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Un exemple où on essaie d’imposer une théorie du complot : l’assassinat de Boris Nemtsov

Monday 2 March 2015 at 04:28

Je partage avec vous ces éléments après l’odieux assassinat de l’homme politique russe Boris Nemtsov – la bêtise médiatique (manipulatrice) est vraiment décourageante…

Vu par l’Obs

Samedi matin, article en une de L’Obs – Vincent Jauvert alias “legrandreporter” est là :

Lire ici 

On a donc un meurtre innommable, pas la moindre idée des responsables, mais, dans ce contexte, Jauvert ressort ce papier tel quel… Un exemple de déontologie journalistique !

“L’opposant”

Vous noterez la narrative : Boris Nemtsov n’était donc pas un “homme politique”, non non, c’était un “opposant” :

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Bon France bleu reprend cependant la réaction de Poutine – même s’il tombe dans le “Un meurtre dénoncé par la communauté internationale” :

1/ en quoi est-ce une information vu que cela tombe sous le sens - certains pays seraient censés se réjouir d’un meurtre ?

2/ je rappelle que, généralement, “communauté internationale” = États-Unis + UE + Canada + Australie (donc moins d’un milliard d’habitants sur 7…). Le reste du monde a signalé cette information, sans accuser le pouvoir en place, comme cela se fait régulièrement dans ce genre de drame lorsqu’ils surviennent hélas ailleurs qu’en Russie…

Bien entendu, employer systématique le nom “opposant” pour un politique venant de se faire assassiner laisse insidieusement la furieuse impression qu’il a forcément été assassiné par la personne à laquelle il s’opposait…

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Le parcours de Boris Nemtsov

Ce physicien né en 1959 se lance en politique en 1989 avec un programme libéral, et est élu en 1990 au Parlement – battant une dizaine de candidats plus ou moins communistes.

Ayant fermement soutenu Boris Eltsine durant les évènements de 1991, il obtient son soutien et devient gouverneur de la région de Nizhny Novgorod (3 millions d’habitants – autant que la Bretagne par ex.), qui gagne alors le surnom de “laboratoire des réformes” libérales (qui entrainent en effet un boom de la croissance économique). Margaret Thatcher en fera l’éloge lorsqu’elle ira visiter de Nizhny Novgorod en 1993…

A la suite de la visite, il est élu à la chambre haute du Parlement russe, soutenus par les deux partis libéraux.

En mars 1997, il est nommé par Boris Eltsine Vice-Premier Ministre (à 38 ans…), en charge de la réforme du secteur de l’énergie.

Il est alors très populaire et apparait comme le probable dauphin de Eltsine pour la présidentielle de 2000.

Sa carrière prometteuse ne résista cependant pas à la grave crise économique de 1998. Il démissionna au printemps 1998.

En aout 1999, il fut un des cofondateurs du parti de l’Union des Forces de Droite, coalition libérale qui obtient près de 9 % des voix aux législatives de 1999, où il redevint député.

Et ce fut finalement Vladimir Poutine qui fut désigné dauphin de Boris Eltsine.

Sans aller très loin, au début de la fiche Wikipedia en français, on lit :

Après avoir été gouverneur de l’oblast de Nijni Novgorod, il entame une ascension fulgurante sous la présidence de Boris Eltsine et devient vice-premier ministre chargé de l’économie de 1997 à 1998, Boris Nemtsov était ministre de l’Énergie sous Boris Eltsine, ce qui lui valait d’être régulièrement dénoncé par le Kremlin comme un homme politique lié aux oligarques qui ont profité de la vague de privatisations des années 1990.

Aux législatives de 2004, l’Union des Forces de Droite s’écroula, et obtint seulement 4 % des voix, perdant tous ses députés. Nemstov démissionna alors de la direction du parti, endossant la responsabilité de l’échec. Il signa alors un appel alertant du danger d’une dictature de Vladimir Poutine.

En février 2004, il fut nommé directeur de la Neftyanoi Bank, et président de Neftyanoi Concern, sa maison-mère.

Après la révolution orange de 2004 en Ukraine, il devint conseiller économique du président ukrainien pro-occidental Viktor Iouchtchenko.

Il fut révoqué en 2006, et Iouchtchenko perdit au 1er tour de la présidentielle de 2010 face à Viktor Ianoukovytch – avec un peu glorieux 5 % des voix (caramba, ça ne paye pas dans le coin le libéralisme pro-occidental on dirait…).

Fin 2008, Nemtsov cofonda le parti Solidarnosc avec Gary Gasparov. Il a été arrêté plusieurs fois très brièvement pour avoir participé à des manifestations non autorisées.

Nemtsov, natif de Sochi, critiqua fortement la tenue des Jeux Olympiques de 2014. Il se porta candidat aux municipales de sa ville natale de 2009. Il perdit avec 14 % des voix (contestant le score), battu par le candidat du parti de Poutine qui obtint 77 % des voix.

En 2012, Vladimir Poutine fut réélu président de Russie au 1er tour avec près de 65 % des voix. Les autres candidats étaient :

Nemtsov était donc passé du devant de la scène à la fin des années 1990 au fond des coulisses en 2015. Pourquoi la presse occidentale le désigne-t-il comme le “leader de l’opposition en Russie”, nul ne le sait…

Pour ses prises de position récentes, notons qu’il a évidemment soutenu les manifestations du Maidan à Kiev, déclarant fin 2013 : “Nous soutenons le mouvement de l’Ukraine vers l’intégration européenne. En soutenant l’Ukraine, nous nous soutenons aussi nous-mêmes”.

Il condamna le tir sur le vol MH-17 : “Les salauds qui ont fait ceci doivent être détruits.”

Et il fut un des rares hommes politiques russes a avoir condamné le rattachement de la Crimée à la Russie. (en bon démocrate pro-occidental, il n’aimait donc pas que des peuples votent pour refuser de se rapprocher de l’Occident).

Enfin, en septembre 2014, il écrivit dans le Kiev Post que “cette guerre n’est pas notre guerre, ce n’est pas votre guerre, [...] c’est la guerre de Vladimir Poutine”.

Ces positions irritaient donc beaucoup de personnes en Russie. Comme on le sait, il avait appelé à une manifestation le dimanche 1er mars .Ce que nos médias n’ont nullement rapporté c’est que plusieurs groupes d’opposition avaient décidé de ne pas manifester, estimant que la direction de la manif s’était muée en groupe de soutien à Kiev… (http://izvestia.ru/news/583471)

 

Petit détail largement tu, il avait de très bons amis américains, comme le fameux John McCain (ici en 2013) :

qui a du coup déclaré qu’il avait “le cœur brisé” à cause de ce meurtre :

Il aimait bien les Clinton aussi :

Bref, un ancien ministre de l’économie de Eltsine, quoi…

Je suis quand même sidéré que ces informations, pourtant facilement accessibles, ne soient guère rappelées dans nos médias – c’est pourtant à la portée du premier journaliste venu…

 

Mais non, on préfère laisser prospérer les rumeurs délirantes, comme vous l’avez vu – évidemment sans la moindre preuve. Je vous recommande vraiment la lecture des commentaires de l’Obs, c’est du TRÉS lourd !

Dingue oui…

Boris Nemtsov : les liaisons dangereuses

Allez, hors de portée d’un journaliste, après 5 minutes de recherche sur Google, cet extrait sur Nemtsov issu de cette étude de l’école de guerre économique sur l’opposition russe “sous influence” (à lire comme toujours avec recul et esprit critique) :

Boris Nemtsov : les liaisons dangereuses (sic.)

Boris Nemtsov fait également partie des personnalités présentées comme les leaders de la contestation anti-Poutine dans de nombreux médias. Homme politique russe ayant occupé les postes de ministre de l’Énergie et de vice-premier ministre chargé de l’économie durant la présidence de Boris Eltsine, il est également l’un des membres fondateurs et président du parti d’opposition SPS (Soyouz Pravykh Sil – Union des Forces de Droite) de sa création en 1999 jusqu’en 2004 38.

Frédérick William Engdahl, historien et économiste germano-américain, décrit une partie de l’histoire de Boris Nemtsov dans son article « Regime Change in the Russian Federation? Why Washington Wants ‘Finito’ with Putin »39.

« D’après le Business Week Russia du 23 septembre 2007, Nemtsov introduisit le banquier russe Boris Brevnov à Gretchen Wilson, citoyenne états-unienne et employée de l’International Finance Corporation, une succursale de la Banque Mondiale. Wilson et Brevnov se sont mariés. Avec l’aide de Nemtsov, Wilson est parvenue à privatiser Balakhna Pulp and Paper Mill (NdT: grande entreprise de papier) au prix dérisoire de 7 millions de dollars. L’entreprise fut lessivée et ensuite vendue à la banque Swiss Investment de Wall Street, CS First Boston Bank. Les rapports financiers disent que les revenus de l’usine étaient de 250 millions de dollars.

La CS First Boston Bank paya également tous les frais de déplacement de Nemtsov au très exclusif forum économique mondial de Davos en Suisse. Quand Nemtsov devint un membre du cabinet directeur, son protégé Brevnov fut nommé président d’Unified Energy System of Russia JSC. Deux ans plus tard, en 2009, Boris Nemtsov, aujourd’hui le “monsieur anticorruption”, utilisa son influence pour dégager Brevnov des accusations de détournement de fonds par milliards des biens d’Unified Energy System of Russia.

Nemtsov accepta aussi de l’argent de l’oligarque emprisonné Mikhaïl Khodorkovsky en 1999 quand celui-ci utilisait ses milliards pour essayer d’acheter le parlement ou la Douma. En 2004, Nemtsov rencontra l’oligarque milliardaire en exil Boris Berezovsky dans une réunion secrète avec d’autres exilés russes influents. Lorsque Nemtsov fut accusé de financer son nouveau parti politique “Pour une Russie dans la légalité et sans corruption” avec des fonds étrangers, les sénateurs américains John McCain, Joe Liberman et Mike Hammer du Conseil national de sécurité du président Obama volèrent à son secours.

Le sbire très proche de Nemtsov, Vladimir Ryzhkov de Solidarnost est aussi très lié avec les cercles suisses de Davos, il a même financé un Davos sibérien (Forum économique de Belokurikha). D’après les comptes-rendus de presse russes d’avril 2005, Ryzkhov forma un comité 2008 en 2003 pour “attirer” les fonds de Khodorkovsky emprisonné ainsi que pour solliciter des fonds des oligarques en fuite comme Boris Berezovsky et des fondations occidentales comme la Fondation Soros. Le but déclaré de la manoeuvre étant de rassembler les forces “démocratiques” contre Poutine. Le 23 mai 2011, Ryzhkov, Nemtsov et plusieurs autres enregistrèrent un nouveau parti politique le Parti de la Liberté Populaire (PARNAS) de manière à pouvoir aligner un candidat président contre Poutine en 2012. »

Les relations troubles de Boris Nemtsov ne s’arrêtent pas là. En juillet 2009, lui même et Gary Kasparov ont rencontré personnellement Barack Obama durant sa visite au président Medvedev à Moscou. Le président américain a invité les leaders de l’opposition russe ainsi que des représentants d’ONG au Ritz Carlton Hotel de New York le 7 juillet. Avant cette rencontre, Boris Nemtsov est intervenu devant le Council of Foreign Relations où il a plaidé pour que le président Obama rencontre les leaders de l’opposition lors de son voyage à Moscou40.

En septembre 2011, son ancien conseiller Vladimir Kara-Murza fut l’invité de la NED à Washington en tant que membre du Conseil Fédéral du mouvement Solidarnost afin de discuter du thème : « Élections en Russie : Sondages et Perspectives »41. Parmi les quatre autres participants étant Nadia M. Diuk de la NED, modérateur du débat, mais aussi et surtout Angela Stent de l’Université de Georgetown et ancienne membre du National Intelligence Council, un centre de réflexion sur les questions de politique étrangère s’appuyant sur les réseaux de renseignement américain et directement relié au Président des États-Unis42.

Enfin, on retrouve David Satter de l’Hudson Institute, un think tank familier de Gary Kasparov, tous étant venu écouter les chiffres fournis par Denis Volkov de l’institut de sondage/Centre d’analyse Levada, financé par la NED à hauteur de 61,460 $ en 201043 et décrit par celle-ci comme « l’institut de sondage considéré comme le plus indépendant de Russie44 ».

Dernier évènement en date, le 17 janvier 2012, un mois jour pour jour après la prise de fonction du nouvel ambassadeur américain en Fédération de Russie, Michael McFaul, les médias russes ont immortalisé un moment pour le moins atypique puisque le nouvel ambassadeur fraichement nommé par Barack Obama a rencontré de nombreuses figures de l’opposition dans l’enceinte même de l’ambassade américaine à Moscou. Parmi celles-ci Sergeï Mitrokhine, leader du parti Yabloko, mais également Boris Nemtsov en personne. Le procédé est plutôt étrange et pourrait choquer dans de nombreux autres pays45.

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38 Les autres membres fondateurs du parti sont Anatoli Tchoubais (homme politique ayant été l’un des acteurs majeur de la privatisation des entreprises russes sou la présidence de Boris Eltsine), Egor Gaïdar (Premier Ministre ayant mis en place la « Thérapie de choc » durant les années Eltsine) ainsi que Nikita Belykh (dirigeant du SPS de 2004 à 2008). Ce dernier est actuellement Gouverneur de l’Oblast de Kirov où il a travaillé avec Alexeï Navalny et Maria Gaïdar (fille d’Egor Gaïdar), depuis 2009, tous deux étant conseillers auprès de Nikita Belykh.

