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Le parti de la liquette par Frédéric Lordon

Monday 2 November 2015 at 03:02

par Frédéric Lordon, 9 octobre 2015

Source : Le Monde diplomatique

« Le Salaire de la peur », de George Clouzot
1954

Si l’on avait le goût de l’ironie, on dirait que le lamento décliniste ne se relèvera pas d’un coup pareil, d’une infirmation aussi catégorique ! Coup d’arrêt au déclin ! Mais l’ironie n’enlève pas la part de vérité, fut-elle ténue : un pays où les hommes du capital finissent en liquette est un pays qui a cessé de décliner, un pays qui commence à se relever. Car, dans la tyrannie du capital comme en toute tyrannie, le premier geste du relèvement, c’est de sortir de la peur.

Le salaire de la peur

Le capitalisme néolibéral règne à la peur. Il a été assez bête, demandant toujours davantage, pour ne plus se contenter de régner à l’anesthésie sucrée de la consommation. La consommation et la sécurité sociale étaient les deux piliers de sa viabilité politique. Le voilà qui s’acharne à détruire le second – mais Marx ne se moquait-il pas déjà « des intérêts bornés et malpropres » de la bourgeoisie, incapable d’arbitrer entre profits financiers immédiats et bénéfices politiques de long terme, acharnée à ne rien céder même quand ce qu’il y a à céder gage la viabilité de longue période de son règne ?

Sans doute, en comparaison, l’ankylose par le gavage marchand continue-t-elle de recevoir les plus grands soins. Tout est fait d’ailleurs pour convaincre l’individu qu’en lui, seul le consommateur compte, et que c’est pour lui qu’on commerce avec le Bangladesh, qu’on ouvre les magasins le dimanche et… que « les plans sociaux augmentent la compétitivité pour faire baisser les prix ». « Oubliez le salarié qui est en vous » est l’injonction subliminale mais constamment répétée, pour que cette identité secondaire de producteur disparaisse du paysage.

Comme on sait, le refoulé a pour propre de faire retour, et les identités sociales déniées de revenir. Dans le plus mauvais cas privativement, et ce sont des individus séparés-atomisés, qui chacun par devers eux se souviennent que le Bangladesh est aussi le lieu de destination de la délocalisation qui a fait leur plan social, ou que la consommation « libérée » des autres fait leur astreinte du dimanche à eux. Dans le meilleur des cas collectivement. Car c’est collectivement, d’une part qu’on sort de la peur, et d’autre part qu’on a quelque chance de faire paraître sur la scène publique qu’il y a des producteurs, contre tout le travail idéologique qui s’efforce de les faire oublier pour que rien ne vienne troubler la félicité des consommateurs.

L’accès à la consommation élargie aura sans doute été l’opérateur passionnel le plus efficace de la stabilisation politique du capitalisme. Mais, sauvé des eaux au sortir de la séquence Grande Dépression-Guerre mondiale, le capitalisme n’a pas manqué de se réarmer dans le désir de la reconquête, et d’entreprendre de revenir sur tout ce qu’il avait dû lâcher pendant les décennies fordiennes… et à quoi il avait dû son salut. Néolibéralisme est le nom de la reconquista, le nom du capitalisme sûr de sa force et décidé à obtenir rien moins que tout. Le capital entend désormais se donner libre cours. Toute avancée sociale est un frein à ôter, toute résistance salariale un obstacle à détruire. Dans une conférence mémorable (1) et qui mériterait bien quelques tours de JT, Alexandre de Juniac observe que, la notion d’« enfant » ayant historiquement varié, l’interdiction de leur mise au travail est une question qui mériterait elle-même d’être remise au travail. Et de faire part, puisqu’il disserte sur la relativité de la notion d’« acquis sociaux », des réflexions de son collègue de Qatar Airways qui le plaint beaucoup d’avoir eu à essuyer une grève : « M. de Juniac, chez nous on les aurait tous envoyés en prison ».

Si donc la mobilisation productive doit se faire sous le coup de la terreur, ainsi sera-t-il. En réalité le capitalisme néolibéral n’a pas à forcer son talent, car la terreur est le fond inaltérable du capitalisme tout court. Seul le recouvrement de la stabilisation macroéconomique (relative…) et de ce qui reste de protection sociale empêche de voir le roc ultime sur lequel le capital a assis son pouvoir : la prise d’otage de la vie nue. Réalité pourtant massive dont les salariés font la douloureuse expérience lorsque l’employeur, dont ils dépendent en tout et pour tout, décide qu’ils sont surnuméraires. En tout et pour tout en effet, puisque le salaire, condition de la vie matérielle dans ses nécessités les plus basales, est, par-là, la condition de la vie tout court, le prérequis à tout ce qui peut s’y construire. Et qu’en être privé c’est frôler l’anéantissement social – parfois y tomber carrément.

Comme de juste, la menace qui fait tout le pouvoir du capital et de ses hommes, menace du renvoi des individus ordinaires au néant, cette menace n’a pas même besoin d’être proférée pour être opératoire. Quoi qu’en aient les recouvrements combinés de la logomachie managériale, de l’idéologie économiciste et de la propagande médiatique, le fond de chantage qui, en dernière analyse, donne toute sa force au rapport d’enrôlement salarial est, sinon constamment présent à l’esprit de tous, du moins prêt à resurgir au moindre conflit, même le plus local, le plus « interpersonnel », où se fait connaître dans toute son évidence la différence hiérarchique du supérieur et du subordonné – et où l’on voit lequel « tient » l’autre et par quoi : un simple geste de la tête qui lui montre la porte.

Il faut donc, en particulier, toute l’ignominie du discours de la théorie économique orthodoxe pour oser soutenir que salariés et employeurs, adéquatement rebaptisés sous les étiquettes neutralisantes d’« offreurs » et de « demandeurs » de travail – car, au fait oui, si dans la vraie vie ce sont les salariés qui « demandent un emploi », dans le monde enchanté de la théorie ils « offrent du travail » ; autant dire qu’ils sont quasiment en position de force… –, il faut donc toute la force de défiguration du discours de la théorie économique pour nous présenter l’inégalité fondamentale de la subordination salariale comme une relation parfaitement équitable entre co-contractants symétriques et égaux en droit.

De part et d’autre du revolver

La réalité du salariat c’est le chantage, et la réalité du chantage c’est qu’il y a une inégalité entre celui qui chante et celui qui fait chanter – on ne se porte pas identiquement à l’une ou l’autre extrémité du revolver. Même les salariés les plus favorisés, c’est-à-dire les plus portés à vivre leur enrôlement sur le mode enchanté de la coopération constructive, et à trouver scandaleusement outrancier qu’on en parle dans des termes aussi péjoratifs, même ces salariés sont toujours à temps de faire l’expérience du voile déchiré, et de l’os à nouveau découvert. Car c’est bien sûr à l’épreuve, non pas des temps ordinaires, mais du différend que se montrent les vrais rapports de pouvoir. Et que se posent à nouveau des questions – les questions élémentaires de la relation salariale – comme : jusqu’où puis-je porter la contestation devant mon supérieur, avec quel ton puis-je lui parler, quelle latitude réelle ai-je de refuser ce qu’on (il) m’impose de faire et que je ne veux pas faire et, pour finir : ce différend s’accomplit-il vraiment dans les mêmes conditions que celui que je pourrais avoir avec quelqu’un dont je ne dépendrais pas et dont je n’aurais rien à craindre – en situation d’égalité. L’individu qui plie n’en a-t-il pas toujours sourdement conscience du seul fait de se dire que « dans d’autres conditions, ça ne se passerait pas comme ça » ? La dépendance vitale et, subséquemment, la peur, voilà la vérité ultime du salariat telle qu’elle se dévoile inévitablement, non pas quand tout va bien, mais à l’épreuve du différend, dont le mode de résolution ultime a un nom : l’obéissance.

Et cependant l’époque se gargarise d’« égalité démocratique » quoiqu’elle laisse prospérer en son sein toute une organisation collective de la vie matérielle dont l’ultime ressort est la peur. Pourquoi, en dernière analyse, le capital règne-t-il sur les individus ordinaires ? Parce qu’il a les moyens de leur faire courber la tête. Le socioéconomiste Albert Hirschmann a résumé d’une trilogie frappante, mais peut-être insuffisante, les attitudes possibles de l’individu en situation institutionnelle : loyaltyvoiceexit.  Loyalty comme son nom l’indique ; voice quand on choisit de l’ouvrir – mais jusqu’où, quand l’institution est l’entreprise capitaliste ? – ; exit quand on ne se sent plus le choix que de prendre le large – mais à quel coût quand « le large » signifie l’abandon du salaire qui fait vivre ?

En vérité il faudrait augmenter la trilogie d’une quatrième figure qu’on pourrait baptiser guilt.  Guilt, c’est le mouvement de retournement contre soi par lequel le salarié introjecte la violence institutionnelle-capitaliste qui lui est faite en se mettant en cause lui-même. Guilt connait deux modalités. Therapy (2) – le salarié se pense comme insuffisant et entreprend de se soigner : se vivant comme mal adapté, il se rend à l’idée que ce n’est pas l’environnement odieux auquel il est sommé de s’adapter qui doit être changé, mais lui-même, et qu’il lui appartient de faire le chemin de l’adaptation – terrible fatalité de l’émiettement individualiste du salariat puisqu’il est bien certain que, seul, nul moyen n’existe de changer l’« environnement », et que nulle idée politique d’un tel changement ne peut naître : il ne reste plus que soi à mettre en cause. Et la vérole du coaching prospère sur ce désespérant terrain.

Therapy donc, et puis suicide. Soit le fin fond de la violence introjectée. Tragique retournement par lequel les individus, privés des ressources collectives de lutter contre l’ennemi du capital, se font, par défaut, les ennemis d’eux-mêmes, et, dit-on, « se tuent », quand en vérité c’est bien autre chose qui les a tués. Quand le discours managérial ne fait pas du suicide une « mode », à l’image de l’excellent président de France Télécom qui voyait la défenestration comme une tendance, le discours médiatique, spécialisé dans l’inconséquence et la déploration sans suite, se contente de chialer un peu, de faire une manchette qui dit que c’est bien triste, puis de ne rien mettre en cause de sérieux, de n’avoir aucune suite dans les idées, et de passer aussi vite que possible à autre chose. Après quoi la violence d’une chemise en lambeaux lui semble intolérable.

Les responsables structuraux

Sans doute la conscience immédiate se cabre-t-elle spontanément à la seule image générique d’une violence faite à un homme par d’autres hommes. Mais précisément, elle ne se cabre que parce que cette image est la seule, et qu’elle n’est pas mise en regard d’autres images, d’ailleurs la plupart du temps manquantes : l’image des derniers instants d’un suicidé au moment de se jeter, l’image des nuits blanches d’angoisse quand on pressent que « ça va tomber », l’image des visages dévastés à l’annonce du licenciement, l’image des vies en miettes, des familles explosées par les tensions matérielles, de la chute dans la rue. Or rien ne justifie le monopole de la dernière image – celle du DRH. Et pourtant, ce monopole n’étant pas contesté, l’image monopolistique est presque sûre de l’emporter sur l’évocation de tous les désastres de la vie salariale qui, faute de figurations, restent à l’état d’idées abstraites – certaines d’avoir le dessous face à la vivacité d’une image concrète. Et comme le système médiatique s’y entend pour faire le tri des images, adéquatement à son point de vue, pour nous en montrer en boucle certaines et jamais les autres, c’est à l’imagination qu’il revient, comme d’ailleurs son nom l’indique, de nous figurer par images mentales les choses absentes, et dont l’absence (organisée) est bien faite pour envoyer le jugement réflexe dans une direction et pas dans l’autre. Dans son incontestable vérité apparente, l’image isolée du DRH est une troncature, et par conséquent un mensonge.

La presse unanime

Sans doute, à froid et à distance des situations, la pensée renâcle-t-elle, elle aussi, à l’imputation personnelle d’effets qui devraient être mis au compte d’une structure impersonnelle – car, analytiquement parlant, c’est toute la structure des rapports sociaux du capitalisme qui est à l’œuvre dans la « situation Air France », bien au-delà d’un DRH qui passe par là au mauvais moment. Mais c’est que, si l’on n’y prend garde, « l’analyse » a vite fait de tourner à l’asile des dominants, et l’impersonnalité des structures au dégagement de toutes les contributions personnelles : « le système s’impose par sa force propre et personne n’y peut rien ». Le terme de l’analyse c’est toujours l’abstraction du « système », bien faite pour saper la question de la révolte qui est toujours concrète : car comment se révolter concrètement contre une abstraction ? En réalité, l’explosion colérique se moque bien de ces subtilités : elle prend ce qui lui tombe sous la main – le mobilier de la sous-préfecture ou la limouille du DRH.

La vue structurale des choses cependant n’est pas entièrement condamnée à l’impossibilité des mises en cause individuelles. Qui peuvent être de trois sortes. Car si l’on veut se donner la peine d’y regarder de plus près, des individus particuliers, on en distinguera bien quelques-uns. Il y a ceux qui ont fait les structures, ceux qui les font tourner, enfin ceux qui les célèbrent et, les célébrant, s’efforcent de barrer toute tentative de les changer.

Il y a d’abord en effet que les structures ne tombent pas du ciel : elles ont été faites de main d’homme – en tout cas de certains hommes. Qui a fait la libéralisation financière depuis le milieu des années 1980 ? Qui a poussé les feux de toutes les déréglementations européennes ? Qui a signé les traités commerciaux internationaux ? Qui usine le TTIP ? Qui envisage de faire sauter les protections du droit du travail ? En résumé, qui a installé les structures de la violence néolibérale ? Qui a mis en place les cadres institutionnels libérant de toute retenue la valorisation du capital et lui ouvrant des latitudes stratégiques, c’est-à-dire des possibilités de brutaliser, sans précédent : chantage à la compétitivité, menace de la délocalisation, démantèlement des formes institutionnalisées de la résistance salariale – contre-pouvoirs syndicaux, règles du licenciement, organisation de la négociation sociale, etc. ? Voilà bien des questions précises auxquelles on peut tout à fait donner des réponses précises, c’est-à-dire des noms – spécialement en ce moment.

Il y a ensuite que, ces structures en place, elles n’œuvrent pas toutes seules : les rapports qu’elles déterminent sont effectués – par des individus concrets. En partie dépassés par les structures dont ils sont les opérateurs, parfois secrètement réticents à ce qu’elles leur font faire, parfois collaborateurs zélés de leur effectuation. Aussi ceux qui ajoutent leur touche particulière odieuse à l’effectuation de rapports odieux sont-ils sans doute spécialement (auto-)désignés à l’imputation personnelle des effets de structure impersonnels… Les salariés ne s’y trompent pas d’ailleurs qui savent le plus souvent distinguer le malgré-lui modérateur du vrai salaud.

Les artisans de l’impasse – les vrais fauteurs de violence

Il y a enfin, en apparence les plus distants mais peut-être les pires, les célébrants de la structure, les conservateurs symboliques de l’état des choses. Eloignés du théâtre des opérations à un point qui semble rendre absurde leur mise en cause, il faut pourtant les remettre en première ligne de la responsabilité. Accompagnant depuis des décennies toutes les transformations, présentées comme « inéluctables », d’où le capital a tiré une emprise sans précédent sur la société, ils ont interdit que cette emprise soit reconnue, et nommée, pour ce qu’elle est : une forme de tyrannie ; ils ont systématiquement empêché que s’en élabore dans la société une contestation institutionnalisée, c’est-à-dire une mise en forme symbolique et politique des tensions que ce capitalisme ne pouvait manquer de faire naître, et sont par-là les vrais agents de la fermeture.

Tautologiquement, des colères qui ne se trouvent plus aucune solution de symbolisation, n’ont plus accès qu’à des expressions désymbolisées : l’explosion de rage. Mais à qui doit-on ces impasses dont ceux qui s’y trouvent coincés n’ont plus que la ressource de faire péter un mur pour en sortir ? À qui sinon à ceux qui ont aménagé l’impasse même, bétonné le débat, répété l’inéluctable état des choses, pédagogisé sa nécessité, ridiculisé, disqualifié et finalement fait barrage à toute idée critique, donc empêché toute formation d’une perspective politique alternative qui aurait fait réceptacle ?

De ce point de vue, et quelque désaccord qu’on ait avec lui, on pourra tenir pour exemplaire le traitement ignoble, notamment iconographique, réservé à Jean-Luc Mélenchon dans Libération, et d’ailleurs dans toute la presse de droite complexée qui le vomit à un point inimaginable, précisément parce qu’il est le seul acteur significatif du champ politique à y faire entendre le point de vue de l’oppression salariale, et rendre au moins concevable qu’une ligne politique soit tirée à partir de là (quant à sa réalité, c’est une autre affaire, et on jugera(it) sur pièce). S’il y a quelque chose comme des « responsables structuraux » de la violence, les gate-keepers médiatiques en font assurément partie. Avec au surplus cette ironie amère que ceux qui ont fermé tous les degrés de liberté du système, ne laissant plus ouverte que l’alternative de la chape ou de l’explosion, sont ceux-là mêmes qui viennent faire la leçon outragée quand « ça explose ».

Forcément cette presse de gauche de droite, puisque c’est par définition à la presse de gauche que revenait de créer les espaces organisés de la critique et par là les conditions de possibilité de la symbolisation politique, cette presse-là, passée à droite et démissionnaire de sa fonction historique, tombe au dernier degré de l’embarras quand il lui faut faire face à de telles éruptions de colère. On voit d’ici la balance de précision où a été pesé l’éditorial de Libération, qui s’efforce de tenir ensemble la condamnation des « inadmissibles violences » et la compassion pour les salariés restructurés, qui va même jusqu’à parler de « la violence des plans sociaux » (3) mais pour soigneusement éviter, dans le parfait équilibre des violences symétriques, de prendre le moindre parti net, essence du joffrinisme qui a pour seule ligne directrice le louvoiement, la conciliation apparente des inconciliables – mais le parti pris réel, car il y en quand même bien un, quoique inavouable quand on s’accroche ainsi à son étiquette de « gauche » alors qu’on est finalement aussi à droite, le parti pris foncier pour l’ordre social présent, jugé bon dans sa globalité, sans doute perfectible de ci de là, mais grâce au ciel le rosanvallonisme ou le pikettisme sont là pour nous fournir les rustines.

Voilà donc ce que jamais on ne lira nettement dans Libération ni dans aucun de ses semblables : que cette image des deux hauts cadres en liquette est un symptôme de plus, après beaucoup d’autres restés ignorés, d’un monde à changer d’extrême urgence. Que, faute de toute solution politique d’un tel changement, solution que des organes comme Libération se sont appliqués à empêcher d’advenir, cette image est au total porteuse d’espoir : car c’est l’image du corps social qui, par ses propres moyens, commence à sortir de son tréfonds d’impuissance, qui n’a plus peur de la tyrannie du capital. On ne lira pas non plus dans Libération que les détails de la situation n’ont pas grande importance, ni le salaire des pilotes ni l’état financier d’Air France, car, dans l’époque qui est la nôtre, l’important est le salariat qui relève la tête, quelle qu’en soit la fraction, l’exemple ainsi donné aux autres, et que ceci est un bon signe. On n’y lira pas enfin que Manuel Valls est le méta-voyou, celui qui non seulement prend le parti des voyous, mais traite de voyous les victimes des voyous.

Le parti du capital

Au vrai c’est toute la droite générale, celle qui va du PS à l’UMP, organes médiatiques inclus, qui, dans un spasme réflexe a refait son unité, comme toujours quand un événement à fort pouvoir de classement la soumet de nouveau à l’épreuve – référendums européens, conflits sociaux durcis, etc. Bien sûr, dans la droite générale, il y a la composante honteuse, qui préférera s’abstenir de paraître. A côté des habituels L’OpinionLe FigaroLes EchosLe Parisien, dont les unes sont toutes plus gratinées les unes que les autres, la presse de droite complexée fait courageusement la sienne sur un écrivain suédois disparu – abstention qui a malheureusement tout le poids d’un parti. Le parti pris d’un certain parti, qui est ce parti informel de l’ordre social capitaliste, parti agglomérant bien sûr des partis politiques au sens classique du terme, on a dit lesquels, mais également tous ceux qui concourent activement à sa reproduction symbolique, économistes, éditorialistes, faux intellectuels, à commencer par ceux qu’on pourrait appeler les objecteurs cosmétiques, spécialistes de la critique secondaire, passionnés de l’inessentiel, stratèges de l’évitement (4) , en tout cas tous bien occupés à fermer le champ du pensable, pour donner comme impensable que les choses soient fondamentalement autres qu’elles ne sont.

C’est qu’en effet, de ceux qui installent les structures à ceux qui les font tourner en passant par ceux qui les déclarent nécessaires (quand ils ne les disent pas admirables), tout ça fait du monde ! Un parti de fait. Le parti du capital. Car on peut bien appeler « parti du capital » l’ensemble de ceux qui approfondissent le règne du capital, qui s’abstiennent de lui opposer la moindre critique sérieuse, et qui barrent résolument la route à ceux qui auraient le projet de le faire. Le parti du capital va donc bien au-delà des seuls capitalistes, mais se scandalise uniement lorsque des têtes se relèvent.

Pour ce grand parti informel, nul doute que les images d’Air France n’ont rien que de glaçant. C’est qu’elles lui tendent le miroir de son devenir possible : en parti de la liquette, grand rassemblement des candidats à la guenille car, avéré l’inexistence des solutions institutionnelles d’endiguement à froid du capital et de son emprise totalitaire sur la société, la probabilité des solutions à chaud va croissant chaque jour. À ce stade d’ailleurs, ça n’est même plus une question de préférence ou de jugement : c’est une question entièrement positive. Quoi qu’on en pense, la tyrannie, la maltraitance que rien n’arrête, finissent toujours, privées de régulation externe et incapables de contenir leur propre tendance interne à l’abus, par franchir un de ces seuils invisibles où la peur des maltraités se retourne en fureur. Il ne faudra pas venir chialer ce jour-là qu’il y a du verre brisé et « d’inadmissibles violences » comme dirait l’éditorialiste de Libération. Car quand le couvercle de la cocotte ne peut plus que sauter, il saute ! Et les vrais coupables sont ceux qui ont installé la gazinière, monté le feu, et célébré la nouvelle cuisine.

