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L’idéologie du travail, par Jacques Ellul

Monday 7 March 2016 at 10:25

Intéressant article du regretté Jacques Ellul, décédé en 1994. Ce texte est issu de son livre Pour qui, pour quoi travaillons-nous ?, et a été publié en 1980.

Source : Le Partage, Jacques Ellul, 25-02-2016

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Il faut, avant toute recherche ou réflexion sur le travail dans notre société prendre conscience de ce que tout y est dominé par l’idéologie du travail. Dans la presque totalité des sociétés traditionnelles, le travail n’est considéré ni comme un bien ni comme l’activité principale. La valeur éminente du travail apparait dans le monde occidental, au XVIIème, en Angleterre, en Hollande puis en France et elle se développe dans ces trois pays au fur et à mesure de la croissance économique. Comment s’explique, d’abord la mutation mentale et morale qui consiste à passer du travail peine ou châtiment ou nécessité inévitable au travail valeur et bien ? Il faut constater que cette réinterprétation qui aboutit à l’idéologie du travail se produit lors de la rencontre de quatre faits qui modifient la société occidentale. Tout d’abord le travail devient de plus en plus pénible, avec le développement industriel, et apparemment plus inhumain. Les conditions du travail empirent considérablement en passant de l’artisanat, et même de la manufacture (qui était déjà dure mais non pas inhumaine) à l’usine. Celle-ci produit un type de travail nouveau, impitoyable. Et comme, avec la nécessité de l’accumulation du capital, le salaire est inférieur à la valeur produite, le travail devient plus envahissant : il recouvre toute la vie de l’homme. L’ouvrier est en même temps obligé de faire travailler sa femme et ses enfants pour arriver à survivre. Le travail est donc à la fois plus inhumain qu’il ne l’était pour les esclaves et plus totalitaire, ne laissant place dans la vie pour rien d’autre, aucun jeu, aucune indépendance, aucune vie de famille. Il apparait pour les ouvriers comme une sorte de fatalité, de destin. Il était alors indispensable de compenser cette situation inhumaine par une sorte d’idéologie (qui apparaît d’ailleurs ici comme correspondant exactement à la vue de l’idéologie chez Marx), qui faisait du travail une vertu, un bien, un rachat, une élévation. Si le travail avait encore été interprété comme une malédiction, ceci aurait été radicalement intolérable pour l’ouvrier.

Or, cette diffusion du « Travail-Bien » est d’autant plus nécessaire que la société de cette époque abandonne ses valeurs traditionnelles, et c’est le second facteur. D’une part les classes dirigeantes cessent de croire profondément au christianisme, d’autre part les ouvriers qui sont des paysans déracinés, perdus dans la ville n’ont plus aucun rapport avec leurs anciennes croyances, l’échelle des valeurs traditionnelles. De ce fait il faut rapidement créer une idéologie de substitution, un réseau de valeurs dans lequel s’insérer. Pour les bourgeois, la valeur va devenir ce qui est l’origine de leur force, de leur ascension. Le Travail (et secondairement l’Argent). Pour les ouvriers, nous venons de voir qu’il faut aussi leur fournir ce qui est l’explication, ou la valorisation, ou la justification de leur situation, et en même temps une échelle de valeurs susceptible de se substituer à l’ancienne. Ainsi, l’idéologie du travail se produit et grandit dans le vide des autres croyances et valeurs.

Mais il y a un troisième facteur : est reçu comme valeur ce qui est devenu la nécessité de croissance du système économique, devenu primordial. L’économie n’a pris la place fondamentale dans la pensée qu’au XVII – XVIIIème. L’activité économique est créatrice de la valeur (économique). Elle devient dans la pensée des élites, et pas seulement de la bourgeoisie, le centre du développement, de la civilisation. Comment dès lors ne pas lui attribuer une place essentielle dans la vie morale. Or, ce qui est le facteur déterminant de cette activité économique, la plus belle de l’homme, c’est le travail. Tout repose sur un travail acharné. Ce n’est pas encore clairement formulé au XVIIIème, mais nombreux sont ceux qui comprennent déjà que le travail produit la valeur économique. Et l’on passe très tôt de cette valeur à l’autre (morale ou spirituelle). Il fallait bien que cette activité si essentielle matériellement soit aussi justifiée moralement et psychologiquement. Créateur de valeur économique, on emploie le même mot pour dire qu’il est fondateur de la valeur morale et sociale.

Enfin un dernier facteur vient assurer cette prédominance. L’idéologie du travail apparaît lorsqu’il y a séparation plus grande, décisive entre celui qui commande et celui qui obéit à l’intérieur d’un même processus de production, entre celui qui exploite et celui qui est exploité, correspondant à des catégories radicalement différentes de travail. Dans le système traditionnel, il y a celui qui ne travaille pas et celui qui travaille. Il y a une différence entre le travailleur intellectuel et le travailleur manuel. Mais il n’y avait pas opposition radicale entre les tâches d’organisation ou même de commandement et celles d’exécution : une initiative plus grande était laissée au manuel. Au XVIIIème, celui qui organise le travail et qui exploite est lui-même un travailleur (et non pas un non travailleur, comme le seigneur) et tous sont pris dans le circuit du travail, mais avec l’opposition totale entre l’exécutant exploité et le dirigeant exploiteur. Il y a des catégories totalement différentes du travail dans le domaine économique. Ce sont là, je crois, les quatre facteurs qui conduisent à l’élaboration (spontanée, non pas machiavélique) de l’idéologie du travail, qui joue le rôle de toutes les idéologies : d’une part voiler la situation réelle en la transposant dans un domaine idéal, en attirant toute l’attention sur l’idéal, l’ennobli, le vertueux, d’autre part, justifier cette même situation en la colorant des couleurs du bien et du sens. Cette idéologie du travail a pénétré partout, elle domine encore en grande partie nos mentalités.

Quelles sont alors les principales composantes de cette idéologie : tout d’abord, l’idée centrale, qui devient une évidence, c’est que l’homme est fait pour le travail. Il n’a pas d’autre possibilité pour vivre. La vie ne peut être remplie que par le travail. Je me rappelle telle pierre tombale avec pour seule inscription, sous le nom du défunt : « le travail fut sa vie ». Il n’y avait rien d’autre à dire sur toute une vie d’homme. Et en même temps dans la première moitié du XIXème, apparaissait l’idée que l’homme s’était différencié des animaux, était devenu vraiment homme parce que dès l’origine il avait travaillé. Le travail avait fait l’homme. La distance entre le primate et l’homme était établie par le travail. Et, bien significatif, alors qu’au XVIIIème. on appelait en général l’homme préhistorique « homo sapiens », au début du XIXème. ce qui va primer ce sera « homo faber » : l’homme fabricant d’outils de travail (je sais bien entendu que cela était lié à des découvertes effectives d’outils préhistoriques, mais ce changement d’accentuation reste éclairant). De même que le travail est à l’origine de l’homme, de même c’est lui qui peut donner un sens à la vie. Celle-ci n’a pas de sens en elle- même : l’homme lui en apporte un par ses œuvres et l’accomplissement de sa personne dans le travail, qui, lui-même n’a pas besoin d’être justifié, légitimé : le travail a son sens en lui-même, il comporte sa récompense, à la fois par la satisfaction morale du « devoir accompli », mais en outre par les bénéfices matériels que chacun retire de son travail. Il porte en lui sa récompense, et en plus une récompense complémentaire (argent, réputation, justification). Labor improbus omnia vincit. Cette devise devient la majeure du XIXème. Car le travail est le père de toutes les vertus, comme l’oisiveté est la mère de tous les vices. Les textes de Voltaire, l’un des créateurs de l’idéologie du travail, sont tout à fait éclairants à ce sujet : « Le travail éloigne de nous trois grands maux, l’ennui, le vice et le besoin » ou encore « Forcez les hommes au travail, vous les rendrez honnêtes gens ». Et ce n’est pas pour rien que ce soit Voltaire justement qui mette au premier plan la vertu du travail. Car celui-ci devient vertu justificatrice. On peut commettre beaucoup de fautes de tous ordres, mais si on est un ferme travailleur on est pardonné. Un pas de plus, et nous arrivons à l’affirmation, qui n’est pas moderne, que « Le travail c’est la liberté ». Cette formule rend aujourd’hui un son tragique parce que nous nous rappelons la formule à l’entrée des Camps hitlériens « Arbeit macht frei ». Mais au XIXe s. on expliquait gravement qu’en effet seul le travailleur est libre, par opposition au nomade qui dépend des circonstances, et au mendiant qui dépend de la bonne volonté des autres. Le travailleur, lui, chacun le sait, ne dépend de personne. Que de son travail ! Ainsi l’esclavage du travail est mué en garantie de Liberté.