39 ENGDAHL Frederick William, « Regime Change in the Russian Federation? Why Washington Wants ‘Finito’ with Putin », GlobalResearch, 10 janvier 2012 http://www.globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=28571

40 « Obama Will Meet With Russian Opposition”, site de Drugaya Rossiya, 03 juillet 2009 http://www.theotherrussia.org/2009/07/03/obama-will-meet-with-russian-opposition/

41 Site de la National Endowment for Democracy http://www.ned.org/events/elections-in-russia-polling-and-perspectives

42 Site du National Intelligence Council http://www.dni.gov/nic/NIC_home.html

43 Site de la National Endowment for Democracy http://www.ned.org/where-we-work/eurasia/russia

44 Ibid 41

45 SADOVSKAYA Yulia, « В Москве оппозиционеры получали инструкции в посольстве США? », 17 janvier 2012 : http://www.newsland.ru/news/detail/id/868187/

Les réactions

Outre McCain (très touché évidemment, vu que c’était probablement son poulain pour sa révolution orange…), on a pu lire ceci :

“un défenseur courageux et inlassable de la démocratie et un combattant acharné contre la corruption” : c’est vrai qu’il dénonçait fortement celle des pouvoirs en place, mais enfin, venant du ministre d’Eltsine qui a participé à la scandaleuse privatisation du secteur de l’énergie du pays, ils n’ont honte de rien…

Obama a fait bien mieux !

“Les États-Unis condamnent le meurtre brutal [sic.] de Boris Nemtsov, et nous appelons le gouvernement russe à  mener une enquête rapide, impartiale et transparente sur les circonstances de ce meurtre et à s’assurer que les responsables de cet assassinat violent [re-sic.] soient traduits en justice. Nemtsov était un défenseur infatigable de son pays, cherchant à amener à ses concitoyens russes les droits auxquels tous les peuples méritent. J’ai admiré le dévouement courageux de Nemtsov à la lutte contre la corruption en Russie et apprécié sa volonté de partager ses vues franches avec moi quand nous nous sommes rencontrés à Moscou en 2009. Nous offrons nos sincères condoléances à la famille de Boris Efimovich et au peuple russe, qui a perdu l’un des défenseurs les plus dévoués et éloquents de ses droits.” [Barack Obama, 28/02/2015]

Cela vient du type qui espionne le monde entier, tout va bien…

Et on apprend que quand Obama va en Russie, il rencontre Nemtsov – normal, tout va bien… (colonialisme 2.0 ?)

 

P.S. je voudrais bien voir comment ils ont réagi pour des meurtres “d’opposants” ailleurs, surtout des opposants “de gauche” – si quelqu’un à des idées / sources… Merci de me contacter par mail

 

Tiens, notre ancienne ministre des Affaires euroépennes de Chirac à réagi dignement :

 

Porochenko a lui aussi réagi, en écrivant sur sa page Facebook que “Nemtsov était un pont entre l’Ukraine et la Russie. Ce pont a été détruit par les meurtriers. Je pense que ce n’est pas un hasard. Je suis sûr que les meurtriers seront punis tôt ou tard“.

Mais la palme est remportée (provisoirement) par la présidente de Lituanie (vous savez, le bidule qui est dans l’Europe et désormais dans l’OTAN) :

“Le meurtre de Boris Nemtsov montre que la Russie s’enfonce dans les ténèbres de la terreur contre son propre peuple…”

C’est sidérant, c’est la Présidente du pays, qui vient d’être réélue… Mais pourquoi s’est-on rapprochés de ces fous ?

Le pays va bien d’ailleurs :

Enfin, au niveau presse, mention à la COLOSSALE manifestation à Moscou : 70 000 personnes selon les organisateurs, 18 000 selon la police – pour 12 millions d’habitants dans la capitale…A comparer à Charlie – ce qui donne une idée de la popularité, et donc du danger, de Nemtsov…

La presse aura choisi les bonnes photos :

aze

“Poutine a tué mon ami” – tout va bien…

“Vague d’hommage” : hmm, vaguelette plutôt…

Mais ça bouge à Paris selon le Figaro :

Eh, plusieurs “dizaines de personnes”, ça fait vite 57 personnes… Surtout venant d’une association de premier plan, avec “une centaine de membres” revendiqués – bon, on est seulement 4 000 chez Diacrisis, mais n’ayez crainte, une manifestation de notre part ne sera évidemment pas relayée dans les médias.

Le pompon à l’Obs, encore :

“Hommage massif” : on a vu bien mieux quand même, surtout pour le soi-disant “leader de l’opposition”…

A la fin de l’article :

Eh oui, un article sur le meurtre de Nemtsov doit évidemment contenir une référence à Marine le Pen !!! (indispensable pour toucher la prime de 100 € pour chaque mention de MLP dans un média ? Je ne vois que ça comme conclusion à tirer… :) )

Quant à la citation, en effet, de quoi mourir de rire : oser déclarer qu’on fait confiance à la justice d’un pays frappé douloureusement, quelle stupidité diplomatique : on sait bien que c’est le moment pour s’essuyer les pieds sur un pays, on peut se permettre, vu l’état du nôtre !

Enfin, je signale que si quelqu’un doit mettre la pression sur l’appareil d’enquête russe, c’est bien Poutine, car la 1re règle dans ce cas, c’est “À qui profite le crime ?”…

P.S.. Juste pour rire, c’est dans ce climat que Vincent Jauvert sort une interview d’un rocker russe, sobrement intitulée :

“L’autre bête noire” : la première était Nemtsov j’imagine ?

Avec cette magnifique citation :

Quand Poutine a pris la Crimée, je ne pouvais plus me taire, je me sentais trop mal. Les gens trouvent cette annexion normale. On leur a tellement bourré le crâne. La plupart n’ont pas compris, ils sont trop jeunes. Mais ceux qui, comme moi, ont vécu à l’âge adulte en URSS devraient être immunisés contre une telle propagande, cynique et brutale.”

Voici un fabuleux papier de l’Obs du 2 mars :

Meurtre de Nemtsov : la fin de “l’indulgence coupable” à l’égard de Poutine

Pour les éditorialistes, le meurtre de l’opposant à Vladimir Poutine, Boris Nemtsov, place les Occidentaux devant leurs responsabilités.

Le meurtre de l’opposant à Vladimir Poutine, Boris Nemtsov, place les Occidentaux devant leurs responsabilités. C’est ce qu’estiment lundi 2 mars les éditorialistes. Ils en appellent à la fin de “l’ingénuité” et de “l’indulgence coupable” à l’égard du dirigeant russe.

Certes, “rien ne permet d’accuser le régime ou ses affidés”, note Philippe Gélie dans “Le Figaro”. “Reste que l’ancien ministre défiait Poutine, dénonçait l’agression russe en Ukraine et avait exprimé son soutien à ‘Charlie Hebdo’. Dans la Russie d’aujourd’hui, chacun de ces crimes peut valoir quatre balles dans le dos”, ajoute l’éditorialiste du quotidien conservateur.

[OB : Et en France, faire des dessins de Mahomet peut vous valoir un tir de kalachnikov en pleine face...]

“La rue rend hommage à l’opposant assassiné”

L’homme fort du Kremlin se montre aussi implacable vis-à-vis de ceux qui le défient en interne qu’à l’extérieur“, constate Marc Semo dans le billet qui ouvre les quatre pages que “Libération” consacre à l’évément.

La presse française se fait largement l’écho de l’émotion suscitée par l’assassinat de l’opposant et ancien vice-Premier ministre russe, vendredi près du Kremlin.

“La rue rend hommage à l’opposant assassiné”, titre “La Croix” après le rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de personnes, 70.000 selon les organisateurs, dimanche à Moscou.

Dans “Les Echos”, un reportage de Benjamin Quénelle nous transporte parmi les manifestants qui ont défilé “entre deuil et colère”. “Comment ce meurtre a-t-il pu se faire sans la complicité d’une partie des autorités ?” s’interroge Piotr.

[OB : Ben oui, tirer 4 balles dans le dos de quelqu'un dans la rue, ça demande au moins l'aide des services secrets...]

Pour le quotidien communiste “L’Humanité”, “l’origine politique du meurtre de Boris Nemtsov ne fait aucun doute” et “la gestion par Poutine du conflit avec l’Ukraine alimente les tensions”.

Certes, “20 Minutes” rappelle la popularité écrasante de Vladimir Poutine dans l’opinion russe. “L’assassinat de l’opposant Nemtsov ne devrait pas bouleverser le pays”, croit donc savoir le journal gratuit.

“La dérive impérialiste et autocratique de Poutine”

Mais la presse s’attend et appelle même à de fortes secousses diplomatiques.

“Le meurtre de Nemtsov, qui n’est que le dernier d’une longue série, révèle une image profondément préoccupante et attristante de la politique russe, une image qui devrait faire réfléchir tous ceux qui, chez nous, à droite comme à gauche, font preuve à l’égard de la Russie et de ses intérêts de sécurité d’une compréhension qui s’apparente parfois à une indulgence coupable“, écrit Luc de Barochez dans “L’Opinion”.

“Face à Poutine, les Occidentaux, et notamment les Européens, à commencer par Paris, ont longtemps péché par ingénuité sans vouloir admettre que l’ancien ‘guébiste’ ne comprenait que le rapport de force. L’élimination de cet opposant après tant d’autres assassinés, emprisonnés ou exilés, est un nouvel avertissement”, insiste “Libération” sous la plume de Marc Semo.

Pour Bruno Dive de “Sud-Ouest”, “il faut au moins espérer que ce meurtre dessille enfin les yeux de ces dirigeants politiques, français et européens, de droite comme de gauche. Tous fascinés par le maître du Kremlin”.

“Cumulé à la crise ukrainienne, l’assassinat de Boris Nemtsov marque donc une rupture dans la façon dont l’Occident observe la dérive impérialiste et autocratique de Poutine“, espère Philippe Waucampt du “Républicain lorrain.”

[OB : impérialiste ? On est dans de la folie pure là, faut consulter... Et les USA ils sont dans quelle dérive svp ?]

Le Monde n’est évidemment pas en reste :

Au lendemain de la marche en hommage à Boris Nemtsov, qui a réuni des dizaines de milliers de Moscovites, 70 000 selon un organisateur – un nombre qui rappelle par son ampleur les grandes manifestations organisées en 2011 et 2012 contre le président Vladimir Poutine –, la presse russe se faisait l’écho, lundi 2 mars, du choc causé par le meurtre de l’opposant et ancien vice-premier ministre russe, assassiné vendredi près du Kremlin.

« Les réactions à l’assassinat de Boris Nemtsov ont été extraordinaires, à la mesure de cet homme », salue le quotidien Kommersant, qui voit dans la mort de l’opposant celle « de la politique ». Ce meurtre « constitue une barrière psychologique que vient de franchir la Russie, et elle ne sera plus jamais la même », prévient pour sa part le quotidien financier Vedomosti. « Beaucoup de gens ont dit après l’assassinat “Nous nous sommes réveillés dans un autre pays”. Oui, et certains se sont réveillés tout court », souligne le journal, qui a qualifié de « marche contre la peur » le rassemblement en hommage à Boris Nemtsov.

Alors que les autorités ont déclaré étudier toutes les pistes pour retrouver les meurtriers, certains médias dénoncent le « climat de peur » instauré par le Kremlin. « Cela fait longtemps – au moins un an – que nous vivons dans un pays où la dissidence est assimilée à la trahison, pour laquelle on peut être tué », lance Vedomosti, qui rappelle que « la guerre, tout comme les tueurs à gages, sont faciles à lancer, mais bien plus difficiles à arrêter ».

De son côté, le journal d’opposition Novaïa Gazeta, qui publiait un entretien réalisé avec Boris Nemtsov en avril, rappelle que l’opposant recevait régulièrement des menaces de mort, sans pour autant y croire. « Eh bien oui, ils le peuvent : me tuer je ne sais pas, mais m’envoyer en prison certainement », déclarait l’opposant, qui se disait « immunisé ». Pour le journal, « au lieu d’avoir un Maïdan », mouvement populaire qui a mené il y a un an à Kiev à la destitution du président ukrainien, « Moscou a obtenu le Donbass », région de l’est de l’Ukraine déchirée par les combats entre les séparatistes prorusses et l’armée ukrainienne.

Seul le quotidien populaire Komsomolskaïa Pravda dit ne pas croire à un crime motivé politiquement. « Qui de nous tue ici pour des raisons purement politiques ? Voyons, nous ne sommes pas en Ukraine (…). Pour l’argent, on tue. Pour de la politique, non », soutient le journal.

Mais selon Novaïa Gazeta, peu importe, le résultat est le même : « L’assassinat de Nemtsov c’est un point de non-retour, une déstabilisation radicale de la situation politique en Russie dont les conséquences ne sont pas encore imaginables », s’inquiète le journal. Les répercussions de son meurtre pourraient toucher jusqu’à la politique étrangère de la Russie et « devenir un solide argument en faveur des partisans d’une politique dure à l’égard de Moscou », s’alarme enfin Kommersant.

 

Libération, évidemment (vivement qu’il crève ce torchon, mais bon, comme il y a toujours des millionnaires qui renflouent…) :

Nemtsov assassiné : la responsabilité de Poutine, par Marc SEMO

L’agressivité permanente du président russe contre toute forme d’opposition explique que des sicaires soient passés à l’acte.

S’il était l’une des figures de proue d’une opposition démocratique toujours plus marginalisée, Boris Nemtsov ne menaçait pas le pouvoir d’un Poutine toujours au faîte de sa popularité. Mais cet ancien ministre réformateur des années 90, devenu un inlassable pourfendeur de la corruption comme de la guerre en Ukraine, était un symbole. Les dizaines de milliers de manifestants dimanche à Moscou ont dénoncé, à raison, un crime d’Etat soulignant les responsabilités politiques de Poutine. L’assassinat s’est déroulé au pied du Kremlin dans l’un des lieux les plus sécurisés de Moscou. Jour après jour, en outre, la machine de propagande du pouvoir pourfend les adversaires de l’agression russe dans le Donbass ukrainien comme des traîtres et des agents de l’étranger, donc des ennemis à éliminer.

