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[Reprise] 7 mythes sur la Russie de Poutine : l’URSS 2.0 par Alexandre Latsa et Pierre Gentillet

Wednesday 27 May 2015 at 00:44

Un regard positif sur la Russie, publié il y a 1 an… La propagande a gagné…

Tribune commune d’Alexandre Latsa, écrivain et analyste français résident à Moscou, et de Pierre Gentillet, président des Jeunes de la Droite Populaire

Le président russe Vladimir Poutine, qu’une commentatrice talentueuse a récemment qualifié de « volcan de givre », vient de jouer un drôle de tour à la communauté internationale en agrandissant le territoire de la Russie vers l’ouest et l’Europe.

Pourtant cette réunification des territoires russes n’est pas si inattendue qu’il peut paraître et s’inscrit dans une logique politique et stratégique tout aussi méconnue que l’est la situation réelle en Russie, pays victime de préjugés et de mythes apparus au cours des dernières années au sein de la majorité des médias occidentaux.

Par souci de vérité et volonté de réinformation nous avons choisi de porter un regard critique sur ces mythes afin de permettre aux lecteurs de se faire une idée un peu plus objective de la Russie d’aujourd’hui.

Mythe n°1 : La Russie ce pays qui a annexé la Crimée de force

A tel point que la population s’est prononcée à plus de 96 % en faveur du rattachement à la Russie avec une participation de 83 %. En réalité si l’on étudie un peu l’histoire on s’aperçoit que la Crimée est devenue définitivement une province Russe dès 1774 grâce à Catherine II. C’est en 1954 que l’Ukraine va rattacher administrativement la péninsule de Crimée à la république soviétique d’Ukraine.

En somme la Crimée ne reste véritablement Ukrainienne que de 1991 à 2014, soit à peine 23 ans. Contrairement à certaines idées reçues le Kremlin n’avait pas manigancé ce rattachement de la Crimée. La Russie avait en effet depuis déjà quelques années lancé une politique de rapatriement des russes vivant en Crimée et souhaitant réintégrer le territoire russe. L’argument de velléité impériale est donc totalement hors de propos. La Russie a simplement saisi l’occasion historique qu’elle n’attendait pas de pouvoir réunifier son territoire en y rattachant la Crimée qui est un territoire russe sur le plan ethnique, linguistique, culturel et historique. Un rattachement vécu en Russie comme les Allemands de l’Ouest ont vécu la réunification avec l’Allemagne de l’est en 1991.

Mythe n°2 : La Russie, ce pays ou Vladimir Poutine est élu via des élections truquées

Depuis 13 ans celui-ci remporte en réalité haut la main et au premier tour toutes les échéances électorales présidentielles ou il se présente obtenant 52,52 % des voix en 2000, 71,22 % en 2004 et 63,6 % en 2013.

Seule la dernière élection de 2013 a été critiquée par des ONG américaines qui prétendent que celui-ci n’aurait dû obtenir que 55 % au premier tour et non pas 63 % !

Le parti dominant, Russie-Unie a lui obtenu 37 % en 2003, 64,1 % en 2007 et 49,3 % en 2011. En réalité les soupçons de « fraude électorale en Russie » sont nés des élections législatives de la fin 2011 qui ont été entachées d’irrégularités administratives réelles. Pour autant nombre d’études ont démontré que ces fraudes locales et identifiés n’auraient pu influer sur les scores finaux puisque ne comptant pas (selon les analyses sérieuses a ce sujet) pour plus de 3 à 5 % des bulletins dans le pire des scénarios.

Il faut noter que ces fraudes ne concernent du reste pas que le parti du pouvoir mais également tous les partis politiques participant aux élections notamment ceux d’opposition.

Mythe n°3 : La Russie, ce pays qui a orchestré un génocide en Tchétchénie

La Russie est toujours présentée comme le pays dont le pouvoir aurait orchestré un véritable génocide en Tchétchénie. La réalité n’est évidemment pas aussi simple.

En 1994, une prise de pouvoir par la force et des élections entraînent la proclamation de l’indépendance de la Tchétchénie. Craignant que la vague sécessionniste ne s’étende, le pouvoir russe décide d’intervenir pour mater ce coup d’Etat militaire intérieur. Cette guerre régionale durera 2 ans et fera plus de 100.000 morts jusqu’au cessez le feu d’août 1996 qui laisse à la Tchétchénie un statut d’autonomie régionale mais ne lui octroie pas l’indépendance.

Peu à peu la rébellion va s’islamiser avec la présence croissante de combattants djihadistes étrangers (Wahhabites) souhaitant l’instauration d’un califat islamique pancaucasien. En 1999 la guerre reprend lorsque des attentats terroristes frappent Moscou mais aussi car des groupes armés mènent de nombreuses incursions dans les régions voisines du Caucase pour y attaquer les forces de l’ordre et kidnapper des civils dont certains seront décapités.

La guerre verra la victoire de l’armée russe dont la réaction musclée a sans doute néanmoins évité que ne se constitue dans cette région un authentique Djihadistan qui aurait été déstabilisateur pour toute la région. Il est également difficile d’appréhender les évènements de cette époque dans cette région sans les mettre en relief au cœur de la bataille stratégique que se livrent l’Amérique et la Russie pour le contrôle des ressources énergétiques régionales et notamment de la Caspienne.

Mythe n°4 : La Russie, ce pays ou le pouvoir tue les journalistes

La Russie est souvent décrite comme le pays dans lequel on assassine les journalistes puisque 300 journalistes ont été tués dans la Russie post-soviétique, soit l’équivalent d’un journaliste par mois.

Pourtant si l’on prend en compte les journalistes tués de façon avérée dans l’exercice de leurs fonctions ou à cause de leur activité de journaliste, le chiffre tombe à 56 selon le CPJ dont 28 entre 1992 et 2000, soit avant que Vladimir Poutine n’arrive au pouvoir.

Depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, 26 journalistes ont été tués de façon avérée dans l’exercice de leurs fonctions ou à cause de leur activité de journaliste. La tendance longue semble elle à la normalisation puisque 13 ont été tués entre 2000 et 2005, 9 entre 2000 et 2010 et 4 entre 2010 et 2014.

Il faut noter que parmi ces 26 journalistes 12 ont été tués dans le Caucase russe, 3 à Rostov sur le Don et 2 dans la ville de Togliatti, soit dans des zones relativement « mafieuses » et donc à haut risque.

Mythe n°5 : La Russie, ce pays où l’on ne fait pas d’enfants

La Russie est souvent présentée comme un pays avec une démographie déclinante et donc voué à disparaître. Fort mal en point durant les années qui ont suivi l’effondrement de l’Union Soviétique la démographie russe s’est redressée dans les années Poutine en surpassant les scénarios démographiques les plus optimistes.

De 1992 à 2000 le nombre de naissances s’est effondré et le nombre de décès a augmenté entraînant une baisse naturelle de population de 6.830.423 habitants soit une baisse moyenne annuelle de 758.935 habitants. Cette diminution fut cependant compensée par l’immigration retour vers la Russie des russes ethniques habitant dans les républiques soviétiques.

A titre d’exemple pour la seule année 1999 avec 1.214.689 naissances et 2.144.316 décès la population a baissé de 929.627 habitants. Le taux de fécondité est durant cette période passé de 1,89 enfants / femme en 1991 à 1,17 enfants / femme en 1999.

A partir de 2001 le nombre de naissances s’est mis à remonter et dès 2005 le nombre de décès à diminuer. Année après année, l’amélioration des conditions de vie associée à une forte propagande d’Etat protégeant la famille et incitant à faire des enfants ont eu des résultats plus qu’inattendus. Le nombre de naissances ne cesse d’augmenter et l’année 2012 a même vu une hausse naturelle de population avec 1.901.182 naissances et 1.878.269 décès, le taux de fécondité atteignant 1,73 enfants / femme soit plus que dans l’UE.

Mythe n°6 : La Russie, ce pays qui ne profite qu’aux riches

On renvoie souvent l’idée fausse que la richesse en Russie ne profiterait qu’à des élites financières, militaires et aux fameux oligarques. Il s’agit de remettre un peu de vérité en apportant quelques éléments de ré-information.

Tout d’abord, le revenu annuel moyen des russes est passé de 1.322 euros en 2000 (arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine) à 7.988 euros en 2013. Le taux de pauvreté quant à lui a littéralement fondu passant de plus de 35 % en 1999 à près de 13 % en 2012, soit l’équivalent de la moyenne française, pendant que le taux de chômage n’est que de 5,5 %.

Dans le même temps le pays a connu l’apparition d’une très importante classe moyenne qui représente selon les critères de définition de 25 % à 40 % du pays. Ces résultats économiques ne sont pas dus qu’à la rente énergétique (qui ne constitue que 20 % de la création des richesses et 50 % des recettes du budget fédéral) mais aussi à une relativement saine gestion économique ayant permis des taux de croissance positifs sur 12 des 13 dernières années.

Mythe n°7 : La Russie, ce pays ou Vladimir Poutine serait détesté

Tellement détesté que le dernier sondage sur sa cote de popularité dépasse les 80 % d’opinions favorables. Plus sérieusement il s’agit maintenant de sortir de l’image du despote tsariste aux relents staliniens pour constater que l’immense majorité du pays soutient le président russe.

Le parti présidentiel Russie Unie est le premier parti du pays depuis 15 ans, les élections présidentielles ont toujours été remportées par une très large majorité des suffrages dès le premier tour et les récents évènements ont vu l’ensemble du peuple russe très largement favorable à l’action de Vladimir Poutine en Crimée.

Cette adhésion populaire se couple sans difficulté à l’exercice d’un pouvoir fort, seul capable de maintenir l’unité et l’importance de la Russie dans le jeu des grandes puissances du monde.

Malgré avoir pris les rênes d’un pays au bord du gouffre et traversé deux guerres (en 2000 et 2008) ainsi qu’une crise économique (en 2009) la cote de popularité du président russe sur les 13 dernières années n’est jamais descendue au-dessous des 60 %.

Les mouvements de contestation de 2011 n’ont finalement jamais réuni plus de 80.000 personnes dans tout la Russie (en réalité surtout Moscou et dans une moindre mesure Saint-Pétersbourg) ce qui correspondrait, toute proportion égale, à 30.000 personnes en France.

Loin de l’image du despote tsariste aux relents staliniens trop souvent véhiculée il faut accepter de comprendre que l’immense majorité du pays soutient le président russe et que cette tendance devrait s’accentuer à l’avenir puisque des JO de Sotchi (que la Russie a organisé et remporté) à la Crimée le seuil de popularité du président russe atteint désormais les 80 %, preuve que les attentes des russes de voir leur pays redevenir une grande puissance sont réelles.

Sa gouvernance réformatrice (modernisation économique du pays) et conservatrice (sur le plan des valeurs) mais aussi relativement verticale et autoritaire semble parfaitement conforme aux attentes du peuple russe et permet d’atténuer l’apparition de potentielles tendances d’inerties territoriales voir séparatistes, tendances inévitables sur un aussi grand et vaste territoire.

Les opinions exprimées dans ce contenu n’engagent que la responsabilité de l’auteur.

Source : Sputnik, 22 avril 2014

Source: http://www.les-crises.fr/7-mythes-sur-la-russie-de-poutine/


Sortir de l’Euro, par Jacques Sapir

Tuesday 26 May 2015 at 01:13

La question de la sortie de l’Euro a une dimension technique. Mais, elle a pris une dimension politique. On sait que de nombreux français, en particulier chez les plus de 50 ans, sont hostiles à cette solution car ils craignent d’en supporter le coût. L’opinion publique est actuellement convaincue que l’Euro représente bien un obstacle à la croissance et au développement du pays, mais elle est hostile à une sortie, en raison de cette inquiétude exploitée par une presse faisant assaut de prédictions catastrophistes. C’est pourquoi cette question doit être abordée publiquement. D’un part, il convient de commencer un travail de pédagogie pour convaincre de la faisabilité d’une telle sortie. D’autre part il faut aussi éviter de se trouver enfermé dans ce que l’on peut appeler « l’option grecque » : un refus de l’austérité et un refus d’une sortie de l’Euro. Ces deux propositions sont en réalité contradictoires. Mais, elles présentent pour tout gouvernement qui accepterait de se situer dans cette alternative le risque de se dédire sur les deux terrains.

A. Le constat.

Il est donc important de pouvoir avoir un débat sur la question de l’Euro en dehors de tout contexte catastrophiste. C’est une nécessité pour la démocratie, mais c’est aussi une nécessité pour que l’option d’une sortie ne soit pas bloquée par avance par de fausses prédictions. Lors de la réunion publique que j’ai eu le 6 mai avec Xavier Ragot, un certain nombre de thèmes ont pu être abordés et des convergences sont apparues sur plusieurs de ces thèmes. Ces thèmes portent à la fois sur le bilan que l’on peut tirer de l’Euro, mais aussi sur les perspectives de sa sortie.

I. Il convient de rappeler tout d’abord ce que l’Euro a coûté à l’économie française[1].

  1. L’Euro est directement responsable de 30% du chômage actuel, en raison de l’effet de freinage qu’il a exercé sur la demande et sur l’activité de la France, depuis la seconde moitié des années 1990. Le chiffre de 30% a été avancé par Ragot, sur la base des calculs de l’OFCE. Il est plus que probable que l’on puisse l’étendre non seulement aux demandeurs d’emplois de la catégorie A mais aussi à ceux des autres catégories.
  2. L’Euro est indirectement responsable, par le biais des politiques d’austérité qui ont été imposées de puis 2011 pour ramener la compétitivité de l’économie française au niveau de l’Allemagne sans procéder à une dépréciation monétaire, d’environ 20% du chômage actuel[2]. Ici encore cette estimation a été validée par Xavier Ragot. Mais, les effets de l’Euro ne s’arrêtent pas là.
  3. L’Euro est aussi responsable, dans le long terme, d’une accélération du processus de désindustrialisation de la France, dont le coût (hors les effets de (a) et (b)), en terme de restriction de la demande par baisse relative des salaires due à la place des services dans l’économie, peut-être estimé à 15% du chômage. On mesure que cette désindustrialisation s’est accélérées dès le début des années 1990, soit à partir du traité de Maastricht et de la nécessité pour la France de se « qualifier » pour l’Euro. Il convient donc de comprendre que les effets négatifs de l’Euro se sont fait sentir avant sa création officielle (1999), par le cadre macroéconomique qu’il a imposé et qu’il légitime. Il n’est pas évidemment le seul responsable de cette désindustrialisation, mais il a incontestablement accéléré le phénomène. On peut donc lui imputer de 5% à 10% du chômage lié à la baisse de la demande solvable résultant du transfert d’emplois industriels vers des emplois de service.

