Ce sera tout l’enjeu des négociations entre le PSOE et Unidos Podemos. Le risque, en effet, c’est une coalition A MINIMA pour s’emparer du pouvoir. Dans ce cas, un problème de légitimité peut en effet apparaître et nuira au parti qui a fait le plus de concessions.

Pour moi, Pedro Sánchez n’a aucune chance de rester à la tête du PSOE en cas de SORPASSO du parti par Unidos Podemos dimanche. Il est détesté par les barons et il ne pourra plus prétendre à la présidence du gouvernement. Il aura du mal à mener des négociations avec Unidos Podemos compte tenu de cette situation de faiblesse. Plus globalement, le PSOE va devoir choisir entre le PP ou Podemos et la lutte pour la direction du parti se jouera autour de ce choix. Susana Díaz est une candidate sérieuse, mais c’est la candidate d’une opposition laissant la place au PP, puisqu’elle rejette Podemos en raison de son refus de la politique territoriale de ce dernier. Elle va devoir imposer ce choix. Pour cela, elle devra aussi ne pas subir de défaite trop lourde en Andalousie dimanche. Sinon, il est difficile de déterminer qui pourra sortir gagnant d’une lutte interne au PSOE, c’est d’ailleurs un des problèmes du parti aujourd’hui : il n’a pas de vraie et crédible relève.

Mariano Rajoy a joué le pourrissement de la situation pour s’imposer comme le seul capable de sortir le pays du blocage. Mais il est très affaibli par sa politique d’austérité et les scandales à répétition au sein du PP. Le dernier, sur les scandales « truqués » en Catalogne, risquent d’achever sa vie politique. Il semble difficile pour Citoyens comme pour le PSOE de le laisser désormais à La Moncloa. Si le PP veut continuer à gouverner, il devra lui demander de partir. Et ce ne sera pas facile. Or, tant que Mariano Rajoy sera là, le blocage politique perdurera. Sa stratégie pourrait se retourner contre lui : il deviendra alors le responsable du blocage et non sa solution.

Bruxelles a accordé un délai à l’Espagne et au Portugal pour revenir dans les clous budgétaires. Mais derrière cette annonce, il existe des nuances : la Commission a imposé des concessions importantes au gouvernement portugais et Mariano Rajoy s’est apparemment engagé à réduire les dépenses après les élections. Il est donc peu probable que Bruxelles accepte de valider un programme comme celui d’Unidos Podemos. C’est du reste un des arguments du PSOE pour refuser l’alliance avec ce parti.

S’il parvient au pouvoir, Pablo Iglesias devra donc faire des concessions. Il sera, en théorie, en position plus forte que la gauche portugaise qui se contente de soutenir le gouvernement PS sans y participer. Il sera naturellement pris dans une contradiction entre la volonté de prouver sa capacité de changer la politique et les concessions à Bruxelles et au PSOE. Il n’est pas sûr que Bruxelles lui offre une chance : la Commission a été très critiquée au Nord de l’Europe pour son « laxisme » et l’affaire grecque a montré que l’arrivée au pouvoir de la gauche à un poste de gouvernement (ce qui n’est pas le cas au Portugal) provoquait une certaine panique au sein des dirigeants européens. Il y a fort à parier que beaucoup à Bruxelles, La Haye ou Berlin voudront « casser » une expérience de gauche en Espagne, alors même que le SPD allemand réfléchit à une alliance sur sa gauche en 2017. La marge de manœuvre de Podemos sera donc réduite.

La vision de Podemos est celle d’une Espagne « plurinationale ». C’est une position qui est fortement rejetée dans beaucoup de milieux en Espagne parce qu’elle mettrait en danger l’unité de la nation espagnole. Mais les indépendantistes catalans, par exemple, y voient une façon de « sauver » l’Espagne. Tout dépend du point de vue.

