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Bahar Kimyongür à Algerie patriotique : « La Belgique a sous-estimé le cancer wahhabite »

Monday 28 March 2016 at 04:00

Source : Algérie Patriotique, Mohamed El-Ghazi, 24-03-2016

Des membres d'une organisation extrémiste tolérée par les autorités belges. D. R.

Des membres d’une organisation extrémiste tolérée par les autorités belges. D. R.

Algeriepatriotique : La capitale belge vient d’être frappée par deux attentats meurtriers. Quelle lecture en faites-vous ?

Bahar Kimyongür : La même lecture aujourd’hui partagée par tous les Belges, du chef de l’Etat au simple citoyen. Tout le monde savait que les terroristes allaient frapper Bruxelles de manière lâche et sauvage. Le drame était théoriquement prévisible et attendu, Bruxelles étant une cible facile. L’autre raison qui laissait p28enser à une attaque imminente est le nombre phénoménal de djihadistes belges par tête d’habitant. La Belgique compte proportionnellement le plus grand nombre de nationaux dans les rangs de Daech par rapport à son nombre d’habitants. Officiellement, 117 djihadistes belges sont revenus du front syrien. La plupart d’entre eux ne sont même pas passés par la case prison.

Le déploiement de militaires et les mesures de sécurité prises depuis des mois, en Belgique, n’ont pas pu empêcher ce drame. Comment l’expliquez-vous ? 

A moins d’un réflexe miraculeux, aucun moyen de détection ne peut stopper des kamikazes déterminés qui débarquent par surprise au milieu de la foule, ni à Bruxelles, ni à Beyrouth, ni à Homs, ni à Bagdad. Les attaques suicides sont imparables. Signalons aussi qu’à l’entrée de l’aéroport de Zaventem, il n’y a jamais eu de portique de sécurité. Quand bien même la sécurité à l’aéroport aurait été plus sérieuse, nous n’aurions pas pu éviter l’attentat. Il se serait probablement produit à l’entrée de l’aéroport…

Comment va réagir le gouvernement belge, concrètement, après ces attentats ? 

Avec une certaine impuissance. L’Etat belge accueille le siège de l’Otan, vend des armes, participe de manière symbolique à des coalitions guerrières, mais n’est pas du tout préparé à une guerre asymétrique menée sur son propre territoire. La Belgique n’a plus connu la guerre sur son sol depuis plus de 70 ans. Ses polices, son armée, ses citoyens n’ont ni le bagage politique ni militaire pour affronter cette situation de guerre larvée face à un ennemi extrêmement imprévisible et difficile à identifier.

La Belgique a toléré, et parfois encouragé, l’existence de bandes armées salafistes sur son sol lesquelles profitent d’une législation très souple en matière de surveillance. Le gouvernement belge réussira-t-il à endiguer ces cellules terroristes implantées depuis les années 1990, lorsque la Belgique donnait refuge aux terroristes du GIA ?

La Belgique a commis plusieurs fautes. Durant les années 60 et 70, le roi Baudouin s’est rapproché de l’Arabie Saoudite en pensant que la religion prêchée par la monarchie pétrolière allait pouvoir encadrer les travailleurs immigrés originaires de pays musulmans comme le Maroc ou la Turquie. Cet accord belgo-saoudien s’est traduit par la mise à disposition et la transformation du pavillon oriental du parc du Cinquantenaire en siège de la Grande Mosquée de Bruxelles. Les comportements de repli sur soi et de rejet de l’autre ont peu à peu gagné les diverses communautés musulmanes en partie à cause des prédicateurs formés en Arabie Saoudite. Malheureusement, la Belgique a sous-estimé le cancer djihadiste en pensant que le takfirisme wahhabite était un phénomène culturel relevant de la liberté d’expression et non d’une idéologie terroriste, voire génocidaire. A l’époque de la guerre froide, cette idéologie arrangeait bien le patronat belge et les hautes sphères du pouvoir. Le travailleur musulman bigot était en effet bien moins revendicatif que les ouvriers italiens ou espagnols davantage coutumiers des luttes syndicales et de l’activisme politique au sein de partis communistes.

C’est dans ce contexte que l’Etat belge a laissé prospérer certains imams ultra-conservateurs. Au lendemain de la chute du mur de Berlin, lorsque le théoricien néo-con Fukuyama a frauduleusement décrété la «fin de l’histoire», les terroristes du GIA ont profité du vide laissé par la défaite du camp socialiste. En tant qu’allié historique des États-Unis, la Belgique a contribué à l’effondrement des idéaux et des valeurs progressistes au sein du monde arabe et musulman comme le socialisme, le panarabisme et la laïcité. L’émergence du djihadisme en Belgique est le résultat de plusieurs décennies de collaboration avec les ennemis arabes du progressisme arabe. Ceux qui ont connu les luttes sociales des années 70 et 80 ont une meilleure vision du processus d’érosion culturelle et idéologique qui a gagné l’immigration musulmane en Belgique sous l’action des mosquées salafistes. Il y a 50 ans, personne n’aurait pu prévoir la djihadisation des esprits dans les rues de Bruxelles. Mais dès 2012, les autorités belges ont laissé partir les jeunes musulmans vers la Syrie dans l’espoir qu’ils liquident Assad. Cette erreur de calcul a été fatale, car pour Daech, il n’y a aucune différence entre la Syrie «mécréante» et la Belgique «mécréante». Vous évoquez les législations belges trop souples en matière de surveillance. Il y a en effet l’illusion que l’Etat de droit peut suffire à désamorcer des bombes.

Depuis que la menace terroriste cible l’Europe, les Occidentaux promettent une lutte sans merci contre le terrorisme transnational. Seulement, sont-ils, selon vous, disposés à s’attaquer à la racine d’un mal qui arrange leurs intérêts ? 

Comme vous le dites, ce n’est pas dans leur intérêt. Du moins à court terme. S’ils avaient raisonné en tant que leaders politiques responsables et respectueux de leurs citoyens, ils auraient réfléchi par deux fois avant de se coucher devant les djihadistes en col blanc comme Erdogan ou en dichdacha blanche comme le roi Salmane (d’Arabie) ou le prince Mohammed Ben Nayef (d’Arabie – décoré de la légion d’honneur).

Les empires occidentaux ont miné ou détruit tous les États arabes souverains, laïcs et modernes au nom des droits de l’Homme et de la lutte contre les dictateurs. Résultat : l’Etat irakien de Saddam a été remplacé par une entité défaillante assistée par des milices confessionnelles. L’Afghanistan laïc s’est transformé en polygone de tirs pour les seigneurs de guerre et les drones américains. Les ruines de la Libye débarrassée de Kadhafi servent de décor pour une guerre entre clans et tribus. Quiconque connaît la fragilité de ces pays en l’absence d’un Etat peut aisément anticiper le scénario catastrophe. Avec la multiplication des fronts djihadistes de par le monde, on peut aujourd’hui parler d’une apocalypse de longue durée.

La Belgique, comme la France, a développé une politique de harcèlement, de diabolisation, de mépris et de racisme vis-à-vis de la communauté musulmane. Comment protéger cette dernière d’éventuelles représailles d’extrémistes de droite, selon vous ? 

En cultivant l’unité entre musulmans et non-musulmans. Dans la foulée des attentats de Bruxelles, des milliers de musulmans se sont engagés corps et âmes dans la campagne citoyenne d’entraide avec les victimes des attentats, qui en servant de chauffeur, qui en ouvrant sa porte, qui en ouvrant son cœur. Ce sursaut citoyen qui s’est exprimé dans les rues de Bruxelles est la meilleure réponse à donner aux ennemis du genre humain, qu’ils se réclament de l’islam ou de l’anti-islam.

Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi

Source : Algérie Patriotique, Mohamed El-Ghazi, 24-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/bahar-kimyongur-a-algerie-patriotique-la-belgique-a-sous-estime-le-cancer-wahhabite/


Pere Daniël : Lettre Ouverte a son Excellence Monsieur Didier Reynders Ministre Belge des Affaires Etrangères

Monday 28 March 2016 at 02:00

La vision d’un prêtre chrétien belge en Syrie.

Source : Bid 24 Uur, Daniël Maes, 11-03-2016

Père Daniël

Père Daniël

LETTRE OUVERTE

 

A son Excellence Monsieur Didier Reynders Ministre Belge des Affaires Etrangères,

Excellence,

Permettez-moi, comme compatriote belge en Syrie, de me diriger vers vous pour vous informer sur ma situation et celle du peuple syrien, afin de vous demander la protection nécessaire dans la mesure que vous la pouvez donner.

En 2010 moi, Daniel Maes, père Prémontré de l’abbaye flamande Postel-Mol je suis arrivé en Syrie, au service de la communauté religieuse de Mar Yakub à Qâra, Qalamoun, Syrie. Malgré les préjugés et les méfiances, le contact avec le peuple et le pays m’a donné vraiment un choc culturel. C’est vrai, les libertés, personnelles politiques n’étaient pas si nombreuses ni désirées (ce qui a entre-temps profondément changé, à travers l’acceptation de plusieurs partis politiques). De l’autre côté, c’était une société harmonieuse où les différentes religions et groupes ethniques vivaient entre eux en paix pendant des siècles. L’hospitalité orientale était une qualité bien vécue et on vivait une sécurité que nous n’avons jamais connue dans notre pays. Le phénomène de vol et de vandalisme était quasi inexistant. Le pays n’avait pas de dettes et il n’y était pas de sans-logis. Au contraire, des centaines de milliers des refugiés d’autres pays étaient accueillis ici et entretenus comme les propres habitants. La vie journalière était bon marché. Les écoles, les universités, les hôpitaux étaient gratuits, même pour nous, les étrangers résidants dans une communauté syrienne.

Entretemps une terrible guerre a éclaté. Avec nos propres yeux nous avons vu comment cette révolte a commencé dans notre village et comment des étrangers (pas des syriens) ont organisé des manifestations contre le gouvernement. Eux même faisaient des photos et vidéos, qui étaient diffusées par la TV station Al Jazeera à Qatar, avec le message mensonger que tout le peuple était en révolte contre une dictature. Ils invitaient les jeunes du village de les rejoindre. Des meurtres et des attentats se multipliaient, une fois dans un milieu sunnite, et après dans un milieu chrétien pour faire croire qu’il s’agissait d’une revanche pour but de provoquer une guerre civile interne. Malgré toute tentative de déstabilisation les syriens sont restés unis. Comme une seule famille ils ont résisté à la provocation de la haine entre les différents groupes. Ensemble ils ont manifestés contre les terroristes de l’extérieur et contre les pays qui les soutenaient. Des centaines de milliers de victimes innocentes ont été tuées, dont principalement des soldats et des gens de la sécurité. Des écoles, des hôpitaux et l’infrastructure ont été détruits. Quelques millions de gens ont quitté le pays mais la plupart des réfugiés restaient dans le pays même. Ils ont déménagé vers une zone protégée par l’armée. Le gouvernement avait notamment décidé de ne pas protéger les puits de pétrole dans le désert, mais bien le peuple, y compris toutes les minorités. En novembre 2013 nous étions nous aussi la cible. Les attaques et les tirs étaient si forts qu’il n’y avait plus d’espoir de les survivre. Dieu merci, nous sommes tous restés en vie jusqu’ici, à une manière plus que miraculeuse, ainsi que le peuple de Qâra, grâce à l’armée. Puis l’intervention russe, à la demande du gouvernement syrien, a vraiment repoussé les groupes terroristes d’une manière efficace. Et le peuple syrien est très reconnaissant pour cette aide militaire. Les citoyens reprennent espoir, bien que le flux continue des djihadistes du monde entier, armés, entrainés et payés grassement, par des puissances extérieures.

