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L’euro : une proposition indécente, par Yanis Varoufakis [2014]

Thursday 6 August 2015 at 01:19

Un billet de 2014, très intéressant…
Le 26/12/2014 par Yanis Varoufakis (The euro’s first inkling – a pièces in lieu of Best Wishes for 2015)

Aux origines de la monnaie commune européenne : les différends entre la France et l’Allemagne sur fond d’hégémonie américaine

En cette nouvelle année, alors que 2015 sera vraisemblablement emplie de défis pour l’Europe, pour l’euro et tous ceux qui doivent vivre avec, Yanis Varoufakis nous offre un extrait fort à propos de son prochain livre, qui fait suite au Minotaure planétaire. En voici un fragment qui relate la première fois où l’euro fut proposé aux plus hauts échelons du pouvoir politique européen.

 

Une proposition indécente

 

Kurt Schmücker était un homme peu habitué aux émotions fortes. Mais en ce matin du 23 mars 1964, il eut du mal à en croire ses oreilles et parvint avec beaucoup de difficultés à contenir son étonnement.

En tant que ministre allemand de l’Economie,[1] Herr Schmücker rencontrait régulièrement son homologue français, Valéry Giscard d’Estaing, le ministre des Finances du Président Charles de Gaulle, qui deviendrait lui-même, dix ans plus tard, Président de la République française. Donc, lorsque Giscard se rendit au bureau de Schmücker, à Bonn, pour une discussion de deux heures, le ministre allemand était parfaitement détendu, anticipant une autre de ces réunions anodines, dont le véritable objectif, à l’instar de tous les raouts précédents, était d’afficher l’unité européenne entre les deux ennemis d’autrefois endossant la lourde responsabilité de construire une Union Européenne dans les premières étapes de son développement.[2]

Normalement, Schmücker et Giscard échangeaient d’aimables points de vue sur la manière dont chacun percevait la politique économique de l’autre, comment les deux pays s’accommodaient des mouvements monétaires transfrontaliers, les taux d’intérêt et les balances commerciales, leurs dispositions à l’égard de la fiscalité des entreprises et, bien sûr, les efforts qu’ils déployaient conjointement pour cimenter une Union Européenne qui en était encore à ses premiers balbutiements. Ils se racontaient occasionnellement leurs infortunes vis-à-vis de leurs banquiers centraux, la Bundesbank et la Banque de France, et les relations tendues qu’ils entretenaient avec eux. Autrement dit, rien n’aurait pu préparer Herr Schmücker à ce qu’il allait entendre. Mais, ce matin-là, une fois passées les mondanités du protocole, Giscard sortit une proposition choquante : La France et l’Allemagne devraient créer une monnaie commune, invitant les quatre autres membres de l’Union Européenne à s’y joindre lorsqu’ils y seraient prêts.

Il fallut à Schmücker quelques instants pour recouvrer ses esprits. De quoi l’aristocrate français était-il en train de lui parler ? L’Allemagne et la France partageant les mêmes billets de banque, les mêmes pièces de monnaie, la même banque centrale ? Laquelle ? La Bundesbank ? Grands Dieux !, a-t-il certainement dû s’écrier intérieurement. Mais il ne laissa filtrer aucune émotion à l’extérieur, conservant un visage de marbre, plutôt sombre. Effectivement, le compte-rendu officiel montre qu’il a réagi comme s’il n’avait pas entendu cette proposition sismique. Pourquoi ne pas être plus modestes, riposta-t-il ? Pourquoi ne nous contenterions-nous pas de stabiliser nos taux de change à travers nos banques centrales et sur la base d’une « stricte discipline » (la grande obsession des conservateurs allemands) et de « règles contractuelles » ?[3]

Giscard n’en avait que faire : « Pourquoi choisir ce système qui ne fonctionne que tant que tout le monde l’accepte ? » répliqua-t-il énergiquement, ajoutant que sa proposition venait de tout en haut – du Président Charles de Gaulle lui-même. Sidéré, Schmücker essaya d’alerter le ministre des Finances français sur la signification plus profonde de ce que de Gaulle proposait : La France proposait de renoncer à sa souveraineté nationale ! Paris était-il vraiment sérieux ? Giscard ni ne confirma ni n’infirma cette évidence exprimée par Schmücker. Il contourna cette remarque en préconisant une action rapide afin qu’une monnaie commune franco-allemande puisse être créée dans les plus brefs délais, laissant les autres membres de l’Union Européenne libres de s’y joindre ou non.

Et c’est ainsi qu’une monnaie commune européenne fut présentée pour la première fois, brièvement discutée et. spectaculairement ignorée. Schmücker savait que ce n’était pas un sujet sur lequel il avait la moindre autorité pour s’y impliquer sérieusement. Il passa consciencieusement la proposition du Général de Gaulle à Ludwig Erhard, son Chancelier.

En lisant le résumé que lui rédigea Schmücker, le Dr Erhard flaira quelque chose de louche. Il était impossible que la France abandonne aussi facilement son pouvoir d’établir les taxes, de dépenser ses fonds publics, de fixer ses taux d’intérêt, de poursuive sa chère « planification ». De Gaulle devait, une fois de plus, avoir quelque chose derrière la tête, pensa Erhard. Après tout, la seule raison pour laquelle Ludwig Erhard avait accédé au plus haut poste du pouvoir en Allemagne, quelques mois plus tôt, était à cause du rôle qu’il avait joué pour contrecarrer les desseins du Président de Gaulle. Sa proposition insensée de monnaie commune, pensa Erhard, ne pouvait avoir de sens qu’en tant que prolongement de ces mêmes desseins.

Ne souhaitant pas entrer dans une confrontation publique et officielle avec la France, le Chancelier Erhard « égara » consciencieusement le résumé de Schmücker et prétendit ne l’avoir jamais reçu. Néanmoins, lorsqu’il fut obligé de quitter la Chancellerie, en 1966, parmi les rares documents qu’il emmena avec lui dans sa retraite se trouvait ce résumé – une note sur la première idée officielle de l’euro.[4]

Valéry Giscard d’Estaing n’a jamais été le larbin de de Gaulle. Pour preuve, le Général le vira du ministère des Finances en 1966 et Giscard dût attendre trois ans jusqu’à ce qu’un nouveau président, Georges Pompidou, accède au Palais de l’Elysée, pour récupérer le ministère des Finances – d’où, en 1974, il accédera lui-même à la Présidence de la République française. Bien sûr, à l’époque, en 1964, Giscard s’efforçait de servir loyalement de Gaulle, souvent contre son meilleur jugement concernant certaines idées fixes de l’ancien général.[5] Cependant, à cette occasion, le 23 mars 1964, la « proposition indécente » qu’il portait à Bonn était totalement en accord avec sa propre pensée. Giscard partageait avec de Gaulle un jugement crucial. Ils étaient d’accord sur le fait que l’hégémon demandait la lune. A la fois littéralement et métaphoriquement. Les Américains déclenchaient des guerres en Indochine. Ils annonçaient de coûteux et extraordinaires programmes sociaux chez eux. Leurs grandes entreprises rachetaient de vénérables sociétés européennes et les traitaient de façon scandaleuse.[6] « Et comment payaient-ils tout cela ? En imprimant des dollars qui, une fois sortis de l’imprimerie, inondaient les économies européennes et forçaient les Européens à payer les largesses américaines par une inflation plus élevée. Le fait que la France fut plus susceptible que les autres pays à ces forces inflationnistes pesait aussi lourdement sur la pensée de de Gaulle et de Giscard.

Du point de vue de Giscard, les Américains forçaient les Européens à leur prêter l’argent avec lequel ils achetaient l’Europe et déstabilisaient la finance mondiale. Giscard résuma ce verdict d’une façon restée célèbre avec ces deux mots : « privilège exorbitant » ; un avantage démesuré dont bénéficiaient les Etats-Unis, et leur monnaie qu’ils dilapidaient ; un avantage qui devait être éliminé avant que le capitalisme mondial ne soit déstabilisé pour de bon et que les opposants à la bourgeoisie au pouvoir, en particulier en France, ne prennent le dessus.

La formule de Giscard, « privilège exorbitant », devint immédiatement un signifiant de la puissance financière américaine, et le reste à ce jour.[7] Mais que pouvait-on faire pour réduire ce privilège exorbitant ? Dès 1964, dans l’opinion de Giscard, il était possible d’imaginer que la seule façon de mettre fin à la domination monétaire imprudente des Etats-Unis était que la France et l’Allemagne, les deux nations prédominantes de l’Europe, s’attèlent ensemble à forger une monnaie commune afin de surmonter leur dépendance vis-à-vis d’Etats-Unis d’Amérique devenus incontrôlables. Mais cela ne mettrait-il pas en danger, comme Schmücker avait prévenu, la souveraineté de la France ? Bien sûr que si. Mais c’était un prix qui avait peu d’importance pour Giscard, qui croyait fermement en des Etats-Unis d’Europe.

Il se peut que la perte de la souveraineté nationale de la France importât peu à Giscard. Mais pas à son patron, le Président de Gaulle. L’Europe était importante pour de Gaulle, comme elle l’était pour Giscard. Elle devait être « gagnée ». Mais pas à n’importe quel prix, du moins en ce qui concernait le Général. Et certainement pas au prix de la « perte » de la France dans le processus. Alors, pourquoi de Gaulle envoya-t-il son ministre des Finances à Berlin avec une proposition qui, si elle était acceptée, démantèlerait les leviers du pouvoir économique de Paris ? Une monnaie commune avec l’Allemagne ferait perdre à la France le contrôle de sa propre économie. Mais une proposition de monnaie commune n’est pas la même chose qu’une… monnaie commune !

De Gaulle était, ne l’oublions pas, un tacticien militaire hors pair. Des propositions de traités et de monnaies communes, à l’instar des manœuvres sur le champ de bataille, équivalaient à des mouvements de pions sur un échiquier dans l’intention de faire diversion. Ce n’est qu’assez tard (vers 1958), et seulement lorsqu’il commença à la voir comme ouvrant de nouvelles perspectives de grandeur pour son Etat-nation, qu’une Europe unie commença à séduire de Gaulle. Cela contraste nettement avec l’idée que s’en faisaient les deux premiers chanceliers allemands de l’après-guerre, Konrad Adenauer et Ludwig Erhard, pour lesquels l’Union européenne était une sortie de secours pour leur Etat-nation.

Janvier 1963 fut un mois de politique incendiaire sentant le soufre, avec Paris à son centre. Le 14 janvier, le Président de Gaulle donna une conférence de presse qui se résumait à une déclaration d’hostilités contre l’anglosphère. Contrant les souhaits explicites de Washington, il annonça que la France mettrait son veto à l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne. Et comme si cela ne suffisait pas, il déclina dans la foulée l’offre américaine d’une coopération nucléaire avec la France au sein d’une force multilatérale.

Huit jours plus tard, le 22 janvier, le Chancelier allemand Konrad Adenauer, se rendit à Paris. Dans les splendeurs du Palais de l’Elysée, en grande pompe et avec une cérémonie considérable, Adenauer et de Gaulle apposèrent leurs signatures sur le Traité de l’Elysée, un traité présenté au monde comme la pierre angulaire du rapprochement franco-allemand, un témoignage de la cessation permanente des hostilités entre les deux nations prédominantes de l’Europe, et le commencement d’une « merveilleuse amitié ». Washington était outré. George Ball, le sous-secrétaire au Département d’Etat, écrivit plus tard : « Il m’est difficile de surestimer le choc que cet acte produisit à Washington ou la spéculation qui suivit, en particulier dans la communauté des services de renseignements ».[8]

L’ire de Washington n’avait rien à voir avec une opposition à ce que la France et l’Allemagne enterrent la hache de guerre, se rapprochent et renforcent l’unité européenne. Le gouvernement américain s’inquiétait que de Gaulle eût « quelque chose derrière la tête », « quelque chose » visant le Plan mondial d’ensemble d’après-guerre des Etats-Unis. Plus précisément, ils craignaient que de Gaulle tentât d’attirer par la ruse Adenauer dans une alliance stratégique ayant un double objectif : au niveau de la finance internationale, saper le système de Bretton Woods centré sur le dollar, et , au niveau géopolitique, contourner l’OTAN en offrant à Moscou un pacte de non-agression, écartant les Etats-Unis de cet accord.

La marque la plus forte de de Gaulle était sa grande vision d’une Europe s’étendant « de l’Atlantique à l’Oural ». Cela séduisait une pluralité d’Européens qui tenaient à supprimer la menace nucléaire qui planait sur leur continent (en particulier après la crise des missiles cubains qui s’était déroulée le mois précédent, en octobre), et qui gardaient bon espoir de lever le Rideau de Fer qui le séparait si brutalement. Pour les Allemands, en particulier, une Europe de « l’Atlantique à l’Oural » était chargée d’une importance supplémentaire, puisque cela faisait allusion à la réunification de l’Allemagne. Washington était convaincu que de Gaulle appâtait Adenauer dans une alliance qui mettrait fin à la domination des Etats-Unis en Europe. Ces craintes étaient renforcées par le fait que le Chancelier allemand était un catholique anglophobe ayant souvent recherché l’unité avec la France.[9]

La veille de la signature du Traité de l’Elysée, un diplomate américain [10] enrôla le seul membre du cabinet d’Adenauer qui avait le pouvoir, et un intérêt pour le faire, de s’opposer à la dérive d’Adenauer vers l’étreinte de de Gaulle : Ludwig Erhard, le respecté ministre des Finances d’Adenauer, qui avait supervisé le miracle économique de l’Allemagne depuis 1949. Erhard n’agit pas dans la précipitation. Il prit son temps. Lorsque Adenauer convoqua le cabinet fédéral à Bonn, le 25 janvier, pour discuter du Traité de l’Elysée, Erhard resta coi. Cependant, quatre jours plus tard, Il fit un discours musclé critiquant la politique étrangère française, prenant l’initiative sans précédent de prédire que, quand bien même le Traité de l’Elysée serait ratifié, il ne serait jamais appliqué.

Lors du conseil des ministres suivant, à Bonn, le 30 janvier, Erhard se lâcha, s’exprimant contre « la dictature française de de Gaulle », comparant même le Président français à Hitler. Dans un article publié dans Die Zeit, le 5 février, Erhard mit en garde ses compatriotes que l’Allemagne « ne peut pas jouer double-jeu », signalant clairement son allégeance à Washington et fustigeant Adenauer pour être devenu trop proche de de Gaulle à son goût. Le même jour, le Président Kennedy prévint l’Allemagne qu’elle devait « choisir entre travailler avec les Français ou travailler avec nous ».[11] Erhard conduisit l’opposition à Adenauer qui fit basculer le cabinet allemand dans le sens des Américains.

A partir d’avril 1963, l’intervention décisive d’Erhard avait affaibli la position d’Adenauer au sein de la Démocratie Chrétienne au pouvoir, qui le proclama unique candidat pour remplacer le Chancelier vieillissant. Le 16 mai, après pas mal de manœuvres dans les coulisses, Erhard et ses alliés réussirent à faire voter au Parlement fédéral un amendement au Traité de l’Elysée, sous la forme d’un Préambule qui mettait fin au rêve de de Gaulle d’une alliance franco-allemande en opposition aux Etats-Unis.[12] Pendant ce temps, certain du fait que de Gaulle avait été « éconduit », le ministère américain des Affaires étrangères re-calibra sa stratégie européenne, évitant d’autres confrontations avec de Gaulle et se concentrant à la place à cultiver des liens plus intenses avec Bonn. Et c’est ainsi que, en octobre 1963, Ludwig Erhard accéda à la Chancellerie, transmettant le ministère de l’économie à Kurt Schmücker. Ayant vu son étreinte si spectaculairement rejetée, il fut assez remarquable que le Président de Gaulle ne tint pas rancune au nouveau Chancelier allemand. Même le fait d’avoir été comparé à Hitler glissa sur lui comme de l’eau sur les plumes d’un canard. Lorsque Erhard fut intronisé Chancelier, il se fit un devoir de se rendre immédiatement à Paris pour réaffirmer « la formidable nouvelle amitié entre les deux nations » et . leurs dirigeants. Le Président de Gaulle l’accueillit à bras ouverts, comme s’il s’était agi d’un ami de toujours. Mais six mois plus tard, il envoya à Bonn son ministre des Finances, l’engageant Valéry Giscard d’Estaing, pour stupéfier Herr Schmücker avec sa proposition d’une union monétaire franco-allemande instantanée.

De Gaulle n’avait-il donc « pas compris » que l’Allemagne répugnerait à une autre de ses étreintes étouffantes ? Quoi qui pouvait trotter dans la tête du Général, une chose est sûre : il ne se faisait aucune illusion. L’idée que de Gaulle espérait qu’Erhard accepte une monnaie commune franco-allemande est aussi absurde que l’idée inverse, à savoir que de Gaulle voulait une telle monnaie. La proposition d’une monnaie partagée avait deux caractéristiques tactiques qui attiraient le Président-stratège français : l’élément de surprise et la capacité (même si la proposition était ignorée ou rejetée) d’enrôler l’Allemagne dans une relation avec la France suffisamment proche pour permettre à de Gaulle une plus grande liberté dans son opposition aux Etats-Unis.