Pour ma part, mais je conçois que c’est une position contestable, il me semble que l’Espagne ne peut refuser de prendre en compte sa diversité et de réfléchir à la façon dont on peut être à la fois Espagnol et Catalan ou Espagnol et Basque. Tout rejet de la reconnaissance du fait national en Catalogne, par exemple, conduit à renforcer l’idée d’une incompatibilité entre ces deux identités et donc à la volonté d’une rupture. La position de Podemos est une position assez pragmatique qui vise à éteindre l’indépendantisme par deux éléments : un référendum qui serait perdu par les indépendantistes et mettrait fin à leur ascension politique (sur le modèle québécois, par exemple) et une fédéralisation reconnaissant la diversité nationale pour « désarmer » les sécessionnistes. C’est une politique qui semble plus porteuse, à mon sens, que celle du PP qui a alimenté l’indépendantisme par sa rigueur.

Il est vrai, cependant, qu’en Catalogne, l’alliance de Podemos est constituée en partie d’indépendantistes et que cela nuit à la cohérence de cette politique. Mais la question se pose moins pour Podemos que pour l’Espagne : comment traiter la montée de l’indépendantisme catalan ? Comment accepter la persistance au sein du pays d’autres nationalités ? Doit-on limiter la nation espagnole à ses seules formes castillane ou andalouse ?

L’indépendantisme catalan traverse une crise mais reste la première force politique régionale. La crise entre Junts pel Sí et la CUP relève d’une différence de conception fondamentale, mais elle pose surtout une question existentielle pour la CUP. Place-t-elle la lutte contre l’austérité et contre le capitalisme avant l’indépendance ou n’envisage-t-elle pas l’une sans l’autre ?C’est le débat qui déchire le parti aujourd’hui et qui risque de lui coûter cher. Carles Puigdemont a décidé de clarifier la situation par sa question de confiance : cette dernière va forcer la CUP à choisir. C’est une stratégie assez fine pour en finir avec l’ambiguïté de la CUP. En cas de nouveau scrutin, la majorité parlementaire indépendantiste sera menacée, mais le problème est qu’il n’existe pas en Catalogne d’alternatives majoritaires à l’indépendantisme. À moins d’une alliance peu probable allant de Podemos au PP, mais sur quel programme ?

Junts pel Sí n’est donc pas sûr de pouvoir mener à bien sa feuille de route dans les temps, mais la pression indépendantiste va se maintenir. Pour gouverner la Catalogne, il faudra trouver d’abord, principalement avec Podemos et EUiA, une entente sur une solution démocratique à la question de l’indépendance. Ce pourrait être presque plus commode qu’avec la CUP…

Mariano Rajoy et le président régional catalan, Carles Puigdemont (photographie : EFE et La Vanguardia)

Mariano Rajoy et le président régional catalan, Carles Puigdemont (photographie : EFE et La Vanguardia)

Compte tenu du fossé politique existant entre la Catalogne et l’Espagne, l’indépendance me semble possible, même si elle n’est pas certaine. De plus en plus de Catalans n’envisagent plus d’évoluer dans le cadre espagnol et la réponse espagnole brise de plus en plus de ponts. Si l’Espagne ne propose pas de modèle alternatif convaincant et si les indépendantistes s’unissent à nouveau, l’indépendance sera une option crédible. Sa condition sera cependant qu’elle soit majoritaire et dépasse le cadre linguistique pour s’ancrer dans les populations originaires d’autres régions. Ce n’est pas une option impossible, à mon sens.

Quant à savoir si elle est souhaitable, je ne me prononcerai pas. Tout changement comporte des risques et des avantages. L’Espagne serait bien sûr affaiblie et un processus de séparation est toujours complexe. Mais si le peuple catalan le décide démocratiquement, il sera difficile d’ignorer son choix. L’indépendance de la Catalogne ne signifiera pas cependant la fin de la coopération, y compris financière et humaine avec l’Espagne. Et pour cela, il est essentiel de maintenir un dialogue entre les deux entités dès à présent.

Ces options sont intéressantes, mais dans le contexte politique actuelle, elles semblent insuffisantes. Il s’agit dans le cas du PSOE de revenir avec des garanties constitutionnelles au statut de 2006, censuré en partie par la Cour constitutionnelle en 2010 et qui est la source du mécontentement catalan. Unidos Podemos va plus loin avec la reconnaissance des « nations ». Mais, aujourd’hui, ces propositions posent deux problèmes. Le premier, c’est le refus de tout compromis de ceux qui ont une vision unifiée de la nation espagnole et le second est le refus des indépendantistes qui veulent rompre avec l’État espagnol. Ces propositions n’ont donc pas une base populaire et parlementaire suffisante pour s’imposer. C’est pourquoi un référendum peut être une sortie de crise en cas de « non » à l’indépendance : devant leur défaite, beaucoup d’indépendantistes devront trouver une autre solution que la rupture et le fédéralisme peut en être une. La discussion sur la réorganisation pourra alors s’engager. Évidemment, ceci suppose de prendre le risque de la rupture. Mais le risque inverse existe : en niant la montée de l’indépendantisme, on peut l’attiser, y compris dans d’autres régions espagnoles comme le Pays basque, où le référendum devient aussi populaire.