Et de cette morale nous trouvons deux applications plus modernes : l’Occidental a vu dans sa capacité à travailler la justification en même temps que l’explication de sa supériorité à l’égard de tous les peuples du monde. Les Africains étaient des paresseux. C’était un devoir moral que de leur apprendre à travailler, et c’était une légitimation de la conquête. On ne pouvait pas entrer dans la perspective que l’on s’arrête de travailler quand on a assez pour manger deux ou trois jours. Les conflits entre employeurs occidentaux et ouvriers arabes ou africains entre 1900 et 1940 ont été innombrables sur ce thème-là. Mais, très remarquablement, cette valorisation de l’homme par le travail a été adoptée par des mouvements féministes. L’homme a maintenu la femme en infériorité, parce que seul il effectuait le travail socialement reconnu. La femme n’est valorisée aujourd’hui que si elle « travaille » : compte tenu que le fait de tenir le ménage, élever les enfants n’est pas du travail, car ce n’est pas du travail productif et rapportant de l’argent. G. Halimi dit par exemple « La grande injustice c’est que la femme a été écartée de la vie professionnelle par l’homme ». C’est cette exclusion qui empêche la femme d’accéder à l’humanité complète. Ou encore qui fait qu’on la considère comme le dernier peuple colonisé. Autrement dit, le travail, qui, dans la société industrielle est effectivement à la source de la valeur, qui devient l’origine de toute réalité, se trouve transformé, par l’idéologie en une surréalité, investie d’un sens dernier à partir duquel toute la vie prend son sens. Le travail est ainsi identifié à toute la morale et prend la place de toutes les autres valeurs. Il est porteur de l’avenir. Celui-ci, qu’il s’agisse de l’avenir individuel ou de celui de la collectivité, repose sur l’effectivité, la généralité du travail. Et à l’école on apprend d’abord et avant tout à l’enfant la valeur sacrée du travail. C’est la base (avec la Patrie) de l’enseignement primaire de 1860 à 1940 environ. Cette idéologie va pénétrer totalement des générations.

Et ceci conduit à deux conséquences bien visibles, parmi d’autres. Tout d’abord nous sommes une société qui a mis progressivement tout le monde au travail. Le rentier, comme auparavant le Noble ou le Moine tous deux des oisifs, devient un personnage ignoble vers la fin du XIXème. Seul le travailleur est digne du nom d’homme. Et à l’école on met l’enfant au travail, comme jamais dans aucune civilisation on n’a fait travailler les enfants (je ne parle pas de l’atroce travail industriel ou minier des enfants au XIXème, qui était accidentel et lié non pas à la valeur du travail mais au système capitaliste). Et l’autre conséquence actuellement sensible : on ne voit pas ce que serait la vie d’un homme qui ne travaillerait pas. Le chômeur, même s’il recevait une indemnité suffisante, reste désaxé et comme déshonoré par l’absence d’activité sociale rétribuée. Le loisir trop prolongé est troublant, assorti de mauvaise conscience. Et il faut encore penser aux nombreux « drames de la retraite ». Le retraité se sent frustré du principal. Sa vie n’a plus de productivité, de légitimation : il ne sert plus à rien. C’est un sentiment très répandu qui provient uniquement du fait que l’idéologie a convaincu l’homme que la seule utilisation normale de la vie était le travail.

Cette idéologie du travail présente un intérêt tout particulier dans la mesure où c’est un exemple parfait de l’idée (qu’il ne faut pas généraliser) que l’idéologie dominante est l’idéologie de la classe dominante. Ou encore que celle-ci impose sa propre idéologie à la classe dominée. En effet cette idéologie du travail est, avec l’expansion de l’industrie, une création intégrale de la classe bourgeoise. Celle-ci remplace toute morale par la morale du travail. Mais ce n’est pas pour tromper les ouvriers, ce n’est pas pour les amener à travailler plus. Car la bourgeoisie elle- même y croit. C’est elle qui, pour elle-même, place le travail au- dessus de tout. Et les premières générations bourgeoises (les capitaines d’industrie par exemple) sont faites d’hommes acharnés au travail, œuvrant plus que tous. On élabore cette morale non pour contraindre les autres, mais en tant que justification de ce que l’on fait soi-même. La bourgeoisie ne croyait plus aux valeurs religieuses et peu aux morales traditionnelles : elle remplace le tout par cette idéologie qui légitime à la fois ce qu’elle fait, la façon dont elle vit, et aussi le système lui-même qu’elle organise et met en place. Mais bien entendu, nous avons déjà dit que comme toute idéologie, celle-là sert aussi à voiler, cacher la condition du prolétariat (s’il travaille, ce n’est pas par contrainte mais par vertu). Or, ce qui est passionnant c’est de constater que cette idéologie produite par la bourgeoisie devient l’idéologie profondément crue et essentielle de la classe ouvrière et de ses penseurs. Comme la plupart des socialistes, Marx se fait piéger par cette idéologie. Lui qui a été si lucide pour critiquer la pensée bourgeoise, il entre en plein dans l’idéologie du travail. Les textes abondent : « L’Histoire n’est que la création de l’homme par le travail humain. Le travail a créé l’homme lui-même » (Engels).

Et voici de beaux textes de Marx lui-même :

« Dans ton usage de mon produit, je jouirai directement de la conscience d’avoir satisfait un besoin humain et objectivé l’essence de l’homme, d’avoir été pour toi le moyen terme entre toi et le genre humain, d’être donc connu et ressenti par toi comme un complément de ton propre être et une partie nécessaire de toi-même. Donc de me savoir confirmé aussi bien dans ta pensée que dans ton amour, d’avoir créé dans la manifestation individuelle de ma vie, la manifestation de ta vie, d’avoir donc confirmé et réalisé directement dans mon travail… l’essence humaine, mon essence sociale. »

K. Marx – Mans 1844.

« C’est en façonnant par son travail le monde des objets que l’homme se révèle réellement comme un être générique. Sa production, c’est sa vie générique créatrice. Par elle, la nature apparait comme son œuvre et sa réalité. C’est pourquoi l’objet du travail est l’objectivation de la vie générique de l’homme car il ne s’y dédouble pas idéalement dans la conscience, mais réellement, comme créateur. Il se contemple ainsi lui-même dans un monde qu’il a lui-même créé par son travail. »

K. Marx – Mans 1844.

Et l’une des attaques impitoyables de Marx contre le capitalisme portera justement sur ce point : le capitalisme a dégradé le travail humain, il en fait un avilissement, une aliénation. Le travail dans ce monde n’est plus le travail. (Il oubliait que c’était ce monde qui avait fabriqué cette image noble du travail !). Le capitalisme doit être condamné entre autres afin que le travail puisse retrouver sa noblesse et sa valeur. Marx attaquait d’ailleurs en même temps sur ce point les anarchistes, seuls à douter de l’idéologie du travail. Enfin : « Par essence le travail est la manifestation de la personnalité de l’homme. L’objet produit exprime l’individualité de l’homme, son prolongement objectif et tangible. C’est le moyen de subsistance direct, et la confirmation de son existence individuelle ». Ainsi Marx interprète tout grâce au travail, et sa célèbre démonstration que seul le travail est créateur de valeur repose sur cette idéologie bourgeoise (d’ailleurs c’étaient bien des économistes bourgeois qui, avant Marx, avaient fait du travail l’origine de la valeur…). Mais ce ne sont pas seulement les penseurs socialistes qui vont entrer dans cette optique, les ouvriers eux-mêmes, et les syndicats aussi. Pendant toute la fin du XIXème, on assiste à la progression du mot « Travailleurs ». Seuls les travailleurs sont justifiés et ont droit à être honorés, opposés aux Oisifs et aux Rentiers qui sont vils par nature. Et encore par Travailleur on n’entend que le travailleur manuel. Aux environs de 1900, il y aura de rudes débats dans les syndicats pour savoir si on peut accorder à des fonctionnaires, des intellectuels, des employés, le noble titre de travailleur. De même dans les syndicats on ne cesse de répéter entre 1880-1914 que le travail ennoblit l’homme, qu’un bon syndicaliste doit être un meilleur ouvrier que les autres ; on propage l’idéal du travail bien fait etc… Et finalement toujours dans les syndicats, on demande avant tout la justice dans la répartition des produits du travail, ou encore l’attribution du pouvoir aux travailleurs. Ainsi on peut dire que de façon très générale, syndicats et socialistes ont contribué à répandre cette idéologie du travail et à la fortifier, ce qui se comprend d’ailleurs très bien !

Jacques Ellul

Source : Le Partage, Jacques Ellul, 25-02-2016

Source: http://www.les-crises.fr/lideologie-du-travail-par-jacques-ellul/


La paix sur la Terre ? Pas avant que les États-Unis n’arrêtent de vendre des armes et de faire la guerre, par Dan Simpson

Monday 7 March 2016 at 00:01

Intéressant article d’un ancien ambassadeur américain en Afrique, Dan Simpson

Source : Pittsburgh Post-Gazette, 30-12- 2015

Par Dan Simpson / Pittsburgh Post-Gazette

En examinant les surenchères du gouvernement des États-Unis à la fin de l’année 2015, j’en viens à la conclusion que nous sommes une nation meurtrière, chez nous comme à l’étranger.

Le secteur de notre société qui profite le plus de cette attitude, encore une fois, chez nous et à l’étranger, est l’industrie de l’armement. Chez nous, elle vend des armes qui sont utilisées, pratiquement sans contrôle, pour décimer des groupes de personnes innocentes, y compris dans les églises et dans les écoles. Nos législateurs fédéraux et étatiques corrompus et sans scrupules manquent de courage et de cervelle pour y mettre un terme. Et cela ne concerne pas seulement la National Rifle Association ; il s’agit aussi des fabricants et des marchands d’armes qui financent la NRA afin qu’ils puissent exercer une influence à Washington et dans les capitales des États.