L’élément de surprise, à n’en pas douter, fut là. Erhard et Schmücker avaient toutes les raisons de s’attendre à ce que, après le « départ » d’Adenauer, de Gaulle les laisse tranquilles. La proposition d’une monnaie commune était la dernière chose à laquelle ils s’attendaient. Ainsi que Schmücker le dit à Giscard, rien dans son comportement ne laissait présager que Paris serait prêt à renoncer à sa souveraineté nationale ou même reporter sur des institutions supranationales les décisions importantes en matière d’économie française. Il avait raison. La France, et en particulier de Gaulle, gardait jalousement ses leviers économiques et n’avait aucun intérêt à en laisser partir. Pendant bien plus de dix ans [13], de Gaulle était resté seul parmi les politiciens européens conservateurs en opposition obstinée à la nouvelle relation économique franco-allemande que les New Dealers américains avaient très envie de transformer en colonne vertébrale de l’Union européenne émergente.[14]

Contrairement à beaucoup de ses compatriotes naïfs, qui tiraient une grande fierté du projet d’intégration européenne et qui ne tarissaient pas d’éloges à son endroit en disant que c’était une formidable réussite de l’esprit européen, de Gaulle avait reconnu le projet d’Union européenne comme étant une « conception américaine » qui privilégiait l’industrie allemande afin de cimenter la domination américaine au niveau mondial. Le marché commun européen et le processus d’intégration européenne faisaient partie, à ses yeux, d’un Plan mondial américain que de Gaulle considérait mal fondé, non-viable et, par conséquent, nuisible à la France et à l’Europe.[15]

Finalement, de Gaulle avait adouci sa position vis-à-vis de l’Union européenne, après les promesses américaines répétées, dans les années 1950, que la France resterait le centre administratif de l’Europe. Mais il ne l’embrassait que tant que, selon ses propres mots confiés à un journaliste étranger, l’Union européenne ressemblerait « . à un cheval et un attelage : l’Allemagne étant le cheval et la France. le cocher ».[16]

Hélas, dès 1963, il devint clair que le « cheval » développait un esprit indépendant et que le « cocher » perdait le contrôle. Le déficit commercial de la France avec l’Allemagne allant croissant signifiait que Paris serait forcé de devoir perpétuellement choisir entre deux options insoutenables : soit se présenter régulièrement chapeau bas devant le FMI pour demander la permission de dévaluer le franc, admettant une « faiblesse nationale » permanente, soit compter éternellement sur la Bundesbank pour imprimer des deutschemark avec lesquels acheter des francs, concédant une dépendance incessante vis-à-vis de l’ancien ennemi. Dans tous les cas, les aspirations de la France à une domination politique et diplomatique de l’Union européenne s’effilochaient.

C’était un cauchemar pour de Gaulle, et également pour l’establishment français, qui voyait dans le Général un défenseur intrépide de leurs intérêts et de leurs ambitions, tant au niveau national que dans toute l’Europe. La bravacherie de de Gaulle se heurtait parfois au sens policé de la société pour le décorum mais, lorsqu’il s’agissait de traiter avec les politiciens allemands, les responsables américains et les financiers anglo-saxons, les élites françaises aimaient la méfiance inhérente de leur Président, son empressement à dire ce qu’il pensait, de même que son engagement envers une « monnaie forte » – une devise stable et non-inflationniste qui restaurerait l’image de la France, soutiendrait son secteur bancaire et, ce qui est important, affaiblirait les vindicatifs syndicats français.[17]

De Gaulle a toujours été prudent quant à une union toujours plus étroite avec l’Allemagne. Il voyait l’unité avec l’autre côté du Rhin comme un sentiment admirable rempli de danger, quel que soit son mérite pour la France. Même après 1958, lorsqu’il embrassa l’idée d’une Union européenne érigée le long d’un axe franco-allemand, de Gaulle resta circonspect. Lorsque Henry Kissinger lui demanda, un jour, comment la France empêcherait la domination de l’Allemagne sur l’Union européenne, le Président français répondit : « Par la guerre ! »[18] Le héros de guerre français ne plaisantait pas. En effet, sa proposition indécente d’une monnaie commune avec l’Allemagne, que Giscard transmit à un Schmücker estomaqué, était une forme de guerre par d’autres moyens.

Le Chancelier Erhard le savait. Au premier aperçu de la proposition de de Gaulle d’une monnaie commune, il reconnut un stratagème pour étouffer son pays, neutraliser la Bundesbank et brouiller les relations entre l’Allemagne et Washington.[19] Erhard avait rabaissé Adenauer et tout risqué pour aider son pays à se dégager de la première étreinte de de Gaulle. Il n’allait pas céder à sa deuxième étreinte. Réticent à repousser publiquement, pour la deuxième fois en un an, l’étreinte de de Gaulle, Erhard prétendit ne jamais avoir reçu la note de Schmücker.

Et c’est ainsi que, début mars 1964, l’idée de l’euro éclaira si brièvement les cieux de l’Europe, et de façon invisible pour la plupart des Européens. Ce n’est que lorsque l’Europe fut complètement rejetée de la « zone dollar » qu’elle refit surface.

©2014 Yanis Varoufakis — ©2015 JFG-QuestionsCritiques/Editions du Cercle pour la traduction française
Notes :
___________

[1] Kurt Schmücker n’était pas atypique des démocrates-chrétiens qui furent au pouvoir sans interruption en Allemagne de 1949 à 1969. Dans ses jeunes années, à 18 ans, en 1937, il rejoignit le parti nazi et, trois ans plus tard, partit à la guerre, servant dans la Wehrmacht jusqu’au dernier jour. Un an après la fin de la guerre, il rejoignit les démocrates chrétiens et devint le plus jeune membre du parti à siéger au parlement fédéral après les élections de 1949. En 1963, après que Ludwig Erhard (un économiste accompli, ministre des Finances depuis 1949 et qui avait supervisé la très impressionnante reconstruction économique de l’Allemagne, 1949-1963) devint Chancelier, Schmücker prit le ministère de l’Economie. N’ayant suivi qu’une formation d’éditeur, Schmücker nourrissait une grande appréhension à propos de sa capacité de reprendre le rôle d’Erhard. En l’occurrence, les deux hommes (Erhard et Schmücker) furent chassés du gouvernement en 1966, à la suite de la première récession de l’Allemagne après la guerre, qui fut sans doute orchestrée pour des raisons politiques par la banque centrale du pays – la féroce Bundesbank.

[2] A l’époque, l’Union européenne s’appelait la Communauté économique européenne (CEE) et comprenait six membres, les signataires du Traité de Rome (signé le 25 mars 1957) : l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique et l’Italie. La CEE fut renommée Union européenne dans le Traité de Maastricht, le 1er novembre 1993 – en même temps que les règles gouvernant la monnaie commune, l’euro, furent acceptées. Tout au long de cet article, pour des raisons de continuité, je me réfèrerai à la CEE par « Union européenne ».

[3] Leur conversation commença avec Schmücker abordant les préoccupations de Giscard selon lesquelles le libre échange au sein de l’Union européenne créerait des déséquilibres commerciaux qui déstabiliseraient le taux de change entre le franc et le deutschemark. Il suggéra que les membres de l’UE (ou de la CEE, comme elle était appelée alors) devraient signer un contrat formel et respecter les règles concernant les politiques budgétaires et monétaires afin que ce système puisse être stable. Giscard avait d’autres considérations : (le dialogue ci-dessous est cité dans Schoenborn, 2014) :
Giscard : C’est trop peu ! Nous n’en avons pas encore parlé au niveau gouvernemental, mais de Gaulle m’a dit que des développements dangereux, tels que nous en connaissons aujourd’hui, ne peuvent être évités ou surmontés sans une monnaie commune aux pays de la CEE. Nous avons besoin d’une monnaie unique pour la CEE ! [Italiques ajoutées par l'auteur] Schmücker : Afin d’obtenir le même effet, les monnaies peuvent aussi être maintenues nominalement tandis que les politiques monétaires des Etats membres individuels seraient placées sous une discipline stricte à travers des règles contractuelles.
Giscard : Pourquoi choisir ce système, qui ne fonctionne que tant que tout le monde l’accepte ?
Schmücker : Je cherche juste une méthode qui marche sans obliger la France à renoncer à sa souveraineté. Une monnaie européenne unique serait un sujet supranational. Jusqu’à présent, la France s’est opposée bruyamment à quelque sorte d’arrangement supranational que ce soit.
Giscard : De Gaulle m’a dit explicitement qu’il considère qu’une monnaie unique pour la CEE est nécessaire. Il pense qu’il ne reste pas d’autre solution. Si un Etat pousse continuellement un autre dans l’inflation, les seuls bénéficiaires seront les socialistes.
Schmücker : Que ferons-nous si les quatre autres ne veulent pas s’y joindre? La création d’une union monétaire est une étape politique décisive. Une fois l’union monétaire accomplie, des conséquences politiques supplémentaires suivront automatiquement. Les tentatives d’Erhard de faire avancer l’union politique n’ont pas produit les réponses désirées de la part de tous les gouvernements. Nous pouvons donc nous attendre à ce que cette proposition soit reçue avec scepticisme. Ou imaginez-vous que la France et l’Allemagne devraient aller de l’avant?
Giscard : Un accord entre la France et l’Allemagne ne devrait être considéré que si les autres ne participent pas. Dans ce cas, cet accord devra être établi de telle façon que les autres auront le choix, à la fois légalement et de façon pratique, de nous rejoindre à tout moment.

[4] Voir Schoenborn, 2014.

[5] Giscard était un fervent keynésien qui avait peu de temps à consacrer aux points de vue conservateur de de Gaulle sur la façon dont l’économie devait être dirigée. En particulier, il nourrissait un mépris considérable pour Jacques Rueff, un économiste qui croyait ferment en l’étalon-or et que de Gaulle considérait comme son gourou économique. En conséquence, le temps de Giscard en tant que ministre des Finances du gouvernement de de Gaulle était un mandat précaire.

[6] Pour donner un exemple approprié, en 1962, General Motors licencia les ouvriers automobiles français sans consulter le gouvernement français. Un an plus tard, en 1963, GM racheta Simca et procéda immédiatement à licencier une partie de sa main-d’œuvre. En attendant, General Electric « lorgnait » sur un certain nombre d’usines que Paris considérait comme étant d’importance stratégique pour la France.

[7] La phrase « privilège exorbitant » est fréquemment, et de façon erronée, attribuée à de Gaulle. Son véritable procréateur était Giscard. Voici comment Jacques Rueff, l’économiste français dont Giscard avait rejeté les théories économiques (mais avec lequel il devait travailler, puisque de Gaulle considérait Rueff comme étant son intellectuel économique préféré), expliqua ce que Giscard avait voulu dire par « privilège exorbitant » : « … lorsqu’un pays avec une devise clé a un déficit de sa balance des paiements – disons les États-Unis par exemple – il paye au pays créditeur des dollars, qui finissent dans sa Banque centrale. Mais les dollars ne sont pas d’utilité à Bonn, ou à Tokyo, ou à Paris. Le même jour, ils sont reprêtés sur le marché monétaire à New York, et donc retournent à leur endroit d’origine. Ainsi le pays débiteur ne perd pas ce que le pays créditeur a gagné. Et donc le pays avec la devise clé ne ressent jamais l’effet du déficit sur sa balance des paiements. Et la principale conséquence est qu’il n’y a aucune raison d’aucune sorte pour que ce déficit disparaisse, tout simplement parce qu’il n’apparaît pas.». Rueff & Hirsch (1965).

[8] Voir Ball, 1982, p. 271.

[9] Konrad Adenauer a mis sa marque sur la politique allemande bien avant la Seconde Guerre mondiale, servant en tant que Maire de Cologne de 1917 à 1933. Fervent catholique et opposant engagé contre la domination prussienne de l’Allemagne, il se servit de son poste pour soutenir un nouvel Etat rhénan, au sein de la République de Weimar, libéré du pouvoir de fer de Berlin. Lorsque ses efforts ne menèrent nulle part, il initia des pourparlers avec les responsables français dans l’idée d’établir un « Rhineland » autonome dans le contexte d’un grand concept d’une Europe Centrale qui forcerait à la réconciliation franco-allemande. Bien qu’il acceptât plus tard la montée du parti nazi, qu’il essaya d’héberger dans son hôtel de ville, les Nazis considéraient Adenauer comme un patriote « peu solide » (pour s’être trop rapproché des Français dans les années 1920). A la fin de la guerre, une Cologne détruite par les bombardements se retrouva dans la zone britannique, et l’on demanda à Adenauer de servir à nouveau en tant que Maire de la ville. Il accepta mais, en décembre 1945, il subit l’humiliation d’être révoqué par un général britannique pour « incompétence » – alors qu’en réalité, sa révocation était due à ses déclaration publiques condamnant le bombardement effréné de sa ville par la RAF. Adenauer ne pardonna jamais aux Britanniques cette humiliation.

[10] John Wills Tuthill, à l’époque ambassadeur des Etats-Unis auprès de la CEE.

[11] Voir le NSC Meeting Memo, 5 février 1963, 4.30 pm, FRUS, 1961-1963, vol. 13, pp. 175-179 ; Memorandum of Conversation, Carstens and Rusk, 5 février 1963, 6 p.m., ibid., p. 186; NSC Meeting, 31 janvier 1963, ibid., p. 162, Kennedy Library.

[12] Ce Préambule insistait sur « l’importance suprême de la coopération transatlantique » et était la première idée des responsables américains d’une « solution » au « problème » du Traité de l’Elysée. Ceux-ci ne perdirent aucun temps à faire savoir au cabinet d’Erhard qu’il devait être pris en considération. Ce Préambule, pour l’essentiel, annulait l’esprit du Traité de créer une alliance franco-allemande indépendamment des Etats-Unis. Selon la présentation qu’en avait faite Erhard devant les parlementaires à Bonn, ce Préambule était essentiel afin de « libérer le Traité de l’Elysée de toute fausse interprétation de la politique allemande ».

[13] De 1945 à 1958.

[14] L’opposition de de Gaulle à l’idée d’une Communauté économique européenne conçue par les Américains (qui naquit officiellement en 1950 en tant que Communauté européenne du charbon et de l’acier) était si acharnée qu’il traversa un désert politique jusqu’en 1958, lorsque l’effondrement de la 4ème République lui donna l’occasion de redessiner la constitution française, et la politique française, à son image.

[15] La construction du « Plan mondial » est relatée en détail dans Le Minotaure planétaire : l’ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial (Enquêtes & Perspectives, 2014). Cet ouvrage, sorti en décembre 2014, est disponible en versions numériques (kindle et e-Book) et papier (PoD-amazon).
Le lecteur devrait noter que la violente critique par de Gaulle du Plan mondial américain de l’après-guerre était partagée par d’importants décideurs politiques américains. Par exemple, George F. Kennan (le diplomate dont le Long Télégramme depuis Moscou engendra la logique de « l’endiguement » de l’URSS) et Robert Taft (le président républicain du Sénat américain qui s’opposa au New Deal de Roosevelt) déploraient également la perspective d’un monde divisé entre une sphère américaine et une sphère soviétique, opposées l’une à l’autre. Leur différence avec de Gaulle était que le Président français avait les moyens et la détermination de rendre le « bloc » américain ingérable.

[16] Voir Connolly (1993), p.7.

[17] Leur idée était simple : si l’Etat français renonçait au droit de battre monnaie (soit en retournant à l’étalon-or, soit en adoptant le deutschemark, les prix cesseraient d’augmenter et les syndicats perdraient tout pouvoir de négociation sur les employeurs : avec le gouvernement incapable de stimuler la demande d’ensemble, en particulier durant une crise, les syndicats auraient le choix entre accepter un chômage élevé (qui détruirait leur base de pouvoir) ou accepter des bas salaires. En bref, en renonçant à la planche à billets, l’Etat français s’assurerait que la main-d’œuvre syndiquée deviendrait moins militante, plus « allemande ». Et si cela impliquait une propension plus grande à la récession, c’était considéré comme un faible prix à payer. Aujourd’hui, avec la France en stagnation permanente sous l’euro, les élites françaises ne manifestent aucun regret face aux choix qu’elles ont faits et, simultanément, elles s’inquiètent de la marée montante de mécontentement et d’ultranationalisme raciste et anti-européen.

[18] By war! Voir Connolly (1993), p.7.

[19] La rébellion d’Erhard contre Adenauer devrait être replacée dans le contexte de la crainte de nombreux Allemands d’un retrait américain. Paul Volcker est cité par son biographe officiel pour avoir dit qu’il « … avait rappelé la menace de Kennedy … de couper l’aide militaire à l’Europe à moins que les Européens promettent de ne pas attaquer le dollar en tant que devise mondiale ». Voir Silber (2012), p.55.

Source : Questions Critiques

Source: http://www.les-crises.fr/leuro-une-proposition-indecente-par-yanis-varoufakis-2014/


[Entraide] Groupe d’enquete BellingCat / MH17 (recherche, rédaction)

Wednesday 5 August 2015 at 04:36

Comme cet appel a suscité quelques bons commentaires, mais aucun volontaire, je le repasse.

C’est vraiment important svp, et amusant à faire… Merci.

Vous avez vu dans l’article précédent que j’ai parlé d’Eliot Higgins.