Ainsi nous vivons la plus grande tragédie humanitaire d’après la deuxième guerre mondiale. Nous tâchons de faire le possible pour soulager les souffrances de chaque personne ou famille qui est en détresse. Avec notre communauté nous étions capables d’ériger trois centres d’aides humanitaires : à Damas, à Tartous et dans notre monastère à Qâra. En outre nous étions capables de distribuer récemment plus que 8.500 paquets d’aides humanitaires, une ambulance et le quatrième « hospitainer » (un très précieux hôpital mobile). C’est pourquoi, mère Agnès-Mariam, la fondatrice et supérieure de ce monastère, a reçu à Moscou dernièrement, au nom du monastère, le prix important Femida pour un engagement exceptionnel de paix et de justice. Bien sûr, cette aide n’est possible que grâce à nos innombrables bienfaiteurs, de quelques organisations internationales et de quelques pays comme les Pays-Bas, qui veulent nous aider.

Avec une grande confiance nous nous dirigeons maintenant vers vous pour demander de ne plus soutenir la désinformation grave des médias mais de reconnaître en toute honnêteté ce qui ce passe réellement en Syrie. N’oublions jamais l’exemple des tragédies récentes. Avec de gros mensonges des peuples et des pays ont été massacrés et détruits. Apparemment certains pouvoirs mondiaux voulaient avoir le pétrole, l’or, les banques et la réserve des armes. Aussi notre pays a activement aidé à transformé certains pays dans le chaos complet, comme nous les trouvons maintenant. Pourquoi?

La Syrie est un pays souverain, le berceau des civilisations les plus anciennes et de la plus précieuse foi chrétienne. Il a un gouvernement soutenu par une grande majorité du peuple avec toutes ses différentes religions et groupes ethniques, ses minorités et ses majorités, sa diversité. Il n’y a aucune loi qui permet à un étranger de s’ingérer en lieu et place du peuple lui-même. Toute intervention en dehors des accords internationaux est illégale et inhumaine. Et il appartient aussi exclusivement au peuple syrien de décider sur son future et son gouvernement. Nous attendons de vous que vous rejetez fermement toutes les manipulations et mensonges que vous avez diffusé pour légitimer le massacre du peuple et la destruction du pays. Est-ce-que le flux misérable des réfugiés doit encore s’agrandir ? Est-ce-que cela vous plait que tout un peuple soit précipité dans la plus grande misère et souffre sous des sanctions, qui ne sont rien d’autre que du terrorisme économique, à cause d’une pipe-line, à cause du pétrole ou du gaz, ou à cause du lieu stratégique extrêmement important ? La paix et la sécurité pour ce peuple exigent la préservation de l’intégrité territoriale, de l’indépendance, de l’unité nationale et de l’identité culturelle. En outre, la cessation actuelle des hostilités, bien que fragile, doit-elle être détruite par des nouvelles actions militaires illégales?

Excellence, un vrai homme d’état prépare l’avenir, il respecte les lois internationales, il reconnaît la souveraineté d’autres peuples comme il veut que son identité soit respectée et dont il est le serviteur (ce qui est en latin la signification du mot « « ministre »). Soyez courageux, prenez contact avec le gouvernement syrien, enlevez immédiatement toutes les sanctions et offrez votre soutien nécessaire et possible, de la part du peuple belge. Celui qui sert, au contraire, les intérêts des pouvoirs étrangers pour aider à massacrer des peuples innocents est un leader des terroristes, indigne d’ être nommé un politicien digne. Nous vous supplions de ne plus vous mettre à côté des meurtriers, mais à côté des victimes innocentes. Voilà, ce que nous, le peuple syriens et tant de gens de bonne volonté en Belgique et ailleurs attendent de vous. Nous tous, vous en serions très reconnaissants et l’histoire vous honorera comme quelqu’un qui mérite d’être nommé un vrai homme d’état.

Veuillez accepter nos sentiments de reconnaissance ensemble avec notre cri de cœur,

P. Daniel Maes (de Postel-Mol) – Deir Mar Yakub, Qâra, Syrië – 11 mars 2016

Source : Bid 24 Uur, Daniël Maes, 11-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/pere-daniel-lettre-ouverte-a-son-excellence-monsieur-didier-reynders-ministre-belge-des-affaires-etrangeres/


[Propagande] Donald Trump, un dictateur 100 % made in America

Monday 28 March 2016 at 01:01

Trump bashing, de plus en plus fort…

Source : Slate, Jacob Weinberg, 20-03-2016

Donald Trump en meeting à Las Vegas, le 22 février 2016. Ethan Miller / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.

Donald Trump en meeting à Las Vegas, le 22 février 2016. Ethan Miller / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.

Son autoritarisme n’est pas comparable aux dérives extrêmes européennes: c’est une idéologie purement américaine.

En 1935, Sinclair Lewis publia Impossible ici, un roman aujourd’hui davantage cité que lu, qui imaginait le fascisme arrivant aux États-Unis. Le leader du mouvement, Buzz Windrip, y était un démagogue populiste promettant «de refaire de l’Amérique un pays fier et riche», qui punissait les nations qui le défiaient et augmentait démesurément les salaires tout en maintenant les prix au ras du plancher.

Impossible de lire le roman de Lewis aujourd’hui sans penser à Donald Trump. Windrip est un bonimenteur démagogue, un homme «inspiré qui sait deviner quelles doctrines politiques plairont au peuple», qui comprend comment manipuler les médias et considère la vérité comme n’ayant pas la moindre pertinence. Son électorat composé d’hommes blancs économiquement défavorisés bêle devant son nationalisme xénophobe et ses promesses absurdes. Après avoir remporté les élections de 1936, Windrip prend le contrôle de la presse, boucle ses opposants et place des hommes d’affaires compétents aux commandes du pays.

Ce roman n’est pas excellent en réalité, mais Lewis le développe autour d’une vision clé: si le fascisme arrivait aux États-Unis, il prendrait la forme de variations sur des thèmes américains et non européens. L’Américain à cheval ressemblerait davantage au Sudiste Huey Long qu’à Benito Mussolini, à un opportuniste folklorique plutôt qu’à un idéologue rougeaud. Lewis avait eu du nez en devinant qu’un leader américain fasciste se présenterait sûrement comme un opposant au fascisme européen.

Contexte américain moderne

C’est un point que comprennent mal certains de ceux qui accusent Donald Trump de fascisme –y compris de nombreuses personnes de droite. C’est vrai, à l’occasion Trump ne dédaigne pas de retweeter une citation du Duce tout en se demandant ce qu’on peut bien y trouver à redire. Certes, ses meetings flirtent avec les violences raciales. Encore une fois, début mars, des voyous suprémacistes blancs ont énergiquement éjecté des manifestants noirs d’un de ses événements. C’est vrai, les dirigeants mondiaux que M. Trump admire sont les dictateurs, pas les démocrates. Sans aucun doute, lui-même ressemble à un dictateur.

Mais Trump ne s’inspire pas des traditions de totalitarisme européen, ni ne semble même y connaître quoi que ce soit d’ailleurs. Il n’est pas rongé par des griefs historiques, il n’est pas antisémite, il n’a pas essayé de construire un parti pour les masses et il n’exige pas un retour à la tradition ou à un ancien ordre moral. D’ailleurs, en tant que star de la téléréalité et cyberharceleur de sa troisième épouse, il est lui-même une bonne illustration du délitement de tout ordre moral qui aurait éventuellement survécu.

Trump représente plutôt des tendances autocratiques inscrites dans un contexte américain moderne. Il est hostile envers le libre-échange, la liberté de la presse et la liberté de culte tout en faisant semblant d’en reconnaître les mérites. Il est xénophobe, entretient une vision du monde complotiste, il admire la violence et la torture, méprise les faibles et n’entend pas tolérer la critique ou la contestation pacifique –mais le tout au nom de la nécessité de corriger les excès de tolérance. Diverses comparaisons mondiales et historiques éclairent son style et son mode de réflexion: Perón, de Gaulle –sur certains aspects–, Silvio Berlusconi, Vladimir Poutine et d’autres. Mais Trump n’est pas en train d’importer le caudillismo latin ou le despotisme russe. Il tyrannise ceux qui lui résistent dans le dialecte contemporain de la culture américaine des célébrités.

L’autoritarisme de Trump est un amalgame, non pas de la droite et de la gauche, mais de la gauche cinglée et de la droite cinglée

C’est pour cela que ceux qui avancent que les politiques de Trump sont plus modérées que celles de ses rivaux sont à côté de la plaque. L’autoritarisme de Trump est un amalgame non pas de la droite et de la gauche mais de la gauche cinglée et de la droite cinglée: il pense que George W. Bush était responsable du 11-Septembre et que les musulmans devraient se voir interdire l’accès aux États-Unis. Croire ces deux choses ne fait pas de M. Trump un centriste –ça en fait un extrémiste éclectique. Quant aux politiques, en réalité, il n’en a aucune au sens conventionnel du terme.

Le conflit de la campagne de 2016 ne se résume plus à Trump contre les rivaux de son parti; c’est désormais Trump contre le système politique américain. Ce système est sur le point de rater une occasion en or de le mettre hors jeu. Depuis le Super Tuesday, la réaction du parti républicain face à Trump est un peu encourageante, avec la diffusion de spots anti-Trump à la télévision et des hommes politiques pleins de principes, tel Mitt Romney, qui le dénoncent au milieu de volées d’attaques personnelles. Félicitations au sénateur Lindsey Graham, qui a qualifié Trump de «taré» et affirmé que le parti républicain était devenu «complètement cinglé». D’autres Républicains ont entrepris de qualifier Chris Christie, qui a lâchement soutenu Trump au début du mois, de «républicain de Vichy.» Mais tout cela est probablement insuffisant et arrive trop tard.

Si les Républicains sensés échouent à faire dérailler Trump, la tâche en incombera à Hillary Clinton et aux électeurs de novembre. Selon un sondage YouGov, 55% d’entre eux affirment qu’ils ne voteraient jamais pour Trump. Il existe néanmoins un risque non négligeable qu’il remporte les élections. Les fondateurs des États-Unis ont conçu un ordre constitutionnel visant à éviter l’exercice d’un pouvoir tyrannique. Mais le pays n’a semble-t-il jamais eu à affronter un président dictateur (à ne pas confondre avec les actions dictatoriales d’un président). On peut croire en l’efficacité du système sans pour autant avoir envie de le voir mis à l’épreuve de cette manière.

Une Amérique où Trump peut représenter un des plus grands partis n’est pas du tout le pays dans lequel beaucoup d’entre nous pensions vivre jusqu’à présent. Comme beaucoup, j’ai été beaucoup trop complaisant. Cela pourrait très bien arriver ici, et ça nous pend au nez.

Donald Trump, un nouveau Mussolini?