À l’étranger, nous sommes considérés comme des tueurs. D’autres pays ne peuvent que prier leur dieu ou leurs dieux pour que les États-Unis ne décident pas de leur faire subir leur volonté, que ce soit d’imposer une forme de gouvernement qu’ils devraient selon nous adopter ou d’invoquer une faute qu’ils auraient commise comme excuse pour déverser des bombes sur eux ou envoyer des drones pour tuer leurs dirigeants.

Qu’on le veuille ou non, c’est notre réputation. La plupart des étrangers que je rencontre pensent que nous sommes fous. Pratiquement tous pensent que nous sommes un danger pour la communauté internationale.

Certains de nos prétendus alliés prennent notre défense dans une tentative d’exercer une sorte de contrôle sur nos tendances homicides. Je mets les Britanniques dans cette catégorie.

Certains pays veulent juste garder leurs distances avec nous et, surtout, ne pas dépendre de nous pour quoi que ce soit. L’Inde en est un exemple. Le gouvernement américain et des vendeurs d’armes privés ont travaillé pendant des années pour faire de l’Inde un gros client pour les armes américaines. Au lieu de cela, l’Inde a choisi de sourire aux Américains, mais de continuer à acheter ses armes en Russie — la Russie dirigée par Vladimir V. Poutine le mal famé, par opposition à l’Amérique dirigée par l’adorable Barack H. Obama. Se pourrait-il que l’Inde soit consciente que les armes américaines sont toujours accompagnées de conseillers militaires américains pour former et soutenir leurs clients étrangers ?

Alors, où en sommes-nous, alors que 2015 tire à sa fin ?

Nous sommes en Afghanistan, où nous avons commencé en 2001 juste après les attentats du 11 septembre. Nous sommes en Irak, où le président George W. Bush nous a emmenés sur des postulats mensongers en 2003 pour se faire réélire comme un président de temps de guerre.

Nous avons perdu 2 332 soldats en Afghanistan au cours des 14 dernières années — six autres la semaine dernière — et 4 425 en Irak. Nous maintenons toujours des milliers de soldats dans chacun de ces pays, notre tribut pour avoir mis en place des gouvernements qui ne peuvent pas assurer leur pérennité. Les forces spéciales américaines ont seulement aidé les Irakiens à reprendre Ramadi, ville pour laquelle nous avons déjà combattu, cette fois des mains du groupe État islamique. La dernière fois, c’étaient les Sunnites qui se soulevaient là-bas. En Afghanistan, nous nous battons à nouveau pour conserver des lieux qui seraient autrement tombés entre les mains des Talibans et qui peuvent, en fait, tomber entre leurs mains malgré nos efforts.

Pourquoi faisons-nous cela ? Je pensais que l’argument de Ronald Reagan en 1986, à savoir que si nous ne combattions pas les communistes au Nicaragua, nous aurions à les combattre à Harlingen au Texas, était tout aussi moribond que les charlatans qui nous gouvernaient à cette époque. Est-ce que quelqu’un croit vraiment que si Ramadi en Irak ou Sangin en Afghanistan sont dans des mains « amies » cela fait une différence pour les Américains ? Rien que de poser la question revient à imaginer que le gouvernement Abadi en Irak ou le gouvernement Ghani en Afghanistan seraient des mains « amies », un phantasme de Washington à peu près aussi crédible qu’une publicité de campagne de Ted Cruz ou d’Hillary Clinton.

Je suppose que les efforts de M. Obama pour arriver au bout de son mandat sans voir l’Afghanistan ou l’Irak s’effondrer dans un chaos total, peuvent être mis sur le compte de quelque trouble obsessionnel compulsif ou d’une forme de loyauté de campagne électorale envers son ancienne adversaire démocrate, Hillary Clinton. Cela fait longtemps que nous aurions dû reconnaître que nous avons fait tout ce que nous pouvions en Afghanistan et en Irak, et ramener nos troupes au pays.

Qu’avons-nous fait d’autre ? Nous avons saccagé la Libye. Mouhammar Kadhafi était une vermine égocentrique, même s’il a fini par abandonner son programme nucléaire militaire. Mais ce qui a pris sa place, grâce, pour une bonne part, aux décisions du gouvernement de M. Obama, y compris Mme Clinton, ce sont deux gouvernements, chacun se revendiquant comme « national », et de nombreuses milices locales sans foi ni loi, parmi lesquelles il faut à présent compter l’État islamique. C’est également une migration incontrôlée vers l’Europe.

Pour soutenir l’Arabie Saoudite, notre alliée et notre principale acheteuse d’armes, nous avons aidé à la destruction du Yémen. Les Saoudiens l’ont bombardé jusqu’à le renvoyer à l’âge de pierre et je n’ai pas encore entendu quiconque à la Maison-Blanche ou au Pentagone affirmer qu’il n’y a pas de pilotes américains dans les cockpits saoudiens. Le Yémen était déjà le pays le plus pauvre du Moyen-Orient.

L’implication des États-Unis dans le conflit yéménite nous a également plongés au cœur du conflit interne à l’Islam entre Sunnites et Chiites. Nous n’avons aucune raison au monde de nous impliquer dans un conflit interne à l’Islam. La raison de notre implication réside dans les promesses de suivi faites par les fabricants d’armes américains après l’achat d’équipement par l’Arabie saoudite. Je ne pense pas que nous leur ayons vendu les épées qu’ils emploient pour couper les têtes des accusés.

Les États-Unis ont, de même, utilisé l’absence de gouvernement en Somalie et la vénalité du gouvernement de Djibouti afin d’établir un avant-poste militaire dans le pays. Dorénavant, il y a des milliers de soldats américains, des bombardiers de combat et une base de drones là-bas, sans aucune raison valable. Cela représente une intervention en Afrique inutile et alimentée par le Pentagone

Nous devrions ramener nos troupes à la maison. Tant que nous ne le ferons pas, il n’y aura aucune paix sur Terre. Ne soyons pas des assassins.

Dan Simpson, ancien ambassadeur des États-Unis, est un éditeur associé de Post-Gazette

Source : Pittsburgh Post-Gazette, le 30 décembre 2015.

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/dan-simpson-la-paix-sur-la-terre/


Revue de presse internationale du 07/03/2016

Monday 7 March 2016 at 00:00

Avec cette semaine en particulier une vision élargie sur la “crise” des réfugiés, les primaires américaines, les réalités économiques, bancaires et financières. Merci à nos contributeurs et bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-07032016/


[Vidéo] Natacha Polony : Police de la pensée, journalistes en laisse ?

Sunday 6 March 2016 at 04:26

5Source : Youtube, Thinkerview, 19-02-2016

natacha-polony-600

Interview de Natacha Polony : Trahison, chien de garde, luttes des classes, cercle de pouvoir, Bilderberg, Trilatérale, Comité Orwell, mouvement violent, propagande, Etat d’urgence, Patriot act, Police de la pensée, Politique étrangère, Terrorisme, mouvements migratoires, Guerre d’Irak, Libye, éclatement des nations, radicalisation, Snowden, ACRIMED, presse écrite, préconisations.

Source : Youtube, Thinkerview, 19-02-2016

Source: http://www.les-crises.fr/video-natacha-polony-police-de-la-pensee-journalistes-en-laisse/


Brexit ou pas Brexit ? Par Charles Gave

Sunday 6 March 2016 at 02:26

Source : Institut des libertés, Charles Gave, 22-02-2016

De temps en temps, j’ai l’impression diffuse mais certainement fausse que les hommes politiques prennent les électeurs pour des imbéciles. Nous venons d’en avoir une remarquable illustration à  l’occasion de la renégociation d’un statut privilégié pour la Grande Bretagne dans la Communauté Européenne.

Le premier Ministre, David Cameron, pour des raisons de politique intérieure liées à la montée d’un parti  anti-européen conduit par Nigel Farage a été obligé de promettre au peuple Britannique avant les dernières élections Britanniques un référendum sur le maintien ou non de la Grande-Bretagne dans la Communauté Européenne. Ce même premier ministre à ensuite fait savoir qu’il allait renégocier des conditions «spéciales» pour la GB et que s’il obtenait ce qu’il comptait demander aux autres pays comme « privilèges», il recommanderait au Peuple de voter pour le maintien du pays dans les structures européennes…On voit l’énormité de la ficelle.

Et à la suite de cet accord complètement inattendu monsieur Cameron peut donc recommander en son âme et conscience à chaque citoyen Britannique de voter pour le maintien de la Grande-Bretagne dans les structures Européennes.

C’est vraiment prendre les électeurs Britanniques pour des tanches.D’abord, les institutions Européennes n’ont JAMAIS respecté les souverainetés nationales puisqu’elles ont été créées pour les détruire. On se souvient du referendum sur la Constitution Européenne que la France et la Hollande ont rejeté pour se les voir imposer par un traité quelque temps après.

On se souvient aussi des Irlandais qui avaient voté non à l’Euro et qui furent invités à voter à nouveau jusqu’à ce qu’ils  acceptent l’Euro de guerre lasse, pour s’entendre dire ensuite qu’ils ne pourraient jamais plus en sortir.

On se souvient du vote des Grecs, immédiatement trahis par Tsipras dont on se demande combien il a touché pour trahir ses électeurs aussi rapidement.

Comme l’a dit fort clairement le ministre des finances Allemand « il n’y a pas de sortie démocratique des institutions européennes». On ne saurait être plus clair : c’est ce que disait Brejnev aux Tchèques ou aux Polonais en 1968, en mettant en avant sa théorie de la « souveraineté limitée ».