Le parti Citoyens se présente comme le défenseur de l’unité espagnole et d’une vision nationale unifiée. Il peut incarner cette défense de l’intégrité de l’Espagne. Mon point de vue est que le problème catalan peut être une chance pour l’Espagne d’engager la discussion, que j’ai évoquée, sur ce que signifie être espagnol et sur la gestion de la diversité nationale du pays. L’histoire espagnole n’a pas permis, comme en France, de faire reculer suffisamment les identités régionales. Aujourd’hui, il faut réfléchir à un moyen de les prendre en compte au-delà du compromis de 1978 qui semble caduc sur le plan national comme il l’est devenu sur le plan politique. La phase de transition est donc délicate et turbulente, là aussi. Et il existe un vrai risque de voir l’Espagne se fragmenter. Nier ce risque en voulant « pénaliser » l’indépendantisme est à mon sens la plus sûre façon d’y parvenir. Mais il faut des politiques capables de construire des compromis sur ce terrain. Or, la situation politique quadripartite pose une forte concurrence au niveau national et n’incite guère à ce type de concessions, car chacun est en risque de sortir du « club des quatre ». Là aussi, il y a un blocage que seul un choix démocratique clair par un référendum pourrait débloquer.

La reprise espagnole est réelle et vigoureuse. Elle est portée par trois phénomènes principaux. D’abord, une forte dévaluation interne par la baisse des salaires et la hausse de la productivité, source de chômage de masse. Ensuite, la fin des politiques d’austérité qui ont redonné de la confiance aux acteurs économiques. Il y a donc un phénomène de rattrapage des investissements et des dépenses reportés durant la crise. Enfin, par des éléments externes : la politique monétaire de la BCE et la baisse du prix du pétrole et de l’énergie.

Cette croissance va néanmoins ralentir dans les prochains mois et elle reste très coûteuse sur le plan social. L’Espagne est un des pays de la zone euro, avec la Grèce, le plus fragilisé socialement par les politiques menées depuis 2010. Le risque de pauvreté y est très fort, le chômage encore très élevé et les revenus sans dynamique. La croissance acquise par la baisse des coûts a un revers social très lourd qui, in fine, va peser sur la dynamique de la croissance. Le problème du modèle économique espagnol reste entier : l’Espagne est-elle un pays de production bon marché, ce qui exclut tout amélioration de la situation sociale, ou peut-elle monter en gamme, alors que l’industrie espagnole vient juste de rattraper son retard en termes d’automatisation ?

Le pays a clairement besoin d’une politique d’éducation et de formation, mais aussi d’une vraie politique industrielle. Elle aurait un sens au niveau européen dans le cadre d’un vrai projet industriel continental, mais l’UE n’agit pas dans ce domaine. En attendant, le pays est condamné à vivre durablement avec un chômage fort et une pauvreté élevée. Dans ces conditions, le mécontentement politique persistera, ce qui est un problème économique également. Il est d’ailleurs frappant de voir que les quatre partis n’ont guère de projets économiques convaincants.

Le plus grand risque serait que l’Espagne ne tombe à nouveau dans une bulle immobilière qui fera baisser fortement le chômage, mais affaiblira encore le pays. Car cette crise existentielle de l’économie espagnole est encore le fruit de la bulle précédente qui était une façon commode de régler tous les problèmes.

Un pays aussi ancien et avec une histoire aussi riche et diverse que l’Espagne ne peut être simple. Il est nécessairement compliqué, comme le sont tous les grands pays européens parce que le poids du passé se mêle toujours aux enjeux du présent. L’Espagne est un pays très complexe, très divers et c’est pourquoi il mérite mieux que le regard souvent lointain et caricatural que les Français portent sur lui.