Dernière station avant l’autoroute

Battue par trois décennies de néolibéralisme, la société en arrive à un point à la fois de souffrance et d’impossibilité où la question de la violence en politique va devoir se poser à nouveaux frais, question tabouisée par excellence et pourtant rendue inévitable au point de faillite de tous les médiateurs symboliques où nous sommes. Les galéjades habermassiennes de « l’agir communicationnel » paraissant maintenant pour ce qu’elles sont – une illusion de démocratie discursive recouvrant les rapports de force réels, la surdité arrogante des dominants et l’imposition sans appel de leur ordre (on ne s’étonnera pas qu’elles soient régulièrement célébrées dans Le Monde) –, le compte des solutions de transformation sociale réelle est vite fait. Comme s’il s’efforçait inconsciemment de rejoindre son concept, le parti de la liquette, fermant toute autre possibilité, crée la situation de l’épreuve de force. Il finira bien par l’avoir.

Epreuve de force et épreuve de vérité. Car la presse tombe le masque quand l’ordre de la domination capitaliste est réellement pris à partie, fut-ce très localement, et qu’il l’est de la seule manière que les dominés aient à leur disposition, puisque abandonnés de tous, sans le moindre espoir que leur parole soit portée ni dans le cénacle des institutions politiques ni dans l’opinion publique par un canal médiatique mentalement et financièrement inféodé, privés donc de tous les recours de la lutte symbolique, ils n’ont plus que leur bras pour exprimer leur colère.

On ne dira jamais assez combien c’est la réduction au dénuement symbolique qui jette les individus dans l’action physique – désymbolisée. Pas plus qu’on ne rappellera jamais assez que des hommes ou des femmes, qui n’ont somme toute que le désir de vivre paisiblement et de jouir d’une stabilité matérielle minimale, qui n’ont en réalité aucune préférence pour la lutte et encore moins pour la violence, car ils n’aspirent qu’à la tranquillité, ces hommes et ces femmes, donc, ne sortent de leurs gonds que parce que quelque chose, ou quelqu’un, les en a fait sortir.

C’est peut-être une économie générale de l’offense qui commence à se manifester ici, dans laquelle il n’y aura pas à payer que l’état objectif de la violence sociale capitaliste, mais également, petit supplément qui fait parfois les grandes révolutions, cette inimitable touche d’arrogance ajoutée par les dominants aux structures de leur domination. Et c’est vrai que le parti du capital, futur parti de la liquette, n’en aura pas manqué. Depuis les rires gras de l’assistance patronale de Royaumont entendant de Juniac briser quelques « tabous » de son cru, comme le travail des enfants ou l’emprisonnement des grévistes, jusque, dans un autre genre, aux selfies rigolards venant couronner des années de consciencieux efforts pour expliquer aux peuples européens dévastés par l’austérité qu’ils l’avaient bien cherchée (5) .

Quand la loi a démissionné, les dominants ne connaissent qu’une force de rappel susceptible de les reconduire à un peu de décence : la peur – encore elle. C’est bien celle que leur inspirait le bloc soviétique qui les a tenus à carreaux pendant les décennies fordiennes. À des individus que le sens de l’histoire n’étouffe pas, la chute du Mur et l’effacement du mouvement communiste n’ont rien signifié d’autre qu’« open bar ». Dans cette pensée dostoïevskienne du pauvre, ou plus exactement du nouveau riche, « si le communisme est mort, alors tout est permis ». L’instance externe de la peur effondrée, et l’instance interne de la contention – le pouvoir politique – passée avec armes et bagages du côté des forces qu’elle avait à contenir, la peur ne retrouvera plus d’autre origine que diffuse et immanente : elle viendra du bas – du bas qui se soulève.

Les dévots qui se sont engagés corps et âme dans la défense d’un ordre ignoble et forment sans le savoir l’avant-garde de la guenille, sont encore trop bêtes pour comprendre que leur faire peur en mots – ou bien en tartes à la crème – est la dernière solution pour leur éviter de connaître plus sérieusement la peur – dont ils ne doivent pas douter qu’elle viendra, aussi vrai qu’une cocotte sans soupape finit par exploser. Aussi s’empresseront-ils d’incriminer les « apologètes de la violence » sans même comprendre que signaler l’arrivée au point de violence, le moment où, du fond de l’impasse, elle va se manifester, est le plus sûr moyen, en fait le seul, de forcer la réouverture de perspectives politiques, et par là d’écarter l’advenue de la violence.

Frédéric Lordon

 

Source: http://www.les-crises.fr/le-parti-de-la-liquette-par-frederic-lordon/


Le déclin des intellectuels français par Sudhir Hazareesingh

Monday 2 November 2015 at 01:02

Par SUDHIR HAZAREESINGH

Source : Politico, le 22/09/2015

Michel Houellebecq

Paris a cessé d’être un centre majeur d’innovation dans les sciences humaines et sociales.

Une des inventions les plus caractéristiques de la culture française moderne est « l’intellectuel ».

En France, les intellectuels ne sont pas seulement des experts dans leurs domaines particuliers, comme la littérature, l’art, la philosophie et l’histoire. Ils parlent aussi en termes universels et l’on attend d’eux qu’ils donnent des conseils moraux sur des questions générales, sociales et politiques. En effet, les plus éminents intellectuels français sont des figures presque sacrées, qui devinrent des symboles mondiaux des causes qu’ils ont soutenues – ainsi la puissante dénonciation de l’intolérance religieuse par Voltaire, la vibrante défense de la liberté républicaine par Rousseau, l’éloquente diatribe de Victor Hugo contre le despotisme napoléonien, le plaidoyer passionné d’Émile Zola pour la justice pendant l’Affaire Dreyfus et la courageuse défense de l’émancipation des femmes par Simone de Beauvoir.

Par-dessus tout, les intellectuels ont fourni aux Français un sentiment réconfortant de fierté nationale. Comme le dit le penseur progressiste Edgar Quinet, non sans une certaine dose de fatuité bien gauloise : « La vocation de la France est de s’employer à la gloire du monde, pour d’autres autant que pour elle, pour un idéal qui reste encore à atteindre d’humanité et de civilisation mondiale. »

* * *

Cet intellectualisme français s’est aussi manifesté à travers un éblouissant éventail de théories sur la connaissance, la liberté et la condition humaine. Les générations successives d’intellectuels modernes – la plupart d’entre eux formés à l’École Normale Supérieure de Paris – ont très vivement débattu du sens de la vie dans des livres, des articles, des pétitions, des revues et des journaux, créant au passage des systèmes philosophiques abscons comme le rationalisme, l’éclectisme, le spiritualisme, le républicanisme, le socialisme, le positivisme et l’existentialisme.

 

Cette fiévreuse activité théorique atteint son apogée dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale avec l’apparition du structuralisme, une philosophie globale qui soulignait l’importance des mythes et de l’inconscient dans la compréhension humaine. Ses principaux représentants étaient le philosophe Michel Foucault, homme de culture et d’influence, et l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, tous deux professeurs au Collège de France. Parce qu’il partageait son nom avec celui d’une célèbre marque de vêtements américains, Lévi-Strauss reçut toute sa vie des lettres lui commandant des blue-jeans.

Le symbole suprême de l’intellectuel « Rive Gauche» fut le philosophe Jean-Paul Sartre, qui mena le rôle de l’intellectuel public à son paroxysme. L’intellectuel engagé avait le devoir de se consacrer à l’activité révolutionnaire, de remettre en cause les orthodoxies et de défendre les intérêts de tous les opprimés. Le rayonnement de Sartre tient beaucoup à sa manière d’incarner l’intellectualisme français et sa promesse utopique d’un avenir radieux : son ton radical et polémique et sa célébration de l’effet purificateur du conflit, son style de vie insouciant et bohème qui rejetait délibérément les conventions de la vie bourgeoise, et son mépris affiché pour les institutions établies de son époque, qu’il s’agisse de l’État républicain, du Parti communiste, du régime colonial français en Algérie ou du système universitaire.

Voltaire

Selon ses termes, il était toujours « un traître » – et cet esprit d’anticonformisme était au centre de l’aura des intellectuels français modernes. Et bien qu’il détestât le nationalisme, Sartre contribua inconsciemment à ce sentiment français de grandeur par son incarnation de la prééminence culturelle et intellectuelle, et par sa supériorité facile. En effet, Sartre était sans aucun doute une des figures françaises les plus célèbres du 20e siècle et ses écrits et polémiques furent ardemment suivis par les élites culturelles à travers le monde, de Buenos Aires à Beyrouth.

* * *

La Rive gauche d’aujourd’hui n’est plus qu’un pâle reflet de cet éminent passé. À Saint-Germain-des-Prés, les boutiques de mode ont remplacé les entreprises de la pensée. En fait, à de rares exceptions près, comme le livre de Thomas Piketty sur le capitalisme, Paris a cessé d’être un centre majeur d’innovation en sciences humaines et sociales.

Les traits dominants de la production intellectuelle française contemporaine sont ses penchants superficiels et convenus (qu’incarne un personnage comme Bernard-Henri Lévy) et son pessimisme austère. Aujourd’hui, en France, les pamphlets en tête des ventes de littérature non-romanesque ne sont pas des œuvres offrant la promesse d’une nouvelle aube, mais de nostalgiques appels à des traditions perdues d’héroïsme, comme « Indignez Vous! » (2010) de Stéphane Hessel, et des monologues islamophobes et pleurnichards répercutant le message du Front national de Marine Le Pen sur la destruction de l’identité française.

Deux exemples récents sont « L’Identité Malheureuse » (2013) d’Alain Finkielkraut et « Le Suicide Français » d’Eric Zemmour (2014), tous deux imprégnés d’images de dégénérescence et de mort. L’œuvre la plus récente dans cette veine morbide est « Soumission » de Michel Houellebecq (2015), un roman dystopique qui met en scène l’élection d’un islamiste à la présidence française, sur fond d’une désintégration générale des valeurs des Lumières dans la société française.

* * *

Comment expliquer cette perte de repères française ? Les changements du paysage culturel environnant ont eu un impact majeur sur la confiance en soi française. La désintégration du marxisme à la fin du 20e siècle a laissé un vide qui n’a été rempli que par le post-modernisme.

Mais les écrits de gens comme Foucault, Derrida et Baudrillard aggravèrent le problème, par leur opacité délibérée, leur fétichisme du jeu de mots insignifiant et leur refus de la possibilité d’un sens objectif (la vacuité du post-modernisme est brillamment parodiée dans le dernier roman de Laurent Binet, « La septième fonction du langage », une enquête criminelle autour de la mort du philosophe Roland Barthes en 1980).

Mais la réalité française est elle-même loin d’être réconfortante. L’enseignement supérieur français, surpeuplé et sous-financé, part en lambeaux, comme l’indique le rang relativement bas des universités françaises dans le classement académique des universités mondiales de Shanghai. Le système est devenu à la fois moins méritocratique et plus technocratique, produisant une élite manifestement moins sophistiquée et intellectuellement créative que celle de ses prédécesseurs du 19e siècle et du 20e siècle : le contraste à cet égard entre Sarkozy et Hollande, qui peuvent à peine s’exprimer en français, et leurs prédécesseurs à la présidence, éloquents et cérébraux, est saisissant.

Sans doute la raison la plus importante de cette perte de dynamisme intellectuel française est le sentiment croissant qu’il y a eu un recul important de la puissance française sur la scène mondiale, dans ses dimensions basiquement matérielles, mais aussi culturelles. Dans un monde dominé politiquement par les États-Unis, culturellement par les sournois « Anglo-Saxons » et en Europe par le pouvoir économique de l’Allemagne, les Français luttent pour se réinventer.

Peu d’auteurs français contemporains – avec l’exception notable de Houellebecq – sont très connus hors de leurs frontières, pas même de récents prix Nobel comme Le Clézio et Patrick Modiano. L’idéal de la francophonie n’est qu’une coquille vide, et derrière ses beaux discours, l’organisation a peu de résonance réelle parmi les communautés francophones du monde.

Ceci explique pourquoi les intellectuels français semblent si sombres quant à leur avenir national et sont devenus d’autant plus égocentriques, et de plus en plus tournés vers leur passé national : comme l’historien français Pierre Nora l’a déclaré plus franchement, la France souffre « de provincialisme national ». Il est intéressant de noter, dans ce contexte, que ni l’effondrement du communisme dans l’ancien bloc soviétique, ni le printemps arabe, n’ont été inspirés par la pensée française – en opposition totale avec la philosophie de libération nationale qui a soutenu la lutte contre le colonialisme européen, qui fut façonnée de manière décisive par les écrits de Sartre et Fanon.

En effet, alors que l’Europe cafouille honteusement dans sa réponse collective à l’actuelle crise des réfugiés, force est d’admettre que la réaction qui a été le plus en accord avec l’héritage rousseauiste d’humanité et de fraternité cosmopolite des Lumières n’est pas venue de la France socialiste, mais de l’Allemagne chrétienne-démocrate.

Sudhir Hazareesingh est enseignant en sciences politiques au Balliol College, à Oxford. Son nouveau livre, « How the French think: an affectionate portrait of an intellectual people » [« Comment pensent les Français : un portrait affectueux d'un peuple intellectuel »], est publié par Allen Lane à Londres et Basic Books à New York. La version française est publiée par Flammarion sous le titre « Ce pays qui aime les idées ».

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-declin-des-intellectuels-francais-par-sudhir-hazareesingh/


L’industrie des médias censure le rapport du Pentagone qui révèle le rôle des États-Unis dans la création de l’État Islamique. Par Jay Syrmopoulos

Monday 2 November 2015 at 00:10

Par Jay Syrmopoulos

Source : The Free Thought Project.com, le 02/06/2015

Dans un article répercuté à travers le monde, le journaliste primé la semaine dernière et chercheur docteur Nafeez Ahmed a révélé des informations ahurissantes sur la complicité américaine dans la création et l’ascension de l’État Islamique, ainsi qu’elles ont été trouvées dans un rapport des Services de Renseignements de la Défense (DIA) récemment déclassé.

Lisez l’article censuré par l’industrie des médias sur le rapport secret du renseignement américain révélant qui a réellement créé Daech http://www.middleeasteye.net/columns/pentagon-confirms-west-gulf-states-and-turkey-created-islamic-state-608321312

Le rapport du Pentagone dit que les pays occidentaux, du golfe et la Turquie avaient prévu l’émergence de l’État Islamique

Un rapport de l’intelligence américaine révèle que l’aide occidentale aux rebelles syriens a favorisé et encouragé la naissance de l’”État Islamique”, ce que le Pentagone ne nie pas.

Une chose peut-être plus terrifiante que le rapport lui-même est que cette information a été occultée par tous les media grand public du monde.

Ce silence en dit long sur l’importance de cette information. Il illustre la complicité des média anglophones, en collusion avec les gouvernements, pour garder les populations dans l’ignorance de la violence de la realpolitik américaine.

J’ai discuté avec les journaux nationaux intéressés par cette réalité, ils conclurent que c’était trop ‘difficile’ d’en parler à un stade aussi tardif.

Ce rapport stupéfiant, daté d’août 2012, a prouvé que la croissance et l’expansion de Daech était un résultat direct des armes envoyées aux islamistes anti-Assad par les États-Unis, dans le cadre de leur objectif stratégique de renversement du régime d’Assad en Syrie.

Le rapport affirme que “les principales forces conduisant l’insurrection en Syrie” sont composées “des Salafistes, des Frères Musulmans, et d’al-Qaïda en Irak”, et montre explicitement quels étaient les éléments qui donnaient vraiment son impulsion à l’insurrection.

Quoique les États-Unis aient gardé leur ligne officielle selon laquelle, en Syrie, seuls des rebelles modérés reçoivent des armes, des personnalités politiques, du candidat à la présidence Rand Paul déclarant que les “faucons” du Congrès étaient responsables de la montée de Daech au vice président Joe Biden affirmant (à partir de 1:30:00) qu’il n’y avait pas de “rebelles modérés” en Syrie, disent autre chose.

Ahmed déclare que “le document secret du Pentagone donne la confirmation extraordinaire que la coalition menée par les États-Unis contre Daech s’était réjouie trois ans auparavant de l’émergence d’une ‘principauté salafiste’ extrémiste dans la région, ce qui constituait un moyen d’affaiblir Assad.”

Dans un entretien avec Josh Cook de Truth In Media, Ahmed déclare :

“J’ai parlé à un des principaux journaux ici au Royaume-Uni et ce qui était intéressant c’est qu’ils étaient assez favorables à l’idée d’une enquête sur le sujet, mais qu’ils ne se sentaient pas en état de la réaliser. On ne les a pas non plus dissuadés de la publier. Le journaliste auquel j’ai parlé est un journaliste expérimenté, pour lequel j’ai beaucoup de respect, et il était très intéressé par ce que je lui disais. Il m’a écouté intensément – je pouvais vraiment sentir sa peur, que je n’aurais pas dû parler de ça, les choses allaient trop loin – le document est-il vraiment solide ? Il n’était pas confiant.

“Il y a, je pense, comme une acceptation tacite dans les média grand public, qu’il y a certaines choses que nous ne sommes pas autorisés à dire. En l’occurrence l’idée que quelque chose d’aussi abject que Daech ait vraiment pu être prévu ou favorisé délibérément, c’est ce que le rapport implique assez clairement.

“C’est presque trop”, a t-il dit. Ça va à l’encontre de tant de choses que l’on considère comme acquises. Tant de suppositions sur la sorte de suprématie, non seulement américaine, mais de tout l’Occident, et sur la bienveillance de notre gouvernement assurant que nous ne ferions jamais de pareilles choses… C’est un grand saut.”

“D’une certaine manière je pense que les journalistes ont peur et s’inquiètent de repousser les limites à un tel point. Il est préoccupant que règne un silence absolu sur cette question, spécialement dans les médias anglophones. Ce qui pose de vraies questions sur ce qui se cache derrière ce silence.”

Les gens ont le droit d’être informés des agissements d’un gouvernement qui agit en leur nom et la presse a le devoir de dévoiler ce qui est intentionnellement caché au public par ceux qui sont au pouvoir.

Lorsque la presse a peur ou est complice en cachant ces faits au public américain, alors nous, en tant que nation, courons de bien plus grands dangers que tout ce que peut représenter Daech.

S’il vous plaît partagez cet article afin d’aider à ce que cette information vitale soit connue du plus de personnes possible, car les gens ont le droit de savoir ce que leur gouvernement entreprend en leur nom.

Ecoutez l’interview complète avec le Dr Nafeez Ahmed ci-dessous.

Joshua Cook Interviews Investigative Journalist Dr. Nafeez Ahmed On DIA Report And Media Cover – Up

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Un rapport du Pentagone prédisait que le soutien des Occidentaux aux rebelles islamiques créerait l’État Islamique (Daech) par Naafez Ahmed

Par Naafez Ahmed

Source : Medium, le 22/05/2015

La coalition anti-Daech a soutenu sciemment des extrémistes violents afin d’isoler Assad et de renverser l’expansion chiite.

Un cabinet d’avocats proche des conservateurs, Judicial Watch, a obtenu la déclassification d’un document secret du gouvernement américain qui démontre que les Occidentaux se sont alliés délibérément avec al-Qaïda et avec d’autres groupes extrémistes pour renverser le dictateur syrien Bachar al-Assad.

Le document révèle qu’en collaboration avec les pays du Golfe et la Turquie, les Occidentaux ont délibérément soutenu des groupes islamistes violents afin de déstabiliser Assad, et que ces “sponsors” voulaient la création d’une “Principauté Salafiste” pour “isoler le régime syrien”.

D’après ce document, déclassifié depuis peu, le Pentagone avait anticipé l’émergence probable de l’État Islamique en tant que conséquence directe de cette stratégie et mis en garde sur le risque de déstabilisation de l’Irak. Bien que le soutien à l’”opposition syrienne” – qui inclut al-Qaïda en Irak – par les Occidentaux, les pays du Golfe et la Turquie ait été pressenti comme susceptible de provoquer l’émergence d’un “État Islamique” en Irak et en Syrie (ISIS), ce document ne fait nulle part état d’une quelconque décision pour arrêter cette politique de soutien aux rebelles syriens. Au contraire, l’émergence d’une “Principauté Salafiste” affiliée à al-Qaïda est décrite comme une opportunité stratégique pour isoler Assad.

Hypocrisie

Ces révélations contredisent la ligne officielle des gouvernements occidentaux en ce qui concerne leur politique en Syrie et soulèvent des questions quant au soutien secret par les Occidentaux à ces groupes extrémistes violents à l’étranger, alors qu’ils utilisent la peur du terrorisme pour justifier l’instauration de la surveillance de masse excessive et la réduction des libertés individuelles dans leurs pays.

Parmi la liasse de documents obtenus par Judicial Watch, et ce au terme d’une bataille juridique, dévoilée plus tôt cette semaine, figure celui émanant de la DIA [Defense Intelligence Agency, Agence du renseignement de la Défense, NdT] classé “secret” du 12 août 2012.

La DIA produit des synthèses de renseignements destinées aux planificateurs, aux responsables politiques et pour les opérations du ministère de la Défense américain et à la communauté du renseignement.

Jusqu’ici, les médias se sont concentrés sur le fait que l’administration Obama était forcément au courant que les rebelles syriens recevaient des armes du bastion terroriste libyen.

Quelques journaux ont parlé de cette prédiction propre à la communauté américaine du renseignement concernant l’émergence de ISIS. Jusqu’à présent, aucun n’a exposé les faits détaillés et troublants qui montrent comment les Occidentaux ont sciemment encouragé cette rébellion sectaire dirigée par al-Qaïda.

Charles Shoebridge, un ancien agent du renseignement de l’armée britannique et de la police anti-terroriste londonienne, a déclaré :

“Étant donné la tendance politique de l’association qui a obtenu ces documents, il n’est pas surprenant de constater que toute la communication qu’on leur a accordée jusqu’à aujourd’hui concerne leur tentative d’embarrasser Hillary Clinton à propos de l’attaque du consulat américain à Benghazi en 2012. Pourtant, ces documents-là ont suscité bien moins de publicité alors qu’ils posent des questions cruciales a propos des gouvernements et des médias de l’Ouest, et sur leur soutien à la rébellion en Syrie.”

Les Islamistes occidentaux

Le document de 2012 récemment déclassifié par la DIA confirme que le composant principal des forces rebelles anti-Assad à ce moment (2012) sont les insurgés islamistes affiliés à des groupes qui conduiront à l’émergence de ISIS. Malgré tout, ces groupes continueront de recevoir le soutien des militaires occidentaux et de leurs alliés régionaux.