C’est donc au total de 60% à 65% du chômage qui est causé – directement ou indirectement – par l’Euro. Ceci est confirmé par des études plus anciennes qui insistent sur la dimension dépressive de l’Euro[3]. Il convient alors de souligner le coût tant humain que financier de ce chômage pour la France. La question du coût financier est ici importante. Les chômeurs et quasi-chômeurs ne cotisent aux caisses sociales qu’une fraction de ce qu’ils auraient cotisés s’ils avaient un emploi. Par ailleurs, l’Etat prend en charge une partie des prestations pour certaines catégories, justement pour « aider » des chômeurs à retrouver un emploi. Mais, ce faisant il crée des « emplois aidés » qui coûtent chers et dont le débouché vers de l’emploi stable est des plus limités. En réalité, le chômage a un coût induit sur l’équilibre des régimes sociaux qui est considérable. Il a aussi un coût direct élevé à la fois dans le développement de pathologies liées au travail (stress au travail, burn-out) mais aussi de pathologies directement liées à la privation d’emploi.

 II. Il convient, ensuite, d’insister sur ce que l’Euro coûtera, en chômage et en austérité, pour pouvoir être maintenu.

  1. Contrairement à ce que l’on affirme, la France n’a pas encore appliqué l’ensemble des mesures qui seront imposées par la zone Euro. De ce point de vue l’ampleur de l’ajustement est resté limité par rapport à ce qu’ont subi la Grèce, l’Espagne, l’Irlande ou le Portugal. L’impact dépressif, qui a été limité sur la période 1999-2008 par une déficit budgétaire important[4], devrait être bien plus fort dans les 3 à 5 ans à venir, sans que cela ait un impact positif, car la baisse de la demande en France qui en résultera aura pour effet de faire baisser la demande dans l’ensemble de la zone Euro. Ces mesures sont explicitement évoquées par certains politiciens (comme Fillon et Juppé) mais aussi de manière en réalité très transparente par des membres du gouvernement, comme on a pu le constater avec Emmanuel Macron ou François Rebsamen.
  2. Compte tenu du multiplicateur fiscal estimé pour la France par le FMI[5], il faut donc s’attendre, si l’on procède aux coupes budgétaires prévues et programmées ainsi qu’à de nouvelles qui s’imposeront, à une stagnation de la croissance, voire une baisse, jusqu’en 2018-2020, qui devrait entraîner une baisse du revenu médian de 10% à 15% et une hausse du chômage (cat. A) au-delà des 4 millions[6].
  3. Mais, ceci n’inclut pas l’effet induit sur les déficits (tant des systèmes sociaux que budgétaire) par le chômage de masse et par la faible croissance. De nouveaux plans d’austérité seront « nécessaires » si la France reste dans l’Euro. Leurs effets cumulatifs entraînera une baisse totale du revenu médian de 15% à 20% et pousser le chômage (cat. A) à 4,5 millions et le chômage réel vers les 6 millions.

Non seulement l’Euro a coûté très cher à la France, même si ce coût a été réparti largement sur une large part de la société par le budget public, mais ce coût va s’amplifier dans les prochaines années et conduire au démantèlement total du système social françaisCe démantèlement ne se manifeste pas seulement par la réduction des prestations sociales et des retraites, mais aussi par un démantèlement général de tous les services publics, en particulier dans la santé et dans l’éducation. Les « économies » réalisées dans ces services auront des conséquences extrêmement importantes à moyen et long terme sur la société françaiseLa combinaison de la stagnation (ou de la réduction) des revenus directs et de la régression des revenus (et droits) indirects provenant de l’étiolement des services publics va pousser la société française vers une crise extrêmement profonde.

III. Il convient enfin de rappeler que l’Union Economique et Monétaire n’est pas principalement une monnaie, mais avant tout un système assurant la domination de la finance libéralisée, et censé « discipliner » les sociétés, c’est-à-dire les obliger à se conformer aux dogmes sociaux du néo-libéralisme.

C’est l’idée d’un gouvernement des sociétés par des normes et des règles qui a été imposée sous le couvert de mesures dites « techniques » et donc prises au nom d’une rationalité indiscutable. De ce déni de démocratie, à la fois massif et subtil découle une bonne part de la crise des institutions européennes qui n’osent pas se déclarer comme ouvertement anti-démocratique ni affronter leur image dans les différentes opinions publiques. Ceci introduit une autre dimension dans le coût politique de l’Euro, un coût qui naturellement n’est pas quantifiable mais qui n’en existe pas moins. Cette dimension politique de l’Euro ou plus précisément de ses conséquences, mais elles ont été parfaitement voulues par un certain nombre des promoteurs de la monnaie unique, pose un problème majeur de légitimité et de démocratie au sein de la zone Euro. C’est aussi l’une des raisons du rejet de cette solution.

L’Euro est en réalité un système qui aboutit à sortir les questions économique de la sphère politique souveraine nationale, et à y assujettir l’ensemble des questions sociales. Ce discours sur les conséquences passées et futures de l’Euro doit être constamment rappelé pour convaincre les français que la poursuite de l’Euro ne leur offre qu’un avenir de restrictions et de misère.

B. La gestion de la sortie de l’Euro.

Il est évident par ailleurs qu’une sortie de l’Euro doit être gérée, et implique des mesures à la fois techniques (pour certaines d’entre elles), financières et macroéconomiques. Il convient donc, si l’on a pris conscience des problèmes tant actuels que futures, tant économiques que politiques, que soulève l’existence de la monnaie unique, de regarder les mesures qu’il conviendra de prendre. Ces mesures sont connues en réalité, mais d’un petit cercle de spécialistes. Une partie du discours « alarmiste » joue justement de l’ignorance dans laquelle est maintenue une grande partie de l’opinion. On présente la sortie de l’Euro comme un « saut dans l’inconnu », ce qu’elle n’est pas. On affirme que le « choc financier » sera terrible et sera combiné à un « choc économique » qui pourrait provoquer un recul important de la production et un accroissement du chômage. Ces affirmations sont en réalité des mensonges. Et ces mensonges sont proférés par des personnes qui, le plus souvent, sont particulièrement bien placées pour connaître les faits. Ceci est particulièrement grave.

Non qu’il ne puisse par ailleurs exister des incertitudes, plus ou moins importantes, en fonction de la politique macroéconomique qui sera adoptée, sur l’évolution de l’économie française. On peut discuter de l’ampleur des effets positifs (de 3% à 6% de croissance), de leurs effets d’entraînement, de leur durée (de 3 à 5 ans). Mais ces incertitudes sont en réalité du même ordre que celles qui accompagnent toute politique macroéconomique. Par ailleurs, une sortie ou une dissolution, de l’Euro aura des conséquences sur le système monétaire internationale. Il faut présenter alors les alternatives possibles à ce niveau.

I. Mesures techniques et financières.

Une partie du débat s’est focalisé sur les procédure techniques par lesquelles on peut passer d’une monnaie à une autre. En fait, ces procédures sont assez simples et ce problème sera réglé rapidement.

  1. La monnaie fiduciaire. On appelle « monnaie fiduciaire » les pièces et les billets. La production des billets est simple à décider (une nouvelle matrice électronique) et elle peut être achevée en trois semaines, avec l’approvisionnement des distributeurs. Dans l’intervalle, les billets en euro seront tamponnés d’une lettre « F ». Les pièces portent déjà sur une de leur face la mention du pays d’émission.
  2. La monnaie scripturale. Il faudra opérer une conversion au taux de 1 pour 1 de la totalité des comptes bancaires (comptes courants et comptes d’épargne). Cette opération, que équivaut à une manipulation informatique devra avoir lieu le jour même du changement.
  3. Les mesures financières. Ces mesures financières sont très nettement les plus importantes. Instinctivement, on se dit que le risque est que l’on ait des dettes en monnaies étrangères alors que les avoirs vont se déprécier avec le cour de la nouvelle monnaie. Mais, une règle (et une jurisprudence) du droit international distingue non la monnaie mais le lieu d’émission de la dette. Autrement dit, cette dette est-elle émise en droit français, ou allemand, ou britannique, ou singapourien, etc…En fait, l’idée d’un fort accroissement des dettes à la suite d’une sortie de l’Euro, et d’une dépréciation de la nouvelle monnaie française, idée qui est souvent avancée par les adversaires d’une sortie de l’Euro, ne repose pas sur des bases sérieuses. On le voit en regardant précisément les questions de la dette publique, la dette des ménages et les dettes d’entreprises.
  4. La question des dettes publiques. La dette publique française est composée à 97% de titres émis en droit français. La Lex Monetae, qui est un principe du droit international, implique leur conversion automatique dans la nouvelle monnaie ayant cours légal en France.
  5. Les dettes des ménages. Les dettes des ménages sont très majoritairement (à 98%) des dettes émises en droit français. Le même principe s’y applique. Les ménages auront donc des avoirs et des dettes en Franc pour la même valeur nominale que leurs avoirs et dettes en euro. Le problème des frontaliers, qui ont pu souscrire une dette en droit étranger peut poser un problème local.
  6. Les dettes des entreprises. Il faut faire ici la distinction entre les dettes des Petites et Moyennes Entreprises et celles des groupes internationalisés. Les études faites par différentes sociétés de gestion obligataires montrent que dans une proportion écrasante les dettes des PME ont été souscrites auprès de banques françaises. Pour les groupes internationalisés, si une partie importante de leur endettement est en droit étranger (britannique ou américain), une large partie de leur chiffre d’affaires est aussi en monnaie étrangère. Diverses simulations ont été faites dont les résultats vont d’un équilibre global à l’apparition de pertes globales (pour l’ensemble des entreprises) d’un montant de 2 milliards de dollars. Ces pertes doivent être rapportés aux profits réalisés par ces grands groupes et apparaissent en réalité insignifiantes.
  7. La question des banques et des sociétés d’assurance. L’internationalisation du secteur bancaire et assurancielle français est importante, avec des opérations importantes sur l’Italie, sur la Belgique, et dans une bien moindre mesure sur l’Espagne. Mais, une sortie de l’Euro par la France entraînerait en fait un éclatement de cette zone. On verra que l’Italie devrait elle aussi sortir de l’Euro et laisser sa monnaie se déprécier, l’écart devant être de 5% à 10% avec la France. Ici encore des estimations ont été faites en 2012 et en 2014. La conclusion est que pour l’ensemble du secteur financier français les pertes ne devraient pas excéder 5 milliards d’Euros (actuels). Par contre, certains établissement connaitraient des problèmes plus sérieux alors que d’autres réaliseraient des profits. Il importera donc, pour pouvoir réaliser une gestion globale du secteur financier des effets d’une sortie de l’Euro, de procéder à une nationalisation temporaire de ce secteur (banques et assurances).

II. Les mesures macroéconomiques.

  1. La question de l’inflation induite ou « importée ». On présente ce risque comme un risque majeur comme si la dépréciation de la monnaie entraînait immédiatement une hausse des prix annulant les effets positifs de cette dernière. En réalité, la hausse des prix induite est une fraction faible de la dépréciation, et cette hausse des prix n’est pas immédiate mais s’étend sur plusieurs années. Dans le cas d’une dépréciation du « nouveau » Franc de 20%, et en tenant compte des effets de la dépréciation des autres monnaies (en Espagne, Italie, Portugal….) l’effet de hausse des prix global devrait être de 8%, réparti sur trois ans. Plus de la moitié de cet effet se manifesterait dans la première année, puis baisserait rapidement (4,5% la première année, 2,5% la deuxième et 1% la troisième). Cela implique que si les prix libellés en francs sont de 80% des anciens prix en euros (à l’export), trois ans après, et en supposant les autres causes de l’inflation stable, ils seraient à 86,5%. Le gain de compétitivité de la dépréciation monétaire continuera donc de se manifester.
  2. L’élasticité de la demande. L’effet d’une dissolution de l’Euro sera d’entraîner certaine monnaie à se déprécier et d’autres aux contraires à s’apprécier. On aura des effets positifs sur les pays dépréciant leur monnaie et des effets négatifs sur les pays connaissant une forte appréciation. L’élasticité de la demande et de l’offre doivent être étudiées attentivement. On sait, par expérience, que cette élasticité n’est pas identique entre les pays, et qu’elle n’est pas stable mais dépend de l’ampleur de la dépréciation (ou de l’appréciation) de la monnaie. De ce point de vue, deux dépréciations de 10% ne sont pas équivalente à une dépréciation de 20%. Il convient donc de préciser les ordres de grandeur de ces mouvements. Par ailleurs, si le volume de la demande peut décroitre dans un pays connaissant une forte appréciation de sa monnaie (l’Allemagne), le niveau monétaire de cette demande se réduira moins que le volume, en raison de l’effet d’appréciation. Ces éléments nous disent (à travers de nombreuses simulations) que l’on aura un effet positif sur tout une série de pays France, Italie, Portugal, Espagne et Grèce) et un effet négatif moins important que ce que l’on peut penser sur l’Allemagne et les pays du « bloc allemand ». Un éclatement de l’Euro aura donc des effets positifs sur la croissance, sur la réduction du chômage, mais aussi sur les finances publiquesSi des débats continuent (et continueront) quant à l’ampleur de ces effets positifs, leur réalité est aujourd’hui indiscutable. Alors que la France fait environ 50% de son commerce extérieur hors de la zone Euro, la dépréciation de l’Euro de l’automne dernier en engendré une forte croissance au 1ertrimestre de 2015. C’est dire ce qu’une sortie de l’Euro accompagnée d’une forte dépréciation pourrait engendrer.
  3. Il y aura-t-il une « guerre des monnaies » ? C’est l’une des objections que l’on entend au sujet d’un éclatement de la zone Euro. Une « guerre des monnaies » signifierait que certains pays fassent une surenchère dans le domaine de la dépréciation. Mais, en réalité, on peut mesurer le niveau que devraient atteindre les différentes monnaies dans une Europe « post-Euro ».

Graphique 1

Source : OCDE, FMI et CEMI-EHESS

Ce que nous apprend ce graphique, où l’on combine à la fois les effets de l’inflation (par rapport à l’Allemagne) et les gains de productivité (par rapport à l’Allemagne) c’est l’ampleur des dépréciations. Par rapport au taux de change de l’Euro, ces dépréciations devraient être les suivantes.

Tableau 1

Ampleur des dépréciations monétaires dans le cas

d’une sortie de l’Euro

Dépréciation Dépréciation relative à l’Allemagne sans contrôle Dépréciation par rapport à la France (avec contrôle).
France -20,0% -40,0% 0
Espagne -17,5% -37,5% +2,5%
Portugal -12,5% -32,5% +7,5%
Italie -27,0% -57,0% -7,0%
Grèce -25,0% -55,0% -5,0%
Allemagne (avec contrôle) 0,0% +20,0%
Allemagne (sans contrôle) + 20,0% 0

On voit que l’écart entre le Franc et les autres monnaies (sauf cas de l’Allemagne) est assez faible, ce qui n’était pas le cas quand avait été publié l’étude faite pour la Fondation Res Publica (2013)[7]. Les différences ici correspondent aux évolutions des situations entre la fin de 2012 et la fin de 2014. Le « bloc » Espagne, Portugal et Grèce apparaît bien plus resserré. Par contre, la situation de l’Italie s’est détériorée.