Source : Le Temps, Joseph s. Nye, JR, 17-03-2016

Les Etats-Unis possèdent des garde-fous institutionnels qui n’existaient pas dans l’Italie de 1922, mais les dégâts causés par le discours de Donald Trump sont considérables, analyse Joseph s. Nye, JR., professeur à Harvard et conseiller d’Hillary Clinton

La cote de Donald Trump dans la course à la nomination au statut de candidat républicain à la présidentielle ne cesse de susciter la consternation. Si l’establishment républicain craint qu’il ne soit pas capable de battre Hillary Clinton, qui sera très probablement désignée par les Démocrates, un certain nombre de Républicains vont jusqu’à redouter encore davantage la perspective d’un Donald Trump élu président. Certains voient même en Trump le risque d’une sorte de Mussolini version américaine.

Quelles que soient ses difficultés, l’Amérique d’aujourd’hui ne saurait pour autant être comparée à l’Italie de 1922. Les garde-fous institutionnels prévus par la Constitution, alliés à une justice impartiale, devraient permettre de maîtriser un showman de téléréalité. Le véritable danger réside moins dans ce que pourrait accomplir Trump, s’il parvenait à gagner la Maison Blanche, que dans les dégâts provoqués par le discours du candidat lors de sa campagne.

Les grands dirigeants savent éveiller leurs partisans au monde

Nous jugeons nos dirigeants non seulement sur l’efficacité de leurs décisions, mais également sur la signification de ce qu’ils créent et de ce qu’ils enseignent à leurs successeurs. La plupart des leaders obtiennent du soutien en faisant appel à l’identité existante et à la solidarité de leur groupe. Mais qualité plus rare, les grands dirigeants savent éveiller leurs partisans au monde, au-delà de leur groupe immédiat.

Après la Seconde Guerre mondiale, dans une France envahie trois fois par l’Allemagne en 70 ans, le leader français Jean Monnet décide qu’une revanche contre l’Allemagne vaincue ne ferait qu’engendrer un nouveau désastre. Il préférera élaborer un plan de développement progressif d’institutions, qui évolueront jusqu’à former l’Union européenne, laquelle rendra dorénavant impensable une telle guerre.

Mandela a œuvré pour élargir l’identité de ceux qui le soutenaient

Autre personnalité aux grandes qualités de leadership, Nelson Mandela aurait aisément pu choisir de définir son groupe comme celui des Sud-Africains noirs, et chercher à venger l’injustice de plusieurs décennies d’apartheid, de même que son propre emprisonnement. Au lieu de cela, Mandela œuvrera sans relâche pour élargir l’identité de ses partisans, à travers ses mots comme au travers de ses actes.

Dans un geste célèbre et hautement symbolique, Mandela apparaîtra lors d’un match de rugby vêtu du maillot des Springboks d’Afrique du Sud, équipe qui un certain nombre d’années auparavant représentait la suprématie blanche sud-africaine. Songez d’une part aux efforts fournis par Mandela pour inculquer une identité large à ses partisans, en comparaison d’autre part à l’approche étroite entreprise par Robert Mugabe au Zimbabwe voisin. Contrairement à Mandela, Mugabe a exploité la douleur de l’époque coloniale pour gagner en soutien, et use désormais de la force pour se maintenir au pouvoir.

Une minorité significative se sent menacée par les changements

Dans l’Amérique d’aujourd’hui, bien que l’économie soit croissante et que le taux de chômage se situe à un faible niveau de 4,9%, de nombreux citoyens se sentent exclus de la prospérité dont jouit le pays. Beaucoup attribuent le creusement des inégalités observé ces dernières décennies à la présence d’étrangers, plutôt qu’aux progrès technologiques, et il est facile de rallier une opposition face à l’immigration et à la mondialisation. Outre ce populisme économique, une minorité significative de la population se sent également menacée par les changements sociaux liés aux différentes couleurs de peau, cultures et ethnies, bien que rien de tout cela ne soit bien nouveau.

Il incombera au prochain président américain d’enseigner à ses concitoyens la manière de gérer un processus de mondialisation considéré par beaucoup comme une menace. Les identités nationales sont des communautés nées de l’imaginaire, en ce sens que peu d’individus partagent directement une expérience auprès des autres membres. Depuis un ou deux siècles, l’État-nation constitue par excellence la communauté imaginée pour laquelle les individus sont prêts à donner leur vie, de même que la plupart des chefs d’État font des questions nationales leur charge suprême. Cette réalité est inévitable, mais elle ne suffit plus dans un monde globalisé.

Des diasporas connectées par-delà les frontières

Sur cette planète mondialisée, la plupart des individus appartiennent à un certain nombre de communautés imaginées – locales, régionales, nationales ou cosmopolites – qui sont autant de cercles entrelacés, entretenus par Internet et par le prix plus abordable des voyages. De véritables diasporas sont aujourd’hui connectées par-delà les frontières nationales. Les catégories professionnelles telles que les avocats appliquent des normes transnationales. Les groupes militants, aussi bien écologistes que terroristes, se lient indépendamment des frontières. La souveraineté n’apparaît plus aussi absolue qu’elle semblait l’être.

L’ancien président Bill Clinton a confié qu’il regrettait de n’avoir pas su réagir efficacement au génocide perpétré au Rwanda en 1994, même s’il n’était pas le seul concerné. Si Clinton avait tenté d’y envoyer des troupes américaines, il se serait heurté à une vive résistance de la part du Congrès. De nos jours, les dirigeants même les plus compétents se trouvent bien souvent tiraillés entre d’une part leur intérêt pour l’international, et d’autre part leurs obligations plus traditionnelles à l’endroit des citoyens qui leur ont confié le pouvoir – comme l’a découvert l’été dernier la chancelière allemande Angela Merkel, après avoir fait preuve d’un leadership audacieux face à la crise des réfugiés.

Dans un monde au sein duquel les individus s’organisent principalement en communautés nationales, tout idéal de pur cosmopolitisme s’avère irréaliste. En témoigne cette réticence généralisée à laquelle nous assistons face à l’immigration. Qu’un chef d’État affirme avoir pour obligation de réduire les inégalités de revenus à l’échelle mondiale ne peut revêtir de crédibilité; en revanche, le fait qu’un tel dirigeant invite à accomplir davantage pour lutter contre la pauvreté, combattre la maladie, et venir en aide aux populations dans le besoin, contribue à éduquer les citoyens.

L’interdiction d’entrée des musulmans se heurterait à un obstacle constitutionnel

Les mots ont leur importance. Comme l’exprime le philosophe Kwame Anthony Appiah, «Tu ne tueras point est un commandement que l’on respecte ou pas. Tu honoreras ton père et ta mère est en revanche une règle que chacun applique à des degrés différents.» Il en va de même du cosmopolitisme par opposition à l’insularité.

À l’heure où le monde entier observe les candidats à la présidence américaine s’affronter autour de questions de protectionnisme, d’immigration, de santé publique globale, de changement climatique et de coopération internationale, efforçons-nous d’identifier à quels aspects de l’identité américaine ces candidats font appel, et observons s’ils s’attachent ou non à éveiller leurs partisans autour de significations plus étendues. Les candidats s’efforcent-ils d’élargir l’angle de vue identitaire des Américains, ou se contentent-ils de mobiliser les intérêts les plus étroits?

Il est fort peu probable que la proposition de Donald Trump consistant à refuser aux musulmans l’entrée aux États-Unis, ou que sa volonté de faire financer par le Mexique la construction d’un mur censé faire obstacle aux migrations, soient admises sur le plan constitutionnel et politique si Trump accédait à la présidence. Encore une fois, nombre de ses suggestions ne consistent pas en mesures politiques destinées à être appliquées, mais en simples slogans visant à attiser la propension populiste et insulaire que démontre une partie de la population.

Étant donné chez lui l’absence de noyau idéologique fort, et sa passion pour «l’Art de la négociation», Trump pourrait bien faire un président pragmatique, malgré son narcissisme. Cependant, les bons dirigeants sont ceux qui nous aident à définir qui nous sommes. Et sur ce point, Trump a d’ores et déjà échoué.


Joseph s. Nye, JR., professeur à Harvard, est l’auteur de l’ouvrage intitulé Is the American Century Over? Il est conseiller d’Hillary Clinton. Project Syndicate, 2016.
www.project-syndicate.org, traduit de l’anglais par Martin Morel.

Source : Le Temps, Joseph s. Nye, JR, 17-03-2016

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Source: http://www.les-crises.fr/propagande-donald-trump-un-dictateur-100-made-in-america/


Royaume-Uni : le projet de budget provoque une crise gouvernementale, par Romaric Godin

Monday 28 March 2016 at 00:01

Source : La Tribune, Romaric Godin,  

Iain Duncan Smith, ministre de l'emploi et des retraites a quitté avec fracas le gouvernement Cameron (Crédits : Bloomberg)

Iain Duncan Smith, ministre de l’emploi et des retraites a quitté avec fracas le gouvernement Cameron (Crédits : Bloomberg)

Le ministre de l’emploi de David Cameron a démissionné vendredi soir en dénonçant les choix budgétaires du gouvernement. Une polémique gênante pour Downing Street en pleine campagne référendaire.

David Cameron, déjà soumis à des sondages très serrés sur la question de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne, n’avait certainement pas besoin de cela. La présentation du projet de budget 2016-2017 jeudi dernier a provoqué une fronde inédite au sein même du gouvernement de Sa Majesté, déjà divisé entre pro- et anti-UE. Vendredi soir, le secrétaire (ministre) à l’Emploi et aux Retraites, Iain Duncan Smith, a annoncé sa démission dans une lettre cinglante envoyé au Premier ministre.

La lettre de démission : un réquisitoire contre la politique du gouvernement

Dans cette lettre, « IDS » dénonce les choix budgétaires du gouvernement. Après avoir affirmé sa « fierté des réformes de l’Etat providence » menée par le gouvernement au cours des cinq dernières années » et reconnu que « des coupes budgétaires difficiles étaient rendues nécessaires par la situation budgétaire périlleuse », le ministre rappelle qu’il « croit que les coupes auraient été plus justes (…) si nous avions voulu réduire les avantages pour les retraités les plus aisés. »   Mais, précise-t-il, « j’ai essayé de travailler dans les contraintes que vous (le premier ministre) et le chancelier de l’échiquier (le ministre des Finances) aviez posées. »

Aujourd’hui, cette patience semble s’épuiser pour Iain Duncan Smith qui a attaqué la stratégie du gouvernement, notamment la réduction des aides aux handicapés qui, pour lui, vont « trop loin. » « S’ils sont défendables en termes étroits, compte tenu du déficit budgétaire persistant, ils ne le sont pas dans le cadre d’un budget qui profitent aux contribuables les plus riches », a expliqué le ministre démissionnaire. C’est donc toute la stratégie du gouvernement conservateur qui est remise en cause : réduire les aides sociales pour financer des baisses d’impôts pour les plus riches censés in fine, attirer les investissements étrangers. « Je suis incapable de regarder passivement certaines politiques qui sont mises en œuvre pour remplir l’objectif budgétaire et qui imposent des restrictions qui, je crois, sont de plus en plus perçues comme clairement politiques plus que dans l’intérêt économique national », conclut Iain Duncan Smith qui, là encore, touche une corde sensible : celle de la stratégie d’attraction des investissements financiers plutôt que de la construction d’une demande intérieure.