Cela fait plusieurs mois que je souhaite enquêter sur lui, mais je n’ai hélas pas le temps de réaliser seul le dossier que j’ai en tête.

C’est à mon sens TRÈS révélateur des dérives actuelles manipulatoires du web.

J’aurais donc besoin de quelques volontaires en aout.

L’idée est :

Il faudrait donc 4 ou 5 personnes pour :

  1. Coordonner le dossier (très important !)
  2. Réaliser des recherches sur le web, surtout en anglais
  3. Analyser et critiquer (honnêtement, avec une grande déontologie) l’enquête Bellingcat sur le MH-17
  4. Rédiger les 4 ou 5 billets à partir de ces informations

Merci donc me contacter en indiquant lesquels des 4 points précédents correspondent à votre souhait. Je compte sur vous !

Source: http://www.les-crises.fr/entraide-groupe-denquete-bellingcat/


[Reprise] Le Qatar a-t-il payé le divorce à 3 M€ de Sarkozy ? (+ Entraide)

Wednesday 5 August 2015 at 03:17

Une info intéressante, à prendre certes au conditionnel, mais issue de Pierre Péan qui a généralement des biscuits dans sa besace.

L’intérêt de la chose ? Outre une illustration de la corruption au moins morale qui ravage le personnel politique, le fait qu’aucune enquête sérieuse n’ait été menée par les médias mainstream est éloquent, non ?

Et il semble y avoir un petit souci avec ce pays, non (un peu plus qu’avec la Russie il semble…) ?

D’ailleurs, si un volontaire a envie de faire cet été une synthèse de plusieurs livres sur le Qatar pour le blog, qu’il me contacte – merci

Dans “Une France sous influence”, un livre explosif, Vanessa Ratignier et Pierre Péan racontent comment la France est devenue le terrain de jeu préféré du Qatar. En 2008, Chirac serait même sorti de sa réserve d’ancien président pour prévenir Sarkozy qu’il fait alors fausse route en se rabibochant, grâce au Qatar, avec la Syrie de Bachar al-Assad. D’autant que circulent des rumeurs de corruption et de financement de son divorce par l’émirat. Un récit à découvrir dans “Marianne” cette semaine.

Le 14 juillet 2008, à la veille d’un sommet de l’Union pour la Méditerranée, Nicolas Sarkozy invite à sa tribune pour le défilé militaire, le carré des dictateurs de la Méditerranée : Bachar al-Assad, le Tunisien Zine El-Abidine Ben Ali, l’Egyptien Hosni Moubarak et l’émir al-Thani du Qatar. A l’époque, Bachar est traité en paria par la communauté internationale pour l’implication présumée de son régime dans l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri. Ce milliardaire a été en 2005 la cible d’un attentat-suicide commis par une camionnette contenant une charge explosive de 1 800 kilos. Les services de renseignement syriens sont vite montrés du doigt.

Deux ans plus tard, lors de la passation du pouvoir entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, c’est la question du Liban qui domine les échanges en matière de politique étrangère, expliquent Vanessa et Ratignier et Pierre Péan dans leur livre, Une France sous influence*. Chirac conseille alors à son successeur de rencontrer le fils de Rafic Hariri, chef de la majorité qui soutient le gouvernement libanais, et de rester ferme avec la Syrie.

Sarkozy fera la sourde oreille. A l’époque, le nouveau président charge très vite Claude Guéant de reprendre contact avec le régime Syrien. C’est l’émir du Qatar qui sera à la manœuvre de ce rapprochement dont le point culminant sera le défilé militaire du 14 juillet 2008. C’en est trop pour Jacques Chirac, ami très proche des Hariri, qui a quitté le pouvoir il y a un an. En août 2008, en vacances dans la résidence tropézienne de son ami milliardaire François Pinault, Jacques Chirac se rend au Cap Nègre visiter le couple Sarkozy-Bruni, prévenant le président qu’il fait fausse route et que « la France a tout à perdre à aller à Damas. Tous nos amis libanais sont furieux ».

L’ancien président raconte à son successeur que le Premier ministre du Qatar, Hamad Jassem al-Thani a même tenté de le corrompre, venant à l’Elysée avec des valises remplies de billets : « Nicolas, fais attention. Des rumeurs de corruption fomentée par le Premier ministre qatari te concernant circulent dans Paris…Fais vraiment attention ». 

En effet, des bruits circulent notamment sur le financement par le Qatar du divorce de Nicolas Sarkozy avec Cécilia en octobre 2007. Certains suggèrent qu’il a été payé par un prélèvement effectué sur l’argent versé par le Qatar à la Libye, en échange de la libération des infirmières bulgares détenues par le régime de Kadhafi. Le Qatar aurait versé bien plus que le montant de la rançon réclamée par la Libye. Le tout sur des comptes en Suisse qui auraient notamment servi à financer le divorce de Nicolas Sarkozy.

En 2008, l’émir de Doha raconte que le président français en a même pleuré sur son épaule : « Sarkozy pleurait presque. Il m’a raconté que sa femme Cécilia lui demandait 3 millions d’euros pour divorcer. C’est moi qui ai payé », confie-t-il à l’ancien activiste libanais Anis Naccache, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 1982 pour avoir tenté d’assassiner l’ancien Premier ministre du shah d’Iran, Shapour Bakhtiar.

Toujours est-il que Sarkozy contribuera à installer le Qatar comme une puissance incontournable du Moyen-Orient, ses dirigeants lui dictant même sa politique étrangère dans la région. D’autres responsables politiques rapporteront que le Qatar aurait pu être « la pompe à fric  » de Sarkozy bien après avoir quitté le pouvoir, allant jusqu’à imaginer la création d’un fonds d’investissement dirigé par l’ancien chef de l’Etat, qui lui aurait rapporté 3 millions d’euros par an.

Source : Une France sous influence. Quand le Qatar fait de notre pays son terrain de jeu, Vanessa Ratignier et Pierre Péan, Fayard, septembre 2014

(extrait retranscrit sur Marianne Magazine)

 

Source: http://www.les-crises.fr/le-qatar-a-t-il-paye-le-divorce-a-3-me-de-sarkozy/


La Grèce obtient un prêt de 7 milliards d’euros… pour rembourser d’autres prêts

Wednesday 5 August 2015 at 01:11

On a donc encore “aidé les Grecs”, enfin aidé à nous rembourser avec notre argent…

Par  Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)

16.07.2015 à 12h18 • Mis à jour le 17.07.2015 à 16h01

Le gouvernement grec peut respirer. Pour quelques jours – ou semaines – en tout cas. Les 28 pays de l’Union européenne ont accordé vendredi 17 juillet un financement d’urgence de 7,16 milliards d’euros à la Grèce, sous la forme d’un prêt qui permettra au pays de remplir une partie de ses engagements en attendant la mise en place d’un éventuel plan d’aide. Jeudi, les ministres de la zone euro (Eurogroupe) avaient validé le principe de cette aide d’urgence de trois mois.

La Commission européenne a indiqué jeudi qu’Athènes avait « satisfait » aux exigences de l’accord, quelques heures après que le Parlement grec a adopté une première série de réformes. La Grèce n’aura pas ainsi à attendre l’arrivée du troisième plan d’aide, dont la mise en place va demander des semaines. Le pays, qui n’était pas parvenu à rembourser le 30 juin le Fonds monétaire international (FMI), pourra ainsi éviter un défaut de paiement supplémentaire.

Le prêt « d’un montant de 7,16 milliards d’euros parviendra à la Grèce d’ici à lundi » a annoncé le commissaire européen chargé de l’euro, Valdis Dombrovskis. C’est à cette date, le 20 juillet, qu’Athènes doit verser 3,5 milliards d’euros à la Banque centrale européenne (BCE). Elle pourra également s’acquitter de ses arriérés de paiement auprès du FMI, soit 2 milliards d’euros au total.

Ce remboursement du FMI permettra aussi à ce dernier de s’asseoir à nouveau à la table des négociations pour discuter d’une participation au troisième plan d’aide à la Grèce. En effet, l’institution de Washington ne peut pas prêter à un pays si ce dernier lui doit de l’argent. Le président de la BCE, Mario Draghi, a estimé jeudi qu’il ne faisait aucun doute que la Grèce rembourserait l’institution monétaire, tout comme le FMI.

Le mécanisme de prêt-relais validé jeudi par l’Eurogroupe consiste à prélever 7 milliards d’euros dans le FESM, un fonds européen d’urgence mis en place pendant la crise financière, alimenté par les pays de l’Union européenne et destiné à aider les Etats qui sont en difficulté.

Le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui sera le plus gros contributeur au prochain plan d’aide à la Grèce (à hauteur de 40 à 50 milliards d’euros, selon une source européenne), remboursera ensuite le FESM, dès que ce troisième plan sera bouclé. Les 7 milliards d’euros de prêt-relais seront ainsi déduits des sommes qu’avancera le MES à Athènes.

Ces derniers jours, deux pays, le Royaume-Uni et la République tchèque, avaient toutefois émis des réserves quant à l’utilisation du FESM. « Dans la nuit du dimanche 12 juillet, quand l’option du FESM est apparue, on a oublié de prévenir les Anglais. Lundi, Londres s’est plaint d’avoir appris dans les médias que l’argent des Britanniques irait peut-être à la Grèce », relate une source diplomatique.

Garanties

Mais Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne a arrondi les angles. Face aux réticences des Britanniques et des Tchèques, qui disaient ne pas vouloir porter un risque de non-remboursement de la part d’Athènes, les fonctionnaires bruxellois ont imaginé la mise en place d’une garantie.

La Commission propose ainsi que, pour les pays « hors zone euro », les 7 milliards d’euros avancés soient garantis par une partie des profits réalisés par la BCE sur les obligations souveraines grecques. Pour les pays de la zone euro, la garantie proviendra des fonds structurels alloués à la Grèce.

Le prêt d’urgence ne couvrira toutefois pas la totalité des besoins de financement de la Grèce, qui se situent à 7 milliards d’euros en juillet et 5 milliards en août, selon les estimations des représentants des créanciers

Source : www.lemonde.fr

Source: http://www.les-crises.fr/la-grece-obtient-un-pret-de-7-milliards-deuros-pour-rembourser-dautres-prets/


Stathis Kouvélakis : « Le non n’est pas vaincu, nous continuons »

Wednesday 5 August 2015 at 00:07

Par Ballast – 27 juillet 2015

Résumons à très grands traits. Le 25 janvier 2015, Syriza remporte les élections législatives grecques sur un programme de rupture ; le 5 juillet, c’est un tonitruant « OXI », à 61 %, qui envoie les petits barons de l’ordre européen dans les cordes ; le lendemain, Yánis Varoufákis, ministre des Finances grec, est poussé vers la sortie ; le lundi 13 juillet, le tout-venant apprend que les dix-huit heures de bataille psychologique, à la fameuse « table des négociations », ont eu raison des espoirs mis dans le gouvernement grec : capitulation en rase campagne, entend-on. La couleuvre de l’austérité avalée contre un hypothétique rééchelonnement de la dette. « J’assume la responsabilité d’un texte auquel je ne crois pas », affirme Tsipras à la télévision publique grecque. Mercredi, le comité central de Syriza rejette l’accord et dénonce « un coup d’État contre toute notion de démocratie et de souveraineté populaire ». Les ministères démissionnaires partent en claquant la porte, le texte passe avec les voix de la droite et de la social-démocratie grecques, les grèves générales repartent et la place Syntagma s’enflamme. « Trahison » ; la messe est dite. Pour Stathis Kouvélakis, philosophe francophone, membre du Comité central de Syriza et figure de la Plateforme de gauche, l’équation s’avère toutefois plus complexe, si l’on tient à prendre toute la mesure de ces récents événements. Entretien pour y voir plus clair et, surtout, organiser la riposte.

Vous émettez des réserves quant à la critique de Tsipras en termes de « trahison », qui revient pourtant fréquemment dans les gauches radicales européennes depuis l’accord du 12 juillet. Pourquoi la considérez-vous comme inefficace ?

Je ne nie pas que le terme de « trahison » soit adéquat pour traduire une perception spontanée de l’expérience Syriza. Il est évident que les 62 % qui ont voté « non » au référendum et les millions de gens qui ont cru en Syriza se sentent trahis. Néanmoins, je nie la pertinence analytique de la catégorie de trahison car elle repose sur l’idée d’une intention consciente : consciemment, le gouvernement Tsipras aurait fait le contraire de ce qu’il s’était engagé à faire. Je pense que cette catégorie obscurcit la réalité de la séquence en cours, qui consiste dans la faillite d’une stratégie politique bien précise. Et quand une stratégie fait faillite, les acteurs qui en étaient les porteurs se retrouvent uniquement face à de mauvais choix ou, autrement dit, à une absence de choix. Et c’est très exactement ce qui s’est passé avec Tsipras et le cercle dirigeant du gouvernement. Ils ont cru possible de parvenir à un compromis acceptable en jouant cette carte de la négociation – qui combinait une adaptation réaliste et une fermeté quant à des lignes rouges, dans le but d’obtenir un « compromis honorable ».

« La notion de “trahison” empêche d’analyser et de remettre en cause la stratégie ; elle rabat tout sur les “intentions des acteurs” et se fonde sur l’illusion naïve selon laquelle ceux-ci sont maîtres de leurs actes. »

Or la Troïka des créanciers n’était nullement disposée à céder quoi que ce soit, et a immédiatement réagi, en mettant dès le 4 février le système bancaire grec au régime sec. Tsipras et le gouvernement, refusant toute mesure unilatérale, comme la suspension du remboursement de la dette ou la menace d’un « plan B » impliquant la sortie de l’euro, se sont rapidement enfermés dans une spirale qui les amenait d’une concession à une autre et à une détérioration constante du rapport de force. Pendant que ces négociations épuisantes se déroulaient, les caisses de l’État grec se vidaient et le peuple se démobilisait – réduit à un état de spectateur passif d’un théâtre lointain sur lequel il n’avait prise. Ainsi, quand Tsipras affirme le 13 juillet qu’il n’avait pas d’autre choix que de signer cet accord, il a en un sens raison. À condition de préciser qu’il a fait en sorte de ne pas se retrouver avec d’autres choix possibles. Dans le cas précis de la Grèce, on assiste à une faillite flagrante de cette stratégie pour la simple raison qu’elle n’avait prévu aucune solution de repli. Il y a un véritable aveuglement de Tsipras et la majorité de Syriza dans l’illusion européiste : l’idée qu’entre « bons européens », nous finirons par nous entendre même si, par ailleurs, demeurent des désaccords importants ; une croyance dure comme fer que les autres gouvernements européens allaient respecter le mandat légitime de Syriza. Et, pire encore, l’idée de brandir l’absence de « plan B » comme un certificat de bonne conduite européiste, qui fut le comble de cet aveuglement idéologique…

La notion de « trahison » empêche d’analyser et de remettre en cause la stratégie ; elle empêche de parler en termes d’analyse stratégique et point aveugle idéologique ; elle rabat tout sur les « intentions des acteurs » – qui resteront toujours une boîte noire – et se fonde sur l’illusion naïve selon laquelle ceux-ci sont maîtres de leurs actes. Par ailleurs, elle empêche de saisir le cœur du problème, à savoir l’impuissance de cette politique : la violence de la réaction d’un adversaire a été sous-estimée alors même que le gouvernement Syriza, par son existence même, était allé suffisamment loin pour la déclencher.

De plus en plus de voix s’élèvent dans l’Europe du Sud pour dénoncer le carcan de la monnaie unique. Ce débat a-t-il sérieusement eu lieu au sein du gouvernement Tsipras et de Syriza ? Yánis Varoufákis, après avoir démissionné, a affirmé avoir proposé un plan de sortie de l’euro ou, du moins, la mise en circulation d’une monnaie nationale au plus dur des négociations. 

Ce débat n’a jamais véritablement eu lieu — ou, plutôt, il n’a eu lieu que de façon limitée, au sein de Syriza, pendant les cinq dernières années. Et ce fut toujours contre la volonté de la majorité de la direction du parti, par une sorte d’état de fait créé par le positionnement d’une minorité substantielle en faveur d’une sortie de l’euro, comme condition nécessaire pour la rupture avec les politiques d’austérité et le néolibéralisme. La majorité de la direction du parti n’a jamais vraiment accepté la légitimité de ce débat. La sortie de l’euro n’était pas présentée comme une option politique critiquable avec des inconvénients qui justifiaient un désaccord. Elle était purement et simplement identifiée à une catastrophe absolue. Systématiquement, il nous était reproché que si nous défendions la sortie de l’euro, nous étions des crypto-nationalistes ou que la sortie de l’euro entraînerait un effondrement du pouvoir d’achat des classes populaires et de l’économie du pays. En réalité, c’étaient les arguments du discours dominant qui était repris par nos camarades. Ils ne cherchaient donc pas un véritable débat argumenté mais à nous disqualifier symboliquement, à disqualifier la légitimité de nos arguments à l’intérieur de Syriza et de la gauche radicale. Ainsi, quand Syriza est arrivé au pouvoir, la question s’est posée par la logique même de la situation, puisqu’il est rapidement devenu évident que ces négociations n’aboutissaient à rien. Déjà, l’accord du 20 février indiquait bien que Syriza était contraint de reculer au cours de ce bras de fer. Mais cette discussion s’est déroulée à huis clos : jamais de façon publique et jamais avec le sérieux nécessaire — si l’on excepte bien sûr les prises de position de la Plateforme de gauche de Syriza.