Et donc nous allons avoir un referendum le 23 Juin sur le maintien ou non de la Grande Bretagne en Europe. Et malgré le soutien du Premier Ministre Britannique, il est loin, très loin d’être gagné.

Voici pourquoi.

Le peuple Anglais en général et les Conservateurs en particulier sont extraordinairement attachés à la notion de démocratie qu’après tout, ils ont inventé au cours des siècles, depuis la  magna carta imposée à Jean sans Terre en passant par la glorieuse révolution de 1689 et jusqu’à la prise de contrôle par l’assemblée élue (les Communes) sur l’assemblée héréditaire (la Chambre des Lords) au XIX eme siècle.

Or l’Europe d’aujourd’hui n’a rien de démocratique. Il n’y a pas de séparation des pouvoirs puisque la Commission détient à la fois le Pouvoir législatif et exécutif alors qu’elle n’est élue par personne, n’étant composée que de politiciens de seconde zone ayant été battu aux élections dans leurs propres pays.

Le parlement Européen n’est pas maitre de son ordre du jour qui lui est imposé par la Commission et ne sert strictement à rien si ce n’est à entretenir grassement une multitude de médiocres que personne ne connait.

Quand à la cour Européenne de justice, il s’agit d’une parodie de Cour suprême peuplée de juristes dont un grand nombre avaient fait les grands jours des tribunaux communistes à l’époque où les pays qui les ont désigné à ces importantes fonctions étaient communistes. Confier le maintien de nos Libertés à  ces gens là, c’est confier la clé de sa cave à un sommelier alcoolique.

Et donc le choix pour le peuple Anglais va être extraordinairement simple : il ne s’agira pas de voter pour ou contre l’Europe, mais de voter pour ou contre la Démocratie, qui comme chacun le sait ne peut s’exercer dans chaque pays qu’en s’appuyant sur la Souveraineté Nationale exprimée au travers d’élections libres.

Dans le fond, il va falloir choisir entre Churchill et de Gaulle d’un coté et Jean Monnet et Draghi de l’autre. Car il va falloir choisir entre la Démocratie, dont on sait qu’elle est le pire de tous les régimes à   l’exclusion de tous les autres et la technocratie qui nous a amené dans cette espèce d’URSS molle dont tous les pays Européens crèvent.

La question va être donc: voulez-vous être gouvernés par des gens que vous n’avez pas élu, qui ne sont pas responsables devant vous, que vous ne pouvez pas virer en cas d’incompétence crasse ou de corruption patente ou voulez-vous être gouvernés par des gens que vous connaissez, que vous pouvez virer à intervalle régulier et qui vous représentent ?

Voulez-vous être jugés selon votre Droit (Common Law) qui a évolué lentement au travers des siècles en fonction de l’évolution de votre société ou voulez vous être jugés en fonction de codes sortis tout armé de la cervelle de politiciens fous comme en France  (voir notre code du travail ou notre code fiscal par exemple)?

Que l’on ne s’y trompe pas : si la prééminence du Droit Européen sur le Droit Britannique n’est pas annulée, les autorités européennes reprendront le contrôle de la Grande Bretagne inéluctablement quelques soient les « garanties » que monsieur Cameron auraient pu obtenir. Ces garanties ne valent pas le prix du chiffon de papier sur lesquelles elles ont été écrites.

Et le débat pour ce referendum va traverser les deux partis de gouvernement de part en part.

Chez les Conservateurs, au pouvoir actuellement, la grande question va être la liberté de vote pour le référendum, d’abord pour ceux qui sont à l’intérieur du gouvernement. Si Cameron demande la « loyauté » des membres de son gouvernement, on devrait avoir des démissions en chaine qui pourraient mettre en question son poste de premier ministre.  Qui plus est, il est hors de question qu’il puisse imposer sa volonté à ceux que l’on appelle les  back benchers , c’est-à-dire les députés de base qui ne sont en rien dépendants de lui pour leur réélection. Et cela d’autant plus que si le non venait à l’emporter, à mon avis, monsieur Cameron, désavoué, devrait démissionner pour être remplacé par un nouveau premier ministre, qui pourrait être soit Osborne, l’actuel ministre des finances, soit un personnage très original qui rappelle quelque peu Churchill, Boris Johnson, l’ancien maire de Londres qui vient de recommander de voter  le Brexit.

Chez les Travaillistes, le leader actuel du parti est un gauchiste invétéré, très à la gauche de Mélenchon chez nous et qui semble avoir peu de sympathies pour la camarilla atlantico-corrompue qui gère l’Europe depuis quarante ans, tandis que le petit peuple Anglais qui voit ce qui se passe à Calais, en Allemagne ou en Suède se dit que Nigel Farage n’a peut être eu qu’un tort, c’est d’avoir eu raison avant les autres, ce qui est plutôt considéré comme une qualité outre Manche…

Du coté du « oui » que trouve t’on ?

Intellectuellement, pas grand-chose si ce n’est les milieux dits « d’affaires » , c’est-à-dire les gens qui ne doivent leurs survies qu’aux contacts qu’ils ont su établir avec les structures de pouvoir Bruxelloises et ici je pense aux avocats d’affaires, aux auditeurs , aux comptables , aux lobbyistes, aux fiscalistes, en gros tous ceux qui ne créent rien mais rendent le travail des autres plus difficile.  Ces groupes essaient de faire naitre chez le peuple Anglais la PEUR, en leur expliquant que si le vote non l’emportait, leur niveau de vie baisserait sèchement. Ces gens là, fort bien représentés par le Financial Times, de façon générale, étaient tous partisans de l’Euro et avaient utilisé les mêmes arguments pour essayer de forcer la Grande-Bretagne  à rejoindre la monnaie commune. Par exemple, la City allait voir son influence s’écrouler puisque la Grande Bretagne n’étant pas dans l’Euro, le marché de l’Euro irait automatiquement s’installer à Francfort ou à Paris, ce qui serait très dommageable pour les institutions financières Britanniques. On sait ce qu’il en advint… ou encore que les autres pays Européens allaient devenir protectionnistes contre les produits Anglais, tout en passant sous silence le fait que la Grande Bretagne a un déficit extérieur monstrueux avec les autres pays d’Europe. Devenir protectionniste pour l’Allemagne ou la France, cela voudrait dire ne plus vendre de BMW ou de Peugeot. On voit qui y perdrait… Jamais n’est mentionné le fait que la Suisse ne bénéficie pas des conseils éclairés de messieurs Juncker or Draghi et qu’elle s’en porte plutôt bien.  En fait, ces gens la représentent ceux qui se précipitent à Davos chaque année et correspondraient chez nous à  messieurs Attali, Duhamel, Minc ou Bernard Henri-Levy dont chacun reconnait la remarquable capacité à ne faire que des erreurs et à se tromper tout le temps.

Et que peut faire l’Europe « Institutionnelle » ?

Son seul moyen d’action pendant la crise Grecque a été de menacer de façon fort peu subtile la Grèce de cesser de financer le gouvernement local, ce qui permit à la population de comprendre que la Souveraineté Grecque avait été vendue pour un plat de lentilles par des politiciens à la fois corrompus et incompétents. La Grande Bretagne ayant sa propre monnaie, voila quelque chose qui n’aura pas lieu. Oh certes, «ils» vont essayer de faire baisser la Livre Sterling et les marchés financiers locaux avant le vote, pour instiller la peur, mais cela me donnera une merveilleuse occasion d’achat…

Conclusion

Mon militaire de père disait que la Grande-Bretagne perdait la majorité des batailles mais gagnait toutes les guerres.  Car les seules guerres qui vaillent la peine sont celles qui sont menées au nom de la Liberté.

Une fois de plus, et fidèle à sa mission historique, la Grande Bretagne va défendre la Liberté contre la Tyrannie… Plutôt mourir qu’être esclave, même si l’esclavage est présenté au début comme étant doux. Etre libre disait Jean Paul II, c’est de pouvoir et de vouloir faire ce que l’on doit faire. En Europe, nous ne sommes plus libres et depuis longtemps.

Une fois la Grande Bretagne redevenue libre, chacun verra que l’empereur est nu, la nouvelle Union Soviétique s’écroulera comme la précédente, et ce sera une bonne, une très bonne nouvelle.

Le vote Anglais est donc la chose la plus importante pour l’Europe depuis le Traité de Rome en 1956. Comme le disait Churchill, sans lequel nous parlerions Allemand ou Russe, j’attends de chaque Anglais qu’il fasse son devoir.

Go England, Go !

Sauf quand la France joue contre l’Angleterre au Rugby, bien sûr.Il y a des limites à tout.

Source : Institut des libertés, Charles Gave, 22-02-2016

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Juste pour rire, la synthèse des recommandations de l’UE :

Source: http://www.les-crises.fr/brexit-ou-pas-brexit-par-charles-gave/


Il y a peut-être de l’eau sur Mars. Mais y a-t-il une forme de vie intelligente sur Terre ? (George Monbiot)

Sunday 6 March 2016 at 00:50

Source :  LEPARTAGE 4 OCTOBRE 2015

Traduction de l’article de George Monbiot, initialement publié (en anglais) le 29 septembre 2015 sur le site du Guardian.


Alors que nous nous émerveillons devant les découvertes de la NASA, nous détruisons nos irremplaçables ressources naturelles – afin d’acheter des bananes pré-épluchées et des smartphones pour chiens.