Ce climat de “licence de tuer” explique que des sicaires soient passés à l’acte. L’homme fort du Kremlin se montre aussi implacable avec ses opposants en interne qu’avec ceux qui le défient à l’extérieur, dans des ex-républiques soviétiques tentées, comme auparavant la Géorgie ou aujourd’hui l’Ukraine, d’échapper à l’emprise russe. Face à Poutine, les Occidentaux, notamment les Européens à commencer par Paris, ont longtemps péché par ingénuité, sans vouloir admettre que l’ancien «guébiste» ne comprenait que le rapport de force. L’élimination de cet opposant après tant d’autres assassinés, emprisonnés ou exilés, est un nouvel avertissement.

 

Sinon, quand on sort du complotisme, selon la presse russe, les enquêteurs travaillent sur au moins cinq pistes possibles :

 

Bref, il ne s’agit pas ici de dédouaner qui que ce soit, mais de demander que les commentateurs laissent la justice travailler (surtout quand ils ne connaissent rien au sujet), ou alors qu’ils donnent des PREUVES de ce qu’ils avancent.

Sinon, on aboutit à ceci : une magnifique théorie du complot, où Poutine tire toutes les ficelles (comme si des nationalistes ne pouvaient pas tuer tout seuls comme des grands !) et fait tuer ce type désormais insignifiant devant le Kremlin, en pleine crise avec l’Occident – mais bon, venant d’un “autiste”…

La minute hélas nécessaire de BHL

« Boris Nemtsov, Poutine et la guerre », par Bernard-Henri Lévy – Le 28 février 2015

J’ai rencontré Boris Nemtsov en avril 2000.

C’était le lendemain de la deuxième guerre de Tchétchénie.

J’étais venu interviewer le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Igor Ivanov.

Et j’en avais profité pour voir, le lendemain, dans les locaux d’une association de mères de soldats, celui qui n’était alors qu’un ancien gouverneur de Nijni-Novgorod, longtemps dauphin présumé de Eltsine, mais que le kagébiste Poutine avait, au dernier moment, coiffé au poteau.

Non, le futur banquier était totalement discrédité par la crise économique

Boris Nemtsov n’était pas encore l’incarnation de l’opposition démocratique en Russie qu’il est devenu avec le temps.

Ahahahahah

Mais il avait le charme, le charisme et, dans son beau visage de boxeur buté et aux aguets, l’intensité hypnotique propre à ceux qui, même s’ils ne le savent pas tout à fait, ont décidé de vouer leur vie à une cause qui les dépasse.

C’est de la bonne ?

Et je me souviens de la colère tranquille, presque logique, avec laquelle il avait évoqué quelques-uns des épisodes les plus sanglants de la chute, le mois précédent, de Grozny : tant de radicalité n’était pas fréquente dans un camp démocrate contaminé par un nationalisme grand-russe qui perdure, aujourd’hui encore, jusque chez un Khodorkovski – et elle faisait de ce jeune homme raisonnable et exalté l’opposant le plus lucide et, surtout, le plus entier à la nouvelle tyrannie rouge brune qui s’abattait sur la Russie.

Oh oui, c’est de la bonne !

Ceux qui l’ont tué, ce 27 février 2015, sur le grand pont de pierre, à deux pas du Kremlin, savaient cela.

Ils savaient qu’ils éliminaient celui qui, de la Tchétchénie donc à l’immense entreprise de corruption que fut l’organisation des JO de Sotchi en passant par la défense intraitable de la liberté de la presse, fut le plus conséquent des chefs de l’opposition.

Ah bon, il est fort ce BHL, il sait tout sur tout ! Un vrai service de renseignement à lui tout seul…

Ils savaient que l’homme qu’ils abattaient et qui n’avait cessé, depuis dix ans et plus, de dénoncer l’essence mafieuse de la tyrannie poutinienne s’apprêtait, puisqu’il l’avait annoncé, à divulguer un rapport prouvant l’implication directe de militaires russes dans le Donbass.

Bien sûr…

Il ne pouvaient pas ignorer que leur cible de cette nuit-là était l’âme et la conscience du parti de ceux, de plus en plus nombreux, qui ont, à Moscou même, compris que cette guerre dans l’est de l’Ukraine est une folie, non seulement criminelle, mais suicidaire et qui est en train de mettre la Russie à genoux.

Surtout l’Ukraine quand même, de ce que je vois…

Bref, comme les assassins d’Anna Politkovskaïa en 2006, comme ceux de Sergei Magnitsky en 2009, comme d’autres, ils ont tué celui dont la voix – éclatante et qui, même étranglée, ne se taisait jamais – était l’honneur du peuple russe ; ce même peuple russe dont Vladimir Poutine s’ingénie, lui, au même moment, à défigurer les plus hautes valeurs.

Boris Nemtsov, c’était l’anti Poutine.

Tandis que l’un se réclame de Staline et du pire tsar de l’histoire russe, Nicolas 1er, l’autre était l’héritier conjoint de Sakharov, de Soljenitsyne et des dissidents de l’âge soviétique.

C’est là qu’on voit tout le caractère manipulateur de ce type : il cite Soljenitsyne alors que, quand celui-ci à plaidé pour un réveil des valeurs russes, il a écrit un odieux billet dans Libération du 26 septembre 1990, prononçant la formule du bannissement intellectuel : « Il n’est pas récupérable : Adieu Soljénitsyne ».”

Et il est évident que sa mort est un coup dur pour la vraie grande Russie – celle qui est grande, non par les armes, mais par l’esprit et par cet insatiable désir de liberté qui va des décembristes à Pasternak en passant par cet hymne aux « libertés tcherkesses » de Pouchkine ou Lermontov que Boris Nemtsov avait sans doute en tête lors de notre rencontre d’il y a quatorze ans…

Nul ne sait, à l’heure où j’écris, qui a commandité le crime.

Eh bien on se la ferme alors…

Et l’on peut faire confiance au tortueux Poutine pour produire, le moment venu, un coupable idéal dont la personnalité viendra confirmer le conspirationnisme forcené dont il nourrit son peuple.

Alors que ce papier est garanti 100 % sans conspirationnisme, vu que BHL a toutes les preuves de ce qu’il avance ou sous-entend !

Mais ce que l’on sait, d’ores et déjà, c’est qu’une horreur pareille n’était possible que dans une Russie livrée, depuis vingt ans, à une violence d’Etat impunie.

Eh oui… Et assassiner des dessinateurs, c’est possible où ?

Ce qui est sûr c’est que Boris Nemtsov serait encore en vie et serait demain, dimanche, en tête de la manifestation anti guerre à laquelle il venait encore d’appeler, trois heures avant de succomber, sur l’antenne de Ekho Moskyy, si l’on ne sortait de vingt ans d’une chasse aux opposants où tout ce qui fait profession de démocratie a été méthodiquement trainé dans la boue et réprimé.

Et il en va de ce meurtre comme de celui de Jean Jaurès dont l’Histoire a moins retenu l’auteur direct que le vent de folie qui l’a rendu possible et qui soufflait, depuis des années, dans la presse d’extrême-droite, nationaliste et antidreyfusarde.

Puisse la comparaison s’arrêter là.

Et plaise au ciel que la mort de Boris Nemtsov n’ait pas la même signification rétrospective que celle du dernier chantre de l’internationalisme d’avant 1914.

Il va falloir, demain, regarder de très près ce qu’il adviendra de la manifestation pacifiste qu’il avait voulue et qui est en train de se transformer en manifestation de deuil et d’hommage à son courage et à sa mémoire.

Ou bien l’opposition, sonnée par ces quatre coups de révolver (autant, a dit son ami Kasparov, que d’orphelins qu’il laisse derrière lui), rentre dans le rang et attend.

Ou bien elle répond à l’intimidation par une mobilisation redoublée et fait à Boris Nemtsov un cortège recueilli et glorieux : et, alors, le parti de la guerre (contre l’Ukraine, contre l’Europe et, à la fin des fins, contre la Russie même) connaîtra sa première vraie défaite.

Le parti de la guerre, je vois assez bien qui c’est, c’est marqué dessus…

P.S. juste pour rire :

La minute vraiment nécessaire de Jacques Sapir

Chacun appréciera la différence de niveau…

Assassinat à Moscou

1 mars 2015

Par

Il est aujourd’hui prématuré de vouloir désigner un coupable dans l’assassinat de Boris Nemtsov, mais au vu de l’émotion que cet acte odieux a provoqué, on peut néanmoins poser un certain nombre de questions. Ayant connu personnellement Nemtsov au début des années 1990, quand il fut élu maire de Nijni-Novgorod, puis l’ayant rencontré à plusieurs reprises jusqu’à son entrée au gouvernement, j’ai été ému, comme bien d’autres.

Je n’oublie pas non plus que le ralliement de Nemtsov aux idées libérales qui avaient cours en Russie à cette époque en fit un des responsables (même s’il ne fut pas, et de loin, le principal responsable) de la détestable politique économique qui conduisit le pays à la ruine et sa population à la misère, jusqu’à la crise financière de 1998. A partir de 2004, et de la « révolution orange » en Ukraine, il s’était rapproché de l’équipe de Victor Ioutchenko et des « pro-occidentaux » en Ukraine, au point de devenir un éphémère conseiller du gouvernement ukrainien. Son opposition à Poutine l’avait conduit à fréquenter les milieux oligarchiques et des gens étranges à Kiev. Plus récemment, il avait pris fait et cause pour le mouvement dit « de Maïdan » et il critiquait la position du gouvernement russe à propos de la crise ukrainienne.

Son opposition systématique à Vladimir Poutine l’avait marginalisé et il était bien moins connu que d’autres figures de l’opposition comme Zyuganov (le dirigeant du Parti Communiste de Russie ou KPRF), Alexeï Koudrine, l’ancien ministre des finances, ou même Navalny. Aux dernières élections son micro-parti avait eu moins de 1% des suffrages et, de fait, n’avait aucun poids. Il n’était donc nullement « la » principale figure de l’opposition à Vladimir Poutine comme on cherche à le présenter en France et aux Etats-Unis, mais, en dépit de son jeune âge (il avait 55 ans) il était en fait un « homme du passé ». Il faut avoir ces éléments en tête quand on réfléchit à « qui aurait eu intérêt à tuer Nemtsov ».

Un meurtre mis en scène ?

Les premières questions qui viennent à l’esprit concernent le scénario de son assassinat. On sait qu’il avait diné avec un mannequin ukrainien au restaurant qui se trouve dans l’enceinte du GOUM, dont une des sorties donne sur la Place Rouge. A partir de là, les choses semblent avoir été les suivantes :

  1. Nemtsov et son amie sont sortis à pieds du restaurant, sont passés devant l’église de Basile le Bienheureux et ont pris le grand pont qui traverse la Moskova. Vu l’heure (entre 23h et 24h) et la saison, il n’y avait pas grand monde sur le pont.
  2. Nemtsov a été tué par un tireur qui était dans une voiture (ou qui serait monté), suivant Nemtsov vraisemblablement, et qui a tiré 8 ( ?) balles dont 4 ont fait mouche dans le dos de Nemtsov. L’arme utilisé semble avoir été un pistolet automatique de type Makarov.
  3. La compagne de Nemtsov n’a pas été touchée dans le tir.

Ceci soulève plusieurs questions. Un tir depuis une voiture en mouvement implique que l’on ait parfaitement identifié la « cible » et surtout que l’on connaisse son parcours. Cela implique aussi un degré d’expertise dans le maniement des armes qui n’est compatible qu’avec le meurtre par « contrat ». Le risque de manquer la « cible » ou de ne lui infliger que des blessures non mortelles est élevé. De ce point de vue on peut se demander pourquoi ne pas attendre que Nemtsov soit rentré chez lui ? Le mode classique de l’assassinat par « contrat » se fait dans un lieu où l’on est sûr de trouver la victime, la cage d’escalier de son appartement ou quand la personne sort d’un restaurant en règle générale. Or, ce n’est pas ce qui a été fait. Le choix du lieu du crime pourrait impliquer une intention démonstrative. Comme celle d’impliquer Vladimir Poutine dans ce meurtre ? En tous les cas il est évident que les assassins ont pris des risques qui semblent indiquer une intention politique. Tout ceci fait penser à une mise en scène.

Les conditions techniques du meurtre.

On peut certes comprendre que les assassins ne tirent pas sur Nemtsov à sa sortie du restaurant. C’est un lieu où il y a toujours du monde et qui est très surveillé. Mais, le modus operandi soulève lui aussi plusieurs questions.

  1. Comment les assassins pouvaient-ils être sûrs du trajet qu’allaient suivre Nemtsov et sa compagne ? Si un fort degré de certitude existait, cela pouvait permettre aux tueurs effectivement d’intervenir sur le pont au moment voulu. Mais, si aucune certitude n’existait, comment pouvaient-ils être sûrs que Nemtsov serait, au moment voulu, sur le pont. On voit que cela impliquait un niveau d’organisation important.
  2. La voiture, une Lada blanche, ne pouvait en effet circuler sur la Place Rouge. Nemtsov n’a donc pas pu être suivi par les tueurs de sa sortie du restaurant jusqu’au moment ou il rejoint la voie routière. Pendant plusieurs centaines de mètres la voiture ne peut suivre ni précéder Nemtsov. Elle a donc dû intercepter la trajectoire du couple. Cela vaut que l’on soit dans le cas d’un tireur DEPUIS la voiture ou d’un tireur montant après avoir fait feu et cela implique très probablement un ou plusieurs complices qui suivent Nemtsov et qui indiquent (par téléphone mobile ?) aux futurs tueurs la situation de Nemtsov et de sa compagne. Mais, on peut aussi penser à une autre hypothèse, qui est techniquement possible. Ainsi, une balise aurait pu être emportée à son insu (ou volontairement ?) par Nemtsov ou la jeune femme, qui aurait donné à la voiture des tueurs la position et le déplacement exact du couple.
  3. La différence de vitesse entre des piétons et une voiture implique de plus une synchronisation parfaite pour que la voiture vienne à la hauteur de Nemtsov quand ce dernier est sur le pont. Ici encore, ceci est compatible tant avec l’hypothèse de complices qu’avec celle d’une balise.

