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Le Rapport Anti-Empire n° 133, par William Blum

Wednesday 10 December 2014 at 04:30

Intéressant billet de William Blum (né en 1933 – 81 ans), qui est un écrivain et journaliste américain critique de la politique étrangère des États-Unis.

Par William Blum – Publié le 16 octobre 2014

L’État Islamiste

Vous ne pouvez pas croire un mot de ce que les États-Unis ou ses médias grand public disent du conflit actuel impliquant l’État Islamique (EIIL).

Vous ne pouvez pas croire un mot de ce que la France ou le Royaume-Uni disent de l’EI.

Vous ne pouvez pas croire un mot de ce que la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït, la Jordanie, ou les Émirats Arabes Unis disent de l’EIIL. Pouvez-vous dire avec certitude quel côté du conflit est en réalité financé, armé et entraîné par l’un de ces pays du Moyen-Orient, si en fait ils ne soutiennent qu’un seul côté ? Pourquoi laissent-ils leurs jeunes enragés rejoindre les extrémistes islamiques ? Pourquoi la Turquie, membre de l’OTAN, laisse-t-elle autant d’extrémistes islamiques traverser ses frontières pour rejoindre la Syrie ? La Turquie est-elle plus intéressée par l’élimination de l’État Islamique ou des Kurdes assiégés par l’EIIL ? Ces pays, ou ces puissances occidentales, sont-ils plus préoccupés par le renversement de l’EIIL ou par le renversement du gouvernement syrien de Bachar el-Assad ?

Vous ne pouvez pas croire les soi-disant rebelles syriens « modérés ». Vous ne pouvez même pas croire qu’ils sont modérés. Ils ont la main sur tout, et tout le monde a la main sur eux.

L’Iran, le Hezbollah et la Syrie combattent l’EIIL ou ses précurseurs depuis des années, mais les États-Unis ont refusé de s’allier pour la bataille avec l’une de ces entités. Washington n’a pas imposé non plus de sanction à un quelconque pays soutenant l’EIIL, comme il l’a fait promptement pour la Russie en raison de son rôle supposé en Ukraine.

Les fondations de cet abominable embrouillamini d’horreurs politiques et religieuses qui balaient le Moyen-Orient ont été creusées – profondément creusées – par les États-Unis durant les 35 ans (de 1979 à 2014) passés à renverser les gouvernements séculiers d’Afghanistan, d’Iraq, de Libye et de Syrie (comme supplément à la pagaille ambiante durant la même période il ne faut pas oublier les bombardements américains incessants du Pakistan, de la Somalie et du Yémen). On ne peut pas détruire des sociétés modernes, relativement développées et éduquées, en déchirer le tissu social, politique, économique et juridique, torturer des milliers de personnes, en tuer des millions, et s’attendre à la survie de la civilisation et de la décence humaine.

Un point crucial de ces fondations a été la décision américaine de, pour faire simple, jeter à la rue, sans emploi, 400 000 Irakiens formés au combat, dont un corps complet d’officiers. C’était la formule parfaite pour créer une insurrection. Humiliés et amers, certains de ces hommes rejoindront par la suite divers groupes de résistance qui agissent contre l’occupation de l’armée américaine. On peut avancer sans trop de risques que la plus grande partie des véhicules blindés, des armes et munitions et des explosifs qui tuent à chaque minute au Moyen-Orient, sont estampillés « Made in USA ».

Et tous les chevaux de Washington, tous les gens d’armes de Washington, ne peuvent plus réparer ce monde. [NdT : Allusion à la comptine Humpty Dumpty : And all the king's horses and all the king's men couldn't put Humpty together again.] Le monde sait, à présent, que ces endroits sont des «États ratés ».

Pendant ce temps, les États-Unis bombardent la Syrie quotidiennement, officiellement parce que les États-Unis sont en guerre contre l’EIIL, mais en endommageant gravement par la même occasion les capacités de production pétrolière de ce pays (un tiers du budget du gouvernement syrien), ses capacités militaires, ses infrastructures, même ses réserves alimentaires, prenant d’innombrables vies d’innocents, détruisant des sites antiques ; le tout rendant le relèvement d’une Syrie dirigée par Assad ou de toute autre Syrie hautement improbable. Washington cherche sans doute des moyens pour dévaster tout autant l’Iran sous couvert de combattre l’EIIL.

Rien de bon ne peut être dit sur cette terrible situation. Toutes les issues semblent horribles. Tous les participants, de quelque côté que ce soit, sont très suspects, quand ils ne sont pas criminels et déments. Cela pourrait être la fin du monde. A quoi je réponds : bon débarras. Bien essayé, les humains ! Je dirais même, BEL ESSAI… mais bon débarras quand même ! EIIL… Ebola… Changement climatique… irradiation nucléaire… L’Empire… Lequel nous aura le premier ?… Bonne journée.

Le monde est-il plus mauvais et effrayant aujourd’hui qu’il ne l’était dans les années 50 où j’ai grandi, pour lequel croît ma nostalgie à chaque nouvelle horreur ? Ou serait-ce que les horreurs d’aujourd’hui sont bien mieux médiatisées, puisque nous nageons tous dans un océan d’information et de vidéos ?

Après avoir visionné plusieurs vidéos de l’EIIL sur Internet, remplies de scènes des plus dégoûtantes, contre les femmes particulièrement, voici ce que je pense : donnez-leur leur propre pays ; celui qui y habite actuellement et qui veut partir, sera aidé à partir ; toute personne dans le monde qui voudra y aller, sera aidée à le faire. Une fois sur place, ils pourront y faire ce qu’ils voudront, mais ils ne pourront s’en aller qu’après avoir passé des entretiens rigoureux à la frontière afin de s’assurer qu’ils auront retrouvé leur attachement à l’humanité. Quoi qu’il en soit, comme peu de femmes, sans doute, iraient là-bas, le pays ne perdurerait pas longtemps.

Le Mur de Berlin – Un autre mythe de la Guerre Froide

Le 9 novembre marquera la chute du Mur de Berlin. L’extravagant battage a commencé il y a des mois à Berlin. Aux États-Unis, nous pouvons nous attendre à ce que tous les clichés sur la Guerre Froide et Le Monde Libre opposé à La tyrannie Communiste soient débités, et que le conte simpliste de la création du mur soit répété : en 1961, les communistes de Berlin Est ont construit un mur pour empêcher leurs citoyens opprimés de s’échapper vers Berlin Ouest et vers la liberté. Pourquoi? Parce que les communistes n’aiment pas que le peuple puisse être libre, et ainsi connaître la « vérité ». Quelle autre raison pourrait-il y avoir ?

Tout d’abord, avant que le mur ne soit érigé en 1961, des milliers d’Allemands de l’Est effectuaient le trajet vers l’Ouest pour y travailler tous les jours et rentraient à l’Est le soir ; d’autres faisaient des allers-retours pour des courses ou pour d’autres raisons. Donc ils n’étaient pas retenus à l’Est contre leur gré. Pourquoi le mur a-t-il donc été construit ? Il y a eu deux raisons majeures :

1) L’Ouest tourmentait l’Est par une vigoureuse campagne de recrutement de professionnels et de travailleurs qualifiés, qui avaient été éduqués aux frais du gouvernement communiste. Cela a conduit à une sérieuse crise de main d’œuvre et de production à l’Est. A titre indicatif, le New York Times reportait en 1963 : « Berlin Ouest souffre économiquement de la présence du mur avec la perte d’environ 60 000 personnels qualifiés qui se déplaçaient quotidiennement depuis leur domicile à Berlin Est, vers leur lieu de travail à Berlin Ouest ».

Il faut noter qu’en 1999, USA Today rapportait : « Quand le mur de Berlin s’est effondré [1989], les Allemands de l’Est se sont imaginés une vie de liberté où les biens de consommation seraient abondants et où les difficultés s’évanouiraient. Dix ans plus tard, une proportion remarquable de 51% d’entre eux disaient avoir été plus heureux sous le communisme ». Des sondages faits plus tôt auraient même probablement donné plus de 51% de gens exprimant la même chose, parce que, au cours de ces dix ans, nombre de ceux qui se souvenaient de la vie en Allemagne de l’Est avec affection s’étaient éteints ; même si, dix ans de plus après, en 2009, le Washington Post a pu écrire « les Allemands de l’Ouest de Berlin disent en avoir assez des commentaires nostalgiques sur l’époque communiste ressassés par leurs compatriotes de l’Est ».

Un nouveau proverbe est né en Russie et en Europe de l’Est au cours de la période post-unification : « Tout ce que les communistes disaient sur le communisme était faux, mais tout ce qu’ils disaient sur le capitalisme était vrai ».

Notons, de plus, que la division de l’Allemagne en deux États, en 1949 – qui a posé le décor de 40 ans de guerre froide – était une décision américaine et non soviétique.

2) Au cours des années 50, les tenants américains de la guerre froide, en Allemagne de l’Ouest, ont lancé une grossière campagne de sabotage et de subversion contre l’Allemagne de l’Est conçue pour faire dérailler la machine économique et administrative du pays. La CIA et d’autres agences militaires et de renseignement ont recruté, équipé, entraîné et financé des groupes d’activistes allemands et des individus, aussi bien de l’Est que de l’Ouest, pour qu’ils mènent des actions dont l’éventail allait de la délinquance juvénile au terrorisme ; tout ce qui était possible pour rendre la vie difficile aux populations d’Allemagne de l’Est et affaiblir leur soutien à leur gouvernement ; tout ce qui était possible pour donner une mauvaise image des communistes.

C’était une entreprise remarquable. Les États-Unis et leurs agents ont utilisé des explosifs, des incendies volontaires, des courts-circuits, et d’autres méthodes pour endommager des centrales d’énergie, des chantiers navals, des canaux, des docks, des bâtiments publics, des stations d’essence, des transports publics, des ponts, etc. Ils ont fait dérailler des trains de marchandises en blessant gravement des travailleurs ; ils ont brûlé douze voitures d’un train de marchandises et détruit les conduites d’air comprimé [NdT : qui servent pour les freins] sur d’autres ; ils ont utilisé des acides pour saboter des machines de production industrielle vitales ; mis du sable dans la turbine d’une usine jusqu’à la stopper ; mis le feu à une usine de carrelage ; promu des ralentissements des cadences dans des usines ; tué par empoisonnement 7000 vaches dans une coopérative fermière ; ajouté du savon à du lait en poudre destiné à des écoles d’Allemagne de l’Est ; étaient en possession, lors de leur arrestation, de grandes quantités de cantharidine, avec laquelle ils avaient prévu d’empoisonner des cigarettes destinées aux leaders de l’Allemagne de l’Est dans le but de les tuer ; lancé des boules puantes pour perturber des meetings politiques ; ont tenté de perturber le Festival mondial de la jeunesse de Berlin Est en envoyant de fausses invitations, de fausses promesses d’hébergement gratuit, de fausses notifications d’annulation, etc ; ont mené des attaques contre les participants avec des explosifs, des bombes incendiaires, et des équipements destinés à crever des pneus ; ont fabriqué et distribué de grandes quantités de cartes de rationnement pour causer de la confusion, des pénuries et des ressentiments ; ont envoyé de faux avis d’impôts, d’autres directives gouvernementales et des documents variés pour désorganiser et rendre inefficaces l’industrie et les syndicats… tout cela et bien plus encore.

Le centre d’études international Woodrow Wilson (Woodrow Wilson International Center for Scholars) de Washington DC, des conservateurs pro guerre froide, dans l’un de leurs papiers de travail sur l’histoire internationale de la guerre froide (#58, p.9) déclare : « la frontière ouverte de Berlin a exposé la RDA [Allemagne de l'Est] à un espionnage massif et à la subversion et, comme les deux documents de l’appendice le démontrent, sa fermeture a donné une plus grande sécurité à l’État communiste ».

Au cours des années 50, les Allemands de l’Est et l’Union Soviétique ont porté plainte de façon répétée devant leurs alliés d’autrefois de l’Ouest et devant les Nations Unies à propos d’actions précises de sabotage et d’activités d’espionnage, et demandé la fermeture des officines d’Allemagne de l’Ouest qu’ils tenaient pour responsables, et dont ils donnaient noms et adresses. Leurs plaintes sont tombées dans l’oreille de sourds. Fatalement, les Allemands de l’Est ont été amenés à durcir les conditions d’entrée dans leur pays, ce qui a conduit finalement à la construction de l’infâme mur. Malgré tout, même après la construction du mur, il y avait une émigration légale régulière, bien que limitée, de l’est vers l’ouest. En 1984, par exemple, l’Allemagne de l’Est a laissé partir 40 000 personnes. En 1985, selon des journaux de la RDA, plus de 20 000 nouveaux émigrants en Allemagne de l’Ouest souhaitaient revenir en Allemagne de l’Est à la suite d’une déception sur le système capitaliste. Le gouvernement de la RFA (Allemagne de l’Ouest) a dit que 14 300 Allemands de l’Est étaient repartis au cours des dix années précédentes.

N’oublions pas non plus que, alors que l’Allemagne de l’Est était totalement dénazifiée, en Allemagne de l’Ouest, pendant plus d’une décennie après la guerre, les plus hauts postes au gouvernement dans les branches exécutives, législatives et judiciaires se voyaient occupés en grand nombre par d’anciens nazis et « des anciens » du nazisme.

Enfin, il faut se rappeler que l’Europe de l’Est est devenue communiste parce qu’Hitler, avec l’approbation de l’Ouest, l’a utilisée comme autoroute pour atteindre l’Union Soviétique et détruire définitivement le bolchévisme, et que les Russes, au cours des deux guerres mondiales, ont perdu environ 40 millions de vies parce que l’Ouest avait utilisé cette autoroute pour envahir la Russie. Il ne devrait pas sembler étonnant qu’après la Seconde Guerre mondiale les Soviétiques aient été résolus à fermer cette autoroute.

Pour un très intéressant point de vue supplémentaire sur l’anniversaire du mur de Berlin, voir l’article « Humpty-Dumpty and the Fall of Berlin’s wall » [Humpty-Dumpty et la chute du mur de Berlin], de Victor Grossman (né Steve Weschler) qui a fui l’armée américaine en Allemagne sous la pression des menaces de l’ère McCarthy, et qui devint un journaliste et écrivain pendant ses années passées à l’Est en République Démocratique d’Allemagne. Il habite toujours à Berlin et met en ligne de façon irrégulière son « Berlin Bulletin » sur des sujets concernant l’Allemagne. Vous pouvez vous y abonner à wescher_grossman@yahoo.de. Son autobiographie : « Crossing the River: a Memoir of the American Left, the Cold War Life in East Germany » [De l'autre côté du fleuve : mémoires de la gauche américaine, la vie sous la guerre froide en Allemagne de l'Est] a été publiée par la University of Massachusetts Press. Il revendique être la seule personne au monde étant à la fois diplômé d’Harvard et de l’université Karl Marx de Leipzig.