On constate aussi, mais ceci correspond aux résultats obtenus dans différentes simulations, que la situation de l’Allemagne est très différente selon qu’elle acceptera ou n’acceptera pas un contrôle des capitaux.

En fait, la « guerre des monnaies » n’apparaît pas comme nécessaire ni, bien entendu, inéluctable. Mais, ceci passe par l’introduction de contrôles des capitaux.

4. Faudra-t-il un contrôle des capitaux ? il est néanmoins clair qu’il faudra adopter un régime de contrôle des capitaux (mais pas de contrôle des changes) et que les Banques Centrales adoptent des « cibles » de taux de change réel pour la période suivant la sortie de l’Euro. Le contrôle des capitaux aura pour but d’éviter que les marchés financiers ne commencent à « jouer » sur les cours des monnaies. Ce contrôle doit restreindre les mouvements des capitaux de court et très court terme, tout en laissant libre les mouvements de long terme qui correspondent à des flux d’investissement. Compte tenu du fait que pratiquement la totalité des mouvements de capitaux sont gérés électroniquement, la mise en place de ces contrôles serait en réalité bien plus facile aujourd’hui qu’elle ne l’avait été dans les années 1980. Une fois ces politiques mises en place, il deviendrait possible, si un accord politique se dessinait entre certains pays de l’ex-zone Euro, d’aboutir à une « co-fluctuation » des taux de change, avec des révisions périodiques (tous les ans) pour tenir compte de la détérioration ou de l’amélioration du taux de change réel (soit le taux nominal corrigé de l’inflation et de la productivité). En fait, il serait possible d’aboutir à un système monétaire « européen » (ou sur une partie de l’Europe) qui respecterait les spécificités nationales en matière de modèle social et de modèle productif, qui garantirait la flexibilité nécessaire pour que chaque pays puisse s’ajuster en cas de crise et qui dans le même temps serait relativement stable par rapport à l’extérieur. Nous aurions l’équivalent du Système Monétaire Européen mais sans les inconvénients qu’il avait à l’époque[8]. L’explicitation d’un objectif en matière de taux de change réel pour les Banques Centrales, combiné à des objectifs en matière d’inflation (avec la définition d’un taux d’inflation structurel) et d’un objectif en matière de stabilité du système bancaire et financier donnerait à la fois une flexibilité bien plus importante à ce nouveau système et imposerait un dialogue constant entre l’autorité politique et la Banque Centrale. Les mesures économiques et financières qu’il faudra donc techniquement mettre en œuvre dans le cas d’une dissolution de la zone Euro dessinent en réalité un mécanisme plus souple et plus robuste que la monnaie unique, et ceci sans les aspects dépressionnaires qui sont connus à cette monnaie unique.

5. Qu’est-ce qui prendra la place de l’Euro ?

  1. La question des monnaies de  réserve. On sait qu’en matière de monnaie internationale de réserve, l’Euro n’a pas été capable de concurrencer le dollar des Etats-Unis. La part dans les réserves de change des Banques Centrales correspond en fait à ce que représentaient le DM et le Franc avant la mise en place de l’Euro. Cette monnaie n’a donc pas été un substitut, et encore moins un concurrent, au dollar, en dépit de ce que l’on entend parfois.

Graphique 2

Part des devises dans les réserves des Banques Centrales

A - Monnaies réserves

Source : FMI

C. Les alternatives politiques.

Les alternatives sont donc les suivantes : soit rester dans l’Euro tel qu’il est (avec les conséquences économiques et sociales catastrophiques qui en découlent), soit imposer un changement de la gouvernance de l’Euro, mais qui implique que l’Allemagne accepte de transférer aux pays du « Sud » de la zone Euro de 220 à 250 milliards d’euros par an sur une période de dix ans (soit de 80% à 100% de son PIB), soit sortir de l’Euro. Cette dernière solution apparaît comme le choix du réalisme et du pragmatisme face à l’immobilisme (Euro tel qu’il est) ou l’irréalisme (« imposer » à l’Allemagne de transférer entre 8% et 10% de son PIB par an). Il faut cependant indiquer que la gestion concrète de cette sortie impose un certain nombre de règles qu’il faudra strictement observer.

I. Les propositions de référendums sur ce sujet particulier, telles qu’elles figurent au programme de certains partis (le FN) ou dans les discussions au sein d’autres partis (le PdG mais aussi Syriza en Grèce[9]) doivent être proscrites, à la fois pour des raisons de faisabilité et des raisons politiques.

  1. La tenue d’un référendum sera en réalité techniquement impossible, car la spéculation la plus débridée sera immédiate et l’on ne peut fermer les marchés financiers pendant plus de quelques jours.
  2. Par ailleurs, un référendum sur une sortie de l’Euro donnerait lieu à toutes les manipulations politiques possibles et ne correspondrait pas à une réelle échéance démocratique.
  3. Un gouvernement élu sur le constat que l’on a fait de la nocivité de l’Euro doit considérer qu’il a reçu mandat d’évaluer toutes les possibilités y compris celle d’une sortie de l’Euro. En fait, l’Euro a été présenté comme une mesure purement technique et c’est donc d’un point de vue purement technique qu’il faut aborder son démantèlement. Or, la procédure référendaire n’a de sens que si elle porte sur des questions politiques.

Si l’on peut très légitimement envisager un référendum sur l’appartenance à l’UE (la Grande-Bretagne va y procéder) pour obtenir un mandat particulier sur ce point, il faut rejeter le piège du référendum sur l’Euro. L’Euro est une mesure à dimension technique et financière qui ne se prête pas du tout à un référendum.

II. La nécessité de discuter de la possibilité d’un démontage concerté doit être affirmée ; mais il ne faut pas que ceci puisse aboutir à une paralysie de la décision préjudiciable à l’économie et à la liberté de décision.

  1. L’option d’un changement de gouvernance doit être mise sur la table, mais en précisant les implications réelles de ce changement. En particulier, il faudra préciser l’ampleur des transferts qui devraient être consentis par certains pays si l’on voulait que la zone Euro fonctionne.
  2. L’option d’une dissolution concertée de la zone Euro doit aussi mise être sur la table, car cette solution est incontestablement la meilleure.
  3. Mais, la période de proposition et de négociation doit être réduite à 48h-72h ici encore pour éviter le long enlisement que l’on connaît actuellement en Grèce. Le gouvernement (ou la Présidence) français doit proposer ces solutions à ses partenaires en leur demandant des engagements de principes. En cas de refus ou d’absence de position claire il doit s’estimer dégagé de toute obligation envers ses partenaires.
  4. Un fois la période de proposition écoulée, il faudra que la France prenne ses responsabilités.

La période de négociation doit donc être courte. Elle peut couvrir une réunion de l’Eurogroupe. En tout état de cause elle ne doit pas excéder une semaine à partir de l’élection.

III. Des garanties doivent être avancées répondant aux soucis légitimes des français.

  1. La garantie des dépôts bancaires (en monnaie nationale), pour les particuliers comme pour les entreprises, et ce sans limite de somme doit être réaffirmée. Ceci n’est pas entièrement satisfaisant du point de vue d’une analyse en termes de justice sociale. Mais, ici encore, ce qui prime est bien la notion de « confiance ». De ce point de vue, une garantie pour la totalité des dépôts apparaît bien plus apte a convaincre la population de l’engagement du gouvernement plutôt qu’un système certes théoriquement plus juste mais bien plus complexe à mettre en œuvre de garanties différenciées. De ce point de vue la « justice » des mesures dépendra en réalité de leur capacité à engendre la confiance.
  2. La possibilité d’une nationalisation temporaire du système bancaire doit être envisagée. Ici encore, il est certain que des mesures différenciées, nationalisation pour certains établissements, contrôles pour d’autres, seraient en théorie justifiées et sans doute plus adaptées. Mais, la différence entre le monde théorique et le monde réel est que dans ce dernier apparaissent des « frictions » qui compromettent les mesures en apparence les meilleures mais aussi les plus complexes. Il conviendra de faire simple et robuste. C’est pourquoi, la nationalisation temporaire de l’ensemble des banques et des assurances sera très probablement la mesure la plus robuste et susceptible de produire les effets les plus positifs.
  3. Les systèmes d’assurance-vie doivent être garantis en monnaie nationale avec si nécessaire un échange des obligations des pays de la Zone Euro par des obligations publiques françaises.

Ceci répondra aux préoccupations immédiates des épargnants mais aussi des entrepreneurs français en garantissant les sommes nominales déposées dans le système bancaire et en garantissant que ce dernier fonctionne bien de manière continue.

[1] Sapir J., Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris, 2012.

[2] Artus P. « France : il faudrait pouvoir faire baisser tout le nominal », Flash-Economie, Natixis, n°206, 13 mars 2014.

[3] Bibow J., « Global Imbalances, Bretton Woods II and Euroland’s Role in All This », in J. Bibow et A. Terzi (dir.), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York (N. Y.), Palgrave Macmillan, 2007

[4] Sapir J., Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris, 2012.

[5] O. Blanchard et D. Leigh, « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper, WP/13/1, FMI, Washington D.C., 2013. A. J. Auerbach et Y. Gorodnichenko « Measuring the Output Responses to Fiscal Policy », American Economic Journal: Economic Policy 2012, Vol. 4, n° 2, pp 1–27.

[6] A. Baum, Marcos Poplawski-Ribeiro, et Anke Weber, « Fiscal Multipliers and the State of the Economy »,IMF Working papers, WP/12/86, FMI, Washington DC, 2012

[7] Sapir J., Les scénarii de dissolution de l’Euro, (avec P. Murer et C. Durand, ) Fondation ResPublica, Paris, septembre 2013.

[8] Sapir J., Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris, 2012.

[9] Kouvelakis S., « L’Heure de la Rupture », in https://www.ensemble-fdg.org/content/grece-lheure-de-la-rupture

Source: http://www.les-crises.fr/sortir-de-leuro-par-jacques-sapir/


Thinkerview – Interview de Peter Dale Scott

Tuesday 26 May 2015 at 00:35

Peter Dale Scott, professeur émérite de Littérature anglaise à l’Université de Berkeley, Californie. Il a travaillé durant quatre ans (1957-1961) pour le service diplomatique canadien. Expert dans les domaines des opérations secrètes et du trafic de drogue international. Il est connu pour ses positions anti-guerre et ses critiques à l’encontre de la politique étrangère des États-Unis.

Interview en français réalisé le 23 juin 2013 à Berkeley USA.

Source: http://www.les-crises.fr/thinkerview-interview-de-peter-dale-scott/


Noam Chomsky et la stupidité institutionnelle

Monday 25 May 2015 at 02:13

En janvier, Noam Chomsky a reçu le trophée décerné par Philosophy Now [NdT : revue bimestrielle de philosophie diffusée aux États-Unis, en Angleterre, en Australie et au Canada, et aussi en ligne https://philosophynow.org/], pour son combat contre la stupidité].

Introduction par Rick Lewis :

Bienvenue à cette 4e remise du prix de Philosophy Now pour les contributions à la lutte contre la stupidité. Je suis très heureux d’annoncer que nous l’attribuons cette année au professeur Noam Chomsky.

La stupidité peut se présenter sous plusieurs formes. Généralement, elle est plus facile à identifier lorsqu’elle se manifeste chez les autres, et plus difficile à remarquer lorsqu’on en est soi-même victime, la stupidité étant ici entendue comme le fait de se fier à des affirmations non vérifiées, des schémas de pensée bien ancrés ou des raisonnements boiteux. Pourtant, nous cédons tous parfois à de tels vices. Essayer de les éviter pour ne pas se mettre le doigt dans l’œil est le problème central de la philosophie.

Alors, en quoi Chomsky peut-il nous être utile pour ce problème ? Un des intellectuels les plus connus au monde, il a d’abord connu la gloire pour ses travaux en linguistique, en particulier pour sa théorie selon laquelle la grammaire serait innée et sous-tendrait toutes les langues naturelles du monde. Ensuite il a mené un travail important et novateur sur beaucoup de sujets variés, incluant la traduction automatique, la logique, la philosophie et la nature des médias. Commentateur infatigable de la société, il n’hésite pas à marquer son engagement politique sur un grand nombre de sujets extrêmement polémiques.

La récompense

Nous voulons décerner le Prix de la Lutte contre la Stupidité à Noam Chomsky non pas pour son militantisme, car Philosophy Now reste neutre sur les questions politiques, ni pour ses fascinants premiers travaux sur la grammaire universelle, mais principalement pour ses travaux sur la structure des médias, et pour son apologie incessante de la pensée critique indépendante. Dans leur livre de 1988, Manufacturing Consent [NdT : La fabrication du consentement : De la propagande médiatique en démocratie], Chomsky et son collaborateur Edward S. Herman ont examiné divers biais institutionnels qui affectent les médias partout dans le monde. Chomsky a continué à explorer le sujet avec des travaux comme son livre de 1991, Media Control: The Spectacular Achievements of Propaganda.

Emmanuel Kant a dit que notre expérience dépend non seulement de la nature du monde extérieur mais aussi de notre appareil perceptif et de nos catégories mentales. Il y a le monde phénoménal, le monde tel qu’on en a l’expérience, et il y a le monde nouménal, le monde extérieur tel qu’il est en réalité, et que l’on ne peut jamais pleinement connaître.

Le projet de Chomsky, sous certains rapports fait penser à celui de Kant. Il étudie de quelle façon on obtient notre connaissance du monde social et du monde politique. Le monde étant très vaste, il n’est pas possible d’être témoin direct de la plupart des événements qui s’y déroulent, et à la place on doit les découvrir par des intermédiaires, sous une forme condensée. C’est parce qu’ils sont des intermédiaires qu’on les appelle des médias. Mais avant de diffuser des informations, ils doivent décider de ce qui mérite d’être diffusé, et de quelle façon. Dans les régimes autoritaires ce processus est soumis à une censure qui est souvent flagrante et parfois brutale.

Chomsky soutient que, dans les démocraties capitalistes aussi, la manière de diffuser les informations est façonnée par de puissants intérêts, quoiqu’ils s’y prennent de façon beaucoup moins visible. Dans Manufacturing Consent, Chomsky et Herman montrent que le choix et la présentation des nouvelles en Occident est soumise au passage de cinq “filtres”. Le premier est le propriétaire (les conglomérats géants qui à présent possèdent la plupart des médias du monde ont des intérêts commerciaux étendus et ont tendance à décourager le rapport de nouvelles qui nuiraient à ces intérêts). Le second est que les médias dépendent de la vente de placards publicitaires, et auront tendance à exclure les sujets qui entreraient en conflit avec les “humeurs d’achat”. Le troisième est que, étant donné les ressources éditoriales limitées, ils dépendent tous de nouvelles fournies par des organismes extérieurs, y compris les services de presse des gouvernements et des entités commerciales, et sont souvent peu disposés à s’aliéner ces sources. Le quatrième est qu’ils sont contenus par leur désir d’éviter d’être “descendus en flammes” par la critique, en d’autres termes d’éviter les réactions hostiles à leurs articles. Et le cinquième est qu’ils travaillent sous contrainte idéologique, dans le passé c’était l’anticommunisme, et maintenant c’est la guerre contre la terreur. Chomsky et Herman présentent aussi des analyses statistiques sur les différents sujets traités, afin de tester la validité de leur modèle. Si l’on prend pour argent comptant les nouvelles telles qu’elles sont écrites sans prendre en considération les forces qui les déterminent, on peut s’égarer. Si l’on comprend ces mécanismes, alors on peut aussi les prendre en compte et peut-être y gagner une compréhension plus claire du monde lui-même.