Notant que “les Salafistes (sic), les Frères Musulmans et AQI [al-Qaïda en Irak] sont les principales forces dirigeant l’insurrection en Syrie”, le document dit aussi : “l’Ouest, les pays du Golfe et la Turquie soutiennent l’opposition, alors que la Russie la Chine et l’Iran “soutiennent le régime” [de Assad].

Le document de 7 pages de la DIA établit que al-Qaïda en Irak (AQI), précurseur de “l’État Islamique en Irak” (ISI), qui est devenu “État Islamique en Irak et Syrie”, “soutient l’opposition syrienne depuis le début, idéologiquement et à travers les médias.”

Le rapport du Pentagone resté secret jusqu’alors notait que “l’émergence de l’insurrection en Syrie” a pris une “direction de plus en plus sectaire”, attirant le soutien de “puissances sunnites tribales” dans la région.

Dans un paragraphe titré “Futures hypothèses sur la crise” le rapport de la DIA prédit que tant que le régime d’Assad survivra, conservant le contrôle du territoire, la crise continuera à croitre vers une guerre par procuration” (“proxy war”).

Le document recommande aussi la création de “zones de sécurité assurées par la communauté internationale, similaires à ce qui s’est établi en Libye à Benghazi, choisi pour abriter le centre de commandement du gouvernement temporaire.”

En Libye, des rebelles anti-Kadhafi, la majorité étant affiliée à al-Qaïda, étaient protégés par ces zones de sécurité de l’OTAN (autrement dénommées “zones d’exclusion aérienne”).

“Sponsors cherchent entité ISIS”

Néanmoins, “les pays Occidentaux, les États du Golfe et la Turquie soutiennent les efforts “des forces d’opposition syriennes” qui luttent pour “contrôler les zones orientales (Hasaka et Der Zor), adjacentes aux provinces de l’Ouest irakien (Mosul et Anbar)” :

“… il y a la possibilité d’établir une Principauté Salafiste déclarée ou non déclarée en Syrie orientale (Hasaka et Der Zor) et ceci est exactement ce que les puissances qui soutiennent l’opposition veulent, pour isoler le régime syrien, qui est considéré comme un prolongement stratégique pour l’expansion Chiite (l’Irak et l’Iran).”

Le document secret du Pentagone fournit ainsi la confirmation extraordinaire que la coalition menée par les États-Unis combattant actuellement ISIS, avait il y a trois ans accueilli l’apparition d’une “Principauté Salafiste” extrémiste dans la région comme une façon de fragiliser Assad et de bloquer l’expansion stratégique de l’Iran. D’une façon cruciale, l’Irak est considéré comme une partie intégrante de cette “expansion chiite.”

L’établissement d’une telle “Principauté Salafiste” en Syrie orientale, affirme le document de la DIA, est “exactement” ce que “les puissances qui soutiennent l’opposition [syrienne] veulent.” Plus tôt, le document décrit à plusieurs reprises ces “puissances” comme “l’Ouest, les pays du Golfe et la Turquie.”

Plus loin, le document révèle que les analystes du Pentagone étaient parfaitement conscients des risques sinistres de cette stratégie, pourtant ils ont continué.

L’établissement d’une telle “Principauté Salafiste” en Syrie orientale, selon eux, créerait “les conditions idéales pour que AQI retourne dans ses vieilles bases de Mosoul et Ramadi.” L’été dernier, ISIS a conquis Mosoul en Irak et ce mois-ci vient aussi de prendre le contrôle de Ramadi.

Une telle entité quasi-étatique fournira :

“… un élan renouvelé de la possibilité d’unifier le jihad parmi les Sunnites d’Irak et de Syrie et le reste des Sunnites dans le monde arabe contre ce qu’il considère leur ennemi. ISI pourrait aussi déclarer un État Islamique par son union avec d’autres organisations terroristes en Irak et la Syrie, qui créera un grave danger pour l’unité de l’Irak et la protection de son territoire.” Ce document (DIA 2012) est un Rapport d’actualisation du Renseignement (IIR), pas une “Evaluation finale du renseignement” établie, mais son  contenu est contrôlé avant la distribution. Le rapport a été distribué partout dans la communauté du renseignement des USA, y compris au  Département d’État, à l’État-major, au ministère de la Sécurité Intérieure, la CIA, au FBI, parmi d’autres agences.

En réponse aux nombreuses questions sur sa stratégie, le gouvernement anglais a simplement nié toute connaissance du rapport du Pentagone révélant le soutien délibéré par les Occidentaux aux groupes violents extrémistes en Syrie. Un porte-parole des affaires étrangères a dit :

“al-Qaïda et ISIL sont des organisations terroristes proscrites. Le Royaume-Uni s’oppose à toutes les formes de terrorisme. AQ et ISIL et leurs filiales représentent une menace pour la sécurité nationale du Royaume-Uni. Nous prenons part militairement et politiquement à la coalition qui combat ISIL en Syrie et en Irak, et nous travaillons avec nos partenaires internationaux pour contrer la menace par AQ et autres groupes terroristes de la région. En Syrie nous avons toujours soutenu les groupes modérés qui s’opposent à la tyrannie d’Assad et à la brutalité des extrémistes.”

La DIA n’a pas répondu aux demandes de commentaires.

Adéquation stratégique pour un changement de régime

Analyste des enjeux de sécurité, Shoebridge, qui a enquêté sur le soutien par les Occidentaux aux groupes islamiques terroristes en Syrie depuis le début de la guerre, a montré que le rapport secret du Pentagone recèle des contradictions flagrantes au cœur même des déclarations officielles.

“Depuis les premières années de la crise en Syrie, les gouvernements américain et anglais et presque tous les principaux médias occidentaux ont présenté les rebelles en Syrie comme modérés, libéraux, laïques, démocratiques, et donc méritant le soutien des Occidentaux. Etant donné que ces documents décrédibilisent le bien fondé de ces affirmations, le fait que maintenant ces médias n’en rendent pas compte, malgré leur immense importance, est significatif.”

D’après Brad Hoff, un ancien Marine engagé lors des premières années de la guerre en Irak, l’un des premiers intervenants après le 11 septembre au quartier général des Marines à Quantico de 2000 à 2004, le rapport du Pentagone tout juste sorti contient un incroyable aveu :

“Le renseignement américain avait prédit l’émergence de l’État Islamique en Irak et au Levant (ISIL ou ISIS) mais au lieu d’identifier clairement le groupe en tant qu’ennemi, le rapport définit ce groupe terroriste comme faisant partie du dispositif stratégique américain.”

Hoff, rédacteur en chef de “Levant Report” – journal en ligne animé par des éducateurs, professeurs résidant au Texas et ayant une expérience directe du Proche-Orient – remarque que le rapport de la DIA établit que l’émergence d’une telle entité politique extrémiste salafiste dans la région constitue un “outil pour changer le régime en Syrie”.

Le rapport de la DIA montre, dit-il, que l’émergence de ISIS n’a été rendue possible que dans le contexte de l’insurrection syrienne – “Aucune mention n’est faite du retrait des troupes américaines d’Irak, évènement catalyseur pour l’émergence de l’État Islamique, et qui fait l’objet d’une polémique entre d’innombrables politiciens et autres pontes.” Le rapport démontre que :

“L’instauration d’une ‘Principauté Salafiste’ dans l’est de la Syrie est ‘exactement’ ce que souhaitent les puissances extérieures (les occidentaux, les pays du Golfe et la Turquie) soutenant l’opposition et ce pour affaiblir le gouvernement Assad.”

L’émergence d’un quasi État Salafiste qui pourrait se développer en Irak, fracturant le pays, était donc clairement prévu par le renseignement américain comme probable – mais néanmoins stratégiquement utile – et constitue la contrepartie négative de l’engagement des Occidentaux afin d’”isoler la Syrie”.

Complicité

Des observateurs critiques de la stratégie conduite par les États-Unis dans la région n’ont cessé de soulever des questions quant au rôle des alliés occidentaux fournissant un soutien considérable aux groupes islamistes terroristes pour déstabiliser le régime Assad.

Il est communément admis que le gouvernement américain n’avait pas une compréhension suffisante de l’origine des groupes rebelles anti-Assad, qui étaient supposés être contrôlés et scrupuleusement sélectionnés afin que seuls les “modérés” soient soutenus.

Cependant, le rapport du Pentagone récemment révélé prouve sans ambiguïté que des années avant que ISIS ne lance son offensive en Irak, le renseignement américain était parfaitement conscient que les militants islamistes constituent le cœur de l’insurrection sectaire syrienne.

Malgré cela, le Pentagone a continué à soutenir l’insurrection islamiste, même en sachant que cela provoquerait probablement l’établissement d’un bastion salafiste extrémiste en Syrie et en Irak.

Shoedbridge m’a dit, “Les documents montrent que non seulement le gouvernement américain connaissait au moins depuis août 2012 la nature extrémiste résultant de la rébellion en Syrie” – soit l’émergence de ISIS – “mais que ceci était considéré comme un atout pour les affaires étrangères des États-Unis. Ce qui suppose aussi de consacrer des années d’efforts afin de tromper délibérément l’opinion publique occidentale, via la complaisance médiatique, qui firent croire que l’opposition syrienne est majoritairement ‘modérée’.”

Annie Machon, une ex-agente du renseignement au MI5 qui avait vendu la mèche dans les années 90, révélant que le MI6 avait financé al-Qaïda pour tuer l’ancien dirigeant Kadhafi, a commenté ces révélations :

“Ce n’est pas une surprise pour moi. Dans chaque pays il existe plusieurs agences de renseignement qui s’affrontent pour des objectifs différents.”

Elle a expliqué que l’opération du MI6 en Libye en 1996, qui provoqua la mort de civils innocents, “s’est déroulée au moment précis où le MI5 montait une nouvelle section chargée d’enquêter sur al-Qaïda.”

Machon a ajouté que cette stratégie s’est répétée à grande échelle lors de l’intervention de l’OTAN en 2011 en Libye où la CIA et le MI6 :

“… soutenaient ces mêmes groupes libyens qui provoquèrent la faillite de l’État, des meurtres de masse, l’exode et l’anarchie. Donc l’idée selon laquelle des personnes provenant de l’institution militaire et du renseignement américain auraient empêché le développement de ISIS après qu’ils eurent échoué à faire intervenir l’OTAN une nouvelle fois fait partie d’un modèle bien établi. Et ils restent indifférents à l’ampleur des souffrances humaines provoquées, considérées comme faisant partie du jeu.”

Diviser pour mieux régner

Plusieurs membres du gouvernement américain ont avoué que leurs alliés les plus proches dans la coalition anti-ISIS financent des groupes extrémistes islamistes violents, groupes faisant maintenant partie intégrante d’ISIS.

Joe Biden, actuel vice-président US, a admis il y a tout juste un an que l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, le Qatar et la Turquie avaient fourni des centaines de millions de dollars aux rebelles islamistes en Syrie, et que ceux-ci se sont métamorphosés en ISIS.

Mais il a refusé d’admettre ce que ce document confidentiel du Pentagone prouve – à savoir que l’entière stratégie était dirigée, appliquée et contrôlée par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, Israël et d’autres puissances occidentales.

La stratégie paraît correspondre au scénario annoncé récemment par un rapport de la Rand Corp commandité par l’armée américaine.

Le rapport, publié 4 ans avant celui de la DIA, appelé “Profiter du conflit entre Chiites et Sunnites en prenant parti pour les régimes sunnites conservateurs de façon décisive et en travaillant avec eux et contre tous les mouvements chiites dans le monde musulman.”

Les États-Unis auraient besoin de contenir “la puissance iranienne” dans le Golfe “en renforçant les régimes traditionnels sunnites comme l’Arabie Saoudite, l’Égypte et le Pakistan.” Simultanément les États-Unis doivent maintenir “une relation forte et stratégique avec le gouvernement irakien Chiite” malgré son alliance avec l’Iran.

Le rapport RAND confirma que la stratégie du “Diviser pour Régner” était déjà à l’œuvre, “créant des divisions dans le camp jihadiste. De nos jours cette stratégie s’applique à nouveau en Irak au niveau tactique.”

Le rapport relève que les USA ont conclu une “alliance provisoire”avec des groupes de rebelles nationalistes affilés à al-Qaïda – qui les ont combattus pendant quatre ans – par la fourniture d’armes et de financement. Bien que ces nationalistes “aient coopéré avec al-Qaïda contre les forces US”, ils sont maintenant soutenus pour exploiter “la menace commune qu’al-Qaïda fait maintenant peser sur tout le monde.”

Le document DIA 2012, cependant, démontre plus loin que, tout en payant d’ex-membres d’al-Qaïda en Irak prétendument renégats pour justement combattre al-Qaïda, les gouvernements occidentaux armaient dans le même temps les insurgés d’al-Qaïda en Syrie.

La révélation d’un document interne des renseignements US selon lequel la coalition menée par les États-Unis, supposée combattre “l’État islamique” aujourd’hui, a sciemment permis l’émergence d’ISIS, soulève des questions troublantes sur les récents efforts du gouvernement pour justifier l’extension des mesures anti-terroristes.

A l’aube de la montée d’ISIS, de nouvelles mesures intrusives pour combattre l’extrémisme, comprenant la surveillance de masse, un plan orwellien de “prévention des risques” et même le projet d’autoriser les gouvernements à censurer les stations de radio, sont mis en place des deux côtés de l’Atlantique. Sont ainsi ciblés, de manière disproportionnée, les activistes, les journalistes et les minorités ethniques, particulièrement les minorités musulmanes.

Et pourtant le nouveau rapport du Pentagone révèle que, contrairement aux affirmations des gouvernements occidentaux, la cause fondamentale de la menace est la conséquence de leur politique profondément inepte consistant à financer secrètement le terrorisme islamique pour des objectifs géopolitiques douteux.

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/lindustrie-des-medias-censure-le-rapport-du-pentagone-qui-revele-le-role-des-etats-unis-dans-la-creation-de-letat-islamique-par-jay-syrmopoulos/


[Reprise] GEAB : Élections turques – L’impossibilité du chaos en Turquie

Sunday 1 November 2015 at 02:56

Je partage avec vous aujourd’hui l’introduction du dernier “GlobalEurope Anticipation Bulletin”, qui est pour moi de loin une des meilleures sources d’information sur la Crise…

Nous avons plusieurs fois analysé que seules des puissances régionales étaient en mesure de ramener le calme au Moyen-Orient et de régler la question de Daesh, ennemi commun susceptible de mettre tout le monde (ou presque) d’accord. En revanche, nous affirmions que les interventions des États-Unis ou de la Russie n’auraient pour seul effet que d’aggraver les tensions.

Occasions manquées à répétition

Autant dire que les récents développements mettant en scène une confrontation États-Unis/Russie au Moyen-Orient ne semblent pas envoyer dans la bonne direction. Nous avions également identifié l’Iran shiite et la Turquie sunnite, deux seules démocraties de la région (certes imparfaites  – comme nous tous d’ailleurs – mais à évaluer à l’aune du reste de la région), comme la seule alliance possible, légitime et garante du maintien du multiconfessionnalisme de la région.

Idéalement, l’Égypte aurait dû s’ajouter à cette alliance (c’est le rôle que le combat courageux des Égyptiens pendant le printemps arabe aurait dû leur permettre de jouer) ainsi que, en mode mineur, Israël (ce qui aurait été rendu possible par l’élection d’Herzog à la place de Netanyahou lors des dernières élections[1]).

Toutes les conditions auraient alors été remplies pour une réorganisation démocratique et multiconfessionnelle de la région. Egypte[2] et Israël [3] ont été durablement éliminés de tout jeu positif et les chances d’une transition hors de la crise se sont singulièrement réduites. L’Iran en revanche a été placé en liberté conditionnelle et commence à retrouver le rôle régional qui lui incombe. Cela dit, ce pays est attaqué sur deux fronts (Yémen et Syrie) et sa « conditionnelle » fait qu’il n’a toujours pas les mains libres pour défendre ses intérêts et ceux de ses alliés. La Turquie enfin se trouve désormais dans un chaos indescriptible[4] et bien incapable apparemment de jouer le moindre rôle indépendant dans la région.

Arabie saoudite vs Iran

En guise de puissance régionale, l’Arabie saoudite semble donc rester seule à bord, un scenario qui nous emmène bien loin de toute perspective de Moyen-Orient ouvert, démocratique et  multiconfessionnel – malgré la folle convergence, totalement contre nature, entre elle et l’Israël de Netanyahou[5].

Cela dit, un autre scénario se met en place actuellement, pas beaucoup plus enthousiasmant, autour de l’Iran celui-là, et de ses faibles alliés la Syrie et l’Irak, soutenus par la Russie[6], le cap des « losers » pour certains. Le multiconfessionalisme n’est sans doute pas beaucoup plus au programme de l’avenir proposé par ce groupe de pays et le sponsor russe n’est certainement pas garant de durabilité des solutions qu’il pourrait mettre en place si le groupe en reste là.

La « centralité » de la Turquie

Non, décidément, le seul « avenir ayant de l’avenir » repose bien sur une alliance entre l’Iran et la Turquie. Et tout se joue donc autour de ce qu’il va se passer en Turquie lors de la « ré-élection »[7] législative du 1er novembre. La Turquie est centrale à bien des égards, en général et dans cette crise en particulier. Elle a notamment la caractéristique d’être la deuxième armée en effectifs de l’OTAN. Les intérêts se pressent donc autour de ses orientations politiques, et ce depuis longtemps.

Figure 1 – Situation centrale de la Turquie. Source : Ali Velshi.

Lorsque Erdogan est arrivé au pouvoir par les urnes en 2003, il a remis en question la tutelle militaire sous laquelle le pays vivait depuis des décennies[8], éloignant par conséquent son pays de l’influence occidentale. La demande d’adhésion à l’UE est devenue formelle et bien peu volontaire. La priorité est passée à des relations équilibrées entre les innombrables et puissants voisins de ce pays si « bien » entouré, parmi lesquels la Syrie de Bachar el-Assad[9] et l’Iran[10]. Le processus démocratique n’a pas été remis en question, mais il se trouve que dans cette région, à cette époque, démocratie rime avec Islam. Une autre priorité d’Erdogan, en lien avec la réduction du pouvoir militaire sur le pays, était de mettre en route un processus de paix avec les Kurdes[11].

À la lecture de la voie que traçait la Turquie d’Erdogan jusqu’en 2011, on voit combien la crise syrienne l’a fragilisée dans la poursuite de son projet.

Déraillement de la politique d’Erdogan

Du point de vue de notre équipe, Erdogan a commis une grande erreur : faire confiance aux Occidentaux dans le fait que Bachar el-Assad allait être rapidement éliminé et, dans un mélange de realpolitik et de tentation idéologique (idéologie moins islamiste que démocratique d’après nous), miser sur les remplaçants prévus en soutenant l’Armée syrienne libre.

Problème : les Occidentaux n’avaient de toute évidence pas les moyens de leur politique. Et 4 ans plus tard, Bachar el-Assad est toujours là mais la situation a dégénéré au-delà de toute imagination, débordant maintenant largement sur toute la région, et sur l’Europe désormais, via ces afflux de réfugiés[12]. En quatre ans, la politique d’Erdogan est devenue illisible et incohérente, et la Turquie se retrouve au bord du gouffre économique[13], social, politique et géopolitique… sur le point d’imploser[14]. En un scénario qui a la plus forte probabilité de se réaliser, l’AKP ne parvient pas à récupérer sa majorité parlementaire ni à former une coalition, et le pays reste politiquement paralysé en plein milieu d’une crise multi-frontale.

Nous anticipons que, compte tenu du fait que personne n’entend voir la Turquie prendre le chemin de la Libye ou de l’Iraq, les militaires ne tarderont pas à remettre de l’ordre dans le pays si les législatives de novembre se soldaient par une nouvelle impossibilité de forger la moindre coalition et de redonner la moindre direction cohérente au pays. C’est là le scenario le plus probable, celui auquel tout le monde s’attend, sur lequel  beaucoup dans le camp occidental comptent en réalité, celui qui remplit les pages de nos médias. Cela dit, nos lecteurs connaissent maintenant notre inclination à montrer es pistes alternatives.

Les militaires ou Erdogan again

L’autre scenario possible, bien que peu évoqué dans la presse courante, serait qu’Erdogan gagne son pari de retrouver sa majorité parlementaire et/ou parvienne à former une coalition qui ne neutralise pas tout pouvoir d’action, et reprenne la main sur la mise en œuvre de sa politique.

Les autres partis sont très loin derrière l’AKP d’Erdogan. Le CHP, parti kémaliste, est à 25% ; le nouveau chouchou des Européens, le très sympathique parti pro-kurde modéré HDP ou Syriza turc, n’est qu’à 13% ; suivi de l’ultra-nationaliste et très fascisant MHP. Rappelons que la « défaite » de l’AKP aux dernières législatives consistait en un score de 40% !

Figure 2 – Sondages pour l’élection turque de novembre. Source : James in Turkey.

 

Il n’est donc pas question le 1er novembre de voir émerger une vraie alternative à Erdogan mais bien de savoir si le dirigeant actuel aura la main pour mettre en œuvre sa politique ou si la paralysie du gouvernement sera reconduite alors que le pays sombre dans le chaos, nécessitant l’intervention de l’armée.

Dans l’hypothèse où Erdogan parvienne à reprendre la main, quelle politique mènera-t-il ? Les aperçus qu’il en a déjà donnés indiquent clairement un retour à la politique d’indépendance qu’il avait inaugurée en 2003 :

. distanciation des US : les relations avec les Américains se tendent lorsque ces derniers parachutent des armes lourdes aux rebelles anti-Bachar, parmi lesquels les troupes pro-PKK du PYD[15], dans  le cadre de leur guerre-proxy contre la Russie[16] ;

. rééquilibrage au profit de la Russie à laquelle il rend visite récemment et  ouverture à l’Iran[17] ;

. assouplissement vis-à-vis de la politique de Bachar : Erdogan s’est récemment déclaré en faveur de la mise en place d’un gouvernement intérimaire syrien comprenant Bachar el-Assad[18] du moment que cela n’acte pas d’une légitimation du régime syrien[19].

Cette dernière condition est importante car elle ferait de la Turquie le garant du compromis entre les positions russe et américaine : que la coopération avec Bachar el-Assad proposée par la Russie afin de ramener le calme en Syrie et dans la région (objectif désormais prioritaire pour les Européens qui ne souhaitent plus que l’arrêt des flux de réfugiés) ne signifie pas le maintien de Bachar el-Assad à la tête du régime syrien.