Yánis Varoufákis, de son côté, avait posé à divers moments la question d’un plan B. Panayótis Lafazánis et la Plateforme de gauche mettaient régulièrement sur la table ces propositions. Il faut préciser que le plan B ne se limite pas simplement à la reprise d’une souveraineté monétaire. Il met en avant l’interruption du remboursement des créanciers, le placement des banques sous contrôle public et un contrôle de capitaux au moment du déclenchement de l’affrontement. C’était, d’une façon générale, prendre l’initiative plutôt que d’être à la traîne de négociations qui amenaient un recul après l’autre. Le gouvernement n’a même pas fait les gestes minimaux afin d’être en mesure de tenir bon quand les Européens appuyèrent sur le bouton nucléaire, c’est-à-dire en arrêtant totalement l’approvisionnement en liquidité avec l’annonce du référendum. Le référendum lui-même aurait pu être conçu comme le « volet politique » du plan B : il a donné une idée d’un scénario réaliste conduisant à la rupture avec les créanciers et la zone euro. Le raisonnement aurait pu être le suivant : Le mandat initial de Syriza, celui issu des urnes du 25 janvier, était de rompre avec l’austérité dans le cadre de l’euro ; nous avons bien vu que c’était impossible dans ce cadre ; donc nous nous présentons de nouveau devant le peuple ; le peuple confirme son mandat en disant « Non à l’austérité et faites le nécessaire ». C’est effectivement ce qui s’est passé avec la victoire écrasante du « non », lors du référendum du 5 juillet, mais il était déjà trop tard ! Les caisses étaient déjà vides et rien n’avait été fait pour préparer une solution alternative.

Vous soulignez les rapports de force qui ont traversé Syriza depuis 2010. Comment expliquer que la frange acquise à l’Union européenne et l’euro l’ait emportée ? 

Il faut replacer ces débats dans un cadre plus large : celui de la société grecque, et d’une façon plus générale, celui des sociétés de la périphérie européenne. Avant la crise de 2008-2010, les pays les plus europhiles au sein de l’Union européenne étaient précisément ceux du sud et de la périphérie. Il faut bien comprendre que, pour ces pays, l’adhésion à l’UE signifie une certaine modernité, à la fois économique et politique, une image de prospérité et de puissance que l’euro vient valider à un niveau symbolique. C’est l’aspect fétichiste de la monnaie que Karl Marx a souligné : en ayant la monnaie commune dans sa poche, le Grec accède symboliquement au même rang que l’Allemand ou le Français. Il y a ici quelque chose de l’ordre du « complexe du subalterne ». C’est notamment ce qui nous permet de comprendre pourquoi les élites dominantes grecques ont constamment joué avec la peur de la sortie de l’euro — leur carte maîtresse depuis la début de la crise. Tous les « sacrifices » sont justifiés au nom du maintien dans l’euro. La peur du Grexit est étrangère à la rationalité économique. Elle ne repose pas sur les conséquences éventuelles d’un retour à la monnaie nationale ; par exemple : les difficultés pour les importations ou, à l’inverse, les nouvelles facilitées à l’exportation. Au niveau du « sens commun », la sortie de l’euro charrie une sorte de tiers-mondisation symbolique. Pour le Grec moyen qui résiste à l’idée d’une sortie de la zone euro, la justification de son refus renvoie à la peur d’une régression du pays au rang de nation pauvre et retardataire – qui était effectivement le sien il y a quelques décennies. N’oublions pas que la société grecque a évolué très rapidement et que le souvenir de la misère et de la pauvreté est encore présent dans les couches populaires et dans les générations âgées.

« Une foule enthousiaste s’est formée derrière lui et l’a conduit en triomphateur jusqu’à la marée humaine de la place du Parlement. Quelle a été la réaction de Tsipras ? Il a pris peur et a abrégé les trois quarts du discours qu’il avait préparé. »

Ce que je viens de dire explique aussi l’apparent paradoxe du vote massif du « non » chez les jeunes. Le journal Le Monde fait son reportage en disant : « Toutes ces générations des 18-30 ans qui ont grandi avec l’euro et l’Union européenne, qui ont bénéficié des programmes Erasmus et des études supérieures [le niveau d’accès à l’enseignement supérieur en Grèce est parmi les plus élevés d’Europe]comment se fait-il qu’elles se retournent contre l’Europe ? » La raison est en fait que les jeunes générations ont moins de raisons que les autres de partager ce complexe de la subalternité ! Cet « européisme » ambiant de la société grecque est resté toutefois hégémonique, y compris dans les forces d’opposition aux politiques néolibérales — à l’exception du Parti communiste, très isolé et sectaire. Et cela explique pourquoi Syriza a choisi, dès le début, de s’adapter à l’européisme et d’avoir une stratégie électoraliste à court terme plutôt que d’entrer dans un travail de pédagogie qui consisterait à dire : « Nous ne sommes pas contre l’Europe ou l’euro par principe, mais si eux sont contre nous, et qu’ils nous empêchent d’atteindre nos objectifs, il nous faudra riposter. » C’est un discours qui demandait un certain courage politique, chose dont Tsipras et la majorité de la direction de Syriza s’est révélée être totalement dépourvue.

Le référendum n’était donc en rien la possibilité d’une rupture mais un simple mouvement tactique afin de renforcer Tsipras dans les négociations ?

Tsipras est un grand tacticien. Penser que tout ce qui s’est passé est conforme à un plan préétabli serait se tromper lourdement. C’est une gestion au jour le jour de la situation qui a prévalu, sans vision stratégique autre que celle de la recherche de l’illusoire « compromis honorable » dont j’ai parlé auparavant. Le référendum a été conçu, d’emblée, comme un geste tactique, comme une issue à une impasse dans laquelle le gouvernement s’est trouvé à la fin du mois de juin, lorsque le plan Juncker a été présenté sous la forme d’un ultimatum. Mais, en annonçant le référendum, Tsipras a libéré des forces qui sont allées bien au-delà de ses intentions. Il faut ici souligner le fait que l’aile droite du gouvernement et de Syriza ont très bien perçu, elles, le potentiel conflictuel et de radicalisation que comportait objectivement la dynamique référendaire, et c’est pour cela qu’elles s’y sont fortement opposées. Je vais vous livrer une anecdote. Le jour du grand rassemblement du vendredi [3 juillet], une foule immense s’était rassemblée dans le centre-ville d’Athènes. Tsipras est allé à pied de la résidence du Premier ministre à la place Syntagma, séparées par quelques centaines de mètres. C’est une scène de type latino-américaine qui s’est produite : une foule enthousiaste s’est formée derrière lui et l’a conduit en triomphateur jusqu’à la marée humaine de la place du Parlement. Quelle a été la réaction de Tsipras ? Il a pris peur et a abrégé les trois quarts du discours qu’il avait préparé.

Vous racontez qu’Euclide Tsakalotos, ministre des Finances grecques après la démission de Yánis Varoufákis, préparait son intervention devant l’Eurogroupe comme un professeur d’université prépare sa contribution à un colloque. Ne pointez-vous pas ici un des problèmes de la gauche radicale : une parfaite analyse des phénomènes mais une incapacité à mener des rapports de force, à établir des stratégies gagnantes, à jouer sur les contradictions de l’adversaire ? Est-ce dû à la promotion des savoirs académiques au sein de la gauche radicale au détriment d’autres profils ? 

Je suis très réticent par rapport aux explications sociologistes : je ne pense pas qu’elles permettent de comprendre la situation. Dans un entretien à Mediapart¹, Tsakalotos expliquait en effet que, lorsqu’il est allé à Bruxelles, il avait préparé ses argumentaires de façon très sérieuse. Il s’attendait à entendre des contre-arguments et, au lieu de cela, il s’est retrouvé face à un mur de technocrates répétant des règles et des procédures. Il avait été choqué du faible niveau de la discussion – comme s’il s’agissait d’un colloque universitaire où le meilleur argument l’emporte. Or tout en étant moi-même universitaire, et même un ancien camarade de parti de Tsakalotos (nous avons milité dans le Parti eurocommuniste grec dans les années 1980), je n’en suis pas moins en désaccord profond avec lui. Par ailleurs, s’il y avait un reproche à lui faire, c’est justement un défaut d’analyse ! La gauche, dans son ensemble, a considérablement sous-estimé la nécessité d’analyser sérieusement l’Union européenne. Au lieu de cela, nous avons eu droit, pendant des décennies, au recours à une longue litanie de vœux pieux : « l’Europe sociale », « l’Europe des citoyens », « faire bouger les lignes en Europe », etc. Ce genre de discours sont répétés inlassablement depuis des décennies alors qu’ils ont fait la preuve flagrante de leur impuissance et de leur incapacité à avoir la moindre prise sur le réel.

Une dernière remarque à propos du statut sociologique du discours européiste : je fais partie d’un département d’Études européennes dans une université britannique. Je peux vous assurer que mes collègues, qui sont du côté mainstream, qui sont donc universitaires mais qui connaissent de façon intime la machine européenne, ont toujours refusé de prendre au sérieux la vision de Syriza. Ils n’arrêtaient pas d’ironiser sur les naïfs qui pensaient qu’à coups de négociations et d’échanges de bons arguments on arriverait à rompre avec le cadre des politiques européennes, c’est-à-dire avec l’austérité et le néolibéralisme. Personne n’a pris ce discours au sérieux chez les gens informés, alors, qu’à l’inverse, il déclenchait une sorte d’extase parmi les cadres et bon nombre de militants des formations de la gauche radicale européenne. Nous avons ici affaire à une question de politique avec un grand « P », à la puissance de l’idéologie dominante et à une déficience d’analyse et de pensée stratégique, loin de toute explication réductrice en termes de position sociologique des acteurs.

Slavoj Žižek a écrit le 20 juillet que « Syriza devrait exploiter, en montrant un pragmatisme impitoyable, en pratiquant le calcul le plus glacial, les fêlures les plus minces de l’armure de l’adversaire. Syriza devrait instrumentaliser tous ceux qui résistent à la politique hégémonique de l’Union européenne, des conservateurs britanniques à l’UKIP, le parti pour l’indépendance du Royaume-Uni. Syriza devrait flirter effrontément avec la Russie et la Chine, elle devrait caresser l’idée de donner une île à la Russie afin que celle-ci en fasse sa base militaire en Méditerranée, juste pour effrayer les stratèges de l’OTAN. Paraphrasons un peu Dostoïevski: maintenant que le Dieu-Union européenne a failli, tout est permis². » Y souscrivez-vous ?

Il y a ici deux questions en une. Tout d’abord, il s’agit de s’interroger sur les contradictions internes à l’Union européenne et, ensuite, de se demander que faire en dehors de ce cadre. Quant à la première, la stratégie du gouvernement Tsipras consistait justement à exploiter ses contradictions internes, réelles ou, surtout, supposées. Ils pensaient pouvoir jouer sur l’axe Hollande-Renzi – vus comme des gouvernements plus « ouverts » à une approche anti-austérité –, Mario Draghi – vu également sur une ligne divergente de l’orthodoxie rigoriste de Wolfgang Schäuble [Ministre allemand des Finances] – et, enfin, sur le facteur américain – perçu comme pouvant faire pression sur le gouvernement allemand. Tout cela s’est révélé une illusion complète. Bien entendu, il ne s’agit pas de nier l’existence de contradictions dans le bloc adverse : le FMI, par exemple, a une logique de fonctionnement et des priorités en partie distinctes de celles de la Commission européenne. Ceci dit, toutes ces forces convergent sur un point fondamental : dès qu’une menace réelle émerge, et Syriza en était une car il remettait en cause l’austérité et le néolibéralisme, toutes ces forces ont fait bloc pour la détruire politiquement. Voyons le numéro de François Hollande. Il essaie d’endosser auprès de l’opinion française un rôle soi-disant amical vis-à-vis des Grecs. En réalité, il n’a été qu’un facilitateur de l’écrasement du gouvernement grec par le gouvernement allemand : ces acteurs-là sont d’accord sur l’essentiel, à savoir sur une stratégie de classe — les divergences ne portent que sur des nuances.

« Hollande n’a été qu’un facilitateur de l’écrasement du gouvernement grec par le gouvernement allemand : ces acteurs-là sont d’accord sur l’essentiel, à savoir sur une stratégie de classe. »

Que faire maintenant, en dehors du cadre de l’Union européenne ? Penser pouvoir s’appuyer sur l’administration Obama est une fausse bonne idée, on l’a vu. Quant à la Russie, c’était sans doute une carte à explorer. Syriza l’a tentée sans vraiment y croire ; en réalité, la diplomatie russe est très conservatrice. Elle ne vise pas du tout à favoriser des ruptures dans le bloc européen. La Russie, dans ses pourparlers avec Syriza, souhaitait un gouvernement dissonant quant à l’attitude antirusse des Occidentaux suite à l’affaire ukrainienne et aux sanctions économiques. Mais à condition de rester dans le cadre de l’Union européenne et de l’euro ! En dépit de quelques bonnes paroles, la Russie n’a été, à aucun moment, un allié du gouvernement Syriza : il me semble douteux de croire qu’elle serait disposée à faire davantage si les choses étaient allées jusqu’à la rupture.

D’aucuns avancent que Tsipras temporise et attend les élections générales espagnoles de novembre pour avoir le soutien de Pablo Iglesias – en pariant sur une victoire de Podemos. Cela vous semble-t-il crédible ?

Ce genre de propos relève d’une tromperie manifeste. En signant cet accord, la Grèce est soumise à un carcan qui va bien au-delà de celui imposé par les mémorandums précédents. C’est un véritable mécanisme institutionnalisé de mise sous tutelle du pays et de démembrement de sa souveraineté. Il ne s’agit pas simplement d’une liste – comme les naïfs peuvent le croire – de mesures d’austérité très dures, mais de réformes structurelles qui remodèlent le cœur de l’appareil d’État : le gouvernement grec perd en effet le contrôle des principaux leviers de l’État. L’appareil fiscal devient une institution dite « indépendante » ; elle se retrouve en fait dans les mains de la Troïka. Un conseil de politique budgétaire est mis en place, qui est habilité à opérer des coupes automatiques sur le budget si le moindre écart est signalé par rapport aux objectifs en matière d’excédents, fixés par les mémorandums. L’agence des statistiques devient elle aussi « indépendante » ; en réalité, elle devient un appareil de surveillance en temps réel des politiques publiques directement contrôlé par la Troïka. La totalité des biens publics considérés comme privatisables sont placés sous le contrôle d’un organisme piloté par la Troïka.

Privé de tout contrôle de sa politique budgétaire et monétaire, le gouvernement grec, quelle que soit sa couleur, est désormais dépossédé de tout moyen d’agir. La seule chose qui reste sous contrôle de l’État grec est l’appareil répressif. Et on voit bien qu’il commence à être utilisé comme avant, c’est-à-dire pour réprimer des mobilisations sociales. Les gaz lacrymogènes déversés sur la place Syntagma du 15 juillet, suivis d’arrestations de militants, de passages à tabac et maintenant de procès devant les tribunaux de syndicalistes, ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend lorsque la situation sociale se durcira, lorsque les saisies des résidences principales se multiplieront, lorsque les retraités subiront de nouvelles coupes dans leur retraite, lorsque les salariés seront dépossédés du peu de droits qu’ils leur restent. Le maintien du très autoritaire Yannis Panoussis comme ministre responsable de l’ordre public, et qui se voit également confier le portefeuille de l’immigration, est un signal clair du tournant répressif qui s’annonce. Ceux qui évoquent donc une stratégie de « gain de temps » ne provoquent chez moi qu’un mélange de dégoût et de révolte.

Vous analysez les résultats du référendum du 5 juillet comme un vote de classe. Pensez-vous, comme Frédéric Lordon en France, que l’Union européenne et l’euro sont l’opportunité historique donnée à la gauche radicale de reconstruire une frontière de classe dans nos sociétés européennes ? Faut-il, d’après vous, profiter des élans d’une sorte de « patriotisme émancipateur » (« Défendre les Grecs contre la Troïka », dit-on) – pour constituer des identités politiques « nationales-populaires » (Gramsci), comme en Amérique latine ?

Je me situe, de par ma formation intellectuelle au sein du marxisme, à la convergence de ces deux dimensions : associer la dimension de classe et la dimension nationale-populaire. Cela me paraît d’autant plus pertinent dans le cadre des pays dominés comme la Grèce. Disons-le sans ambages : l’Union européenne est une construction impérialiste – par rapport, certes, au reste du monde, mais aussi en interne, au sens où elle reproduit des rapports de domination impériale en son sein. On peut distinguer au moins deux périphéries : la périphérie Est (les anciens pays socialistes), qui sert de réservoir de main-d’œuvre bon marché, et la périphérie Sud (c’est un sud géopolitique, et non géographique, qui inclut l’Irlande). Ces pays sont soumis à des régimes de souveraineté limitée de plus en plus institutionnalisés via la mécanique des mémorandums. Quant à la force du vote « non » au référendum, elle vient de l’articulation de trois paramètres : la dimension de classe, la dimension générationnelle et la dimension nationale-populaire. Cette dernière explique pourquoi le « non » l’a emporté même dans les départements de tradition conservatrice. Je pense que pour devenir hégémonique, la gauche a besoin de tenir les deux bouts. D’abord, une identité de classe adaptée à l’ère du néolibéralisme, du capitalisme financier et des nouvelles contradictions qui en résultent — la question de la dette et des banques est un mode essentiel (mais non unique) sur lequel repose aujourd’hui l’antagonisme entre Travail et Capital. Par ailleurs, ces forces de classe doivent prendre la direction d’un bloc social plus large, capable d’orienter la formation sociale dans une nouvelle voie. Il devient ainsi bloc historique qui « se fait Nation » , autrement dit, qui assume une hégémonie nationale-populaire. Antonio Gramsci a beaucoup travaillé là-dessus, oui : articuler la dimension de classe et nationale-populaire.