Dans sa fonction de critique social, Chomsky met constamment en question la politique publique et la présentation des informations. Il pose des questions épineuses, et même si vous n’êtes pas d’accord avec lui, il vous force à justifier ce que vous pensez de la société et de ses valeurs. Pour toutes ces raisons, il est cette année le très méritant gagnant du prix.

Chomsky intervenant à la cérémonie des Philosophy Now Awards au Conway Hall de Londres en visioconférence depuis sa maison du Massachusetts

Réponse de Noam Chomsky :

Naturellement je suis très heureux de recevoir cet honneur, et de pouvoir aussi accepter cette récompense au nom de mon collègue Edward Herman, co-auteur avec moi de la Fabrique du Consentement, et qui a lui même effectué un grand nombre de remarquables travaux sur ce sujet crucial. Évidemment, nous ne sommes pas les premiers à l’avoir traiter.

Comme on peut s’y attendre, on dira que l’un des tout premiers a été George Orwell. Il a écrit un essai pas très connu qui est une introduction à son livre célèbre la Ferme des Animaux. Il n’est pas connu parce qu’il n’a pas été publié – on l’a trouvé des décennies plus tard dans ses papiers non publiés, mais il est à présent disponible. Dans cet essai il souligne que la Ferme des Animaux est évidemment une satire de l’ennemi totalitaire ; mais il presse le peuple de la libre Angleterre de ne pas trop se sentir porté à donner des leçons là-dessus, parce que, comme il le dit, en Angleterre, les idées impopulaires peuvent être interdites sans qu’il soit fait usage de la force. Il poursuit en donnant des exemples de ce qu’il veut dire, et seulement quelques mots d’explication, mais je crois qu’ils frappent exactement là où il faut.

L’une des raisons, dit-il, est que la presse appartient à de riches personnes qui ont tout intérêt à ce que certaines idées ne soient pas exprimées. La deuxième raison qu’il invoque est un point intéressant, que nous n’avons pas développé, mais nous aurions dû le faire : la qualité de l’éducation. Si vous êtes allés dans les meilleures écoles, on vous aura inculqué qu’il y a certaines choses qu’il serait inconvenant de dire. C’est là, affirme Orwell, un puissant moyen pour prendre les gens au piège, qui va bien au-delà de l’influence des médias.

La stupidité se présente sous plusieurs formes. Je voudrais dire quelques mots d’une forme particulière que je crois être la plus inquiétante de toutes. On peut l’appeler la « stupidité institutionnelle ». C’est une sorte de stupidité entièrement rationnelle dans le cadre où elle s’exerce, mais le cadre lui-même s’étend du grotesque au virtuellement dément.

Au lieu d’essayer de l’expliquer, il est probablement plus utile d’évoquer deux ou trois exemples pour illustrer ce que je veux dire. Il y a trente ans, au début des années 80 – les premières années de Reagan – j’ai écrit un article intitulé « la rationalité du suicide collectif ». C’était au sujet de la stratégie nucléaire, et de comment des gens parfaitement intelligents étaient en train de définir un projet de suicide collectif d’une façon qui était raisonnable dans leur cadre d’analyse géostratégique.

J’ignorais à l’époque à quel point la situation était mauvaise. Nous avons depuis beaucoup appris. Par exemple, un numéro récent du Bulletin of Atomic Scientists présente une étude des fausses alarmes lancées par les systèmes de détection automatique que les États-Unis et d’autres utilisaient pour détecter les attaques de missiles et d’autres menaces pouvant être perçues comme une attaque nucléaire. L’étude porte sur les années 1977 à 1983 et on estime que durant cette période il y eut un minimum d’environ 50 fausses alarmes, et au plus d’environ 255. Il s’agit d’alarmes auxquelles une intervention humaine a mis fin, prévenant le désastre à quelques minutes de l’irréparable.

Il est plausible de supposer que rien de fondamental n’a changé depuis. Mais en réalité, la situation a empiré – ce que je n’avais pas non plus compris à l’époque de la rédaction du livre.

En 1983, à peu près au moment où je l’écrivais, il y avait une très grande peur de la guerre. C’était dû en partie à ce que l’éminent diplomate George Kennan appelait à l’époque « les caractéristiques indubitables de la marche vers la guerre – et rien d’autre ». Elle a été initiée par des programmes que l’administration Reagan a entrepris dès l’entrée en fonctions de Reagan. Tester les défenses russes les intéressait, ils ont donc simulé des attaques aériennes et navales sur la Russie.

C’était une période de grande tension. Des missiles Pershing américains avaient été installés en Europe occidentale, ce qui leur donnait un temps de vol jusqu’à Moscou de cinq à dix minutes. Reagan a aussi annoncé son programme de « guerre des étoiles », compris par les stratèges des deux camps comme une arme de première frappe. En 1983, l’Opération Able Archer a inclus un entraînement qui « a amené les forces de L’OTAN à une simulation grandeur nature de lancement d’armes nucléaires ». Le KGB, nous l’avons appris d’archives récemment publiées, a conclu que les forces américaines avaient été placées en état d’alerte, et auraient même commencé le compte à rebours.

Le monde n’a pas tout à fait atteint le bord de l’abîme nucléaire; mais en 1983, sans en être conscient, il en a été terriblement près – certainement plus près qu’à tout autre moment depuis la Crise cubaine des Missiles de 1962. Les dirigeants russes ont cru que les États-Unis préparaient une première attaque, et qu’ils auraient bien pu avoir lancé une frappe préventive. Je cite en fait une analyse récente faite à un haut niveau des services secrets américains, qui conclut que la peur bleue de la guerre a été réelle. L’analyse indique qu’au fond d’eux-mêmes, les russes gardaient l’ineffaçable mémoire de l’Opération Barberousse, le nom de code allemand pour l’attaque de 1941 d’Hitler sur l’Union soviétique, qui a été le pire désastre militaire de l’histoire russe et a été bien près de détruire le pays. L’analyse américaine dit que c’était exactement ce que la situation évoquait pour les russes.

C’est déjà assez grave, mais il y a encore pire. Il y a un an, nous avons appris que en plein milieu de ces événements menaçant le monde, le système de première alerte de la Russie – semblable à celui de l’Ouest, mais beaucoup plus inefficace – avait détecté l’entrée d’un missile lancé des États-Unis et avait lancé l’alerte de plus haut niveau. Le protocole pour les militaires soviétiques consistait à riposter par une frappe nucléaire. Mais l’ordre doit passer par un être humain. L’officier de service, Stanislav Petrov, décida de désobéir aux ordres et de ne pas transmettre l’avertissement à ses supérieurs. Il a reçu une réprimande officielle. Mais grâce à son manquement au devoir, nous sommes maintenant en vie pour en parler.

Nous avons connaissance d’un nombre énorme de fausses alertes du côté des États-Unis. Les systèmes soviétiques étaient encore bien pires. Mais maintenant les systèmes nucléaires ont été modernisés.

Le Bulletin des Scientifiques atomistes possède une célèbre Horloge de la fin du monde et ils l’ont récemment avancée de deux minutes. Ils expliquent que l’horloge « affiche maintenant trois minutes avant minuit parce que les dirigeants internationaux ne remplissent pas le plus important de leurs devoirs, assurer et préserver la santé et la vitalité de la civilisation humaine. »

Individuellement, ces dirigeants internationaux ne sont certainement pas stupides. Cependant, dans leur fonction institutionnelle, leur stupidité a des implications mortelles. Si l’on regarde rétrospectivement depuis la première – et unique jusqu’ici – attaque atomique, cela semble un miracle que nous en ayons réchappé.

La destruction nucléaire est une des deux menaces majeures et très réelles de notre survie. La deuxième, bien sûr, est la catastrophe environnementale.

Il existe au sein de PricewaterhouseCoopers une équipe reconnue de services professionnels qui vient tout juste de publier son étude annuelle sur les  priorités des PDG. Au sommet de la liste se trouve la sur-réglementation. Le rapport indique que le changement climatique n’apparaît pas dans les dix-neuf premières. Encore une fois, sans aucun doute, les chefs d’entreprise ne sont pas des individus stupides. On peut supposer qu’ils gèrent leurs entreprises intelligemment. Mais la stupidité institutionnelle est colossale, littéralement c’est une menace pour la survie des espèces.

On peut remédier à la stupidité individuelle, mais la stupidité institutionnelle est beaucoup plus résistante au changement. A ce stade de la société humaine, elle met réellement en danger notre survie. C’est pourquoi je pense que la stupidité institutionnelle doit être une préoccupation de première importance.

Merci.

Questions du public :

Comment pourrions-nous surmonter la propagande médiatique et améliorer les médias ? par l’éducation ?

C’est un vieux débat. Aux États-Unis, cela a été débattu pendant près d’un siècle dans le cadre du premier amendement de la constitution américaine, lequel interdit au gouvernement de censurer une publication. Notez que cela ne protège pas la liberté de parole, et n’empêche pas d’être sanctionné pour un discours.

Avant le XXe siècle, il n’y a vraiment pas eu beaucoup d’affaires en rapport avec le premier amendement. Auparavant la presse américaine était très libre, et il existait une large gamme de médias de toutes sortes : journaux, magazines, tracts. Les “Pères fondateurs” croyaient en la liberté de l’information, et beaucoup d’efforts étaient faits pour pousser à avoir la plus large gamme possible de médias indépendants. Néanmoins, la liberté de parole n’était pas fortement protégée.

Des décisions sur la liberté d’expression avaient commencé à être prises au temps de la première guerre mondiale, mais pas par les tribunaux. Ce n’est qu’à partir des années 60 que les États-Unis établissent un niveau de protection élevé de la liberté d’expression. Pendant ce temps, durant l’entre-deux-guerres nombre de discussions avaient pris place dans le cadre de ce qui avait été dénommé liberté “positive” et liberté “négative”, selon Isaiah Berlin, de ce que le Premier Amendement impliquait pour la liberté d’expression et de la presse. Il y avait un point de vue parfois appelé “libertarianisme du monde des affaires”, qui tenait que le Premier Amendement devait s’occuper de la liberté négative : c’est-à-dire que le gouvernement ne peut pas interférer avec le droit des propriétaires des médias à faire ce qu’ils veulent. L’autre point de vue était social démocrate, et était issu du New Deal après la Grande Dépression et au début de l’après seconde guerre mondiale. Celui-là tenait qu’il devait y avoir aussi la liberté positive : en d’autres termes, que les gens devaient avoir droit à l’information en tant que base d’une société démocratique.

La bataille a été menée dans les années 40, et le libertarianisme du monde des affaires a gagné. Les États-Unis sont un cas rare de ce point de vue. Il n’y a aux États-Unis rien qui ressemble à la BBC. La plupart des pays ont des sortes de médias nationaux qui sont aussi libres que l’est la société. Les États-Unis rejettent brutalement tout ceci dans les marges. Les médias ont été fondamentalement remis à des puissances privées qui se servent de leurs moyens selon leur bon vouloir. C’est une interprétation de la liberté d’expression en termes de liberté négative : l’état ne peut pas intervenir et n’affecte en rien les décisions des propriétaires privés. Il y a quelques restrictions, mais pas beaucoup. Les conséquences sont pratiquement l’existence d’un contrôle des idées tel qu’Orwell le décrit, et Edward Herman et moi en discutons de façon très détaillée.

Comment venir à bout de ce problème ? Un moyen est l’éducation ; mais un autre est de revenir au concept de liberté positive, ce qui signifie que dans une société démocratique un grand prix est accordé au droit des citoyens d’accéder à un large éventail d’opinions et de croyances. Ceci signifierait, aux États-Unis, revenir à ce qui en effet était la conception première des fondateurs de la République, à savoir qu’il devait y avoir non pas tant de réglementation de ce qui est dit, mais plutôt un soutien du gouvernement pour une large variété d’opinions, de recueil et d’analyses d’informations – ce qui peut être stimulé de beaucoup de façons.

Gouvernement signifie public : dans une société démocratique, le gouvernement ne doit pas être quelque Léviathan prenant des décisions. Il y a plusieurs importants projets fondamentaux qui cherchent à développer des médias plus démocratiques. C’est un grand combat, à cause de l’énorme pouvoir du capital concentré qui évidemment cherche à empêcher cet avènement par tous les moyens. Mais c’est un combat qui se poursuit depuis longtemps, et il y a des problèmes fondamentaux en jeu, y compris la question des libertés négatives ou positives.

Avez-vous une idée de l’impact que peuvent avoir les algorithmes de recherche et le bouillonnement des recherches sur les tentatives individuelles d’obtenir des informations en vue d’essayer de subvertir le Grand Média ?

Comme vous tous, je me sers tout le temps de moteurs de recherche. Pour les gens suffisamment privilégiés, internet est très utile ; mais en gros il ne vous est utile que dans la mesure où vous avez des privilèges. “Privilèges” ici signifie éducation, ressources, une aptitude de fond à savoir ce qu’il faut chercher.

C’est comme une bibliothèque. Supposons que vous décidiez “je veux être biologiste”, et alors vous vous inscrivez à la bibliothèque du département de biologie de l’université de Harvard. Tout y est, donc en principe vous pouvez devenir biologiste, mais évidemment tous ces livres ne servent à rien si vous ne savez pas quoi chercher, si vous ne savez pas comment interpréter ce que vous voyez, et ainsi de suite. C’est la même chose avec internet. Il y a là une énorme quantité de matériel, parfois de valeur et parfois sans valeur, mais il faut de la compréhension, de l’interprétation et une préparation ne serait-ce que pour savoir quoi chercher. C’est un problème assez différent du fait que le système Google, par exemple, ne soit pas un système neutre. Il reflète les intérêts des annonceurs par ce qu’il met ou ne met pas en avant, et vous devez apprendre à trouver votre chemin dans ce dédale. Donc nous en revenons à l’éducation et l’organisation qui vous permettent d’agir.

Il faut mettre l’accent sur le fait que, en tant qu’individu, vous êtes assez limité dans ce que vous pouvez arriver à comprendre, dans les idées que vous pouvez développer, et même pour savoir comment penser. Donc être isolé limite fortement votre capacité à avoir et à évaluer des idées, que ce soit pour devenir un scientifique créatif ou un citoyen à part entière. C’est une des raisons pour lesquelles le mouvement ouvrier a toujours été en première ligne dans le combat contre la suppression de l’information, avec par exemple des programmes d’éducation des travailleurs, qui avaient autrefois une grande influence à la fois en Angleterre et aux États-Unis. Le déclin de ce que les sociologues appellent les “associations secondaires”, où des gens se réunissent pour chercher et se renseigner, est l’un des processus d’atomisation qui conduit les gens à se retrouver isolés et à devoir faire face seuls à cette masse d’information. Donc, le net est un instrument de valeur, mais comme tous les outils, vous devez être en état de l’utiliser, et ce n’est pas simple. Il exige un développement social significatif.