L’Espagne est, à mon avis, à la pointe de la rénovation politique au sein de l’Union européenne, comme l’est d’une autre façon l’Italie. La réflexion sur une alliance à gauche, l’agonie du PSOE, l’impasse du PP, l’émergence de Citoyens et la montée des indépendantistes trouvent leur écho, avec des particularités, en France, en Allemagne ou au Royaume-Uni. L’Espagne est un laboratoire de la transition politique en Europe. Là encore, c’est assez piquant, quand on songe que les analystes politiques français rêvent d’un « modèle allemand » et de sa « grande coalition », alors même qu’une alliance Podemos-PSOE, si elle voit le jour, serait le prélude à un rapprochement SPD-Die Linke en Allemagne.

Sur le plan économique, le constat est inversé. L’Espagne apparaît comme un modèle de redressement, alors qu’elle affiche une croissance déséquilibrée, pas assez riche en emplois et donc intenable sur le plan social. Le modèle actuel de l’Espagne ne peut être que provisoire. Il doit se réinventer pour effacer les effets des « réformes », alors qu’on en fait souvent l’objectif des « réformes » en France.

Source : actualité espagnole, Romaric Godin, 23-06-2016

 

 

Espagne : Podemos recherche activement une coalition avec le PSOE

Source : La Tribune, Romaric Godin, 21-06-2016

L'Espagne aura-t-elle après le 26 juin un gouvernement de gauche avec Sanchez (PSOE) et Iglesias (Podemos) ? (Crédits : Reuters)

L’Espagne aura-t-elle après le 26 juin un gouvernement de gauche avec Sanchez (PSOE) et Iglesias (Podemos) ? (Crédits : Reuters)

Les Espagnols ne voteront que le 26 juin, mais déjà, les grandes manœuvres en vue de la formation d’une coalition gouvernementale ont commencé à gauche. Podemos propose des compromis aux Socialistes sur la question catalane. Mais elles demeurent insuffisantes pour un PSOE sans vrai projet.

Les nouvelles élections générales espagnoles, rendues nécessaires par l’incapacité de former un gouvernement avec le Congrès des députés élu le 20 décembre, aura lieu dimanche 26 juin. Mais, déjà, les grandes manœuvres pour former un gouvernement ont commencé. L’alliance Unidos Podemos qui regroupe le parti issu du mouvement des indignés, les Communistes et les Ecologistes, ainsi que plusieurs mouvements autonomistes régionaux, cherche désormais clairement à former un gouvernement de gauche avec les Socialistes du PSOE.

Nouvelle donne

Cette option était pratiquement impossible après le 20 décembre dans la mesure où l’addition des deux principaux partis de gauche comptait moins de députés que les deux partis de droite, Ciudadanos et le Parti populaire du président du gouvernement sortant Mariano Rajoy (159 contre 163). Le secrétaire général du PSOE, Pedro Sánchez, avait alors tenté de réaliser une alliance contre le PP en signant un pacte avec Ciudadanos et en cherchant l’appui de Podemos. Cette manœuvre avait échoué. Mais en élargissant sa base par le regroupement avec la Gauche Unie, Pablo Iglesias, le leader de Podemos, est désormais en mesure – mathématiquement du moins – de proposer un gouvernement de gauche, ce qu’il appelle une « coalition à la valencienne », s’inspirant de la majorité régionale construite à Valence entre le PSOE, Podemos et les régionalistes de Compromís.

Selon les sondages, Unidos Podemos devrait réussir le sorpasso, le dépassement du PSOE pour la première fois depuis 1933, en sièges comme en voix. Il serait donc en position de force pour négocier. Mais surtout, la loi électorale espagnole donnant une prime de fait aux grands partis, Unidos Podemos devrait compter entre 80 et 90 sièges, contre 69 le 20 décembre. Une poussée qui pourrait assurer, malgré l’effritement du PSOE, une majorité relative à la gauche face à la droite, sinon même une majorité absolue comme l’affirmait quelques enquêtes d’opinion. La constitution d’un gouvernement d’alternance dirigé par Podemos serait donc à portée de main. Et c’est bien pourquoi Pablo Iglesias commence à préparer le terrain.