Al Franken, le chouchou des libéraux

Je reçois un flot continu de courriers électroniques d’organisations « progressistes » me demandant de voter pour le sénateur Franken ou de contribuer à sa campagne de réélection de novembre, alors que je n’habite même pas le Minnesota. Même si je pouvais voter pour lui, je ne le ferais pas. Quiconque ayant été un soutien de la guerre en Irak n’aura mon vote que s’il ne renie clairement cet engagement. Et je n’entends pas par là le renier à la manière absurde d’Hillary Clinton prétendant n’avoir pas eu suffisamment d’informations.

Franken, l’ancien comique du Saturday Night Live, aimerait que vous croyiez qu’il a été contre la guerre en Irak depuis le début. Mais il s’est rendu au moins quatre fois en Irak pour divertir les troupes. Quel sens cela a-t-il ? Pourquoi les militaires fournissent-ils des amuseurs aux soldats ? Pour qu’ils gardent le moral bien sûr. Et pourquoi les militaires veulent-ils que les soldats gardent le moral ? Parce qu’un soldat plus heureux fait mieux son travail. Et quel est le travail d’un soldat ? Tous ces charmants crimes de guerre et ces violations des droits de l’homme que moi ainsi que d’autres ont documenté en détail durant des années. Franken sait-il ce que les soldats américains font pour gagner leur vie ?

Une année après l’invasion américaine en 2003, Franken critiqua l’administration Bush car elle « avait échoué à envoyer assez de troupes pour faire correctement le travail. » Pour quel « travail » cet homme pense-t-il que ces troupes avaient été envoyées et qui n’aurait pas été réalisé dans les normes par manque de main-d’œuvre ? Voulait-il qu’ils tuent plus efficacement les Irakiens qui résistaient à l’occupation ? Les troupes de volontaires américains ne pouvaient même pas se défendre en disant y avoir été envoyées contre leur gré.

Cela fait longtemps que Franken soutient le moral des troupes. En 2009, il était honoré par la United Service Organization (USO) pour ses dix ans passés au service du divertissement des troupes à l’étranger. Y compris au Kosovo en 1999, une occupation impérialiste comme vous en rêveriez. Il parle de son expérience à l’USO comme « une des meilleures choses que j’aie jamais faites. » Franken a également pris la parole à l’académie militaire de West Point, encourageant la prochaine génération de combattants impérialistes. Est-ce un homme à remettre en question la militarisation de l’Amérique, chez elle et à l’étranger ? Pas plus que Barack Obama.

Tom Hayden écrivit ceci à propos de Franken en 2005, quand Franken produisait un programme régulier sur la radio Air America [NdT : L'Amérique à l'antenne]. « Quelqu’un d’autre est-il déçu de la défense quotidienne d’Al Franken de la prolongation de la guerre en Irak ? Pas la guerre version Bush, car cela saperait l’objectif louable d’Air America de rassembler une audience anti-Bush. Mais, disons, la guerre version Kerry, celle où on gère mieux et où on gagne, avec d’une manière ou d’une autre de meilleurs gilets pare-balles et moins de chambres de torture. »

Pendant qu’il était en Irak pour amuser les troupes, Franken déclara que l’administration Bush « avait gâché la diplomatie ce qui fait que l’on n’a pas de réelle coalition », puis qu’elle fut incapable d’envoyer suffisamment de troupes pour faire le travail proprement. « Par pur orgueil, ils ont mis la vie de ces gars en péril. »

Franken sous-entendait que si les États-Unis avaient eu plus de succès à corrompre et à menacer d’autres pays pour qu’ils joignent leur nom à la coalition menant la guerre en Iraq, les États-Unis auraient eu plus de chance de GAGNER la guerre.

Est-ce l’opinion de quelqu’un qui s’oppose à la guerre ? Ou bien qui la soutient ? C’est l’esprit d’un libéral américain avec toute sa guimauve à l’eau de rose.

Source : William Blum, le 16/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/le-rapport-anti-empire-n-133/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade, Khazin)

Wednesday 10 December 2014 at 01:55

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: Draghi ne serait-il que l’hôtesse d’accueil de la BCE ? – 08/12

Olivier Delamarche VS Malik Haddouk (1/2): Peut-on compter sur la BCE pour relancer l’économie européenne ? – 08/12

Olivier Delamarche VS Malik Haddouk (2/2): États-Unis: La reprise économique est-elle là ? – 08/12

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade : A défaut de Mario Draghi, ça sera la FED le Père Noël

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (1/2): Réunion de la BCE: “Tout le monde attend un Draghi de fin d’année !” – 03/12

Philippe Béchade VS Sébastien Korchia (2/2): États-Unis: vers une hausse des taux de la Fed en 2015 ? – 03/12


Bilan Hebdo: Jean-Louis Cussac et Éric Lewin – 05/12

III. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir : L’arnaque politique grecque – 09/12

Jacques Sapir VS Cyrille Collet (1/2): Vers une nouvelle restructuration de la dette grecque en 2015 ? – 09/12

Jacques Sapir VS Cyrille Collet (2/2): Économies et marchés: quelles perspectives pour 2015 ? – 09/12

IV. Mikhail Khazin

Intéressante analyse de cet économiste russe :


 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi, ou les sites Soyons sérieux et Urtikan.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-10-12-2014/


La « Destinée manifeste » et l’exceptionnalisme américain [2/4] : Florilège de discours de dirigeants américains (1973-2008)

Tuesday 9 December 2014 at 04:44

 Suite du billet précédent : Histoire de deux concepts essentiels

1973-1993 : Nixon, Reagan, Bush père et le contexte de la Guerre Froide

Richard Nixon, 37e président des États-Unis : 1969-1974
Quatrième rapport annuel au Congrès des États-Unis sur la politique étrangère, 3 mai 1973 :

“Nous avons subi des pressions sur notre territoire, qui menaçaient de faire basculer l’Amérique de la sur-expansion dans le monde à un retrait irréfléchi de celui-ci. Le peuple américain avait supporté avec enthousiasme et générosité les fardeaux du leadership mondial dans les années 1960. Mais après presque trois décennies, notre enthousiasme déclinait et les résultats de notre générosité étaient mis en question. [...] En 1969, nous risquions que le public soutenant la poursuite de notre rôle mondial, ne finisse par s’évanouir à force de lassitude, de frustration et de réaction disproportionnée. Nous étions convaincus de la nécessité de forger de nouvelles politiques pour faire face à ses problèmes. Mais notre première exigence était philosophique. Nous avions besoin d’une vision novatrice pour inspirer et intégrer nos efforts.

Nous avons commencé avec la conviction que notre engagement mondial restait indispensable. Les nombreux changements du paysage d’après-guerre n’avait modifié en aucune façon cette réalité centrale. L’Amérique était si puissante, notre engagement si important et nos préoccupations si profondes, que le fait de supprimer notre influence aurait provoquer des tremblements tout autour du globe. Nos amis auraient été désespérés, nos adversaires auraient été tentés, et notre propre sécurité nationale aurait été rapidement menacée. Il n’y avait aucun moyen d’échapper à la réalité de notre influence cruciale en faveur de la paix.

Mais la modernité a exigé que l’on redéfinisse cet engagement.  Pendant de longues années, notre politique étrangère a été forgée autour d’une mission à vocation universelle que seule l’Amérique pouvait accomplir ;  pour fournir un leadership politique, une défense commune et un développement économique. Nos alliés étaient faibles, les autres nations étaient trop jeunes, les menaces étaient palpables et la puissance américaine était dominante.

À partir de 1969, une mission de cette échelle était devenu obsolète à l’étranger et insupportable sur notre sol. Nos alliés s’étaient renforcés, les jeunes nations d’autrefois avaient mûri, les menaces s’étaient diversifiées et la puissance américaine n’était plus à la hauteur. Il était temps pour nous de passer d’une mission paternaliste dédiée à d’autres nations, à une mission en coopération avec d’autres nations.”

Walter F. Mondale, candidat démocrate (1984) et Vice-président des États-Unis (1977-1981)
Annonce de candidature à l’élection présidentielle de 1984 , 21 février 1983 :

“Je me porte candidat à la présidence pour restaurer notre leadership mondial. Notre président doit comprendre et réunir tous nos avantages réels : efficacité militaire, force économique, indépendance énergétique, autorité morale, alliances qu’aucun ennemi ne peut affaiblir, et armée qu’aucune nation n’ose défier. Nous devons être une Amérique dont la justice sociale chez nous attire l’amitié à l’étranger, et dont la voix condamne la répression – des camps du Goulag russe aux geôles des généraux latins. Nous devons voir le monde tel qu’il est vraiment – l’arène d’une compétition que l’Amérique peut gagner, où notre liberté, nos valeurs et nos réalisations sont un pôle d’attraction pour le monde entier.”

Ronald Reagan, 40e président des États-Unis : 1981-1989

Allocution devant une session commune du Congrès sur l’état de l’Union, 27 janvier 1987 :

“Nous entrons dans notre troisième siècle d’existence, mais il serait inexact de juger notre nation par le nombre de ses années. L’Amérique ne peut se mesurer à l’aune de calendrier car il était écrit que nous serions une expérience infinie de liberté : sans limite dans nos buts, sans limite à ce que nous pouvons faire, sans limite dans nos espoirs. La Constitution des États-Unis est le canal passionné et inspiré par lequel nous voyageons à travers l’histoire. Elle est née de l’inspiration la plus fondamentale de notre existence : que nous sommes ici pour Le servir en vivant libres, que vivre libres libère en nous les plus nobles impulsions et le meilleur de nos capacités ; que nous devons utiliser ces dons à de bonnes et généreuses fins et les sécuriser non seulement pour nous et nos enfants mais pour l’humanité tout entière. [...]

Pourquoi la Constitution des États-Unis est-elle si exceptionnelle ? Eh bien, la raison est si petite qu’elle vous échappe presque mais elle est tellement grande qu’elle vous dit tout en seulement trois mots : Nous, le peuple. Dans d’autres Constitutions, le gouvernement dit au peuple de ces pays ce qu’il est autorisé à faire. Dans notre Constitution, nous, le peuple, disons au gouvernement ce qu’il peut faire et il ne peut faire que ce qui est dit dans ce document et rien d’autre. Quasiment toutes les autres révolutions dans l’Histoire ont seulement troqué un groupe de dirigeants contre un autre. Notre révolution est la première à dire que le peuple est le maître et le gouvernement son serviteur. [...] Nous, le peuple – ainsi sont les cœurs chaleureux innombrables qui commencent leur journée par une petite prière pour des otages qu’ils ne connaîtront jamais et des familles disparues qu’ils ne rencontreront jamais. Pourquoi ? Parce qu’ils sont ainsi, cette race exceptionnelle que nous appelons les Américains. [...] Nous, le peuple – ils refusent les commentaires de la semaine dernière à la télévision qui dévalorisent notre optimisme et notre idéalisme. Entrepreneurs, constructeurs, pionniers et pour la plupart gens ordinaires : ce sont eux les vrais héros de notre pays qui composent la plus exceptionnelle nation de faiseurs de l’Histoire. Vous savez qu’ils sont américains car leur esprit est aussi grand que l’univers et leur cœur est plus grand encore que leur esprit.

George H. W. Bush, 41e président des Etats-Unis : 1989-1993
Déclaration du Secrétaire de la Presse Fitzwater sur la rencontre du président avec Mme Gro Harlem Brundtland, Premier ministre de Norvège, 5 juin 1992

“Le président a rencontré pendant à peu près 40 minutes Mme Gro Harlem Brundtland, Premier ministre de Norvège. Les deux dirigeants ont également passé en revue différentes questions portant sur la sécurité européenne et se sont mis d’accord sur l’importance du leadership mondial américain et sur le fait qu’une présence militaire américaine forte et permanente en Europe est essentielle à la paix et la stabilité.

1993-2001 : Clinton et la « nation indispensable »

William J. Clinton, 42e président des Etats-Unis : 1993-2001

Discours à l’Assemblée nationale coréenne de Séoul, 10 juillet 1993 :

“La meilleure manière pour nous de dissuader les agressions régionales, de perpétuer la robuste croissance économique que connaît la région, et de sécuriser nos propres intérêts – maritimes et autres – est d’être une présence active. Nous devons continuer à diriger et nous le ferons. Pour certains en Amérique, il y a la crainte que le leadership mondial américain ne soit un luxe démodé que nous ne pouvons plus nous permettre. Eh bien, ils ont tort. En vérité, notre leadership global n’a jamais été aussi indispensable ou un investissement aussi rentable pour nous. Tant que nous resterons bordés par des océans et enrichis par le commerce, tant que notre drapeau est le symbole de la démocratie et de l’espoir face à un monde désuni, le leadership américain demeurera un impératif.

William J. Clinton, Discours à la Conférence du Comité politique des affaires publiques américano-israëlien, 7 mai 1995 :

“Ecoutez : tout le monde est content que l’on aide l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan à débarrasser leur territoire des armes nucléaires. Cela augmente notre sécurité. Mais on ne peut pas le faire gratuitement. On aide à construire la démocratie en Europe centrale et en Europe de l’Est, mais on ne peut pas faire ça gratuitement. On combat les flux de drogues internationaux qui ruinent nos communautés, mais on ne peut pas faire ça gratuitement.”

Partout dans le monde, dans des pays désespérément pauvres, des gens essaient d’apprendre à s’en sortir et protéger leur environnement pour qu’ils puissent avoir une société réglée et participer à une coopération pacifique, et ne pas être emportés par les courants radicaux qui ravagent le monde. Et pour une bouchée de pain, à l’échelle américaine, nous pouvons faire toute la différence dans le monde. Mais on ne peut pas le faire gratuitement.

Plus que n’importe quel public peut-être dans ce pays, vous comprenez cela. Vous comprenez l’importance de notre leadership et le prix raisonnable que nous devons payer pour le maintenir. Si nous devions abandonner ce rôle simplement parce qu’on nous refuse les instruments de l’aide internationale et de l’assistance sécuritaire, l’un des premiers à en être affecté serait Israël, parce qu’Israël est en première ligne de la bataille pour la liberté et la paix, et la force d’Israël est adossée à la force de l’Amérique et à notre leadership mondial.”

William J. Clinton, Remarques sur des questions de sécurité internationale à l’Université George Washington, 5 août 1996 :

“L’Amérique fait face à trois grand défis alors que nous entrons dans le XXIe siècle : conserver le rêve américain en vie pour tous ceux qui veulent travailler pour l’obtenir ; rassembler notre pays et non le diviser ; et faire en sorte que l’Amérique demeure la plus grande force dans le monde œuvrant pour la paix, la liberté, la sécurité et la prospérité. [...]

Je suis venu dans ce lieu d’enseignement et de raison, cet endroit si focalisé sur l’avenir, afin d’expliquer pourquoi nous ne pourrons pas faire face à nos propres défis d’opportunité, de responsabilité et de communauté si nous ne maintenons pas également notre rôle indispensable de leader pour la paix et la liberté dans le monde. [...]