Le tout évoque un scenario assez proche de celui que nous avions suggéré, aujourd’hui repris par le magazine Trend qui signe un article courageux sur l’inévitabilité d’une alliance Turquie-Russie-Iran[20].

Avec tout cela, il n’est pas étonnant que le patron de l’OTAN, Stollenberg, redouble de caresses en direction de la Turquie avec des promesses de soutien militaire en cas de conflit avec  la Russie[21], promesses qui s’adressent certainement à l’appareil militaire turc plutôt qu’à Erdogan, sous-entendant plus ou moins un coup d’État préalable. Le scenario d’un raffermissement de la position d’Erdogan à la tête du gouvernement turc ne nous paraît pas le plus probable dans le déchaînement actuel des fronts conflictuels. Dans quelles conditions se passera l’élection ? Aura-t-elle lieu tout simplement ? Actuellement, tout devient possible. Mais l’équilibre de forces dans la région a considérablement changé en un mois avec l’entrée de la Russie dans le jeu, et avec le revirement de l’Europe sur l’objectif d’élimination de Bachar el-Assad comme priorité en matière de gestion de la crise syrienne. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que Merkel et Erdogan ont tous deux exprimé leur changement de cap sur ce thème le même jour[22].

On l’aura compris en tous cas : l’élection turque du 1er novembre est à suivre vraiment attentivement. Un retour à l’ordre s’ensuivra mais il peut revêtir des visages bien différents. (Pour lire la suite, inscrivez-vous au GEAB )

Abonnement : pour ceux qui en ont les moyens, en particulier en entreprise, je ne peux que vous recommander l’abonnement à cette excellente revue de prospective sur la Crise, qui avait annoncé dès 2006 la crise actuelle.

Je rappelle que LEAP ne reçoit aucune subvention ni publique, ni privée, ni européenne, ni nationale et que ses ressources proviennent uniquement des abonnements au GEAB.

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[1]     Voir précédents numéros de GEAB.

[2]     En ce qui concerne l’Égypte, les visites/rencontres entre Poutine et Al-Sissi il y a quelques temps nous amènent à anticiper qu’en cas de succès d’une politique russe au Moyen-Orient, des changements d’orientation pourraient bien se produire là-bas. Source : Le Figaro, 10/02/2015

[3]     Israël en revanche est bel et bien bloqué dans une vision de plus en plus militarisée de la région. Source : World Tribune, 13/10/2015

[4]     Pour mieux comprendre la complexité de la situation, nous recommandons la lecture de cet article de France Info. Source : FranceInfo, 14/10/2015

[5]    Nous avions à l’époque longuement commenté l’avenir d’Israël dans un tel Moyen-Orient. Mais nous supposons maintenant que les grands stratèges à la manœuvre à Tel Aviv comptent bien sur le fait qu’une fois la complexité du Moyen-Orient éliminée, la puissance de feu pourra alors se concentrer sur l’Arabie saoudite elle-même, en un gigantesque pandemonium supposé permettre la grande reconfiguration du Moyen-Orient. Il est probable en effet que l’Arabie saoudite soit le prochain sur la liste, dès que l’Iran aura été durablement affaibli, via l’élimination de Bachar el-Assad, l’Otanisation de la Turquie, la neutralisation par dictature de l’Égypte, l’irruption d’un grand Kurdistan (qui n’aura rien de bien sympathique si l’on en croit Amnesty) et la provincialisation de tout le reste. Le tout sous la tutelle d’un « Occident » réaffirmé dans sa suprématie. Ce scenario qui se déroulera moyennant des millions de morts et des dizaines de millions de réfugiés, sans compter le déploiement du conflit bien au-delà de la seule région, reste malheureusement une possibilité.

[6]     Source : Le Monde, 04/10/2015

[7]     C’est ainsi que l’appelle Erdogan, qui joue sur les mots…

[8]     Réduction du budget militaire, pleins pouvoirs au Parlement pour décider des budgets à allouer à l’armée dès 2003 ; limitation du champ d’intervention de l’armée limitant les risques de coup d’État en 2013 (source : Le Figaro, 30/07/2013); nomination par le gouvernement des chefs de l’armée en 2011 (source : BBC, 04/08/2011) nomination d’un civil à la tête de l’armée

[9]     On en vient à oublier qu’Erdogan a soutenu Bachar el-Assad jusqu’aux Printemps arabes. Source : Ovipot, 15/05/2011

[10]   Source : Deutsche Welle, 09/06/2014

[11]   Source : IAI, May 2015

[12]   A tel point que le Guardian, qu’on ne peut pas accuser de pro-poutinisme, en vient à republier le projet de paix proposé par Poutine en 2012, plan qui suggérait de ramener le calme dans le pays avec l’aide de l’armée régulière tout en négociant avec Bachar el-Assad sa sortie honorable. Ce plan a été dédaigné à l’époque mais sa lecture aujourd’hui laisse songeur : on aurait donc pu éviter tous ces morts, destructions et migrants ? Source : The Guardian, 15/09/2015

[13]   La dette du pays se situe maintenant au niveau insoutenable de 170 milliards de dollars. Pour un point sur la situation économique en Turquie dans le contexte des élections, la lecture de cet article d’Al-Monitor est utile. Source : Al-Monitor, 12/10/2015

[14]   Sans parler du fait que l’agenda de démocratisation d’Erdogan a été remis à plus tard : l’urgence des quatre dernières années étant seulement d’éviter cette implosion…

[15]   Source : Hürriyet, 14/10/2015

[16]   Source : New York Times, 12/10/2015

[17]   Source : Today’s Zaman, 12/10/2015

[18]   Source : Aranews, 25/09/2015

[19]   Cette condition peut bien entendu être jugée hypocrite ; mais elle peut aussi être considérée comme la garantie dont l’Europe a besoin pour l’accepter

[20]   Source : Trend, 14/10/2015

[21]   Source : Reuters, 12/10/2015

[22]   Source : Al-Arabiya, 24/10/2015

Source: http://www.les-crises.fr/geab-elections-turques-limpossibilite-du-chaos-en-turquie/


[Livre] Mentir au travail, par Duarte Rolo

Sunday 1 November 2015 at 02:50

Duarte Rolo : «Dans les centres d’appels, les salariés expérimentent la trahison de soi»

Source : Libération, le 23 septembre 2015.

Pour le psychologue clinicien, qui a enquêté dans des call centers, la tromperie généralisée, devenue une pratique managériale, génère non seulement «des formes de souffrances assez graves» pour les employés, mais aussi une rupture de confiance avec les clients.

Comment les salariés réagissent-ils à un environnement de travail basé partiellement sur le mensonge ? Psychologue clinicien, docteur en psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers, Duarte Rolo a enquêté avec Stéphane Le Lay pendant plusieurs années dans des centres d’appels téléphoniques. Il en publie les conclusions dans un livre qui vient de sortir, Mentir au travail.

Comment en être venu à étudier le mensonge dans ce centre d’appels ?

J’ai été alerté par une déléguée du personnel inquiète de la multiplication des manifestations de mal-être dans son entreprise : crises de larmes, recrudescence des arrêts maladies, notamment pour dépression, accident cardio-vasculaire. Très vite, les discussions se sont focalisées sur «les chiffres», en fait les indicateurs de performance qui rythment le travail des opérateurs. Pour y répondre, les salariés avaient l’impression de désobéir aux règles de leur métier, de pratiquer des ventes forcées, de devoir duper le client. Ce que notre enquête a montré, c’est qu’aujourd’hui, dans certaines situations, les salariés sont confrontés à l’injonction de mentir. Au risque de générer des formes de souffrances assez graves.

Comment en sont-ils arrivés là ?

Dans beaucoup d’entreprises – comme à La Poste, France Télécom ou EDF -, le cœur du métier des centres d’appels a changé. Alors que les conseillers devaient à l’origine répondre à une réclamation du client, créer une relation de confiance pour les fidéliser, ils se transforment aujourd’hui en vendeurs soumis à des objectifs commerciaux. Si le service marketing a lancé une campagne commerciale autour des Blackberry par exemple, ils doivent vendre le plus possible de ces téléphones, tant pis si le papi qui appelle ce jour-là ne verra pas ses touches parce qu’elles sont trop petites pour ses yeux fatigués. L’entreprise où j’ai enquêté organise régulièrement des challenges qui récompensent celui qui vendra le plus en lui offrant une pause PlayStation. L’infantilisation évite à beaucoup de se poser des questions sur leurs méthodes.

C’est selon vous un mensonge d’un type nouveau…

Ici, ce ne sont plus les salariés qui prennent l’initiative de mentir, mais l’organisation qui les y pousse. Dans les centres d’appels, l’injonction au mensonge est parfois explicite : on se présente sous un faux prénom – souvent un prénom francisé pour rassurer les clients français. Il y a aussi toute une série de mensonges explicitement demandés par la hiérarchie, mais sous forme d’euphémisme : «On va omettre de donner cette information aux clients», «on va minimiser». Mais ce sont surtout les méthodes d’évaluation comme le benchmarking - établir un étalon de performance pour dresser des classements entre salariés sur lesquels sont indexées les primes – qui imposent aux salariés de mentir pour vendre plus. Quand ils voient que la réclamation de tel client va être trop longue à régler, certains leur raccrochent au nez pour que l’appel soit rebasculé sur le poste d’un collègue. Les contraintes organisationnelles font du mensonge une pratique nécessaire et banale.

Dans une entreprise, quelles conséquences peuvent avoir ce mensonge ?

Le problème, c’est qu’on ne peut plus faire confiance à personne. On sait que si untel est un bon vendeur, c’est qu’il ment bien, et qu’il peut donc nous mentir à nous aussi. De gros conflits se trament sur la plateforme entre les salariés qui acceptent de jouer le jeu et ce

ux qui refusent,«killers» contre «fonctionnaires», comme ils s’appellent. Les conseillères m’ont aussi décrit une évolution dans l’attitude des clients. Alors qu’ils appelaient autrefois avec une certaine bonhomie, ils sont désormais plus méfiants, refusant les conseils des conseillers, réclamant systématiquement un geste commercial. Les conseillers décrivent une évolution en miroir : des salariés qui profitent des clients, qui à leur tour veulent profiter des salariés.

Le mensonge rend-il malade ?

Les salariés qui souffrent de cette situation ne sont ni plus idéalistes ni plus moraux que les autres. Mais ils ont l’impression de trahir leur éthique personnelle et professionnelle. Le mensonge prend alors une dimension de conflit psychique : les conseillers expérimentent la trahison de soi. Ce mensonge imposé par l’organisation du travail amène à se conduire d’une manière qu’on désapprouve : c’est ce qu’on appelle la souffrance éthique. Certains vont tenter de l’oublier en se jetant dans une frénésie de travail. D’autres résistent à l’injonction à mentir. D’autres, encore, peuvent ressentir une haine de soi, jusqu’au dégoût, qui peut amener au suicide. C’est ce qui est arrivé à l’un des conseillers du centre d’appels où j’enquêtais. Il s’est suicidé alors qu’il avait sa déléguée du personnel au bout du fil.


Travail : quand il faut mentir pour réussir

Source : Le Point, le 14 septembre 2015.

Dans “Mentir au travail”, un psychologue clinicien décrit comment l’injonction de performance amène les salariés à tromper le client et à se trahir eux-mêmes.

Duarte Rolo, maître de conférences à l'université Paris-Descartes, a mené une enquête dans les centres d'appels. Il y met au jour une organisation du travail qui peut être délétère. (Photo d'illustration)

Duarte Rolo, maître de conférences à l’université Paris-Descartes, a mené une enquête dans les centres d’appels. Il y met au jour une organisation du travail qui peut être délétère.

Devoir duper le client tout en le servant : une prescription inédite à l’origine d’une forme de souffrance au travail elle aussi inédite, la souffrance éthique. Dans Mentir au travail (PUF), Duarte Rolo, psychologue clinicien, maître de conférences à l’université Paris-Descartes, a mené une enquête édifiante au cœur des centres d’appels téléphoniques. Il analyse ces nouvelles pratiques de management et d’organisation du travail qui, si on ne les interroge pas, pourraient nous mener tout droit vers un nouveau « Meilleur  des mondes ».

Le Point : Qu’est-ce que la souffrance éthique ?

Duarte Rolo : C’est l’expérience de la trahison de soi. Cette souffrance apparaît lorsqu’on est amené à adopter des pratiques de travail avec lesquelles on n’est pas d’accord et qui vont à l’encontre de ses valeurs. On a alors l’impression d’être en porte-à-faux vis-à-vis de soi-même et d’une éthique professionnelle. La particularité de cette souffrance, c’est que le travailleur est victime de sa propre conduite : il souffre de ce qu’il fait lui-même. La souffrance éthique fonctionne toujours comme un aveu de participation, un aveu de culpabilité, elle apparaît au moment où l’on accepte de faire ce que l’on pense qu’on n’aurait pas dû accepter, même si on y a été poussé par la hiérarchie, l’organisation du travail, la peur du chômage… C’est cela qui fait que cette souffrance est tellement dévastatrice, on est allé trop loin, on a mis un pied dans la porte, et on est soi-même en train de contribuer à une dégradation de son rapport au travail. Elle peut mener au suicide.

Les centres d’appels téléphoniques semblent être le terreau privilégié de cette souffrance. Pour quelles raisons ?

À l’origine, l’activité des centres d’appels téléphoniques était orientée vers l’assistance au client. Aujourd’hui, elle est de plus en plus centrée sur la vente et le profit. Quand on appelle pour un dépannage ou une réclamation, on se voit proposer un nouvel abonnement, une assurance supplémentaire, un autre téléphone… Situés au départ au bout de la chaîne de l’activité des entreprises, les centres de relations clients sont désormais au cœur de leur action. La finalité commerciale prime la prise en compte pertinente de la demande du client. Dans le cadre d’une relation de service, où le cœur du métier a affaire avec le souci de l’autre, cette opposition est vécue par certains téléconseillers comme une atteinte à la conscience professionnelle.

Aujourd’hui, les outils informatiques renforcent les pratiques d’évaluation du travail, le couplage téléphone-ordinateur permet d’enregistrer quasi en temps réel une série d’indicateurs. L’acte de travail est précisément mesuré, point par point. Cet usage permanent d’indicateurs conduit à indexer la qualité du travail à la performance commerciale et à individualiser les formes de rémunération du salarié, soumis à des contrats d’objectifs liés à des primes. Les indicateurs de performance régissent donc l’activité quotidienne et orientent en grande partie la relation avec le client, qui change de nature. Car ces injonctions incessantes à la vente conduisent les agents à faire des entorses aux règles du métier.

Des entorses qui mèneraient à la pratique du mensonge ?

Pour satisfaire les objectifs décidés par l’organisation du travail, les téléopérateurs ne peuvent pas ne pas mentir, la pression des contrats d’objectifs, très forte, les y pousse. Ils vont donc omettre des informations au client pour faciliter la vente, par exemple qu’un branchement sera payant, forcer le placement de produits ou de services dont ils savent à l’avance qu’ils n’auront aucune utilité pour le client, se faire passer pour le responsable en maquillant leur voix quand un client exige de parler à un supérieur afin d’écourter l’échange téléphonique pour pouvoir prendre un nouvel appel… Mentir devient intégralement partie de la tâche, mais l’ordre reste implicite.

Votre enquête vous a permis de mettre le doigt sur une pratique de management particulière, les challenges, véritables machines à générer la soumission, selon vous. De quoi s’agit-il ?

Les challenges sont des jeux compétitifs entre salariés. Ce sont des défis commerciaux d’une durée limitée où des objectifs de vente sont fixés pour certains produits à placer prioritairement auprès des clients. À chaque objectif réussi, le téléopérateur a droit à une récompense : manger une gaufre, profiter d’un fauteuil à massage, piloter un hélicoptère miniature au-dessus de la tête de ses collègues, tenter sa chance dans des tirs au but dans une cage de football installée au centre du plateau, se déguiser… Ils sont destinés à créer une ambiance ludique qui aiderait à s’abstraire de la pression des chiffres, alors que, de fait, ces challenges viennent ajouter des objectifs commerciaux. Les challenges sont une façon détournée de renforcer les contraintes de productivité tout en essayant de distraire les salariés de ces mêmes contraintes. S’ils ont une fonction productive très claire, ils génèrent aussi une forme d’allégeance à l’organisation du travail. Leur caractère burlesque incite à une forme de régression – les salariés parlent d’infantilisation – dont le but est d’arrêter la pensée, d’empêcher que les salariés se posent des questions sur ce qu’ils sont en train de faire, le contenu de leur mission, les moyens utilisés pour arriver à leurs fins.

Là où c’est pernicieux, c’est que les challenges aident les salariés à se défendre de la souffrance éthique tout en générant une forme de soumission majeure, car une fois que l’on est dedans il est difficile de se déprendre de leur logique. Une fois qu’on a accepté d’être ridicule devant ses collègues et qu’on s’est conduit comme un enfant – il n’y a pas d’obligation de participer au challenge –, on est clairement engagé et on sera même très probablement disposé à aller plus loin, à surenchérir, et on se retrouvera de plus en plus empêtré dans cette logique. Il est alors très difficile de revenir en arrière et d’exercer une pensée critique sur les desseins de l’organisation du travail.

Vous expliquez qu’une des fonctions essentielles des primes et des challenges est d’instrumentaliser la demande de reconnaissance dont a besoin tout être humain.

La reconnaissance joue un rôle fondamental dans la consolidation de l’identité, nous avons tous besoin du jugement d’autrui pour nous assurer de notre valeur. Autrefois, le management se faisait par la peur ; aujourd’hui apparaissent des formes de domination plus modernes, où la reconnaissance joue un rôle central et est marchandisée. Dans les centres d’appels, la reconnaissance est ainsi indexée aux performances commerciales qui génèrent des primes, la persuasion est préférée à l’intimidation, la reconnaissance est utilisée pour obtenir la soumission et la docilité des salariés. Toute forme de reconnaissance, si elle  comporte une promesse de bonheur, renferme aussi un risque de manipulation. On ne peut s’empêcher de faire une analogie avec la société décrite par Aldous Huxley dans Le Meilleur des mondes où la contrainte sans violence physique et la récompense sont les meilleurs moyens d’obtenir la paix sociale.

Quelles sont les conséquences pour notre société de l’usage du mensonge en contexte professionnel ?

Ces formes d’organisation du travail vont à l’encontre de la logique du travail des services. Les clients se rendent compte qu’ils sont trompés, le rapport de confiance  qui pouvait exister entre un client et un prestataire de services s’érode petit à petit, quelque part le lien social qui existe entre les uns et les autres se dégrade. On peut faire l’hypothèse que cette généralisation de la duperie aura des conséquences,  au-delà des milieux de travail, sur le vivre en société et les modalités de construction et d’entretien des liens sociaux, puisque les pratiques sociales, au centre desquelles se trouve le travail, transforment les modes de penser et de sentir.

Les managers ont-ils une conscience claire des effets psychiques de ces méthodes d’organisation du travail ?

La question reste à travailler. Il est difficile de croire que ces dispositifs sont conçus sans un minimum de conscience des répercussions qu’ils pourraient avoir.

Source: http://www.les-crises.fr/livre-mentir-au-travail-par-duarte-rolo/


[Reprise] Qu’est ce qu’un pays? par le Minarchiste

Sunday 1 November 2015 at 01:47

Source : Le Minarchiste, 26/09/2014

Qu’est-ce qu’un pays?

Qu’est-ce qu’un pays? Question simple, mais pas évidente à répondre! Surtout dans la foulée de l’annexion de la Crimée à la Russie, du référendum survenu en Écosse concernant une séparation du Royaume-Uni, de celui qui demeurera toujours dans l’actualité au Québec concernant la séparation du Canada, ainsi qu’à la séparation éventuelle de la Catalogne en Espagne.

Un pays est en quelque sorte une entité géopolitique, c’est-à-dire que ses frontières définissent un territoire assujettis à un gouvernement. D’autre part, une nation est définie par une origine ethnique, un langage et une culture. Lorsque les deux concepts coïncident, on parle alors d’État-nation. Si tous les pays étaient des État-nations, il serait facile de définir ce qu’est un pays et dans quelles conditions on peut le reconnaître comme légitime. Ceci dit, l’histoire de la civilisation est complexe et chaotique, ce qui a fait en sorte que très peu de pays sont actuellement des État-nations.

La conséquence de cet état de faits est que de nombreux conflits surgissent dans le monde depuis des centaines d’années. La plupart des conflits opposent des gouvernement qui tentent d’agrandir le territoire sur lequel ils peuvent gouverner et taxer à des nations qui entretiennent le désir de demeurer indépendantes. Évidemment, plus l’état est accaparant, c’est-à-dire que plus le gouvernement intervient dans la vie des gens, moins il est facile de maintenir la coexistence pacifique de différentes nations au sein d’un même pays.

Le phénomène qui influence le plus la géopolitique est l’ethnocentrisme. Certains groupes d’humains partagent des similitudes physiques, une même langue et parfois aussi des valeurs, habitudes culinaires et un tempérament similaires. Les membres de ces groupes développent une appartenance les uns envers les autres ainsi qu’un certain antagonisme envers les autres groupes. L’ethnocentrisme engendre le patriotisme, le nationalisme et même le fanatisme. C’est l’ethnocentrisme qui fait ou défait les pays. Il agit comme une force centrifuge qui unit les habitants formant une nation et les tourne vers eux-mêmes. (Voir mon article sur la politique ici)

Dans cet article, nous allons analyser l’histoire de quelques pays qui nous en apprendront sur ce qu’est vraiment un pays, dans quelles conditions un pays se crée ou disparaît et dans quelles conditions un pays peut perdurer pacifiquement.

L’Ukraine et la Crimée
L’histoire de l’Ukraine est très complexe. Ce pays a été au centre de querelles territoriales entre la Russie, la Pologne, l’Autriche-Hongrie et l’empire Ottoman. Malgré l’émergence d’une population culturellement distincte, un État-nation n’a pas été possible jusqu’à l’atteinte de l’indépendance après la première guerre mondiale. Cette indépendance fut de courte durée puisqu’elle fut annexée à l’URSS dès 1922, ne devenant qu’une province communiste sans pouvoir. La Crimée y fut attachée en 1954, par simple formalité administrative. Puis, suite au démantèlement de l’URSS, l’Ukraine est, par défaut, devenu un pays indépendant. Mais ce pays est présentement déchiré dû au fait qu’il est habité par deux nations aux intérêts opposés.

pays1

De nos jours, le pays est divisé entre l’Ouest, voulant faire partie de l’Europe, l’Est davantage tourné vers la Russie, et la Crimée, dont la population est à majorité Russe. Cette division culturelle date de la fin du 18e siècle, lorsque l’Ouest appartenait à l’Autriche et l’Est à la Russie, dont le régime tentait de faire régresser la culture et le langage ukrainiens de manière à assimiler cette population.