« Je pense que pour devenir hégémonique, la gauche a besoin de tenir les deux bouts : la dimension de classe et la dimension nationale-populaire. »

Il s’agit d’une question complexe, qui se pose différemment selon chaque histoire nationale. En France, ou dans les nations anciennement coloniales et impérialistes, la notion nationale-populaire ne se pose pas de la même façon qu’en Grèce ; comme elle ne se pose de la même façon en Grèce qu’en Tunisie, ou dans un pays asiatique ou latino-américain. L’enjeu est d’analyser les contradictions propres des formations sociales. Ceci étant dit, la force de Syriza, et plus largement de la gauche radicale grecque (qui a un enracinement profond dans l’histoire contemporaine du pays et dans les luttes pour la libération nationale), est qu’elle combine la dimension de classe et la dimension nationale-populaire.

Le scénario grec a permis de dessiller les yeux des défenseurs de l’« autre Europe ». N’est-ce pas là le grand succès de Syriza : avoir révélé en quelques semaines la nature anti-démocratique des institutions européennes ? Par exemple, le dernier vote au Parlement grec a donné à voir un spectacle ahurissant : des députés qui doivent se prononcer sur un texte de 977 pages, reçu 24 heures plus tôt…

Il faut bien que les défaites servent à quelque chose ! Malheureusement, ce que je vois dominer, même maintenant, dans la gauche radicale, ce sont des réflexes d’auto-justification : malgré tout, il faut trouver des excuses à ce que fait Tsipras, tourner autour du pot, laisser croire qu’il ne s’agit que d’un mauvais moment à passer, etc. J’espère que ce n’est qu’un mécanisme psychologique transitoire face à l’étendue du désastre et que nous aurons rapidement le courage de regarder la réalité en face, le courage de réfléchir sur les raisons de ce désastre. Je ne sais pas, pour ma part, ce qu’il faut de plus comme démonstration éclatante de l’inanité de la position selon laquelle on peut rompre avec le néolibéralisme dans le cadre des institutions européennes ! L’un des aspects les plus choquants des développements qui font suite à la signature de l’accord est qu’on est revenu exactement à la situation de 2010-2012, en matière de démocratie, ou plutôt de sa négation ! À savoir que même les procédures formelles de la démocratie parlementaire – on voit d’ailleurs qu’elles ne sont pas que formelles au regard des efforts déployés pour les supprimer – ne sont pas respectées. Les députés n’ont eu que quelques heures pour prendre connaissance de pavés monstrueux qui changent de fond en comble le code de procédure civile : 800 pages, qui faciliteront la saisie des maisons ou renforcent la position juridique des banques en cas de litige avec des emprunteurs. En outre, on trouve dans ce même projet de loi la transposition d’une directive européenne sur l’intégration au système bancaire européen, qui permet, en cas de faillite des banques, de pratiquer ce qu’on appelle un « bail-in », c’est-à-dire un prélèvement sur les dépôts bancaires pour renflouer les banques. Le cas chypriote se généralise à l’échelle de l’Europe. Tout cela a été voté le 22 juillet par les mêmes procédures d’urgence que Syriza n’avait cessé de dénoncer durant toutes ces années, et qu’il est désormais obligé d’accepter puisqu’il a capitulé devant les créanciers. Le mot « capituler » est sans doute faible. J’ai vraiment des réactions de honte quand je vois un parti dont je suis toujours membre être au gouvernement et se livrer à ce type de pratiques, qui tournent en dérision les notions les plus élémentaires du fonctionnement démocratique des institutions.

Après le vote par le Parlement grec de l’accord d’austérité et desdites « réformes structurelles », comment se redéfinit l’échiquier politique grec ? Va-t-on vers une scission de Syriza ou, du moins, une recomposition des forces de gauche radicale ? D’autant que les grèves repartent et la place Syntagma se remplit de nouveau…

La recomposition est certaine et elle sera de grande ampleur. Il est peut-être trop tôt pour en avoir les contours exacts mais j’aimerais insister sur deux éléments. Le premier est la situation interne de Syriza. Il faut bien comprendre que les choix du gouvernement Tsipras n’ont pas de légitimité au sein du parti. La majorité des membres du Comité central a signé un texte commun, dans lequel l’accord est rejeté et considéré comme le produit d’un coup d’État contre le gouvernement grec. Une  convocation immédiate du comité central est exigée — et elle s’est heurtée à une fin de non-recevoir de Tsipras, président du parti élu, lui-aussi, directement par le Congrès. La quasi-totalité des fédérations du parti et des sections locales votent des motions dans le même sens. On est devant une situation de blocage. Du côté des proches de Tsipras, le ton devient extrêmement agressif envers ceux qui sont en désaccord avec les choix qui ont été faits. Il est très choquant de voir que certains membres du parti reprennent mot pour mot les arguments propagés par les médias, jusqu’aux calomnies qui présentent les défenseurs de plans alternatifs, comme Varoufákis ou Lafazanis, comme des putschistes, des comploteurs de la drachme, des alignés sur le Grexit, façon Schäuble. Nous avons donc peu de raisons d’être optimistes quant à l’évolution de la situation interne de de Syriza.

Mais l’essentiel est ailleurs. La gauche de Syriza, dans ses diverses expressions (même si la Plateforme de gauche en constitue l’épine dorsale), se fixe à présent comme objectif la traduction et la représentation politique du peuple du « non » aux mémorandums et à l’austérité. La situation nouvelle créée est que le bloc social, avec ses trois dimensions – de classe, de génération et national-populaire –, se retrouve désormais orphelin de représentation politique. C’est à cette construction politique qu’il faut maintenant s’atteler. Il s’agit de rassembler, de façon très large, des forces politiques à l’intérieur et l’extérieur de Syriza. Les premiers signes qui nous parviennent sont positifs. Mais il est vital d’impliquer également dans ce nouveau projet des acteurs non strictement politiques, qui ont mené la bataille du « non » par en-bas, dans le mouvement social. C’est absolument extraordinaire : les initiatives, que ce soit sur les lieux de travail ou dans les quartiers, ont littéralement fusé en l’espace de quelques jours ; d’autres se sont créées dans la foulée du référendum ou se constituent actuellement.

L’image que véhiculent les médias, selon laquelle « en Grèce, tout le monde est soulagé, Tsipras est très populaire », est très loin de la réalité. Il y a un très grand désarroi, de la confusion, une difficulté à admettre ce qui s’est passé. Un ami a utilisé le terme de « choc post-traumatique ». Cela signifie qu’une partie de l’électorat du « non » est dans un tel désarroi qu’elle ne sait plus sur quel pied danser et se dit qu’il n’y avait peut-être pas d’autre choix possible. Mais nombreux sont ceux, surtout parmi les secteurs sociaux les plus massivement engagés dans le « non » – à savoir les jeunes et les milieux populaires –, qui sont révoltés et disponibles pour participer ou soutenir un projet alternatif. La Plateforme de gauche tient son premier meeting public au grand air à Athènes, lundi prochain [27 juillet — aujourd'hui]. Le titre de cette manifestation sera : « Le non n’est pas vaincu. Nous continuons. » Il faut construire de façon nouvelle la voix du « non » de classe, démocratique et anti-Union européenne.

C’est la stratégie qu’aurait dû entreprendre la gauche radicale française suite à la victoire du « non » au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen en 2005, non ?

Exactement. Et au lieu de ça, elle a régressé et s’est empêtrée dans des luttes de boutique internes. Au lieu de pousser la critique de l’UE plus loin, à partir de l’acquis de la campagne du « non », elle est revenue en arrière et n’a cessé de rabâcher la litanie de « l’Europe sociale » et de la réforme des institutions européennes…

Le projet d’une plateforme commune des gauches radicales sud-européennes, afin d’établir un programme concerté de sortie de l’euro, est-il envisageable ?

« Ce qui m’intéresse est une stratégie anticapitaliste pour ici et maintenant, dans un pays européen et dans la conjoncture où nous vivons. »

Depuis 35 ans, j’essaie d’être un militant communiste. Ce qui m’intéresse est une stratégie anticapitaliste pour ici et maintenant, dans un pays européen et dans la conjoncture où nous vivons. Et je considère effectivement que cela serait la médiation nécessaire afin d’établir une stratégie anticapitaliste effective, non pas basée sur un propagandisme abstrait ou sur des velléités de répétition des schémas anciens dont on sait pertinemment qu’ils ne sont plus valides, mais sur les contradictions actuelles ; une stratégie qui tire les leçons des expériences politiques récentes, des luttes, des mouvements sociaux et qui essaie d’avancer dans ce sens, en posant la question du pouvoir et de la stratégie politique. Ce n’est donc pas simplement un projet prétendument « anti-européen », ce n’est d’ailleurs pas un projet limité à l’Europe du Sud, mais un projet authentiquement internationaliste — qui suppose en effet des formes de coordination plus avancées des forces d’opposition au système. Ce qu’il faut, c’est une nouvelle gauche anticapitaliste. Et l’une des conditions, non pas suffisante mais nécessaire pour y parvenir, est d’ouvrir un front résolu contre notre adversaire actuel, c’est-à-dire l’Union européenne et tout ce qu’elle représente.

Dans vos interviews, écrits et articles, vous avez pris l’habitude d’écrire systématiquement entre guillemets « la gauche de la gauche » ou « la gauche radicale ». Cette incapacité à se définir clairement – sans ambages ni guillemets – marque-t-elle le signe que les identités politiques héritées du XXe siècle sont, pour partie, devenues obsolètes ?

Le terme de « gauche radicale » est sans doute utile car il correspond à cette situation mouvante. On est dans un entre-deux et les formulations souples sont nécessaires, ou du moins inévitables, pour permettre aux processus de se déployer de façon nouvelle, en rupture avec des schémas préétablis. Ce qui caractérise Syriza sont ses racines très profondes dans le mouvement communiste et la gauche révolutionnaire grecque. En d’autres termes, Syriza est issu de la recomposition de mouvements dont le but commun était la remise en cause, non pas seulement des politiques d’austérité ou néolibérales, mais du capitalisme lui-même. Il y a donc d’un côté un aspect de radicalité réelle, mais de l’autre, on a vu que la stratégie choisie était profondément inadéquate et renvoyait à des faiblesses de fond et, par là même, à des contradictions dans la constitution de Syriza, qui n’a pas résisté à cette épreuve terrible du pouvoir gouvernemental. La contradiction a ainsi fini par éclater. Il s’agit à présent d’assumer ce fait et de passer à une étape suivante pour que cette expérience chèrement acquise par le peuple grec et les forces de la gauche de combat servent au moins à ouvrir une perspective d’avenir.


NOTES

1. Entretien accessible en ligne.
2. « Le courage du désespoir », accessible en ligne.

Source : http://www.revue-ballast.fr

Source: http://www.les-crises.fr/stathis-kouvelakis-le-non-nest-pas-vaincu-nous-continuons/


Tim Geithner révèle sans détour comment les dirigeants de l’Europe ont tenté un suicide financier

Tuesday 4 August 2015 at 01:58

Des transcriptions de l’ancien secrétaire au trésor américain dévoilent une panoplie d’erreurs qui hanteront l’Europe pour des années, aggravée par une rigueur déplacée.

Tim Geithner a découvert ce à quoi il allait être confronté dès février 2010 au G7 | Photo : ReutersPar Ambrose Evans-Pritchard

Nous le savons désormais : les dirigeants de l’Europe ont bien tenté de renvoyer la Grèce à l’âge de pierre dans une rage rancunière, ont comploté pour suspendre toute aide à la dette de l’Italie tant que son dirigeant élu n’était pas chassé, et ont “géré” la crise dans l’union monétaire européenne pendant trois ans avec une stupidité à faire pleurer.

Timothy Geithner a révélé les détails, tout aussi déplaisants qu’alarmants. L’ancien secrétaire au trésor des États-Unis a fait allusion à ces “défauts” dans son mémoire, Stress Test : Reflections on Financial Crises.

Peter Spiegel, du Financial Times, a obtenu les transcriptions brutes, parsemées de jurons.

Le verdict est sans appel. “J’ai complètement sous-estimé la possibilité qu’ils s’agiteraient pendant trois ans. Il m’était tout simplement inconcevable qu’ils laisseraient la situation empirer à ce point”, dit M. Geithner.

Il a découvert ce à quoi il allait être confronté dès février 2010 lors d’un meeting du G7 qui, étrangement, se tenait dans la ville canadienne d’Iqaluit, dans la Baie de Frobisher. On savait déjà que le déficit budgétaire de la Grèce était de 12% du PIB (et non pas 6% comme annoncé précédemment) et que le marché obligataire grec allait dans le décor.

Geithner : Je me souviens être allé dîner en regardant mon BlackBerry. C’était un p***n de désastre en Europe. Les actions des banques françaises avaient perdu 7 ou 8 points. C’était énorme. Pour moi, vous aviez un carnage complet classique parce que les gens disaient : crise en Grèce, qui est exposé à la Grèce ?

Je l’ai dit à ce dîner, à ce meeting, parce que les Européens se pointaient en déclarant en gros : “Nous allons donner une leçon aux Grecs. Ils sont vraiment horribles. Ils nous ont menti. Ils sont nuls, ils gaspillent, ils ont profité de tout ça et on va les écraser.” C’était à peu de chose près leur attitude, à tous.

Mais la chose importante, c’est que je leur ai dit : “Vous pouvez leur marcher dessus si c’est que vous voulez faire. Mais pour compenser, vous devez faire en sorte d’envoyer un signal rassurant à l’Europe et au monde entier, montrer que vous allez tenir les choses en main et ne pas lâcher. Vous allez protéger le reste.

J’ai été très clair avec eux dès le départ. On les entendait pousser des cris à glacer le sang sur l’aléa moral, et je leur ai dit : “D’accord. Si vous voulez être durs avec eux, ça va, mais vous devez contrebalancer en faisant bien comprendre que vous n’allez pas laisser la crise s’étendre en dehors de la Grèce. Vous devez mettre tout votre soin et vos efforts à rendre cette détermination crédible au moment où vous donnerez leur leçon aux Grecs.

Journaliste : Est-ce que vous aviez un pressentiment du genre “oh mon Dieu, ces types vont juste…”

Geithner : Ouais. J’avais vraiment… bien sûr, comme je pense l’avoir dit ailleurs, j’avais complètement sous-estimé la possibilité qu’ils brasseraient du vent pendant trois ans. Il m’était tout simplement inconcevable qu’ils laisseraient la situation empirer à ce point. Mais ces présages étaient déjà visibles dans le débat initial. Les Grecs leur avaient menti. C’était embarrassant parce que les Grecs avaient emprunté tout cet argent et ils étaient furieux, en mode “sortez les battes”.

Ils voulaient juste les tabasser. Mais en le faisant, ils risquaient de mettre le feu aux poudres. Ne manquait plus qu’une allumette.

M. Geithner est resté atterré par l’accord de Deauville en octobre 2010 (entre la chancelière Angela Merkel et le président français Nicolas Sarkozy) qui imposerait une diminution aux détenteurs de titres souverains avant même qu’un mécanisme soit mis en place pour mettre fin à la contagion.

Geithner : C’était une incroyable erreur d’appréciation des dégâts. Ils ont tenu un sommet à Deauville en France, où Sarkozy, afin que Merkel arrête avec ses histoires d’union fiscale (ce qui était très difficile pour lui politiquement, vous savez, voir la France se placer sous la coupe de l’Allemagne en matière fiscale, du moins c’était la politique française). Donc Sarkozy se résout à soutenir Merkel sur cette réduction.

J’étais au cap Cod pour Thanksgiving et je me souviens d’avoir appelé le G7 depuis Le Cap dans ma petite chambre d’hôtel. Et en gros j’ai dit, comme Trichet, j’ai été grossier et j’ai dit : si vous faites ça, vous ne ferez qu’accélérer la fuite des capitaux d’Europe. Personne ne prêtera un dollar, un euro, à un gouvernement européen s’il est faible dans ce contexte parce que la logique sera, s’ils ont besoin d’argent, il y aura une restructuration, une réduction de la valeur de la dette. Cela inverse complètement les incitations que vous voulez créer.

J’étais hors de moi et j’ai dit il est possible que vous ayez à le faire – je ne me rappelle plus exactement comment je l’ai dit – c’est possible, si vous avez l’intention de restructurer la Grèce, mais à moins d’avoir la capacité à protéger ou à garantir le reste de l’Europe contre la contagion qui va s’ensuivre, c’est l’exacte métaphore de notre crise de 2008. Vous ne pouvez pas faire ça.