Le fait est que l’Amérique demeure la nation indispensable. Il y a des moments où l’Amérique et seulement l’Amérique, peut faire la différence entre la paix et la guerre, entre la liberté et la répression, entre l’espoir et la peur. Bien entendu, nous ne pouvons pas prendre en charge le monde entier. Nous ne pouvons pas devenir son gendarme. Mais là où nos intérêts et nos valeurs le réclament et là où nous pouvons faire la différence, l’Amérique doit agir et montrer le chemin.

Dans ce combat ainsi que dans bien d’autres défis tout autour du monde, le leadership américain est indispensable. En assumant notre leadership dans la lutte contre le terrorisme, nous ne devons être ni réticents ni arrogants, mais réalistes, déterminés et confiants. Et nous devons comprendre que dans cette bataille nous devons déployer plus que de la police et des ressources militaires. Chacun d’entre vous compte. Chaque Américain compte.

Notre plus grande force est notre confiance. Et c’est la cible des terroristes. Ne vous y trompez pas : les bombes qui tuent et mutilent des innocents ne leur sont pas vraiment destinées mais visent l’esprit de tout le pays et l’esprit de liberté. Donc la lutte contre le terrorisme implique davantage que les nouvelles mesures de sécurité que j’ai ordonnées et celles à venir. En fin de compte, il faut la volonté confiante du peuple américain de conserver nos convictions pour la liberté et la paix et de rester la force indispensable pour créer un monde meilleur à l’aube d’un siècle nouveau. [...]

Lorsque nous nous souvenons des jeux Olympiques du Centenaire, des semaines de courage et de triomphe, le meilleur de la jeunesse du monde lié ensemble par les règles du jeu dans un véritable respect mutuel, engageons-nous à travailler pour un monde qui ressemble davantage à cela dans le XXIe siècle, à faire face fermement dans les moments de terreur qui autrement détruiraient notre esprit, à faire face pour les valeurs qui nous ont apporté tant de bénédictions, valeurs qui ont fait de nous à ce moment crucial, la nation indispensable. Merci beaucoup.”

William J. Clinton, Allocution présidentielle à la radio, 16 novembre 1996 :

“Bonjour. Comme je l’ai dit à maintes reprises, l’Amérique est le pays indispensable au monde, le pays que le monde envie pour sa première place grâce à sa force et ses valeurs. Cette semaine, j’ai pris deux décisions importantes, correspondant aux responsabilités de l’Amérique dans le monde. La première est l’accord, de principe, pour nos troupes de participer à une mission pour alléger la souffrance au Zaïre. La seconde est l’approbation, toujours de principe, pour nos troupes de faire partie des forces de sécurité présentes en Bosnie. Aujourd’hui, je veux vous dire en quoi notre rôle dans ces missions est important.”

William J. Clinton, Discours inaugural, 20 janvier 1997 :

“La dernière fois que nous nous sommes réunis, notre marche vers ce nouvel avenir semblait moins sûre qu’elle ne l’est aujourd’hui. Nous nous étions alors juré de mettre notre Nation à nouveau sur la bonne voie. Pendant ces quatre ans, nous avons été touchés par la tragédie, exaltés par le défi, renforcés par le succès. L’Amérique reste la seule nation indispensable au monde. Une fois encore, notre économie est la plus forte de la planète. Une fois encore, nous construisons des familles plus soudées, des communautés plus prospères, des moyens d’éducations meilleurs, un environnement plus propre.

William J. Clinton, Discours à l’Université de la Défense nationale, 29 janvier 1998 :

“Dans ce nouveau monde, notre leadership mondial est plus important que jamais. Cela ne signifie pas que nous pouvons y aller tout seul ni répondre à chaque crise. Nous devons être clairs quand nos intérêts nationaux sont en jeu. Mais plus que jamais, le monde se tourne vers l’Amérique pour faire le boulot. Notre Nation guide la construction d’un nouveau réseau d’institutions et d’accords destinés à maîtriser les forces du changement, tout en nous préservant de leurs dangers. Nous contribuons à écrire les règles internationales de la route vers le XXIe siècle, en protégeant ceux qui ont rejoint la famille des nations, et en isolant ceux qui ne l’ont pas fait.”

William J. Clinton, Allocution à bord du navire américain Ville de Hue à New York, le 4 juillet 2000 :

“En ce jour j’espère que chaque Américain prendra un moment pour réfléchir à la façon dont nous avons gagné notre place exceptionnelle dans l’histoire humaine. En 1776 l’action ne s’est pas uniquement déroulée dans le Hall de l’Indépendance à Philadelphie où la Déclaration d’Indépendance a été signée. C’est ici, à New York, que George Washington a préparé ses troupes à la bataille. Cinq longues années et d’innombrables engagements plus tard, les soldats et les marins de l’Amérique ont remporté la victoire et contribué à allumer la flamme de liberté qui brûle à présent dans le monde entier. Aujourd’hui donc, jour anniversaire de notre Nation, je crois que nous devrions rendre hommage à ceux qui ont engagé leur vie, leur fortune et leur honneur sacré pour notre liberté. Et aujourd’hui je pense que nous devrions aussi honorer tous les Américains, indépendamment de leur passé, que leurs ancêtres soient venus ici sur des bateaux d’immigrants ou de négriers, qu’ils aient volé à travers le Pacifique ou traversé le détroit de Behring, car tous les Américains ont apporté leur aide à la marche pour la liberté, la démocratie et pour notre avenir.”

2001-2008 : Bush Jr. et la défense du « monde civilisé »

George W. Bush, 43e président des États-Unis : 2001-2009
Discours du 20 septembre 2001, avant une session extraordinaire du Congrès, sur la réponse des États-Unis aux attaques terroristes du 11 septembre :

Le monde civilisé se rallie au côté de l’Amérique. Ils comprennent que si cette terreur reste impunie, leurs propres villes, leurs propres citoyens peuvent être les prochains. Sans réponse, la terreur peut non seulement abattre des bâtiments, mais peut menacer la stabilité de gouvernements légitimes. Et vous savez quoi ? Nous n’allons pas le permettre. Les Américains demandent, qu’est-ce qu’on attend de nous ? Je vous demande de vivre vos vies et d’embrasser vos enfants. Je sais que ce soir beaucoup de citoyens ont des craintes et je vous demande d’être calmes et résolus, même face à une menace persistante. Je vous demande de soutenir les valeurs de l’Amérique et je rappelle pourquoi tant de vous sont venus ici. Nous sommes dans un combat pour nos principes et notre première responsabilité est de les suivre. Personne ne devrait être discriminé par un traitement injuste ou des mots désobligeants à cause de son origine ethnique ou de sa foi religieuse. […] Je sais qu’il y a des luttes à venir et des dangers à affronter. Mais ce pays définira notre temps, et ne sera pas défini par lui. Tant que les États-Unis d’Amérique seront forts et déterminés, ce ne sera pas un âge de terreur ; ce sera un âge de liberté, ici et à travers le monde. [...] Le progrès de la liberté de l’humanité, la réussite de notre temps et le grand espoir de chaque instant, reposent à présent sur nous.”

George W. Bush, Discours aux cadres dirigeants de la fonction publique, 15 octobre 2001 :

“Ce sont des temps extraordinaires, des temps d’épreuve pour notre gouvernement et pour notre nation. Pourtant, nous tous pouvons être fiers de la réponse de notre gouvernement et de la force de caractère exceptionnelle de la nation que nous servons. Je ne me suis jamais senti plus certain des qualités de l’Amérique ni plus confiant de l’avenir de l’Amérique.”

George W. Bush, Discours radiodiffusé du président, 2 juin 2007 :

“[...] Le peuple américain peut être fier de notre leadership mondial et de notre générosité. Notre Nation apporte de l’aide et du réconfort à ceux qui sont dans le besoin. Nous aidons à étendre les opportunités à travers le monde. Nous posons la fondation d’un avenir plus pacifique et porteur de plus d’espoir pour tous nos citoyens.

À suivre dans le billet suivant : Florilège de discours de dirigeants américains (2008-2012)

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/destinee-manifeste-exceptionnalisme-americain-24-florilege-1973-2008/


[Reprise] Comment la presse de Washington a mal tourné, par Robert Parry

Tuesday 9 December 2014 at 01:40

28 octobre 2014

Exclusif : La presse de Washington se targuait autrefois de demander des comptes aux puissants (les archives du Pentagone, le Watergate, la guerre du Viet-Nam), mais cette époque est depuis longtemps révolue. Pour Robert Parry, elle a été remplacée par un média malléable à souhait, qui place ses bonnes relations avec les arcanes du pouvoir au-dessus de l’intérêt public.

Par Robert Parry

Après la mort la semaine dernière du légendaire directeur du Washington Post Ben Bradlee, à l’âge de 93 ans, beaucoup ont chaleureusement rappelé le style de ce dur à cuire, toujours en quête de scoops retentissants dignes du bon vieux “Arrêtez les rotatives !”

Nombre de souvenirs émus étaient sûrement sélectifs, mais ils contenaient une part de vérité : la vision de la “Une” de Bradley incita bien son personnel à se démener pour suivre les affaires difficiles – au moins pendant le scandale du Watergate quand il soutint Bob Woodward et Carl Bernstein confrontés à l’hostilité de la Maison Blanche. Quel contraste entre les dernières années de Bradley et le travail de ses successeurs au Washington Post !

L’équipe “Watergate” du Washington Post, avec, de gauche à droite, l’éditrice Katharine Graham, Carl Bernstein, Bob Woodward, Howard Simons, et le rédacteur en chef Ben Bradlee.

Par coïncidence, au moment où j’entendais la nouvelle de la mort de Bradley le 21 octobre, je me remémorais la triste dégringolade des médias américains, de l’âge d’or des années 70 avec le Watergate et les archives du Pentagone jusqu’à leur attitude de suppliants obséquieux lorsqu’ils couvraient Ronald Reagan tout juste une décennie plus tard. Cette métamorphose a pavé la voie de la soumission servile des médias à Georges W. Bush les dix dernières années.

Le jour même de la mort de Bradley, je recevais un e-mail d’un collègue journaliste m’informant que Leonard Dowie, qui avait été longtemps son rédacteur en chef avant de lui succéder comme directeur, était en train de diffuser un article du Washington Post attaquant le nouveau film “Kill the Messenger”.

Cet article de Jeff Leen, assistant rédacteur en chef pour les enquêtes, massacrait le défunt journaliste Gary Webb, dont la carrière et la vie furent détruites parce qu’il osa ramener à la surface un des plus hideux scandales de l’ère Reagan, la tolérance du gouvernement américain pour le trafic de cocaïne au Nicaragua des fameux rebelles Contra si chers à Reagan.

“Kill the Messenger” offre une peinture compatissante du calvaire de Webb et se montre critique envers les plus grands journaux, y compris le Washington Post, pour avoir dénoncé Webb en 1996 plutôt que de saisir l’occasion de revenir sur un scandale de sécurité nationale que le Post, le New York Times et les autres grands journaux avaient manqué ou minimisé au milieu des années 80, après un premier reportage de Brian Barger et moi-même sur ce sujet pour l’Associated Press.

Downie, qui devint le rédacteur en chef du Washington Post en 1984 et prit la suite de Bradlee comme directeur en 1991 (il est à présent professeur de journalisme à l’Université d’état de l’Arizona), fit passer l’article de Leen visant Webb aux autres membres de la faculté avec un mot introductif, disant :

Objet : Gary Webb n’était pas un héros, dixit le rédacteur des enquêtes du Washington Post Jeff Leen

« J’étais au Washington Post à l’époque où le journal examinait les articles de Gary Webb, et Jeff Leen a parfaitement raison. Néanmoins, il est trop bon envers un film qui fait passer un mensonge pour un fait historique ».

Comme j’ai connu Downie de loin pendant mes années à la Associated Press (il m’avait jadis appelé à propos de mon article de juin 1985 identifiant Oliver North, assistant au Conseil National de Sécurité, comme un personnage clé dans l’opération secrète pilotée par la Maison Blanche de soutien aux Contras), je lui envoyai un e-mail le 22 octobre lui faisant part de ma consternation vis-à-vis de son « sévère commentaire » dans le but de « m’assurer que ces mots étaient bien les siens et qu’ils reflétaient bien son opinion. »

Je lui demandai : « Pourrais-tu développer exactement ce que tu penses être un mensonge ? » Je notai également que « comme le film sort en salles, je joins un article sur les révélations actuelles des archives gouvernementales concernant ce problème » et envoyai à Downie un lien de cet article. Je n’ai eu aucune réponse. [Pour en savoir plus sur mon évaluation de la populaire pièce de Leen, voir Consortiumnews.com's « WPost's Slimy Assault on Gary Webb. »]

Pourquoi attaquer Webb ?

On pourrait supposer que Leen et Downie ne sont que deux scribouillards de la presse mainstream qui brouillent les pistes, puisqu’ils ont tous deux manqué le scandale de la cocaïne des Contras qui se déroulait sous leurs nez dans les années 80.

Leen était le spécialiste du trafic de drogue et du cartel de Medellin au Miami Herald, mais pour une raison ou une autre il n’est pas parvenu à comprendre qu’une grande partie de la cocaïne des Contras arrivait à Miami et que le cartel de Medellin faisait don de millions de dollars aux Contras. En 1991, pendant le procès du trafic de drogue de Manuel Noriega au Panama, Carlos Lehder, cheville ouvrière du cartel, a même témoigné, en tant que témoin pour le gouvernement américain, qu’il avait fourni 10 millions de dollars aux Contras.

Downie était rédacteur en chef du Washington Post, responsable du suivi de la politique étrangère secrète de l’administration Reagan, mais il a été régulièrement au-dessous du niveau attendu lors des plus grands scandales des années 80 : l’opération d’Ollie North, le scandale de la cocaïne des Contras et l’affaire de l’Irangate. Après cette litanie d’échecs, il a été promu directeur du Post, un emploi en or dans le journalisme américain, où il a été placé pour surveiller la démolition de Gary Webb en 1996.

Quoique le billet de Downie à d’autres professeurs de l’Université d’État de l’Arizona ait appelé l’histoire de la Cocaïne des Contras ou “Kill the Messenger” ou tous les deux « un mensonge », Ryan Grim du Huffington Post a raconté récemment, dans un article sur l’assaut des grands médias contre Webb, que « le rédacteur en chef du Post à l’époque, Leonard Downie, m’a dit qu’il ne se rappelle pas de l’incident assez bien pour pouvoir le commenter. »

Mais il y a plus ici que deux ou trois cadres de presse trouvant plus facile de taper sur un journaliste qui n’est plus là pour se défendre que d’admettre leurs propres échecs professionnels. Ce que Leen et Downie représentent est l’incapacité institutionnelle du journalisme américain à protéger les citoyens américains, choisissant à la place la protection de la structure du pouvoir américain.

Souvenons-nous qu’au milieu des années 80, quand Barger et moi-même avons révélé le scandale Contra-cocaïne, le trafic se faisait au moment même. Ce n’était pas de l’histoire. Les différents moyens souterrains de Contra acheminaient la cocaïne dans les villes américaines où une partie était transformée en crack. Si l’on avait agi à ce moment-là, au moins quelques-unes de ces expéditions auraient pu être stoppées et un certain nombre des trafiquants Contra poursuivis en justice.