On le voit, sauf si pour une raison ou une autre les tueurs savaient parfaitement quelle était la destination de Nemtsov et de la jeune femme, le meurtre impliquait une organisation sophistiquée, impliquant soit des complices (certainement un pour indiquer le moment de sortie du restaurant et un autre pour indiquer le moment où Nemtsov et sa compagne se sont engagés sur le pont) soit des moyens électroniques de surveillance et de localisation (une balise). Ceci explique pourquoi la justice russe a tout de suite privilégié l’hypothèse d’un meurtre organisé.

Quelles hypothèses ?

La presse, en France et dans les pays occidentaux, privilégie l’hypothèse d’un meurtre soit commandité par le Kremlin, soit par des mouvements nationalistes proches du Kremlin. Disons tout de suite que la première hypothèse n’est pas cohérente avec le lieu du crime. De plus, on voit mal quel intérêt aurait le gouvernement russe à faire assassiner un opposant, certes connu, mais désormais tombé à l’arrière-plan politique. Quand Vladimir Peskov, porte-parole du Président Poutine dit que Nemtsov ne représentait aucun danger, aucune menace, pour le pouvoir, c’est parfaitement exact. Si, à travers l’assassinat de Nemtsov on cherchait à terroriser les autres opposants, il aurait été plus simple de le tuer chez lui. L’hypothèse d’une implication, directe ou indirecte, du gouvernement russe apparaît donc comme très peu probable.

Une autre hypothèse, privilégiée par l’opposition russe, est que le crime aurait été commis par une fraction extrémiste, proche mais non directement reliée, au pouvoir russe. Effectivement, des groupes extrémistes ont menacé divers opposants, dont Nemtsov. Ces groupes reprochent d’ailleurs à Vladimir Poutine sa « tiédeur » dans le soutien aux insurgés du Donbass, et alimentent en volontaires l’insurrection. Il est parfaitement possible de trouver dans les rangs de ces mouvements des personnes capables de commettre ce meurtre. Mais alors il faut répondre à plusieurs questions :

  1. Comment un groupe de ce genre peut-il disposer des moyens sophistiqués qui ont été employés pour tuer Nemtsov ?
  2. Pourquoi ces gens, dont on peut penser qu’ils sont viscéralement anti-ukrainiens, auraient-ils épargné la jeune femme accompagnant Nemtsov ?

Ici encore, si l’assassinat avait eu lieu à la sortie du restaurant, ou chez Nemtsov, on pourrait croire à cette hypothèse. Mais, les conditions de réalisation de l’assassinat, et la mise en scène implicite qui l’entoure, semblent difficilement compatibles avec l’acte d’un groupe extrémiste. Disons-le crument : le niveau d’organisation de cet assassinat porte probablement la trace de l’implication de « services », que ces derniers soient d’Etat ou privés (et les oligarques ont les moyens de faire appel à des services « privés »).

Il faut le répéter, l’implication des services russes ne fait aucun sens. Du point de vue de Poutine et du gouvernement cet assassinat est une catastrophe à la fois politique mais aussi en termes de guerre de l’information.

Une provocation ?

L’hypothèse d’une provocation a été tout de suite avancée par Vladimir Poutine et par le gouvernement russe. Bien entendu, on peut comprendre l’intérêt pour Poutine de cette hypothèse. Mais il faut avoir l’honnêteté de dire que c’est elle qui est, en l’état de nos connaissances sur les conditions de la mort de Boris Nemtsov, la plus cohérente. Cette provocation aurait pu être organisée par beaucoup de monde, car bien des pays, et bien des gens, ont intérêt à faire un croc-en-jambe de ce type à Vladimir Poutine.

Cet assassinat, à la veille d’une manifestation d’opposition, peut parfaitement déstabiliser la situation politique, non pas en Russie mais du moins sur Moscou. Il concentre l’attention sur Vladimir Poutine, qui va devoir maintenant faire la preuve de son innocence tant la suspicion dont il est l’objet est forte. L’émotion est importante à Moscou, ce que montre l’ampleur de la manifestation en hommage à la mémoire de Boris Nemtsov, qui a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes ce dimanche 1er mars. C’est pourquoi, il est de l’intérêt de Vladimir Poutine de faire la lumière le plus vite possible sur ce crime.

Jacques Sapir

P.S. : La réaction de Mikhaïl Gorbatchev :  ”C’est une tentative de compliquer la situation, peut-être même de déstabiliser la situation dans le pays, aggravant la confrontation

« Il est difficile de dire quel côté est responsable pour cela. Que l’on ne se presse pas à des conclusions hâtives et que l’on fasse des enquêtes méticuleuses, »

« Bien sûr, certaines puissances chercheront à exploiter ce crime pour servir leurs propres objectifs, à savoir comment se débarrasser de Poutine? Mais je ne pense pas que l’occident ira aussi loin que ça, qu’il utilisera ce crime à ses propres fins. Cependant, c’était supposément le but des criminels qui ont assassiné Boris, » dit-il.

« Les crimes de ce genre sont exécutés par des individus difficiles à retracer. Tous les efforts doivent être faits pour trouver ces criminels, » a dit l’ex-président.

« Ce crime perturbe les sentiments de tout un chacun. Boris possédait certains traits de caractères controversés, bien sûr, mais c’était un homme d’intégrité, » a dit Gorbatchev.

Source: http://www.les-crises.fr/un-exemple-ou-on-essaie-dimposer-une-theorie-du-complot-lassassinat-de-boris-nemtsov/


Russie, une opposition sous influence

Monday 2 March 2015 at 04:00

Je vous livre un article intéressant de l’école de guerre économique sur l’opposition russe.

À lire, comme toujours avec recul et esprit critique…

Russie : Une opposition sous influence
La conclusion est remarquable, en voici une extrait :

“on ne peut qu’être étonné de la propension des journalistes occidentaux à :

- ne relayer que les informations et les témoignages de l’opposition, sans trop s’encombrer de la vérification de leur crédibilité7879 ;

- à présenter cette opposition comme un bloc, alors que quatre candidats d’opposition étaient en lice et que les manifestations rassemblaient des groupes allant des néonazis aux LGTB (lesbiens, gays, trans- et bisexuels).

- à accorder trop de crédit aux témoignages et informations émanant de personnalités et de groupes de l’opposition, nécessairement partisans d’autant que l’utilisation des médias comme caisse de résonnance fait

partie de leurs modes d’action.

- à exagérer le nombre de fraudes sur la base de chiffres fournis par des opposants soi-disant indépendants, tout en les limitant au seul parti en place alors qu’elles concernent tous les partis 80;

- à remettre en cause la légitimité d’un président élu démocratiquement au premier tour avec plus de 63 % des voix, et plus de 50 selon les estimations les plus pessimistes 81

- à assimiler le peuple russe à une centaine de manifestants urbains dans un pays comptant 140 millions d’âmes ;

- à déplorer l’absence de liberté d’expression en Russie, malgré un réseau Internet très développé et en forte hausse, et l’existence de grands journaux d’opposition.

- à relayer des vidéos ou des images censées affaiblir l’image des dirigeants russes sans plus d’informations, ou en en ignorant la provenance, aboutissant à des erreurs

- à transformer des patronymes, à réaliser des traductions trompeuses, voire à confondre des personnes 82;

- à ne jamais relativiser la répression des manifestations par le gouvernement, menée dans un cadre légal pourtant bien moins contraignant que ceux en vigueur en France, par exemple, ou aux États-Unis83 84;

- rejoignant le point précédent, et plus largement, à ne jamais reconnaître les failles des pays occidentaux dénoncés en Russie (quid de la répression brutale du mouvement Occupy Wall Street ? quid de l’élection de George Bush en Floride en 2000 ?)

- à faire porter la responsabilité de la tension entre les deux pays sur les épaules des seuls Russes, alors que les Américains ont une part si ce n’est plus grande, au moins égale, qui mériterait d’être développée, ou au moins mentionnée.

- à appliquer un tel traitement à ces élections sans en avoir fait de même pour d’autres, au moins aussi litigieuses, telles que les élections algériennes de mai 2012, américaines de 2000 ou géorgiennes de 2004 pour n’en citer qu’une infime partie.”

Source: http://www.les-crises.fr/russie-une-opposition-sous-influence/


La géographie politique de la guerre en Syrie, par Fabrice Balanche

Monday 2 March 2015 at 02:59

Billet de Aron Lund
Vendredi 30 janvier 2015

Expert reconnu de la Syrie, Fabrice Balanche a une perspective inhabituelle. Son domaine d’étude est la géographie politique, qui relate l’interaction entre pouvoir, communauté et territoire. Professeur assistant de géographie à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO), il fait des apparitions fréquentes dans les médias français, où son rejet précoce de l’idée qu’une transition pacifique en Syrie serait possible, ou que la chute du président syrien Bachar el-Assad était imminente ont fait des vagues.

Sa recherche commence à être disponible en anglais, mais est pour la plupart écrite en français; les lecteurs francophones sont donc encouragés à consulter ses travaux les plus récents et à le suivre sur Twitter. Aujourd’hui, Fabrice Balanche nous a fait le plaisir d’accepter une entrevue avec Syria in Crisis afin d’expliquer sa méthode pour cartographier la guerre en Syrie et afin de présenter son point de vue de la situation.

Dites-nous, en quelques mots, comment vous avez été amené à vous consacrer à la Syrie.

J’ai commencé à travailler sur la Syrie en 1990 alors que je rédigeais mon mémoire de maîtrise. Entre 1992 et 2000 je me suis consacré à une longue étude des relations entre la communauté alaouite et les autorités syriennes pour une thèse de doctorat en géographique politique. Celle-ci fut publiée en 2006 (La région alaouite et le pouvoir syrien). J’ai vécu en Syrie pendant six ans durant cette période. J’ai décrit le clientélisme confessionnel qui structure la société syrienne ; ma conclusion était que la Syrie à l’époque du décès du président Hafez el-Assad en juin 2000 se trouvait dans une situation similaire à celle de la Yougoslavie au moment de la mort de son président Josip Broz Tito, et que par conséquent elle risquait de subir un sort identique.

Dans l’édition de décembre 2011 du journal de géopolitique Outre-Terre, vous écrivez un article intitulé Géographie de la révolte syrienne. Il décrit le conflit syrien comme étant prédéterminé par des facteurs sociaux et confessionnels, avec une opposition armée presque entièrement enracinée dans la majorité sunnite de la population – particulièrement parmi les groupes sociaux en déshérence tels que les pauvres des régions rurales — alors que les zones dominées par les minorités et les classes moyennes et supérieures demeurent soit passives, soit soutiennent activement le président. Il s’agit là d’une des premières études approfondies des dimensions confessionnelles et socio-économiques du conflit, publiée bien avant que ce genre d’arguments ne devienne courant dans les médias, et à un moment où les deux parties en présence niaient complètement la dimension confessionnelle du problème syrien. Comment êtes-vous parvenu à ces conclusions ?

Je n’ai point été surpris par l’éclatement de la crise en Syrie. J’ai plutôt trouvé surprenant que le pays n’ait pas explosé quelques années plus tôt étant donné que tous les indicateurs socio-économiques étaient au rouge. On observait des tensions sociales dues à la pauvreté, des tensions territoriales entre le centre et la périphérie, et des tensions confessionnelles – et toutes se superposaient.

L’intifah, ou ouverture économique, de 1990 et les réformes accélérées de libéralisation entreprises sous le régime du président Bachar el-Assad ont créé des inégalités sociales qui se révélaient impossibles à gérer par une bureaucratie syrienne rigide, tout en accroissant les frustrations confessionnelles, spécialement à l’encontre des alaouites. Le vieux système baathiste était alors en bout de course. L’économie syrienne avait un besoin urgent d’une marge de manœuvre, mais le jeune président ne pouvait transformer la Syrie en un “tigre économique“. Cela aurait mis en cause toute la structure du pouvoir méthodiquement élaborée par son père.

La situation a, par conséquent, débouché sur une guerre civile au cours de laquelle la fragile coexistence confessionnelle en Syrie a volé en éclats – coexistence qui dans les années qui précédèrent le conflit reposait de plus en plus sur la répression et de moins en moins sur la redistribution de la richesse économique nationale.

Mais pourquoi les grands médias et le débat politique en occident ne se sont-ils penchés sur le problème que bien plus tard ?

Les médias refusaient de considérer la révolte syrienne comme autre chose qu’un prolongement des révolutions en Tunisie et en Egypte, alors que régnait l’enthousiasme pour le printemps arabe. Les journalistes ne saisissaient pas les subtilités confessionnelles de la Syrie, ou peut-être ne voulaient-ils pas les appréhender ; j’ai été censuré à de multiples reprises.

Les intellectuels syriens d’opposition, dont bon nombre vivaient en exil depuis des décennies, tenaient un discours semblable à celui de l’opposition iraquienne pendant l’invasion américaine de 2003. Certains prenaient honnêtement leur désir d’une société non-sectaire pour la réalité ; mais d’autres – tels les Frères Musulmans – cherchaient à travestir la réalité afin d’obtenir le soutien des pays occidentaux.