A ce moment, Trichet était complètement hors de ses gonds contre eux, et leur a dit : “Vous ne pouvez pas tenir ces paroles en l’air sur la réduction de la dette avant d’être dans une meilleure position pour garantir et protéger le reste de l’Europe de la contagion et de tout ce qui s’est passé.”

Au sujet de l’Italie, nous savons déjà grâce au livre de M. Geithner que les dirigeants de l’union monétaire européenne ont essayé de convaincre Obama de soutenir leur putsch contre le premier ministre Silvio Berlusconi en 2011. Leur requête fut rejetée. “Nous ne pouvons pas avoir du sang sur les mains”, furent les mots exacts. Les transcriptions en donnent toute la saveur.

Geithner : Pour abonder dans leur sens, les Allemands savent d’expérience qu’à chaque fois qu’ils achètent un peu de calme, et que les spreads Italiens se rapprochent, Berlusconi revient sur tout ce qu’il avait promis. Ils étaient juste paranoïaques à l’idée que chaque geste de générosité soit reçu par une sorte de “allez vous faire foutre” de l’establishment des pays plus faibles en Europe, l’establishment politique, et les Allemands étaient quasiment hystériques. Sarkozy, qui essaie de naviguer entre la perception allemande de la crise et le fait que la France souffrait beaucoup des dégâts collatéraux elle aussi, et parce que l’Europe s’affaiblit, il est en campagne. Il essaie de trouver un moyen pour établir une passerelle.

Il y a eu un sommet du G20 en France dont Sarkozy était l’hôte, qui était incroyablement intéressant, fascinant pour nous et pour le président et j’aborde ça rapidement pour pouvoir y revenir. Les Européens nous ont en fait approchés doucement, indirectement avant l’évènement en disant : “Nous aimerions que vous vous joignez à nous pour éjecter Berlusconi.” Ils voulaient que nous disions que nous ne soutiendrions aucune aide du FMI à l’Italie, en argent ou de n’importe quelle autre façon, tant que Berlusconi serait premier ministre. C’était intéressant. J’ai dit non.

Mais j’ai pensé que Sarkozy et Merkel faisaient en gros ce qu’il fallait mais que ça n’allait pas marcher. L’Allemagne, le public allemand, n’allaient pas soutenir un pare-feu financier plus important, plus d’argent pour l’Europe avec Berlusconi aux manettes du pays.

Finalement, M. Geithner dit que la phrase de Mario Draghi en juillet 2012 “nous ferons tout ce qui est nécessaire” était de l’improvisation, faite sans l’aval du conseil des gouverneurs de la BCE. C’est peut-être vrai, mais trompeur puisque le ministère des finances allemand était effectivement au courant du plan de sauvetage par les OMT pour l’Italie et l’Espagne. (J’ai pris part à un dîner avec le directeur général du ministère à peu près trois semaines avant et il avait signalé que quelque chose était en train de se préparer. Il a même utilisé l’expression “rien ne se passe dans la zone euro en ce moment sans notre permission”, alors ça me fait sourire lorsqu’on me dit que l’Allemagne ne dirige pas la zone monétaire européenne.

Mais nous y voilà :

Geithner : Les choses se sont détériorées dramatiquement pendant l’été, qui amena Draghi à prononcer ces choses en août que je ne pourrai jamais écrire, mais pour faire simple : il était à Londres à une réunion avec quelques fonds de pensions et des banquiers. Il était inquiet du style direct de l’Europe, parce qu’à ce moment-là toute la communauté de fonds de pensions pensait que l’Europe était finie. Je me souviens qu’il m’a raconté ça après, il était aux abois et a décidé d’ajouter à ses remarques, et fait tout un tas de déclarations à l’improviste du style “nous ferons tout ce qui est nécessaire”. Ridicule.

Journaliste : C’était juste impromptu ?

Geithner : Totalement impromptu… Je suis allé voir Draghi, et à ce stade, Draghi n’avait pas de plan. Ca leur est tombé dessus.

Quel foutoir.

Source : The Telegraph, le 12/11/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/tim-geithner-revele-sans-detour-comment-les-dirigeants-de-leurope-ont-tente-un-suicide-financier/


La débâcle grecque, par Perry Anderson (+ Annie Lacroix-Riz)

Tuesday 4 August 2015 at 00:09

22 JUILLET 2015 |  PAR LES INVITÉS DE MEDIAPART

L’historien britannique Perry Anderson revient sur la crise grecque et analyse l’échec de la stratégie du premier ministre grec. « Tsipras et ses collègues ont répété à qui voulait les entendre qu’il était hors de question d’abandonner l’euro. Ce faisant, ils ont renoncé à tout espoir sérieux de négocier avec l’Europe réelle — et non l’Europe qu’ils fantasmaient. » 

La crise grecque a provoqué un mélange prévisible d’indignation et d’auto-satisfaction en Europe, où l’on oscille entre déploration de la dureté de l’accord imposé à Athènes et célébration du maintien in extremis de la Grèce dans la famille européenne, ou bien les deux à la fois. La première réaction est aussi futile que la seconde. Une analyse réaliste ne laisse de place à aucune des deux. Que l’Allemagne soit une fois de plus la puissance hégémonique du continent n’est pas un scoop en 2015 : la chose est évidente depuis au moins vingt ans. Que la France se comporte comme sa servante, dans une relation assez semblable à celle du Royaume-Uni vis-a-vis des Etats-Unis, n’est pas davantage une nouveauté politique : après De Gaulle, la classe politique française a retrouvé ses réflexes des années 1940. Elle s’accommode, et même admire, la puissance dominante du jour : hier Washington, aujourd’hui Berlin.

Moins surprenante encore est l’issue actuelle de l’union monétaire. Depuis l’origine, les avantages économiques de l’intégration européenne, qui vont de soi pour l’opinion bien-pensante de tout bord, ont en réalité été très modérés. En 2008, les calculs de Barry Eichengreen et Andrea Boltho, deux économistes favorables à l’intégration, concluaient que celle-ci avait augmenté le PIB du marché commun de 3 ou 4% entre la fin des années 1950 et le milieu des années 1970, que l’impact du Système Monétaire Européen était insignifiant, que l’Acte unique européen a pu ajouter 1%, et que l’Union monétaire n’avait quasiment aucun effet discernable sur la croissance ou la production.

C’était avant que la crise financière mondiale ne frappe l’Europe. Depuis, le carcan de la monnaie unique s’est révélé aussi désastreux pour les Etats du sud de l’Europe qu’avantageux pour l’Allemagne, où la répression salariale — masquant une très faible croissance de la productivité— a assuré à l’industrie allemande son avantage compétitif contre le reste de l’Europe. Quant aux taux de croissance, la comparaison avec les chiffres du Royaume-Uni ou de la Suède, depuis Maastricht, suffit à démonter l’affirmation que l’euro aurait profité à un pays autre que son principal architecte.

Voilà la réalité de la « famille européenne » telle qu’elle a été construite par l’Union monétaire et le Pacte de stabilité. Mais son idéologie est inébranlable : dans le discours officiel et intellectuel, l’UE garantit toujours la paix et la prospérité du continent, bannit le spectre de la guerre entre les nations, défend les valeurs de la démocratie et des droits de l’Homme, et fait respecter les principes d’un libre marché modéré, socle de toutes les libertés. Ses règles sont fermes mais souples, répondant à un double impératif de solidarité et d’efficacité. Pour les sensibilités baignant dans cette idéologie commune à l’ensemble du personnel politique européen et à la vaste majorité du commentaire médiatique, la souffrance des Grecs a été un spectacle douloureux. Mais heureusement, le bon sens a fini par triompher, un compromis a été trouvé et il ne reste plus qu’à espérer tous ensemble que l’Union n’a pas subi de dommage irréparable.

Depuis la victoire électorale de Syriza en janvier, le cours de la crise en Grèce était également prévisible, à l’exception du rebondissement final. Les origines de la crise étaient doubles : la qualification frauduleuse à l’entrée dans la zone euro par le PASOK de Simitis et l’impact du krach global de 2008 sur l’économie fragile d’une Grèce endettée et non compétitive. Depuis 2010, des programmes d’austérité successifs — autrefois appelés « plans de stabilisation » — dictés par l’Allemagne et la France, dont les banques étaient les plus exposées au risque de défaut grec, ont été mis en oeuvre sur place par la Troïka composée de la Commission européenne, de la BCE et du FMI. Cinq années de chômage de masse et de coupes budgétaires sociales plus tard, la dette atteignait de nouveaux sommets. Dans ce contexte, Syriza a gagné parce qu’il promettait avec fougue et conviction de mettre fin à la soumission à la Troïka. Il « renégocierait » les termes de la tutelle européenne.

Comment comptait-il y parvenir ? Tout simplement en implorant un traitement plus doux, et en jurant quand celui-ci ne venait pas — des implorations et des jurons, donc, adressés aux nobles valeurs de l’Europe, auxquelles le Conseil européen ne pouvait être indifférent. Il n’était que trop clair, dès le départ, que ce déversement de supplications et d’imprécations était incompatible avec toute idée de sortie de l’euro. Pour deux raisons. Les dirigeants de Syriza n’arrivaient pas à faire la distinction mentale entre l’appartenance à la zone euro et à l’UE, considérant la sortie de l’une comme équivalent de l’expulsion de l’autre, soit le pire cauchemar pour les bons Européens qu’ils assuraient être. Ensuite, ils savaient que, grâce aux fonds structurels et à la convergence initiale des taux d’intérêt européens, le niveau de vie des Grecs avait effectivement progressé pendant les années Potemkine de Simitis. Les Grecs avaient donc de bons souvenirs de l’euro, qu’ils ne reliaient pas à leur misère actuelle. Plutôt que d’essayer d’expliquer ce lien, Tsipras et ses collègues ont répété à qui voulait les entendre qu’il était hors de question d’abandonner l’euro.

Ce faisant, ils ont renoncé à tout espoir sérieux de négocier avec l’Europe réelle — et non l’Europe qu’ils fantasmaient. La menace économique d’un Grexit était certes beaucoup plus faible en 2015 qu’en 2010, les banques allemandes et françaises ayant été renflouées entre temps par les plans de soi-disant sauvetage de la Grèce. Malgré quelques voix alarmistes résiduelles, le ministère des finances allemand savait depuis un moment que les conséquences matérielles d’un défaut Grec ne seraient pas dramatiques. Mais du point de vue de l’idéologie européenne à laquelle adhèrent tous les gouvernements de la zone euro, ce coup symbolique porté à la monnaie unique, et au « projet européen » comme on aime à l’appeler ces jours-ci, aurait été une régression terrible qu’il fallait empêcher à tout prix. Si Syriza avait élaboré dès son arrivée au pouvoir un plan B pour un défaut organisé — en préparant les contrôles de capitaux, l’impression d’une monnaie parallèle et d’autres mesures de transition imposables en 24 heures pour éviter le désordre — et menacé l’UE de l’appliquer, il aurait disposé d’armes de négociation. S’il avait déclaré qu’en cas d’épreuve de force, il retirerait la Grèce de l’OTAN, même Berlin aurait réfléchi à deux fois à un troisième programme d’austérité, devant la crainte américaine que suscite une telle perspective. Mais pour les Candides de Syriza, ceci était encore plus tabou que l’idée d’un Grexit.

Face à un interlocuteur privé de tout levier et alternant entre implorations et insultes, pourquoi les puissances européennes auraient-elles fait la moindre concession, sachant dès le départ que tout ce qu’elles décideraient serait in fine accepté ? Sous cet angle, leur conduite a été tout à fait rationnelle. La seule surprise notable dans cette chronique écrite d’avance fût que Tsipras annonce, en désespoir de cause, un référendum sur le troisième mémorandum et que l’électorat le rejette massivement. Armé de ce « Non » retentissant, Tsipras a émis un « oui » penaud à un quatrième memorandum encore plus dur que le précédent, prétendant à son retour de Bruxelles qu’il n’avait pas d’autre choix en raison de l’attachement des Grecs à l’euro. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas avoir posé cette question là au referendum : être vous prêts à tout accepter pour rester dans l’euro?  En appelant à voter Non, et en exigeant un Oui docile moins d’une semaine après, Syriza a retourné sa veste aussi vite que les crédits de guerre avaient été votés par la sociale-démocratie en 1914, même si, cette fois-ci, une minorité du parti a sauvé son honneur. A court terme, Tsipras prospérera sur les ruines de ses promesses, comme l’avait fait le premier ministre travailliste britannique Ramsay MacDonald, dont le gouvernement d’union nationale composé en majorité de conservateurs avait imposé l’austérité en pleine Grande dépression, avant de mourir dans le mépris de ses contemporains et de la postérité. La Grèce a déjà eu sa part de dirigeants de cet acabit. Peu de gens ont oublié lApostasia de Stephanopolous en 1965 (1).  Le pays aura sans doute à en subir d’autres.

Quid de la logique plus large de la crise ? Tous les sondages montrent que, partout, l’attachement  à l’Union européenne a — à juste titre — fortement décliné en dix ans. Elle est désormais vue comme ce qu’elle est : une structure oligarchique, gangrénée par la corruption, construite sur le déni de la souveraineté populaire, imposant un régime économique amer de privilèges pour quelques uns et de contraintes pour tous les autres. Mais ceci ne signifie pas qu’elle soit mortellement menacée par le bas. La colère monte dans la population, mais faute de catastrophe, le premier instinct sera toujours de s’accrocher à ce qui existe, aussi repoussant que cela puisse être, plutôt que de se risquer à ce qui pourrait être radicalement différent. Ceci ne changera que si, et quand, la colère sera plus forte que la peur. Pour le moment, ceux qui vivent sur la peur — la classe politique à laquelle Tsipras et ses collègues appartiennent désormais — peuvent être tranquilles.

(1) L’Apostasia désigne le transfuge de renégats menés par Stephanos Stephanopoulos d’un gouvernement d’Union des Centres à un régime nommé par le Roi, deux ans avant le coup d’Etat militaire de 1967.

Source : http://blogs.mediapart.fr

Quand le Coup contre la Grèce révèle ce qu’est l’Union Européenne depuis l’origine ! – par Annie Lacroix-Riz

Il n’aura donc pas fallu une semaine pour que le “OXI” massif des grecs soit piétiné, qu’un coup d’état financier mené de façon implacable par l’Union Européenne en étranglant la Grèce via la Banque central européenne démontre le caractère totalitaire, la nature de dictature de la classe capitaliste de ce qu’est réellement et concrètement l’Union Européenne à ceux qui en douterait encore. www.initiative-communiste.fr site web du PRCF publie cette tribune de notre camarade l’historienne Annie Lacroix-Riz, auteur notamment d’un ouvrage à lire absolument « Aux origine du carcan européen ».

La réalité de cette Union européenne, amorcée à la fin du 19e siècle par les associations capitalistiques franco-allemandes, et qui prit son visage définitif, sous la tutelle américaine ajoutée à l’allemande, entre les années 1920 et les années Jean Monnet-Robert Schuman d’après Deuxième Guerre mondiale, fait brutalement tomber le masque du « projet européen » qui a dupé tant de peuples et pendant si longtemps. Beaucoup prêtent à l’union européenne une identité sympathique, au moins fugace, qu’elle n’a jamais eu, ni en 1926 (fondation du cartel international de l’acier) ni en 1950 (discours de Robert Schuman sur la Communauté européenne du charbon et de l’acier). C’est d’ailleurs l’origine d’une déception sans objet. La casse de l’histoire, systématique, dans tous les pays concernés, et la propagande quotidienne ont entretenu les illusions.

Il fut un temps, et vous le savez, où les partis marxistes, bien informés, notamment par le « camp démocratique » guidés, eh oui !, par l’URSS (pays dont il serait temps de faire sérieusement l’histoire), et indépendants de « l’Occident » guidés par Washington, connaissaient les tenants et aboutissants de « l’Europe » (alors « occidentale »), l’écrivaient et le clamaient. Les archives originales l’attestent, qui révèlent, dans le cas français, l’effroi du Quai d’Orsay devant les révélations, incontestables mais encore parfois au-dessous de la cruelle vérité, que L’Humanité et la presse communiste diffusaient quotidiennement tant sur l’abominable Plan Marshall que sur celui d’Union Européenne qui en constituaient le prolongement : l’objectif était de créer un énorme marché européen pour l’impérialisme américain, avec la perspective d’y intégrer, sous la tutelle secondaire mais essentielle de l’ancien Reich (alors zone occidentale de l’Allemagne puis RFA), le continent européen entier, ce qui supposait entre autre de balayer le « camp socialiste ». Notons qu’on continue ces temps-ci à réclamer un Plan Marshall pour tout et n’importe quoi, notamment pour la Grèce : on ne croit pas si bien dire, on y est, avec une grande partie des conditions attachées aux emprunts « européens » de l’époque…

Un carcan de fer s’abat sur l’europe : l’Union Européenne

Le tout pris corps sous la « protection »-carcan américain du Pacte atlantique d’avril 1949 et de son organisation militaire, l’OTAN, disposant de bases dans le monde entier (stepping stones) et mettant en œuvre la « stratégie périphérique » (aérienne) qui vouait les peuples dépendants à la mission explicitement décrite de « chair à canon » (canon fodder). Cette ligne avait été entièrement définie à Washington pendant la Deuxième Guerre mondiale, à l’heure où l’URSS assurait la partie militaire, avec ses dizaines de millions de victimes militaires et civiles de la guerre d’attrition conduite par l’impérialisme allemand, de ce qui fut l’écrasante victoire économique et politique des Etats-Unis en 1945. L’option américaine n’eut donc rien à voir avec la chronologie de la « Guerre froide », attrape-nigauds aussi puissant et efficace que celui du « projet social » de l’Union Européenne. Rappelons qu’une base militaire, à l’ère maritime (britannique) et aéronautique (états-unienne) de l’impérialisme (voir même avant cette phase impérialiste, pour le cas britannique), constitue d’abord une base de contrôle économique de l’empire.