Et pourtant, au lieu de s’unir pour dévoiler ces crimes, les grands journaux d’information tels que le New York Times ou le Washington Post ont choisi de détourner les yeux. Dans son article, Leen justifie ce comportement avec le supposé principe journalistique qu’« une dénonciation hors du commun nécessite une preuve hors du commun. » Mais ce critère doit aussi être mis en balance avec cette menace contre le peuple américain et d’autres qu’est la dissimulation d’une affaire.

Si le principe de Leen veut dire en réalité qu’aucun niveau de preuve n’était suffisant pour rendre compte que l’administration Reagan protégeait les trafiquants de cocaïne de Contra, alors il veut dire que les médias américains donnaient leur assentiment à l’activité criminelle qui ravageait les villes américaines, détruisait d’innombrables vies et submergeait les prisons de petits trafiquants pendant que de puissants personnages liés au monde de la politique restaient intouchables.

Ce constat est, en gros, partagé par Doug Farah, qui était un correspondant du Washington Post en Amérique centrale du temps où Webb lançait sa série d’articles “Dark Alliance” [Alliance obscure] en 1996. Après avoir lu ces chroniques de Webb dans le San Jose Mercury News, Farah était désireux de mettre en avant cette affaire Contra-cocaïne mais il rencontra d’invraisemblables demandes de preuves de la part de ses éditeurs.

Farah a dit à Ryan Grim : « Si vous parlez de la tolérance – voire promotion – de notre organisation du renseignement pour les drogues pour financer des opérations secrètes, c’est une chose assez incommode à faire pour un média institutionnel tel que le Post… Si vous alliez vous retrouver à heurter directement le gouvernement, ils voulaient que ce soit sur des bases si solide qu’il était presque impossible d’y arriver. »

En d’autres mots, « preuve extraordinaire » signifiait que jamais on ne pouvait écrire un papier sur ce sujet sensible car il n’existe pas de preuve 100% parfaite, apparemment même lorsque le directeur des recherches de la CIA confesse, comme il l’a fait en 1988, que la plus grande partie de ce que Webb, Barger et moi-même avions rapporté était vraie et qu’il y avait beaucoup, beaucoup plus à dire. [Voir Consortiumnews.com : "The sordid Cocaïne Scandal."]

Qu’est-il arrivé à la presse ?

Comment cette mutation du journalisme de Washington a-t-elle eu lieu – d’une corporation journalistique agressive des années 1970 à la corporation de pigeons des années 1980 et au delà – est un important chapitre perdu de l’histoire Américaine moderne.

L’essentiel de ce changement a émergé du naufrage politique qui suivit la guerre du Vietnam, l’affaire des archives du Pentagone, le scandale du Watergate, et la révélation des abus de la CIA dans les années 70. Les structures de pouvoir américaines, particulièrement la droite, répliquèrent, qualifiant les médias d’information américains de « libéraux » et remettant en question le patriotisme de certains journalistes et rédacteurs.

Mais il n’est pas besoin de beaucoup leur forcer la main pour obtenir que les organes d’information grand public rentrent dans le rang et se prosternent. Nombre des responsables de presse sous lesquels j’ai travaillé partageaient les vues des structures du pouvoir affirmant que les manifestations contre la guerre du Vietnam étaient déloyales, que le gouvernement américain se devait de répliquer à des humiliations telles que la crise des otages en Iran, et que le public rétif se devait d’être remis en rang derrière des valeurs plus traditionnelles.

Chez Associated Press, son plus haut cadre dirigeant, Keith Fuller, le directeur général, fit un discours à Worcester, dans le Massachusetts, en 1982, saluant l’élection de Reagan en 1980 comme la noble répudiation des excès des années 60 et la nécessaire correction de la perte de prestige national des années 70. Fuller cita l’investiture de Reagan et la libération simultanée des 52 otages américains en Iran le 20 janvier 1981 comme un virage pour la nation par lequel Reagan ressuscita l’esprit américain.

« Lorsque l’on regarde en arrière vers les turbulentes années 60, on frissonne à la mémoire d’un temps où les tensions semblaient déchirer ce pays », disait Fuller, ajoutant que l’élection de Reagan représentait une nation « criant : assez ! »

« Nous ne croyons pas que l’union d’Adam et de Bruce soit vraiment la même chose que l’union d’Adam et Eve aux yeux de la Création. Nous ne croyons pas que les gens doivent encaisser des chèques d’aide sociale pour les dépenser en alcool et narcotiques. Nous ne croyons pas vraiment qu’une simple prière ou un serment de fidélité dans une salle de classe soit opposé à l’intérêt national. »

« Nous sommes fatigués de notre ingénierie sociale. Nous en avons marre de notre tolérance pour le crime, les drogues et la pornographie. Mais par-dessus tout, nous n’en pouvons plus du fardeau de notre bureaucratie auto-perpétuante qui pèse toujours plus lourdement sur nos épaules. »

Les opinions de Fuller n’étaient pas rares dans les instances dirigeantes des grands médias d’information, où la réaffirmation par Reagan d’une politique étrangère agressive était spécialement bien reçue. Au New York Times, le directeur Abe Rosenthal, un néoconservateur de la première heure, s’était juré de ramener son journal « au centre », ce par quoi il entendait à droite.

Il y avait aussi une dimension sociale à cette retraite journalistique. Par exemple, Katharine Graham, longtemps rédactrice au Washington Post, avait trouvé désagréables les tensions résultant des risques qu’il y a à pratiquer un journalisme d’opposition. De plus, c’était une chose que de s’en prendre au socialement inepte Richard Nixon, c’en était une tout autre que de défier les socialement habiles Ronald et Nancy Reagan, que personnellement Mme Graham appréciait.

La famille Graham embrassa aussi le néo conservatisme, approuvant les politiques agressives contre Moscou et le soutien indiscuté à Israël. Très vite, les éditeurs du Washington Post et de Newsweek reflétèrent les préjugés de la famille.

J’ai fait face à cette réalité quand je suis passé de l’Associated Press à Newsweek en 1987 et que j’ai trouvé le directeur Maynard Parker, en particulier, hostile au journalisme plaçant la conduite de la Guerre Froide de Reagan sous un éclairage négatif. J’avais eu une bonne part de responsabilité dans l’éclatement du scandale de l’Iran-Contra à l’AP, mais on m’a dit à Newsweek « [qu'on] ne [voulait] pas d’un autre Watergate. » La crainte était apparemment que les tensions politiques provoquées par une nouvelle crise constitutionnelle autour d’un président républicain puissent briser la cohésion politique nationale.

La même chose était vraie pour l’affaire Contra-cocaïne, que l’on m’a empêchée de développer à Newsweek. En effet, quand le sénateur John Kerry la fit progresser avec un rapport sénatorial publié en avril 1989, Newsweek ne manifesta aucun intérêt et le Washington Post enfouit l’affaire au plus profond de ses pages intérieures. Par la suite, Newsweek disqualifia Kerry en le traitant « d’excité fanatique de conspirationnisme. » [Pour les détails, voyez Lost History de Robert Parry]

S’adapter parfaitement au modèle

Autrement dit, la brutale destruction de Gary Webb suivant sa relance du scandale Contra-cocaïne en 1996 – quand il étudia les conséquences d’un des réseaux de la cocaïne des Contras sur le trafic du crack à Los Angeles – n’avait rien que de parfaitement ordinaire. C’était un des aspects du modèle d’asservissement à l’appareil de sécurité nationale, spécialement sous les Républicains et ceux de l’aile droite, mais s’étendant aussi à ceux de la ligne dure des Démocrates.

Ce modèle de parti pris s’est poursuivi dans la dernière décennie, et même quand le problème était de savoir si les votes des citoyens américains devaient être comptés. Après les élections en 2000, lorsque George W. Bush trouva cinq républicains à la Cour Suprême des États-Unis pour ordonner l’arrêt du décompte des votes dans l’état clé de Floride, les dirigeants des grands médias d’information étaient plus préoccupés de la protection de la fragile et entachée « légitimité » de la victoire de Bush que de s’assurer que le véritable gagnant des élections américaines devienne le président.

Après la décision de la majorité républicaine à la Cour Suprême garantissant que les votes en Floride – et donc la présidence – iraient à Bush, quelques responsables, y compris le directeur du New York Times Howell Raines, se hérissèrent devant des propositions de faire faire par les médias un compte des votes contestés, d’après un cadre du New York Times présent à ces discussions.

L’idée de ce décompte par les médias était de déterminer lequel des candidats à la présidence avaient en réalité les faveurs de la Floride, mais Raines n’acceptait de revenir sur son attitude vis-à-vis du projet que si les résultats n’indiquaient pas que Bush aurait dû perdre, une préoccupation qui s’aggrava après les attaques du 11 septembre, selon le compte rendu du cadre du Times.

Le sujet d’inquiétude de Raines se concrétisa lorsque les organisations de journalistes achevèrent en novembre 2001 leur décompte non-officiel des votes contestés de la Floride, et qu’il s’avéra que Al Gore aurait remporté la Floride si tous les votes légalement exprimés avaient été comptés, quelle que soit la façon d’apprécier les fameux confettis, un peu enfoncés, pendus, ou carte perforée de part en part. [NdT : les machines à voter, qui étaient censées perforer des cartes, ne fonctionnaient pas toujours très bien, ou étaient mal utilisées par les électeurs. D'où les problèmes d'interprétation de certains votes.]

La victoire de Gore aurait été assurée par ceux que l’on appelle les “sur-votants”, ceux qui non seulement perforent la case correspondant au nom du candidat mais en plus écrivent son nom sur la carte. Selon la loi de Floride, de tels “sur-votes” sont légaux et ils font irruption en faveur de Gore. [Voir sur Consortiumnews.com "So Bush Did Steal the White House" ou notre livre Neck Deep].

En d’autres termes, c’est au mauvais candidat qu’a été attribuée la présidence. Cependant, ce fait surprenant est devenu une vérité gênante que les principaux médias américains ont décidé de cacher. Donc, les grands journaux et grandes chaînes TV ont caché leurs propres informations sensationnelles lors de la publication des résultats le 12 novembre 2001.

Au lieu de déclarer clairement que les votes légaux en Floride étaient en faveur de Gore – et que ce n’était pas la bonne personne qui était à la Maison Blanche – les principaux médias se mirent en quatre pour concocter d’hypothétiques situations dans lesquelles Bush pouvait toujours avoir gagné la présidence, comme si le recomptage avait été limité à quelques comtés ou si les “sur-votes” légaux avaient été exclus.

La réalité de la victoire légitime de Gore était enfouie profondément au milieu des autres affaires ou reléguée dans les graphiques accompagnant les articles. Tout lecteur ne faisant que passer aura fini sa lecture du New York Times ou du Washington Post en concluant que Bush avait réellement gagné la Floride et qu’après tout il était le légitime président.

La manchette du Post disait « d’après le nouveau compte en Floride Bush aurait été en tête. » Celle du Times « l’étude des votes contestés en Floride conclut que ce n’est pas la décision des juges qui a décidé du vote. » Quelques chroniqueurs, comme l’analyste des médias du Post Howard Kurtz, ont même lancé des frappes préventives contre quiconque prétendrait lire les petits caractères et détecterait le “chapeau” caché annonçant la victoire de Gore. Kurtz qualifiait ces gens de “théoriciens de la conspiration.” [Washington Post, 12 novembre 2001]

Un reporter furieux

Après avoir lu ces histoires biaisées sur la « victoire de Bush », j’ai écrit un article pour Consortiumnews.com faisant remarquer que les “chapeaux” évidents auraient dus être ceux révélant que Gore avait gagné. J’ai suggéré que l’opinion des responsables de l’édition des journaux avait pu être influencée par le désir d’apparaître patriote, deux mois seulement après le 11 septembre. [Voir Consortiumnews.com "Gore's Victory"]

Mon article était à peine publié depuis seulement deux heures, que je recevais un appel téléphonique furieux de la correspondante du New York Times Felicity Barringer m’accusant d’attaquer l’intégrité journalistique du directeur Raines.

Bien que Raines et d’autres directeurs aient pu penser que ce qu’ils faisaient était « bon pour le pays », ils étaient en réalité en train de trahir leur plus fondamental devoir envers le peuple américain, celui de leur donner des faits aussi complet et exact que possible. En donnant de Bush un faux portrait de vrai vainqueur en Floride et donc au collège électoral, ces directeurs de journaux lui insufflèrent une fausse légitimité dont il a abusé en menant le pays à la guerre en Irak en 2003.

Là encore, dans cet élan pour l’invasion de l’Irak, les principaux médias d’information se sont conduits plus en propagandistes dociles qu’en journalistes indépendants, faisant leurs les fausses affirmations de Bush sur les armes de destruction massive et se joignant au chœur des chauvinistes célébrant « les troupes » et le début de la conquête de l’Irak.

En dépit de l’embarras que connurent plus tard les médias du fait du mensonge sur les armes de destruction massive et du désastre de la guerre en Irak, les responsables de l’information des médias principaux n’eurent à faire face à aucune responsabilité. Howell Raines a perdu son poste en 2003 non à cause de son manque d’éthique dans le traitement du recomptage en Floride ou de ses faux reportages sur la guerre d’Irak, mais parce qu’il avait fait confiance au journaliste Jayson Blair qui avait fabriqué de fausses sources dans l’affaire des tireurs du périphérique du Maryland.

A quel point l’opinion du Times a pu devenir biaisée est souligné par le fait que le successeur de Raines, Bill Keller, avait écrit un important article – « Le Club des Je-Ne-Peux-Pas-Croire-Que-Je-Sois-Un-Faucon » – saluant les “libéraux” qui l’avaient rejoint dans le soutien à la guerre en Irak. Autrement dit, on peut être chassé si l’on fait confiance à un journaliste malhonnête mais on peut être promu si l’on fait confiance à un président malhonnête.

De la même manière, au Washington Post, l’éditorialiste Fred Hiatt, qui ne cessait de rapporter comme « fait établi » que l’Irak cachait des stocks d’armes de destruction massive, n’a pas eu à affronter la sorte de disgrâce journalistique qui a été infligée à Gary Webb. A la place, Hiatt s’accroche au même emploi prestigieux, écrivant la même sorte d’éditoriaux néoconservateurs déséquilibrés que ceux qui ont téléguidé le peuple américain dans le désastre iraquien, sauf que maintenant Hiatt montre le chemin pour des confrontations plus dures en Syrie, en Iran, en Ukraine et en Russie.

Donc, il n’est peut-être pas surprenant que cette corporation profondément corrompue qu’est la presse de Washington se déchaîne contre Gary Webb au moment où sa réputation a une chance tardive de réhabilitation posthume.

Mais combien bas est tombée la si vantée presse de Washington est illustré par le fait que c’est au cinéma hollywoodien – de toute nature – qu’a été laissé la charge de remettre l’histoire d’aplomb.