Des preuves de la présence d’eau liquide sur Mars : cela ouvre la perspective de la vie, de merveilles que nous pouvons à peine commencer à imaginer. Cette découverte est un accomplissement incroyable. Pendant ce temps-là, les scientifiques martiens continuent de chercher des traces de vie intelligente sur Terre. Nous sommes peut être captivés par la perspective d’organismes sur une autre planète, mais nous semblons avoir perdu tout intérêt pour la nôtre. Le dictionnaire Junior Oxford excise les repères du monde du vivant. Vipères, mûres, campanules, marrons, houx, pies, vairons, loutres, primevères, grives, belettes et roitelets, sont maintenant considérés comme du surplus.

Au cours des quatre dernières décennies, le monde a perdu 50% de sa faune sauvage vertébrée. Mais sur la dernière moitié de cette période, il y a eu un déclin massif de la couverture médiatique. En 2014, selon une étude de l’université de Cardiff, il y a eu autant d’émissions de la BBC et d’ITV sur Madeleine McCann (qui a disparu en 2007) qu’il n’y en a eu sur l’ensemble des problèmes environnementaux.

Imaginez ce qui changerait si nous accordions autant d’importance à l’eau terrestre qu’à la possibilité de présence d’eau sur Mars. La proportion d’eau douce sur la planète n’est que de 3 %, dont les 2/3 sont gelés. Et pourtant nous gaspillons la portion accessible. 60% de l’eau utilisée par l’agriculture est inutilement gaspillée par une irrigation inconsidérée. Les rivières, les lacs et les aquifères sont vidés, tandis que l’eau qui reste est bien souvent si contaminée [empoisonnée] que cela menace la vie de ceux qui la boivent. Au Royaume-Uni, la demande domestique est telle que nombre de tronçons supérieurs des rivières disparaissent durant l’été. Nous installons pourtant toujours de vieilles toilettes et douches qui coulent comme des chutes d’eau.

En ce qui concerne l’eau salée, comme celle qui nous passionne tant lorsque détectée sur Mars, sur Terre nous lui exprimons notre reconnaissance en la détruisant frénétiquement. Un nouveau rapportsuggère que le nombre de poissons a été divisé par deux depuis 1970. Le thon rouge du pacifique, qui autrefois peuplait les mers par millions, ne compte plus que 40 000 représentants, selon une estimation, et ces derniers sont encore pourchassés. Les récifs coralliens subissent une pression telle qu’ils pourraient avoir quasiment tous disparu d’ici 2050. Et dans nos propres profondeurs, notre soif de poissons exotiques saccage un monde que nous connaissons à peine mieux que la surface de la planète rouge. Les chalutiers de fond s’attaquent aujourd’hui aux profondeurs environnant les 2000 mètres. Nous ne pouvons qu’imaginer ce qu’ils vont détruire.

Quelques heures avant l’annonce de la découverte martienne, Shell a mis fin à sa prospection pétrolière dans la mer de Chukchi située dans l’Arctique. Pour les actionnaires de la compagnie, c’est une déconvenue mineure : la perte de 4 milliards de dollars ; pour ceux qui aiment la planète et la vie qu’elle abrite, c’est un coup de chance formidable. Cela n’a eu lieu que parce que la compagnie n’est pas parvenu à y trouver des réserves suffisamment importantes. Si Shell y était parvenu, cela aurait exposé un des endroits les plus vulnérables sur Terre aux déversements d’hydrocarbures, qui sont presque inéluctables dans les endroits où le confinement est presque impossible. Devons-nous laisser de tels problèmes au hasard ?

Au début du mois de Septembre, deux semaines après qu’il ait autorisé Shell à forer dans la mer de Chuckchi, Barack Obama s’est rendu en Alaska pour prévenir les Américains des conséquences dévastatrices du changement climatique, causé par la combustion des carburants fossiles, qui pourraient frapper l’Arctique. « Parler n’est pas suffisant », leur a-t-il dit. « Nous devons agir ». Nous devrions « accorder notre confiance à l’ingéniosité humaine qui peut y remédier ». A la NASA, qui a publié ces images incroyables, l’humain fait preuve d’une grande ingéniosité. Mais pas quand il s’agit de politique.

Laisser le marché décider: c’est ainsi que les gouvernements comptent résoudre la destruction planétaire. Faire reposer cela sur la conscience des consommateurs, tandis que cette conscience est formatée et embrouillée par la publicité et les mensonges corporatistes. Dans un quasi-néant d’informations, ils nous laissent décider ce que nous devrions prendre aux autres espèces et aux autres personnes, ce que nous devrions nous arroger à nous-mêmes, ou ce que nous devrions laisser aux générations futures. N’y a-t-il pas clairement des ressources et des endroits – comme l’Arctique et les profondeurs océaniques – dont l’exploitation devrait simplement cesser ?

Tous ces forages et excavations et chalutages et déversements et empoisonnements – à quoi cela sert-il, de toute façon ? Est-ce que cela enrichit, ou est-ce que cela entrave, l’expérience humaine ? Il y a quelques semaines, j’ai lancé le HashTag #civilisationextreme, en invitant les suggestions. Elles ont abondé. Voici simplement quelques exemples de produits que mes correspondants ont trouvés. Tous, à ma connaissance, sont véridiques.

Un plateau à œufs qui se synchronise avec votre téléphone pour que vous puissiez savoir combien d’œufs il vous reste. Un gadget pour les brouiller – à l’intérieur de leur coquille. Des perruques pour bébés, pour permettre aux « petites filles avec peu ou pas de cheveux d’avoir une coupe admirablement réaliste ». Le iPotty, qui permet aux tout-petits de continuer à jouer sur leurs iPads pendant qu’ils sont sur le pot. Un cabanon à 2500€ à l’épreuve des araignées. Un sauna polaire, en vente aux émirats arabes unis, dans lequel vous pouvez créer un paradis enneigé en appuyant sur un bouton. Une caisse réfrigérée roulante pour pastèque : indispensable pour les pique-niques – ou pas, étant donné qu’elle pèse plus que la pastèque. Une crème décolorante anale, pour… honnêtement, je ne veux pas savoir. Un « rotateur automatique de montre » qui vous évite la corvée de remonter le bijou luxueux qui se trouve à votre poignet. Un smartphone pour chien, avec lequel ils peuvent prendre des photos d’eux-mêmes [selfies]. Des bananes pré-épluchées, dans des barquettes en polystyrène couvertes de film alimentaire : vous n’avez qu’à éplucher l’emballage.

Chaque année, d’ingénieuses façons de gaspiller des choses sont conçues, et chaque année nous devenons plus insensibles au non-sens que représente cette consommation des précieuses ressources de la Terre. A chaque intensification subtile, le référentiel de la normalité change. Cela ne devrait pas être surprenant de constater que plus un pays devient riche, moins ses habitants se soucient de leur impact sur la planète vivante.

Notre aliénation des merveilles de ce monde, avec laquelle nous évoluons, n’a fait que s’intensifier depuis que David Bowie a décrit une fille trébuchant à travers un « rêve englouti », s’apprêtant à se faire « attraper par l’écran argenté », dont les nombreuses distractions la divertissent des grandes questions de la vie. La chanson en question était, bien évidemment, Life on Mars [La vie sur Mars].

George Monbiot


Traduction: Nicolas Casaux

Édition & Révision: Héléna Delaunay

Source :  LEPARTAGE 4 OCTOBRE 2015

Source: http://www.les-crises.fr/il-y-a-peut-etre-de-leau-sur-mars-mais-y-a-t-il-une-forme-de-vie-intelligente-sur-terre-george-monbiot/


Revue de presse du 06/03/2016

Sunday 6 March 2016 at 00:00

Cette semaine notamment les USA focalisés contre la Russie dans “Géopolitique”, un spécial Turquie/Erdogan sous le thème “Vue D’ailleurs”, ou encore quel pays suivra après le Brexit ? dans “Europe”. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-06032016/


[Vidéo] Nicolas Lambert, à propos de la pièce “Maniement des Larmes”

Saturday 5 March 2016 at 03:58

Source : Youtube, Cercle des Volontaires, 19-12-2015

Nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Nicolas Lambert au sujet du “Maniement des Larmes”, troisième volet d’une série de pièces consacrées à ce qu’il considère comme les principaux rouages de l’a-démocratie, ou, autrement dit, les mécanismes les moins démocratiques de notre machinerie politique nationale.

Le premier volet, “Elf, la pompe Afrique (Bleu)”, interrogeait notre dépendance énergétique au pétrole dans son rapport à la corruption politique et à la diplomatie parallèle des multinationales, en reprenant intelligemment des extraits réels du procès de l’affaire Elf, pour les recontextualiser afin de donner une somme cohérente permettant d’en faire comprendre les enjeux complexes au spectateur.

Dans le même esprit, le second volet, “Avenir Radieux, une fission française (Blanc)”, interroge le rapport de la France à exploitation de l’énergie nucléaire, en évoquant les conséquences de cette exploitation du point de vue de la géopolitique à l’extérieur (la pièce revient notamment sur la la responsabilité de la France dans l’obtention de la bombe israélienne), et des manquements aux principes élémentaires de la démocratie à l’intérieur.