Proportion de la population parlant le langage russe.

Présentement, la Crimée a voté pour son annexion à la Russie lors d’un référendum populaire. Le gouvernement de Poutine soutient une rébellion dans l’Est de manière à rapprocher cette région de la sphère d’influence russe. Vladimir ira-t-il jusqu’à reconquérir le Rus’ de Kiev, reconstruisant l’héritage de Vladimir 1er, fondateur de la Russie?

La Russie
Le berceau de la Russie est (curieusement) à Kiev, en Ukraine, au 9e siècle (Rus’ de Kiev). Sous le règne de Vladimir, le territoire s’étend et en 988, l’État se convertit au christianisme orthodoxe, qui devient religion d’État et l’un des facteurs de l’unité nationale russe. Lors du schisme de 1054, la Rus’ reste fidèle à l’orthodoxie, alors que les Slaves de l’Ouest (Polonais, Tchèques, Slovaques) ainsi que les peuples baltes, passent dans l’obédience de Rome ; les Finnois se divisent : ceux de l’ouest (les futurs Finlandais et les futurs Estoniens) passent dans l’obédience de Rome, tandis que ceux de l’est restent orthodoxes. Plus tard encore, les Finlandais, les Estoniens et une partie des Lettons deviendront protestants. La religion est donc un facteur déterminant dans la partition des cultures slaves en différentes nations.

En 1226, le Rus’ de Kiev est envahi par les Tataro-Mongols (dont fait partie le petit-fils de Gengis Khan, Batou). Cette invasion laissera une marque indélébile sur la culture russe. Plus tard au 13e siècle, la principauté de Moscou se met à annexer progressivement les autres principauté et se met à combattre les Mongols. Dans la seconde moitié du 15e siècle, Ivan III monte sur le trône et achève la libération de la Russie de l’emprise des Mongols. Le premier prince à recevoir la désignation de Tsar est Ivan IV, dit « le Terrible » qui poursuit l’expansion du territoire (de manière à reconstituer l’héritage de Vladimir), mais ne possède toujours pas Kiev, qui est aux mains des Jagellon de Lituanie, qui régnaient aussi sur la Pologne à l’époque et avaient repoussé les Tataro-Mongols de la région Ukrainienne (1362). Les Jagellon sont protestants, une différence culturelle notable avec les russes orthodoxes (qui perdure encore aujourd’hui). Les Tatars sont alors repoussés en Crimée. À noter, que l’un des souverains Jagellon de l’époque, Ferdinand 1er, est un Habsbourg fils de Jeanne la Folle, elle-même fille de Ferdinand II d’Aragon et Isabelle 1ère de Castille, couple fondateur de l’Espagne, dont nous parlerons plus loin. Le monde est p’tit!

Ainsi, on peut comprendre pourquoi l’Ukraine, et surtout la Crimée, ont des cultures différentes de la Russie, ayant tardé à joindre cette fédération et ayant été sous le contrôle d’abord des Tatars, puis du royaume Jagellon pratiquant une religion différente. Concernant le langage russe, les politiques centralisatrices de Pierre le Grand et de Catherine II l’ont standardisé et imposé à l’ensemble du territoire Russe au 18e siècle (époque où l’Ukraine fut en partie absorbée par la Russie). Les politiques de l’URSS l’ont ensuite encore davantage imposé, parfois même de manière brutale, ce qui explique pourquoi plus de la moitié des Ukrainiens actuels utilisent le russe comme langage quotidien.

usage Russe

Le Canada et le Québec
Les colonies françaises du Québec furent vaincues par les Anglais en 1759-60 et passèrent officiellement sous contrôle britannique en 1763, alors qu’en vertu du Traité de Paris, la France décida plutôt de conserver ses colonies antillaises. Je pense qu’à long terme, ce choix a été plutôt bénéfique pour la nation franco-américaine. À l’époque, plusieurs britanniques immigraient d’Angleterre pour fuir des persécutions religieuses, mais la plupart choisissent les colonies plus au sud plutôt que le Québec (ethnocentrisme et climat). On se retrouve donc avec 2,000 Anglophones noyés dans 90,000 Francophones.

En 1760, la Nouvelle-France était peuplée d’environ 60,000 habitant comparativement à 2 millions pour les colonies britanniques. Suite à l’indépendance américaine, environ 50,000 loyalistes ont fuit au nord pour y former le Canada-Anglais. En 1791, le Canada est divisé en deux entités : le Haut et le Bas (par rapport au flux du Fleuve St-Laurent).

En 1840, suite à la Rébellion des Patriotes, le rapport Durham concluait que les « troubles » du Bas-Canada étaient attribuables à la présence de deux groupes culturels dans une même région. L’Acte d’Union fusionne alors les deux Canada, ce qui rend les francophones minoritaires en chambre d’assemblée. Le gouvernement britannique cherche définitivement à assimiler la nation Canadienne-Française. Néanmoins, en 1841, l’union entre le leader francophone Louis-Hippolyte La Fontaine et le leader d’un groupe réformiste anglophone nommé Robert Baldwin forment une coalition qui remporte les élections et obtient davantage d’indépendance de Londres en 1848.

En 1867, les britannique réalisent que l’assimilation des francophones ne sera pas possible. Ils adoptent l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique, qui scinde le Canada en deux provinces (Québec et Ontario), et les fusionne avec deux autres colonies britanniques, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Nait alors le Dominion du Canada et son gouvernement fédéral. Le premier accroc important entre francos et anglos a concerné la conscription militaire, imposée par le Royaume-Uni en 1914. Ce fut certainement l’un des premiers catalyseurs de nationalisme Canadien-français au sein du Canada naissant, qui n’atteint sa pleine souveraineté qu’en 1931. Le gouvernement fédéral est initialement très centralisateur et laisse peu d’autonomie aux provinces. En 1945, le gouvernement fédéral prélève 83% des taxes, contre 7% pour le provincial et 10% pour les municipaux. Il pouvait annuler les lois provinciales et augmenter unilatéralement ses compétences au détriment des provinces.

Canada&Newfoundland

En 1967, le général de Gaulle, lors d’un voyage au Canada, donne une légitimité internationale à l’idée d’indépendance du Québec en prononçant le célèbre « Vive le Québec libre » devant une foule en délire à Montréal. Le mouvement indépendantistes commencera par la suite à prendre de l’ampleur, jusqu’au référendum sur la souveraineté du Québec de 1980, où la population vote non à 59.5%.

En 1982, le gouvernement de Pierre-Elliott Trudeau accomplit le rapatriement de la constitution Canadienne, qui était sous contrôle britannique à l’époque. Cette nouvelle constitution introduit une panoplie de désavantages pour le Québec qui y perd beaucoup d’autonomie. Les concepts de multiculturalisme et de droits de la personne sont introduits dans la constitution, dont l’interprétation est mise entre les mains de la Cour Suprême, qui obtient alors un pouvoir politique immense et inégalé dans le monde. Ce mécontentement mène au second référendum de 1995, où le « non » l’emporte à 50.4%. Suite à ce vote, le gouvernement fédéral de Jean Chrétien a adopté une résolution reconnaissant le Québec comme société distincte. Plus récemment, le gouvernement de Stephen Harper a décerné officiellement au Québec le statut de nation.

Les États-Unis et le Texas

En 1776, les colonies britanniques d’Amérique ont déclaré leur indépendance de l’Angleterre pour former un pays. Leur différent n’était pas culturel, puisque la grande majorité des habitants étaient des Anglais (Anglo-Américains). Ce fut plutôt une chicane politique. Suite à la Guerre de Sept Ans, qui fut fort coûteuse pour les nations y ayant participé, le gouvernement britannique était fort endetté et leva de nouvelles taxes auprès de ses colonies. Les américains s’insurgèrent contre ces taxes, non pas parce qu’ils étaient contre la taxation en général, mais bien parce qu’ils ne toléraient plus d’être taxé sans avoir de représentation au Parlement Britannique. Lorsque les colonies demandèrent un peu plus d’autonomie et de pouvoir décisionnel auprès de leur mère-patrie, ils obtinrent des mesures coercitives qui déclenchèrent une révolution. Ce fut une grave erreur du côté Britannique, qui allait par la suite faire d’importante concessions à ses autres colonies (incluant le Canada) pour éviter le même sort.

À noter que la France avait aidé les Américains durant cette guerre. Les dettes accumulées par la France suite à la Guerre de Sept Ans et la Guerre d’Indépendance Américaine ont contribué au ressentiment ayant mené à la Révolution Française de 1789.

Plus tard, au 19e siècle, les États-Unis ont failli se scinder en deux pays. Ce fut la Guerre Civile Américaine qui a opposé sept états du Sud (la Confédération) aux états du Nord (l’Union). L’un des différents était relié à l’esclavage. Le Nord voulait l’abolir, alors que le Sud en avait besoin pour ses plantations de coton. Pour pallier à son désavantage compétitif, le Nord imposait des tarifs protectionnistes qui nuisaient à l’économie du Sud, qui n’appréciait pas de son côté l’ingérence grandissante du gouvernement fédéral dans ses affaires.

Le Texas est l’un des États où un pourcentage relativement élevé de la population souhaiterait la séparation des États-Unis. Le Texas Nationalist Movement a vu son membership augmenter significativement au fil du temps. La possibilité d’une sécession a été invoquée par Rick Perry lors d’un discours en 2009:

If Washington continues to thumb their nose at the American people, you know, who knows what might come out of that.

En vertu de la constitution américaine, aucun état n’a le droit de se séparer des États-Unis. Entre 60% et 75% des Texans s’opposent à la sécession. Il n’en demeure pas moins que le Texas est une puissance économique aux États-Unis et pas seulement à cause de son industrie énergétique. C’est l’un des États qui paie davantage en impôts au fédéral qu’il ne reçoit de transferts et services. C’est aussi un état qui est différent culturellement des autres états, tout en étant en même temps une version amplifiée de l’Amérique typique; les États-Unis poussés à extrême!

Le Texas est le seul État ayant mené à bien une révolution contre un autre pays (le Mexique). C’est aussi le seul État, avec Hawaï, qui a existé en tant que république indépendante ayant elle-même consenti à son annexion aux États-Unis. Les États-Unis (sous Jefferson) et la France (sous Napoléon) ont décidé de ne pas mettre la main sur le Texas au début du 19e siècle, pour ne pas déclencher d’hostilités avec l’Espagne. En 1819, le président Adams a acheté la Floride de l’Espagne, mais pas le Texas.

En 1836, les anglo-américains et les Tejanos (des Mexicains vivant au Texas) ont mené une révolution contre la République du Mexique, qui venait tout juste d’obtenir son indépendance de l’Espagne en 1821. Le Texas est alors devenu un pays indépendant.

Texas 1836

En 1841, John Tyler a été le premier vice-président à devenir président des États-Unis suite à la mort du président (dans ce cas il s’agissait de Harrison, qui est décédé d’une pneumonie un mois après le début de son terme). Tyler avait été exclus de son propre parti politique (Whigs), ce qui le laissait libre de poursuivre ses intérêts personnels, incluant l’expansion territoriale. Il lui fallu plusieurs années et une longue bataille politique pour finalement y arriver en 1845, alors que le Texas devint le 28e état américain.

Le Texas avait accumulé d’énormes dettes suite à sa guerre de sécession contre le Mexique. En échange de l’annexion, les États-Unis allaient assumer cette dette, mais le Texas conserverait le contrôle de ses terres publiques. Le Texas obtint aussi 9 milles nautiques de juridiction, comparativement à seulement 3 milles pour les autres états américains. Cela mettait environ 4 millions d’acres de terrain submergé et regorgeant de pétrole entre les mains de l’état plutôt que du gouvernement fédéral.

Le Texas a joint les États-Unis en 1845, mais les a formellement quitté le 2 mars 1861, pour joindre la Confédération lors de la Guerre Civile Américaine. À l’époque, les Texans n’utilisaient pas beaucoup les esclaves, ce qui n’était pas un enjeu majeur pour eux. Les Texans en avaient plutôt contre l’ingérence du fédéral dans leurs affaires et son incapacité à bien protéger la frontière avec le Mexique.

(Voir mon article sur le Texas)

France : l’État-nation typique?

La France fait partie des pays qui s’approchent le plus de ce que l’on considère un État-nation. La langue française est de très loin la plus parlée entre les frontières de l’Hexagone, mais pourtant, lors de la révolution de 1789, moins de la moitié des habitants du territoire parlaient le français.

La France moderne s’est constituée à partir de l’agrégation au domaine royal de divers territoires, certains issus du partage de l’empire carolingien. Il en est résulté un assemblage de régions parlant diverses langues romanes (langue d’oïl, langue d’oc, corse), germaniques (alsacien, flamand occidental, francique) ou d’autres origines (breton, basque). Issue du latin dit « vulgaire », le français a subi quantité de changements surtout pendant l’époque pré-littéraire (3e siècle au 8e siècle environ). Ces changements ont distingué la langue latine de la langue parlée du peuple à tel point qu’au 8e siècle, on prend conscience du fait qu’il s’est développé une nouvelle langue. Ce n’est qu’avec le début de la littérature en langue populaire que le besoin d’une normalisation de cette nouvelle langue s’impose.

À partir du moment où le roi choisit Paris pour résidence permanente, la ville devient définitivement le centre de la puissance et aussi du commerce et le dialecte francilien s’impose de plus en plus comme langue de communication, de commerce, de politique et de religion. C’est finalement François Ier qui imposa définitivement le français pour tous les actes juridiques à travers l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539.

Suite à la révolution de 1789, plusieurs politiques sont mises en place par l’état pour faire reculer les dialectes régionaux et assurer l’hégémonie du français comme langue nationale. Ces politiques ont engendré une certaine convergence culturelle qui donne aujourd’hui aux Français l’impression de ne former qu’une seule nation relativement homogène. De nos jours, il serait peu probable qu’une telle consolidation territoriale et culturelle puisse s’opérer. L’identité culturelle française est présentement en dilution, en raison de l’immigration. Néanmoins, l’unité culturelle française n’est certainement pas en cause présentement.

Le Royaume désuni : l’Irlande et l’Écosse

Aux 13e et 14e siècles, l’Angleterre a plusieurs fois tenté d’annexer l’Écosse par la force militaire, sans succès. En 1603, le roi Jacques VI d’Écosse héritait de la couronne d’Angleterre, faisant en sorte que la maison des Stuart allait régner sur les deux royaumes jusqu’à l’Acte d’Union de 1707, en vertu duquel les deux nations allaient fusionner pour devenir le Royaume de Grande Bretagne.

L’union était fort contestée par la population écossaise, mais plaisait à l’élite, qui avait investi dans le désastreux projet Darien, une colonie commerciale établie par les Écossais au Panama. Ce projet avait englouti environ 20% du PIB écossais et en échange de l’union, l’Angleterre indemniserait les investisseurs. L’union plaisait aussi à l’Angleterre et son monarque, qui allait s’assurer que son voisin du nord ne tombe jamais sous l’influence d’une nation hostile.

Vous en conviendrez qu’un pays fondé sur des prétextes si faibles ne peut être solide. D’ailleurs, les écossais ont tenu en septembre 2014 un référendum concernant leur indépendance du Royaume-Uni. Le clan du « non » l’a emporté par une maigre avance. En 1979, un référendum avait eu lieu au cours duquel 52% avaient voté « oui », mais le taux de participation fut seulement de 64%, ce qui signifie que seulement 33% de l’électorat avait voté « oui », alors qu’il fallait 40%. Un autre référendum eu lieu en 1997, cette fois pour la création d’un parlement Écossais, ce qui fut un succès.

En plus de vouloir prendre le contrôle de la politique étrangère, les indépendantistes de l’Écosse souhaitent accaparer une plus grande part des revenus pétroliers ainsi qu’investir davantage dans l’énergie renouvelable (visant une ré-industrialisation dans ce domaine). Ils colportent aussi l’aspiration à être en contrôle de leur propre sort d’un point de vue démocratique, ainsi que de préserver et promouvoir la culture écossaise.

En Irlande, l’autre portion du Royaume-Uni annexée par l’Angleterre, la situation a dégénéré en un conflit brutal. L’île était occupée par le peuple gaélique jusqu’en 1177, moment auquel le roi d’Angleterre Henri II l’a transformé en une seigneurie anglaise par la force. L’influence britannique demeura toutefois limitée et déclina, jusqu’au 16e siècle, lorsque le roi Henri VIII entreprend de reconquérir l’île, qu’il transformera en royaume assujetti à l’Angleterre (en 1542). Cette brutale annexion fut suivie d’une vague d’immigration de Britanniques établissant des colonies dans le nord. En 1801, l’appartenance à la couronne britannique est renforcie par l’Acte d’Union, qui engendre un Royaume-Uni d’Angleterre et d’Irlande.

S’enclenche alors un mouvement politique nationaliste qui progressa tout au long du 19e siècle et résulta en la partition de l’Irlande en 1921, suite à une guerre avec l’Angleterre. Le pays est alors séparé en l’Irlande du Sud, qui devint indépendante, et l’Irlande du Nord, qui demeura au sein du Royaume-Uni. La frontière a été dessinée de manière à délimiter les territoires sur lesquels les Anglo-Irlandais sont en majorité. Les sudistes gaéliques sont Catholiques, alors que les nordistes sont à majorité anglophones et de religion protestante. À l’époque, suite à de violentes politiques d’assimilation menées sur plusieurs siècles, la langue gaélique n’est plus parlée que par environ 15% de la population.

Ceci dit, la région du nord n’est pas exclusivement anglo/protestante. Environ 40% des habitants sont Irlandais/catholiques, ce qui engendre de graves tensions entre les deux nations confinées à l’intérieur de l’Irlande du Nord. Ce conflit entre les républicains Irlandais, qui veulent combiner les deux Irlande en un seul pays, et les loyalistes, qui désirent conserver l’union avec le Royaume-Uni, dégénéra en d’immenses manifestations et émeutes, auxquelles le gouvernement a répondu de manière brutale et répressive. Le bras armé des républicains, l’Irish Republican Army (ou IRA), mène des activités terroristes contre le gouvernement, auxquelles répliquent la Ulster Volunteer Force, une sorte de milice loyaliste. Les deux événements les plus dramatiques de ce conflit, surnommé « Les Troubles », furent probablement le Bloody Sunday de 1972 et la grève de la faim de 1981.

Le conflit fut apaisé en 1998, suite à la signature de l’Accord du Vendredi Saint, conférant davantage d’autonomie à l’Irlande du Nord et la reconnaissance de la minorité Irlandaise/Gaélique au sein de l’Irlande du Nord. Depuis, les principales organisations terroristes dérivées de l’IRA ont rendu les armes. Environ 3,500 personnes ont perdu la vie en raison des Troubles, qui ont failli dégénérer en une véritable guerre civile.

Irlande

langues Irlande du Nord

L’Espagne, la Catalogne et le Portugal

Sur la péninsule ibérique, deux nations ont connu des dénouements différents face à l’Espagne. D’un côté, la Catalogne, bien qu’autonome, fait toujours partie du Royaume d’Espagne, alors que le Portugal de son côté a conservé son statut de pays indépendant depuis plusieurs siècles. Qu’est-ce qui explique cette différence de statut, alors que les deux nations parlent une langue foncièrement différente de l’espagnol? En fait, quand on consulte l’histoire de la région, on constate que cette différence n’est attribuable qu’à quelques batailles et caprices de princes…

La Principauté de Catalogne a été créée en 1162 par l’union de tous les comtés catalans, qui étaient auparavant sous tutelle franque, mais faisaient toujours partie du royaume d’Aragon (depuis 1134). En 1472, en vertu du mariage de Ferdinand II d’Aragon avec Isabelle Ière de Castille, le royaume d’Aragon est uni avec la Castille pour former l’Espagne. Ces deux souverains chrétiens allaient compléter la Reconquista contre les Maures en 1492. Leur fille Jeanne (la Folle) allait marier un Habsbourg d’Autriche, ce qui amena cette dynastie à la tête du royaume.

Puis, suite à la guerre de succession engendrée par la mort du dernier Habsbourg, Charles II, ce furent les Bourbons (de France) qui assujettirent la région catalane en 1714, lors de la capitulation de Barcelone (le 11 septembre allait devenir la fête nationale catalane). La Catalogne fut même annexée à la France par Napoléon I entre 1812 et 1814. Aujourd’hui, c’est toujours la dynastie bourbonnaise qui règne sur l’Espagne sous le roi Philippe VI, qui vient tout juste d’accéder à la couronne suite à l’abdication de son père Juan Carlos.

Résistant aux politiques centralisatrices de l’Espagne, la Catalogne obtint un statut d’autonomie en 1932, lequel lui sera retiré par le régime de Franco en 1939. La langue catalane allait aussi être interdite par cette dictature autoritaire, mais ces restrictions allaient graduellement être affaiblies après 1945. En 1978, la Catalogne récupère son statut de communauté autonome en vertu de la nouvelle constitution démocratique espagnole, mais ce ne sera pas assez pour atténuer le sentiment nationaliste des habitants. Présentement, le parlement catalan est dominé à 55% par des partis séparatistes. En 2012, d’immenses manifestations pro-sécession ont eu lieu dans les rues de Barcelone. Environ 55% de la population souhaiterait la sécession de l’Espagne, chose qui pourrait fort probablement se produire au cours des prochaines années, mais le gouvernement espagnol ne reconnaît aucunement le pouvoir d’auto-détermination du peuple catalan.

De l’autre côté de la péninsule, l’identité nationale du Portugal a vu le jour suite à la Reconquista de la région aux mains des Maures qui commença en 790. L’événement fondateur du royaume fut la bataille de Sao Mamede en 1128, qui sépara le Portugal des royaumes de Galice et de Leon (et donc de l’Espagne). Puis, suite à la mort du roi Sébastien, le Portugal a été sous domination espagnole de 1580 à 1640. La région garda une certaine autonomie, jusqu’à ce que Philippe IV tente de la transformer en une véritable province espagnole. Cette politique mena à une guerre d’indépendance contre l’Espagne, qui fut menée à terme en 1668. Le Royaume du Portugal fut alors sous la règne de la dynastie de Bragance, jusqu’à ce que la monarchie y soit renversée en 1910, en faveur de l’établissement d’une république démocratique. La frontière entre les deux pays demeure toutefois contestée, puisqu’elle n’est séparée d’aucune barrière naturelle.