Comment serait-il possible de rendre les institutions moins stupides ?

Eh bien, cela dépend de quelle institution il s’agit. J’en ai mentionné deux : l’une est le gouvernement au contrôle d’une capacité nucléaire ; l’autre est le secteur privé, qui est pratiquement contrôlé par des concentrations assez réduites de capitaux. Ils exigent des approches différentes. En ce qui concerne la situation du gouvernement, cela nécessite l’élaboration d’une société démocratique qui fonctionne, dans laquelle des citoyens informés joueraient un rôle central dans la détermination de la politique. Le public ne souhaite pas être confronté à la mort et à la destruction par des armes nucléaires, et dans ce cas nous connaissons, en principe, la façon d’éliminer cette menace. Si le peuple était impliqué dans l’élaboration des politiques de sécurité, je pense que cette stupidité institutionnelle pourrait être surmontée.

Il existe une thèse en théorie des relations internationales selon laquelle la principale préoccupation des états serait la sécurité. Mais cela laisse ouverte la question : la sécurité pour qui ? Si vous y regardez d’un peu plus près, il s’avère qu’il ne s’agit pas de la sécurité de la population, mais de celle des secteurs privilégiés de la société – les secteurs qui détiennent le pouvoir de l’état. Il y a des preuves accablantes à cela, malheureusement, je n’ai pas le temps de les passer en revue. Donc, une chose à faire est d’arriver à comprendre de qui l’état protège en fait la sécurité : ce n’est pas la vôtre. Ceci peut être résolu par la construction d’une société démocratique qui fonctionne.

Sur la question de la concentration du pouvoir privé, il y a aussi essentiellement un problème de démocratisation. Une entreprise est une tyrannie. C’est le plus pur exemple d’une tyrannie que vous puissiez imaginer : le pouvoir réside au sommet, les commandes sont envoyées vers le bas étage par étage, et au plus bas de l’échelle, vous avez la possibilité d’acheter ce qu’elle produit. Les gens, les prétendues parties prenantes de la communauté, n’ont presque aucun rôle dans le choix que fait cette entité. Et ces entités ont reçu des droits et pouvoirs extraordinaires, bien au-delà de ceux de l’individu. Mais rien de tout cela n’est gravé dans la pierre. Rien de tout cela n’est fondé par la théorie économique. Cette situation est le résultat, essentiellement, de la lutte des classes, réalisée par les classes d’affaires hautement conscientes de leur position sociale sur une longue période, qui ont maintenant établi leur domination effective sur la société sous diverses formes. Mais cette situation n’a pas de raison d’être, elle peut changer. Encore une fois, la question est de démocratiser les institutions de la vie sociale, politique et économique. Facile à dire, difficile à faire, mais je pense que c’est essentiel.

Source : Philosophy Now, le 04/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/noam-chomsky-et-la-stupidite-institutionnelle/


Le témoignage d’une commandante de police fait exploser le dossier Kerviel

Monday 25 May 2015 at 00:11

Excellent article de Médiapart (pensez à les soutenir :) ) sur un sujet évident : la Société Générale a une énorme part de responsabilité dans cette affaire…

C’est une déposition sans précédent, qui transforme le dossier Kerviel en un scandale Société générale. La commandante de police chargée de piloter cette affaire à la brigade financière a raconté au juge d’instruction Roger Le Loire les dysfonctionnements rencontrés lors de ses enquêtes, menées entre 2008 et 2012. Son témoignage fait basculer le dossier et ne peut que forcer la justice à rouvrir l’enquête.

C’est une déposition sans précédent dans l’histoire judiciaire. Elle met à bas tout le dossier Kerviel et pourrait contraindre la justice à rouvrir l’enquête et à réviser ses jugements. Elle pose aussi la question du rôle du parquet qui, dans cette affaire, semble avoir oublié la notion de justice équitable, en soutenant sans réserve et sans distance la position de la Société générale.

Le 9 avril, selon nos informations, le dossier de l’affaire Kerviel a explosé dans les bureaux du juge d’instruction Roger Le Loire. Ce jour-là, le vice-président du tribunal de grande instance de Paris a auditionné un témoin hors norme dans le cadre d’une plainte contre X pour escroquerie au jugement déposée par Jérôme Kerviel : la commandante de police de la brigade financière chargée de l’affaire Kerviel. Celle qui a mené deux fois l’enquête, une première fois en 2008, une seconde en 2012.

Faisant preuve d’un courage exceptionnel et d’une rare intégrité intellectuelle, Nathalie Le Roy, qui a depuis changé d’affectation, avoue devant le juge les doutes qu’elle nourrit sur son enquête de 2008. Cette enquête qui a amené à la condamnation de Jérôme Kerviel à trois ans de prison ferme et 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts en appel (le montant des dommages et intérêts est en cours de révision à la cour d’appel de Versailles, après l’arrêt de la Cour de cassation annulant le jugement de la partie civile). L’enquêtrice explique devant le juge avoir complètement changé d’avis sur le dossier.

Alors qu’elle était convaincue de la culpabilité de Jérôme Kerviel en 2008, Nathalie Le Roy a commencé à avoir des interrogations, puis des certitudes, quand elle a repris l’enquête en 2012. « À l’occasion des différentes auditions et des différents documents que j’ai pu avoir entre les mains, j’ai eu le sentiment puis la certitude que la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions prises par ce dernier », assure-t-elle devant le juge.

Elle détaille les faits troublants et les dysfonctionnements qu’elle a eu à connaître dans le cadre de cette enquête et qui donnent une tout autre dimension à l’affaire. Son récit est stupéfiant et bouscule tout ce qui a été dit jusqu’ici sur ce dossier. À l’issue de cette audition, le juge Le Loire a, semble-t-il, été ébranlé. Car le dossier a basculé. La justice ne peut plus fermer les yeux sur ses errements : ce n’est plus de l’affaire Kerviel qu’il s’agit, mais bien d’une affaire Société générale.

Jamais jusqu’alors, cette commandante de police n’avait raconté cette enquête et exprimé ses doutes sur son déroulé. Ce n’est que parce qu’elle a eu à répondre à la convocation du juge Roger Le Loire qu’elle a accepté de briser le silence. Elle s’en explique devant le juge. « Je ne me suis jamais manifestée pour ne pas interférer dans le cours de la justice, mais j’avoue que ma convocation aujourd’hui m’apporte un soulagement. Je me suis très longtemps remise en question », confie-t-elle lors de son audition.

Face au juge Le Loire, elle revient en détail sur les différentes procédures qu’elle a eu à mener de 2008 à 2012. Elle raconte une enquête complètement prise en main par la Société générale. La banque impose sa version, choisit les interlocuteurs mais fait aussi pression sur les témoins, refuse de répondre aux réquisitions quand elles dérangent. L’enquêtrice parle aussi de l’étrange attitude du parquet. Malgré les doutes dont elle avait fait part, malgré les témoignages qu’elle avait recueillis, malgré les demandes d’expertise qu’elle avait formulées après avoir repris l’enquête en 2012, le parquet préfère enterrer le dossier et s’en tenir au récit largement développé par la banque, sans aller chercher plus loin.

Dès la révélation de l’affaire aux premières heures du 24 janvier 2008, la Société générale a imposé sa version des faits : la banque était victime d’un trader fou, travaillant en solitaire, jouant des milliards à l’insu de sa hiérarchie, de tous les contrôles. Ses positions extravagantes avaient coûté 4,9 milliards d’euros de pertes à la banque, avait alors affirmé son PDG, Daniel Bouton, alors même que toutes les opérations n’étaient pas débouclées, comme l’indique le rapport de la Commission bancaire. Depuis, la Société générale n’a jamais varié ni dans son récit ni sur le montant de ses pertes. Par deux fois, la justice a confirmé la version de la banque et a condamné Jérôme Kerviel pour abus de confiance, faux et usage de faux, introduction frauduleuse dans les systèmes informatiques.

Tous les témoins qui ont essayé à un moment ou à un autre de contester la ligne de défense de la Société générale, d’expliquer le fonctionnement des marchés et du monde bancaire, de démontrer qu’il était impossible que la banque ignore tout, de suggérer des pistes d’enquête, ont été ignorés, parfois dénigrés. Certains salariés de la Société générale, comme Philippe Houbé, qui travaillait chez Fimat, filiale de la banque chargée des opérations de compensation, ont été licenciés pour avoir osé contredire « l’histoire officielle ».

Cette fois, la Société générale et la justice vont-elles pouvoir balayer d’un revers de la main ce nouveau témoin ? Nathalie Le Roy est un personnage respecté à la brigade financière et dans le monde judiciaire. Connue pour sa rigueur et son expertise, elle s’est vu confier des dossiers très lourds et est très appréciée par les juges d’instruction.

Quand Eva Joly a commencé à s’intéresser – très tardivement, a-t-elle regretté – à l’affaire Kerviel, elle a écouté longuement ses proches, notamment Julien Bayou, des connaisseurs du dossier, l’avocat de Jérôme Kerviel, David Koubbi, lui expliquer l’affaire. Si les arguments des uns et des autres l’ont convaincue, un détail à chaque fois la choquait : l’enquête avait été menée par Nathalie Le Roy. « J’ai eu à travailler avec elle dans de nombreuses enquêtes. Je connais son professionnalisme et sa rigueur », objectait Eva Joly. Pour l’ancienne juge d’instruction, l’enquête ne pouvait avoir été bâclée. Bâclée ? Elle ne l’a certes pas été. Mais orientée, cadrée, détournée de certains sujets qu’il ne fallait pas approcher ? Peut-être.

« J’ai eu le sentiment d’avoir été instrumentalisée »

Avec le recul, c’est ce doute qu’exprime Nathalie Le Roy lors de son audition, en revenant sur ses premiers moments à la banque. « J’ai eu le sentiment d’avoir été instrumentalisée par la Société générale », confie-t-elle au juge. Une instrumentalisation facilitée par le fait que l’enquêtrice débarque dans un monde financier totalement inconnu. « J’ai été saisie de l’affaire le 24 janvier 2008. Ce dossier m’a été attribué alors que je n’avais aucune connaissance boursière », déclare-t-elle.

La Société générale pourvoit à tout, et prend les inspecteurs de la brigade financière en main, les guide dans la jungle de la finance.  « J’ai tout d’abord entendu madame Dumas [adjointe au responsable des opérations à GEDS, le département où travaille Jérôme Kerviel – ndlr], alors que dans un même temps se déroulaient les perquisitions au siège de la Société générale par les collègues de service. L’ordinateur de Jérôme Kerviel était déjà mis à l’écart (…). Il avait peut-être été étudié, mais ça je ne le sais pas. (…) L’ensemble des documents qui ont été requis dans cette enquête auprès de la Société générale nous ont été fournis par cette dernière, car nous n’avions pas le matériel informatique pour l’exploitation. (…) C’est la Société générale elle-même qui m’adresse les personnes qu’elle juge bon d’être entendues. Je n’ai jamais demandé : “Je souhaiterais entendre telle ou telle personne.” C’est la Société générale qui m’a dirigé tous les témoins », raconte-t-elle. « C’était une position assez confortable », reconnaît-elle devant le juge, avec regret semble-t-il.

« Consignes générales : restituer les faits négatifs en recherchant leur portée, en les remettant dans leur contexte, en les noyant dans les faits positifs, en utilisant la complexité technique », recommandait la Société générale à ses salariés dans un autre dossier, celui du Sentier. Ce procédé est largement utilisé dans l’enquête sur Kerviel. Les témoignages sont noyés dans la technique et le jargon. Les personnes interrogées y parlent beaucoup de positions « short » et « long », de « put » et de « call », de warrants et d’opérations pending, de système Eliot et d’opérations sur Click options. Mais elles se gardent bien d’indiquer les carrefours importants des opérations financières, d’évoquer les appels de marge ou les effets des positions sur la trésorerie quotidienne, de faire allusion au système Zantaz logé aux États-Unis qui conserve tous les mails, ou même de la chambre de compensation Eurex. Bref, de tout ce qui  peut permettre de retracer les mouvements et les contreparties des opérations réalisées par Jérôme Kerviel.

Tous les témoins entendus par la brigade financière accréditent alors la thèse d’un Jérôme Kerviel, trader solitaire, pouvant engager 50 milliards d’euros – plus que les fonds propres de la banque – dans des opérations spéculatives, à l’insu de tous. Ce que conteste Jérôme Kerviel dès sa première audition. « J’ai entendu Jérôme Kerviel qui s’était présenté spontanément pendant 48 heures dans le cadre de sa garde à vue. Déjà à l’époque, il développait la théorie selon laquelle il avait effectivement pris les positions qui lui étaient reprochées, ce en pleine connaissance de la hiérarchie, ce qu’il a toujours maintenu », se rappelle Nathalie Le Roy devant le juge.

L’enquête se poursuit dans le cadre de l’information judiciaire confiée aux juges Renaud Van Ruymbeke et Françoise Desset le 28 janvier 2008. Il faut boucler très vite, d’autant que la commission bancaire et surtout le rapport de l’inspection des finances, commandé par la ministre Christine Lagarde, ont déjà tranché le sujet dès mars 2008 : la Société générale est totalement victime des agissements de son trader.

En octobre 2008, l’enquête de la justice est à son tour achevée. « Sur la masse de scellés que nous avions réalisés, vu l’urgence, compte tenu du peu d’effectifs dans le groupe et de la masse de travail qu’il y avait à effectuer, certains n’ont pas été exploités », reconnaît l’ancienne enquêtrice de la brigade financière. D’autant qu’il faut parfois des équipements spéciaux pour pouvoir les exploiter. Alors, les enquêteurs s’en tiennent à ce que la Société générale leur fournit. « À titre d’exemple, le fameux entretien qui a eu lieu entre Jérôme Kerviel et ses supérieurs hiérarchiques à la découverte des faits, ça devait être les 20 et 21 janvier 2008 de mémoire, tous les enregistrements qui ont été faits dans cette salle nous ont été transcrits de manière manuscrite par la Société générale », précise-t-elle.

Le juge Van Ruymbeke puis le président du tribunal correctionnel, Dominique Pauthe, ont refusé à plusieurs reprises à la défense de Jérôme Kerviel, alors représentée par l’avocat Olivier Metzner, d’avoir accès à ces scellés. Ce n’est que quelques semaines avant le procès en appel que la présidente, Mireille Filippini, a accepté que la défense puisse y accéder. Trop tard pour pouvoir les exploiter à temps pour le procès.