Une stratégie budgétaire contestée

Iain Duncan Smith a frappé juste. Le projet de budget a provoqué en effet une levée de boucliers. Le gouvernement espère en effet économiser d’ici à 2020 4,4 milliards de livres (environ 6 milliards d’euros) en coupant dans l’allocation handicapés. Près de 370.000 personnes devraient ainsi perdre en moyenne 3.500 livres (environ 4.800 euros par an). Cette décision tranche avec la baisse annoncée de l’impôt sur les sociétés attendue de 20 % à 17 % sur la même période. Le financement de cette baisse pour retrouver un équilibre budgétaire dès 2019-2020 (le budget connaît un déficit de 5 % du PIB aujourd’hui) s’annonce difficile, mais la voie est montrée : elle sera atteinte par des coupes dans le système de protection sociale.

Duncan Smith plus à gauche que Corbyn ?

Iain Duncan Smith n’est pas n’importe qui. Cet Ecossais a été leader du parti conservateur de 2001 à 2003, élu avec le soutien de Margaret Thatcher. Certes, sa direction a été un désastre et il a été évincé rapidement par manque de charisme et de soutien. Il est le seul leader conservateur à ne pas avoir mené le parti à une élection générale. Mais il reste une figure dans le parti. Etrangement, sa lettre de démission et ses sorties télévisées ce week-end ont redonné à « IDS » une respectabilité nouvelle. Ce lundi 21 mars, le Daily Telegraph recommande même aux Travaillistes de choisir l’ancien ministre comme leader. « Maintenant que Iain Duncan Smith fait exactement les mêmes remarques sur le gouvernement que le leader travailliste Jeremy Corbyn, tout le monde l’écoute », souligne le quotidien.

Le journal conservateur est sans doute un peu dur. Le leader travailliste a plutôt bien utilisé ce budget pour mettre en avant le caractère « clientéliste » de la politique des Tories. Du reste, les sondages semblent le montrer. La dernière enquête de Yougov donnait le Labour devant les Tories (34 % contre 33 %) pour la première fois depuis l’arrivée de Jeremy Corbyn à la tête du parti. Cette « guerre civile » au sein du camp conservateur a peut-être un lien avec cet affaiblissement des Conservateurs.

Affaiblir le vote contre le Brexit

L’autre hypothèse émise par les observateurs est qu’il s’agit d’affaiblir encore la position de David Cameron avant le référendum sur l’UE du 23 juin prochain. Iain Duncan Smith est partisan de la sortie de l’UE. En démissionnant, il se positionne dans l’optique d’une défaite du maintien du Royaume-Uni dans l’union et prouve que le choix de maintenir dans le gouvernement des Eurosceptiques est une erreur. Mais c’est aussi un moyen d’identifier le camp du « maintien » à celui de l’austérité. Le Labour fait campagne pour le maintien, mais il refuse de mêler sa voie avec celle de David Cameron. Finalement, la chance des pro-Brexit dans le camp conservateur est de faire de ce référendum aussi un référendum pour ou contre David Cameron et ainsi d’attirer des voix à gauche. La démission d’Iain Duncan Smith entrerait dans cet objectif. Le dernier sondage, réalisé par Opinium et paru le 20 mars, donnait 41 % de votes pour le Brexit, 40 % pour le maintien dans l’UE et 19 % d’indécis. Avec une marge si étroite, une polémique comme celle liée à la démission d’Iain Duncan Smith peut jouer un rôle dans le résultat final.

Source : La Tribune, Romaric Godin,  

Source: http://www.les-crises.fr/royaume-uni-le-projet-de-budget-provoque-une-crise-gouvernementale-par-romaric-godin/


[Vidéo] La fin des Ottomans

Sunday 27 March 2016 at 05:15

Source : Youtube, 22-03-2016

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Comment, de l’indépendance grecque (1830) à l’avènement de la République turque (1923), le démantèlement de l’Empire ottoman a porté en germe les conflits contemporains. La passionnante traversée d’une page d’histoire aussi cruciale que méconnue. Premier volet : les nations contre l’Empire.

Cette première partie rappelle comment, à partir de 1821, date du soulèvement grec, jusqu’aux guerres balkaniques de 1912-1913, l’Empire ottoman se retire définitivement d’Europe, mettant un terme à près de cinq siècles de présence dans les Balkans. Cette histoire commune fut celle d’une coexistence complexe entre peuples chrétiens, musulmans et juifs, organisés par millet, ou communautés confessionnelles. Mais les appartenances religieuses vont progressivement cristalliser des identités nationales rigides et exclusives – serbes, grecques, bulgares… –  aujourd’hui encore en conflit, plus de quinze ans après la fin des guerres de Yougoslavie.

Six siècles durant, l’immense Empire ottoman a imposé sa puissance sur trois continents et sept mers. Terre des Lieux saints des trois monothéismes, mosaïque de langues, de cultures et de religions sans équivalent dans l’histoire, cette puissance exceptionnelle s’est pourtant effondrée en moins d’un siècle, de l’indépendance de la Grèce, premier État-nation à s’émanciper de l’Empire en 1830, jusqu’à l’avènement de la République de Turquie en 1923, sous l’égide de Mustafa Kemal Atatürk. Des guerres israélo-arabes à l’éclatement de la Yougoslavie, de l’invasion de l’Irak au chaos syrien, ses ruines et ses lignes de faille, autant ethniques que religieuses, ont façonné un monde moderne dont les fractures multiples apparaissent désormais au grand jour. Passionnant et dense, ce documentaire en deux parties retrace avec fluidité la mécanique politique, économique et sociale qui a conduit l’Empire ottoman à sa fin. Grâce à des images d’archives rares et aux contributions éclairantes d’historiens américains, européens et proche-orientaux, il fait revivre une page d’histoire largement méconnue, mais essentielle pour comprendre les bouleversements contemporains.

(France, 2014, 53mn) ARTE F

Partie 1/2

Partie 2/2

Source : Youtube, 22-03-2016

 

Ne ratez pas : “La Fin des Ottomans”

Source : Le Nouvel Obs, Ingrid Sion, 22-03-2016

Jeunes Turcs (© Seconde Vague Productions)

Jeunes Turcs (© Seconde Vague Productions)

1830-1923 : la chute d’un Empire ou le récit d’un siècle de chaos et de violences, des Balkans au Moyen-Orient, qui éclairent d’un jour nouveau les conflits contemporains.

La perspective historique permet bien souvent de mieux comprendre le monde et ses bouleversements. En deux heures denses mais passionnantes, ce film de Sylvie Jezequel et Mathilde Damoisel résume l’effondrement de l’Empire ottoman après six cents ans de domination, qui, des Balkans au Moyen-Orient, permet de mieux appréhender les guerres en ex-Yougoslavie et au Moyen-Orient. Ce récit d’un siècle de « violences et de chaos » est scindé en deux parties : « les Nations contre l’Empire », de l’indépendance grecque, en 1830, à 1912 ; et « le Moyen-Orient en éclats », de la Première Guerre mondiale à la proclamation de la République turque en 1923. Les deux documentaires, nourris de précieuses images d’archives et de témoignages d’historiens et de politologues européens et proche-orientaux, sont portés par la voix de l’actrice Nathalie Richard, qui raconte cette « histoire complexe entre différents peuples et confessions religieuses », ainsi définie par l’historien anglais Mark Mazower, et les fractures qui en découlent aujourd’hui.

Guerres et massacres aux Balkans

Le premier volet relate les guerres pour l’indépendance des peuples balkaniques. Jusqu’en 1820, chrétiens orthodoxes, catholiques arméniens, juifs et musulmans, organisés par millets (communautés confessionnelles), coexistaient depuis plus de quatre siècles au sein d’un Empire où les non-musulmans avaient des droits restreints (ils étaient notamment soumis à un impôt spécifique). Au XIXe siècle, sous l’influence des idéaux de la Révolution française, ces peuples, dotés d’une langue et d’une croyance, aspirent à l’émancipation. Les Grecs sont les premiers à mener leur révolution et, après huit ans de guerre, accèdent à l’indépendance. Un mouvement suivi par les autres peuples balkaniques. La révolte des paysans serbes (1875), l’insurrection des Bulgares (1876) et le soulèvement des Arméniens au Sassoun (1894), réprimés dans le sang par les bachibouzouks (mercenaires ottomans) et l’armée ottomane, aboutissent à la naissance de nouveaux Etats. A l’aube de la Première Guerre mondiale, les nations balkaniques brisent leur alliance contre l’oppresseur ottoman et se déchirent pour la Macédoine. Le partage des territoires en 1913 entérine les atrocités tandis que le Kosovo, foyer de la rébellion albanaise, revient à la Serbie… Plus de 400 000 personnes sont déplacées de force, des musulmans en grande majorité. « Le début de ce que nous appelons aujourd’hui le nettoyage ethnique. Ce qui s’est passé dans les années 1990est un exemple et une pratique qui a commencé à la fin du XIXe et qui a explosé au début du XXe », commente Mark Mazower.

La fin des Ottomans (1 & 2)

Fractures au Moyen-Orient

Le second film s’intéresse à la rupture entre Arabes et Ottomans qui sonne le glas de l’Empire. En 1915, les Jeunes-Turcs planifient le premier génocide du XXe siècle : les deux tiers de la population arménienne de Turquie sont exterminés, soit plus d’un million de personnes. Au printemps 1916, l’Empire réprime violemment le mécontentement croissant de ses provinces arabes : activistes et intellectuels sont arrêtés et pendus à Damas, Beyrouth et Jérusalem. Au mois de juin, le fils du chérif de La Mecque, Fayçal, soutenu par les Britanniques, mène la révolte contre les forces ottomanes, aux côtés de Lawrence d’Arabie. Damas tombe en 1918. De Palestine en Mésopotamie, l’armée ottomane et ses alliés allemands capitulent. La Première Guerre mondiale a précipité le déclin de l’Empire. De ses dernières provinces orientales d’Arabie (Mésopotamie, Syrie et Palestine) va naître le Moyen-Orient d’aujourd’hui : « Des frontières, des Etats, des fractures qui jamais n’ont cessé de se raviver » – des frontières imposées aux Arabes par les puissances colonisatrices. Ainsi, en 1921, un nouveau Royaume d’Irak est fondé ; à sa tête, Fayçal, prince sunnite, appelé à régner sur une majorité chiite…

Ce partage des territoires est vécu comme une humiliation par les Ottomans. Emmenée par Mustafa Kemal, une armée de libération nationale se révolte contre le pouvoir impérial. Le commandant turc s’empare de Smyrne et massacre sa population grecque. La République de Turquie est proclamée le 29 octobre 1923. Un Etat moderne et laïque, où l’identité religieuse conditionne néanmoins l’identité nationale. En 1924, près d’un million de Grecs ottomans, chrétiens, doivent quitter la Turquie ; en Grèce, 500 000 musulmans sont expulsés. « Grands oubliés du partage de l’Empire ottoman », les Kurdes, ni arabes ni turcs, sont dispersés entre l’Irak, la Syrie et la Turquie… L’Empire ottoman a disparu. Sa dislocation a transformé le Moyen-Orient en zone de conflits souvent confessionnels.