Pour certains historiens, il n’aurait fallu qu’à ce qu’un noble Portugais fasse l’affaire d’une princesse de Castille pour que le Portugal soit réintégré au royaume espagnol, comme ce fut le cas pour Ferdinand II d’Aragon en Catalogne! Donc en Ibérie, la différence entre la création d’un pays ou non ne fut qu’une question d’alliances monarchiques. Ce genre de lien faible entre deux nations d’un même pays (espagnole et catalane) ne peut pas tenir à long terme, surtout lorsque des différences économiques émergent entre les deux territoires. Il est cependant intéressant de noter que le gouvernement espagnol a déjà promis d’ignorer le résultat d’un référendum quant à l’indépendance de la Catalogne…

La Belgique : sécession imminente?

Avant 1814, la Belgique appartenu à la France durant environ 20 ans, pendant lesquelles le langage hollandais fut graduellement évincé par des mesures répressives au profit du français. Les Flamands ont alors développé un fort antagonisme envers leurs assimilateurs, dont la domination dura jusqu’à la défaite de Napoléon à Waterloo. La Belgique indépendante a été créée en 1830 suite à une révolution qui a divisé le Royaume-Uni-des-Pays-Bas en trois pays distincts (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg). Le français est alors devenu le langage officiel du gouvernement, ce qui ne manqua pas de créer des frictions avec les Flamands. L’égalité des langues ne fut accomplie que dans les années 1930s. Une frontière linguistique a même été adoptée dans les années 1960s. On estimait récemment que 60% de la population est flamande et 40% wallonne.

L’antagonisme entre les deux nations n’est pas que culturel, il est aussi économique. Le PIB par habitant est 40% plus élevé en Flandres qu’en Wallonie, ce qui nécessite des transferts importants entre les deux régions. La partition du pays ne semble pas imminente présentement, mais la crise politique de 2010-11 a failli mener le pays dans cette direction. Le gouvernement mit 353 jours à se former suite à l’élection. Devant l’impasse des négociation, le premier ministre Elio Di Rupo avait invoqué la partition du pays comme une solution au conflit. Ce n’est qu’en octobre 2011 que les partis flamands et wallons finirent par s’entendre.

L’unité du pays a été sauvée pour cette fois, mais il y a lieu de se demander qu’est-ce qui peut bien contenir ces deux nations si différentes au sein d’une même pays?

La Tchécoslovaquie : un pays artificiel
La Tchécoslovaquie a été créée de toute pièce suite au retraçage de la carte de l’Europe engendré par la première guerre mondiale. Érigée sur les décombres de l’Empire Austro-Hongrois, la Tchécoslovaquie regroupa en un même État les Tchèques et les Slovaques, deux peuples de langue proche, ainsi qu’une importante population de langue allemande dans les Sudètes.

En 1938, Hitler, poursuivant ses objectifs pangermanistes, déclare vouloir libérer les Sudètes de l’« oppression » tchécoslovaque. Pour Prague, il n’est pas question d’abandonner le seul secteur défendable d’une zone frontalière stratégique et qui constitue la principale région industrielle du pays, avec notamment les usines d’armement Škoda ; celles-ci sont à l’époque parmi les plus grandes et les plus modernes. En outre, les tchécoslovaques viennent tout juste d’achever un système de fortifications qui a demandé trois ans de travaux. Hitler exige alors que les Tchèques habitant la Région des Sudètes évacuent celle-ci en y laissant leurs biens. Pour préserver la paix, la France et le Royaume-Uni acceptent que l’Allemagne annexe la Région des Sudètes. En échange, Hitler, manipulateur, assure que les revendications territoriales du Troisième Reich vont cesser. Le lendemain, la Tchécoslovaquie, qui avait commencé à mobiliser ses troupes, est contrainte de s’incliner et de laisser pénétrer la Wehrmacht sur son territoire. Quelques mois plus tard, Hitler rompt sa promesse. En mars 1939, l’armée allemande entre dans Prague; la Bohême et la Moravie deviennent un protectorat du Reich. La Slovaquie collabore avec les Nazis, lui assurant une certaine indépendance.

Après la seconde guerre mondiale, la région des Sudètes est réintégrées à la Tchécoslovaquie et les Sudètes Allemands sont expulsés vers l’Allemagne et l’Autriche. Suite au Coup de Prague de 1948, les communistes prennent le pouvoir et la Tchécoslovaquie est le dernier pays d’Europe à passer du côté soviétique du « Rideau de fer ».

Profitant de la politique de tolérance de l’URSS mise en place par Gorbatchev, le pays retrouve sa liberté en 1989 grâce à la Révolution de Velours et porte à sa tête le dramaturge et dissident Václav Havel. Celui-ci ne pourra empêcher les susceptibilités nationales encouragées par des dirigeants politiques populistes de causer la séparation à l’amiable du pays en 1992 pour la République Tchèque et la Slovaquie, surnommée la « Partition de Velours » (puisqu’il n’y eu pas ou peu de violence).

À l’époque, le PIB par habitant des Tchèques est 20% plus élevé que celui des Slovaques; des paiements de transfert avaient lieu de l’un vers l’autre. Les Slovaques ne toléraient pas que le contrôle décisionnel demeure centralisé à Prague. Pourtant, seulement 37% des Slovaques et 36% des Tchèques étaient en faveur de la dissolution du pays, mais un parti indépendantiste était au pouvoir en Slovaquie. Il n’en demeure pas moins que la force sociale qu’est l’ethnocentrisme a tout ramené dans l’ordre, chaque nation dans son pays, même s’il aura fallu 75 ans pour tout remettre en place.

Czech

La réunification de l’Allemagne
Si en Tchécoslovaquie le retour à la normale post-1989 consistait à diviser le pays, c’est l’inverse qui devait se produire en Allemagne. Cette séparation politique n’était rien d’autre qu’une prolongation des idioties guerrières qui l’avaient précédée. Il n’y avait aucune raison pour que cette nation soit ainsi divisée; la réunification était inévitable, ce qui permit à l’Est de rattraper le niveau de vie de l’Ouest. Une situation similaire est survenue au Vietnam en 1976, alors que l’unification des deux Corée n’a toujours pas eu lieu.

Allemagnes

La Pologne : une nation sans pays…
En 1795, le pays a été divisé et absorbé par la Prusse, l’Autriche et la Russie. Le pays a été littéralement rayé de la carte de 1795 à 1914. Ironiquement, durant la première guerre mondiale, les Polonais étaient conscrits dans les armées de trois différents pays, dont certains antagonistes, et devaient donc s’entre-tuer. Le pays a ré-émergé en 1918, pour ensuite être conquis de nouveau par l’Allemagne Nazie et l’Union Soviétique en 1939. La Pologne allait demeurer sous influence communiste jusqu’à la chute du mur en 1989.

Malgré l’absence du statut de pays distinct pendant la majeure partie des 220 dernières années, la Pologne forme encore aujourd’hui une nation très homogène culturellement, avec 97.5% de la population parlant la langue polonaise, le plus haut taux en Europe pour une langue maternelle. L’ethnocentrisme a fait en sorte que la nation a survécu aux multiples déformations de son État et de ses frontières géopolitiques. (Voir mon article sur la Pologne)

L’unification de l’Italie
L’Italie était jadis un ensemble fragmenté de cité-États, sous contrôle Austro-Hongrois et Français. Puis, le roi de Sardaigne, Victor-Emmanuel II, décida d’agrandir son royaume en unifiant toutes les nations de la péninsule sous un même pays. Les troupes de Sardaigne ont vaincu les Autrichiens dans le Nord grâce au support des troupes françaises. Puis, le roi envoya Giuseppe Garibaldi et ses hommes conquérir les “Deux Sicile”, ce qu’il fit avec succès en 1860. Finalement, la Vénétie fut conquise, expulsant les Autrichiens de l’Italie pour de bon en 1866.

À cette époque, chaque région avait son propre dialecte, seulement 2.5% de la population parlait l’Italien “standard”. C’est le dialecte de la Toscane qui allait s’imposer comme langue commune en raison de l’avancement économique de la région. Suite à l’unification, cette langue allait se répandre à travers la péninsule propulsée par l’école publique obligatoire. Les nouvelles générations allaient par la suite graduellement délaisser leurs dialectes locaux.

La monarchie italienne finit par tomber en 1946, figeant les frontières du pays pour de bon. De nos jours, l’Italie donne l’impression d’être une nation plutôt homogène, mais cette homogénéité a été imposée par l’État et la force depuis 150 ans.

La Norvège, la Suède et la Finlande
Avant 1814, la Norvège était sous le contrôle du Danemark. En 1814, la Suède utilisa la force militaire pour forcer le Danemark à lui céder la Norvège, puis mena ensuite une campagne militaire en Norvège pour contraindre le pays à s’annexer à la Suède pour former le Royaume-Uni-de-Suède-et-Norvège. En fait, la Norvège était plutôt indépendante à l’époque, les seules institutions partagées par les deux nations étaient la royauté et le ministère des affaires étrangères, qui étaient basés à Stockholm. L’union se passa bien, les deux pays formant une zone de libre-échange prospère. Puis, vers la fin du 19e siècle, les Norvégiens voulurent rapatrier la fonction des affaires étrangères, chose à laquelle la Suède s’opposa. S’ensuivi une dissolution pacifique de l’union et la Norvège devint un pays indépendant. Le pays avait alors plus que rattrapé son retard de développement sur son voisin et était en voie de devenir le pays le plus prospère de la terre au cours du 20e siècle.

La Finlande de son côté faisait partie du royaume de Suède jusqu’en 1809, après quoi elle fut cédée à la Russie. La Finlande ne devint indépendante qu’en 1917. Alors qu’elle faisait partie de la Suède, environ 15% des habitants parlaient suédois, surtout chez les élites, et cette langue était la langue officielle de l’administration publique. C’est la Russie qui a favorisé l’émergence du nationalisme finlandais et de la langue finlandaise, de manière à mieux séparer la Finlande de son ancien royaume. Puis, les Tsars mirent en place des politiques de russifications vers la fin du 19e siècle, qui ne firent qu’accentuer le nationalisme finlandais. L’indépendance fut déclarée démocratiquement en 1917, suite à quoi une courte, mais sévère guerre civile éclata.

Pourquoi ces trois pays n’en forment-ils pas un seul vu leur proximité géographique et culturelle? Encore une fois, ce sont des accidents de l’histoire et des caprices de monarques qui en ont voulu ainsi, et ils ont aussi des langages différents. Néanmoins, nous nous retrouvons dans une situation où chaque nation a son pays, incluant l’Islande, qui faisait jadis partie de la Norvège. Cet arrangement a semblé favorable au maintien d’un climat pacifique et à l’émergence d’économies prospères.

Le génocide du Rwanda
Le Rwanda a obtenu son indépendance coloniale de la Belgique en 1962. Les Hutus prirent le contrôle du pays et imposèrent un régime autocratique centralisé. Le gouvernement a pris le contrôle de toutes les terres et des mesures discriminatoires furent imposées au détriment des Tutsis. Une chose qui subsista à la fin de l’ère coloniale fut le contrôle gouvernemental des exportations de café. Les lois obligeaient les fermiers à cultiver le café et à le vendre au gouvernement à un prix bien inférieur au prix du marché international. Le gouvernement pouvait alors empocher le profit et le redistribuer aux fonctionnaires, politiciens et leurs « amis ». Ce système était inévitablement un foyer de corruption et d’appauvrissement pour les Rwandais. En fait, les revenus du café pillés par le gouvernement étaient utilisé pour acheter le maintien de la dictature.

Vers la fin des années 1980s, le prix mondial du café s’écroula sur les marchés internationaux. L’Accord International sur le Café fut aboli, ce qui eu comme effet de réduire drastiquement les revenus du gouvernement Rwandais. Cet accord n’était rien d’autre qu’un cartel entre les pays producteur visant à coordonner un système de quotas, restreignant les exportations de manière à maintenir le prix plus élevé (même principe que l’OPEP). N’ayant plus accès à autant de revenus pour maintenir son hégémonie, le gouvernement diminua le prix payé aux fermiers de manière à maintenir ses profits, ce qui engendra beaucoup de ressentiment au sein de la population. Le gouvernement Hutu jeta alors le blâme sur les Tutsis comme cause des problèmes économiques du pays, faisant appel à une forme de nationalisme ethnique (un peu comme Hitler l’a fait avec les Juifs pour mobiliser le peuple derrière lui).

En 1990, les rebelles Tutsis ont tenté de profiter des problèmes économiques pour prendre le contrôle du pays, mais sans succès. Cependant, le Président de la dictature Hutu accepta de conclure un accord avec les Tutsis, mais suite à l’assassinat du Président, les Hutus ne souhaitaient pas que cet accord soit ratifié. Ainsi, la guerre civile éclata en 1993, menant au génocide de 1994. Environ un million de gens furent tués et 2 millions quittèrent le pays. La démocratie revint au pays en 2003, lors de l’élection de Paul Kagame, représentant du RPF (Tutsi).

Le Rwanda est un exemple du pire scénario qui puisse survenir lorsque deux nations occupent un même pays. L’une des causes fondamentales d’un tel cataclysme est attribuable aux différences de pouvoir politiques et économiques des deux tribus concernées. (Voir mon article sur le Rwanda ici)

Israël et la Palestine

Le peuple Juif a certainement constitué un cas d’exception dans l’histoire du monde. Il y a une certaine hétérogénéité au sein de cette population, mais ils forment certainement une nation, qui était jadis éparpillée un peu partout dans le monde. Cette nation sans pays était de plus en plus persécutée au 19e siècle et au début du 20e, surtout en Europe de l’Est, où avaient lieu des pogroms, des massacres collectifs durant lesquels des milliers de juifs étaient massacrés. Leurs biens étaient pillés, surtout par le gouvernement qui en profitait pour renflouer ses coffres. Puis survint l’Holocauste Nazi et sa « solution finale ». Ainsi, vers le milieu du 20e siècle, les Juifs étaient coincés entre des pays où ils ne pouvaient pas vivre et des pays où ils ne pouvaient pas entrer.

Au début du 20e siècle, les Juifs avaient commencé à s’établir en Palestine. Ces premières communautés étaient très dépendantes de dons octroyés par les Juifs établis ailleurs, surtout aux États-Unis. En 1909, la première ville de culture hébraïque fut fondée, Ahuzat Bayit, qui allait éventuellement être renommée Tel Aviv. En 1917, en vertu de la Déclaration de Balfour, le gouvernement britannique pris la région en charge et se déclara en faveur de l’établissement des Juifs en Palestine. Dès 1929, les tensions s’intensifièrent avec les Arabes, notamment en ce qui concerne le mur des lamentations. À l’époque, les décisions étaient prises par l’administration britannique, plutôt que par un principe démocratique qui aurait été en faveur de la majorité arabe.

Durant les années 1930s, l’immigration juive en Palestine accéléra, ce qui augmenta le ressentiment de la population arabe et mena aux émeutes de 1933 et à la révolte de 1936-39. Lors de la Commission Peel, les Britanniques proposèrent une partition de la région en deux états, mais les Arabes rejetèrent ce plan sans équivoque. Par la suite, l’immigration juive en Palestine fut très rationnée par l’Angleterre, au point où la plupart des arrivants y entraient clandestinement. À l’époque, le gouvernement britannique était moins sous l’influence des Rothschild (juifs) et se souciait davantage de ne pas trop froisser les Arabes.

Le mandat britannique s’acheva en 1948 et les Anglais se retirèrent du pays. C’est à ce moment que le Conseil des Juifs proclama l’État d’Israël. Cela déclencha un conflit avec les Arabes, que les forces Israéliennes arrivèrent à repousser in extremis. En mai 1949, l’Israël fut admise comme membre des Nations Unies. Entre 1948 et 1958, la population augmenta de 800,000 à 2 millions. Le conflit entre Juifs et Arabes perdura pendant plusieurs décennies, ponctuées notamment de la Guerre de 6 Jours (contre l’Égypte, la Jordanie et la Syrie), le Massacre de Munich (1972), la Guerre de Yom Kippur contre l’Égypte et la Syrie en 1973, les guerres contre le Liban (1982 et 2006), les deux Intifadas (1987 et 2001) et la Guerre de Gaza de 2008 (et de 2014…).

En 1988, les membres de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), en exil à Algers, déclarèrent l’indépendance de cet État-nation. Entre 1993 et 1996, des accords furent conclus (dont les Accords d’Oslo, Gaza-Jericho, la Déclaration de Washington et le Traité de Paix Israël-Jordanie). Yasser Arafat devait prendre la tête d’un nouvel État Palestinien indépendant, mais tous ces accords étaient rejetés par le Hamas et le Hezbollah, qui continuèrent à perpétrer des actes terroristes contre Israël, auxquels les Juifs répliquent avec panache. Ces organisations terroristes/extrémistes ne considèrent même pas qu’Israël ait le droit d’exister, ce qui rend toute négociation impossible. Le côté Juif est aussi divisé et comporte des factions moins flexibles qui ne désirent pas négocier.

Aujourd’hui, Israël a un peu plus de 8 millions d’habitant, dont 75% sont Juifs. Des murs ont été construits autour de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, au-dessus desquels les Palestiniens lancent des roquettes. Gaza est présentement sous le contrôle du Hamas, alors que la Cisjordanie demeure sous contrôle Fatah, ce qui fait en sorte que la gouvernance de cet État est maintenant disloquée et incohérente.

Combien de temps cette situation absurde durera-t-elle encore?

Israel-Palestine

L’Iraq et les pays Arabes
La plupart des conflits entre Arabes sont reliés au clivage entre Sunites et Shiite, deux variantes de l’Islam qui datent du schisme de 632. Ces deux tangentes religieuses ont développé un antagonisme l’une envers l’autre; une sorte d’ethnocentrisme religieux, qui fait en sorte qu’elles ne peuvent cohabiter au sein d’un même pays, surtout lorsque le gouvernement du pays est une théocratie.

Le territoire iraquien a été sous la domination de l’Empire Ottoman jusqu’à la première guerre mondiale, mais tomba sous contrôle britannique en 1917. Les Anglais définirent alors les frontières du pays de manière arbitraire, sans tenir compte des divisions ethniques et religieuses des habitants! Le pays est à 65% shiite, mais c’est la minorité sunnite qui contrôlait le gouvernement jusqu’à l’invasion américaine de 2003. Saddam Hussein, le dictateur Sunnite, a d’ailleurs commis plusieurs crimes de type génocidaire, qui servirent de prétexte pour le pendre. Ainsi, occupée par deux nations très antagonistes, l’Iraq est un véritable baril de poudre.

Les Sunnites sont majoritaires au Moyen-Orient, notamment en Égypte, en Arabie Saoudite, aux Émirats Arabes Unis et en Jordanie. Le Pakistan est à 80% Sunnite, ce qui engendre une certaine instabilité. La Syrie est à 75% Sunnite, alors que l’élite gouvernementale est Alawite (un sous-groupe Shiite), ce qui explique en partie les conflits qui y sévissent. C’est l’inverse qui prévaut au Bahreïn, où la majorité de la population est Shiite, mais où l’élite est Sunnite. Le plus important pays Shiite est bien entendu l’Iran. Au Liban, le Hezbollah est d’allégeance Shiite. Les Talibans d’Afghanistan sont Sunnites, tout comme Al-Qaeda et les Frères Musulmans.

L’autre nation importante du Moyen-Orient est la nation Kurde, qui est présente dans le nord de l’Iraq, l’Iran, la Syrie et la Turquie. Le Kurdistan, dont le territoire empiète sur les 4 pays mentionnés, est une région géo-ethnique habitée par 25 millions de Kurdes, sans toutefois former un pays officiel.

Évidemment, les choses seraient bien plus simples si on pouvait bouger les jetons « shiites » vers l’Iran et l’Iraq, et répartir les jetons sunnite dans les autres pays, comme sur un plateau du jeu Risk. On pourrait aussi dessiner la frontière du Kurdistan au crayon autour des jetons kurdes. Le Moyen-Orient deviendrait alors du jour au lendemain une région beaucoup plus stable et pacifique, mais les choses ne sont pas aussi simples. Il faudra peut-être encore des centaines d’années de conflits et des centaines de milliers de morts avant d’en arriver à une situation de stabilité, si une telle chose est possible.

Iraq

Conclusion
Dans un monde libertarien/minarchiste dans lequel les gouvernements n’interviendrait à peu près pas dans la vie des gens et dans l’économie, la notion de pays serait inutile. La société mondiale serait constitué d’une multitudes de gouvernements locaux assurant la protection des droits de propriété sur un territoire relativement restreint, probablement comparable à celui d’une ville.

Cependant, le monde n’est pas ainsi. Les gouvernements interviennent dans la vie des gens à différents niveaux en fonction des valeurs, croyances et des intérêts personnels de la population et des politiciens qui les dirigent. À partir du moment où les libertés individuelles sont enfreintes, il sera inévitable qu’un ou des groupes de personnes au sein d’un pays seront en désaccord avec les politiques gouvernementales et se sentiront bafoués par ces politiques, celles-ci ne correspondant pas à leurs valeurs, croyances et/ou intérêts.

Étant donné le caractère ethnocentrique de la nature humaine, les valeurs, croyances et intérêts ont tendance à converger au sein de mêmes groupes ethniques. Autrement dit, les membres d’une même nation ont tendance à être davantage en accord avec les autres membres de leur nation en ce qui concerne l’organisation de la société qu’avec les membres des autres nations.

Lorsque plus d’une nation sont confinées au sein d’un même pays et que les politiques gouvernementales adoptées ne correspondent pas aux valeurs, croyances et intérêts de l’une de ces nations, des frictions émergent inévitablement ainsi qu’une forme d’antagonisme envers l’autre nation et une attitude de confrontation. Les pays qui sont dans cette situation seront inévitablement instables et pourraient même dégénérer jusqu’à une guerre civile, un coup d’État et/ou une partition. Cette instabilité peut aussi survenir au sein d’une même nation lorsqu’il n’existe pas de consensus au sein de celle-ci concernant les valeurs, croyances et intérêts, mais cela est beaucoup plus rare (pensez au Venezuela par exemple).