David Koubbi, le nouvel avocat de Jérôme Kerviel, découvrira plus tard que certains scellés, dont l’ordinateur de Jérôme Kerviel ou des contenus de boîtes mails, n’ont jamais été ouverts. Il mettra aussi la main sur ces fameuses bandes – 45 au total – ayant enregistré les conversations entre Jérôme Kerviel et ses supérieurs. La défense découvrira les propos de Jean-Pierre Mustier, alors numéro deux de la Société générale, reconnaissant avoir perdu un milliard d’euros dans les subprimes. Et elle découvrira surtout des blancs, d’énormes blancs dans les enregistrements, blancs qui ne sont pas signalés dans la transcription manuscrite. Plus de deux heures et quarante-cinq minutes de conversations ont ainsi disparu (lire notre enquête : Les silences des bandes de la Société générale) !

Un mail à tête de mort

« L’enquête étant clôturée, j’ai fait mon rapport de synthèse à charge contre Jérôme Kerviel, tout en mettant en avant les manquements et les dysfonctionnements au sein de la Société générale. Nous sommes en 2008. Je suis convaincue de la culpabilité de Jérôme Kerviel et de la véracité des témoignages recueillis », déclare l’ancienne enquêtrice de la brigade financière au juge. Ce dossier l’a passionné, reconnaît l’enquêtrice. Elle se souvient avoir suivi toutes les audiences du procès. D’autant que, à la suite de cette première affaire, elle s’est formée dans les affaires boursières et on lui confie nombre d’enquêtes dans ce domaine, à la brigade financière.

Les premiers doutes viendront plus tard, en 2012, quand Jérôme Kerviel dépose deux plaintes, pour faux et usages de faux et escroquerie au jugement. Elle est à nouveau chargée de l’enquête préliminaire. Elle raconte que David Koubbi, l’avocat de Jérôme Kerviel, lui demande alors si elle est prête à recevoir des documents et des témoins, même si ceux-ci peuvent contredire ses conclusions initiales. « Je ferai mon devoir et entendrai tous les témoins qu’il est nécessaire d’entendre », assure avoir répondu Nathalie Le Roy.

Des témoignages, l’avocat de Jérôme Kerviel en a reçu de multiples. Car le procès en première instance puis le procès en appel ont réveillé des consciences, suscité des indignations. Des connaisseurs du monde financier, d’anciens traders ou banquiers, même s’ils n’ont aucun lien avec la Société générale, se sont manifestés pour expliquer que la thèse soutenue par la banque était tout simplement impossible. Les uns et les autres ont fait œuvre de pédagogie pour expliquer le fonctionnement des marchés, les points de contrôle, les contreparties extérieures. Tous aboutissaient aux mêmes conclusions : la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions considérables qu’il avait prises. « C’était visiblement connu sur le marché puisqu’il était surnommé par certains traders “le gros” », raconte Nathalie Le Roy.

Des salariés ou d’anciens salariés de la Société générale sont aussi intervenus, expliquant que tout le monde connaissait les pratiques de Jérôme Kerviel (lire Les confessions d’un ancien trader). « Certains ont accepté de témoigner sous leur nom, d’autres sous couvert d’anonymat », relève l’ancienne enquêtrice.

Celle-ci a en particulier détaillé devant le juge le témoignage de Florent Gras, un ancien salarié de la Société générale. « Il m’a tout de suite dit que l’activité de Jérôme Kerviel était connue, qu’il avait lui-même alerté madame Claire Dumas, qui était dans sa ligne hiérarchique. Il m’a dit avoir envoyé à cette dernière et à d’autres un mail avec une tête de mort pour attirer leur attention », déclare-t-elle. L’avertissement aurait été lancé en avril 2007, soit plus de neuf mois avant le scandale.

« J’avais demandé à la Société générale l’extraction des mails de Florent Gras et le mail en question n’y figurait pas. D’où la réquisition judiciaire du 10 octobre 2012 adressée à M. Oudea (PDG de la Société générale) pour obtenir l’extraction de la messagerie de madame Dumas, ciblée avec ses échanges avec Florent Gras et qui est restée lettre morte », poursuit-elle.

La Société générale n’a pas répondu à cette réquisition de la brigade financière. Comme elle n’a pas répondu à la réquisition pour obtenir les boîtes mails de certains supérieurs hiérarchiques, comme elle n’a pas répondu à d’autres demandes. La banque n’a aucune envie en 2012 de rouvrir une enquête, alors que sa position de victime a été reconnue par la justice en première instance et qu’un procès en appel est encore en cours.

Mais il n’y a pas que la Société générale qui refuse de revenir sur le dossier Kerviel. Le parquet de Paris a également tout fait pour enterrer définitivement l’affaire. Alors que les éléments et les témoignages s’accumulent, laissant penser que la Société générale n’est peut-être pas qu’une simple victime, l’enquêtrice, déclare-t-elle au juge Le Loire, s’est ouverte de ses doutes et de ses questionnements à sa hiérarchie. Celle-ci tente de la rassurer en disant qu’elle avait mené son enquête « en fonction des éléments qui lui avaient été communiqués ». Elle a également alerté le parquet, insistant sur les zones obscures qui ne cessaient d’apparaître dans ce dossier. Pour permettre d’y voir plus clair, elle demande d’engager de nouveaux actes et de nouvelles expertises portant à la fois sur les bandes et sur la saisie des mails stockés aux États-Unis.

Mais tout cela reste aussi lettre morte. Le parquet oppose un refus à tout et décide de classer les deux plaintes sans suite, avant même que l’enquêtrice ait rédigé un rapport de synthèse. « Les deux enquêtes (…) ont fait l’objet d’un retour en l’état à la demande du parquet, deux jours avant l’audience [qui devait prononcer le jugement de la cour d’appel – ndlr], sans synthèse de ma part. J’ai appris le lendemain, soit la veille de l’audience, que les plaintes étaient classées sans suite dans le cadre d’un non-lieu ab initio », dit-elle.

« Vous souvenez-vous de la date ? » demande le juge Roger Le Loire. « Il me semble que l’audience avait lieu le 24 octobre 2012 et que j’ai renvoyé le dossier sans synthèse le 22 », déclare-t-elle. Le parquet estimait manifestement qu’il y avait urgence à clore l’enquête, à fermer toutes les portes, avant le verdict de la cour d’appel condamnant définitivement Jérôme Kerviel comme seul responsable des pertes de la Société générale. Pourquoi ? Sur ordre de qui ? Faut-il croire que les intérêts du monde bancaire sont désormais supérieurs à ceux de la justice ?

« Cadres séquestrés »

Ce classement sans suite ordonné par le parquet perturbe d’autant plus l’enquêtrice qu’à l’occasion de ce procès en appel, auquel elle assistait, elle a rencontré de nombreux traders, outrés par le sort réservé à Jérôme Kerviel.  Un témoignage dans l’assistance l’a alors particulièrement frappée, dit-elle.

« Lors du délibéré, dans les couloirs, j’ai assisté à une conversation d’une dame qui se présentait comme étant aux ressources humaines de la Société générale encore actuellement, qui ne pouvait donc se manifester et qui disait qu’elle était ulcérée que Jérôme Kerviel serve de fusible. Ne sachant comment comprendre ses propos, je me suis présentée à elle en tant que commandant de police à la brigade financière. Elle m’a dit se nommer G. C.. (…) Tout en connaissant ma qualité, elle a surenchéri en m’expliquant qu’en janvier 2008, après la découverte des faits, Frédéric Oudéa, à l’époque directeur financier, avait “séquestré” un certain nombre de cadres afin de leur faire signer un engagement de confidentialité de tout ce qu’ils avaient pu apprendre et qu’ils s’engageaient même à ne pas en parler à leur propre conjoint. De ce qu’elle me disait, la plupart des personnes ont signé cet engagement », rapporte Nathalie Le Roy sur le procès-verbal d’audition. Selon nos informations, des témoins extérieurs ont également assisté à cet échange.

Après cette conversation, Nathalie Le Roy lui a laissé son numéro de téléphone. « Elle m’a appelée. Nous nous sommes rencontrées et elle m’a dit être dans la réflexion de savoir si elle était disposée à témoigner mais de manière anonyme. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles », dit-elle. La peur, sans aucun doute, l’a dissuadée d’aller au-delà.

Ainsi, Frédéric Oudéa, actuel PDG de la Société générale, aurait pu faire pression pour empêcher que certains salariés témoignent devant la justice. Le soupçon avait déjà émergé lors du procès en appel (lire notre article Affaire Kerviel: le prix du silence). Un des responsables hiérarchiques de Jérôme Kerviel, Martial Rouyère, était appelé à témoigner devant le tribunal. Il avait été licencié à la suite du scandale mais en bénéficiant d’une prime de sept années de salaire. Du jamais vu dans l’histoire des prud’hommes.

« Est-ce le prix du silence ? » avait alors demandé la présidente du tribunal, Mireille Filippini. « Le fait de signer un accord comme celui-là ne vous lie que si vous ne voulez pas subir les conséquences… », répondit alors Martial Rouyère. « Qu’est-ce qui se passe si vous parlez ? » demanda l’avocat de Jérôme Kerviel. « Je dois rendre l’argent », répliqua Martial Rouyère. La déclaration ne fit même pas sursauter les juges. Plutôt que de pousser plus loin son questionnement, la présidente préféra clore l’audition, sans demander d’autres éclaircissements. Le pouvoir de l’argent peut beaucoup, même faire oublier à la justice quelques principes fondamentaux.

Mais pourquoi ces accords de confidentialité, ces compensations hors norme et peut-être ces pressions sur témoins ? Pourquoi la banque refuse-t-elle de délivrer des documents demandés par les enquêteurs, après leur en avoir obligeamment sélectionné d’autres ?  La Société générale aurait-elle quelque chose à cacher ?

« Dans le cadre du fonctionnement procédural de cette enquête, je me suis étonnée qu’il n’ait jamais été possible d’obtenir une expertise sur le montant des pertes déclarées par la Société générale », soulève Nathalie Le Roy durant son audition. C’est un des points clés de ce dossier hors norme. Les pertes de la Société générale, reconnues par la justice, l’ont été aux seuls dires de la banque. Même si le montant peut être révisé par la cour d’appel de Versailles, Jérôme Kerviel a tout de même été condamné par deux fois à verser 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts sur la seule parole de son ancien employeur.

 « Il faudrait solliciter une expertise afin de s’assurer que les pertes annoncées sont bien en totalité liées aux opération de Jérôme Kerviel, chercher à savoir quelles sont les contreparties des opérations de débouclage. Car si la Société générale a perdu les 4,9 milliards, il y a forcément quelqu’un qui en a bénéficié », remarque, en guise de conclusion, l’ancienne enquêtrice de la brigade financière. Une suggestion qui pourrait être retenue par le juge d’instruction Roger Le Loire.

Jusqu’à présent, ce mystère reste entier. Officiellement, personne n’a gagné face à la Société générale. Aucun intervenant financier, en tout cas, ne s’est vanté d’avoir réalisé de gains substantiels dans ces opérations. Les 4,9 milliards d’euros perdus par la Société générale se sont évanouis dans la nature.

Et encore la banque n’a-t-elle, in fine, pas tout perdu. Car dès mars 2008, sans attendre les décisions de la justice, Bercy, s’appuyant sur le rapport de l’inspection des finances, accordait un avoir fiscal de 1,7 milliard d’euros à la banque, du fait de ses pertes, inclus dans ses comptes 2007, alors que tout s’était passé en 2008. Ce cadeau fiscal a vite servi. Dans l’année, la direction de la SG – banque pourtant très touchée par la crise des subprimes – décidait de verser 420 millions d’euros, soit 45 % de son bénéfice, de dividendes à ses actionnaires et de racheter pour 1,2 milliard d’euros d’actions. À quelques millions près, c’est la somme dont lui ont fait cadeau les contribuables.

Source : Martine Orange, pour son blog Mediapart, le 17 mai 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/le-temoignage-dune-commandante-de-police-fait-exploser-le-dossier-kerviel/


Conférence des Éconoclastes à Lille, le 24 mars 2015

Sunday 24 May 2015 at 01:32



Olivier Delamarche et Pierre Sabatier à l’université de Lille 2, le 24 mars 2015


Olivier Berruyer et Philippe Béchade à l’université de Lille 2, le 24 mars 2015


Nicolas Chéron et Loic Schmid à l’université de Lille 2, le 24 mars 2015

Source : Le Blogue Noir de Brocéliande, le 4 mai 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/conference-des-econoclastes-a-lille-le-24-mars-2015/


ENTRAIDE : Chomsky, Revue de presse, Word, Histoire

Saturday 23 May 2015 at 16:41

Bonjour – plusieurs appels à l’entraide aujourd’hui

Chomsky

J’ai toujours le projet de réaliser un bon suivi pour traduire les articles de Noam Chomsky.

A ce stade, on a surtout besoin de coordinateurs, capables de distribuer des taches et d’en assurer le suivi… Le tout avec un peu de temps, mais ça restera très raisonnable.

Revue de presse

GROS BESOINS de butineurs, chargés de parcourir certains sites et d’en sélectionner le meilleur pour alimenter la revue de presse.

N’hésitez pas, surtout si vous parcourez déjà beaucoup le web (indiquez alors les sites dont vous êtes déjà familiers).

Word

Nous aurions besoin de personnes connaissant un peu Word, et ayant du temps pour nous aider (un peu mais régulièrement)

Entraide Histoire

Nous aurions besoin d’un peu d’aide pour des petites recherches sur Internet + rédaction de courtes synthèses, en lien avec l’Histoire et la Propagande de guerre.

Nous cherchons des personnes ayant la curiosité pour l(Histoire, de la rigueur, se débrouillant en recherches internet – voire en plus avec de bonnes qualités de rédaction (même si on peut segmenter le travail).

Rien de très compliqué non plus – ça restera de niveau Licence / Master… Profil Historien, Sciences Po, Journaliste, etc. bienvenu…

Et rien de très long non plus, la participation peut être unique sur un seul sujet si vous souhaitez…

Contact

Contactez-nous ici en indiquant en objet le sujet sur lequel vous vous proposez…

Merci d’avance !

Olivier Berruyer

Source: http://www.les-crises.fr/entraide-2015-05/


Revue de presse du 23/05/2015

Saturday 23 May 2015 at 04:32

Merci à nos contributeurs pour cette nouvelle revue de presse. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-23-05-2015/


[Quand les chiens de garde Vincent Tiberj et Nonna Mayer attaquent Todd] Scoop, il y avait 15 millions de manifestants le 11 janvier !

Friday 22 May 2015 at 19:58

Introduction

(Dois-je encore le dire ?) Énorme !

Le Monde a fait donner ses chiens de garde pour démonter les analyses d’Emmanuel Todd sur Charlie.

Il s’agit aujourd’hui de Vincent Tiberj (Sociologue, Centre d’études européennes) et Nonna Mayer (Politiste et directrice de recherche émérite au CNRS – ahhh les chiens de garde du CNRS, terre de résidence de Marie Mendras, autre gloire de la “science” française, comme vu dans ce billet).

Ils viennent donc analyser dans le “journal” un sondage BVA/CNCDH/SIG, portant sur l’analyse des groupes ayant manifesté le 11 janvier.