Source : Le Nouvel Obs, Ingrid Sion, 22-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/video-la-fin-des-ottomans/


[USA] Une offensive judiciaire globale, par Jean-Michel Quatrepoint

Sunday 27 March 2016 at 03:41

Source : Fondation Res Publica, Jean-Michel Quatrepoint, 01-02-2016

Accueil de Jean-Michel Quatrepoint, journaliste économique, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, auteur de “Alstom, un scandale d’État – Dernière liquidation de l’industrie française” (Fayard : août 2015), au colloque “L’extraterritorialité du droit américain” du 1er février 2016.

JM-Qutrepoint

L’exportation du droit américain, l’extraterritorialité des lois américaines est un processus qui ne date pas d’aujourd’hui. Voilà des années, voire des décennies que les États-Unis développent une stratégie globale d’hyperpuissance en s’appuyant sur un arsenal juridique et en imposant leurs lois, leurs normes, au reste du monde. Il aura fallu l’amende colossale infligée à BNP Paribas (8,9 milliards de dollars) et celle qui, infligée à Alstom (772 millions de dollars), fut la véritable cause, quoi qu’en dise le PDG d’Alstom, de la vente de la division « énergie » à General Electric, pour que nos dirigeants découvrent la réalité d’une guerre économique engagée depuis des décennies. Ils ont ainsi découvert, tardivement, le caractère meurtrier d’un arsenal juridique dont la mise en place remonte à plus d’un quart de siècle.

Dans la décennie 90, après l’effondrement du communisme, les États-Unis vont se doter d’une série de lois qui concernent les entreprises américaines mais aussi toutes les entreprises étrangères. La majorité de ces lois, Trade Acts ou embargos, permettent aux responsables américains du commerce d’identifier et de sanctionner les comportements « injustes et déraisonnables » des acteurs économiques rivaux des Américains.

On peut classer ces textes dans quelques grands chapitres :
Le plus connu aujourd’hui est la lutte contre la corruption, le fameux Foreign Corrupt Practices Act(FCPA) qui s’appliquait aux entreprises américaines qui versaient des pots de vin aux fonctionnaires et aux hommes politiques pour obtenir des contrats. En 1998, ce FCPA est étendu aux entreprises étrangères et il va servir de modèle à la convention OCDE censée réprimer la corruption, notamment en matière de grands contrats.

Le second chapitre est une batterie de lois qui criminalisent le commerce avec les États sous embargo américain. Certaines de ces lois sont bien connues, telles les lois Helms-Burton et D’Amato qui sanctionnent les entreprises commerçant avec l’Iran, Cuba, la Libye, le Soudan etc. (au total il y aura 70 embargos américains à travers le monde). En 2006, un banquier britannique, un des dirigeants de la Standard Chartered, dira : « Putains d’Américains, qui êtes-vous pour nous dire et pour dire au reste du monde que nous ne devons pas travailler avec les Iraniens ? ». Quelques années plus tard la Standard Chartered devra payer 700 millions de dollars d’amende pour avoir commercé avec l’Iran.

Autre chapitre, une batterie de lois criminalisent le commerce avec les pays sous embargo ONU.
Ensuite viendra le blanchiment de l’argent sale des terroristes ou des narcotrafiquants.

Le Patriot Act, édicté en 2001 après l’attaque sur les Twin towers, sous couvert de lutte contre le terrorisme, donne des pouvoirs élargis aux différentes agences pour accéder aux différentes données informatiques.

Enfin la loi Dodd-Frank de juillet 2010 confère à la SEC (Securities and Exchange Commission), le gendarme américain de la bourse, le pouvoir de réprimer toute conduite qui, aux États-Unis, concourt de manière significative à la commission de l’infraction, même lorsque la transaction financière a été conclue en dehors des États-Unis et n’implique que des acteurs étrangers. Cela va donc très loin.

Cerise sur le gâteau, en 2014, le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) donne au fisc américain des pouvoirs extraterritoriaux qui contraignent les banques étrangères à devenir ses agents en lui livrant toutes les informations sur les comptes et avoirs des citoyens américains dans le monde. Si elles n’obtempèrent pas, 30 % de leurs revenus aux États-Unis sont confisqués et, plus grave encore, elles peuvent se voir retirer leur licence. Or, pour une banque, notamment les plus grandes, ne plus pouvoir travailler aux États-Unis et ne plus pouvoir compenser en dollars équivaut à un arrêt de mort. On a souvent voulu voir derrière le FATCA le moyen pour les Américains de faire enfin plier les banquiers suisses, les « gnomes de Zurich », les obliger à abandonner leur sacro-saint secret bancaire. C’est vrai… mais c’est l’arbre, moral et médiatique, qui cache la forêt. Ainsi, BNP Paribas a été contrainte de fournir dans le cadre de son amende la liste des comptes de ses clients américains et franco-américains. C’est ainsi que des personnes fort respectables, qui ont la malchance d’avoir la double-nationalité mais qui ont toujours gagné et déclaré leur argent en France, sans avoir de revenus aux États-Unis, sont sommées par l’Internal Revenue Service (IRS), le fisc américain, de fournir toutes leurs déclarations d’impôts. Si jamais elles ont payé moins en France que ce qu’elles auraient payé aux États-Unis, l’IRS leur réclame la différence. Cela s’appelle du racket.

Avec le recul, on s’aperçoit qu’il est très difficile de contester chacune de ces mesures : Qui va s’élever contre le fait de lutter contre la corruption… ? De même qui n’est favorable à la répression des narcotrafiquants et du blanchiment de leur argent ? Il en est de même du terrorisme. C’est là toute l’habileté du projet américain théorisé en 2004 par Suzanne Nossel, laquelle a inspiré Hillary Clinton lorsque cette dernière était secrétaire d’État.

C’est la théorie non du soft power mais du smart power, affirmation par les États-Unis d’une vision universelle au nom de leur compétence universelle.

Les États-Unis se vivent comme le nouveau peuple élu. Leurs victoires contre les forces du mal (en 1945 contre le nazisme, plus tard contre le communisme), leurs performances économiques, témoignent de la supériorité de leur modèle. Il est donc normal que tous les autres peuples adoptent ce modèle car la globalisation implique l’uniformisation. Les États-Unis énoncent donc de grands principes, valables pour tous et que tous sont contraints de respecter à travers un arsenal juridique, à travers la puissance du dollar, à travers les technologies qui permettent de tout savoir (on pense à la NSA). Le tout, bien sûr, pour le bien commun.

Cette compétence universelle, par définition, s’applique à toutes les activités humaines. L’offensive contre la FIFA et Sepp Blatter (et par ricochet contre Michel Platini), a été menée par les Anglo-saxons, par les Américains. Une offensive fort habile car chacun sait que la FIFA (Fédération Internationale de Football Association), comme le CIO (Comité international olympique), sont des lieux où le népotisme et la corruption règnent en maîtres. Pour les Américains, il s’agit de faire exploser ce système et de le remplacer par un autre où la puissance américaine sera dominante et imposera ses règles.

Il est très difficile de s’opposer à ce smart power, véritable idéologie qui s’appuie sur la défense des droits de l’homme, la libre concurrence non faussée, le droit des consommateurs, le droit des minorités etc.

Cette stratégie s’appuie également sur les ONG anglo-saxonnes. Ce sont elles qui sont à l’origine de l’affaire Volkswagen. Loin de moi l’idée de défendre Volkswagen et l’industrie automobile allemande mais il est intéressant d’observer comment cette affaire s’est déroulée. Au départ, le lobby automobile européen, dominé par les industriels allemands, avait de très bonnes relations avec la Commission européenne et, évidemment, les normes de pollution et de consommation en Europe ont été fixées avec l’assentiment des constructeurs automobiles. Nous avons tous pu constater que l’affichage des consommations des véhicules ne correspond absolument pas à la réalité sur le terrain. Il se trouve que Volkswagen avait misé sur le diesel, invention essentiellement européenne, pour pénétrer le marché américain. Or, aux États-Unis, les normes anti-pollution pour le diesel sont beaucoup plus rigoureuses qu’en Europe, notamment pour les particules fines (on pourrait parler d’une norme protectionniste). Volkswagen a décidé, pour pénétrer le marché américain avec ses véhicules diesel, d’installer secrètement un logiciel fourni par Bosch. Logiciel qui permettait de masquer la réalité de émissions de particules. Ce truquage est découvert par une ONG américaine qui dévoile l’affaire en 2014 et transmet le dossier à l’agence fédérale de protection de l’environnement. C’est alors que l’affaire commence. Volkswagen, qui a effectivement triché, est piégée. Les media s’en mêlent, la machine s’emballe (48 Class actions, dans 48 États différents). La machine de guerre judiciaire américaine s’est mise en branle et le coût pour Volkswagen, indépendamment du coût pour son image, va se chiffrer en dizaines de milliards de dollars. Volkswagen (tout comme sa filiale Audi) avait énormément misé sur les États-Unis : le marché américain devait être le nouvel eldorado pour le constructeur automobile allemand qui espérait s’implanter aux États-Unis, bénéficier du dollar, d’une main d’œuvre moins chère qu’en Europe pour réexporter ensuite des modèles ou des sous-ensembles sur le marché européen et sur l’Asie. Ambition que l’industrie automobile américaine, en plein renouveau, grâce aux subventions données notamment à General Motors, ne voit pas d’un très bon œil. Est-ce un hasard si l’affaire du petit logiciel de Volkswagen a émergé ? Ce qui va se passer sur l’affaire Volkswagen est important car, si les Allemands plaident coupables, ils ont cependant commis un crime de lèse-majesté début janvier en refusant aux prosecutors et aux enquêteurs américains l’accès à leurs données, notamment sur le sol allemand. En effet, quand la machine judiciaire américaine est en branle (les entreprises qui sont « passées dans la moulinette » en savent quelque chose), les enquêteurs américains déboulent et ont accès à tout, mails, documents etc. Or les Allemands, invoquant la German law, qui interdit la communication de données à des puissances étrangères extérieures à l’Union Européenne, ont refusé de donner l’accès aux documents et aux mails internes à leur siège social. Les Allemands iront-ils jusqu’au bout du bras de fer, refuseront-ils d’obéir aux injonctions de la justice américaine ? Cela peut se terminer par l’obligation pour Volkswagen de fermer ses usines aux États-Unis. On est là dans un processus lourd de conséquences.

Les États-Unis, forts de leur puissance, ont donc développé un arsenal juridique tous azimuts. Ils décident qui peut commercer avec qui. Ils peuvent décider aussi d’éliminer les concurrents. Les entreprises françaises en savent quelque chose avec l’Iran. À la différence de ce qui se passait dans les années 80-90, ils bénéficient de la position du dollar : 78 % des transactions mondiales se font en dollars et tout est compensé par les États-Unis. Comme toutes les transactions en dollars transitent par les États-Unis, toute transaction en dollars est soumise à la loi américaine. Ils ont aussi les écoutes : on a découvert que la NSA et les services américains écoutaient systématiquement tout, y compris les chefs d’État… et personne n’a protesté. Et surtout, cette extraterritorialité devient un extraordinaire businessqui profite d’abord aux Américains. Les amendes proprement dites commencent à atteindre des montants conséquents. Pour les banques, le total des amendes infligées par la justice américaine est de 125 milliards de dollars, dont une bonne partie concerne les banques américaines. Mais les banques américaines ont été condamnées pour les affaires de subprimes (aucun banquier américain n’a fait de prison) tandis que les banques européennes et japonaises ont été condamnées pour avoir violé des embargos. Les banques suisses ont payé un très lourd tribut pour ne pas avoir communiqué à temps un certain nombre de données.