L’une des constatations que l’on peut faire suite à l’étude de l’histoire des pays susmentionnés est qu’une nation peut survivre à bien des bouleversements géopolitiques. La nation polonaise existe toujours même si le pays a été rayé de la carte pendant plus de deux siècles. La nation Ukrainienne a aussi survécu à l’invasion mongole, puis au règne des Jagellon Lituaniens, puis aux annexions russe et soviétiques. La Catalogne a préservé sa langue distincte de l’espagnol malgré les pressions centralisatrices du royaume et la dictature franquiste. La Norvège a conservé son identité nationale malgré l’annexion au Danemark puis à la Suède, alors que la Finlande a été tantôt partie de la Suède, tantôt de la Russie. La nation juive perdure depuis des siècles malgré la persécution et l’absence de pays pendant si longtemps. Le concept de nation montre donc une persistance forte grâce à l’ethnocentrisme.

Plusieurs États ont pratiqué une politique d’homogénéisation linguistique de manière à assurer l’unité d’un pays constitué de plusieurs nations, parfois avec succès comme en Ukraine (où le Russe est parlé), en France, au Royaume-Uni et en Italie, parfois sans succès comme au Canada, en Catalogne et en Belgique. Ce genre de politique est une manière pour une nation d’en assimiler une autre et ainsi assurer la pérennité d’un pays formé de plusieurs nations qui aurait autrement été instable.

Certains pays se sont formé par des accidents de l’histoire (alliances monarchiques, conquêtes coloniales, guerres mondiales). Les frontières de ces pays sont généralement arbitraires, ce qui mène à de l’instabilité, voire à la partition subséquente du pays. On pourrait ainsi parler de la Tchécoslovaquie, de l’Iraq, du Canada, de la Catalogne, de la Belgique et de la Norvège. On se souviendra notamment que le droit d’autodétermination n’a pas été accordé aux peuples Allemands Sudètes, Polonais et Autrichiens, qui voulaient alors rejoindre l’Allemagne suite à la première guerre mondiale, alors que les alliés ont utilisé le Traité de Versailles pour affaiblir et amenuiser l’Allemagne. Ces Allemands se sont donc retrouvés encloisonnés au sein de pays dans lesquels ils représentaient une minorité. L’instabilité ainsi engendrée allait évidemment contribuer à la seconde guerre mondiale (voir http://minarchiste.wordpress.com/2013/04/26/les-grandes-guerres-collectivistes-du-20e-siecle/ceci).

Pour d’autres pays, la stabilité ne nécessite pas de nouvelles frontières, mais plutôt la disparition d’une frontière artificielle existante, comme en Allemagne, au Texas, en Crimée et en Italie. Quant aux pays assemblés pour des raisons économiques, certains peuvent durer lorsqu’existe une certaine unité nationale (Texas), alors que d’autres sont plus fragiles (Écosse).

Donc, pour résumer, un pays en bonne et due forme est un territoire défini peuplé par des habitants appartenant à une même nation, c’est-à-dire un groupe d’individus démontrant une certaine cohérence ethnique. Évidemment, avec les importantes vagues d’immigrations observées ces dernières décennies, le concept de nation commence à devenir flou. Cependant, la langue demeure un facteur unificateur et les secondes et troisièmes générations d’immigrants finissent par s’intégrer à la nation-mère, comme ce fut le cas aux États-Unis (les Italiens de New York parlent anglais et se considèrent comme étant Américains).

Lorsque j’observe les développements en Ukraine, en Espagne et même au Texas, j’ai un peu de difficulté avec la négation du droit à l’auto-détermination par voie démocratique. Toute constitution valable devrait inclure le droit d’un groupe d’individus à former leur propre pays par voie démocratique.

En tant que libertarien/minarchiste, j’entrevois d’un bon oeil les mouvements de sécession auxquels on assiste présentement (Écosse, Catalogne, Belgique,…) car plus la juridiction d’un gouvernement est petite, mieux c’est.

Source : Le Minarchiste

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-quest-ce-quun-pays-par-le-minarchiste/


Pour Benjamin Netanyahu, c’est le mufti de Jérusalem qui a donné l’idée à Hitler d’exterminer les juifs

Sunday 1 November 2015 at 00:01

Ca rassure de voir le niveau des dirigeants actuels…

Source : Huffington Post, Publication: 21/10/2015


Benjamin Netanyahu : “Hitler ne souhaitait pas…

INTERNATIONAL – Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s’est retrouvé mercredi accusé de déformer l’histoire après avoir déclaré que c’était le mufti de Jérusalem de l’époque qui avait donné l’idée à Hitler d’exterminer les juifs d’Europe.

Dans un discours prononcé mardi devant le Congrès sioniste à Jérusalem, Netanyahu a fait référence à une rencontre en novembre 1941 en Allemagne entre Adolf Hitler et le grand mufti de Jérusalem Haj Amin al-Husseini, haut dirigeant musulman dans la Palestine alors sous mandat britannique.

“Hitler, à ce moment là, ne voulait pas exterminer les juifs mais les expulser. Alors Haj Amin al-Husseini est allé voir Hitler et a dit: ‘Si vous les expulsez, ils viendront tous ici’”, en Palestine, a dit Netanyahu. “‘Et qu’est-ce que je vais en faire?’, a demandé (Hitler). Il (le mufti) a dit: ‘Brûlez-les’”, a déclaré Netanyahu.

Le Premier ministre évoquait ce personnage pour réfuter les accusations historiquement mensongères selon lui selon lesquelles les juifs ou Israël chercheraient à détruire ou s’accaparer l’esplanade des Mosquées et la mosquée Al-Aqsa qui s’y trouve à Jérusalem. Cette question est centrale dans l’enchaînement actuel des violences entre Palestiniens et Israéliens.

Les propos de Netanyahu suscitaient de vigoureuses réactions mercredi.

“Déformation historique dangereuse”

“Même le fils d’un historien doit être précis lorsqu’il s’agit d’histoire”, a écrit sur sa page Facebook le chef de l’opposition travailliste Isaac Herzog, faisant allusion au père de Netanyahu, Benzion Netanyahu, spécialiste de l’histoire juive, décédé en 2012.

Herzog a qualifié les mots de Netanyahu de “déformation historique dangereuse (…) minimisant la Shoah, les nazis, et la part qu’Adolf Hitler a prise dans la terrible tragédie qu’a subie notre peuple pendant la Shoah”. Il lui a demandé de corriger “immédiatement” ses paroles.

Le négociateur palestinien Saeb Erakat a déploré que le “chef du gouvernement israélien haïsse son voisin (palestinien) au point d’être prêt à absoudre le premier criminel de guerre de l’histoire, Adolf Hitler, du meurtre de six millions de juifs pendant l’Holocauste”.

Même le ministre de la défense de Netanyahu, Moshe Yaalon, a estimé que “ce n’est certainement pas Husseini qui a inventé la solution finale”. “Ce fut le fruit d’Hitler lui-même“, a-t-il déclaré à la radio de l’armée israélienne.

L’Allemagne réaffirme sa responsabilité dans la Shoah

Berlin a réaffirmé mercredi la responsabilité “inhérente” de l’Allemagne dans la Shoah après les propos du Premier ministre israélien. “Je peux dire au nom du gouvernement que, nous Allemands, connaissons très exactement l’Histoire de l’avènement de la folie raciste meurtrière des nationaux-socialistes qui a conduit à la rupture civilisationnelle de la Shoah”, a souligné lors d’une conférence de presse Steffen Seibert, porte-parole de la chancelière Angela Merkel.

“Je ne vois aucune raison de changer de quelque manière que ce soit notre vision de l’Histoire. Nous savons que la responsabilité allemande pour ce crime contre l’humanité est inhérente”, a-t-il ajouté tout en refusant de commenter directement les propos de Netanyahu.

Une idée “bien antérieure à leur rencontre”

L’historienne en chef du mémorial Yad Vashem pour la mémoire de la Shoah, à Jérusalem, a estimé que les propos de Netanyahu n’étaient pas “historiquement exacts”. “Ce n’est pas le mufti, même s’il avait des positions antijuives très extrêmes, qui a donné à Hitler l’idée d’exterminer les juifs”, a déclaré Dina Porat à l’AFP.

“Cette idée est bien antérieure à leur rencontre de novembre 1941. Dans un discours au Reichstag le 30 janvier 1939, Hitler évoque déjà ‘une extermination de la race juive’”, a-t-elle dit.

Husseini, réfugié en Allemagne en 1941, avait demandé à Hitler son soutien pour l’indépendance de la Palestine et des pays arabes, et empêcher la création d’un foyer juif. L’Etat d’Israël a été proclamé en 1948.

Netanyahu répond aux critiques

Mercredi, avant de prendre l’avion pour Berlin, le premier ministre israélien a répondu aux critiques, rapporte le Guardian. “Je ne voulais pas donner l’impression d’absoudre Hitler de ses responsabilités, mais montrer que le père de la nation palestinienne voulait détruire les Juifs même sans occupation”, a-t-il déclaré.

Hitler “est responsable de la solution finale, c’est lui qui a pris cette décision. C’est également absurde d’ignorer le rôle joué par le Mufti, qui fut un criminel de guerre et a encouragé Hitler à exterminer les Juifs européens”, a rajouté Benjamin Netanyahu.

Source: http://www.les-crises.fr/pour-benjamin-netanyahu-cest-le-mufti-de-jerusalem-qui-a-donne-lidee-a-hitler-dexterminer-les-juifs/


La Catalogne engage la rupture avec l’Espagne, par Romaric Godin

Saturday 31 October 2015 at 02:46

On y revient toujours : le vote ou les chars…

La Catalogne engage la rupture avec l’Espagne

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 27 octobre 2015.

La majorité parlementaire catalane veut sortir de l'ordre constitutionnel espagnol.

La majorité parlementaire catalane veut sortir de l’ordre constitutionnel espagnol. (Crédits : REUTERS/Albert Gea)

Dans une déclaration commune qui sera votée prochainement, les deux listes indépendantistes placent le parlement catalan hors de l’ordre constitutionnel espagnol. Le début d’un processus révolutionnaire.

Le bras de fer entre Madrid et Barcelone est lancé, cette fois sérieusement. Un mois après les élections régionales, ce 27 octobre 2015 a marqué un moment important de l’histoire de la Catalogne. A l’issue de discussions parfois serrées, ce mardi matin, les deux groupes parlementaires indépendantistes, la liste d’union Junts pel Sí (qui regroupe notamment le centre-droit de la CDC et le centre-gauche de l’ERC) et la gauche radicale sécessionniste de la CUP, ont annoncé la signature d’une déclaration commune en neuf points qui affirme clairement la volonté de rupture avec les institutions espagnoles.

Les forces du camp indépendantistes

Junts pel Sí et la CUP disposent à eux deux de 72 sièges, soit quatre de plus que la majorité absolue du parlement (68 sièges). Le 27 septembre, ces deux listes ont obtenu 47,8 % des voix de façon cumulée, soit moins que la majorité absolue. Mais la situation n’est pas si claire que le prétendent les « unionistes » dans la mesure où une partie de la liste de gauche radicale menée par Podemos ( Catalunya Sí Que Es Potou CSQEP, qui a obtenu 8,94 % des voix et 11 sièges) est formée d’indépendantistes. Lors de l’élection, lundi 26 octobre, à la présidence du parlement, l’indépendantiste Carme Forcadell a obtenu 5 voix issues de CSQEP. Cette liste, comme la liste des chrétiens-démocrates de l’UDC (2,51 % des voix, aucun siège), refusait certes formellement l’indépendance, mais était favorable à une consultation sur ce sujet. Bref, ces élections n’ont, en réalité, pas permis de trancher clairement.

Se séparer de l’Espagne

Aussi – et c’est le premier point de la déclaration commune – les deux listes indépendantistes estiment-elles que, par leur majorité parlementaire, elles ont « l’obligation de travailler à la création d’un Etat indépendant qui prendra la forme de la République catalane. »  En conséquence, la déclaration commune proclame « solennellement l’ouverture d’unprocessus de création de l’Etat catalan sous la forme d’une république. » L’Etat espagnol est donc désormais clairement prévenu que le parlement catalan engage un processus de « déconnexion » avec l’Etat espagnol (point 7). Le point 5 prévient que le futur gouvernement catalan aura pour seule tâche de faire respecter ces décisions.

La déclaration prévoit que, dans les 30 prochains jours, le gouvernement devra avoir lancé un« processus constituant citoyen, participatif, ouvert et intégrateur » pour poser les bases de la future constitution catalane, mais aussi les fondements de la sécurité sociale et du budget purement catalans. Autrement dit, le gouvernement de Barcelone va commencer à créer des structures d’Etat propres destinées à remplacer celle de l’Etat espagnol.

Sortir de l’ordre constitutionnel espagnol

Mais le point essentiel de la déclaration concerne la fermeté avec laquelle ce processus d’indépendance est engagé. Le point 6 est ainsi très clair : il place le pouvoir du parlement catalan au-dessus des institutions espagnoles. « Comme dépositaires de la souveraineté et de l’expression du pouvoir constituant, les deux listes réitèrent que ce parlement et le processus de déconnexion démocratique ne se soumettront pas aux décisions des institutions de l’Etat espagnol, en particulier à celle du Tribunal constitutionnel, qui est considéré comme délégitimé », indique le texte. Ces propos sont une véritable déclaration de rupture qui placeront la Catalogne de fait en dehors de l’ordre constitutionnel espagnol. Désormais, les décisions du Tribunal Constitutionnel (TC) qui avait censuré partiellement le nouveau statut régional de 2006 et interdit la consultation du 9 novembre sur l’indépendance, ne seront plus reconnues par les autorités catalanes. Si cette déclaration n’est pas la déclaration unilatérale d’indépendance que voulait initialement la CUP et si le terme de “désobéissance” est absent, c’est un texte fort qui, dans les faits et sur le plan juridique, engage cette désobéissance.

Un gouvernement de résistance

Le point 8 de la déclaration incite ainsi le futur gouvernement régional «  à remplir exclusivement les normes et mandats émis par le parlement catalan, afin de protéger les droits fondamentaux qui pourraient être affectés par les décisions des institutions de l’Etat espagnol. » Autrement dit, le futur exécutif catalan aura pour mandat de résister aux mesures d’application de la constitution espagnoles. Le tout, précise la déclaration, « pacifiquement et démocratiquement. » Mais avec un tel texte, les indépendantistes catalans sautent un pas essentiel, celui de la rupture. En cela, cette déclaration est proprement révolutionnaire : une fois votée, elle établira deux ordres de légitimités sur le territoire catalan, celui du parlement de Barcelone et celui de la Constitution espagnole. C’est là le propre de toute révolution à ses débuts de confronter ainsi deux ordres antagonistes sur un même territoire.

Vote avant le 9 novembre

Cette déclaration, qui est « ouvert à d’autres formations » – ce qui est un appel aux indépendantistes de CSQEP – sera votée avant l’élection du nouveau président de la région, prévue le 9 novembre prochain. A cette date, le parlement catalan sera devenu officiellement hors-la-loi au regard de la constitution espagnole. La clé de l’avenir résidera alors dans trois éléments : la détermination des indépendantistes, la réaction de ceux qui refusent cette rupture en Catalogne même et la réaction des autorités espagnoles.

Réponse ferme de Madrid

Le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, n’a pas manqué de riposter rapidement. Dès le début de l’après-midi, il a dénoncé « un acte de provocation qui prétend ignorer la loi parce qu’il sait que la loi ne l’admet pas. » Et de marteler : « tant que je serais président, l’Espagne continuera à être une nation de citoyens libres et égaux. Nous sommes toues soumis à la loi et aux décisions des tribunaux. » Un appel du pied aux électeurs espagnols qui doivent voir en Mariano Rajoy le défenseur de l’unité du pays avant les élections du 20 décembre qui s’annoncent difficile pour son parti, le PP.

Rien d’étonnant alors à ce que Madrid ait aussi répondu avec fermeté : « nous ne renoncerons à aucun mécanisme juridique et politique que nous attribue la constitution et les lois », a indiqué le président du gouvernement espagnol. Ceci suppose que Madrid envisage sérieusement l’application de l’article 155 de la Constitution qui l’autorise à « prendre les mesures nécessaires » pour obliger une communauté autonome (région) à « remplir les obligations que lui imposent la Constitution et les lois. » En cas « d’atteinte grave à l’intérêt général espagnol », le gouvernement central peut suspendre les autorités régionales. Selon la presse espagnole, Madrid étudie déjà les moyens d’appliquer cet article.

Un article 155 applicable ?

Cet article apparaît comme un épouvantail, une menace pour les Catalans. Mais, en réalité, son application est des plus complexes.  D’abord, la constitution espagnole reste floue sur les moyens laissés au gouvernement central. En cas de suspension de l’autonomie catalane, que se passera-t-il concrètement si le parlement catalan refuse cette décision ? L’Etat central devra-t-il  établir des institutions espagnoles de substitution, qui coexisteront concrètement avec les institutions catalanes ? Que feront alors les fonctionnaires catalans ? Suivront-ils Madrid ou Barcelone ? Pour faire respecter la loi espagnole, faudra-t-il avoir recours à la menace ou à la force ? Et comment ? Les forces de police et de garde civiles espagnoles sont peu nombreuses en Catalogne, tout comme les forces armées. Le gouvernement catalan, lui, dispose d’une force de police, les Mossos D’Esquadra. Ces derniers suivront-ils l’ordre catalan ou l’ordre espagnol ? C’est essentiel, car pour faire respecter la loi, il faut en avoir les moyens concrets. En réalité, l’article 155 ne serait qu’une ouverture vers le chaos complet. Et Madrid n’y a guère intérêt. Même si, pour le moment, la campagne électorale espagnole joue un rôle négatif de ce point de vue.

Dialogue encore possible ?

Reste l’option ouverte par le point 9 de la déclaration catalane : celle du dialogue. Ce point fait part de la volonté catalane « d’ouvrir des négociations » et de réaliser le processus d’indépendance « en accord avec l’Etat espagnol, l’Union européenne et la communauté internationale. » Ce dialogue est-il encore possible au sein de l’Etat espagnol ? Certes, Mariano Rajoy et le leader du PSOE, Pedro Sanchez, se sont mis d’accord lundi pour « laisser ouverte une porte au dialogue. » Mais cette porte n’est ouverte que dans la « loi. » Or, désormais, Barcelone, a dépassé la loi espagnole. On se retrouve donc dans une situation de blocage absolu. Seule une médiation externe pourrait la débloquer.

L’UE regarde ailleurs

L’UE a, là, une chance unique de prouver qu’elle est bien garante de la paix, comme l’avait affirmé le Comité d’Oslo en 2013 lors de son prix Nobel de la paix. Mais, pour l’instant, l’UE regarde ailleurs. Les grandes puissances de l’union, France et Allemagne en tête refuse de se pencher sur le cas catalan. Pire, ils soutiennent ouvertement Madrid, prenant partie dans un débat interne sous couvert de neutralité factice. Mais, en cas d’application de l’article 155, il faut s’attendre à voir les Catalans en appeler à cette médiation et à se prévaloir de l’article 7 du traité de l’UE qui prévoit la suspension d’un Etat membre en cas de violation des droits démocratiques. Cette fois, l’affaire de la Catalogne ne pourra plus être ignorée par la pusilanimité de l’Europe.


Un mandat démocratique pour la Catalogne, par Artur Mas

Source : Artur Mas, pour Le Monde, le 29 octobre 2015.

Le président de Catalogne, le 26 octobre

Le 27 septembre, les Catalans ont donné à leurs représentants élus un mandat démocratique clair pour entamer un processus politique responsable et négocié qui aboutira à la création d’un État indépendant pour la Catalogne. Les résultats de cette élection historique sont clairs : avec une participation record de 77,5 % des électeurs, les deux listes qui sont explicitement en faveur de l’indépendance ont remporté 72 sièges sur 135 et près de 48 % des suffrages. Les partis politiques qui sont explicitement contre l’indépendance ont reçu 39 % des suffrages. Les 11 % restants se sont répartis entre deux partis qui sont en faveur de l’autodétermination de la Catalogne, sans toutefois confirmer qu’ils appelleront leurs représentants à voter en faveur du « oui » ou du « non » si un référendum d’autodétermination a lieu. La victoire du « oui » est par conséquent indiscutable. De plus, elle est remarquable, compte tenu de la campagne de peur conduite par le gouvernement espagnol dans le but d’influencer le résultat du scrutin.

La victoire en faveur de l’indépendance est claire est sans équivoque, bien que le gouvernement espagnol ait suggéré que les partisans de l’indépendance avaient perdu. On peut s’étonner que le gouvernement espagnol, qui a empêché la tenue d’un référendum formel comme cela s’est fait en Écosse ou au Québec, interprète à présent les résultats de l’élection comme s’il s’agissait d’un référendum. Si le gouvernement espagnol souhaite compter les votes, cela peut être fait très simplement : le Président espagnol Mariano Rajoy n’a qu’à suivre l’exemple de David Cameron, qu’il admire tant, et autoriser l’organisation d’un référendum légal. Tant que cela n’est pas possible, nous continuerons sur notre voie actuelle. En tant que démocrates, nous nous devons d’honorer le mandat électoral qui nous a été accordé.

Partenaire fiable

Qu’en est-il donc pour l’avenir ? Tout d’abord, le Parlement de Catalogne nouvellement élu fera une déclaration solennelle pour marquer le début d’un processus politique qui se conclura par l’indépendance. Cette déclaration sera envoyée aux institutions espagnoles, européennes et internationales pour annoncer que la transition vers un État indépendant a commencé, et que les négociations à cette fin vont débuter. Nous ne souhaitons pas entreprendre ce processus seuls, mais préférons au contraire le faire main dans la main avec nos voisins et alliés, afin d’assurer une transition progressive et sans heurts.

La feuille de route que nous avons dressée établit un calendrier de transition sur environ 18 mois, au cours desquels le gouvernement de Catalogne concevra et construira les structures nationales nécessaires pour que la Catalogne puisse fonctionner en tant qu’État. La future République catalane sera semblable à l’Autriche et au Danemark en termes de taille, de population et de PIB. Elle constituera un partenaire fiable et responsable pour construire une Europe plus solide, plus unie et plus sûre. Le mouvement national catalan a toujours été profondément attaché au projet européen. Nous sommes également de fervents défenseurs du marché libre, et notre économie est déjà intégrée dans celles de l’UE et de la zone euro.