Que la plupart des partis, mouvements et syndicats révolutionnaires ou (vraiment) « démocratiques » aient changé d’avis sur l’Union Européenne et cédé aux illusions (certains, de longue date, d’autres, qui ont résisté plus longtemps, plus récemment, inutile d’établir ici le sinistre palmarès) mesure seulement l’ampleur des défaites et abdications successives du « mouvement démocratique » au bout de plusieurs décennies de crise systémique du capitalisme et de victoires politiques du « camp impérialiste » (camp très malade cependant). Ces illusions ont généré une situation aussi désespérante pour les peuples que celle de 1914, c’est à dire aussi momentanément désespérante qu’en 1914. A cet égard, la synthèse de Jacques Pauwels, 1914 1918. La grande guerre des classes, Bruxelles, Aden, 2014, riche sur les questions politiques et sociales, aidera les désespérés à réfléchir, par comparaison, sur les issues possibles. Sur la clé économique du phénomène, tant en 1914 qu’aujourd’hui, impossible de sortir du cadre de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, de Lénine, qu’il faut lire ou relire, tant cette brochure est adaptée à la période que nous vivons. Sans en négliger la portée politique, puisqu’elle souligne la responsabilité éminente de la fraction dirigeante des partis « ouvriers », « l’aristocratie ouvrière » de la Deuxième Internationale qui avait soutenu l’union sacrée et conduit ses mandants à la boucherie. De même, le chœur « européen » des partis de « gauche » et des syndicats nationaux groupés sous la bannière de la Confédération européenne des syndicats sanglote aujourd’hui sur le paradis perdu et conjure ses membres et sympathisants (de moins en moins nombreux, ce qui ne diminue pas toujours les moyens des organisations concernées) de se battre pour le maintien de l’euro et une union européenne fantasmée, ou plutôt de les soutenir par sa seule renonciation à lutter. Car ledit chœur empêche de toutes ses forces, depuis plusieurs décennies, ses mandants de défendre activement leurs propres intérêts politiques et sociaux, jusqu’ici avec grand succès, il faut l’admettre.

Avec le coup de force contre la Grèce, les yeux se décillent : combattre l’euro fascisation en marhce

Nous atteignons avec le coup de force ou coup d’État contre la Grèce (qui en effet, ressemble comme deux gouttes d’eau au Munich extérieur de la nuit du 29-30 septembre 1938 et au « Munich intérieur » consécutif) une phase de la crise de l’impérialisme décisive pour que les yeux se dessillent. Le problème supplémentaire, non scientifique assurément, est qu’il faudrait trouver une solution politique, et vite, pour sortir d’un enfer déjà atteint ou qui nous menace tous ou presque. Commençons par arrêter de crier au loup et au retour du « nationalisme » comme si les mouvements fascistes, naguère qualifiés de nationaux, avaient vraiment l’intention de reconstituer les nations mises à l’agonie par l’impérialisme, Etats-Unis et Allemagne en tête  : c’est ce que les partis fascistes, financés par le grand capital (comme aujourd’hui), ont prétendu dans l’entre-deux-guerres, avant de se rouler aux pieds du vainqueur, montrant ce qu’il fallait entendre par « partis nationaux », tandis que les prétendus « métèques » se battaient pour les intérêts nationaux et sociaux de la population de leur pays d’accueil. Le fascisme, excellent moyen, pour le grand capital, d’écraser les salaires en cas de besoin, ne « passe » que si les populations omettent de se battre pour leurs intérêts sociaux : si le peuple grec et les autres luttent contre ce qui les accable, le « fascisme » ne passera pas ; s’ils y renoncent, laissant le grand capital libre de confier ses intérêts du jour à des auxiliaires politiques « à poigne », c’est une autre affaire.

Je me permets, sur l’aspect historico-scientifique de ces questions, de renvoyer à mon ouvrage Aux origines du carcan européen, 1900-1960 (2e édition), Paris, Delga-Temps des cerises, 2015, évidemment plus précis que le contenu des conférences. J’ai consacré nombre de travaux depuis les années 1980-1990 (dont plusieurs figurent dans la bibliographie du livre sur le Carcan) aux tentatives ayant abouti à la création de l’Union Européenne. Les sources contemporaines des événements ne laissent aucune illusion sur la similitude absolue entre les intentions de ses fondateurs et leurs réalisations, et sur l’inanité de la thèse d’une « dérive » de l’Union Européenne entre 1945-1960 et la période actuelle (voir le curriculum vitae de 2014 de mon site, qui sera bientôt actualisé à la date de juin 2015). Et, sur le fascisme, à mes travaux sur l’entre-deux-guerres, notamment LeChoix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Paris, Armand Colin, 2010, et De Munich à Vichy, l’assassinat de la 3e République, 1938-1940, Paris, Armand Colin, 2008.

Source : www.initiative-communiste.fr

Source: http://www.les-crises.fr/la-debacle-grecque-par-perry-anderson-annie-lacroix-riz/


Zero Hedge : L’UE est devenue un nid de corruption

Tuesday 4 August 2015 at 00:01

Roulez ! Roulez ! L’UE est devenue un nid de corruption !

Sources :  Zero Hedge – soumis par Pivotfarm le 04/02/2014 18:11 -0500

Comme si nous n’étions pas déjà au courant ! Le monde occidental reste bien l’ultime destination pour la corruption, tirer d’un coup rapide et chiper les objets de valeur de la poche intérieure du pantalon du type debout en face de vous pendant qu’il garde ses petits yeux brillants rivés sur le système économique. Il a toujours été par le passé le maître de Tom-bêtises et de l’imaginaire, l’Occident. L’endroit où ils vous diront qu’il faut remonter aussi loin que du temps des Romains, parce que c’est là qu’on devrait se rendre pour y trouver la moindre trace de la corruption dans le monde politique et puisqu’il en avait certainement banni les franges mêmes du monde financier. C’est ce que nous nous sommes dit.

Il s’avère à présent, selon les chiffres récemment publiés, que c’est bien l’UE qui reste l’un des endroits les plus corrompus au monde. Assez pour vous couper le souffle, et pas seulement votre argent durement gagné. Ce sera certainement le carburant pour mettre le feu aux arguments des anti-européens et des eurosceptiques qui sont en train de devenir beaucoup plus nombreux qu’une simple pincée de curiosité.

La corruption dans l’Union européenne coûte au moins 120 milliards d’euros (162,10 milliards de dollars) chaque année selon une Commission européenne. Espérons simplement que la Commission a eu l’honnêteté de rester suffisamment éloignée des activités frauduleuses pour réaliser cette étude et au cours de l’élaboration de ce rapport. Oh ! Quel bien méchant Web nous tissons-là !

N’importe qui pourrait hasarder l’hypothèse que ces € 120 milliards sont plutôt du côté des conservateurs. Mais, là encore, l’UE aime bien,  comme toujours, balancer un tas de chiffres, n’est-ce pas? Ils doivent avoir de l’argent à jeter. Désolé pour la correction, les citoyens de l’UE doivent avoir de l’argent à jeter aux politiciens et aux fonctionnaires corrompus comme de lancer des cacahuètes dans la bouche des singes qui se balancent aux branches des arbres du zoo.

Le chiffre de 120 milliards c’est l’équivalent du budget de l’UE. Ainsi donc les Européens paient le double pour le fonctionnement de leur Union unifiée ? En ce qui concerne l’Union européenne, on dirait bien que la seule chose qui soit unie à l’heure actuelle c’est bien la lutte pour arriver à maintenir les activités frauduleuses de détournement de fonds et d’aide de fonds publics pour des avantages personnels de celui qui se trouve au sommet dans l’agenda. Une telle enquête n’a jamais été menée auparavant et il semble peu probable qu’il leur prendra de nouveau l’envie  de faire à nouveau publier de tels résultats.

• La Grèce, la Croatie, la République tchèque, la Lituanie, la Bulgarie et la Roumanie donnent des résultats qui montrent qu’entre 6% et 29% des citoyens de ces pays ont dû payer des pots de vin à des fonctionnaires du public (dans les douze derniers mois) de ces pays ainsi que particuliers.
• 99% des Grecs estiment que la corruption est monnaie courante dans l’UE (est-ce que ça nous apprend vraiment quelque chose de nouveau ?).
• La Pologne c’est un chiffre de 15%.
• La Hongrie se situe à 13%.
• Le Royaume-Uni connaît un niveau étonnamment bas (seulement 1%). Alors, soit ce sont tous des mensonges qui se racontent en Grande-Bretagne, soit c’est qu’ils ont peu de relations avec les fonctionnaires de l’UE ou des responsables gouvernementaux. Faites votre choix !
• 64% des Britanniques ont précisé cependant qu’ils avaient quand même l’impression que la fraude et la corruption était répandue au Royaume-Uni. Cela montre bien que quelqu’un s’est couché quelque part le long de la ligne.
Mais, le chiffre global de l’UE c’est que 74% estiment que la corruption est partout.
• 9% des Allemands connaissent quelqu’un qui a pris un pot de vin.
• 60% des entreprises françaises estiment que la corruption est un obstacle qui empêche de faire des affaires dans l’UE.
• 4% des Suédois disent qu’ils ont eu à payer un pot de vin.
• Bien que 18% des Suédois connaissent quelqu’un qui a eu à payer un pot de vin.
• Donc, nous ne pouvons qu’en déduire ici parmi toutes ces étranges statistiques que, soit toutes les personnes se connaissent en Suède et que ce sont les mêmes vieux fous qui paient de l’argent sous la table.
• Soit la commissaire Anna Cecilia Malmström (née à Stockholm) de l’UE qui conduisait ce rapport sur la fraude a été obligée de rédiger une « certaine » réponse.

Le rapport de l’UE a été fait à la demande des pays membres de l’UE ainsi que du Parlement européen. Rien de tel qu’une apparente transparence pour garder au calme les chiens qui aboient, n’est-ce pas ?

L’UE dispose déjà d’un organisme anti-fraude appelé OLAF (notamment sur la fraude de l’UE concernant le budget européen). Mais, c’est encore l’une de ces autres merveilles de la recherche d’investigation moderne. Gardez le budget aussi serré qu’une chaussure enchaînée et ils ne seront pas en mesure d’enquêter sur tout. OLAF reçoit 23,5 millions d’euros ($ 31.740.000). Mais, est-ce que ça vaudrait le coup de leur donner davantage ? En 2000, les vérificateurs internes ont placés des rapports sur le bureau des enquêteurs de l’OLAF pour montrer qu’Eurostat avait frauduleusement attribué des contrats à des entreprises privées. L’OLAF a décidé de ne pas agir à la suite de cette information, mais il a ensuite été forcé de le faire lorsque le scandale a été révélé par la presse.

Les dernières conclusions du rapport de l’UE montrent que les procédures de passation des marchés publics ont été ouvertes à la fraude, en particulier. Le financement des partis politiques a également été attaqué à cause d’activités frauduleuses.

Hocus Pocus, la chicane, la duperie et la duplicité, oh quel bambouzelement (NdT : en français ça pourrait donner Parlement-Bananier) de la ruse de la duplicité et du mensonge! 

Noyer le tout autant que possible dans des textes interminables, avec un sens de la hiérarchie superflu sur-renforcée à tous les niveaux afin que vous ne puissiez jamais aller au fond des choses, et vous obtenez une magnifique ancienne recette pour la corruption dans l’UE. Voilà ! Magique!

NdT : Pour 2013, le budget de l’UE s’élevait à 132,8 milliards d’euros.

Traduction Didier ARNAUD

 

À vous couper le souffle” la corruption en Europe !

Sources :  Zero Hedge – Soumis par Tyler Durden le 10/02/2014 12:12 -0500 – Soumis par Pater Tenebrarum de acting-man – Traduction librement adaptée © Didier ARNAUD

Un récent article de la BBC a examiné les conclusions d’un rapport de la Commissaire des affaires intérieures de l’UE Cecilia Malmström sur la corruption dans l’Union Européenne. Selon le rapport, le coût de la corruption dans l’UE s’élève à € 120 milliards chaque année. Nous aimerions suggérer que c’est probablement beaucoup plus que cela (puisqu’en fait, même Mme Malmström a déclaré être accord avec cette évaluation). C’est évidemment ce que l’on obtient quand on met en place d’énormes bureaucraties byzantines et que l’on publie un véritable déluge de règles et de règlements chaque année. De plus en plus de personnes deviennent nécessaires pour administrer cet indigeste cauchemar de formalités administratives, et naturellement la qualité des embauches décline au fil du temps en raison du nombre devenu absolument nécessaire.

En pardessus le marché, probablement que beaucoup de petites et moyennes entreprises n’auraient pas été en mesure de survivre si elles n’avaient pas pris occasionnellement le temps de corrompre quelques fonctionnaires. Les grandes entreprises considèrent de toute façon la corruption comme un coût tout à fait normal pour leurs affaires, en particulier lorsque l’entreprise concernée implique la traite de vaches à lait  fiscales. Comme vous le verrez ci-dessous, le secteur de la défense – ou mieux le racket de guerre – est particulièrement vulnérable à la corruption. Les contribuables finissent évidemment par en payer chaque centime. Un autre secteur qui est apparemment sujet à la corruption généralisée reste celui des soins de santé – ce qui ne devrait pas être une surprise, puisque la prestation des soins de santé est une entreprise pratiquement entièrement socialisée en Europe. Des pots de vin peuvent bien dans certains cas devenir la différence entre la vie et la mort. Vous n’aurez probablement pas non plus à être trop surpris d’apprendre qu’il y a eu fraude à la TVA d’un montant de 5 milliards € dans le marché bizarre, et totalement inefficace, et inutile, du “crédits carbone“, qui s’est transformé en un gâchis aux proportions ahurissantes. Il n’y a tout simplement pas d’autre moyen d’arriver à faire fortune sur ce marché nous supposons. De la BBC :

« L’étendue de la corruption en Europe est ” à vous couper le souffle “» et elle coûte à l’économie de l’UE au moins 120 milliards d’euros (£ 99 billions) chaque année, a déclaré la Commission européenne. La Commissaire aux Affaires Intérieures de l’UE Cecilia Malmström a présenté un rapport complet sur ce problème.

Elle a expliqué que le véritable coût de la corruption était «probablement beaucoup plus élevé » que ces 120 milliards. Les trois quarts des Européens interrogés pour cette étude de la Commission on déclaré que la corruption était généralisée, et plus de la moitié ont déclaré que le niveau avait augmenté.

 « L’ampleur du problème en Europe est à couper le souffle, bien que la Suède reste parmi les pays ayant le moins de problèmes», a écrit en Suède Mme Malmström dans le quotidien Goeteborgs-Posten. Le coût pour l’économie de l’UE est équivalent au budget annuel de l’Union. Pour ce rapport, la Commission a étudié la corruption dans la totalité des 28 États membres de l’UE. La Commission annonce que c’est la première fois qu’elle a pu réaliser une telle enquête.

Plutôt que les institutions de l’UE, ce sont bien les gouvernements nationaux les principaux responsables de la lutte contre la corruption dans l’UE.

 [...]

Dans certains pays, il y a eu un nombre relativement élevé de rapports sur des expériences personnelles de corruption. En Croatie, en République tchèque, en Lituanie, en Bulgarie, en Roumanie et en Grèce, entre 6% et 29% des personnes interrogées ont dit qu’elles avaient été contactées pour un pot de vin, ou bien qu’elles avaient été tenues d’en payer, au cours des 12 derniers mois. Il y a eu également un grand niveau de corruption en Pologne (15%), en Slovaquie (14%) et en Hongrie (13%), où les cas les plus fréquents étaient dans le domaine de la santé.

 [..]

L’année dernière, le directeur d’Europol Rob Wainwright a déclaré que la fraude à la TVA sur le marché des crédits de carbone avait coûté à l’UE environ 5 milliards d’€uros ».

Et c’est seulement ce qu’ils ont réellement réussi à savoir à son propos. Rappelez-vous, il y a des inconnus connus et des inconnus inconnus tout aussi ici, et ils éclipsent probablement tout ce qui est réellement connu. On a peut être vraiment une idée de l’immensité du problème quand l’on considère le cas de la Grèce.