Enfin, le troisième volet à propos duquel nous nous entretenons relate les (més)aventures du cénacle politique français dans son rapport au trafic d’armes. Encore une fois, Nicolas Lambert et la troupe “Un pas de côté” réussissent l’exploit de fournir un spectacle aussi prenant qu’un thriller, tout en se tenant à leur exigence de ne composer qu’à partir de paroles réellement prononcées par les protagonistes.

L’aventure de cette saga “bleu-blanc-rouge” ouvre la voie à un théâtre documentaire efficace, parvenant à casser les codes ronflants imposés au fil des décennies par l’élite petite bourgeoisie à la forme théâtrale. On peut lire à cet égard sur le site de la compagnie “un pas de côté” cette citation de Jacques Livchine, l’un des pères du théâtre de rue en France, tirée d’une chronique écrite pour l’excellente revue Cassandre/ Hors champ: “Mais moi, je n’aime pas ces temples de la bourgeoisie intellectuelle, j’aime la virginité ans l’Art”.

Et cette expérience esthétique et politique arpente en effet des territoires trop longtemps laissés vierges par le théâtre. “Le Maniement des Larmes” vous guidera de manière fluide dans les dédales menant des attentats de Karachi aux relations de la France avec le Qatar, en passant par l’affaire Kadhafi et les conséquences de la guerre en Libye. N. Lambert y incarne tour à tour à lui tout seul, avec une délectation communicative: Ziad Takieddine, Nicolas Sarkozy, Edouard Balladur, Brice Hortefeux, Thierry Gaubert ou encore Jean-Jacques Bourdin.

L’occasion pour nous d’évoquer avec lui les différents sujets traités par ses spectacles, mais aussi son projet (pour l’heure embryonnaire) d’une pièce à venir sur l’OTAN, de parler de l’état actuel de la démocratie, du théâtre des opérations militaires engageant actuellement la France dans le Monde, de l’état actuel de la défense, de la culture et de l’éducation dans notre pays, ainsi que de la nécessité de lier plus que jamais théâtre et politique au sein du décor d’opérette imposé par l’état d’urgence à la démocratie française.

Galil Agar

Le Maniement des Larmes, jusqu’au 20 décembre au Théâtre du Grand Parquet, 35 rue d’Aubervilliers, M° Stalingrad, 75018, Paris.

Source : Youtube, Cercle des Volontaires, 19-12-2015

lambert

Source: http://www.les-crises.fr/video-nicolas-lambert-a-propos-de-la-piece-maniement-des-larmes/


Frédéric Lordon chez Médiapart

Saturday 5 March 2016 at 02:24

Merci à Médiapart pour ce moment de belle qualité intellectuelle

“Pour une autre Europe, faut il-sortir de l’euro ? [sic.]

Crise grecque, élections le 20 septembre à Athènes, en novembre en Espagne, le débat sur la sortie de l’euro, sa possibilité, ses conditions, l’élaboration d’un « Plan B », la démocratisation des instances européennes : c’est l’ordre du jour principal de cette rentrée.”

P.S. Vous noterez à la fin, après 1 heure de questions pro-européistes, comment le journaliste rigole quand Lordon met en avant la dégradation du sentiment de paix entre les peuples. Certes, Lordon le dit avec une pointe d’humour, mais moi ça m’a glacé, car on sait ou mène ce genre de sentiments, surtout qu’on n’en est encore qu’à un tout petit début…

Source: http://www.les-crises.fr/frederic-lordon-chez-mediapart/


Yanis Varoufakis : « Que voulons-nous faire de l’Europe ? »

Saturday 5 March 2016 at 01:43

Un article de l’été dernier, mais qui est intéressant pour comprendre ce qu’il y a dans la tête de Yanis Varoufakis au niveau bancaire & monétaire – et ce n’est pas triste…

Source : Ballast, le 1er septembre 2015.

Entretien pour le site de Ballast
À la suite de la dramatique séquence politique qui s’est déroulée ces derniers mois en Grèce et qui a mené à la signature d’un nouveau mémorandum, le Premier ministre Alexis Tsipras a décidé, n’ayant pas respecté son mandat populaire, de présenter sa démission et de convoquer de nouvelles élections. L’aile gauche de Syriza s’est désolidarisée pour créer un nouveau parti, Unité Populaire, ouvertement positionné en faveur de la sortie de la zone euro. S’étant refusé à céder aux institutions européennes et à cautionner un assouplissement de la ligne grecque, Yanis Varoufakis avait, pour sa part, renoncé à ses fonctions de ministre des Finances le soir du référendum du 5 juillet. L’homme qui a vécu durant des mois de négociations acharnées la violence de l’eurogroupe et de la Troïka est alors progressivement devenu un symbole : celui du « non » face aux exigences des créanciers. Nous nous étions donnés rendez-vous lors de son récent séjour en France, au cours duquel, invité par Arnaud Montebourg, il participa à la Fête de la Rose de Frangy-en-Bresse. Un rapprochement étonnant, a-t-on parfois dit. Pas tant que cela, à écouter en détail la position de l’ex-ministre grec… Un entretien fleuve mené au coin du feu, par une journée de pluie battante : de ses stratégies avortées à son désormais fameux « plan B », en passant par son rapport oblique au marxisme et ses craintes comme ses espoirs pour l’Europe.


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L’amputation récente — et sérieuse — de la souveraineté de la Grèce nous a montré ce qu’il en était réellement de la démocratie dans l’Union européenne. La possible signature du TAFTA risque d’accélérer encore ce processus. Le gouvernement grec avait annoncé, il y a quelques mois, qu’il ne signerait pas ce traité. La convocation de nouvelles élections risque de changer la donne à ce propos. Qu’en sera-t-il si la gauche radicale arrive au pouvoir ?

Je trouve très difficile de croire qu’Unité populaire va parvenir au gouvernement. Restons plutôt réalistes. C’est une question très compliquée pour moi : si vous me l’aviez posée il y a un mois, j’aurais dit que jamais, en aucun cas, le gouvernement Syriza n’appuierait le TAFTA. Mais voilà, j’ai dit cela au sujet d’un bon nombre de lois et de textes que je n’aurais jamais imaginé voir portés par une majorité Syriza. Alors j’espère que le gouvernement grec rejettera le TAFTA. Mais je crains que si l’actuelle tendance aux volte-face persiste (sur le fondement du sempiternel « il n’y a pas d’alternative », cet abominable principe TINA — « There Is No Alternative »), nous puissions assister à un vote en faveur du TAFTA. En ce qui me concerne, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que cela n’arrive pas.

Vous avez participé à l’action de Wikileaks visant à faire fuiter le texte du TAFTA. N’est-il pas absurde qu’un ministre de l’Économie d’un pays de l’Union européenne, un député élu, et plus largement les citoyens européens eux-mêmes, n’aient pas accès à ce genre de document ?

Je ne pouvais même pas accéder aux documents au sein de mon propre ministère ! Nous avons atteint un stade, en Europe, où le processus de dépolitisation, entamé il y a quelque temps, en est arrivé au point où le pouvoir politique, incarné par des élus démocratiquement choisis, est complètement obsolète : il a été rendu muet, neutralisé ; nos vies sont maintenant dirigées par des technocrates sans visage, non élus, qui opèrent d’abord en fonction de leur propre intérêt — en visant le maintien de leur propre pouvoir —, puis de façon à renforcer les intérêts corporatistes des grandes entreprises, qui sont avides de voir cette dépolitisation progresser plus encore. Finalement, il n’y a rien d’étrange là-dedans. Tout ceci est cohérent.

Étant donné, d’une part, la nature économique et libérale des traités sur lesquels l’Union européenne s’est construite et, d’autre part, la nécessité d’obtenir l’accord unanime des États-membres pour pouvoir modifier un traité, et, enfin, l’état actuel des rapports de force, pensez-vous qu’une réforme profonde de l’Union soit possible, ou que la récupération de leur souveraineté par les peuples ne peut passer que par une sortie de celle-ci ?

Bonne question ! Je ne crois pas que la sortie représente une voie optimale pour les progressistes. La sortie pourrait être envisagée en tout dernier ressort. Mais si vous êtes poussé dans une impasse, comme nous l’avons été, quand on vous dit « La bourse ou la vie », « L’accord (non-viable) ou dehors », ma tentation serait de dire : « Je ne sors pas, poussez-moi dehors ! » Et alors, s’ils sont prêts à faire cela, sachant qu’il n’y a aucune base légale qui le prévoit, aucun cadre juridique pour pousser un État vers la sortie, on aura démontré que c’était une menace vide de sens. Mais dès lors que l’on commence à croire à la menace, elle n’est plus vide, elle est auto-réalisatrice. Décrire, comme vous l’avez fait, la manière dont fonctionne l’Union européenne, avec l’unanimité, etc., c’est décrire une organisation foncièrement conservatrice. En économie, pour ceux qui l’ont un peu pratiquée, c’est ce que l’on appellerait une sorte de principe de Pareto. Ce principe, ou optimum, dit que toute nouvelle mesure qui améliore la situation d’au moins un acteur, sans pour autant dégrader celle d’un autre, est bonne à prendre. Et ça paraît assez décent et logique, n’est-ce pas ? Si nous pouvons faire quelque chose et améliorer la vie des uns sans dégrader celle des autres, pourquoi ne pas le faire ? Pourtant, si vous n’agissez que selon ce principe de Pareto, vous découvrez qu’il est extrêmement conservateur, parce qu’il y a le revers de la médaille : si vous ne voulez rien faire qui dégrade la situation d’un seul acteur, alors en pratique vous ne faites… rien ! Parce qu’il y aura toujours quelqu’un qui sera dérangé, il y aura toujours des gens dont les intérêts seront remis en cause par les avancées progressistes. Alors oui, l’Europe a été construite volontairement sur la base d’un principe de Pareto conservateur, avec des décisions prises en réalité par un ou deux. Ce que ces gens décident est adopté, et quand nous voulons changer quelque chose pour le bénéfice d’une vaste majorité, on nous oppose ce principe de Pareto, et nous sommes ligotés. C’est pour cela qu’il est indispensable de pousser dans la direction d’une décentralisation qui doit aller de pair avec l’européanisation. Cela paraît un peu… complexe, mais j’aime les contradictions — car ce n’est qu’à travers elles qu’on peut avancer. Mais il faut qu’il s’agisse de contradictions rationnelles, progressistes.