Le dilemme de Podemos

L’écueil principal de cette alliance « à la valencienne » demeure un point essentiel : le référendum d’autodétermination en Catalogne. Podemos et ses alliés catalans en défendent l’idée non pour assurer l’indépendance catalane, mais pour clore les espoirs des indépendantistes et bâtir une autonomie renforcée de la Catalogne. Électoralement, c’est un élément essentiel qui permet à la liste catalane de Unidos Podemos, En Comú Podem, de capter une partie du vote indépendantiste aux élections générales pour permettre l’organisation du référendum. Le 20 décembre 2015, cette liste avait ainsi obtenu 24,7 % des voix en Catalogne contre 8,94 % lors des élections catalanes du 27 septembre précédent. Un bond de plus de 550.000 voix qui s’explique par cette stratégie.

Podemos doit donc continuer à défendre l’idée du référendum. Le problème, c’est que le PSOE refuse absolument un vote qui pourrait mettre en péril l’unité de l’Espagne. Pedro Sánchez ne peut d’autant pas accepter ce référendum qu’il doit compter avec son opposition interne dirigée par la présidente andalouse, Susana Díaz, qui tient une ligne dure contre l’indépendantisme catalan. Les Andalous sont en effet inquiets du risque de sécession catalan et d’appauvrissement du reste de l’Espagne qui suivrait. Or, Susana Díaz a l’appui des caciques du PSOE, les « barons » qui détestent Pedro Sánchez.

L’équation est donc délicate pour Pablo Iglesias : ou il abandonne le référendum catalan et il s’expose à perdre des voix en Catalogne et à voir ses alliés régionalistes le lâcher, ou il le maintient et son rêve d’une alliance « à la valencienne » avec le PSOE s’évapore. Sur la corde raide, il tente donc une manœuvre pour contenter tout le monde. Lundi 13 juin, lors du débat à quatre à la télévision, il a expliqué que « dans les négociations gouvernementales, il n’y a pas de lignes rouges », laissant entendre que le référendum catalan était susceptible de passer par pertes et profits afin de bâtir un compromis avec le PSOE. Ses propos ont déclenché une panique en Catalogne où Xavier Domènech, le dirigeant d’En Comú Podem, a dû assurer que l’objectif du référendum n’était pas abandonné.

La proposition d’une réforme de l’Etat

Pablo Iglesias a alors tenté de clarifier la situation avec une proposition de programme gouvernemental dévoilé le 20 juin. Dans ce texte de 92 pages, Unidos Podemos propose une évolution constitutionnelle vers la reconnaissance d’un Etat « plurinational ». Il s’agit d’abord de renforcer et clarifier les compétences des communautés autonomes (régions), de réformer le Sénat pour en faire une chambre représentative de ces communautés, un peu sur le modèle du Bundesrat allemand, et de renforcer la voix des régions sur les questions européennes. Le projet considère ensuite qu’il conviendra de faire le distinguo entre « nations » et « communautés » au sein de l’Etat espagnol. Les « nations », qui pourraient être basque, catalane et galicienne, pourrait alors passer des accords, notamment fiscaux, avec l’Etat.

Ce projet est cependant progressif. Comme souvent dans la pensée de Podemos, l’idée est d’imposer les faits progressivement, par la préparation de l’opinion. Xavier Domènech, qui a présenté le texte à Barcelone, a indiqué que l’on avancerait « pas à pas ». La première étape sera la « reconnaissance des nations » et la création d’un « ministère de la plurinationalité » chargé de mener le processus. Et le référendum catalan ? Il est jugé « indispensable », mais il pourrait n’intervenir qu’à l’issue de l’évolution de la structure de l’État et des négociations avec le nouveau ministère.

La stratégie de Podemos

Ce projet a plusieurs fonctions : maintenir l’exigence du référendum, tout en mettant en place une nouvelle structure d’Etat destinée à convaincre les Catalans de demeurer en Espagne. La « fédéralisation asymétrique » que propose Unidos Podemos n’est finalement pas si éloigné de la proposition que faisait fin mai Pedro Sánchez d’un nouveau statut catalan reconnaissant l’existence d’une « singularité catalane ». Il permettrait donc de conserver la confiance des défenseurs catalans du « droit à décider », tout en s’alignant en partie sur les projets socialistes. Le tout avec un atout : celui du temps, au cours duquel beaucoup de choses peuvent changer. Les divisions au sein du camp indépendantiste catalan peuvent amener de nouvelles élections. Après le rejet de son budget, le président de la Generalitat, le gouvernement catalan, Carles Puigdemont, posera en septembre une question de confiance au parlement. Si elle est rejetée, de nouvelles élections seront inévitables et une défaite des indépendantistes sera possible. L’urgence d’un référendum pourrait être alors moins vive pour le nouveau gouvernement espagnol.