Le titre résume bien : “Le simplisme d’Emmanuel Todd démonté par la sociologie des « Je suis Charlie »”.

On sent la bonne foi dégoulinante, et la volonté de contribuer à un débat serein, mais passons…

 

Je vais présenter sans commentaire le compte rendu de Slate (dans la mouvance du Monde), et nous analyserons ensuite l’article du Monde.

Je précise que j’ai contacté la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) pour avoir le détail du sondage BVA/CNCDH/SIG (je rappelle que le SIG est le service d’information du gouvernement…).

Cela m’a été refusé, me renvoyant sur les chercheurs (qui n’ont, je sache, pas financé le sondage… Je rappelle qu’en général, sur des sondages publiés, on trouve le détail publié sur le site du sondeur, comme par exemple ici).

“De notre côté, nous ne pouvons que vous communiquer l’analyse faite par les chercheurs, que vous trouverez dans « Les Essentiels » ci-joint. Pour plus d’informations et de détails je vous invite à prendre contact avec Madame Nonna Mayer et Monsieur Vincent Tiberj, chercheurs au Centre d’études européennes de Sciences Po et partenaires de la CNCDH qui ont fait la présentation évoquée dans les articles que vous nous avez communiqué.”

Je reste à votre disposition pour toute demande d’information complémentaire,

Nous nous passerons donc des données de base – les chercheurs ont quand même publié des données détaillées

Mais je tenais à préciser un point fondamental. Todd analyse la manifestation en s’interrogeant sur les différences du taux de manifestants entre les régions.

Il précise clairement, comme par exemple dans cette interview (Source)

“Charlie […] fonctionne sur deux modes, l’un conscient et positif, libéral et égalitaire, républicain, l’autre inconscient et négatif, autoritaire et inégalitaire, qui domine et exclut”, écrit l’historien.

Bien entendu, on peut être en désaccord avec Todd, avec son interprétation des ressorts inconscients, mais une chose est sure : vouloir critiquer son analyse de l’inconscient collectif de la foule avec un SONDAGE, c’est-à-dire avec l’expression parfaite du conscient de la foule, est – comment dire – assez hallucinant…

Mais on verra qu’une telle erreur est assez en phase avec la compétence des deux chiens de garde, qui apparaît dans le corps même du texte – pour peu qu’on sache lire…

Attention, article source 100 % Qualité by Sciences-Po®

Slate : “Le simplisme d’Emmanuel Todd démonté par la sociologie des “Je suis Charlie”

(même Slate est moins “couillu” que Le Monde – ils ont été plus neutres, voyant bien les soucis de l’article…)

Les «Je suis Charlie» qui ont manifesté en janvier sont-ils de vieux catholiques réactionnaires, islamophobes et racistes? C’est, très grossièrement résumé, ce qu’affirme l’ouvrage controversé du démographe Emmanuel Todd, Qui est Charlie? Deux chercheurs, Vincent Tiberj et Nonna Mayer, démontrent précisément l’inverse dans une passionnante tribune publiée sur Le Monde, en analysant les données d’un sondage commandé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et effectué en mars dernier.

Jusque là, de nombreux chercheurs et commentateurs s’étaient élevés contre la méthode de l’essayiste, qui s’est notamment appuyé sur des données cartographiques et a effectué des déductions à partir de l’origine régionale des manifestants. Mais personne n’était allé jusqu’à faire la démonstration inverse en analysant précisément le profil des personnes qui se sont déplacées le 11 janvier.

Selon le sociologue au Centre d’études européennes et la directrice de recherche émérite au CNRS, Emmanuel Todd est tombé dans un écueil, celui qui consiste à «inférer les comportements individuels des comportements observés au niveau d’un collectif»: «Le territoire n’est qu’un élément parmi d’autres du rapport des individus au monde et à la société. Il faut aussi cerner leur profil socioculturel, leurs orientations politiques et leurs motivations», expliquent-ils.

Et c’est ce qu’ils ont fait, en retravaillant sur les données d’un sondage qui posait divers questions aux personnes ayant déclaré être descendues dans la rue.

Les manif’, l’expression d’une France «vieillissante»? «Les diplômés du supérieur se sont mobilisés quatre fois plus que les diplômés du primaire», démontrent les chercheurs, qui ajoutent que «les Français nés après 1976 avaient trois fois plus de chances de se mobiliser que ceux nés dans les années 1940 et avant».

Les classes populaires, absentes des cortèges? «Si les classes populaires se sont moins mobilisées, elles étaient loin d’être “absentes” des défilés. Parmi les manifestants déclarés du sondage CNCDH, le nombre cumulé des ouvriers et employés est équivalent à celui des classes moyennes et supérieures», analysent les chercheurs.

Les immigrés, restés chez eux? «La probabilité d’avoir pris part à la mobilisation est plus forte chez les personnes originaires du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne que chez les personnes sans ascendance étrangère ou dont les parents et grands-parents viennent d’un autre pays européen», ajoutent Vincent Tiberj et Nonna Mayer.

Et ainsi de suite. Les arguments d’Emmanuel Todd sont contredits un à un, par l’analyse de données sociologiques précises. Certes, «les données de sondage ont aussi leurs limites», souligne la tribune. Mais de là à considérer que tous les sondés ont menti, c’est tout de même peu envisageable. Il est plus probable que l’analyse de Todd soit légèrement erronnée…

Source : Aude Lorriaux, Slate, 20/05/15 (on sent bien qu’elle a toutes les prédispositions pour aller loin dans le club des chiens de garde cette jeune journaliste…)

Données extraites d’un sondage BVA/CNCDH/SIG réalisé du 3 au 11 mars 2015 auprès d’un échantillon national représentatif de 1040 personnes. Le chiffre à gauche indique le niveau de mobilisation de chaque catégorie en comparaison de son poids dans la population. Quand il est supérieur à 1, la catégorie s’est plus mobilisée que la moyenne.

Le Monde : “Le sondage qui contredit les analyses d’Emmanuel Todd sur les manifestations du 11 janvier”

(Passons au dur – collector…)

LE MONDE | 19.05.2015 | Par Vincent Tiberj (Sociologue, Centre d’études européennes) et Nonna Mayer (Politiste et directrice de recherche émérite au CNRS)

Dans son essai Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse (Seuil, 252 p., 18 €), Emmanuel Todd qualifie les manifestations des 10 et 11 janvier « d’imposture ». Loin de l’image consensuelle et solidaire donnée par les médias, elles auraient essentiellement mobilisé une France périphérique, vieillissante, blanche, bourgeoise et de culture catholique. Loin de défendre la liberté d’expression contre l’intégrisme religieux, la motivation profonde des marcheurs serait islamophobe, voire à terme potentiellement antisémite.

L’auteur s’appuie essentiellement sur la cartographie des manifestations, sur les écarts de participation d’une ville et d’une région à l’autre, sur les traditions politiques et religieuses. Ces cartes suffisent-elles à déterminer le profil des manifestants, des millions d’hommes et de femmes qui sont descendus dans la rue après les attaques terroristes de janvier ? Peut-on se contenter d’une explication monocausale fondée sur des structures anthropologiques qui remonteraient à la Révolution française ? Rien n’est moins sûr.

Ah, chouette, on va mener une analyse sérieuse alors… Du très lourd en perspective j’imagine dans “le quotidien de référence”…

Il y a plus de cinquante ans, le sociologue américain William I. Robinson, dans un article resté célèbre, mettait en garde contre la « fallace écologique » (ou l’illusion écologique) : inférer les comportements individuels des comportements observés au niveau d’un collectif (ville, département, région). Emmanuel Todd fait la même erreur.

Heureusement qu’on a l’élite de Sciences-Po là pour lui faire mordre la poussière…

Que les régions qui ont compté le plus grand nombre de manifestants soient d’anciens bastions du catholicisme ne permet pas de conclure que les catholiques ont été les plus nombreux à manifester. Pas plus que la surreprésentation locale des cadres supérieurs et des professions intellectuelles ne permet de conclure à leur surreprésentation dans les défilés. Le territoire n’est qu’un élément parmi d’autres du rapport des individus au monde et à la société. Il faut aussi cerner leur profil socioculturel, leurs orientations politiques et leurs motivations.

Données qu’Emmanuel Todd analyse également dans son livre – dont on se demande si les auteurs l’ont vraiment lu…

La propension à protester inégalement répartie

Un sondage réalisé en mars à la demande de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) permet de mesurer l’impact des attentats de janvier sur l’opinion, auprès d’un échantillon national représentatif. Une question portait sur « les manifestations et les marches qui ont fait suite aux attentats ».

Trente pour cent des personnes interrogées disent qu’elles y ont participé, 35 % qu’elles n’ont pas participé mais qu’elles l’auraient souhaité, 33 % qu’elles n’ont ni participé ni souhaité le faire, et 2 % s’abstiennent de répondre.

Allo ?????

30 % des sondés sur l’échantillon représentatif déclarent avoir manifesté ?

Sérieusement ?

Donc sur la population adulte de 50 millions d’habitants, cela ferait 15 millions de manifestants….

Au lieu de 4 au maximum…

Donc 3 sondés sur 4 qui affirment avoir manifesté ont menti - une paille pour nos amis sociologues !

Alors normalement, à ce stade, un scientifique honnête :

  1. conclut à un énorme taux de mensonge des sondés – très intéressant à analyser par ailleurs, car il n’est pas neutre que l’équivalent de 11 millions de citoyens mentent quant à leur participation à une manifestation…
  2. et arrête immédiatement l’étude, puisque, bien évidemment, toute analyse portant sur les manifestants serait totalement faussée.

Mais par chance, on a affaire ici à des chiens de garde, le sketch continue donc…

Autrement dit, une majorité des deux tiers de l’échantillon se prononce clairement en faveur de la mobilisation de janvier, qu’elle y ait ou non pris part.

Donc, on a une information réelle dans ce sondage pourri : les non-Charlie assumés représentent déjà AU MINIMUM un tiers de la population française – soit pas loin de la moitié plus probablement - une paille pour nos amis sociologues qui n’en parlent pas !

Et ses caractéristiques remettent en question les affirmations d’Emmanuel Todd.

Et puis les caractéristiques d’un échantillon avec 75 % de menteurs, c’est du solide !!!

La sociologie des mouvements sociaux, qu’il ignore, a montré depuis longtemps que la propension à protester est inégalement répartie, surtout pour des causes « post-matérialistes » comme la défense de la liberté d’expression et de la tolérance. Le potentiel manifestant est plus fort chez les post-baby-boomers et les baby-boomers, les diplômés, les catégories sociales moyennes et supérieures et les personnes qui se situent à gauche. Les « Je suis Charlie » de janvier ne font pas exception à la règle.

Bah oui, ce n’est pas un scoop total – notons aussi que la Manif pour tous ou les manifestations sur l’école de 1984 montrent la solidité du postulat….

la probabilité d’avoir pris part à la mobilisation est plus forte chez les personnes originaires du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne que chez les personnes sans ascendance étrangère ou dont les parents et grands-parents viennent d’un autre pays européen
Énorme : ça ne les fait même pas sursauter… Des génies je vous dis !

Les diplômés du supérieur se sont mobilisés quatre fois plus que les diplômés du primaire.

Ça tombe bien, c’est exactement ce qui dit Todd : les ouvriers n’ont pas manifesté…

Loin d’être l’expression d’une France vieillissante, les Français nés après 1976 avaient trois fois plus de chances de se mobiliser que ceux nés dans les années 1940 et avant.

Tiens les jeunes manifestent plus que les grabataires – une vraie avancée pour la sociologie (et une publicité pour Lourdes)…

Les cadres supérieurs et les professions intermédiaires avaient deux fois plus de chances de se mobiliser que les ouvriers, mais ce n’est pas nouveau puisque ce différentiel de mobilisation entre professions est constaté dès 1981 dans les enquêtes sur les valeurs des Européens (conduite par l’Association pour la recherche sur les systèmes de valeurs).

Mais si les classes populaires se sont moins mobilisées, elles étaient loin d’être « absentes » des défilés. Parmi les manifestants déclarés du sondage CNCDH, le nombre cumulé des ouvriers et employés est équivalent à celui des classes moyennes et supérieures. Pas plus que n’étaient absents les enfants d’immigrés.

On sent qu’ils se protègent : “il y avait plein d’ouvriers qui ont manifesté, selon les manifestants déclarés du sondage”, qui mentent encore plus qu’un ministre du Budget socialiste…

Au contraire, la probabilité d’avoir pris part à la mobilisation est plus forte chez les personnes originaires du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne que chez les personnes sans ascendance étrangère ou dont les parents et grands-parents viennent d’un autre pays européen. La religion ne joue pas non plus dans le sens attendu. C’est chez les catholiques « zombies », de culture catholique mais détachés de la pratique religieuse, que la probabilité d’avoir manifesté est la plus faible, alors qu’elle atteint son niveau le plus élevé chez les catholiques pratiquants, les sans-religion et les personnes se déclarant musulmanes.

Regardons les données du sondage sur la religion par exemple. Je rappelle que c’est inutile, vu que les gens mentent, mais bon :

Lecture : sur 415 sondés catholiques non pratiquants, 106 (26 %) déclarent avoir manifesté, 148 (36 %) ne pas avoir souhaité le faire.

Les sociologues disent je cite :

  • “C’est chez les catholiques « zombies », de culture catholique mais détachés de la pratique religieuse, que la probabilité d’avoir manifesté est la plus faible,
  • alors qu’elle atteint son niveau le plus élevé chez les catholiques pratiquants, les sans-religion et les personnes se déclarant musulmanes.”

Moi ce que je vois sur les données c’est que :

  • c’est chez les catholiques pratiquants que la probabilité d’avoir manifesté est la plus faible (24,56 %)
  • alors qu’elle atteint son niveau le plus élevé chez les catholiques occasionnels , les sans-religion et les personnes se déclarant musulmanes.

Donc clairement :

  1. les chercheurs ont inversé les données dans leur analyse ! (http://www.champions-du-monde.cnrs.fr” – des génies !)
  2. ils ont interprété les “catholiques zombie de Todd” de “catholiques occasionnels” ou de “catholiques non pratiquants”, alors qu’à la lecture du livre, un enfant de 15 ans comprend qu’il s’agit surtout d’athées
  3. et donc que cette analyse sans aucun fondement valide plutôt la vision de Todd : les sans-religion ont plus manifesté que la moyenne

Ça se voit bien sur le schéma de Slate :

Dernier point, actuaire oblige : on voit que nos sociologues risquent la Cour d’assises des mouches pour viol aggravé, pour des variations de + ou – 4 points par rapport à la moyenne des manifestants (27,19 % soyons-précis-svp) sur des échantillons de 49, 57, et 125 personnes par exemple.