Le problème, aujourd’hui, c’est que le Parlement grec, l’Assemblée nationale française, le Parlement néerlandais, etc., n’ont aucun pouvoir — zéro pouvoir ! —, ils n’ont plus qu’une portée cosmétique ! Et il n’existe aucun pouvoir fédéral qui pourrait prendre les rênes et représenter une souveraineté européenne. La crise est si profonde que l’on ne peut même plus imaginer un véritable parlement fédéral. Ce serait bien si on le pouvait, mais on ne le peut pas, parce que la crise a créé des forces centrifuges qui nous poussent dans des directions différentes. C’est pourquoi je crois à l’européanisation de certains domaines : de la dette, par exemple, via la création d’une juridiction européenne sur les banques — qui ne soit pas française, pas allemande : européenne. Et on ne pourra pas le faire d’un coup : c’est tout simplement impossible. Mais on peut dire : « Voilà une règle simple : chaque banque qui fait faillite passe sous juridiction européenne, sort du système grec, français ou espagnol, est contrôlée directement par l’Europe. » On irait doucement vers l’européanisation. En même temps, on aurait une européanisation des programmes de lutte contre la pauvreté, qui seraient financés par les surplus de la Banque centrale. Si on va dans cette direction, si on européanise aussi les investissements à travers la Banque européenne d’investissement (oublions un instant Bruxelles, Juncker, etc.), alors on se retrouve dans une situation où les sujets cruciaux (dettes, banques, investissements, pauvreté) sont traités au niveau de l’Europe, avec des parlements qui retrouvent là une part de souveraineté. Ceux-ci pourraient faire bien plus de choses. Il n’y aurait plus besoin de la Troïka. Pourquoi la Troïka, en Grèce, au Portugal ? À cause de la dette. Si celle-ci est au moins en partie européanisée, plus besoin de Troïka. C’est pour moi le chemin à suivre si l’on veut rétablir un agenda progressiste.

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Photo de Stéphane Burlot, pour Ballast.

Certains économistes français, dont Jacques Sapir et Frédéric Lordon, proposent de dissoudre l’Union, de mettre en place un protectionnisme économique éthique tout en développant les conventions internationales d’échange et de libre circulation des connaissances, de la culture, des étudiants, etc, plutôt que de se forcer à poursuivre sur une voie qui crée des tensions majeures entre les gouvernements, et généralise toutes les terribles conséquences économiques et sociales du capitalisme. Qu’en pensez-vous ?

Je n’y suis pas favorable. Je ne le suis pas parce que beaucoup des mots que vous avez prononcés sonnent bien, mais, en même temps, ils dissimulent un élément de nationalisme, un élément de fragmentation de l’Europe. Nous observons déjà cette fragmentation : voulons-nous son accélération ? Si l’on était en 1993 ou 98, je vous aurais dit : « Non, il ne faut pas accepter Maastricht, vous savez bien qu’il ne faut pas une eurozone, qu’il faut limiter la liberté de circulation du capital, qu’il faut négocier autre chose. » Mais une fois que vous avez créé une union monétaire, vous ne pouvez plus revenir en arrière en empruntant le même chemin à l’envers, car ce chemin n’existe plus, le chemin qui nous a menés là a disparu.

Vous notez le pur sophisme ? Et c’est intéressant : il ne fallait surtout pas le faire, mais bon, on va continuer pour des siècles et des siècles…

Retourner en arrière, c’est aller vers la dévaluation compétitive, risquer l’augmentation des tensions nationalistes, une fragmentation encore plus poussée de l’Europe.

Alors que là, on va vers plus d’amour tous les jours – vivement même qu’on cesse de faire des dettes et qu’on paye la solidarité “cash”, ça devrait encore améliorer l’amour.

Et, à la fin, compte tenu de l’état de l’économie mondialisée, tout cela va alimenter une crise globale qui va venir à son tour aggraver la crise européenne. Donc, non, je ne suis pas favorable à ces politiques : je crois que nous devons surtout réparer ce que nous avons.

Mais qu’est-ce que l’euro peut bien avoir encore à apporter à un pays comme la Grèce, qui a terriblement souffert des conditions qui accompagnent le fait de rester dans l’Union monétaire ?

D’abord, ne fétichisons pas la monnaie. Je ne vois pas l’euro comme un fétiche, pas plus que la drachme ou le franc… Ce sont des instruments. Le problème avec les néolibéraux, c’est que, contrairement aux anciens libéraux classiques, ils ont élevé les marchés au rang de Dieu, ils ont cessé de les voir comme des instruments et les regardent comme des objectifs en soi. Ne faisons pas la même chose avec les monnaies ! J’ai des amis et collègues de Syriza, maintenant membres d’Unité populaire, qui en parlent comme si le retour à la drachme était la solution, Dieu, le nouveau sauveur qui nous ramènerait en Terre promise ! Je leur ai dit : « Vous savez quoi, nous avions la drachme en 1999 et nous n’étions pas exactement socialistes pour autant… »

C’est tout à fait vrai. La différence c’est, qu’au moins en théorie, cela aurait été possible. Là c’est désormais interdit. RIP.

La question n’est pas de savoir si nous voulons l’euro, la drachme ou le franc. Encore une fois, ce ne sont que des instruments. La question est : que voulons-nous faire de l’Europe ? Et quel est l’instrument le mieux adapté pour cela ? J’aurais souhaité que nous n’ayons pas l’euro, mais nous l’avons maintenant. Alors, il faut nous demander : quelle est la prochaine étape pour améliorer la vie de ceux qui souffrent le plus ? C’est ça, la question. Et ce que j’ai déjà expliqué, l’européanisation de certains domaines de compétences comme les investissements, la lutte contre la pauvreté, etc., cela est infiniment mieux que n’importe quoi d’autre, y compris la sortie de l’Union. Maintenant, il nous faut combattre pour ces objectifs au sein de la zone euro. Et il nous faut dire à l’Eurogroupe : « Je ne signe pas cet accord, même si vous fermez mes banques. Et je suis prêt à créer un système alternatif de paiement… en euros ! Continuez comme cela et vous serez jugés par vos propres peuples. »

Rôôôôô, c’est sûr qu’ils vont tous avoir trèèès peur…

Si seulement on avait tenu ce discours après le référendum…

Rôôôô si seulement, oui… Et le fait que ça n’arrive jamais n’éveille rien en lui… ?

D’autant qu’il était clair, pour les Français, pour les Allemands, pour les Néerlandais, qu’il s’agissait d’une attitude de revanche pour discipliner la Grèce, qu’on nous forçait à garder les banques fermées simplement pour mettre en échec une population courageuse. Je crois que l’Europe aurait pu en être changée si nous avions résisté à ce moment-là. Que c’est la voie du combat à poursuivre. Quand on dit : « Je veux la drachme parce que le paradis nous attend là où elle est », je crois qu’on ne rend service ni à nous-mêmes, ni aux Français, ni aux Allemands, ni à personne. On ne devrait pas être effrayé de faire défaut… dans la zone euro. Le défaut est la seule arme des faibles !

Que pensez-vous de l’idée de mettre fin à la monnaie unique, de retourner aux monnaies nationales, mais d’instaurer une monnaie commune aux pays qui le souhaiteraient, afin à la fois d’assurer la souveraineté monétaire des peuples, mais aussi de limiter au maximum la spéculation sur les taux de change et de favoriser les échanges commerciaux ?

Si l’union monétaire fonctionnait, on n’aurait pas besoin d’autres devises. En Amérique, ils n’en ont pas besoin. Ils en ont eu pendant un moment, en Californie, mais cela n’a pas marché parce que la Californie était en faillite. Mais ils ont trouvé un moyen de remédier à ça, parce que les États-Unis constituent une vraie fédération.

1 seul peuple sans histoire, qui a dû passer par une guerre civile pour y arriver ; vraie fédération qui, en plus, amène tous les jours plus de paix sur la Terre hein…

Donc, si nous avions le moindre sens commun, si l’Europe n’était pas le stupide continent qu’elle joue à être, nous irions vers cela, vers une vraie fédération, parce que le monde entier a le regard tourné dans notre direction — les Chinois, les Indiens, les Américains…

Mais pourquoi ne citent-il jamais des exemples qui correspondent à notre réalité , Genre l’Empire Austro-Hongrois ou la Yougoslavie ?