Le reporter d’investigation Robert Parry a révélé de nombreuses affaires d’Iran-Contra pour l’Associated Press et Newsweek dans les années 80. Vous pouvez acheter ici son nouveau livre, le «Récit Volé de l’Amérique”, ou en version numérique (sur Amazon et barnesandnoble.com). Pendant une période limitée, vous pouvez aussi commander la trilogie de Robert Parry sur la famille Bush et ses rapports avec divers agents secrets de droite pour seulement $34. La trilogie inclut le « Récit Volé de l’Amérique”. Pour des détails sur cette offre, cliquez ici.

Source : Consortium News, le 28/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/comment-la-presse-de-washington-a-mal-tourne/


La « Destinée manifeste » et l’exceptionnalisme américain [1/4] : Histoire de deux concepts essentiels

Monday 8 December 2014 at 04:44

Grâce à vos dons, nous avons pu embaucher un excellent stagiaire pour m’aider à la rédaction (nous avons encore besoin de vous, l’information indépendante ne peut hélas pas être totalement gratuite…). Voici donc la première série de billets d’Édouard…

[Americain Progress (1872) – John Gast : Allégorie de la « Destinée manifeste » représentée par Columbia - la personnification féminine des États-Unis au XIXe siècle – guidant les colons américains vers les ténèbres sauvages de l'Ouest pour y apporter la lumière (et en profite pour câbler le télégraphe au passage)1]

L’origine de la fondation des États-Unis découle d’une vision idéaliste et religieuse. La découverte du « Nouveau Monde » devait permettre la construction d’un état idyllique, en opposition aux nations décadentes d’Europe2. Dès 1630, l’avocat puritain et fondateur de la Colonie de la baie du Massachusetts, John Winthrop, dans son sermon « A Model of Christian Charity », déclara que les puritains du Nouveau Monde avaient la mission divine de construire une « Cité sur la colline » (City upon a hill)3 ; expression tirée de l’Évangile selon Matthieu (5:14) : « Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée ». La Révolution américaine et l’apparition de la première nation républicaine et démocratique forgèrent le concept d’ « exceptionnalisme américain ». En effet, la Déclaration d’indépendance de 1776 et la Constitution américaine de 1787 mentionnèrent des principes et des valeurs, dont la vocation était d’être appliqués à l’ensemble de l’humanité.

À son retour de voyage, Alexis de Tocqueville déclara :

« La situation des Américains est donc entièrement exceptionnelle, et il est à croire qu’aucun peuple démocratique n’y sera jamais placé. » [Alexis de Tocqueville, 1835-1840, De la démocratie en Amérique]

Cette conception justifia alors l’idée que les États-Unis étaient dotés d’une « Destinée manifeste », et qu’une mission civilisatrice leur avait été dévolue afin de répandre leur modèle sur l’ensemble du continent4. En 1812, lorsque les États-Unis profitèrent des conquêtes napoléoniennes pour porter la guerre aux colonies britanniques du Canada, Andrew Jackson, alors général en chef et futur président des États-Unis d’Amérique, révéla déjà des prétentions impériales :

« Nous allons nous battre pour défendre notre droit au libre-échange et pour ouvrir le marché aux produits de notre sol » [...] « les jeunes hommes d’Amérique sont animés par l’ambition d’égaler les exploits de Rome ». [Andrew Jackson, 1812, University of Tennesee]

Le terme de « Destinée manifeste » apparut pour la première fois en 1844, dans un article du directeur de la Democratic Review, John O’Sullivan :

« Notre Destinée Manifeste [consiste] à nous étendre sur tout le continent que nous a alloué la Providence pour le libre développement de nos millions d’habitants qui se multiplient chaque année» [John O'Sullivan, cité p. 23 de Nouailhat Yves-Henri, Les États-Unis et le monde, de 1898 à nos jours, 2003]

Ainsi, les Américains avaient pour mission divine de s’implanter démographiquement et institutionnellement sur l’ensemble du continent nord-américain. Pour parvenir à la création de cet État exceptionnel, les fondateurs des États-Unis décidèrent de limiter l’implication américaine dans la politique européenne. Ceci se traduisit à travers la doctrine du « non-engagement », , dont Thomas Jefferson (1801-1809) fut l’un des avocats :

« J’ai toujours considéré comme fondamental pour les États-Unis de ne jamais prendre part aux querelles européennes. Leurs intérêts politiques sont entièrement différents des nôtres. Leurs jalousies mutuelles, leur équilibre des puissances (forces), leurs alliances compliquées, leurs principes et formes de gouvernement, ils nous sont tous étrangers. Ce sont des nations condamnées à la guerre éternelle. Toutes leurs énergies sont dévolues à la destruction du travail, de la propriété et des vies de leurs peuples. » [Thomas Jefferson, 1823, Source]

La volonté messianique d’expansion des dirigeants américains fut sécurisée avec la doctrine Monroe (1823) qui sanctuarisa le territoire continental en condamnant toute intervention européenne dans les affaires « des Amériques » comme celle des États-Unis dans les affaires européennes.

À partir de la fin du XIXe siècle, les États-Unis, une fois leurs frontières continentales fixées, cherchèrent à exporter leurs valeurs marchandes et culturelles dans le reste du monde. Dès lors, la notion de « Destinée manifeste » se divisa entre deux visions des relations internationales, l’une réaliste et l’autre idéaliste. Théodore Roosevelt utilisa la « Destinée manifeste » pour justifier l’interventionnisme des États-Unis au-delà de leurs frontières nationales. Son discours de 1904, « corollaire à la doctrine Monroe », affirma que les États-Unis avaient le devoir d’intervenir en Amérique Latine et aux Caraïbes, lorsque leurs intérêts étaient menacés :

« L’injustice chronique ou l’impuissance qui résulte d’un relâchement général des règles de la société civilisée peut exiger, en fin de compte, en Amérique ou ailleurs, l’intervention d’une nation civilisée et, dans l’hémisphère occidental, l’adhésion des États-Unis à la doctrine de Monroe peut forcer les États-Unis, même à contrecœur, dans des cas flagrants d’injustice et d’impuissance, à exercer un pouvoir de police international. » [Théodore Roosevelt, Discours prononcé au Congrès, 6 décembre 1904, Wikipedia]

Cette « police internationale » initiée par la vision réaliste de Roosevelt, avait pour objectif premier, non pas la propagation du modèle américain, mais la répression des déviances politiques faisant obstacle aux intérêts des États-Unis5.

Pour le président américain Thomas Woodrow Wilson, les États devaient se conformer à des règles internationales représentées par des institutions supranationales. Wilson se servit du concept de « Destinée manifeste » pour légitimer le fait que les États-Unis avaient la mission d’apporter la liberté et la justice au reste du monde :

« Je crois que Dieu a présidé à la naissance de cette nation et que nous sommes choisis pour montrer la voie aux nations du monde dans leur marche sur les sentiers de la liberté. » [Woodrow Wilson, cité par Ronald Steel, Mr Fix-it, in New York Review of Books, 5 octobre 2000, pp.19-21]

À la suite de la Première Guerre mondiale, il représenta les États-Unis comme le ”sauveur de monde”, porteur d’un modèle exceptionnel à vocation universelle :

« L’Amérique est la seule nation idéale dans le monde […] L’Amérique a eu l’infini privilège de respecter sa destinée et de sauver le monde […] Nous sommes venus pour racheter le monde en lui donnant liberté et justice. » [Woodrow Wilson, cité par Bernard Vincent, La Destinée Manifeste, Messène, Paris, 1999]

L’idéologie impérialiste et suprémaciste américaine, représentée par les concepts de « Destinée manifeste » et d’ « exceptionnalisme américain », est donc l’héritière des visions réaliste et idéaliste de Roosevelt et Wilson.

Bien que le concept d’ « exceptionnalisme américain » date des années 1830, l’expression « American exceptionalism » fut utilisée pour la première fois en 1929, lorsque Joseph Staline condamna les propos des membres du Parti communiste américain, qui considéraient que les États-Unis étaient indépendants des lois marxistes de l’Histoire, « grâce à leurs ressources naturelles, leurs capacités industrielles, et à l’absence d’une importante lutte des classes ». Staline dénonça alors « l’hérésie de l’exceptionnalisme américain »6. La Grande Dépression mit à mal la théorie de l’exceptionnalisme américain, et en juin 1930, lors du congrès national du Parti communiste américain à New York, il fut déclaré que :

« La tempête de la crise économique aux Etats-Unis a renversé le château de cartes de l’exceptionnalisme américain, ainsi que le système tout entier des théories opportunistes et des illusions qui ont été forgées sur le mythe de la prospérité du capitalisme américain. » [Johnpoll, Bernard K, A Documentary History of the Communist Party of the United States, Vol. II, Westport, Conn: Greenwood Press, 1994, p. 196]

 Dans le contexte historique de la Guerre froide, la doctrine américaine Truman – opposée à la future doctrine soviétique Jdanov – s’inspira du concept de « Destinée manifeste » quant au devoir de protection des « peuples libres » :

 « Je crois que les États-Unis doivent soutenir les peuples libres qui résistent à des tentatives d’asservissement […]. Je crois que nous devons aider les peuples libres à forger leur destin […]. Je crois que notre aide doit consister essentiellement en un soutien économique et financier. […] de maintenir la liberté des États du monde et à les protéger de l’avancée communiste. » [Harry Truman, Congrès des États-Unis, 12 mars 1947, Wikipedia]

Ce « soutien économique et financier », à travers le plan Marshall, permit de faire entrer les nations européennes dans la zone d’influence américaine. Malgré les tensions induites par le contexte de Guerre froide, les présidents américains continuèrent à faire référence à « l’exceptionnalisme américain » et à leur « Destinée manifeste ». En 1961, le Président John F. Kennedy reprit l’expression « City upon a hill » de Winthrop et déclara :

« Plus que n’importe quel peuple sur Terre, nous portons les fardeaux et acceptons les risques sans précédent – de part leur taille et leur durée – non pas pour nous seuls mais pour tous ceux qui souhaitent être libres. » [John F. Kennedy, 1961, Foreign Policy]

Le président Jimmy Carter affirma quant à lui dans son discours du 2 mai 1977 :

« Nous avons notre forme de gouvernement démocratique que nous pensons être la meilleure. Dans tout ce que je fais concernant la politique intérieure ou extérieure, j’essaie de faire en sorte que les gens réalisent que notre système fonctionne […] et que cela puisse servir d’exemple à d’autres. » [Jimmy Carter, 1977, Source]

À partir des années 1980, Ronald Reagan fit la synthèse entre le réalisme de Roosevelt et l’idéalisme wilsonien. D’un côté, il chercha à provoquer la chute de l’URSS en la désignant comme « l’Empire du mal »7, en l’entraînant dans la « Guerre des étoiles », et en finançant les opposants au communisme dans plusieurs pays. D’autre part, Reagan renoua avec la « Destinée manifeste » en se faisant le défenseur de la diffusion de la démocratie dans le monde :

« Dans le monde entier aujourd’hui, la révolution démocratique gagne en force […]. Nous devons être fermes dans notre conviction que la liberté n’est pas uniquement la prérogative de quelques privilégiés mais un droit inaliénable et universel pour tous les êtres humains. » [Ronald Reagan, Discours du 8 juin 1982, in Les relations internationales au temps de la guerre froide, Paul Vaiss, Klaus Morgenroth, 2006, p.181]

Après l’effondrement de l’URSS, l’administration du président Georges Bush lança le concept de « Nouvel Ordre Mondial », dont le but était d’assurer la suprématie des États-Unis et la sécurité de leurs alliés :

«  Nous nous devons aujourd’hui, en tant que peuple, d’avoir une intention de rendre meilleure la face de la nation et plus douce la face du monde. » [George Bush, 1989, Current Documents, p. 4]

Sous la présidence de Bill Clinton, la diffusion du modèle politique américain à travers le monde se conjugua avec la défense du libéralisme économique :

« Notre stratégie de sécurité nationale est donc fondée sur l’objectif d’élargir la communauté des démocraties de marché tout en dissuadant et en limitant la gamme des menaces qui pèsent sur notre nation, nos alliés et nos intérêts. Plus la démocratie et la libéralisation politique et économique s’imposeront dans le monde, notamment dans les pays d’importance stratégique pour nous, plus notre nation sera en sécurité et plus notre peuple sera susceptible de prospérer. » [Extrait du document Stratégie de sécurité nationale, présenté par le Conseil de sécurité Nationale de l’administration Clinton (1994-96), Source]

L’administration Clinton reprit à son compte l’exceptionnalisme américain en créant l’expression de « nation indispensable » pour caractériser les États-Unis d’Amérique vis-à-vis du reste du monde.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont provoqué une radicalisation de la stratégie internationale des États-Unis, notamment à travers l’élaboration d’une politique étrangère « hyper-interventionniste ». Sous l’influence des néo-conservateurs américains8, les États-Unis ont ouvertement planifié le renversement des régimes qui étaient alors hostiles aux intérêts américains :

« Les États-Unis s’efforceront constamment d’attirer le soutien de la communauté internationale, mais n’hésiteront pas à agir seuls, si nécessaire, afin d’exercer leur droit à la défense, en agissant de façon préventive contre les terroristes, dans le but de les empêcher de causer des dommages au peuple américain et au pays. » [Stratégie de Sécurité Nationale de l’administration Bush en 2002, Source]

C’est encore au nom de la « Destinée manifeste », de l’ « exceptionnalisme américain », que les États-Unis sont pris la décision d’entrer en guerre contre « l’axe du mal », sans estimer nécessaire de recevoir l’aval de l’ONU. Pour les néo-conservateurs américains, cette violation du droit international n’est pas condamnable. En effet, l’ « exceptionnalisme américain » comporte également un aspect psychologique qui est « l’inculpabilité de l’américanisme, c’est-à-dire l’impossibilité absolue que l’américanisme puisse être coupable dans le sens d’un acte répondant à une intention, une appréciation, un jugement mauvais ». Les États-Unis d’Amérique sont ainsi considérés comme « bien absolu et justice pure », et par conséquent, « rien de ce que fait l’Amérique dans le reste du monde ne peut être objectivement mauvais pour le reste du monde »9. Ainsi, au regard du passé, l’administration Bush est moins le symbole d’une rupture que de la mise en œuvre de l’idéologique « néo-conservatrice », alliant l’idéalisme théorique wilsonien au réalisme pratique de Roosevelt :

« […] pour la première fois, le wilsonisme serait réaliste puisqu’il ne s’affirmerait plus par l’intermédiaire d’une organisation internationale impuissante ou suspecte, mais par celui d’un empire irrésistible et bienveillant. » [Pierre Hassner et Justin Vaisse, Questions Internationales, p. 55]

Plus récemment, l’ « exceptionnalisme américain » a été placé au centre du débat politique américain. Le 4 avril 2009, lors d’une conférence de presse tenue à Strasbourg, Barack Obama déclara :

« Je crois dans l’exceptionnalisme américain, exactement comme je suspecte que les Britanniques croient dans l’exceptionnalisme britannique et les Grecs croient dans l’exceptionnalisme grec. » [Barack Obama, 2009, conférence de presse à Strasbourg, The American Presidency Project]

En 2010, un sondage a révélé que 80 % des Américains soutenaient l’idée que les États-Unis « possèdent un caractère unique, qui en fait le plus grand pays du monde », et que seulement 58 % d’entre eux affirmaient que « Barack Obama le pense également »10. Dans un objectif purement électoraliste, les Républicains se sont alors emparés de ce concept et l’ « exceptionnalisme américain » a été au cœur du débat de la campagne présidentielle11.