Je rappelle à tout ceux qui ont terminé un cursus du secondaire que la marge d’erreur sur de tels micro-échantillons est de l’ordre de 8 à 15 points :

ce qui veut dire que l’analyse statistique est complètement invalidée, car non fiable l’échantillon étant bien trop faible – indépendamment du fait que vous sondez des menteurs…

Autre exemple, tiré du même tableau : les sans-religions. Ils ressortent donc à 49 sondés sur 695, soit 7 % d’athées en France (soit à peu près le niveau en France au XVIIe siècle… Qualité by Sciences-Po®) – ce qui est délirant, et montre bien que la méthodologie doit être précautionneusement rangée dans les poubelles de l’analyse statistique… Pour information, on est plutôt autour de 40 %… (Sondage SocioVision sur 2099 Français ici et )

Je pense qu’à ce stade on a une idée assez précise des compétences de nos chercheurs qui font honneur à Sciences-Po et au Monde.

J’imagine ainsi que leur travail a été relu par leur pair Mickey Mouse qui en a validé les différents aspects méthodologiques…

Cependant, tout va bien, le co-auteur enseigne les méthodes statistiques à Sciences-Po (on comprend mieux pourquoi ça a l’air si drôle) – la relève est assurée…

Mais il y a mieux ! On continue…

Rejet de l’islamophobie et de l’antisémitisme

Et politiquement, c’est la gauche non socialiste qui s’est le plus mobilisée (52 % de celle-ci dit avoir participé aux manifestations), puis les proches du PS (42 %), quand les proches de l’UMP ont deux fois moins de chances d’être descendus dans la rue.

Hmmm, exactement ce que dit Todd…

Les proches du FN eux sont presque trois fois plus nombreux que les proches de la gauche à rejeter les manifestations de janvier. Quant aux motivations des marcheurs, elles n’ont rien d’islamophobe ou d’intolérant envers les minorités quelles qu’elles soient. C’est l’inverse.

Ceux qui disent avoir participé aux manifestations du 11 janvier sont deux fois moins nombreux que ceux qui n’ont « ni participé ni souhaité le faire » à approuver l’idée que « les enfants d’immigrés nés en France ne sont pas vraiment français » (21 %, contre 42 %).

Je rappelle que c’est un flan total au niveau statistique et méthodologique…

Plus de la moitié des premiers (contre moins d’un tiers des seconds) rejette l’idée que « l’islam est une menace pour l’identité de la France ». Et ils sont nettement plus nombreux à rejeter le stéréotype antisémite qui attribue aux juifs « trop de pouvoir en France » (65 %, contre 51 %).

Les données de sondage ont aussi leurs limites. Les réponses dépendent de la question posée, du contexte de l’interview, du rapport à l’enquêteur. Mais même si les 30 % qui disent avoir manifesté n’étaient pas tous dans la rue le 11 janvier,

Ok, les chercheurs ont donc vu qu’ils sondent des menteurs – où est le problème  ???

le fait que deux mois après ils tiennent à dire qu’ils y étaient montre que, à leurs yeux, cela a de l’importance, et qu’ils sont solidaires de cette mobilisation.

Cette phrase montre évidemment qu’on n’a plus affaire à des chercheurs mais à des petits soldats en service commandé (et pas par la science !). Affirmer ceci sans la moindre preuve, alors qu’on comprend évidemment, que dans le contexte totalitaire et suspicieux actuel, un musulman sera fortement tenté de mentir en prétendant être allé manifester à cause de la crainte (vu qu’il existe une réponse “j’aurais bien aimé manifester”), est quand même la grande classe scientifique…

Ils ont en tous cas tout mon soutien pour le prochain prix ig-Nobel

Dernier petit conseil aux deux “chercheurs” (arfffffff) : bon, sur ce coup là, c’est sûr, c’est un peu la honte inter-galactique. Mais ce n’est pas très grave, l’article n’est sorti que dans Le Monde ; on peut donc accepter un niveau torchon. En revanche, si vous comptez le sortir dans un journal sérieux, faites-vous aider par des professionnels, sérieux…

Rien ne permet d’y voir une « imposture », encore moins une machine de guerre contre l’islam et les religions minoritaires.

Et niveau imposture, ils s’y connaissent…

Conseil amical au Monde : les prochains chiens de garde, prenez les compétents au moins… ;)

Vincent Tiberj (Sociologue, Centre d’études européennes)

Nonna Mayer (Politiste et directrice de recherche émérite au CNRS)

“émérite” surtout l’opprobre publique à mon avis, mais bon, je ne suis pas sociologue…

Source : Le Monde, 19/05/15

COL-LEC-TOR je vous disais – voici donc la qualité du travail que publie le “quotidien de référence” du XXIe siècle…

N’hésitez pas à les féliciter pour leur article, leur mail est ici : Vincent Tiberj  vincent.tiberj@sciencespo.fr et Nonna Mayer nonna.mayer@sciencespo.fr

Épilogue

Un pensée amicale ici pour Emmanuel Todd, qui fait ainsi office de cobaye pour illustrer les thèses de son grand-père, Paul Nizan (hélas disparu bien trop tôt), auteur du fameux Les chiens de garde en 1932, livre qu’il est du coup urgent de relire…

EDIT : cet article se poursuit dans ce billet qui analyse la tentative avortée de deuxième couche du Cevipof de Sciences Po (là encore, 100 % Qualité by Sciences-Po®) - et j’argumenterai plus sur le fond Charlie et les “catholiques zombies”…

Source: http://www.les-crises.fr/scoop-il-y-avait-15-millions-de-manifestants-le-11-janvier/


[Todd] Quand le Cevipof loupe la deuxième couche…

Friday 22 May 2015 at 13:26

Ce billet fait suite à celui sur les chiens du garde dans le Monde

On m’a signalé ce papier du CEVIPOF de Sciences-Po (toujours elle…) : A LIRE ICI

Là encore, malgré mes recherches, je ne trouve pas les données détaillées du sondage (Transparence by Sciences-Po®).

On note ceci au dernier paragraphe :

1/ “Sur 1 524 personnes interrogées, 405, soit 22 %…” : 405/1524= 26,57 %, pas 22 %… (Qualité by Sciences Po®)

2/ 4 millions de manifestants sur 50 millions d’adultes, ça fait 8 %. On a 27 % des gens qui disent être aller manifester : cela confirme une lourde proportion de menteurs. Conclusion du chercheur : “pas grave, j’ai un échantillon large de menteurs, ça va améliorer l’étude” !!!!!

3/ de nouveau des catholiques zombies ne sont pas des catholiques (lire le livre, hein… Pourquoi les appeler zombies sinon… ?)

4/ chapeau pour la façon de relater la vision de Todd – du grand art manipulatoire !

5/ malgré ses lourdes erreurs méthodologiques, la note confirme en bonne partie ce qu’avance Todd

6/ les types arrivent à nous vendre qu’après un attentat barbare perpétré par des islamistes, les islamophobes sont tous restés chez eux pour ne pas manifester…

(Lire “Le monde rêvé d’Eric Ciotti“)

 

7/ On voit la forte représentation des sympathisants PS, venus défendre “les valeurs de la République”, Manuel Valls en tête… Tout ceci ne les gène donc pas, j’imagine :

A/ M. Valls, qui nous fait passer de “je suis Charlie” à “Je suis sur écoute”  vient de faire voter une loi sur le renseignement qui est critiquée comme liberticide par (entre autres) :
  • le bâtonnier de Paris qui parle de ” « mensonge d’État »
  • la CNIL qui parle de « conséquences particulièrement graves sur la protection de la vie privée et des données personnelles »
  •  “Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), qui a en charge de contrôler les demandes des services de renseignement, est vent debout contre le projet de loi Renseignement  parce qu’il bafoue nombre de garanties pour la protection des libertés : ““Un danger, même aux mains de républicains“”
  • La Commission nationale consultative des droits de l’homme, rend aujourd’hui un avis sévère sur le projet de loi relatif au renseignement”
  • “L’ONG Amnesty International prend position contre le projet de loi sur le renseignement. Dénonçant un texte incluant des mesures extrêmement larges et intrusives, elle souligne l’absence du juge judiciaire dans le dispositif imaginé par le gouvernement.
B/ On note que 36 % des sympathisants PS sont désormais pour la peine de mort, 50 % de plus depuis que M. Valls est arrivé ;
C/ M. Macron vante les réformes de Mme Thatcher après avoir fait voter une loi où, forcément les plus faibles et fragiles, vont plus travailler le dimanche, avec les dégâts éducatifs liés…
D/ Rebsamen “se bat pour une vision libérale de l’économie” ;
E/ Najat Vallat Belkacem soutient l’équipe qui a conduit un élève musulmans de 8 ans au commissariat pour des paroles tout comme l’équipe enseignante ayant sanctionné une élève musulmane pour cause de jupe trop longue ;
F/ “Moi président” se rend régulièrement sur place pour du business avec le Qatar ou l’Arabie Saoudite (peine de mort pour les homosexuels) contrairement à ses promesses ;
G/ Où est la renégociation du TSCG promise par le Président ?
H/ L’exécutif s’apprête à nommer le n°2 de BNP Paribas à la tête de la banque de France : mon adversaire c’est la finance ? Il cherchait des visages, en voilà un…
=>  La fidélité aux promesses n’est donc apparemment pas une “Valeur de la république”… Mais bon, il est vrai que la fidélité ne semble pas une vertu cardinale du hollandisme…

La République est donc entre de bonnes mains…

 

8/ On a vu la forte mobilisation pour défendre “la liberté d’expression” voire même la République. Mais pourquoi les Charlies n’ont-ils pas manifesté (et ne conscientisent même pas apparemment) contre le flash totalitaire de janvier ? Avec par exemple :

A/ Totalitaire, la minute de silence imposée dans les écoles, mais surtout le traitement des élèves qui refusaient, (voir ici aussi) blasphémant cette nouvelle religions Charlie introduite en contravention avec les règles de laïcité et d’apolitisme de l’école. Comment parler de terrorisme à l’école sans parler de la politique étrangère de l’Occident depuis des décennies, de la colonisation, etc.

B/ Totalitaire, la minute de silence imposée dans les administrations, tout comme la suspension des agents la refusant ou des professeurs exprimant leur vision en salle des professeurs (Lire ici ce témoignage poignant : « Je ne fus pas vraiment surpris en constatant que les affiches avaient quasi-instantanément été arrachées. Ma surprise fut plus grande quand je fus convoqué le lendemain par le proviseur de l’établissement qui me menaça de sanction »)

C/ Totalitaires, les injonctions à ce que les musulmans se désolidarisent des actes de fous barbares – a-t-on déjà demandé à un catholique de se désolidariser d’un prêtre pédophile ?

(scènes prêtes à être revécues lors du crash de l’A320 )

D/ Totalitaires, les injonctions à ne pas tolérer la moindre critique du comportement de Charlie Hebdo – même sans la moindre excuse pour les barbares.

Interdiction de condamner sans restriction l’attentat odieux tout en critiquant les choix de Charlie – alors qu’ils l’étaient fermement avant, car mettant en danger la sécurité des Français. En 2006 et 2012, quand les caricatures sortaient, les choses étant pourtant bien plus claires :

« Je condamne toutes les provocations manifestes, susceptibles d’attiser dangereusement les passions. » [Jacques Chirac, 08/02/2006]

« C’est le pire exemple d’extrémistes provoquant des extrémistes. » [Vygaudas Usackas, représentant spécial de l'Union européenne pour l'Afghanistan, JDD, 19/09/2012]

Interdiction de s’interroger sur un journal qui se glorifiait de jeter de l’huile sur le feu de façon « irresponsable » :

Mais il voulait dire quoi le dernier dessin de Charb ?

C’était un défi lancé à l’État islamique par ces personnes déjà lourdement menacées ? Pour qu’ils posent des bombes dans le RER ? Il est où l’humour là ?

Interdiction de s’interroger sur l’islamophobie et le choix de Charlie Hebdo, pourtant dénoncée par plusieurs anciens membres de l’équipe :

 « Le pilonnage obsessionnel des musulmans auquel votre hebdomadaire se livre depuis une grosse dizaine d’années a des effets tout à fait concrets. Il a puissamment contribué à répandre dans l’opinion « de gauche » l’idée que l’islam est un « problème » majeur de la société française » Olivier Cyran (Source)

« Je posais la question à Charb : « Sous le titre “Mahomet : une étoile est née”, montrer un Mahomet nu, vu de trois quarts dos, en position de prière, couilles pendantes et vit gouttant, en noir et blanc mais avec une étoile en jaune à l’anus, tournez-le dans tous les sens, en quoi est-ce drôle, spirituel?» C’était ce qu’on voyait dans ce numéro de « Charlie Hebdo ». […] Charb qui préférait mourir et Wolin qui préférait vivre. Je t’en veux vraiment, Charb. Paix à ton âme. »  (Source)

« Structuré par le schéma de “la conspiration”, Charlie Hebdo s’est directement mis à la fabrication de “complots”, avec les articles de Fiammetta Venner sur l’islam. Recourant à des amalgames répétés entre l’islam comme religion, les différents courants de l’islam politique, l’intégrisme et le terrorisme, Charlie Hebdo – hormis quelques courageux résistants de la nuance et de la complication – s’est alors inscrit dans une croisade de la Civilisation (“européenne”) contre la Barbarie (“musulmane”). »   Philippe Corcuff  (Source)

« Je crois que nous sommes des inconscients et des imbéciles qui avons pris un risque inutile. C’est tout. On se croit invulnérables. Pendant des années, des dizaines d’années même, on fait de la provocation et puis un jour la provocation se retourne contre nous. Il fallait pas le faire. » Wolinski  (Source)

Si Wolinski pensait ça, a-t-on le droit de le penser ?

E/ Totalitaires, les injonctions à ne pas tolérer la moindre critique des manifestations dans leur forme du 11 janvier, organisées par le gouvernement, avec à sa tête les plus hauts représentants de l’ordre néolibéral opprimant les classes populaires, voire même des autocrates bon teint…

F/ Totalitaires, les injonctions à ne pas critiquer le gouvernement, que ce soit pour son échec à protéger Charlie Hebdo, à lutter contre le terrorisme malgré des lois de plus en plus liberticides, ou pour sa politique étrangère (Libye, Moyen-Orient)

G/ Totalitaires, évidemment, les condamnations délirantes à des mois de prison ferme de dizaines d’individus, généralement alcoolisés, drogués ou déficient mentaux, pour de simple paroles jetées généralement à 2 ou 3 policiers, plus proches d’un régime stalinien que des « valeurs de la République » dont se gargarise de plus en plus le pouvoir…

On a pu entendre des procureurs de la République tenir ces propos (annonciateurs de la justice du XXI siècle ?) :

Lire l’édifiant recueil ici et .

H/ Bref, totalitaire, le conditionnement des Français à réduire leurs libertés en acceptant toutes les lois liberticides du gouvernement :

 

9/ Pour conclure, je rappelle que Todd explique que consciemment, les Charlies ont toute la panoplie de la gauche-de-bonne-conscience antiraciste toutçatoutça, mais qu’à un niveau inconscient il y a de l’islamophobie toutçatoutça. Exemples :

Source: http://www.les-crises.fr/quand-le-cevipof-loupe-la-deuxieme-couche/