On en est aujourd’hui à 35 milliards de dollars d’amendes pour les banques étrangères et une demi-douzaine de milliards de dollars pour les groupes industriels. Sur les dix premières amendes infligées, notamment pour des affaires de corruption, aux groupes industriels, neuf concernent des groupes étrangers. Le record va à Siemens (800 millions de dollars) suivi par Alstom (772 millions de dollars).

Cet argent sert d’abord à l’auto-alimentation du système judiciaire américain (la SEC, le Trésor, le DOJ etc.) dont les coûts annexes sont considérables. Le système judiciaire américain, les centaines de milliers de lawyers des cabinets, sont embauchés par les entreprises et vivent « sur la bête ». L’argent des amendes fait donc vivre le système judiciaire américain au sens large. S’y ajoute la contestation de brevets etc. L’application de ce système de l’extraterritorialité est un formidable business qui alimente la machine judiciaire et juridique américaine.

Les gens de BNP Paribas seront sans doute heureux d’apprendre qu’une partie de leur amende va servir à indemniser les citoyens américains qui avaient été victimes de la prise d’otages à l’ambassade des États-Unis à Téhéran en 1979. Plus de cinquante personnes, retenues pendant 444 jours, n’avaient jamais été indemnisées parce que, dans l’accord entre l’Iran et Ronald Reagan, l’Iran avait refusé de payer quelque indemnité que ce soit (l’une des raisons pour lesquelles les Iraniens avaient pris en otage les personnels de l’ambassade américaine était la « prise en otage » par les Américains des compte iraniens à la Chase Manhattan Bank…). Le Congrès a l’intention d’utiliser 1 à 2 milliards de dollars, pris sur l’amende de BNP Paribas, pour indemniser ces ex-otages américains.

Plus grave : les accords que les entreprises étrangères sont contraintes de signer s’accompagnent généralement de la mise sous tutelle de fait de ces entreprises qui, de par le settlement, l’accord passé avec la justice américaine, subissent pendant six mois, un an, trois ans… la présence de contrôleurs indépendants chargés de vérifier que l’entreprise condamnée se conforme bien à toutes les règles de la compliance américaine. Alcatel Lucent avait été condamnée il y a quelques années à une amende pour corruption à propos d’affaires qui remontaient au début des années 2000 (le montant, moins important que celui infligé à Alstom, s’élevait quand même à 170 millions de dollars). Contrainte d’accepter pendant trois ans la présence d’un contrôleur indépendant, Alcatel Lucent devait lui donner toutes les informations que ce contrôleur jugeait utiles à la réalisation de sa mission. D’aucuns disent que Alcatel Lucent a été ainsi pillée pendant quelques années par la justice américaine. Les secrets de fabrication et un certain nombre de données essentielles peuvent être transférés ainsi à une puissance étrangère.
L’extraterritorialité du droit américain permet à la puissance américaine, sur les secteurs qu’elle estime stratégiques, d’asseoir sa domination.

Merci.

Source : Fondation Res Publica, Jean-Michel Quatrepoint, 01-02-2016

 

Source: http://www.les-crises.fr/usa-une-offensive-judiciaire-globale-par-jean-michel-quatrepoint/


Revue de presse internationale du 27/03/2016

Sunday 27 March 2016 at 00:01

Cette semaine notamment, quelques intéressantes réflexions sur les actes terroristes, un léger raté belge, ou encore des contradictions d’Hilary à Riyad. Merci à nos contributeurs pour ces articles dont quelques-uns en traduction. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-27032016/


Bachar al-Assad : “Lorsque les États occidentaux auront la volonté de faire leur devoir, nous n’aurons plus de problème pour arrêter le cauchemar en Syrie”

Saturday 26 March 2016 at 01:40

Source : Le Grand Soir, 11-03-2016

Entretien accordé par le Président syrien à la télévision allemande « ARD » [Texte intégral]

arton30057-74bfaJournaliste : Monsieur le Président, je vous remercie infiniment pour avoir accordé cette entrevue à la télévision allemande ARD.

Le Président al-Assad : Bienvenue à vous en Syrie

Question 1 : Hier, alors que nous filmions à la Mosquée des Omeyyades, nous nous sommes entretenus avec les gens sur le cessez-le feu. Un vendeur de Chawerma nous a dit « c’est peut-être un jour historique ». Ma question est, Monsieur le Président, êtes-vous d’accord que ce serait là un jour historique, et vivons-nous un moment particulier de l’histoire syrienne ?

Le Président Al-Assad : Disons plutôt que je l’espère, étant donné que nous avons accepté l’accord sur la « cessation des hostilités » la semaine dernière. Parlons plutôt d’une lueur d’espoir pour les Syriens et pour nous tous. Mais en général, un cessez-le-feu, une cessation des hostilités, ou n’importe quel accord de ce type est bilatéral. Il va donc être difficile de le maintenir et de le sauver, puisqu’il est multilatéral. Je veux dire par là que vous parlez d’une centaine de factions de terroristes et de nombre de pays qui les soutiennent. Autrement dit, vous parlez de deux camps ayant des objectifs contradictoires en ce qui concerne cet accord. C’est pourquoi, disons que nous allons faire notre travail pour qu’il fonctionne, quoique la bonne volonté ne soit pas suffisante.

Question 2 : Que faites-vous, vous et le gouvernement syrien, pour sauver ce cessez-le feu ?

Le Président Al-Assad : Dans les faits, il a commencé il y a moins de 48 heures et, comme vous êtes ici depuis quelques jours, je pense que vous savez que les terroristes l’ont violé dès la première heure. Quant à l’armée syrienne, nous nous sommes abstenus de riposter pour lui laisser une chance de se maintenir. Voilà ce que nous pouvons faire, mais finalement toute chose a ses limites et cela dépend de l’autre partie.

Question 3 : Pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour arriver à un accord ?

Le Président Al-Assad : Il n’a pas fallu si longtemps pour arriver à un accord. Il a fallu longtemps pour que les autres pays qui supervisent les terroristes, notamment les États-Unis, se mettent à travailler là-dessus. Ils ont commencé à en parler il y a seulement quelques mois ; alors que, dès le début, nous avions initié ce processus sur une base interne que nous avons désigné par « Réconciliation locale ». Un processus qui mène à la cessation des hostilités à partir du moment où vous accordez l’amnistie aux miliciens afin qu’ils rejoignent l’armée syrienne ou retournent à une vie civile normale. C’est un processus que nous avons lancé depuis quelques années et qui a réussi dans plusieurs régions. La seule différence est que cet accord de cessation des hostilités est plus global, bien qu’il ne soit pas total.

Question 4 : Il y a trois jours, nous étions à Daraya. Nous avons vu le bombardement intensif de cette ville. Je pense que l’un des problèmes de la Syrie est : « qui décide que ceux que vous frappez sont des terroristes de l’EIIL et du Front al-Nosra ou des rebelles ? ». Je pense que vous êtes le seul à en décider et que la paix est entre vos mains. Non ?

Le Président Al-Assad : Qu’entendez-vous par « la paix entre mes mains » ?

Question 5 : Votre décision de frapper ou de ne pas frapper. C’est vous qui définissez qui sont ces gens ?

Le Président Al-Assad : Vous avez raison. Lorsque vous avez un tel accord, vous devez vous poser deux questions : sur quelles cartes militaires devez-vous travailler et quels sont les critères ou les mécanismes de surveillance du cessez-le-feu ? Or, comme je viens de le dire, la cessation des hostilités a été décrétée il y a 24H et, jusqu’à cet instant précis, nous ne disposons toujours pas de ces cartes. Par conséquent, disons que l’accord n’est pas encore arrivé à maturité. Lorsque ce sera le cas, vous pourrez dire que j’en assume la responsabilité en tant que partie prenante de la survie de cet accord.

Question 6 : maginez, Monsieur le Président, que je sois un rebelle et non un terroriste de l’EIIL ou du Front al-Nosra, un rebelle de l’armée syrienne libre [ASL]. Que devrais-je faire pour que vous m’acceptiez de nouveau comme civil syrien ? 

Le Président Al-Assad : Juste que vous déposiez vos armes et que vous n’ayez aucun autre agenda politique. Que vous décidiez de rejoindre le processus politique ou que vous vous en désintéressiez, n’a pas d’importance. Le plus important pour moi, d’un point de vue légal et constitutionnel, en me basant sur l’intérêt du peuple syrien et sur le principe valable pour tout État, est qu’en tant que citoyen vous n’êtes pas autorisé à user de vos armes pour nuire aux personnes et aux biens. C’est tout ce que nous demandons et rien d’autre. Comme je l’ai dit, nous leur offrons une amnistie totale. C’est déjà arrivé, certains ayant rejoint l’armée syrienne, d’autres s’étant intégrés dans la vie politique.

Question 7 : C’est donc une réelle amnistie que vous offrez à tous les rebelles ? 

Le Président Al-Assad : Nous l’avons fait, et cela a fonctionné.

Question 8 : Pourquoi le gouvernement syrien ne peut-il accepter l’existence de deux sortes de groupes [armés] : l’un correspondant aux terroristes, tels ceux de l’EIIL et du Front al-Nosra ; l’autre correspondant aux rebelles, disons, plus civils ? Pourquoi dites-vous toujours que vous combattez uniquement des terroristes ? 

Le Président Al-Assad : Dun point de vue légal, celui qui porte des armes contre les civils ou contre les propriétés privées ou publiques est un terroriste. Je crois qu’il en est de même pour mon pays et le vôtre. Vous n’acceptez pas qu’une soi-disant « opposition modérée » use de ses armes pour atteindre ses objectifs. Aucun pays ne l’accepterait. C’est l’un des aspects de votre question.

L’autre aspect est que nous ne disons pas que tout milicien est un extrémiste. Nous disons qu’actuellement la majorité des groupes armés qui contrôlent certaines régions sont essentiellement des groupes terroristes. L’autre partie, promue comme modérée, est marginale et sans importance. Elle n’a aucune influence sur le terrain et c’est pourquoi la plupart de ses bases rejoignent les extrémistes, non parce que ses éléments sont nécessairement des terroristes, mais par peur, pour l’argent ou le salaire. Donc, si nous disons que nous combattons des terroristes, c’est parce qu’aujourd’hui le vrai ennemi est constitué par des groupes terroristes, principalement Daesh, Al-Nosra, Ahrar al-Cham, et Jaïsh al-Islam.

Question 9 : N’avez-vous pas le sentiment qu’en réalité il y a quand même une différence entre ces deux groupes ? Ces terroristes viennent de l’étranger, d’Arabie Saoudite, de Tchétchénie et de partout dans le monde ; alors que les rebelles sont finalement des Syriens et viendra le moment où vous devrez discuter avec eux. Pourquoi ne pouvez-vous pas commencer dès aujourd’hui ?