Avec le résultat des élections, nous avons reçu un mandat solennel de la part du peuple catalan, que nous mettrons en œuvre au cours des semaines et mois à venir. Au cours de cette période de transition, nous agirons avec la plus grande transparence et sous le regard des institutions de l’Union Européenne. Par ailleurs, bien que le gouvernement espagnol soit jusqu’à présent resté intransigeant sur la question de l’indépendance catalane, il est clair qu’une transition sans dialogue n’est souhaitable pour personne. Par conséquent, nous sommes convaincus qu’en dialoguant de façon productive avec les institutions concernées en Espagne, en Europe et ailleurs, nous pourrons obtenir un résultat négocié positif qui profitera à toutes les parties.

Artur Mas est le président de la Catalogne

Source: http://www.les-crises.fr/la-catalogne-engage-la-rupture-avec-lespagne-par-romaric-godin/


Si la Catalogne devient indépendante, elle sortira de l’UE, prévient Bruxelles

Saturday 31 October 2015 at 01:20

J’avais omis de sortir ce billet mi-septembre, AVANT les élections catalanes (gagnées par les indépendantistes), mais il en devient encore plus intéressant…

Je rappelle aussi ce billet de 2014 : [Reprise] Madrid dit “non” au projet de référendum en Catalogne

On notera toujours la fabuleuse impartialité de Bruxelles, si sourcilleuse quant aux droits démocratiques des peuples…

J’ai pour ma part de la peine à comprendre au nom de quoi une Catalogne qui ferait sécession sortirait de l’UE, après tout, on a signé avec un truc appelé Espagne avec Catalogne ET le reste, donc ils restent tous les deux, ou il partent tous les deux… D’ailleurs, la Catalogne indépendante devrait s’appeler “Espagne” juste pour rire…

Source : 20 Minutes, 17/09/2015, L.C. avec AFP

Une banderole “Adieu l’Espagne” est brandie le 11 septembre 2015 dans le cortège des manifestants pour l’indépendance de la Catalogne, à Barcelone – JOSEP LAGO AFP

A deux semaines des élections régionales transformées en plébiscite pour ou contre l’indépendance, la Commission européenne a mis en garde ce jeudi la Catalogne. Un vote de sécession entraînerait automatiquement la sortie de l’Union européenne (UE) pour cette région espagnole, affirme Bruxelles.

La Catalogne pourra faire une nouvelle demande d’adhésion

La Catalogne pourra présenter ultérieurement une nouvelle demande d’adhésion. « Si une partie d’un Etat membre cesse de faire partie de cet Etat, parce que ce territoire devient un Etat indépendant, les traités (européens) cessent de s’appliquer plus longtemps », a rappelé le porte-parole en chef de la Commission européenne Margaritis Schinas à Bruxelles.

« Une nouvelle région indépendante, du fait même de son indépendance, deviendrait un pays tiers par rapport à l’UE et pourrait alors poser sa candidature pour devenir un membre de l’Union », a-t-il expliqué.

Il a précisé que cette position avait été exprimée pour la première fois par le président de la Commission Romano Prodi en 2004, au moment où l’UE accueillait plusieurs nouveaux pays d’Europe de l’Est. Cette position a été ensuite réaffirmée à plusieurs reprises, y compris par l’actuel chef de la Commission, Jean-Claude Juncker, en 2014.

Il y a un an, la même question s’est posée avant le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. L’exécutif européen avait alors tenu le même discours.

Un problème similaire pour l’OTAN

L’éventuelle indépendance de la Catalogne pose un problème similaire à l’Otan, l’Espagne étant un membre stratégique de l’Alliance atlantique. « Un territoire se séparant d’un Etat membre de l’Otan ne saurait rester automatiquement membre de l’Alliance «, a déclaré à l’AFP un responsable de l’Otan. » Il lui faudrait suivre les procédures en place s’il voulait rejoindre l’Alliance », a-t-il confirmé. « Les membres de l’Otan peuvent aussi inviter d’autres pays à les rejoindre mais cela doit se faire par accord unanime ».

Des centaines de milliers de personnes ont défilé à Barcelone vendredi pour la Journée nationale de la Catalogne, en soutien aux listes prônant l’indépendance de la région aux élections du 27 septembre. Le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy a toujours refusé un référendum sur l’indépendance catalane, estimant que tous les Espagnols doivent se prononcer sur l’unité du pays.

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Catalogne : le prochain défi de l’Europe

Par Romaric Godin  |  16/09/2015   Source : La Tribune

Drapeau catalan lors de la manifestation indépendantiste du 11 septembre, jour de la fête nationale catalane. (Crédits : Reuters)

Les élections en Catalogne le 27 septembre prochain pourraient donner la majorité des sièges aux indépendantistes. Une nouvelle crise pourrait s’ouvrir, qui sera un nouveau défi pour une Europe aujourd’hui passive sur le sujet.

L’Europe pourrait rapidement faire face à une nouvelle crise à laquelle elle ne semble que bien peu préparée. Le 27 septembre, en effet, près de 5,5 millions de Catalans seront appelés aux urnes pour renouveler leur parlement régional. Mais ce scrutin n’est pas une élection locale comme les autres. Son enjeu n’est pas la gestion des compétences régionales, mais ni plus ni moins que l’indépendance de la Catalogne vis-à-vis de l’Espagne, autrement dit la sécession d’une région à partir d’un État actuellement membre de l’UE et de la zone euro.

Les listes indépendantistes

Cet enjeu a été imposé par la création d’une « grande liste » indépendantiste en juillet. Baptisée « Ensemble pour le oui » (« Junts pel Sí »), elle regroupe les deux grands partis souverainistes (ERC à gauche et CDC au centre-droit), des associations souverainistes et les membres indépendantistes des partis demeurés majoritairement unionistes (Verts, ex-Communistes ou Chrétiens-démocrates). Son seul programme est une feuille de route devant engager un processus de séparation avec l’Espagne pour conduire la région à l’indépendance au bout de 18 mois.

Le camp indépendantiste n’est cependant pas entièrement uni. Il existe une autre liste, celle du parti d’extrême-gauche CUP, qui revendique sa propre feuille de route vers l’indépendance. Mais la CUP a annoncé que, moyennant quelques concessions (notamment la non-reconduction d’Artur Mas à la tête du gouvernement régional), elle soutiendrait le processus de séparation de Junts pel Sí. Autrement dit, sur la question de l’indépendance, les deux listes sont prêtes à travailler ensemble. Or, la possibilité d’une majorité indépendantiste n’est plus une vue de l’esprit.

Majorité des sièges, pas des voix

Si l’on prend les quatre derniers sondages recensés par le site Electograph, on constate que les deux listes indépendantistes obtiennent ensemble la majorité absolue des sièges. En termes de voix, en revanche, la part de ces deux listes est constamment minoritaire, allant de 45,5 % à 49,5 %. Cette absence de majorité de suffrages exprimés sera-t-elle un obstacle au lancement de l’application de la feuille de route ? C’est peu probable, même si cela rendra la tâche d’un gouvernement indépendantiste clairement plus ardue.

Les déclarations des leaders de Junts pel Sí ne laissent aucun doute : dotés d’une majorité parlementaire, ils appliqueront leur programme, autrement dit la feuille de route. Mais cette feuille de route, à la différence de celle de la CUP, ne prévoit pas une « déclaration unilatérale d’indépendance » après le scrutin. Dans le processus prévu, l’indépendance ne pourra intervenir qu’au terme des 18 mois de négociations avec l’Espagne et après un référendum reconnu par Madrid et Barcelone. Autrement dit, ce processus parlementaire ne vise, dans l’esprit des souverainistes, qu’à organiser un référendum qui est actuellement impossible dans le cadre constitutionnel espagnol.

Pas de déclaration unilatérale d’indépendance, mais un appel à négocier

Le 27 septembre ne sera donc pas un vote direct pour l’indépendance. Ce sera un vote sur le mandat à donner au gouvernement catalan pour ouvrir des négociations avec l’Espagne et préparer une éventuelle indépendance. Dans ce cas, une majorité parlementaire peut suffire. D’autant qu’il n’existera sans doute aucune majorité alternative : les quatre partis unionistes (liste de gauche regroupant Podemos, les Verts et les anciens communistes ; parti socialiste ; parti populaire (PP) conservateur et Ciudadanos) font quasiment jeu égal dans les sondages et ont des conceptions très différentes de l’avenir institutionnel de la Catalogne. Le premier acte attendu d’un parlement catalan à majorité indépendantiste devrait donc être une proclamation de souveraineté. Mais cette souveraineté n’induit pas encore directement l’indépendance, pas davantage qu’elle n’exclut aucun partage futur de souveraineté avec l’Espagne. Le premier but des indépendantistes est donc de contraindre l’Espagne à discuter sur un pied d’égalité avec la Catalogne sur les modalités d’une séparation dans un cadre européen et ibérique. Quand on négocie, on accepte le principe d’un compromis.

Le refus de négocier de Madrid

Mais pour discuter, il faut être deux. Or, l’Espagne n’est pas disposée à négocier quoi que ce soit avec la Catalogne. Et le gouvernement de Mariano Rajoy peut s’appuyer sur la Constitution et la jurisprudence du TC pour justifier cette position. « L’indépendance de la Catalogne n’aura jamais lieu, c’est une absurdité », a déclaré le chef du gouvernement espagnol. La semaine passée, le ministre de la Défense espagnol, Pedro Morenés, a même envisagé, en cas de déclaration unilatérale d’indépendance, l’intervention des « forces armées. » Cette position très ferme vise deux objectifs. D’abord, décourager les électeurs catalans de choisir les listes sécessionnistes par crainte d’une escalade. Mais, à l’inverse, cette dureté peut encore radicaliser une partie de l’opinion catalane. Ensuite, se présenter aux électeurs du reste de l’Espagne, dans l’optique des élections générales du 20 décembre prochain, comme le défenseur le plus sûr de l’unité du pays.

Le gouvernement espagnol semble, depuis quelques mois, se préparer pour un bras de fer. Madrid utilise tous les ressorts juridiques pour gêner les indépendantistes. Le président de la Generalitat, Artur Mas, fait ainsi l’objet d’une plainte pour avoir participé à l’organisation de la « consultation » du 9 novembre dernier sur l’indépendance. Il pourrait faire l’objet d’une « invalidation » l’empêchant d’exercer des fonctions officielles. Il est vrai que l’Espagne a le droit de son côté et que le processus indépendantiste catalan suppose une « rupture » unilatérale avec l’ordre constitutionnel espagnol. Mariano Rajoy n’a aucune raison objective, ni politique, ni juridique d’ouvrir une discussion avec les Catalans.

Arbitrage européen ?

Le scénario central de ce qui se passera après le 27 septembre ne peut donc pas être celui d’une discussion entre Madrid et Barcelone menant à un compromis. La position des indépendantistes catalans pourrait alors être – et beaucoup ne s’en cachent pas – de porter l’affaire au niveau européen. Compte tenu de l’attitude très hostile du Tribunal Constitutionnel (TC) espagnol, Barcelone pourrait demander l’arbitrage de l’Union européenne. Mais comment cette dernière pourrait-elle intervenir dans les affaires intérieures d’un État membre ? Mais si elle ne le fait pas, les gouvernements barcelonais et madrilènes auront tout intérêt à la dégradation de la situation.

La construction des structures du nouveau pays comme première étape

La voie des indépendantistes sera cependant étroite s’ils ne disposent pas d’une majorité absolue des voix. Il sera ainsi très difficile sur le plan démocratique de proclamer une déclaration unilatérale d’indépendance en réponse au blocage espagnol, alors que la majorité des Catalans se seront exprimés contre l’indépendance le 27 septembre. Dans un premier temps, donc, la Generalitat pourrait se contenter de construire ou d’étendre des structures de souveraineté au niveau fiscal, social ou diplomatique. Ces structures ne changeraient rien, d’abord, au fonctionnement de la Catalogne dans l’État espagnol, mais elles seraient prêtes à être « activées » au cas où. Bref, ce sera une épée de Damoclès rendant possible la rupture.

L’arme espagnole de l’article 155

Face à de telles décisions, l’Espagne pourrait réagir rapidement. Lundi, le Tribunal Constitutionnel (TC) espagnol a déclaré inconstitutionnel l’article 4 de la loi sur l’Agence fiscale catalane qui prévoyait le transfert des fonctionnaires de l’État espagnol vers cette agence, dépendante du gouvernement catalan. C’était donc un ballon d’essai de la part de Barcelone qui est venu se fracasser une nouvelle fois sur le TC. La création de structures catalanes regroupant les fonctionnaires espagnols sera donc une provocation pour Madrid et, en réalité, une vraie rupture. Dans ce cas, puisque la Catalogne violera l’ordre constitutionnel espagnol, le gouvernement pourrait être en droit de recourir au fameux article 155 de la constitution qui l’autorise à suspendre le gouvernement d’une Communauté autonome. Le gouvernement et le parlement catalan seront donc, en droit, dissouts.

Situation dangereuse

La situation deviendra alors fort dangereuse. Que se passera-t-il si le gouvernement catalan refuse de se soumettre à cette décision ? Si les élus catalans décident de se réunir, malgré tout et appellent à des manifestations, Mariano Rajoy fera-t-il respecter l’article 155 par la force ? Mais avec quelles forces ? L’armée espagnole n’est pas très présente en Catalogne, pas plus que la garde civile (équivalent de la gendarmerie) et la police nationale. Le gouvernement catalan, dispose, lui, d’une force de police de 20.000 hommes, les Mossos d’Esquadra… Surtout, comment réagiront les Catalans ? Les réponses à ces questions sont fort incertaines, mais la situation sera explosive. A ce moment, l’Europe ne pourra plus demeurer un acteur passif de la question catalane.

Activités diplomatiques

La « conviction » des dirigeants indépendantistes catalans, qui sont largement opposés à toute option violente et attaché à un processus démocratique, est que l’Europe ne permettra pas qu’on en arrive à ce point de tension. La Generalitat mène actuellement une intense campagne diplomatique en Europe, menée par Amadeu Altafaj, le représentant du gouvernement catalan à Bruxelles. Il s’agit de l’ancien chef de cabinet d’Olli Rehn, le très rigide commissaire aux affaires monétaires de José Maria Barroso. Il est donc insoupçonnable à Bruxelles et dispose d’un fort réseau. Quelques succès ont été obtenus, notamment le vote au parlement danois d’une résolution appelant à une « solution démocratique. »

Mais Madrid aussi mène une offensive diplomatique. Mariano Rajoy s’est beaucoup rapproché d’Angela Merkel ces derniers mois et Berlin aime à choyer l’Espagne devenue le nouveau modèle de « l’austérité qui porte ses fruits. » Le gouvernement français s’est montré assez hostile à l’indépendance catalane et, le 15 septembre, Barack Obama a reçu le roi d’Espagne Philippe VI en défendant l’idée d’une Espagne « forte et unie. »

Une nouvelle étape de la crise européenne ?

La situation est, il est vrai, délicate. Comment l’UE peut-elle intervenir dans ce qui n’est encore qu’une affaire intérieure espagnole ? Là encore, les bases légales manquent sans doute. Mais détourner le regard en espérant que tout se passe bien et que rien ne change n’est certainement pas une la bonne solution. L’UE est peut-être ce qui unit le plus la Catalogne et l’Espagne et il est de son devoir d’empêcher que la situation ne se dégrade. Pousser pour une solution démocratique et, notamment pour l’organisation d’un référendum reconnu, serait sans doute plus sage que de vouloir ménager la chèvre et le chou dans un contexte hautement tendu.

La réalité, c’est que l’Union européenne ne sait pas agir en prévention. La crise grecque, puis la crise des migrants ont montré cette incapacité à prévenir les situations et à s’y adapter. Mais sur la question catalane, l’Europe est passive, parce qu’elle ne sait que faire. La plupart de ses États craignent d’ouvrir la boîte de Pandore des revendications régionalistes, comme l’a montré la campagne pour le « non » des institutions européennes en Écosse voici un an lors du référendum sur l’indépendance. On craint aussi de fâcher l’Espagne, le cinquième pays le plus peuplé de l’UE, avec qui il est bien délicat d’agir avec la même brutalité qu’on a agi avec la Grèce.

On préfère donc se dissimuler derrière le silence des traités sur le sujet. Et on le fera aussi longtemps que possible. L’espoir « européen » des indépendantistes catalans est donc bien illusoire. L’affaire grecque a montré le caractère profondément conservateur d’une UE qui redoute plus que tout les situations nouvelles. C’est assez logique : les États membres étant assez peu d’accord sur ce qu’il faut faire, on préfère s’attacher à défendre l’existant. Tant qu’il y aura donc un espoir d’un retour à la situation antérieure, par exemple, avec de nouvelles élections catalanes, l’Europe ne bougera pas.

Pourtant, il est certainement temps de réfléchir hors des frontières espagnoles aux difficultés que constituerait une séparation unilatérale de la Catalogne ou une intervention musclée de Madrid dans la région. C’est la stabilité de l’ensemble du vieux continent qui en serait affectée, ainsi que la quatrième économie de la zone euro et, pour le moment, sa première source de croissance. Ce serait aussi un défi nouveau pour la stabilité de la zone euro. Bref, laisser la situation se dégrader n’est pas dans l’intérêt de l’Europe.

 

Source: http://www.les-crises.fr/si-la-catalogne-devient-independante-elle-sortira-de-lue-previent-bruxelles/


Qu’est-ce qu’une Nation ? par Ernest Renan

Saturday 31 October 2015 at 00:07

L’actualité offre une bonne occasion de relire le fameux discours sur la Nation, conférence à la Sorbonne que le Ernest Renan a prononcée le 11 mars 1882 – et où figure son fameux : “L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours [...] Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront.

S’exprimant peut après  la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace Lorraine, il formule l’idée qu’une nation repose à la fois sur un héritage passé, qu’il s’agit d’honorer, et sur la volonté présente de le perpétuer. Il est l’origine du courant dit “français” de la vision  de na nation, qui s’oppose au courant allemand (incarné par Fichte), pour lequel la nation doit  être issue de la race.

Rappelons que, contrairement à Victor Hugo pour qui le XXe siècle verrait l’avènement de la paix mondiale, Renan, devant le monolithisme culturel de la Prusse, prévoyait que cette attitude ne pourra « mener qu’à des guerres d’extermination, analogues à celles que les diverses espèces de rongeurs ou de carnassiers se livrent pour la vie. Ce serait la fin de ce mélange fécond, composé d’éléments nombreux et tous nécessaires, qui s’appelle l’humanité. » [Lettre du 15 septembre 1871 à Strauss]

Qu’est-ce qu’une Nation, par Ernest Renan (1882, Conférence à la Sorbonne) publié par les-crises

. Je reprends ici sa dernière partie, conclusive :

Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. L’homme, Messieurs, ne s’improvise pas. La nation, comme l’individu, est l’aboutissant d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j’entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans la passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. On aime en proportion des sacrifices qu’on a consentis, des maux qu’on a soufferts. On aime la maison qu’on a bâtie et qu’on transmet. Le chant spartiate : «Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes» est dans sa simplicité l’hymne abrégé de toute patrie.

Dans le passé, un héritage de gloire et de regrets à partager, dans l’avenir un même programme à réaliser ; avoir souffert, joui, espéré ensemble, voilà ce qui vaut mieux que des douanes communes et des frontières conformes aux idées stratégiques ; voilà ce que l’on comprend malgré les diversités de race et de langue. Je disais tout à l’heure : «avoir souffert ensemble» ; oui, la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes, car ils imposent des devoirs, ils commandent l’effort en commun.

Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie. Oh ! je le sais, cela est moins métaphysique que le droit divin, moins brutal que le droit prétendu historique. Dans l’ordre d’idées que je vous soumets, une nation n’a pas plus qu’un roi le droit de dire à une province : «Tu m’appartiens, je te prends». Une province, pour nous, ce sont ses habitants ; si quelqu’un en cette affaire a droit d’être consulté, c’est l’habitant. Une nation n’a jamais un véritable intérêt à s’annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le voeu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir.

Nous avons chassé de la politique les abstractions métaphysiques et théologiques. Que reste-t-il, après cela ? Il reste l’homme, ses désirs, ses besoins. La sécession, me direz-vous, et, à la longue, l’émiettement des nations sont la conséquence d’un système qui met ces vieux organismes à la merci de volontés souvent peu éclairées. Il est clair qu’en pareille matière aucun principe ne doit être poussé à l’excès. Les vérités de cet ordre ne sont applicables que dans leur ensemble et d’une façon très générale. Les volontés humaines changent ; mais qu’est-ce qui ne change pas ici-bas ? Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. Mais telle n’est pas la loi du siècle où nous vivons. À l’heure présente, l’existence des nations est bonne, nécessaire même. Leur existence est la garantie de la liberté, qui serait perdue si le monde n’avait qu’une loi et qu’un maître.

Par leurs facultés diverses, souvent opposées, les nations servent à l’oeuvre commune de la civilisation ; toutes apportent une note à ce grand concert de l’humanité, qui, en somme, est la plus haute réalité idéale que nous atteignions. Isolées, elles ont leurs parties faibles. Je me dis souvent qu’un individu qui aurait les défauts tenus chez les nations pour des qualités, qui se nourrirait de vaine gloire ; qui serait à ce point jaloux, égoïste, querelleur ; qui ne pourrait rien supporter sans dégainer, serait le plus insupportable des hommes. Mais toutes ces dissonances de détail disparaissent dans l’ensemble. Pauvre humanité, que tu as souffert ! que d’épreuves t’attendent encore ! Puisse l’esprit de sagesse te guider pour te préserver des innombrables dangers dont ta route est semée !

Je me résume, Messieurs. L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de coeur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté, elle est légitime, elle a le droit d’exister. Si des doutes s’élèvent sur ses frontières, consultez les populations disputées. Elles ont bien le droit d’avoir un avis dans la question. Voilà qui fera sourire les transcendants de la politique, ces infaillibles qui passent leur vie à se tromper et qui, du haut de leurs principes supérieurs, prennent en pitié notre terre à terre. «Consulter les populations, fi donc ! quelle naïveté ! Voilà bien ces chétives idées françaises qui prétendent remplacer la diplomatie et la guerre par des moyens d’une simplicité enfantine». – Attendons, Messieurs ; laissons passer le règne des transcendants ; sachons subir le dédain des forts. Peut-être, après bien des tâtonnements infructueux, reviendra-t-on à nos modestes solutions empiriques. Le moyen d’avoir raison dans l’avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé.”

Source: http://www.les-crises.fr/nation-ernest-renan/