En 2011-2012 nous souffrions d’un type de maccarthysme intellectuel relatif à la question syrienne : si l’on affirmait qu’Assad n’allait pas tomber dans les trois mois, alors on était soupçonné d’être à la solde du régime syrien. Les membres de l’opposition en exil du Conseil National Syrien passaient à la télévision l’un après l’autre pour nous assurer que les rares dérapages confessionnels étaient l’œuvre des services secrets d’Assad, que la situation était sous contrôle, et que le Conseil National Syrien avait un plan pour éviter tout risque de guerre civile. Et comme le ministre des affaires étrangères français avait pris fait et cause pour l’opposition syrienne, il eût été de mauvais goût de contredire ses communiqués. Comme Georges Malbrunot et Christian Chesnot en font la remarque dans leur dernier livre Les chemins de Damas : « Il est préférable de se tromper avec tout le monde que d’avoir raison tout seul ».

Le conflit syrien a-t-il été influencé par des facteurs confessionnels dès le début, ou cet aspect est-il apparu plus tard ?

Le conflit syrien a été confessionnel, social et politique dès le début. Ces trois facteurs étaient étroitement liés, parce qu’en Syrie les divisions confessionnelles sont présentes partout. La révolte commença par une tentative de se débarrasser d’Assad, de la bureaucratie étatique, du parti Baath, des services secrets, et de l’état-major de l’Armée Arabe Syrienne. Mais toutes ces organisations sont remplies d’alaouites, dont plus de 90% travaillent pour l’état.

On pouvait repérer les motifs confessionnels sur la carte. Dans les zones mêlant les alaouites et les sunnites, les protestations n’avaient lieu que dans les secteurs sunnites. A Lattaquié, Banias et Homs, les manifestants sunnites s’affrontaient à des contre-manifestants alaouites. Cette mobilisation pro-Assad n’était pas seulement organisée par le gouvernement ; elle faisait plutôt partie du phénomène d’asabiyya urbaine (solidarité communale) que Michel Seurat a si bien décrit dans le cas de Tripoli. Dans la province de Daraa, la population étant presque exclusivement sunnite, les manifestations se sont naturellement propagées – mais seulement jusqu’à la frontière avec la province de Sweida, peuplée de Druzes qui ne sympathisaient pas du tout avec le mouvement. A Alep, les divisions étaient principalement sociales entre les nantis et les pauvres, entre les citadins et les nouveaux arrivants des campagnes vivant dans les bidonvilles. Le facteur confessionnel y était toutefois également présent, avec les chrétiens demeurant farouchement fidèles au régime et les kurdes jouant leur propre jeu comme nous l’avons constaté dans les cantons autonomes d’Afrin, Ain el-Arab (Kobané) et Kameshli.

En fin de compte, le confessionnalisme commença à éclipser tous les autres paramètres de la crise syrienne.

Dans l’édition d’octobre 2013 du journal en ligne français Orient XXI, vous publiez un essai sur la façon dont la division politique en Syrie est représentée sur les cartes (L’insurrection syrienne et la guerre des cartes). Vous y fournissez une estimation approximative de la fraction du territoire syrien et de la population tenus par chacun des camps politico-militaires. A l’époque, vous aviez calculé que 50% à 60% de la population en Syrie – mais moins en termes de territoire – demeuraient sous le contrôle d’Assad et de ses alliés, alors que les divers groupes arabes sunnites insurgés contrôlaient 15% à 20% de la population, et les kurdes peut-être 5% à 10%. Le reliquat comprenait les personnes vivant dans des régions contestées. Pouvez-vous expliquer brièvement comment vous avez calculé ces chiffres ?

Dès mon premier séjour en Syrie, j’ai été frappé par l’absence de sources statistiques et cartographiques fiables. Les chercheurs et les experts extrapolaient simplement à partir d’études de cas locaux, ou de données générales à l’échelle des provinces. Je me suis donc assigné la tâche de construire un système d’information géographique à partir des recensements et des cartes topographiques syriennes.

Je dispose désormais d’une base de données démographiques pour 6 000 localités syriennes, de même que des bases de données au niveau des quartiers pour les dix villes les plus importantes. Ceci me permet de calculer le pourcentage de la population sous le contrôle des rebelles, des kurdes et du gouvernement, quoique de façon approximative étant donné le peu d’information concernant l’origine géographique des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays.

Les chiffres publiés dans Orient XXI étaient fondés sur la situation militaire au début de l’été 2013 et l’état des lieux a bien évolué depuis. Pourriez-vous nous donner votre meilleure estimation du territoire et de la population aujourd’hui sous le contrôle des différentes parties

En premier lieu, il y a eu un exode massif de réfugiés hors de Syrie. Le Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) estime le nombre actuel de réfugiés syriens à quelque 3,7 millions. Nous pouvons probablement y ajouter un autre million de personnes qui n’ont pas été enregistrées comme réfugiés, parce qu’elles sont suffisamment aisées pour échapper à ce statut, ou bien parce qu’elles ont traversé la frontière clandestinement.

En Syrie, il reste maintenant environ 18 millions d’habitants qui n’ont pas péri à cause de la guerre ou fui le pays. Ils se répartissent comme suit : 3 à 6 millions dans les zones rebelles, 10 à 13 millions dans les zones tenues par le gouvernement, et 1 ou 2 millions dans la région kurde.

Ces différences sont dues aux déplacements internes. Les personnes déplacées à l’intérieur du pays représentent au moins 6,5 millions selon le HCR, bien que nous sachions que ce chiffre est surestimé [NdT : "underestimated" dans le texte original] par toutes les parties afin d’obtenir un supplément d’aide humanitaire. L’origine des réfugiés hors de Syrie est facile à déterminer car ils sont enregistrés par le HCR, mais cela est difficile dans le cas de personnes déplacées. Toutefois, il semble évident que la majeure partie des mouvements de population à l’intérieur des frontières s’effectue depuis les territoires rebelles appauvris et souffrant d’insécurité vers les zones contrôlées par le gouvernement, plus stables et économiquement en état de fonctionner.

Il est plus facile de donner le pourcentage du territoire occupé par les différents camps, mais notez bien que ceci ne fournit pas une image adéquate de la situation militaire, puisqu’une vaste région rurale est stratégiquement moins importante que les grandes agglomérations ou les axes principaux de communication.

A ce jour, le gouvernement syrien contrôle 50% du territoire, mais domine entre 55% et 72% de la population demeurée en Syrie. Les rebelles contrôlent 45% du territoire et 17% à 34% de la population, tandis que les kurdes ne contrôlent pas plus de 5% du territoire et 5% à 10% de la population.

Comme les deux rapports du HCR ainsi que d’autres sources indiquent qu’une large majorité des réfugiés et des personnes déplacées proviennent des zones rebelles, nous pouvons affiner nos statistiques pour conclure qu’environ deux tiers de la population syrienne encore au pays résident dans le territoire sous contrôle du gouvernement, et moins d’un quart dans les zones rebelles. Mais il est difficile d’être plus précis.

Si nous considérons plus en détail ces 45% du territoire syrien et ces 17% à 34% de la population sous contrôle des rebelles sunnites, nous savons que des centaines de groupes différents sont actifs dans cette zone. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Par exemple, l’Etat Islamique, désormais en guerre avec presque toutes les autres composantes de la rébellion, a surgi comme une force de combat entièrement séparée. Quelle fraction de la Syrie l’Etat Islamique contrôle-t-il à présent ?

Il est difficile de savoir quels territoires se trouvent sous le contrôle de groupes rebelles tels que Ahrar al-Sham, le Front al-Nosra, l’Armée Libre Syrienne (ALS), ou d’autres factions analogues. C’est plus facile dans le cas de l’Etat Islamique car il est seul présent sur son territoire. A l’heure actuelle, il contrôle environ 30% du territoire syrien, bien que ceci comprenne de vastes régions désertiques. La population sous la domination de l’Etat Islamique peut être estimée entre 2 millions et 3,5 millions de personnes, ce qui correspond à quelque chose comme 10% à 20% de la population actuelle de la Syrie.

En agrégeant les groupes tels que Ahrar al-Sham, le front al-Nosra, l’Armée de l’Islam, et les différentes factions de l’ALS, on arrive à peut-être 15% du territoire et 1 million à 2,5 millions de personnes, bien que le contrôle politique soit éclaté ou partagé entre de nombreux groupes d’obédiences diverses. Encore une fois, la densité démographique diffère considérablement d’une région à l’autre. Ainsi, l’Armée de l’Islam contrôle un tout petit territoire dans la région de Ghouta Est, dans les environs de Damas, qui représente moins de 0,1% de la superficie du pays. Toutefois, cette zone est densément peuplée et comprend peut-être 350 000 à 500 000 personnes, ce qui signifie que l’Armée de l’Islam contrôle 2% ou 3% de la population syrienne.

Source : Carnegie Endowment for International Peace, le 30/01/2015
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/la-geographie-politique-de-la-guerre-en-syrie-par-fabrice-balanche/


[Vidéo] La conférence des éconoclastes du 29 janvier 2015 à Louvain

Sunday 1 March 2015 at 05:04

En attendant celle du 24 mars à Lille:)

3 heures de vidéo pour ce dimanche généralement pluvieux…

Quantitative Easing rêve ou réalité ?

Olivier Delamarche, Philippe Bechade

Baisse du pétrole : bonne ou mauvaise nouvelle ?

Nicolas Meilhan, Benjamin Louvet

L’économie du triangle des Bermudes

Steen Jakobsen

Source: http://www.les-crises.fr/la-conference-des-econoclates-du-29-janvier-2015-a-louvain/


Revue de presse internationale du 01/03/2015

Sunday 1 March 2015 at 03:05

Une bonne dizaine d’articles en traduction française dans cette revue. Plus globalement, au programme, beaucoup de soupçons de manipulation (comptes des banques, cours du pétrole, médias, sondages, réseaux sociaux, etc.), des dettes publiques et privées, les favoris des prochaines élections américaines, et même un site ‘amusant’, oui, oui (“the fun theory”) ! Merci à nos contributeurs et bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/rdpi-du-01-03-2015/


GEAB 92 – Syriza : catalyseur de la réforme politico-institutionnelle de l’Europe

Sunday 1 March 2015 at 01:59

Je partage avec vous aujourd’hui un extrait du « GlobalEurope Anticipation Bulletin », qui est pour moi de loin une des meilleures sources d’information sur la Crise…

Bon, ce numéro est particulièrement “europtimiste” – ce que je ne partage pas -, mais cela donne un autre point de vue…

OTAN, QE, Syriza, Ukraine, Israël : Les autoroutes vers le « monde de demain » sont en vue

La terrible crise ukrainienne de 2014 doit être comprise comme une limite infranchissable au-delà de laquelle le « monde d’avant » disparaît quoi qu’il arrive. Il disparaîtra dans le chaos et la radicalisation d’un système qui, ce faisant, cessera d’être lui-même, ou bien il disparaîtra en s’ouvrant aux nouvelles caractéristiques du « monde d’après ». Toute la question est là, simplement résumable à ceci : la guerre ou la paix ? Mais dans tous les cas, le monde d’avant, c’est fini !

Et le fait est que dès que la poussière des combats retombe un peu, on commence enfin à pouvoir apercevoir au loin les paysages du monde de demain et les chemins qui y mènent et répètent parfois l’aspect de véritables autoroutes. Même si notre équipe reste très inquiète sur les obstacles qui peuvent continuer à surgir sur ces chemins, nous estimons que la révélation progressive des paysages d’avenir est une bonne chose. En effet, les grands drames de l’Histoire arrivent souvent lorsque les peuples ou les systèmes ne voient plus d’issue à leurs difficultés.

Ainsi, dans ce numéro, au risque de paraître gravement naïfs, notre équipe a décidé de se concentrer sur ces voies d’avenir qui apparaissent au loin. L’anticipation politique a aussi pour objet de dédramatiser l’avenir. Sans compter que le combat dans lequel nous sommes engagés, et dont la crise ukrainienne est la plus emblématique concrétisation, n’oppose en fait que les forces souhaitant s’engager sur ces voies d’avenir et celles les empêchant.

Notre équipe a choisi de rendre publique la partie de ce numéro du GEAB consacrée à l’analyse de la victoire de Syriza aux législatives grecques.

Nous avons déjà évoqué le très grand changement que représente l’arrivée de Jean-Claude Juncker à la tête d’une Commission qu’il appelle lui-même celle « de la dernière chance »1, exprimant clairement l’idée qu’en cas d’échec de connexion de l’institution avec les citoyens européens (ou « démocratisation »), c’est le projet de construction européenne tel que voulu par les pères fondateurs2 dans son ensemble qui échouera.

Se combine désormais à cette volonté politique au plus haut de l’édifice européen, celle résultant de l’élection d’un parti non-institutionnel en Grèce, Syriza3, sur la base d’un mandat clair : remettre les institutions européennes au service de l’intérêt des citoyens grecs, intérêt dont on voit déjà à quel point il se recoupe avec celui des citoyens de tous les pays confrontés à l’austérité, Espagne et Portugal au premier plan, mais bien au-delà. Le sentiment de non maîtrise des outils de résolution de crise par tous les citoyens de la zone euro se fait peu à peu jour, et Alexis Tsipras représente clairement un espoir politique pour des segments entiers de citoyens dans toute la zone euro4.