Le Président Al-Assad : Nous l’avons fait. Nous l’avons déjà fait. C’est ce que j’ai signifié en évoquant les réconciliations locales. Dans ce cas, vous parlez avec les milices [armées] qui se battent sur le terrain, non avec l’opposition politique. Je suis donc d’accord avec vous sur ce point.

En revanche, lorsque vous parlez de deux sortes de groupes, les Syriens que vous désignez par « rebelles » et les autres, vous négligez qu’en réalité, ils travaillent ensemble. Vous n’avez pas, en Syrie, un groupe [terroriste] composé exclusivement d’étrangers. Vous avez des [terroristes] étrangers mélangés avec des Syriens partageant la même idéologie qui refuse quiconque ne leur ressemble pas et les mêmes espoirs, notamment celui de créer ce qu’ils appellent l’« État islamique » ou équivalent.

Question 10 : Monsieur le Président, vous avez accepté un processus de transition. Quelles sont les prochaines étapes ?

Le Président Al-Assad : C’est un processus qui doit aboutir à un gouvernement d’union nationale auquel se joindront ceux qui souhaiteront en faire partie. Ce gouvernement devra préparer la prochaine Constitution, laquelle sera suivie d’élections législatives qui définiront la forme de la prochaine ou de la nouvelle Syrie. Telles sont les principales étapes de la période de transition.

Question 11 : J’étais ici il y a quatre ans, au moment ou se sont déroulées les élections législatives de 2012. Comment pouvez-vous dire qu’il serait possible de tenir des élections pendant la guerre civile ?

Le Président Al-Assad : Tout d’abord, il n’y a pas de guerre civile. Une telle définition est fausse. Il y a guerre civile quand existent des lignes de démarcation sociales correspondant à des différences sectaires, ethniques, ou autres. Nous n’avons toujours pas cette sorte de lignes, vu le mélange manifeste dans les zones contrôlées par le gouvernement où coexistent toutes les couleurs du spectre social syrien. Vous ne pouvez donc pas parler de cette guerre comme d’une guerre civile. C’est vraiment les terroristes contre tout le reste.

Quant aux élections, il ne s’agit pas d’un passe-temps, de l’opinion du Président ou de l’humeur du gouvernement. Elles renvoient à la Constitution. Notre guerre est motivée par l’indépendance de notre pays, parce que d’autres pays, principalement en Occident veulent, avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, détruire notre pays et transformer la Syrie en État confessionnel comme au Liban et, peut-être, comme en Irak.

La Constitution est aujourd’hui le symbole de l’unité, de la souveraineté et de l’indépendance du pays. Nous devons la défendre. Or, la Constitution n’est pas une simple rédaction sur papier. C’est la manière dont vous la mettez en pratique, notamment en organisant des élections, lesquelles n’appartiennent pas de droit au gouvernement mais à chaque citoyen. C’est aux citoyens de décider s’ils en veulent ou pas. Et si vous interrogez les Syriens, tous souhaitent un nouveau Parlement.

Question 12 : Est-ce que la Constitution et donc la stabilité en Syrie valent plus que des centaines de milliers de vies ?

Le Président Al-Assad : Il n’y a pas de contradiction qui ferait que nous ayons à juger de l’importance de l’un de ces sujets par rapport à l’autre, car sans stabilité vous perdriez des milliers de vies, alors que la stabilité retrouvée vous permettrait de les sauver. Vous ne pouvez donc pas dire que ceci est plus important que cela, la stabilité et la Constitution étant très importantes pour épargner des vies.

Question 13 : L’écrasante majorité des pays et organisations du monde disent qu’il ne pourrait y avoir de solution à la question syrienne avec vous au pouvoir. Êtes-vous prêt à l’abandonner ?

Le Président Al-Assad : Pour ces pays et ces fonctionnaires ? Non, bien sûr que non, car ce n’est pas leur affaire. C’est pourquoi je ne leur ai jamais répondu. Cela fait cinq ans qu’ils le répètent et que nous n’avons accordé le moindre intérêt à ce qu’ils disent. C’est notre affaire. C’est l’affaire de la Syrie. Seuls les citoyens syriens ont le droit de dire qui ils veulent pour président. En tant qu’Allemand, vous n’accepteriez pas que moi ou n’importe qui d’autre vous dicte quel devrait être votre Chancelier ou votre système politique. Vous ne l’accepteriez pas, comme nous ne l’acceptons pas. Par conséquent, non, quoi qu’ils disent, mon destin politique est uniquement lié à la volonté du peuple syrien.

Question 14 : Plus généralement, si les conditions étaient telles que le peuple syrien le voulait, seriez-vous prêt à vous retirer ?

Le Président Al-Assad : Certainement et sans aucun doute. Je le ferais immédiatement sans aucune hésitation, car si vous voulez réussir en tant que fonctionnaire élu à un poste de Président, de Premier ministre ou de n’importe quelle autre fonction, vous avez besoin du soutien du peuple. Sans ce soutien, vous ne pouvez rien accomplir. Alors, que feriez-vous à votre poste ? La volonté du peuple et votre capacité à accomplir quelque chose sont donc liées l’une à l’autre.

Question 15 : Avez-vous déjà une idée sur le timing de cette étape ? Vous savez que plusieurs dates ont été évoquées. Une information issue du Bureau de De Mistura dit que la date la plus probable serait en 2018. 

Le Président Al-Assad : Non, non, ce n’est pas leur affaire. Cela ne fait partie d’aucun plan. Comme je l’ai dit, seuls les Syriens peuvent en décider.

Question 16 : Êtes-vous d’accord que ce que nous voyons en Syrie est une catastrophe humanitaire ?

Le Président Al-Assad : Bien sûr, sans aucun doute.

Question 17 : Alors, pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour que vous autorisiez le plein accès aux zones assiégées ?

Le Président Al-Assad : Non, ce n’est pas vrai. Nous n’avons pas mis si longtemps à en autoriser l’accès. En réalité, ce sont les médias occidentaux qui ont mis beaucoup de temps à reconnaître ce qui se passait sur le terrain. Je vais être très franc avec vous. Posons une question logique et réaliste à la fois : ces zones dont vous parlez, lesquelles seraient assiégées depuis des années par l’armée tout en continuant à la combattre jusqu’aujourd’hui et à lui envoyer bombes et tirs de mortiers ainsi que sur les villes voisines, comment aurions-nous pu les empêcher de recevoir aides et nourriture alors que nous n’avons pas pu les empêcher de recevoir des armes ? Est-ce logique ? Non, ça ne marche pas. Soit l’embargo est total, soit vous ne pouvez pas faire d’embargo. Et si nous n’avons pas fait d’embargo c’est pour plusieurs raisons. Mis à part l’aspect humanitaire, les valeurs auxquelles nous croyons et le sens des responsabilités de notre gouvernement à l’égard de tous les Syriens, imposer un embargo aurait précipité les civils habitant ces régions dans le giron des terroristes.

Une autre raison concrète est pourquoi assiégerions-nous ces villes, citées par vous et récemment par beaucoup d’autres médias, pendant que nous continuons à envoyer des vaccins et les salaires des fonctionnaires à des villes comme Raqqa, laquelle est sous contrôle de l’EIIL ? Comment pouvons-nous faire un embargo ici et ne pas faire un embargo là-bas ? Ce que vous dîtes est contradictoire et irréaliste.

Question 18 : Maintenant que vous avez la couverture du cessez-le-feu, vous est-il possible de garantir aux organisations de secours un accès permanent à ces zones assiégées ?

Le Président Al-Assad : Elles ont travaillé ici au cours de ces dernières années. Nous n’avons jamais dit non. Mais leur travail doit passer par le gouvernement. Elles ne peuvent pas faire comme si le gouvernement n’existait pas. Ceci dit, il est évident que la réalité sur le terrain peut parfois faire obstacle en zones de combats. D’autres fois, il arrive que des conflits surgissent entre ces organisations et les fonctionnaires de notre gouvernement. Mais du point de vue décision politique, nous ne posons aucun problème à l’arrivée des aides partout en Syrie, et nous les soutenons.

Question 19 : Vous avez parlé d’élections en avril prochain. Ne serait-ce pas consulter une fraction du peuple, puisque nombre de Syriens ont quitté le pays pour fuir le chaos ?

Le Président Al-Assad : Oui, mais pour autant la Syrie n’est pas vidée. La majorité des Syriens vit toujours en Syrie, non l’inverse. Ce fut le discours précédant les élections présidentielles, mais le monde a été surpris de voir un pourcentage élevé de réfugiés, à l’extérieur de la Syrie, participer à ces élections. Par conséquent, je crois que chaque Syrien aimerait un tel renouveau dans son pays, parce qu’il redonnera de l’espoir et que c’est naturel pour tout pays et toute culture.

Question 20 : Le gouvernement syrien apprécie-t-il le rôle de l’Allemagne pour son accueil d’un grand nombre de Syriens ?

Le Président Al-Assad : Disons que nous l’apprécions d’un point de vue humanitaire. Nous ne pouvons pas dire que ce n’est pas bien d’accepter des réfugiés ayant quitté leur pays en raison des difficultés qu’ils y rencontrent. Mais ne serait-il pas plus humain de les aider à rester dans leur pays ? Parce que si vous posiez cette question à l’un d’entre d’eux, il vous répondrait qu’il aimerait pouvoir y retourner. Ne serait-il pas moins coûteux d’adopter ou de mener des politiques plus sages et plus prudentes en ce qui concerne la crise syrienne, et de permettre à ces personnes de vivre dans leur pays, en travaillant contre le terrorisme, pour la stabilité de la Syrie, sans s’ingérer dans ses affaires ? Ce serait plus humain.

Question 21 : Y a-t-il un rôle précis attribué à l’Allemagne dans l’ensemble de la question syrienne, ou bien est-elle considérée au même titre que d’autres pays étrangers, tels les États-Unis et l’Arabie Saoudite ?

Le Président Al-Assad : Nous espérons que chaque pays puisse jouer son rôle, particulièrement les pays européens dont l’Allemagne, qui a la plus forte économie et qui est censée mener l’Union européenne non seulement économiquement mais aussi politiquement ; un rôle que nous n’avons toujours pas constaté en pratique, car ce rôle suppose la volonté et que la volonté suppose l’indépendance. La question est donc : combien de fonctionnaires européens sont-ils indépendants de la politique et des politiciens étatsuniens ? Jusqu’à présent, ce que nous avons vu est un copier-coller de ce qu’ils disent et de ce qu’ils font. Par conséquent, je ne peux pas parler de rôle s’il n’y a pas d’indépendance.

Question 22 : Lors de mon dernier voyage en Syrie, je suis allé à Alep. Cette fois-ci, je me suis rendu à Homs. Ce sont des images incroyables, telles des images de l’Apocalypse. Je suppose qu’il n’y a pas de doute sur le fait que l’armée syrienne est en partie coupable de ce qui est arrivé ici. Ma question personnelle, Monsieur le Président, êtes-vous capable de dormir la nuit ?

Le Président Al-Assad : La question plus importante est : suis-je capable de travailler ? Peu importe que vous dormiez ou non. Pour les gens, ce qui importe est de savoir ce que le Président peut faire et de combien de terroristes nous pouvons nous débarrasser, à défaut de les convaincre de reprendre une vie normale. C’est ce que nous faisons tous les jours. Donc, si nous ne pouvons pas dormir, c’est parce que nous devons travailler. C’est précisément de cela qu’il s’agit.