Fin de non-recevoir

Mais le PSOE acceptera-t-il un tel compromis ? Rien n’est moins sûr. La reconnaissance de « nations » suppose la reconnaissance de leur droit à l’autodétermination. Le référendum catalan sera donc une conséquence logique et les Basques eux-mêmes pourraient être tentés. Le PSOE, marqué par la lutte contre l’indépendantisme basque, ne veut pas en entendre parler. En réalité, l’attachement à l’unité espagnole des Socialistes rend impossible l’acceptation du projet « dynamique » de Podemos. C’est pourquoi le projet de fin mai évitait le terme de « nation » et proposait un accord proche du statut de 2006 avec des garanties. Pedro Sánchez l’a donc réaffirmé lundi 20 juin : « Pablo Iglesias ne sera pas président du gouvernement car il ne remplit pas les conditions pour l’être »Pour deux raisons : sa politique sociale trop généreuse et son engagement en faveur d’un référendum catalan.

Retour à la case départ

On est donc revenu à la case départ. Certes, Pedro Sánchez refuse de considérer le sorpasso comme acquis et entend se battre pour maintenir l’avance du PSOE, au moins en sièges. Il ne peut donc publiquement accepter les conditions de Podemos. Mais le problème est plus profond. Le PSOE rechigne essentiellement à une alliance des gauches. Après sa défaite annoncée le 26 juin, il va cependant devoir faire un choix. La situation risque d’être inversée par rapport au printemps dernier. Alors, Pedro Sánchez pouvait accuser Podemos de préférer maintenir Mariano Rajoy au pouvoir plutôt que de le soutenir. Désormais, le PSOE devra choisir entre un soutien (actif ou passif) au PP ou un gouvernement sur sa gauche. Dans les deux cas, il sera menacé de marginalisation et de réduction à ses bastions du sud du pays, en Estrémadure et en Andalousie.

Le 26 juin sera sans doute suivi d’une lutte interne intense au sein du PSOE. Susana Díaz l’a déjà entamé. Menacée de voir le PSOE andalou dépassé par le PP local, elle a lancé une campagne fortement anti-catalane qui gêne même les Socialistes catalans. Elle a notamment refusé que les « votes des Andalous servent à payer les privilèges d’Ada Colau », la maire de Barcelone qui soutient En Comú Podem. C’est donc un refus absolu de toute alliance avec Podemos. Susana Díaz sait que si elle parvient à limiter la casse en Andalousie, elle pourrait détrôner, avec l’appui des « barons », un Pedro Sánchez qui aura bien du mal à conserver la direction du parti après le 26 juin.

Sombre avenir pour le PSOE

Dans ce cas, le scénario « à la valencienne » deviendrait improbable. Du reste, on voit mal, compte tenu de l’importance des troupes « sudistes » au sein du PSOE, comment une alliance avec Podemos pourrait être acceptée par la base. Car tout projet d’alliance sera sans doute soumis aux militants et tout nouveau secrétaire général devra s’appuyer sur cette base. Certes, Pablo Iglesias, qui a fait récemment un éloge appuyé de José Luís Zapatero, le dernier président du gouvernement socialiste, tente de flatter les militants du PSOE. Mais il n’est pas certain que ce soit suffisant. Le problème, c’est que l’avenir du PSOE hors d’une alliance avec Podemos s’annonce très sombre. Réduit à un positionnement nécessairement centriste, il risque de se trouver à l’étroit entre Ciudadanos et Podemos et d’être réduit à la fonction de force de soutien du PP. Le dilemme des Socialistes après le 26 juin s’annonce donc insolvable.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 21-06-2016

Source: http://www.les-crises.fr/interview-de-romaric-godin-sur-la-situation-politique-et-economique-en-espagne/