Aujourd’hui, les moyens d’accomplir la « Destinée manifeste » des États-Unis diffèrent selon le contexte, l’emplacement géographique et la présence ou non de matières premières. D’après l’article de Philippe Grasset (DeDefensa) « Notre exceptionnalisme-suprémacisme » :

« les pays européens, ont endossé cette dialectique prédatrice caractérisant aujourd’hui l’Occident dans son entier. [...] L’exceptionnalisme-suprématisme a complètement envahi l’UE, à visage découvert, véritablement comme une doctrine active de fonctionnement [...]  Ce qui était sur le moment le simple résultat d’une mécanique bureaucratique est devenue une sorte de doctrine activiste, fondée sur l’affirmation d’une sorte de supériorité morale, psychologique et technologique comme un équivalent postmoderniste à la supériorité raciale et ethnique des suprématismes des XIXème-XXème siècles. » [Philippe Grasset, 4 juin 2014, Dedefensa]

À suivre dans le billet suivant : Florilège de discours de dirigeants américains (1973-2008) 

Edouard

  1. http://fr.wikipedia.org/wiki/Destin%C3%A9e_manifeste
  2. http://www.thucydide.com/realisations/comprendre/usa/usa1.htm
  3. http://en.wikipedia.org/wiki/American_exceptionalism
  4. http://fr.wikipedia.org/wiki/Destin%C3%A9e_manifeste
  5. http://www.thucydide.com/realisations/comprendre/usa/usa3.htm
  6. Pease, Donald E. Editors: Bruce Burgett and Glenn Hendler. “Exceptionalism”, pp.108–112, in Keywords for American Cultural Studies. NYU Press, 2007
  7. Ronald Reagan, Discours sur l’état de l’Union de 1985
  8. voir les révélations de Wesley Clark : http://www.youtube.com/watch?v=vE4DgsCqP8U
  9. http://www.dedefensa.org/article-l_inculpabilite_comme_fondement_de_la_psychologie_americaniste_06_05_2006.html
  10. http://www.gallup.com/poll/145358/americans-exceptional-doubt-obama.aspx
  11. http://www.slate.fr/monde/62941/elections-usa-2012-exceptionnalisme-obscurantisme

Source: http://www.les-crises.fr/destinee-manifeste-exceptionnalisme-americain-14-histoire/


[Reprise] Cinq lieux où la troisième guerre mondiale pourrait éclater

Monday 8 December 2014 at 00:01


http://nationalinterest.org/files/styles/main_image_on_posts/public/main_images/pix1_101614.jpg?itok=YmUPG26V

Où l’impensable pourrait arriver.

James Hardy
le 17 octobre 2014

Il semble que par les temps qui courent le monde soit littéralement en feu. Le conflit continue de manière intermittente en Ukraine, il y a des tensions dans toute la zone Asie-Pacifique, Ebola se déchaîne, Daech poursuit sa guerre d’usure sanglante en Syrie et en Irak, et ainsi de suite. Et pourtant, se pourrait-il que quelque chose d’encore pire pointe à l’horizon – un conflit avec des ramifications mondiales encore plus graves ?

Avant que nous ne commencions cette incursion dans les cinq endroits où la Troisième Guerre Mondiale pourrait éclater, je me dois de préciser quelques qualificatifs et ambigüités.

Tout d’abord, qu’est ce qu’une Troisième Guerre Mondiale ? Comme l’illustrent la crise en Ukraine et le combat mené par l’administration Obama pour définir ce qui se passe en Syrie/Irak du nord, “la Guerre industrielle façon 20e siècle” est dépassée, et ce depuis un certain temps déjà.

Certaines des prédictions qui suivent considèrent un effondrement de régime menant à une guerre, quand dans le même temps le spectre d’une attaque terroriste conduite avec des armes de destruction massive peut très rapidement prendre une tournure apocalyptique. Cela dit, il pourrait ne s’agir que d’un aspect des possibilités : la violence d’État à État restera encore théoriquement et pratiquement possible aussi longtemps que les États-nations posséderont les moyens de dépenser du sang et de l’argent.

C’est pourquoi la plupart des prédictions ci-dessous examinent la possibilité d’une attaque et contre-attaque de type conventionnel entre des nations. Aucune puissance dotée de l’arme nucléaire – que ce soit les États-Unis, la Chine ou la Russie – n’accepterait dans un conflit conventionnel une défaite face à un adversaire de la même catégorie sans lui avoir aussi infligé la peine maximale.

C’est là une très bonne raison expliquant pourquoi la Troisième Guerre mondiale telle que nous la concevons est peu probable ; c’est aussi pourquoi toutes les possibilités évoquées ci-dessous incluent des entités ayant l’arme nucléaire ou la possibilité de l’avoir.

La Corée du Nord contre le Reste du Monde

Les informations en provenance de Pyongyang ces dernières semaines faisant état d’un Kim Jong-Un malade ont rappelé au monde que l’Asie du Nord avait sa propre variété très particulière d’extrémistes manifestant sans réserve des convictions préfabriquées. L’opinion générale intelligente sur la Corée du Nord est que ses ‘provocations’, pour employer le terme en usage, sont des étapes graduées dans un jeu d’escalade contrôlé que Kim joue pour recevoir des concessions sous forme d’aides ou d’offres économiques généreuses de la part de la communauté internationale.

Les discussions en cours entre la Corée du Nord et le Japon au sujet du problème ancien des enlèvements [NDT : de femmes japonaises par les services secrets nord-coréens durant les années 70] en sont juste une déclinaison particulièrement cruelle, par laquelle Pyongyang cherche à exploiter l’importance politique de ce problème au Japon au moment où les deux parties sont en manque d’alliés en Asie du Nord-Est.

La théorie de la “provocation” tient bien la route, jusqu’au moment où vous réalisez qu’en fin de compte, la Corée du Nord continue à développer un programme d’armes nucléaires et de lanceurs mobiles capable d’envoyer des têtes nucléaires. Dans le même temps, la Corée du Sud fabrique son propre antidote sous la forme d’une « chaîne de la mort » qui se fixe l’objectif ambitieux de détruire les armes nucléaires de Pyongyang avant même qu’elles n’aient pu quitter le sol. Ajoutez à cela que la Chine semble avoir perdu patience – et, plus important, son influence – sur la Corée du Nord depuis les purges et l’exécution de Jang Song Thaek, et la situation dans la péninsule devient beaucoup moins prévisible.

Il est sûr que le fondement même du comportement de la Corée du Nord est la logique absolue de survie du régime. Cependant si Kim meurt ou s’il n’est plus en mesure d’assurer à l’élite de Pyongyang qu’elle tire avantage de son régime, tous les paris sont ouverts.

La Chine contre l’Inde (contre le Pakistan)

La confrontation à la frontière entre l’Inde et la Chine, qui s’est finalement calmée le 27 septembre après presque trois semaines [de tensions], est la dernière illustration en date du point inquiétant que peuvent atteindre les relations entre les deux puissants voisins. L’arrivée récente au Sri Lanka d’un sous-marin de type 039 de la marine populaire chinoise de libération – l’incursion la plus à l’ouest d’un sous-marin chinois – est un autre signe que les priorités stratégiques de Delhi et de Pékin peuvent s’opposer.

En dehors de l’histoire et d’un esprit sanguinaire, il n’y a pas de réelle raison pour laquelle ces deux pays seraient destinés à entrer en guerre. La Chine a conclu un certain nombre de négociations réussies avec les pays voisins sur des conflits frontaliers, — la Ligne de Contrôle Réel [NdT : ligne de démarcation entre les territoires sous autorité indienne et ceux contrôlés par la Chine. En fait la frontière entre l'Inde et la Chine] est le seul différend restant, en fait – et l’Inde est en position stratégique et a la puissance militaire pour exercer la suprématie régionale sur la Région de l’Océan Indien (IOR). Les frontières naturelles de l’Himalaya et de l’Asie du Sud-est ont créé des sphères d’influence géographiques qui devraient satisfaire les deux parties.

Cependant, « l’amitié tout-temps » de Pékin avec le Pakistan et ses mouvements dans l’océan Indien menacent l’hégémonie régionale de l’Inde, alors que la politique tournée vers l’Est de l’Inde est mal perçue en Chine, parce qu’elle rapproche Delhi du Vietnam et du Japon. Ce genre de compétition stratégique – ajouté aux mauvaises décisions sur les points chauds comme le Ladakh et le Cachemire – pourrait entraîner une escalade dont aucun des deux camps ne pourrait sortir.

L’imbroglio du Moyen-Orient

La situation actuelle au Moyen-Orient – que ce soit Daech, l’Irak, Gaza, la Syrie, l’Iran, Israël, le Liban ou les retombées des Printemps arabes – est si déroutante, confuse, horrible et insurmontable que la seule chose qu’on puisse dire en sa faveur est qu’au moins, elle n’a pas provoqué la Troisième Guerre mondiale.

Pour que cela arrive, l’équilibre nucléaire de la région devrait être irrévocablement déstabilisé. Une façon évidente d’y arriver serait que l’Iran obtienne la bombe et qu’Israël réagisse en utilisant les siennes « à l’existence largement suspectée, mais dont il ne faut pas parler ».

Une autre possibilité méritant d’être étudiée de plus près qu’elle ne l’est serait que les Saoudiens renforcent leurs missiles balistiques DF-3 en y adjoignant des SF-21 – une rumeur persistante – ou adaptent des têtes nucléaires sur les plus anciens et moins précis DF-3.

Un autre élément de ce scénario est la question de savoir contre qui seraient pointés ces missiles – l’Iran ou Israël ?

Les autres surprises possibles dans la région comprennent la possibilité pour la Corée du Nord d’aider le régime d’Assad, ou à Daech de mettre la main d’une façon ou d’une autre sur une réserve jusqu’alors inconnue de matériaux fissiles, et d’avoir les cerveaux pour en faire des armes.

À la lumière de tout cela, les tentatives américaines d’empêcher l’Iran d’obtenir la bombe sont encore plus pertinentes ; les raisons pour lesquelles ils n’examinent pas avec la même minutie les intentions des Saoudiens en ce domaine le sont nettement moins.

La Russie contre l’OTAN

Avant que la campagne aérienne contre Daech ne fasse les premières pages des journaux, le grand sujet de l’année était l’interrogation sur ce qui allait exactement se passer dans l’est de l’Ukraine. La destruction en vol d’un avion de ligne, les multiples violations de frontières par les troupes russes et l’annexion de la Crimée se sont additionnés pour forcer les Occidentaux à mener une réévaluation majeure de leur relation avec la Russie de Vladimir Poutine.

La rapidité et l’intelligence de la campagne russe est de mauvais augure pour l’OTAN et les autres organisations multilatérales comme l’UE, empêtrées dans leur approche de décision par comité qui ralentit leur temps de réponse.

Pour être juste avec l’OTAN, l’alliance est consciente de ce problème et a mené diverses tentative pour renforcer ses positions en Europe de l’est. Au sommet du pays de Galles de septembre, elle a commencé à travailler sur les détails d’un Plan d’Action Immédiate qui inclura une force de réaction très rapide et le déploiement d’équipements et de munitions prépositionnés le long de ses frontières orientales.

Cette nouvelle force contrastera avec ce que le correspondant du IHS Jane’s [NdT : Jane's , célèbre éditeur anglais spécialisé dans les publications militaires, racheté par IHS, entreprise américaine semblable] Brooks Tigner a brillamment appelé « la Force de Réaction vraiment pas rapide de l’OTAN, à laquelle il faut des mois pour déployer entièrement ses 20 000 soldats et leur équipement ».

L’OTAN devra aussi s’employer à gagner la guerre de l’information, que Poutine a menée en Ukraine avec autant d’habileté que toutes les confrontations sur le terrain.

Mis à part ces considérations tactiques, le cœur du problème est le mouvement vers l’Est de l’OTAN, auquel sans surprise s’oppose la Russie, ainsi que l’affirmation par Moscou de son droit à « protéger » les minorités russophones dans d’autres pays, ce contre quoi l’OTAN devrait avoir à réagir si des nations membres comme les pays baltes ou la Pologne étaient menacés.

La Chine contre l’Amérique (via Taïwan, le Japon ou la Mer de Chine du Sud)

Dernier point mais non le moindre, le plus important de tous ces conflits potentiels. La menace du « Piège Thucydide » – celui d’une puissance grandissante et d’une puissance dominante finissant par entrer en guerre – est devenue un sujet insigne de discussion dans les relations sino-américaines de ces dernières années.

Certains analystes diront que l’analyse de Thucydide sur la relation entre Sparte et Athènes est une analogie bien faible des relations entre Chine et États-Unis. Néanmoins, il est indéniable que l’émergence de la Chine et son effort militaire change l’équilibre du pouvoir et a un effet dangereux sur un nombre suffisant de points de friction en Asie du Nord-Est.

La caractéristique la plus dangereuse de ces tensions est qu’elle affecte des parties tierces : la mer de Chine du Sud, le Japon, Taïwan ou la Corée du Nord pourraient tous déclencher des conflits locaux menaçant de dégénérer. Les tensions les plus dangereuses, à mon sens, sont les disputes territoriales maritimes, c’est-à-dire qui ont lieu dans les eaux et territoires proches de la Chine, que Pékin réclame et tentera probablement de contrôler si le statu quo devait changer à l’encontre de ses intérêts.

En tête viennent les possibilités de conflit entre Japon et Chine pour les îles Senkaku/Diaoyu, couvertes par le traité de défense américano-japonais, comme le secrétaire américain adjoint à la défense Robert Work vient juste de le répéter.

Un autre point de déflagration potentiel est la mer de Chine du Sud, où les Philippines – elles aussi liées aux USA par un traité – s’alarment de plus en plus des constructions chinoises dans les îles Spratley. Les USA ont été plus réticents à aider Manille qu’ils n’ont été rapide à défendre le Japon, mais ces deux endroits appartiennent à ce que la Chine appelle ses « intérêts centraux » – des mots-codes pour désigner toute chose pour laquelle elle est prête à se battre.

Cependant, le plus gros problème « d’intérêt central » non-résolu est probablement Taïwan. Le spectaculaire pivotement de la puissance militaire de Taïwan vers la Chine a été l’un des plus importants changements dans la sécurité en Asie du Sud-Est au cours des quinze dernières années.

Ian Easton, du Projet 2049 Institute, a récemment affirmé que « contrairement à ce qui a été rapporté, Taïwan a la capacité d’empêcher la Chine d’avoir la supériorité aérienne et sera probablement en état de maintenir cette capacité dans l’avenir ». C’est possible, mais quoi qu’il en soit, le vrai problème serait la réponse des États-Unis. Un « abandon » de Taïwan par Washington aurait des conséquences si dévastatrices pour sa réputation en tant que partenaire militaire que les USA seront mis dans l’obligation d’intervenir pour défendre l’île. De sorte que les militaires américains se mettraient à la portée de systèmes chinois spécifiquement conçus pour les en empêcher.