L’arrivée de Syriza, tel un chien dans un jeu de quilles, dans l’ambiance feutrée du système politico-institutionnel européen, est un véritable catalyseur de réforme. Et le fait est que si le système communautaire a appréhendé l’élection de Tsipras (avec, par exemple, les menaces par Angela Merkel d’exclusion de la Grèce de la zone euro5), on ne peut qu’être surpris de l’accueil qui lui est pour le moment réservé6. C’est qu’il semble en fait capable d’enclencher un changement que toutes les catégories d’acteurs européens attendent désormais :

Le seul problème, ce sont encore une fois les médias… Non pas qu’ils soient aussi remontés qu’on aurait pu le craindre contre Syriza, mais plutôt parce qu’ils ont une compréhension extrêmement limitée de l’ampleur des enjeux des négociations en cours entre la Grèce et le reste de la zone euro et de la complexité du projet de réforme qui se noue entre tous ces acteurs (BCE, Eurozone, Grèce, Commission européenne, gouvernements nationaux).

La seule lecture à laquelle nous avons donc droit consiste à deviner si ce qu’il se passe nous rapproche ou nous éloigne d’une rupture de la zone euro. Or, nous le répétons une fois encore : il n’y aura pas de rupture de la zone euro ! Pas de Grexit (ni de Brexit probablement d’ailleurs, aussi11) : nous nous sommes tous embarqués dans un bateau qui peut aller loin du moment qu’on se donne les moyens d’en occuper la cabine de pilotage. L’Histoire n’a pas été dotée d’une touche Rewind à laquelle seuls les idéologues et les démagogues tentent de faire croire leurs ouailles : le bateau a quitté la rive, et ceux qui en descendront se noieront et feront chavirer les autres12.

Le processus enclenché par Tsipras n’est ni plus ni moins celui d’un changement complet du mode de fonctionnement de la zone euro. Le système de la troïka (FMI, BCE, Commission) a été révoqué, Tsipras exige de négocier avec les représentants élus de la zone euro13, un nouveau mécanisme de gouvernance plus légitime de la zone euro va devoir être inventé, en plus des solutions propres à la crise grecque. De tels objectifs ne risquent pas d’être résolus en un tournemain, pas plus que la paix en Ukraine et entre l’Europe et la Russie. Nous assistons à l’accouchement lent et douloureux de l’Europe et du monde de demain, avec tous les risques qu’un accouchement non médicalisé (faute de toute anticipation) comporte.

Les principaux obstacles à la négociation sont essentiellement les suivants : la BCE, qui n’a bien évidemment pas mandat à accéder à la requête d’un seul État et attend donc une décision collégiale de la part de l’ensemble de la zone euro ; l’Allemagne qui perd la domination – toute relative, d’ailleurs – qu’elle avait de la gestion de la zone euro (sachant que cette position dominante l’embarrassait plutôt qu’autre chose et qu’elle l’abandonnera avec plaisir du moment que le prochain mécanisme la rassure) ; l’incapacité structurelle du carcan politico-institutionnel actuel à la moindre réforme (qui obligera à aller jusqu’à la rupture) ; l’influence d’innombrables agendas cachés qui y perdront forcément dans le cadre d’une mise sous contrôle politique du système actuel14.

En ce qui concerne les Allemands, tout comme les Français l’ont prouvé dans un récent sondage15, et bien plus que Merkel ne l’imagine, ils sont certainement faciles à convaincre de la mise en place d’un système de solidarité pour sortir la Grèce de l’ornière, conscients qu’ils sont que la résolution de la crise grecque ne serait pas une bonne nouvelle seulement pour les Grecs. C’est d’ailleurs cette zone euro là qu’il s’agit d’inventer : un vrai Euroland fondé sur la solidarité et les logiques gagnant-gagnant.

Il est une chose qui n’est pas beaucoup commentée dans la victoire de Syriza. Là où nos médias passent leur temps à analyser que les problèmes économiques traversés depuis six ans par la zone euro vont faire monter l’extrémisme politique, la xénophobie, le rejet de l’Europe et de la démocratie, on voit avec Syriza et Podemos, par exemple, que les opinions publiques européennes tiennent remarquablement bien le choc, se refusant dans la mesure du possible à opter pour les solutions radicales16 et se ruant en revanche sur tout ce qui semble représenter une alternative, certes, mais raisonnable avant tout. Notre équipe met cette grande fiabilité collective des peuples européens sur le compte du désenclavement idéologique permis par Internet et l’accès « désintermédié » à l’information. Ni les politiques, ni les médias ne peuvent plus prendre en otages les opinions publiques interconnectées17.

C’est un fait que nous prendrons désormais en compte dans nos anticipations… Pour lire la suite de l’article, abonnez-vous au GEAB

Notes

1) Source : Euractiv, 22/10/2014.

2) Soit, suivant des principes de communauté d’États, des objectifs de paix et de prospérité partagées et au moyen d’une gouvernance démocratique.

3) Source : BBC, 25/01/2015.

4) Source : Euractiv, 04/02/2015.

5) Source : Le Figaro, 04/01/2015.

6) L’année 2014 a appris la prudence à notre équipe qui sait désormais que les bonnes nouvelles provoquent des irruptions brutales de mauvaises nouvelles. En ce qui concerne Syriza, nous nous concentrons dans le présent numéro sur le potentiel de sortie de crise que son élection véhicule. Mais nous sommes parfaitement lucides sur les tentatives que certains intérêts obscurs ou réflexes bureaucratiques pourraient susciter afin de bloquer les développements qui se mettent en place. Cela va de l’incapacité du système à accéder aux demandes de Tsipras à des risques de tentative de déstabilisation du pays. Source : Club Newropeans, 04/02/2015.

7) Source : Le Monde, 02/02/2015.

8) « Nous sommes tués par l’intergouvernementalisme », nous disait récemment un responsable de la zone euro. La « méthode intergouvernementale » fait référence à ce système de prise de décision à 28 sur des logiques d’intérêts nationaux, qui s’oppose à la « méthode communautaire » qui placerait la prise de décision aux mains du seul niveau européen, les deux méthodes espérant faire l’économie de la démocratie qui consisterait à fonder le système décisionnel européen dans la volonté des peuples européens.

9) C’est ainsi que la Banque d’Angleterre évoque la nécessité de sortir de la politique d’austérité quelques jours après l’élection de Tsipras. Source : The Guardian, 28/01/2015.

10) Source : Bloomberg, 30/01/2015.

11) Contrairement là encore à ce que les médias comprennent, un référendum britannique sur une sortie de l’UE se conclura par un refus (des sondages l’ont déjà montré) et tout le levier de chantage britannique sur l’UE prendra fin. Source : EUObserver, 23/10/2014.

12) La perspective de sortie de l’euro est un levier de négociation plutôt qu’autre chose. Quand on voit à quel point le système politique, institutionnel et financier européen vit dans la terreur de la moindre décision susceptible de faire baisser les bourses, on ne les imagine vraiment pas excluant l’un de ses membres ! La bonne nouvelle, c’est qu’ils vont donc devoir trouver un accord.

13) Source : BBC, 30/01/2015.

14) Mais sur ce dernier point, nous avons déjà fait remarquer qu’un système institutionnel qui dysfonctionne ne peut même plus servir les lobbies. L’enjeu devient dès lors commun de relancer la machine.

15) « Seules 15 % des personnes interrogées se montrent favorables à un maintien de la dette grecque et des échéances de remboursement actuelles ». Source : Les Echos, 04/02/2015.

16) En dehors des inévitables minorités et des effets liés à l’absence d’alternative entre partis institutionnels et partis extrémistes… En France ou en Angleterre, par exemple.

17) On l’a vu aussi dans la couverture médiatique occidentale de la crise ukrainienne, très peu objective et extrêmement va-t-en-guerre, qui a laissé les populations pour le moins sceptiques.


Abonnement : pour ceux qui en ont les moyens, en particulier en entreprise, je ne peux que vous recommander l’abonnement à cette excellente revue de prospective sur la Crise, qui avait annoncé dès 2006 la crise actuelle.

Je rappelle que LEAP ne reçoit aucune subvention ni publique, ni privée, ni européenne, ni nationale et que ses ressources proviennent uniquement des abonnements au GEAB.

Source: http://www.les-crises.fr/geab-92/


Revue de presse du 28/02/2015

Saturday 28 February 2015 at 04:20

Cette semaine dans la revue, comme un paradoxe en Allemagne ; via la Grande-Bretagne, l’OTAN officiellement en Ukraine ; pour la France, un spécial analyse de la loi Macron ; et dans le thème Vue D’Ailleurs, d’autres qu’on ne voit pas, plus Sarkozy et l’argent.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-28-02-2015/


Sarkozy, Hollande, Zemmour… “Si on ne rit pas, on se flingue”, par Patrick Rambaud

Saturday 28 February 2015 at 02:23

Alors qu’il publie un roman libertaire sur un sage chinois, Patrick Rambaud passe en revue tout ce qui le met en colère. Entretien décapant.

Patrick Rambaud a trouvé son maître : c’est Tchouang-Tseu, un sage chinois du IVe siècle avant notre ère. Il lui consacre un roman facétieux comme un conte voltairien, qui fait en douce l’apologie de la décroissance et de la pensée libertaire pour mieux flinguer l’esprit de compétition, les princes qui nous gouvernent et toutes les formes de la bêtise humaine.

Après les six tomes de sa fameuse «Chronique du règne de Nicolas Ier», auxquelles Rambaud promet aujourd’hui une suite, ce «Maître»-là est une récréation terriblement actuelle.

L’OBS Qu’est-ce qui vous a pris de vous intéresser à ce Tchouang-tseu ?

PATRICK RAMBAUD Je le connais depuis très longtemps. Je l’ai rencontré au début des années 1970. A l’époque, je dînais souvent avec Michel Polac. Il m’avait dit un jour: «Tu devrais absolument lire ça.» La traduction disponible à l’époque était un peu obscure, mais pendant des années, je l’ai lu et relu – il y a eu depuis une autre traduction en 2006, remarquable, par Jean Levi. J’avais un attrait pour le personnage.

Par ailleurs je m’intéresse beaucoup à l’Asie, parce que je suis d’origine lyonnaise. J’ai au moins sept siècles de Lyonnais derrière moi. Or entre Lyon et l’Asie, il y a la soie. J’ai chez moi plein d’objets chinois qui datent des appartements lyonnais d’autrefois: des lampes, des cendriers, une pipe à opium, des trucs très bizarres.

Enfin, quand j’étais au journal «Actuel», mes camarades avaient toujours cinq ou six heures de retard à chaque rendez-vous, donc j’avais le temps de lire de la littérature chinoise en les attendant.

Vous n’étiez pas très mao pour autant?

Jamais. J’étais plutôt avec notre ami Simon Leys, qui vient de mourir. J’ai toujours pensé que Mao était un gros con et, comme tous les empereurs de Chine, un redoutable personnage.

Que sait-on exactement de Tchouang-tseu?

Ce type n’a pas de vie. Elle tient en dix lignes chez le premier grand historiographe chinois connu, Sseu-Ma Ts’ien, qui est né deux siècles après. On y apprend qu’il est né Tchouang (dans la ville de Mong), qu’il a un nom de famille (donc qu’il est issu d’une classe un peu élevée), et qu’il a occupé les fonctions de superviseur des laques. Ce sont à peu près les trois seules choses qu’on sait sur lui.

Mais j’ai aussi beaucoup relu le livre de Tchouang-tseu, on y trouve plein d’indications sur lui. Par exemple, au détour d’une anecdote on apprend qu’il était marié. Tiens. Qu’il avait des enfants. Tiens, tiens. Qu’il parle des expériences qu’il a faites. J’ai remis tout ça dans mon bouquin.

Sinon, son époque est intéressante : c’est celle des Royaumes combattants, entre la fin de la féodalité chinoise et le début de l’Empire. Trois-quatre siècles de bordel complet et de guerres permanentes. Chaque Etat mangeait l’autre, puis s’alliait avec un troisième jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un. Tout ça dans une brutalité totale. Mais je m’aperçois que toutes les époques sont des époques de chaos.

La nôtre aussi ?

Ça y ressemble pas mal. L’histoire est une longue histoire de massacres. Mais celle dont je parle est aussi le moment où est née la pensée chinoise, avec des philosophes errants qui cherchaient du boulot, et plein d’écoles de philosophie… Des livres permettent de reconstituer ce décor. Mais j’ai fait un roman. Des sinologues ne pourraient pas. Ils connaissent trop bien le sujet, ils n’oseraient pas se laisser aller comme ça. Moi, je m’en fiche, je ne parle pas un  mot de chinois.

Il est beaucoup question des recettes de cuisine de l’époque. Le «fœtus de panthère», par exemple, ça se mangeait vraiment?

Oui. Pourquoi serais-je allé inventer un truc comme ça? C’est déjà assez barjot.

Et les foies humains ?

C’est dans Tchouang-tseu. Le premier écrivain chinois qui a signé son propre texte. Ca n’est pas rien, tout de même ! Et c’est aussi le premier penseur indépendant de tous les dogmes et de tous les pouvoirs: c’est très rare en Chine, l’indépendance. Lui c’est un type complètement indépendant. C’est sans doute ça aussi qui m’a séduit, dès les années 1970.

Je parlais tout à l’heure de la nouvelle traduction parue en 2006, dans un français limpide, par Jean Levi. Elle m’a bien aidé. Il faut la lire. Avec tout ça, je me suis inventé une histoire. J’ai pris les épisodes et j’ai essayé de les lier les uns aux autres.

Votre roman est aussi le portrait d’un sage. Quelle est sa grande leçon?

Je crois qu’on peut la résumer avec la phrase de Wittgenstein que je cite en tête du livre: «Puisque la vérité est étalée sous nos yeux, il n’y a rien à expliquer.» On ne peut qu’observer et décrire. Tout le reste n’est qu’un affreux bavardage.