Tous se disent : « Mais que fabriquent-ils ? Ils ont une Banque centrale qui imprime 1,4 milliards d’euros et qui demande en même temps à la petite Grèce d’emprunter aux citoyens européens pour lui donner de l’argent ?! » Qui irait imaginer une chose pareille ? Il y a dix ans, vingt ans, si on m’avait dit que cela arriverait en Europe, j’aurais éclaté de rire ; j’aurais dit « Jamais, ce n’est pas possible. » Nous sommes devenus ce stupide continent, et nous avons un euro très mal adapté à nos besoins. En attendant de le rendre viable, peut-être aurons-nous besoin de devises parallèles. Peut-être avons-nous besoin, d’ailleurs, non pas tant de devises que d’un système de paiement parallèle, d’une sorte de version locale de liquidité, libellée en euros. Je pense que nous en aurons besoin. Et j’ai publié récemment, dans le Financial Times, un article[1] dans lequel j’explique ce qui se passerait dans ce cas, ce qui se passerait en France. Rendre quelques degrés de liberté aux gouvernements nationaux sans sortir de l’euro ni même créer d’autres devises, créer plutôt un système parallèle de paiement utilisant l’euro comme unité de compte — c’est possible. Pour moi, c’est ce qu’il faut faire, dans le même temps que l’on essaie de créer une coalition européenne pour réparer les dégâts politiques et économiques, et notre monnaie elle-même.

Mais laissez-moi aussi faire un constat provocateur — je pense qu’il est vrai, et c’est pourquoi je le fais : je ne le fais pas dans le but de provoquer, mais il est provocateur, parce que les gens penseront qu’il l’est. La Grèce a déjà deux monnaies en une. Nous avons de fait deux devises. Un exemple : imaginez que vous êtes grec et que vous avez 400 000 euros à la banque, coincés là à cause du contrôle des capitaux ; vous ne pouvez sortir que 60 euros par jour du distributeur. Maintenant, imaginez que je suis votre voisin, et que j’aie aussi 400 000 euros — c’est une fiction, je ne les ai malheureusement pas (rires). Imaginez que je les ais, en papier-monnaie sous mon matelas. Ce ne sont plus les mêmes devises ! Votre argent est retenu en otage dans le système bancaire, alors que le mien est libre de circuler ! Disons que vous avez subitement un besoin désespéré de partir en Amérique avec 100 000 euros. Vous venez me voir et vous me dites : « Voisin, camarade, peux-tu me donner 100 000 euros ? Je te ferai un virement de 100 000 euros, donne-les moi en cash… » Si nous ne sommes pas amis, je répondrai : « Attends une minute, je ne peux pas ! Ils n’ont pas la même valeur ! » Et je vous demanderai 120 ou 220 000 euros, pour compenser le fait que votre argent n’est pas libre de circuler alors que le mien l’est. Donc il y a, en pratique, un taux de change. Nous avons la monnaie bancaire et la monnaie papier, deux devises qui n’ont déjà plus la même valeur ! Et c’est l’échec de l’union monétaire qui fait que nous avons déjà ces devises parallèles, toutes deux libellées en euros pourtant. Ceci est arrivé par accident, ce n’était pas prévu… Mais en réalité nous pourrions aussi créer volontairement notre propre système de paiement parallèle, c’est ce que j’ai expliqué au Financial Times.

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Photo de Stéphane Burlot, pour Ballast.

Techniquement, pourriez-vous résumer votre « Plan B » en quelques mots, pour le commun des mortels ? Est-il transposable à d’autres économies européennes ?

En réalité, il faut parler de « Plan X », parce que la Banque centrale européenne avait son propre plan, le « Plan Z », et nous avons appelé le nôtre « Plan X ». C’était un plan défensif, au cas où on essaierait de nous pousser en dehors de l’euro, comme de très nombreux officiels haut placés nous disaient que cela allait arriver. Ils pouvaient le faire. Comment réagir ? Nous l’avons développé comme un plan de riposte alternatif, comme le ferait un ministre de la Défense se préparant contre une invasion. Mais le « Plan X », en cas de sortie, était indépendant du système de paiement parallèle que je mentionnais auparavant : celui-ci est quelque chose que nous aurions dû mettre en place dans tous les cas — un système que même les Français devraient mettre en place. L’idée de ce système parallèle est très simple. Chacun dispose d’un numéro fiscal. Quand vous devez payer vos impôts, vous allez à la banque ou sur le site des Impôts et vous faites un transfert bancaire. Vous prenez l’argent de votre compte et l’utilisez pour payer votre impôt sur le revenu, la TVA, votre plaque d’immatriculation ou autre : tout ce que vous devez à l’État. Maintenant, imaginez que sur le site Internet des Impôts, vous disposiez d’un compte, une sorte de compte courant relié à votre numéro fiscal. En cas de problème de liquidité, l’État ne parvient plus à payer ses factures aux entreprises (les retours sur TVA, les marchés publics, ce qu’il doit à l’hôpital, etc.). En Grèce, les créanciers de l’État mettent du temps à recouvrer leur argent ! Mais imaginez que cela fonctionne autrement. Je suis un ministre, vous êtes une compagnie pharmaceutique et je vous dois 1 million d’euros. Si vous attendez de le recevoir en liquidité sur votre compte à bancaire, cela peut durer un moment, peut-être une année. Mais je pourrais aussi vous dire : « Écoutez, je vais verser 1 million sur votre compte fiscal, et je vais vous donner un code, qui vous permettra de transférer cet argent sur un autre compte fiscal — pas sur un compte bancaire. » Voici de l’argent qui ne rentrera pas dans le système bancaire, ce n’est pas la monnaie de la banque centrale, mais vous pouvez l’utiliser pour payer vos impôts ! Ou, si vous devez de l’argent à quelqu’un, à un salarié, à un fournisseur, vous pouvez le transférer sur son compte fiscal et il pourra l’utiliser à son tour pour payer ses impôts. Cela recrée de la liquidité. Vous pouvez même aller un peu plus loin. Vous pouvez développer des applications par smartphone. Vous pouvez alors vous rendre dans les commerces qui doivent eux-mêmes payer des impôts, et proposer de payer de cette manière ! Il y a déjà des magasins qui essaient de proposer ce type d’échange, en utilisant Apple Pay ou Google Wallet, et nous pourrions créer notre propre application gouvernementale et faire l’expérience ! Voilà un système de paiement parallèle, hors du système bancaire, qui recrée des degrés de liberté, des marges de manœuvre.

« Je crois à la technologie, je crois qu’elle peut transformer l’Europe en un meilleur espace — en renforçant la démocratie. »

C’est une façon d’externaliser la dette gouvernementale. Allons encore un peu plus loin : l’État ne vous doit rien, votre compte lié à votre numéro fiscal est un pur concept, mais vide de ressources. Et là, vous mettez de l’argent dessus… pour faire crédit à l’État ! Et pourquoi feriez-vous une chose pareille ? Parce que l’État vous fait une ristourne sur votre impôt. Par exemple, au lieu de mettre 1 000 euros à la banque, vous les placez sur votre compte fiscal, vous les avancez à l’État. Vous avez là de l’argent digital, déposé à une date donnée. Et nous passons un accord, selon lequel si vous utilisez cet argent pour payer vos impôts dans un an, l’État applique une décote de 10 % sur ces impôts ! Quelle banque serait capable de vous verser 10 % d’intérêts ? Aucune ! Si vous savez déjà que vous devrez payer 1 000 euros l’année suivante, vous avez intérêt à suivre ce système, et l’État développe une nouvelle capacité d’emprunt, en dehors des marchés, et finance ainsi  une partie de sa dette ! Imaginez maintenant qu’on fasse cela à l’échelle de l’eurozone. Il y aurait non seulement la Banque centrale, les banques privées mais encore ce système de paiement parallèle, politiquement et démocratiquement contrôlé. Vous réintroduisez quelques degrés de liberté dans le système. Si nous avions eu cela au cours des derniers mois — et j’ai tenté de le créer —, nous aurions eu bien plus de marge de manœuvre. Encore plus loin. Si nous prenions exemple sur l’Estonie, nous nous débarrasserions quasiment de la monnaie-papier : tout le monde aurait recours à de la monnaie électronique. Et nous utiliserions soit le système parallèle, soit les cartes bancaires classiques, soit les applications électroniques : l’eurogroupe ne pourrait plus faire jouer son chantage parce qu’il ne pourrait plus fermer les banques ! Et même s’il le faisait, que se passerait-il ? Tout le monde continuerait à payer tout le monde, en utilisant de la monnaie électronique. La seule chose que nous ne pourrions pas faire, ce sont les échanges entre pays — je ne pourrais pas venir de Grèce en France et dépenser cet argent dans les magasins, parce que la Banque centrale ne le reconnaîtrait pas. Mais les pays survivraient sans cela, et le pouvoir de chantage des technocrates non élus serait significativement réduit. Je crois à la technologie, je crois qu’elle peut transformer l’Europe en un meilleur espace — en renforçant la démocratie.

Non, mais, il délire là..

La BCE lui pique ses banques, et lui il se dit “Trop simple, créons vite fait un espèce de système Paypal officiel pour le pays”.

Sérieusement ?

Alors que n’importe qui dirait “Ben, comme je suis le gouvernement, je vais récupérer mes banques, point final !”

Soumission librement consentie.

Suite à lire sur Ballast (1er septembre 2015).

 

Source: http://www.les-crises.fr/yanis-varoufakis-que-voulons-nous-faire-de-leurope/