Une frappe directe sur un porte-avion américain par un missile balistique anti-navire DF-21D chinois ferait monter la situation d’un cran, et toute attaque des bases américaines au Japon ferait entrer Tokyo dans la guerre. Ce qui adviendrait ensuite dépendrait de la volonté des deux camps de continuer avec des armes conventionnelles – ou bien de ce que les chefs dans l’un ou l’autre pays se sentent contraints d’appuyer sur le bouton.

James Hardy est le rédacteur en chef pour la région Asie Pacifique de la revue IHS Jane’s Defence Weekly. Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues de IHS.

Image: Flickr/U.S. Department of Defense/CC by-nc-nd 2.0

Source : National Interest, le 17/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-cinq-lieux-ou-la-troisieme-guerre-mondiale-pourrait-eclater/


“Les économistes orthodoxes n’ont pas intérêt à ce que le débat ait lieu”, par Gael Giraud

Sunday 7 December 2014 at 02:19

Économiste, chercheur au CNRS, Gaël Giraud a préfacé et assuré la direction scientifique de la traduction le livre de Steve Keen, L’Imposture économique, aux éditions de l’Atelier. Il est l’auteur de l’Illusion financière paru en janvier 2014 aux éditions de l’Atelier. Gaël Giraud était l’invité de Patrick Cohen le 4/12/2014.

Gaël Giraud : “Les économistes orthodoxes n’ont… par franceinter

Gaël Giraud : “L’euro monnaie unique ne marche… par franceinter

Source: http://www.les-crises.fr/les-economistes-orthodoxes-nont-pas-interet-a-ce-que-le-debat-ait-lieu-par-gael-giraud/


[Reprise] L’Inde devrait se tenir à l’écart de la guerre contre l’État Islamique

Sunday 7 December 2014 at 01:45

Un regard d’un diplomate indien…

C’est la troisième fois que l’Inde a à choisir si elle entre ou pas dans la guerre des États-Unis contre le terrorisme. En 2001, le BJP [NdT : le parti Bharatiya Janata] penchait plutôt vers l’idée de rejoindre l’invasion de l’Afghanistan pour renverser le régime des Talibans. Mais les USA étaient plus intéressés à s’assurer le concours de “l’allié hors-OTAN” qu’est le Pakistan, et Perez Musharraf s’est précipité avec enthousiasme.

La deuxième fois est arrivée en 2003, quand, à l’occasion d’une rare visite aux États-Unis, le vice-premier ministre d’alors, L.K. Advani, a favorablement reçu la démarche du ministre des Affaires étrangères d’alors, Donald Rumsfeld, qui proposait à l’Inde de rejoindre la “coalition des volontaires” qui allaient envahir l’Irak. Mais cette folie d’Advani a été rectifiée juste à temps par le Premier ministre Vajpayee.

Maintenant, le Premier ministre Narendoo Modi fait face à un choix similaire : participer ou pas à la “coalition des volontaires” contre l’État Islamique en Irak et en Syrie. Les spécialistes indiens des questions de sécurité semblent être divisés.

Pour enfoncer le clou, Israël a également participé au plus haut niveau à ce qui semble avoir été une ultime tentative pour influencer la façon de voir de Modi, qui conserve apparemment un sens de la mesure dans son appréciation d’une hypothétique menace d’Al-Qaïda sur l’Inde.

Néanmoins, la situation paraît incertaine, avec la NSA [NdT : National Security Agency] qui a campé à Washington durant le week-end. Ce qui est source d’inquiétude est le fait que des “sources haut placées” au sein du gouvernement indien aient commencé à diffuser systématiquement des histoires alarmistes basées sur des conjectures et du renseignement de mauvaise qualité, à peine au-dessus du potin de commère (ici et ici).

Une telle gestion des médias suggère un plan bien calibré de formatage de l’opinion publique en faveur de “India and America chalein saath, saath” (“Inde et Amérique, allons ensemble de l’avant”).

Toutefois, l’Inde commettrait une erreur catastrophique en s’associant de quelque manière que ce soit à la “coalition des volontaires” US contre l’État Islamique. Le premier point à garder à l’esprit est qu’il s’agit d’une guerre ouverte. Le Premier ministre britannique David Cameron vient de prévenir qu’il pourrait s’agir d’une guerre qui durerait une génération. Est-ce que l’Inde possède l’endurance pour cela ?

Deuxièmement, les vies de plus de trois douzaines d’indiens aux mains de l’EI sont en jeu. Ne vous méprenez pas : l’État Islamique exercera des représailles face auxquelles l’Inde sera totalement impuissante, dans la mesure où les États-Unis ne seront pas capables de faire pour l’Inde plus que ce qu’ils ont été capables de faire pour leur premier allié, la Grande-Bretagne – rien.

La tactique de l’EI dans ce match est de forcer un Obama circonspect et un David Cameron réticent à déployer des troupes sur le terrain. Car ce point soulève de très sérieuses questions.

Clairement, les frappes aériennes n’accompliront rien. L’EI s’est déjà changé en une structure horizontale, sans QG ou Centre de Commandement et de Contrôle. Comme un expert du Moyen-Orient l’a formulé, il a commencé à opérer tel un “organisme semblable à un rhizome”. Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie que les USA et ses alliés se trouveront bientôt à court de “cibles”. Déjà, l’EI continue de gagner du terrain en dépit des frappes aériennes américaines. Ils viennent d’envahir une base irakienne avec des centaines de soldats et ont pris deux villes frontalières supplémentaires en Syrie.

En bref, le temps est proche où il faudra réfléchir à “que faire” après les frappes aériennes ? La décision de la Turquie de déplacer des troupes en Irak et en Syrie et d’occuper des territoires anticipe sur l’échec de la stratégie militaire américaine actuelle, qui se terminera en cul-de-sac peut-être même encore plus tôt que nous le pensons.

Encore une fois, la “coalition des volontaires” couve beaucoup trop de contradictions en son sein. Les États-Unis dépendent précisément de ces mêmes alliés du Golfe que Joe Biden, en tant que Vice-Président, a, au cours d’un discours à l’Université d’Harvard jeudi dernier, ouvertement reconnu être directement responsables de la création de l’EI.

Autrement dit, ces pays du Golfe et la Turquie (qui ont financé, équipé et aidé à la montée en puissance de l’EI) ont leurs propres objectifs, qui sont différents de ceux des États-Unis. Ainsi, l’administration Obama est confrontée au choix difficile consistant soit à se raconter des histoires sur ce que font ses partenaires au sein de la coalition, soit à défaire de son propre chef l’EI militairement en envoyant des troupes au sol – soit, plus vraisemblablement, à accepter à un moment donné l’émergence de l’EI comme un fait et à essayer de traiter avec lui.

Pour encore venir compliquer les choses, l’Arabie Saoudite dépasse dangereusement ses limites, parce qu’elle boxe au-dessus de son poids dans la politique régionale. Ses frontières avec l’Irak (900 km) et le Yémen (1 400 km) peuvent potentiellement devenir des routes d’infiltration pour Al-Qaïda. En outre, une guerre de factions larvée a lieu à l’intérieur même de la famille royale saoudienne à propos de la succession du roi Abdullah.

Qu’il suffise de dire que la crise de l’EI est en train de devenir une crise du Wahhabisme. La stratégie saoudienne consistant à utiliser des militants salafistes dans ses projets au cours des 30-35 dernières années en Afghanistan, au Pakistan, en Syrie et ainsi de suite a inévitablement abouti à une radicalisation salafiste menant à un mouvement néo-wahhabite métamorphosé, ce qui constitue précisément l’essence de l’État Islamique.

Combien de temps la jeunesse saoudienne, rétive et ambitieuse, pourra-t-elle être tenue à l’écart du charisme et du pouvoir d’attraction de l’État Islamique ? Telle est la question primordiale aujourd’hui.

Pour citer l’analyste du Moyen-Orient mentionné ci-dessus, “la ‘guerre’ au Moyen-Orient s’est transformée en une guerre entre le wahhabisme et d’autres orientations du salafisme, comme les Frères Musulmans (que les Saoudiens cherchent à présent à rendre responsables de l’émergence de l’État Islamique). C’est une guerre sunnites contre sunnites, de l’Arabie Saoudite wahhabite contre le Qatar wahhabite, des wahhabites Jabat An-Nusra contre l’EI, de l’Arabie Saoudite wahhabite et certains de ses alliés contre les Frères Musulmans.”

Nous avons là une poudrière, et une explosion ne peut être évitée. La probabilité la plus forte est celle d’une répétition de la révolution islamique de 1979 en Iran – cette fois-ci en Arabie Saoudite.

En tant qu’observateur d’Obama, mon intuition est qu’Obama tergiverse, car il saisit parfaitement ce qui est en jeu ici. Obama semble en passer par les résolutions sur les frappes aériennes sans réelle conviction parce qu’il sent l’extrême vulnérabilité de l’Arabie Saoudite.

Bien entendu, le paradoxe est que par leur passivité, les États-Unis pourraient finir par répéter leurs folies des années 70 en Iran – refuser de pousser l’Arabie Saoudite à se réformer, sentant la vulnérabilité du régime mais regardant comme un spectateur paralysé alors que l’EI marcherait jusqu’aux portes de Ryad. Mais de toute façon, qu’y peut Obama ? L’opinion publique américaine et le milieu politique ne laisseront pas passivement les USA mettre leurs “bottes sur le sol” pour sauver le régime saoudien.

En conséquence de quoi, l’Inde doit être d’une extrême prudence vis-à-vis des évènements qui sont en train de se dérouler. Il y a sept millions d’Indiens qui gagnent leur vie dans la région. Ils ne doivent pas être pris entre deux feux. Cela devrait être la première préoccupation.

Dans une perspective à plus long terme, l’Inde a besoin de réévaluer les potentialités et les dangers de la poussée de l’islam politique dans le Moyen-Orient. Si l’EI frappe aux portes de Riyad, l’écho s’en entendra jusqu’à Lahore.

Ce n’est pas une guerre contre la terreur. Les stratégies américaines d’alliance avec l’Arabie Saoudite, vieilles de plusieurs décennies, ont inexorablement mené à la situation explosive d’aujourd’hui. Le pacte faustien des Américains avec les Saoudiens est en train de s’effilocher. L’Inde n’a eu aucun rôle dans celui-ci et ne doit pas aspirer à y jouer un rôle aujourd’hui, quoi que Méphistophélès ait murmuré aux oreilles de Modi à New York.

De M K Bhadrakumar – le 5 octobre 2014

Source : Rediff, le 05/10/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-linde-devrait-se-tenir-a-lecart-de-la-guerre-contre-letat-islamique/


Revue de presse internationale du 07/12/2014

Sunday 7 December 2014 at 01:05

Cette semaine dans la revue, pas mal d’articles dispersés sur ce qui se passe du côté des USA, un éclairage sur l’Allemagne, et des nouvelles de Chine, du Canada, d’Espagne et d’ailleurs. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/rdpi-07-12-2014/


[Reprise] Fable médiatique : Finlande / USA, les écoliers n’apprendront plus à écrire à la main…

Saturday 6 December 2014 at 01:45

Alphabet en lettres cursives


La Finlande va arrêter l’enseignement de l’écriture cursive

Source : Les clés de demain, par Les clés de demain le 25/10/2014.

L’information est passée relativement inaperçue mais mérite d’être soulignée. En Finlande, les cahiers et stylos pourraient bien déserter peu à peu les tables d’écoliers. La semaine dernière, le quotidien finlandais Savon Sanomat a révélé que l’écriture cursive (en attaché) ne ferait plus partie des enseignements obligatoires dans les écoles primaires du pays nordique. Au lieu de se plier à des exercices de calligraphie, les élèves apprendront à taper sur un clavier, explique un article de la BBC qui reprend cette information.

Ce changement devrait s’opérer dès l’automne 2016, a précisé Minna Harmanen, membre du conseil national de l’éducation. Minna Harmanen estime, en effet, que de bonnes compétences en dactylographie sont devenues indispensables. Elle reconnaît qu’il s’agit d’une évolution culturelle majeure, mais assure qu’une bonne maîtrise de la saisie sur clavier est devenue plus importante au quotidien que l’écriture liée.

L’information aurait été plutôt bien accueillie par les enseignants. Certaines associations rappellent toutefois à quel point les exercices d’écriture cursive sont importants pour le développement de la motricité de l’enfant et suggèrent ainsi la mise en place de cours de dessin et de créations manuelles.

Aux États-Unis, 45 États ont également exclu l’écriture cursive du tronc commun des connaissances requises dans l’enseignement scolaire.


Finlande : les écoliers n’apprendront plus à écrire à la main

Source : Direct Matin.fr, par Direct Matin le 26/10/2014.

Les petits Finlandais commenceront à écrire à l’école d’abord sur les claviers.

C’est une initiative qui sonne le glas de l’apprentissage de l’écriture tel qu’on le connaît. Les élèves Finlandais vont devoir ranger leurs stylos dans leurs trousses dès la rentrée 2016 et sortir les claviers.

Une première en Europe. Considérant que l’écriture cursive (c’est-à-dire manuelle) est devenue désuète, le gouvernement finlandais a annoncé hier avoir choisi d’abandonner son apprentissage en primaire, pour obliger les enfants à taper directement leurs cours sur des claviers d’ordinateurs.

« Ce changement sera un bouleversement culturel majeur mais il est plus pertinent pour la vie quotidienne », selon Minna Harmanen de l’Office national de l’Éducation.

Une telle décision fait déjà polémique dans le pays scandinave, mais elle a été accueillie favorablement par le corps enseignant. L’écriture manuelle sera désormais enseignée sur option.


Les enfants finlandais n’apprendront plus à écrire à la main

Source : Francetv info, par Francetv info le 27/10/2014.

En Finlande, les cahiers d’écriture feront bientôt partie du passé.

Dès 2016, les élèves apprendront à écrire sur un clavier. Cette compétence est en effet jugée plus utile par l’Office national de l’Éducation.

La fin d’une époque. En Finlande, à partir de 2016, les enfants vont abandonner leurs cahiers d’écriture et leurs stylos. Ils n’apprendront plus à écrire à la main, mais sur un clavier, selon un blog de la BBC qui reprend l’article d’un journal finlandais.

Une priorité nationale

Ainsi, la Finlande, constatant que l’écriture à la main est de moins en moins utilisée, décide de passer de la calligraphie à la dactylographie. Les enfants devront apprendre à taper rapidement.

« Des aptitudes pour taper de manière fluide sur un clavier sont une priorité nationale », explique Minna Harmanen, de l’Office national de l’éducation. Elle estime que ce basculement est un changement culturel majeur, mais savoir taper est devenu indispensable pour la vie quotidienne. Selon la BBC, certains Finlandais relèvent que les enfants qui n’ont pas d’ordinateur seront désavantagés. Mais par ailleurs, la nouvelle est plutôt accueillie positivement dans ce pays de 5,5 millions d’habitants, souvent cité en exemple pour ses bons résultats scolaires.