Parce qu’il a observé de près les puissants, il donne aussi des leçons sur l’exercice du pouvoir.

Oui, il appartenait à la classe des fonctionnaires qui naît à cette époque-là. Donc il a été au service des princes. Il les a vus à l’œuvre. Et du coup il ne les supporte pas. Il y a deux choses qu’il ne supporte pas: les croyances et le pouvoir. D’où son indépendance totale.

Que devraient faire nos princes actuels s’ils lisaient ce livre? Démissionner?  

Assez vite, oui. Faire leur boulot et partir, sans s’accrocher au pouvoir. Mais comme ils n’ont jamais rien fait d’autre… C’est ça le problème. C’est une espèce de caste très étrange, qui pense sans arrêt à se renouveler, à s’échanger des postes, à grimper. Ils ne parlent pas aux gens. Ce sera dans ma prochaine «Chronique», ça.

Voulez-vous dire que le fonctionnement de la cour des princes chinois vous a rappelé celle de Sarkozy?

Bien sûr, c’est toujours pareil. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’on revient vingt-cinq siècles en arrière et ce sont les mêmes bonshommes, avec les mêmes raisonnements. C’est peut-être pour ça aussi qu’il est moderne, notre ami Tchouang-tseu.

C’est assez désespérant. Votre livre est nihiliste au fond.

Non, ce n’est pas nihiliste. Il s’agit juste d’observer et décrire, je vous dis. On constate qu’il n’y a pas d’évolution fantastique entre le Ve siècle avant notre ère et aujourd’hui, c’est tout. C’est d’ailleurs assez amusant, non?

Votre Tchouang-tseu a aussi un côté très anti-libéral, très critique sur l’esprit de compétition, qui selon lui anime les hommes et ne leur apporte finalement que du malheur. Partagez-vous ce point de vue?

Bien sûr. La vie est dure pour ceux qui n’ont pas de travail. Mais ceux qui en ont sont complètement esclaves. 90% des gens au moins font un travail idiot. Comment peut-on vivre toute sa vie en faisant un travail idiot?

Par exemple ?

Un travail de bureau, de paperasse, par exemple, ça ne sert à rien. D’ailleurs, les gens ne pensent qu’à une chose, ce sont les vacances et les week-ends. Comme quand on est à l’école. On pense aux grandes vacances. Ah, ce que j’ai pu penser aux grandes vacances quand j’étais à l’école ! Le reste je m’en foutais complètement.

Le travail n’est pas obligatoire en fait. Il l’est devenu, mais il ne devrait pas l’être. Et ceux qui n’en ont pas cherchent à en avoir. Ca c’est terrifiant comme vision. Des gens qui font un travail intéressant, il n’y en a pas beaucoup. La presse, c’est intéressant par exemple. Ecrire des bouquins, aussi, même si c’est un travail bizarre.

Mais travailler dans une aciérie huit heures par jour, c’est effrayant. Toute sa vie. Et pour mourir tôt, parce qu’on est épuisé. En fait l’esclavage est absolument partout, contrairement à ce qu’on croit.

J’ai mis deux phrases dans le livre. Une d’Emerson, le maître de Thoreau: «Une mouche est aussi indomptable qu’une hyène.» Et j’ai casé aussi une phrase de Stirner: «Un homme n’est appelé à rien, pas plus qu’une plante ou qu’un oiseau.» C’est vrai. C’est idiot, cette idée de vouloir trouver un sens à tout, alors qu’il n’y en a pas.

Sans doute, mais la crise économique…

Ecoutez, j’ai toujours entendu dire que c’était la crise et qu’il fallait faire des efforts, pour enrichir trois financiers. C’est consternant comme discours. J’entends ça depuis que je suis né en 1946, donc ça va, ça suffit, il faudrait passer à autre chose, essayer de voir les choses autrement. Mais nos dirigeants ne peuvent pas voir autrement : ils sont dans ce moule-là, ils ne peuvent pas en sortir. Ils réfléchissent à partir de choses déjà connues. Ils n’ont pas d’idées.

Tout est économique dans leur discours. C’est épuisant. Ces types ne voient qu’en chiffres. Ils ne parlent pas aux gens. Ce malheureux Hollande ne sait pas parler aux gens. C’est le prototype de l’énarque, promotion croquignol comme dit l’autre. Il est entouré d’énarques qui n’ont jamais rien fait, qui ne voient pas les gens, qui ne savent pas leur parler.

C’est étonnant quand même. Il me semble que le plus important, ce sont les gens, non? Je suis peut-être complètement con, mais je cherche à être con, parce que les chiffres sans arrêt, ce n’est pas possible… On va payer plus, serrez-vous la ceinture… Merde ! Ce n’est pas ça la vie ! Eh bien, si, pour eux c’est ça.

Il n’y a qu’à voir la fameuse histoire de la naissance des 3%. L’idée que «le déficit public ne doit pas dépasser les 3% de la richesse nationale», ça s’est fait au pif. Ça a été inventé sous Mitterrand. Et c’est devenu un dogme. Je raconterai en détail, l’année prochaine, comme ça s’est fait.

Mais encore une fois, comment répondre à la paupérisation des populations?

Il y en a partout, des gens qui se paupérisent. Dans le monde. Je ne sais pas ce qu’il faut faire, ce n’est pas mon métier. Mais étrangler les gens en permanence, ce n’est pas possible. Il faut changer complètement de vision des choses. Peut-être qu’il faudra une grande catastrophe pour que ça arrive…

Mais il y a des gens qui veulent sortir de ça. Même en Chine. Il y a ce grand mouvement qui s’appelle le «mouvement des branleurs»: ce sont des jeunes Chinois qui se fichent du pognon. Ils vivent complètement en marge du système. Ils sont très mal vus, mais leur mouvement prend de l’importance, puisque le gouvernement en parle. Et puis avec internet, ils peuvent se fédérer, un peu comme ceux de Hong-Kong. Ca fait très peur au gouvernement chinois.

Ils ressemblent un peu à nos zadistes, vos «branleurs».

Oui, mais ils ne sont pas violents. Ça ne sert à rien de casser des trucs. Ça se termine toujours mal. Enfin, c’est vrai, il y a un courant comme ça. On relit Thoreau, ça veut dire quelque chose.

Nous, quand on parlait d’écologie dans les années 1970, tout le monde se foutait de notre gueule. On avait fait la campagne de René Dumont à «Actuel». C’était le premier candidat écolo à la présidentielle, tout de même !

C’était l’époque où Pompidou voulait recouvrir le canal Saint-Martin et détruire Paris pour faire Manhattan. Des trucs abominables. Il a réussi à casser les Halles, d’ailleurs, ce qui était grotesque. Donc on réagissait contre tout ça, mais ça ne prenait pas. Maintenant, ça commence un peu plus à prendre…

Tchouang aussi se méfiait du progrès technique et du pouvoir des machines, un peu comme les luddites au XIXe siècle. C’est un apôtre avant l’heure de la décroissance…

Oui, ça c’est très, très curieux. Mais ça vient de ses textes. Il y raconte quelque chose qu’il a sans doute vécu. Un jour il voit des types qui se fatiguent à tirer de l’eau avec des seaux pour arroser des citrouilles.

Il leur dit qu’il existe une espèce de roue qui pourrait les aider à faire monter l’eau, et qu’ils pourraient produire beaucoup plus de citrouilles en se fatiguant moins.

Le type lui dit: «Monsieur ça nous ferait honte. La machine va nous manger, elle va nous mécaniser le cœur.» C’est extrêmement bizarre. La seule machine qui existe à l’époque est celle-là, et il dit déjà que c’est très dangereux, qu’il faut s’en méfier.

Je suis sans le savoir assez d’accord avec Tchouang-tseu. Je n’ai pas de bagnole, je n’ai jamais su conduire. Je n’ai pas d’ordinateur. J’ai un téléphone portable mais qui est toujours éteint, je prends simplement les messages qu’on m’y laisse. C’est juste pour téléphoner, ça ne me sert pas d’ouvre-boîte et de grille-pain en plus. Je m’en fous, je ne suis pas branché. A notre époque, c’est très reposant. Donc oui, je suis assez d’accord avec lui. C’est peut-être pour ça que j’ai fait un livre sur lui finalement.

Votez-vous pour les écologistes ?

Je ne vote pas. Je n’ai jamais voté de ma vie. Je n’y arrive pas. J’ai un blocage. Je n’y crois pas trop. Sauf à l’Académie Goncourt. Où je ne suis pas toujours d’accord, d’ailleurs, avec les résultats.

Qu’avez-vous pensé justement du Goncourt 2014 ?

Je suis très content pour Lydie Salvayre. Je crois que tout le monde est content. Elle vendait 6000 exemplaires avant le Goncourt, elle doit bien en être à 300.000. Ça marche. Le Goncourt, il ne faut pas oublier que les gens l’achètent à Noël pour leur grand-mère. Moi quand je l’ai eu, j’ai passé deux mois à écrire «Joyeux Noël mémé» sur mes livres. C’est bien, c’est toujours moins con que d’offrir des chocolats.

Patrick Rambaud (Bruno Coutier)

Il y a aussi un discours très libertaire dans votre roman, avec l’idée qu’il y a trop de lois et que plus il y en a, plus il y a de brigands.

Qu’il y ait trop de lois, c’est évident. Lao-tseu l’avait dit. Et sitôt qu’il y a une loi, ça incite les gens à la contourner, à faire le contraire. Tenez, récemment, la loi la plus idiote, c’était l’idée d’interdire les feux de bois dans les cheminées ! Ségolène a arrêté la chose.

Mais tout est interdit depuis un moment. Gouverner, c’est interdire. De quoi se mêlent donc ces gens? Ce n’est pas parce qu’un type met deux bûches dans une cheminée, pour se chauffer, ou parce que c’est joli, que ça va envoyer des particules partout. A Paris, des particules, on en prend plein la figure dès qu’on ouvre sa fenêtre. C’est comme cette interdiction permanente de fumer !

Disons que ça peut être mauvais pour la santé de votre entourage, non?  

Vous en êtes certain ? Est-ce que ça va tuer des gens qui, dans la rue, respirent bien pire? Mon toubib m’a dit que j’avais «des poumons de parisien». C’est intéressant quand même… Non, cette manie d’interdire est catastrophique.

Votre génération était pleine d’espoirs en Mai-68. Etes-vous amer, ou déçu, devant la tournure prise par les choses?

Pas du tout. D’abord, à partir du 4 mars 68, j’ai dû faire mon service dans l’armée de l’air. On essayait de faire des choses à l’armée, des conneries comme bloquer des parachutistes sur la base d’Evreux, mais ça ne menait pas bien loin.

En fait, dans notre génération, on s’emmerdait terriblement. La censure était partout. Il fallait être habillé en gris et avoir les cheveux courts. Je me souviens d’un type, en 67. Il remontait les Champs-Elysées, dans un costume en velours grenat qui passerait aujourd’hui complètement inaperçu. Tous les gens disaient : «Eh, regardez le pédé.»

C’était étouffant. Mai-68, c’était une façon d’ouvrir la fenêtre. De respirer, d’avoir un peu d’air. «De l’air, de l’air», c’était un des slogans d’«Actuel». Aujourd’hui, la manie d’interdire est revenue. On a de nouveau besoin d’air, considérablement. Fichez donc la paix aux gens !

Un homme politique disait pourtant l’autre jour sentir dans notre pays un «besoin d’autorité».

Je crois le connaître, oui. Il pense ce qu’il veut.

C’est aussi ce que dit le Front national, au fond.

Oui, bien sûr. Ça me rappelle surtout le prince Tchang, dont le royaume est devenu la Chine en mangeant tous les autres. Il était complètement militarisé. Quand on lit ses textes, on a l’impression de lire Adam Smith: c’est le pouvoir militaire à tout prix, il n’y a que ça, que la loi. C’est lui qui a inventé ça à l’époque. Les résultats ont été catastrophiques. L’empire chinois s’est avéré contraignant et abominable.

Aujourd’hui, on en revient comme toujours au vieux truc de la poigne autoritaire, comme si les gens n’étaient pas adultes. On les considère toujours comme une classe de gamins un peu turbulents qu’il faut mater. C’est assez bête et dangereux, on n’est pas obligé d’aller se mettre là-dedans. Il faut se retenir. C’est dommage que certains n’y arrivent pas. Ce sont des bavardages. Zemmour, c’est un long bavardage, avec plein de choses fausses dedans. Mais j’en parlerai dans ma chronique.

Vous allez donc y revenir, à la chronique politique?

Oui, je l’ai interrompue deux ans pour faire mon roman et m’aérer la tête. J’avais écrit six chroniques de suite, ça devenait mécanique, j’en avais marre. Là je suis à nouveau assez en colère contre tous ces gens.

A droite comme à gauche ?

Oui. Ceux qui ont le pouvoir sont plus ou moins tocards, mais il n’y en a aucun de bon.

Alain Juppé jouit aujourd’hui d’une très forte popularité. Comment le percevez-vous?

Comme le type qui, en 1997 à Bordeaux, m’a fait découvrir les cœurs de canard en broche. Donc je pense qu’il ne peut pas être complètement mauvais. Mais c’est tout ce que j’ai à dire sur lui pour le moment.

Le personnage principal de vos «Chroniques», lui, est réapparu en tout cas. Sarkozy a-t-il réussi son retour selon vous? Les éditorialistes en ont beaucoup débattu l’automne dernier…  

Ah, c’est un débat complètement inutile.

Et pensez-vous qu’il a une chance sérieuse de revenir à l’Elysée?