______________________________________________________________________________________________

NB : Le 10 septembre 2014, le nouveau Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a proposé Cecilia Malmström comme Commissaire européenne chargée du Commerce. Sa principale mission est de finaliser le traité transatlantique

Pots-de-vins officiels qui dépassent la capacité de stockage en mémoire en Grèce 

La Grèce est bien sûr un cas particulier en termes de corruption officielle. Si vous vous êtes jamais demandé comment le pays pourrait faire faillite en si peu de temps après avoir rejoint la zone €uro, surtout ne vous posez plus la question. Voici quelques extraits d’un article paru récemment dans le New York Times sur un fonctionnaire de niveau inférieur du Ministère de la Défense qui a reçu tant de pots de vin qu’il ne peut même plus se souvenir davantage de tous. Les montants en jeu se révèlent stupéfiants :

«Quand Antonis Kantas, un député du ministère de la Défense d’ici, s’est élevé contre l’achat de coûteux tanks fabriqués en Allemagne en 2001, un représentant du fabricant de tank s’est arrêté à son bureau pour abandonner un cartable sur son canapé. Il contenait € 600.000 ($ 814.000).

D’autres fabricants d’armes désireux de faire des affaires sont venus lui rendre visite, aussi, certains pour le guider à travers les tenants et les aboutissants de la banque internationale et lui verser ensuite des dépôts sur ses comptes à l’étranger.

À l’époque, M. Kantas, un ancien vigoureux officier de l’armée, n’avait pas réellement le pouvoir de décider quoi que ce soit de son propre chef. Mais la corruption était si répandue à l’intérieur de l’équivalent grec du Pentagone que même pour un homme de son rang relativement modeste, comme il a récemment témoigné, a réussi à amasser près de 19 millions de dollars en simplement cinq ans de ce travail ».

On se demande bien ce que les fonctionnaires les plus puissants ont été en mesure de détourner. Malheureusement, la corruption est si répandue et implique censément les plus hauts échelons de la bureaucratie et du corps politique en Grèce, que l’on doit s’attendre alors à ne jamais le découvrir. Rien d’étonnant à ce qu’il y ait autant de fraude fiscale en Grèce : qui veut remettre son argent durement gagné à un tel gang de voleurs? C’est comme payer la mafia.

En attendant, les sociétés qui versent des pots de vin sont bien évidemment toutes aussi coupables, et beaucoup d’entre elles proviennent de pays qui sont eux-mêmes classés relativement bas sur l’échelle de la corruption – par exemple l’Allemagne et la Suède. Cela semble bien être l’ «occasion qui fait le larron » dans ce type de situation.

« Jamais auparavant, un fonctionnaire n’a ouvert une aussi grande fenêtre sur ce système impressionnant de bakchichs au travail dans un ministère du gouvernement Grec. » À divers moments, M. Kantas, qui est retourné témoigner de nouveau la semaine dernière, a déclaré aux enquêteurs qu’il avait reçu tant de des pots de vin, qu’il lui était devenu impossible de se souvenir des détails.

 [...]

Le témoignage de M. Kantas, s’il se révèle exact, illustre la façon dont les fabricants d’armes en provenance d’Allemagne, de France, de Suède et de Russie ont généreusement distribué des pots de vin, souvent par le biais des représentants grecs, pour vendre de l’armement au gouvernement largement au-dessus de ses moyens, et dont les experts affirmaient dans de nombreux que c’était cas trop cher et techniquement dépassé.

Les € 600.000, par exemple, qui ont servi à acheter le silence de M. Kantas sur les tanks, ont été considérés comme de peu de valeur dans des guerres où la Grèce aurait à combattre, selon Constantinos P. Fraggos, un expert de l’armée grecque qui a écrit plusieurs livres sur le sujet. La Grèce allé de l’avant et a acheté 170 de ces tanks pour environ 2,3 milliards de dollars.

Ajoutant à l’absurdité de cet achat (presque en totalité à crédit), le ministère n’a pratiquement pas acheté de munitions pour eux, a déclaré M. Fraggos. Elle a également acheté des avions de combat sans systèmes de guidage électroniques et a versé plus de 4 milliards de dollars pour des sous-marins, bruyants et inadaptés qui ne sont pas encore terminés et qui gisent aujourd’hui pratiquement abandonnés dans un chantier naval en dehors d’Athènes . Au plus fort de la crise, quand il n’était pas clair si la Grèce serait jetée hors de la zone €uro et longtemps avant que les sous-marins n’aient été achevés, le Parlement Grec a approuvé un dernier paiement $ 407 millions pour les sous-marins allemands “.

[...]

Le ministère de la Défense est loin d’être le seul ministère soupçonné d’être un foyer de corruption. Mais le ministère de la Défense constitue une cible particulièrement riche pour les enquêteurs parce que la Grèce a connue une énorme frénésie de dépenses après 1996 quand elle a connue une escarmouche de faible niveau avec la Turquie sur l’île d’Imia dans la mer Égée.

Un ancien directeur général du ministère de la Défense, Evangelos Vasilakos, a calculé que la Grèce va passer commande pour au moins 68 milliards de dollars d’armes au cours des 10 prochaines années, en grande partie de l’argent emprunté. Pour gagner ces offres, qui impliquait l’approbation de responsables militaires et de fonctionnaires du ministère de la Défense, ainsi que du Parlement, les marchands d’armes ont probablement dépensé plus de 2,7 milliards de dollars en pots de vin, selon Tasos Telloglou, un journaliste d’investigation du quotidien Grec Kathimerini, qui a écrit abondamment sur le sujet. “

(Remarque Ajoutée)

Acheter des armes en grande partie inutile pour 68 milliards de dollars est assurément un sacré exploit pour un pays d’un peu plus de 11 millions d’habitants. Les Saoudiens pourraient bien être capables de faire mieux sur une autre base par habitant, mais ils ont beaucoup d’argent du pétrole et n’ont pas besoin d’un plan de sauvetage de quiconque. La Grèce n’était pas en mesure de se permettre l’achat de ces coûteux jouets. 

Même si les armes étaient en parfait état de fonctionnement, cette frénésie d’achats n’aurait aucun sens. Est-ce que la Grèce va vraiment mener une guerre contre la Turquie, un partenaire de l’OTAN? L’idée même est absurde. Puisque nous pouvons écarter cette possibilité, pour qui sur terre sont les bonnes armes ?

Nous pouvons modifier la présente phrase célèbre de Randolph Bourne: «La guerre est la santé de l’État - et de ses sbires et des fournisseurs ».

Dites bonjour à un éléphant blanc dans les massifs d’arbustes grecs !!!.

Traduction Didier Arnaud

Source: http://www.les-crises.fr/zero-hedge-lue-est-devenue-un-nid-de-corruption/


Quand Varoufakis projetait secrètement de pirater son propre ministère

Monday 3 August 2015 at 00:05

Un article Mainstream sur ce sujet, mais avec une information très importante…

– Publié le 27-07-2015

Il y avait bien un plan B à Athènes. Et pas n’importe lequel. Alors qu’il était ministre des Finances du gouvernement Tsipras, en plein bras de fer avec les Européens, Yanis Varoufakis a créé un cabinet secret, qui avait notamment pour mission de réfléchir aux alternatives, au cas où il faudrait passer de l’euro à la drachme. Varoufakis voulait aussi développer un système bancaire alternatif. Et cela supposait de… pirater sa propre administration fiscale !

L’affaire, pour le moins explosive à Athènes, a été révélée dimanche 26 juillet par “Ekathimerini“. Ce journal grec a retranscrit une conférence téléphonique entre Yanis Varoufakis, l’ancien ministre des Finances britannique Norman Lamont, et des financiers. Elle a eu lieu le 16 juillet, soit une semaine après le départ de Varoufakis du gouvernement.

Depuis, le contenu de cette conversation a été confirmé par Varoufakis et par deux responsables de fonds spéculatifs qui y ont participé, révèle le “Télégraph” (en anglais). A Athènes, les principaux partis d’opposition (Nouvelle Démocratie, To Potami et le Pasok) se sont réunis en urgence pour évoquer l’affaire. “Ils veulent me faire passer pour un escroc, répond Varoufakis, et me faire tomber pour trahison.”

Un système bancaire parallèle

L’histoire racontée par l’ancien ministre aux financiers dépasse la fiction.

Le Premier ministre, avant qu’il ne devienne Premier ministre, avant que nous ne gagnions l’élection en janvier, m’avait donné son feu vert pour mettre au point un plan B, débute Varoufakis. J’ai réuni une équipe très compétente, restreinte vu qu’il fallait garder ce projet secret pour des raisons évidentes. Nous avions travaillé depuis décembre ou début janvier.”

L’économiste affirme que le plan était “presque achevé”, mais que pour le mener à bien, il avait besoin d’agrandir son équipe de 5 à 1.000 personnes. Là n’est pas la seule difficulté :

Notre plan se déroulait sur plusieurs fronts, poursuit l’ex-ministre, je ne vous en présenterai qu’un seul. Prenez le cas des premiers instants où les banques sont fermées. Les distributeurs de billet ne fonctionnent plus et il faut mettre en œuvre un système de paiement parallèle pour continuer à faire tourner l’économie pendant un temps, et donner le sentiment à la population que l’Etat a le contrôle, qu’il y a un plan. Nous avions prévu cela.”

Le plan de Varoufakis consistait à créer des comptes bancaires de réserve pour chaque contribuable, en fonction de son numéro fiscal. Il suffirait d’envoyer à chaque contribuable un mot de passe pour qu’il se connecte sur le site des impôts et passe des virements.

Cela aurait créé un système bancaire parallèle lors de la fermeture des banques résultant de l’action agressive de la BCE de nous priver d’oxygène. C’était très avancé et je pense que cela aurait fait la différence, parce que rapidement, nous aurions pu l’étendre, utiliser des applications sur smartphone, et cela aurait pu devenir un système parallèle qui fonctionne, bien sûr avec une dénomination en euro, mais qui pourrait être converti en drachme en un clin d’œil.”

Un obstacle : la troïka

Seulement, pour faire cela, le gouvernement grec aurait dû surmonter de sérieux obstacles institutionnels.

C’est assez fascinant, poursuit Varoufakis aux financiers. La direction générale des finances publiques, au sein de mon ministère, était contrôlée entièrement et directement par la troïka. Elle n’était pas contrôlée par mon ministère, par moi, ministre, elle était contrôlée par Bruxelles. Le directeur général est désigné via une procédure sous le contrôle de la troïka. Imaginez, c’est comme si les finances étaient contrôlées par Bruxelles au Royaume-Uni. Je suis sûr que ca vous hérisse le poil d’entendre cela.”

Le ministre fait alors appel à un “ami d’enfance”, professeur d’informatique à l’Université de Columbia, qu’il nomme directeur général des systèmes d’information.

Au bout d’une semaine, il m’appelle et me dit : ‘Tu sais quoi ? Je contrôle les machines, le matériel, mais je ne contrôle pas les logiciels. Ils appartiennent à la Troïka. Qu’est-ce que je fais ?’”

Les deux amis se voient discrètement. Pas question de demander officiellement à la direction des finances publiques l’autorisation d’accéder au système, cela pourrait susciter des soupçons.

Nous avons décidé de pirater le programme informatique de mon propre ministère afin de pouvoir copier, juste copier, le code du site internet des impôts sur un gros ordinateur de son bureau, pour pouvoir travailler sur la conception et le développement d’un système parallèle de paiement. Et nous étions prêts à obtenir le feu vert du Premier ministre, lorsque les banques fermeraient, pour nous rendre à la direction générale des finances publiques qui est contrôlée par Bruxelles et à y brancher son ordinateur portable pour activer le système.”

Voilà qui en dit long sur l’ampleur des enjeux auxquels doivent faire face le gouvernement grec et sur la complexité de la relation entre Athènes et Bruxelles.

Ce que j’essaie de vous décrire, c’est le genre de problèmes institutionnels que nous avons rencontré, les obstacles institutionnels qui nous empêchaient de mener une politique indépendante pour contrer effets de la fermeture de nos banques par la BCE.”

Varoufakis savait que la conversation était enregistrée. “Il y a surement d’autres personnes qui écoutent, mais ils ne diront rien à leurs amis”, avait mis en garde Normal Lamont alors que Varoufakis commençait à entrer dans les détails. “Je sais. Même s’ils le faisaient, je nierais avoir dit cela”, avait répondu le grec sur le coup. Depuis la publication de la conversation, il se défend :

C’est une tentative d’annuler les cinq premiers mois de ce gouvernement et de les mettre dans la poubelle de l’Histoire”, a-t-il déclaré au ‘Télégraph’. J’ai toujours été totalement contre un démantèlement de l’euro, car on ne sait jamais quelles forces maléfiques peuvent se réveiller en Europe.”

L’ancien ministre a aussi publié un communiqué officiel. Il s’en prend au journal grec :

L’article fait référence au projet du ministre comme l’a décrit le ministre le 6 juillet dans son discours de départ pendant la passation des pouvoirs. Dans ce discours, Varoufakis déclare clairement : ‘Le secrétariat général à l’informatique a commencé à étudier les moyens de faire de Taxisnet quelque chose de plus important, un système de paiement pour tiers, un système qui augmente l’efficacité et minimise les arriérés de l’Etat aux citoyens et vice-versa.’ Ce projet ne faisait pas partie du programme du groupe de travail, a été présenté entièrement par le ministre Varoufakis au cabinet et devrait, selon le ministre Varoufakis, être mis à exécution indépendamment des négociations avec les créanciers de la Grèce, car cela contribuera à améliorer considérablement l’efficacité des transactions entre l’Etat et les contribuables et entre les contribuables.”

Le projet de Schaüble

Le journal “Ekathimerini” cite aussi un extrait où Varoufakis évoque le ministre des Finances allemand :

Schaüble a un plan. Ce qu’il m’en a décrit est très simple. Il croît que l’eurozone n’est pas viable. Il pense qu’il faut des transferts budgétaires, et un certain degré d’union politique. Il croit que pour que cette union politique fonctionne sans fédération, sans la légitimité qu’un parlement fédéral, élu en bonne et due forme, peut assurer, notamment face à un exécutif, la seule solution est la discipline. Et il m’a dit explicitement qu’un Grexit sera l’élément qui lui permettra de négocier, qui lui donnera suffisamment de puissance, de quoi faire peur, afin d’imposer aux Français ce contre quoi Paris a résisté. Et de quoi s’agit-il ? Un degré de transfert budgétaire qui fait passer le pouvoir de Paris à Bruxelles.

Dans le “Telegraph”, Varoufakis va plus loin, affirmant que Schaüble a fini par penser que la Grèce devait être expulsée de l’euro, qu’elle ne faisait qu’attendre son heure, sachant que le dernier plan de renflouement était voué à l’échec.

Tout le monde sait que le Fonds monétaire international ne veut pas participer au nouveau programme mais Schaüble insiste pour en faire la condition de nouveaux prêts. J’ai le fort pressentiment qu’il n’y aura pas d’accord de financement le 20 août.”

Selon Varoufakis, les indicateurs économiques se révéleront mauvais à la fin de l’année en Grèce.

Schaüble dira alors qu’il s’agit d’un nouvel échec. Il nous enfume. Il n’a pas renoncé à pousser la Grèce hors de l’euro.”

“Des enjeux opérationnels”

James K. Galbraith, économiste britannique de renom et proche de Varoufakis, a révélé lundi qu’il faisait partie de son équipe secrète. Et il précise son rôle, sous la forme de six déclarations :

  1. “A aucun moment le groupe de travail ne s’est engagé pour un Grexit ou tout autre choix de politique. Le travail était uniquement d’étudier les enjeux opérationnels qui se poseraient si la Grèce était forcée d’émettre de nouveaux papiers ou si elle était forcée à quitter l’euro.
  2. Le groupe a opéré en supposant que le gouvernement était entièrement décidé à négocier dans le cadre de l’euro, et a pris des précautions extrêmes pour ne pas mettre en jeu cette engagement en laissant filtrer au monde extérieur des indices de notre travail. Il n’y a eu aucune fuite, jusqu’à la révélation de l’existence du groupe, révélée par l’ancien ministre lui-même, en réponse aux critiques selon lesquelles son ministère n’avait pas préparé de plan de sortie alors qu’il savait que la sortie forcée de l’euro était une option.
  3. L’existence de plans n’auraient pas pu jouer de rôle dans la position grecque dans les négociations, puisque leur circulation (avant qu’il n’y ait eu besoin de les mettre en exécution) aurait destabilisé la politique du gouvernement.
  4. En dehors d’une conversation téléphonique tardive et non-concluante entre le député Costas Lapavitsas et moi, il n’y a eu aucune coordination avec la “plateforme de gauche” et les idées de notre groupe de travail avaient très peu en commun avec les leurs.
  5. Notre travail s’est terminé pour des raisons pratiques début mai, par un long memo exposant les questions principales et les scénarios que nous avons étudiés.
  6. Mon travail n’a été ni rémunéré ni officiel, fondé sur mon amitié pour Yanis Varoufakis et mon respect pour la cause du peuple grec.”

Donald Hébert

Source : http://tempsreel.nouvelobs.com

Source: http://www.les-crises.fr/quand-varoufakis-projetait-secretement-de-pirater-son-propre-ministere/


Revue de presse du 03/08/2015

Monday 3 August 2015 at 00:01

Cette semaine notamment dans la revue, fraude fiscale et fraude au clic, camions, drones et robots autonomes, mises en examen croisées, comportements face à la technologie, OGM et ondes. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-03082015/