Le linguiste Alain Bentolila s’élève contre la fin de l’écriture manuelle

Source : Le Figaro, par Marie-Amélie Lombard le 26/10/2014.

Aux États-Unis, une majorité d’enfants n’apprend plus à écrire que sur un clavier. Ce sera bientôt le cas en Finlande. Une très mauvaise évolution pour le spécialiste de l’apprentissage de la lecture.

La fin de l’apprentissage de l’écriture manuelle est annoncée en Finlande. La maîtrise de la saisie sur clavier est plus importante, a récemment jugé un haut responsable de son système éducatif. La réforme devrait être appliquée à la rentrée 2016. Un virage déjà pris par 45 États américains qui ont exclu l’écriture cursive, dite aussi «en attaché», du socle commun des connaissances. Spécialiste de l’apprentissage de la lecture et du langage chez l’enfant, professeur à l’université Paris Descartes, le linguiste Alain Bentolila s’élève contre de telles réformes.

LE FIGARO. — En Finlande, les écoliers ne vont bientôt plus apprendre à écrire à la main mais utiliseront un clavier. Qu’en pensez-vous ?

Alain BENTOLILA. — C’est une très mauvaise décision. Non pas que je sois un nostalgique de la calligraphie. Cependant, quand on écrit à la main, on fait un acte singulier. Le fait de tracer sereinement des lettres et des mots permet à mon esprit de les porter. Ce qui n’est pas le cas avec des machines ou des tablettes.

Le pragmatisme ne doit-il pas l’emporter ? L’écriture sur ordinateur permet aux enfants d’être lisibles, de rendre des textes plus propres, voire d’utiliser le correcteur orthographique…

Ce sont de faux arguments auxquels il faut opposer l’effort, la gratification, la conscience de l’autre que seule permet l’écriture graphique.

Vous avez l’appui des neuroscientifiques qui sont plutôt favorables au maintien de l’écriture cursive. Elle permet, selon eux, de mieux mémoriser, elle développe la motricité fine chez l’enfant.

Bien sûr. La mémoire se construit grâce à l’écriture manuelle et non avec un écran

Les petits Américains ou Finlandais apprennent-ils tout de même à écrire manuellement, par exemple en lettres capitales, ou s’en remettent-ils au seul clavier ?

À mon sens, dans ces pays, on va vers une disparition totale de l’écriture manuelle. Mais envisage-t-on de rédiger des courriers importants sur un ordinateur ? Je ne m’imagine pas envoyer une lettre de condoléances autrement écrite que manuellement.

Quelle est la position des enseignants français sur cette question ?

Il existe un consensus, dans l’enseignement public comme privé, pour maintenir l’écriture cursive.


Les enfants finlandais continueront bien à écrire à la main…

Source : RTBF, le 2/12/2014.

Tordons le cou à un canard! Une bonne partie de la presse a annoncé la fin de l’apprentissage de l’écriture manuscrite dans les écoles finlandaises à partir de 2016. Les écoliers se contenteraient désormais d’utiliser les tablettes et l’ordinateur. C’est pourtant faux. En réalité c’est uniquement l’écriture cursive qui pourrait être rendue facultative. L’écriture scripte, qui est également manuscrite, continuera de toute façon à être enseignée à tous les petits Finlandais.

C’est une erreur de traduction dans un article de la BBC qui semble être à l’origine de la confusion dans la presse francophone. On peut notamment y lire que l’écriture manuscrite s’apprêterait à céder la place à des cours de dactylographie. Pourtant, si l’on se reporte au journal finlandais (article de Savon Sanomat) à l’origine de l’information, il n’est question que de rendre facultative l’écriture cursive, cette forme d’écriture où les lettres sont liées les unes aux autres. En fait, en Finlande, deux formes d’écriture manuscrite sont enseignées : la cursive et la scripte (ou “script”), aussi appelée imprimée car les lettres sont détachées les unes des autres à la manière de caractères d’imprimerie.

Étonnement en Finlande

Minna Harmanen du Conseil National de l’éducation finlandais, nous a expliqué que là-bas, l’écriture cursive a été modifiée dans les années nonante dans un style typographique proche de celui de l’écriture scripte. Selon elle, le gouvernement estime désormais qu’apprendre les deux types d’écriture n’a plus beaucoup d’intérêt vu leur proximité stylistique. Dans le projet qui pourrait être adopté, chaque école pourra décider si elle choisit d’enseigner à la fois la scripte et la cursive ou uniquement la scripte. Il va sans dire que Minna Harmanen a assisté avec surprise à l’apparition dans la presse étrangère d’articles affirmant que les enfants finlandais s’apprêtaient à abandonner leurs stylos et crayons pour l’usage exclusif des tablettes et autres claviers…

Ceci dit, le projet du gouvernement finlandais prévoit aussi de permettre de consacrer plus de temps à la maîtrise de la dactylographie et du traitement de texte, vu l’importance prise par l’ordinateur dans notre société. En Finlande, les écoles sont bien plus équipées qu’ici à ce niveau. Les compétences informatiques y sont considérées comme indispensables pour faciliter l’insertion future des écoliers finlandais sur le marché du travail. Les modalités précises de ces nouveaux cours, comme par exemple le volume d’heures qui y sera consacré, n’ont pas encore été décidées.

L’écriture manuscrite c’est bien, l’écriture cursive c’est encore mieux

En Belgique, pas de débat de ce type. L’écriture cursive a encore de beaux jours devant elle dans nos écoles. Pour Marie Van Reybroeck, professeur en sciences de l’éducation à l’UCL, il est cependant important de continuer à consacrer suffisamment de temps à la bonne maîtrise du geste graphique. Car si le geste n’est pas automatisé, l’enfant “gaspille” une partie de ses ressources mentales, qu’il ne peut donc pas consacrer à la réflexion et à la mémorisation de ses idées. Or l’automatisation du geste graphique n’intervient qu’en fin de sixième primaire… Il s’agit donc d’un processus de longue haleine. Par ailleurs, le fait de tracer les lettres à la main aide l’enfant dans son apprentissage de la lecture. “Dans le début de l’apprentissage de la lecture, les enfants ont beaucoup de difficultés à retenir l’association entre la lettre et le son (graphème et phonème), qui est une association abstraite”, explique ainsi la chercheuse. “Des chercheurs français ont démontré que faire la forme de la lettre avec le doigt va aider les enfants à mieux mémoriser ces associations lettres-sons et donc à apprendre plus facilement à lire”.

Par rapport à l’écriture scripte, l’écriture cursive présente notamment l’avantage d’être plus fluide, plus rapide et de développer davantage la psychomotricité fine ajoute pour sa part la psychopédagogue Marie-Jeanne Petiniot de la Haute Ecole Albert Jacquard. De plus, une étude canadienne (M-F Morin, N. Lavoie, I. Montesinos Gelet) a démontré qu’elle donne également de meilleurs résultats en syntaxe et en orthographe que l’écriture scripte. Peut-être de quoi donner à réfléchir aux écoles finlandaises…

S. F.


La fin de l’écriture à la main – Morale d’une fable médiatique

Source : Lutte des Classes, le 30/11/2014.

En novembre 2012, s’est répandue dans les médias français, comme une traînée de poudre, une rumeur merveilleuse : quarante-cinq États américains s’apprêtaient à abandonner l’enseignement de l’écriture manuscrite au profit des claviers d’ordinateurs !

Une simple vérification des sources permettait pourtant de comprendre qu’il ne s’agissait, pour cesÉtats, que d’abandonner l’écriture cursive (en attachée) au profit de la seule écriture scripte, plus commune aux États-Unis. Traduction fautive et/ou connaissance approximative des différents types d’écriture, la rumeur est restée tenace et la fable s’est durablement installée dans la sphère médiatique française : au XXIe siècle l’écriture à la main se trouve menacée. En 2014, dans des journaux de référence1, des journalistes pressés continuent ainsi d’affirmer le plus sérieusement du monde que l’enseignement de l’écriture manuscrite est devenu « optionnel » ou que « une majorité d’enfants n’apprend plus à écrire que sur un clavier » aux États-Unis. Et tant pis si les petits Américains continuent d’apprendre à écrire à la main, comme partout dans le monde, du reste !

Plus amusant encore : deux ans plus tard exactement, en novembre 2014, la même rumeur, avec la même confusion entre écriture cursive et écriture manuscrite en général, s’est répandue à propos de la Finlande cette fois, cet eldorado moderne de la réussite pédagogique et de tous les possibles éducatifs2.

On le voit, la fable de l’abandon de l’écriture manuscrite concerne toujours des pays censément plus avancés et plus progressistes (dans les deux sens du terme) que nous ne sommes. Et comme toutes les fables elle est instructive. Sa persistance dans notre imaginaire dit quelque chose de nous : elle nous en apprend autant sur le sérieux journalistique de nos médias actuels que sur notre propension numériste, caractéristique d’une certaine idéologie contemporaine du progrès. C’est le fantasme de l’innovation appliquée à tous les domaines de notre vie, et par conséquent le nécessaire rejet audacieux – et délicieux – de toute tradition, avec tous les frissons jubilatoires que peut susciter ce saut dans le vide de la modernité.

A ce sujet, les réactions des promoteurs des nouvelles technologies à l’école depuis deux ans à cet abandon imaginaire sont plus encore instructives. Sur un site d’informations éducatives (et surtout de promotion des nouvelles technologies à l’école), un proviseur honoraire exhorte ainsi, avec beaucoup de responsabilité, à suivre courageusement la voie imaginairement tracée par ces pays avant-gardistes : « Et si nous cessions d’apprendre à écrire ? »3

Un techno-pédagogue démontre à quel point nous n’avons d’ailleurs plus besoin de savoir écrire dans la vie moderne4 : 

Dans la vie de tous les jours ? Pour remplir votre déclaration d’impôts, payer une amende pour vitesse excessive, demander un extrait de l’acte de naissance… que sais-je ? Tout ça se fait en ligne maintenant, de manière complètement automatisée. Ne sortez pas vos lettres et vos timbres, vous n’en aurez pas besoin. C’est fini, vous dit-on !

Le docteur en psychologie Yann Leroux, disciple de Serge Tisseron et ardent défenseur des jeux vidéo qui rendent intelligent, a immédiatement consacré, sur son blog éclairé de « psychanalyste et geek »5, deux articles à la questions pour démontrer à quel point cet abandon tant attendu est une « bonne nouvelle » pour l’école et les élèves en difficulté. Elle ne peut en effet que libérer les « forçats de l’écriture manuscrite » (sic). Car curieusement, en effet, pour un Yann Leroux qui réfute l’antagonisme entre « écriture numérique » et « écriture papier-crayon », la frappe au clavier doit tout simplement… se substituer à l’écriture manuscrite !

Dans un monde où le mail a remplacé la carte postale et le smartphone le bout de papier, va-t-on demander encore longtemps aux enfants d’écrire à la main ? Va-t-on demander aux enfants d’être les conservateurs d’un musée que les adultes ont déserté ? Puisque la culture est devenue numérique, va-t-on encore longtemps éloigner les enfants du numérique ?

Pour Yann Leroux, esprit magnanime, les bons élèves pourront, eux, cependant continuer à apprendre à écrire à la main. Cet iconoclasme scolaire vaut évidemment à Yann Leroux d’être interrogé par les mêmes journalistes qui colportent ce magnifique hoax contemporain6 :

Il faut se décrisper autour de cette question d’écriture à la main. Bien sûr il faut que les enfants continuent de dessiner, de crayonner, de coller des gommettes, de déchirer des bouts de papier… Mais si on les laissait choisir entre les deux outils, crayon ou clavier ?

S’appuyant sur la fable finlandaise autant que sur la fable américaine, Yann Leroux, qui confond – très scientifiquement – écriture cursive et écriture manuscrite, souligne de manière amusante le« pragmatisme » de cet abandon imaginaire : ne faut-il pas, dans le droit fil de l’extraordinaire Avis de l’Académie des sciences« prendre plus pleinement conscience de l’importance des premières manipulations avec les objets de la réalité concrète. Plus les mondes numériques se développent, plus une grande attention doit être portée aux tout-petits et à leur développement » ?

McLuhan disait que les noirs avaient été saisis par l’écriture parce qu’elle avait littéralement arraché la sensibilité de l’oralité de leurs corps. Aujourd’hui, nous sommes tous des noirs saisis par l’écriture électronique.

Peu importe, d’une certaine manière, que la dactylographie sur clavier soit déjà rendue obsolète par la saisie à un ou deux doigts sur les smartphones et tablettes des petites Poucettes, par le stylet redevenu à la mode, par les outils de saisie vocale et bientôt par les lunettes connectées…

Peu importe que la Californie, berceau des nouvelles technologies où l’on a renoncé l’an passé aux iPads pour tous les élèves, où l’on trouve des écoles déconnectées pour les enfants des cadres des grands groupes technologiques, ait également choisi de continuer, en plus de l’écriture scripte, à enseigner l’écriture cursive, contrairement aux autres États américains…

Peu importe enfin et surtout – comme le savent les professeurs des écoles – que nous ayons besoin d’apprendre à écrire pour apprendre à lire et réciproquement, parce que l’écriture procède de la nécessaire conjonction de trois sens (visuel, auditif et sensori-moteur) et que, par exemple, les enfants apprennent à distinguer le b et le d en les écrivant.

On le voit : l’abandon de l’écriture manuscrite est une dangereuse chimère qui, parmi bien d’autresmirabilia de la modernité, met à nu, de façon saisissante, le prisme déformant avec lequel les croyants du numérisme voient la réalité.

Comme dit le Christ dans l’évangile : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » !

@loysbonod


[1] « Litté-ratures » par Olivier Zilbertin dans “Le Monde” du 10 juin 2014 ou dans “Le Figaro” du 26 novembre 2014 : “Le linguiste Alain Bentolila s’élève contre la fin de l’écriture manuelle ».

[2] « En Finlande, fini les cahiers, vive les claviers ! » dans le “Nouvel Obs” du 28 novembre 2014.

[3] « Et si nous cessions d’apprendre à écrire ? » par Patrick Figeac dans “Educavox” du 18 mars 2013.

[4] « Bacheliers, c’était la dernière fois que vous avez écrit à la main ! » par Michel Guillou dans “EducaVox” du 4 juillet 2014.

[5] Yann Leroux sur le blog “Psychologik”, « L’écriture avec des tablettes et des ordinateurs est nécessaire à l’école » (4 janvier 2014) repris bien sûr dans “Ludovia” et « C’est la fin de l’écriture cursive et c’est une bonne nouvelle » (27 novembre 2014).

[6] « Tous à vos claviers: faut-il en finir avec l’écriture à la main ? » dans “L’Express” du 27 novembre 2014.


Vous recopierez 100 fois la Charte d’éthique professionnelle des journalistes…

À la source de ces chef-d’œuvres :

Source: http://www.les-crises.fr/ecriture-fable-mediatique/