Je ne l’espère pas, mais on ne sait pas. En attendant, le clown revient et il m’amuse toujours autant. Si on ne rit pas, qu’est-ce qu’on fait? On se flingue. Il est consternant. C’est la consternation qui domine, en ce moment, quand on regarde la classe politique.

Mais ces gens n’ont pas d’importance, en fait. Ce qui est amusant c’est de les voir s’agiter, c’est tout. Marine Le Pen, tenez. C’est Mlle de Montretout dans ma chronique. Elle a le même programme que Georges Marchais en 1970. Et financée par l’argent de Moscou, Môssieur !

Le fond de votre livre est pourtant assez sombre sur le rôle de l’écrivain. Les propos de Confucius sont mal compris, Tchouang-tseu finit par se retirer du monde…

C’est vrai, les propos des écrivains sont toujours déformés. Pourtant, moi, j’essaie d’être clair. J’ai un sens de la politesse vis-à-vis des lecteurs. Je les aime bien, c’est pour eux qu’on écrit des histoires. Quand j’avais 16 ans, j’étais illusionniste dans un petit cabaret de la Rive-Droite. J’ai vu comment fonctionnait la crédulité des gens. C’est pour ça que j’essaie d’être le plus simple possible, pour qu’ils comprennent et que ça les intéresse. J’ai tout appris dans ce cabaret, finalement.

LIRELe discours du Bourget raconté par Patrick Rambaud” style=”margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; list-style: none; position: absolute; top: 0.6em; right: 0.5em; color: rgb(179, 179, 179); box-sizing: border-box;”>Enfin, on sort de l’année Marguerite Duras, puisqu’on a beaucoup célébré le centenaire de sa naissance tout au long de 2014. Comment l’avez-vous vécue, en tant que pasticheur officiel de Marguerite Duraille?

Pas pasticheur : j’ai écrit des parodies, qui ont quelque chose de méchant, alors que les pastiches sont des exercices d’admiration. J’en ai fait deux, de son vivant. J’ai aussi fait des recettes de cuisine à sa manière, pour «l’Obs». C’était pour la critiquer. Dire que Marguerite Duras est nulle et me barbe à un degré invraisemblable, tout le monde s’en fout. Donc j’avais fait une parodie, pour au moins faire rire les gens. Ce qui a été le cas. C’est tout.

En tout cas, pour l’anniversaire de la mort de La Bruyère, je crois qu’il n’y a rien eu, c’est dommage. Je l’aime beaucoup. C’est un des premiers auteurs français modernes. On peut y entrer où on veut, comme on veut. Marguerite, je m’en fous, chacun fait ce qu’il veut. Ça finance des bavards. Il faut bien financer les bavards, quelquefois.

Mais vous trouvez toujours sa littérature aussi ridicule?

Ah complètement. Totalement ridicule. Peut-être pas «Un Barrage contre le Pacifique», mais après, ça se gâte.

Et comme vous n’avez pas de chance, on rentre à présent dans l’année Roland Barthes… que vous avez parodié aussi.

Bah oui, dans «le Roland Barthes sans peine», une méthode Assimil écrite avec mon ami Burnier. C’est une langue proche du français, mais qui n’est pas tout à fait du français. Au lieu de dire : «je suis dactylo», on dit :«j’expulse des petits bouts de code».

Ça a fait rire aussi. Il faut faire rire, sans emmerder les gens comme Marguerite. Sinistre Marguerite. J’ai essayé de voir ses films, je n’ai jamais pu en voir un entier. Dieu sait que j’en ai vu des navets, pourtant. Ça ronronne, on s’endort, ça n’a aucun intérêt. Pour moi en tout cas. Cela dit, c’est un genre, l’emmerdant. Certains aiment. Il y a des masochistes partout.

Propos recueillis par Grégoire Leménager

Source : L’Obs

Source: http://www.les-crises.fr/sarkozy-hollande-zemmour-si-on-ne-rit-pas-on-se-flingue-par-patrick-rambaud/


Vladimir Poutine : Kiev vaincu par le Donbass malgré l’armement de l’OTAN

Saturday 28 February 2015 at 01:20

Dans notre série “un autre regard…” – bien évidemment à lire avec recul d’un regard critique, mais cela permet d’avoir un autre son de cloche.

A chacun dès lors de se faire son opinion…

Vladimir Poutine – Entretiens russo-hongrois, réponses aux questions des journalistes  - 17 février 2015 – Budapest

Question : Vladimir Vladimirovitch, quelle est votre évaluation de la situation, maintenant que deux jours se sont écoulés depuis que l’accord de Minsk sur un cessez-le feu a pris effet ? On ne dirait pas que tout se passe bien, surtout quand on regarde ce qui se passe à Debaltsevo : là-bas, il n’y a pas de cessez-le-feu.

Vladimir Poutine : Tout d’abord, nous accordons une grande importance aux accords conclus à Minsk. Peut-être que tout le monde n’y a pas encore prêté attention, mais ceci est particulièrement important dans ces accords.

Les autorités de Kiev ont essentiellement accepté de procéder à une vaste réforme constitutionnelle afin de satisfaire les demandes d’indépendance – appelez ça comme vous voulez : la décentralisation, l’autonomie, la fédéralisation – dans certaines parties du pays. C’est donc une décision très importante et très significative de la part des autorités de l’Ukraine.

Mais il y a aussi un autre côté impliqué dans ces accords, et si les représentants de la région du Donbass ont accepté de participer à cette réforme, cela signifie qu’il y a un soutien réel des parties concernées pour que l’État ukrainien évolue dans cette voie.

Bien sûr, plus vite tout sera fait pour mettre fin aux hostilités et retirer le matériel militaire, plus vite pourront être mises en place les véritables conditions nécessaires pour qu’un règlement politique de la question puisse être effectivement atteint.

Quant aux opérations militaires, je tiens à dire que nous avons relevé une baisse globale substantielle de ces activités. Mais je tiens également à souligner que depuis la dernière fois, lorsque le président Porochenko a décidé de reprendre les opérations militaires puis de les arrêter, il n’a pas été en mesure d’y mettre fin immédiatement.

Ce que nous voyons maintenant n’en est pas moins une diminution claire et significative de l’ampleur des combats et des hostilités des deux côtés tout au long de la ligne de front.

Oui, les affrontements se poursuivent toujours autour de Debaltsevo. Mais là aussi, l’ampleur et l’intensité des opérations sont bien moindres qu’auparavant.

Ce qui s’y passe est compréhensible et c’était prévisible. Selon nos informations, un ensemble de troupes ukrainiennes y était encerclé avant la rencontre de Minsk de la semaine dernière.

J’en ai parlé lors de nos échanges à Minsk et voilà exactement ce que j’avais prédit à ce sujet : j’ai dit que les troupes encerclées voudraient essayer de sortir de l’encerclement et qu’il y aurait des tentatives de l’extérieur de percer, mais que la milice (indépendantiste) qui était parvenue à encercler les troupes ukrainiennes allait essayer de résister à ces tentatives, maintenir l’encerclement et tenir bon, ce qui conduirait inévitablement pendant un certain temps, d’une manière ou d’une autre, à de nouveaux affrontements.

Et donc une nouvelle tentative de percer l’encerclement a été faite ce matin. Je ne sais pas ce que les médias ont raconté, je n’ai pas réussi à suivre toutes les informations, mais je sais qu’à 10 heures ce matin, les forces armées ukrainiennes ont fait une nouvelle tentative visant à briser l’encerclement. Finalement, elles ont échoué.

J’espère vraiment que les responsables au sein du gouvernement ukrainien n’empêcheront pas les militaires ukrainiens de déposer les armes. S’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas prendre cette décision importante et donner cet ordre, ils devraient au moins ne pas poursuivre en justice ceux qui, pour sauver leur vie et celle des autres, sont prêts à déposer les armes.

Voilà pour une part. D’autre part, j’espère que les représentants de la milice et les autorités de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Lougansk ne vont pas détenir ces hommes et ne les n’empêcheront pas de quitter librement la zone de conflit et d’encerclement et de retourner à leurs familles.

Question : Monsieur le Président, de vos mots, je comprends que lorsque l’accord de Minsk a été signé, et quand vous avez pris part aux discussions, vous saviez que le cessez le feu ne prendrait pas effet exactement à partir du moment prévu. En d’autres termes, il était à prévoir que certains affrontements se poursuivraient.

Pensez-vous que ces affrontements se termineront bientôt? Etes-vous optimiste sur les chances pour un cessez-le durable, ou êtes-vous pessimiste, parce que, si les affrontements militaires s’intensifient effectivement,là, les Etats-Unis pourraient commencer à fournir des armes à l’Ukraine. Comment répondriez-vous à cela, que ferait la Russie ?

Vladimir Poutine : En ce qui concerne les livraisons d’armes possibles à l’Ukraine, selon nos informations, elles sont déjà en cours, des livraisons ont déjà eu lieu. Il n’y a rien d’inhabituel à cette situation.

Deuxièmement, je crois fermement que, quel que soit le type d’armes impliqués, il n’est jamais une bonne chose de fournir des armes à une zone de conflit et, dans ce cas particulier, peu importe qui les envoie et quel genre d’armes sont impliqués, le nombre de victimes pourrait s’élever bien sûr, mais le résultat serait le même que ce que nous voyons aujourd’hui.

La grande majorité des militaires ukrainiens ne veulent plus prendre part à une guerre fratricide, d’autant plus en étant si loin de leurs propres maisons, alors que la milice du Donbass a une forte motivation pour lutter et protéger ses familles.

Après tout, permettez-moi de vous rappeler une fois encore que ce qui se passe aujourd’hui est lié à une seule chose, à savoir le fait que le gouvernement a décidé à Kiev pour la troisième fois de reprendre l’action militaire et d’utiliser les forces armées.

Cette décision a été prise par M. Tourtchinov, qui a émis l’ordre de procéder à ce qu’il appelle une opération antiterroriste. Le Président Porochenko a alors décidé de poursuivre les opérations militaires et, maintenant, nous voyons ce qui se passe.

Il n’y aura pas de fin à cette situation tant que les gens qui prennent les décisions ne se rendent pas compte qu’il n’y a pas d’espoir de résoudre le problème par des moyens militaires. Ce conflit ne peut être réglé que par des moyens pacifiques, par la conclusion d’un accord avec cette partie de leur pays en garantissant les droits et intérêts légitimes de ces personnes.

Permettez-moi de dire que l’accord conclu à Minsk offre une opportunité pour que cela se produise. À cet égard, je tiens à souligner le grand rôle que le président français et la chancelière fédérale allemande ont joué pour parvenir à un compromis. Je pense qu’une solution de compromis a été trouvée et pourrait être cimentée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies.

La Russie, comme vous le savez, a déjà présenté cette initiative. Si cela se produit, l’accord de Minsk gagnerait l’état du droit international. Si non, c’est déjà un document assez bon qui devrait être pleinement mis en œuvre. Je suis donc plus optimiste que pessimiste.

Permettez-moi de répéter que la situation est relativement calme sur toute la ligne de front maintenant. Nous devons régler le problème du groupe qui a été entouré. Notre tâche commune est de sauver la vie des personnes prises au piège dans cet encerclement et veiller à ce que cette question n’aggrave pas les relations entre les autorités de Kiev et la milice du Donbass.

Il n’est jamais facile de perdre et c’est toujours un malheur pour la partie perdante, surtout quand vous perdez des gens qui étaient travaillaient dans les mines ou sur les tracteurs. Mais la vie est la vie et elle doit continuer. Je ne pense pas que nous devrions être trop obsédé par ces choses.

Comme je l’ai dit, nous devons nous concentrer sur la résolution de cette tâche principale qui est de sauver la vie des gens là-bas maintenant, et leur permettre de retourner dans leurs familles, et nous avons besoin de mettre en œuvre intégralement le plan convenu à Minsk. Je suis sûr que cela est possible. Il n’y a d’ailleurs pas d’autre chemin à prendre.

Source : Bertrand Rivière, pour le Blogue Noir de Brocéliande

Source: http://www.les-crises.fr/vladimir-poutine-kiev-vaincu-par-le-donbass-malgre-larmement-de-lotan/


[Entraide + Question] Amateurs d’Histoire (>1945)

Saturday 28 February 2015 at 00:01

Suite, comme promis !

Entraide Histoire

Nous aurions VRAIMENT besoin d’aide pour des petites recherches sur Internet, voire rédaction de courtes synthèses, en lien avec l’Histoire. C’est important.

Nous cherchons donc des personnes ayant un peu de curiosité pour l’Histoire, de la rigueur, se débrouillant en recherches sur Internet – voire en plus avec de bonnes qualités de rédaction (même si on peut segmenter le travail).

Rien de très compliqué non plus – ça restera assez simple… Profil Historien, Sciences Po, Journaliste, Passionné etc. bienvenu…

Et rien de très long non plus, la participation peut être unique sur un seul sujet si vous souhaitez…

Contactez-nous ici  (ne le refaites pas si vous nous avez déjà écrit, merci)

Question

Nous réfléchissons à plusieurs billets sur des évènements importants survenus après la seconde guerre mondiale et passés sous silence dans nos manuels scolaires (généralement car ils sont à notre détriment : meurtres, coups d’État etc.), pour la France ou des pays étrangers (USA…).

L’idée est d’avoir un autre regard sur l’Histoire, toujours dans une idée de contre-propagande, la propagande étant ici le silence

Afin que nous n’en oublions pas, pourriez-vous nous aider en nous indiquant en commentaire ceux qui vous paraitraient utiles de traiter, et/ou en nous indiquant de bons livres que vous nous recommandez par rapport à la liste indiquée svp ?

Nous avons identifié par exemple ceci :

Merci d’avance !

Olivier Berruyer

Source: http://www.les-crises.fr/entraide-question-amateurs-d-histoire-1945/