Question 23 : L’ONG « Médecins Sans Frontières » a déclaré qu’en 2015, 94 hôpitaux ont été bombardés, avec le soutien de l’État. Comment est-ce possible ? Je veux dire, vous ne pouvez pas prétendre que, disons-le, ces crimes de guerre ont été commis seulement par la coalition américaine. La Russie et la Syrie ont leur part de responsabilité.

Le Président Al-Assad : Si nous avions voulu commettre ce genre d’actions, nous l’aurions fait depuis longtemps. Nous ne savons pas qui a commis le dernier bombardement [signalé par cette ONG]. Nous n’avons aucune raison de bombarder un hôpital. Quant à ce que vous décrivez comme un crime, c’est évidemment un crime. Mais cela dépend des critères sur lesquels vous vous basez pour user de ce terme. Si c’est sur nos critères à nous, c’est certainement un crime. En revanche, si vous vous basez sur les critères occidentaux, ce n’est plus le cas, pour la simple raison que l’Occident n’a toujours pas appliqué ce terme à sa guerre de 2003 en Irak, où plus d’un million et demi d’Irakiens ont été tués. L’occident ne parle pas non plus de crimes de guerre au Yémen, où les Saoudiens ont commis des atrocités. Il ne parle pas de crimes de guerre en Syrie, quand les groupes armés tuent des milliers d’innocents par des tirs de mortiers et des attentats de kamikazes. Franchement, cela dépend des critères et, selon nos critères, ce sont des actes criminels.

Question 24 : Pour être clair, la plupart des observateurs imputent le bombardement des écoles et des hôpitaux à l’armée syrienne et à la force aérienne russe, précisant qu’il s’agit d’une stratégie de guerre, non de dommages collatéraux. N’est-ce pas un fardeau sur vos épaules ?

Le Président Al-Assad : Une question simple que vous devriez vous poser devant un tel discours : quel serait notre intérêt à agir de la sorte ? Mettant de côté les valeurs et les principes, je vous réponds : non. Non, parce que c’est le gouvernement qui a construit ces installations et ces infrastructures et qu’il a besoin que la population soit de son côté. Pour cela, c’est plutôt lui qui offre les services de base. Une simple question : que gagnons-nous ? Rien. Nous perdons. Nous n’avons donc aucun intérêt à ce faire et c’est un non définitif. Non, nous n’avons pas bombardé cet hôpital, il nous appartient, nous savons que ce sont des médecins qui l’occupent et non des terroristes. Il en est de même pour l’hôpital de Raqqa où sévit l’EIIL et où, comme je vous l’ai déjà dit, nous expédions des vaccins à la population. Pourquoi attaquerions-nous l’hôpital de cette ville ? C’est contradictoire !

Question 25 : Il y a deux ans, au moment où l’armée syrienne était affaiblie et en défaite, nous avons vu le Hezbollah intervenir comme, par exemple, à Al-Qusayr près de la frontière libanaise. Vers la fin de l’année dernière et alors que vous étiez sur le point de perdre Alep, nous avons vu les Russes intervenir pour vous aider, ainsi que nombre de combattants et de conseillers venus d’Iran. Qu’attendent-ils de vous en retour ?

Le Président Al-Assad : Tout d’abord, concernant ce que vous qualifiez de « défaite », toute guerre est en réalité une somme de batailles, certaines que vous perdez, d’autres que vous gagnez. Nous étions donc en train de perdre en un endroit et de gagner en un autre, la situation ne pouvant se ramener à une victoire ou une défaite. Ce n’est pas une guerre facile. Nous nous battons contre des dizaines de pays qui soutiennent ces mercenaires terroristes. Nos alliés et amis, ayant rejoint cette guerre directement ou indirectement, ont une vision différente de la vôtre. Ils ne sont pas venus en Syrie pour aider le président syrien ou le gouvernement syrien. Ils sont venus parce qu’ils savent que lorsque le terrorisme s’installe dans une région, il ne reconnaît pas les frontières. La preuve en est l’EIIL : de Libye, à l’Irak, à la Syrie, il n’a plus de frontières. Ils savent que si le terrorisme finit par contrôler cette région, il débordera ailleurs et non seulement dans les pays voisins. Leur vision de la situation est donc très claire. Ils ne se contentent pas de nous défendre, mais se défendent aussi. Ils ne sont pas venus pour me demander quoi que ce soit. Tous nos amis respectent notre souveraineté sans rien nous demander en retour.

Question 26 : Monsieur le Président, pouvez-vous encore dire que la Syrie est un État souverain. Votre politique n’est-elle pas d’ores et déjà définie à Téhéran ou au Kremlin ?

Le Président Al-Assad : La souveraineté est un terme relatif. Avant la crise, Israël occupait déjà une partie de notre terre. Par conséquent, nous considérions que notre souveraineté ne serait pas totale tant que nous n’aurions pas libéré cette terre. Actuellement, nombre de terroristes traversent nos frontières et nombre d’avions américains et de ce que l’on désigne par « la Coalition » violent notre espace aérien. Donc, en effet, notre souveraineté est incomplète. En même temps, tant que vous avez une Constitution, que les institutions fonctionnent, que l’État fait son travail au service de la population même à un niveau minimal, et surtout tant que le peuple syrien n’est soumis à aucune puissance étrangère ; cela signifie que vous êtes toujours souverain, même si ce n’est pas au sens plein de ce terme.

Question 27 : Revenons cinq ans en arrière quand les soulèvements dans le monde arabe ont commencé, ainsi qu’à Daraa, ville située au sud de la Syrie à la frontière syro-jordanienne. Notre impression est que des jeunes ont été emprisonnés pour avoir inscrit des graffiti sur un mur et que les Forces de sécurité ont frappé très fort lorsque les parents ont manifesté pour les récupérer. Était-ce une bonne idée de réprimer si durement cette sorte de jeunes fous et de déclencher toute la guerre civile qui a suivi ?

Le Président Al-Assad : Pour commencer, toute cette histoire n’a pas existé. Elle n’a pas eu lieu. Ce ne fut que de la propagande. Je veux dire que nous avons entendu parler d’eux, mais que nous n’avons jamais vu ces jeunes prétendument emprisonnés à ce moment là. Ce récit est donc faux. Supposons qu’il soit vrai, ce qui n’est pas le cas, et comparons-le avec ce qui s’est passé aux États-Unis l’année dernière, quand tout le monde discutait et condamnait plusieurs meurtres de citoyens noirs américains par la police. Quelqu’un a-t-il demandé aux gens d’user de leurs mitrailleuses pour tuer, juste parce qu’un policier a commis une erreur ? Ce n’était pas justifiable. Par conséquent, même si les choses s’étaient passées comme vous le dites, ce qui n’a pas eu lieu, ce n’est pas une excuse qui vous permettrait de prendre votre mitrailleuse, de combattre le gouvernement et de tuer des civils et des innocents.

L’autre question : quelles contre-mesures adopteriez-vous face à des gens qui tuent dans vos rues et attaquent les propriétés ? Vous leur diriez : faites ce que bon vous semble, quoi que vous fassiez je reste ouvert, je ne vous répondrai pas ? Ce n’est pas possible. Nous avons une seule option, celle de les arrêter et de les empêcher de continuer à tuer. Face à des mitrailleuses, nous n’allons pas répondre par un lâcher de ballons. Nous devons utiliser nos armes. C’est notre seule option.

Question 28 : La guerre en Syrie déstabilise toute la région, les États voisins comme la Turquie, l’Irak, la Jordanie, le Liban. De plus, elle affecte déjà l’Europe. Ceci fait qu’une large partie du monde est touchée par la guerre syrienne. Que faites-vous pour arrêter ce cauchemar ?

Le Président Al-Assad : Ce cauchemar ne dépend pas uniquement de la Syrie. Depuis le début de la crise, nous avons adopté deux pistes de travail : établir le dialogue avec tout le monde, les pays, les factions et les miliciens, afin de rétablir la stabilité ; combattre les terroristes qui refusent de déposer leurs armes. Mais la question est : à quoi sont prêtes les parties adverses ? Car une part de la catastrophe, ou du cauchemar dont vous parlez, est due à l’embargo occidental qui affecte tous les citoyens syriens sans exception et non seulement aux terroristes qui tuent et détruisent. Qu’est-ce qu’elles sont prêtes à faire pour arrêter le cauchemar et soulager la douleur des Syriens ? Sont-elles prêtes à faire pression sur des pays comme la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar, lesquels soutiennent les terroristes, afin de les obliger à arrêter le passage clandestin de terroristes, la contrebande de toutes sortes d’armes et la fourniture de toutes sortes de supports logistiques ? Telle est la question. Lorsque tous ces États se seront mis d’accord ou, disons-le, auront la volonté de faire leur devoir à ce sujet, je puis vous assurer que nous n’aurons pas de problème pour arrêter ce cauchemar en Syrie.

Question 29 : Ma dernière question, Monsieur le Président. Lorsque votre père Hafez est décédé en 2000, vous avez quitté Londres où vous exerciez votre métier d’ophtalmologiste, pour rentrer à Damas et accéder à vos fonctions. Ayant à l’esprit tout ce qui s’est passé ces cinq dernières années, le feriez-vous encore ? Reviendriez-vous à Damas, ou bien resteriez-vous à Londres ?

Le Président Al-Assad : En fait, dans cette région, la politique fait partie intégrante de la vie de chaque citoyen syrien étant donné les circonstances qui font qu’elle affecte son quotidien. Vous ne devenez donc pas un homme politique par goût, mais par nature. Il en est de même pour moi, d’autant plus que je suis issu d’une famille politique et que j’ai hérité de cette passion. Mais cette passion ne se réduit pas à un passe temps ou à un domaine qui vous plaît. Elle vous ramène à la façon dont vous pouvez servir votre pays. J’étais un médecin dans le secteur public. Je suis désormais un homme politique. Je suis donc passé d’un secteur public à un autre secteur public plus large. C’est toujours le même principe. Et, bien sûr, tant qu’il s’agit d’aider le peuple syrien vous devez être prêt à aider de plus en plus, à continuer encore et encore, jusqu’à ce que vous n’en soyez plus capable et que le peuple syrien ne veuille plus de vous à ce poste.

Journaliste : Je vous remercie beaucoup.

Le Président Al-Assad : Merci à vous

Docteur Bachar al-Assad, Président de la République arabe syrienne, 01/03/2016

Source : SANA [ Syrian Arab News Agency]

http://sana.sy/en/?p=70991

Texte traduit par Mouna Alno-Nakhal

Source : Le Grand Soir, 11-03-2016

Source: http://www.les-crises.fr/bachar-al-assad-lorsque-les-etats-occidentaux-auront-la-volonte-de-faire-leur-devoir-nous-naurons-plus-de-probleme-pour-arreter-le-cauchemar-en-syrie/


Revue de presse du 26/03/2016

Saturday 26 March 2016 at 01:01

Merci à nos contributeurs et bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-26032016/


Apple versus FBI : le choc des pipeaux, par Jef Mathiot

Saturday 26 March 2016 at 00:05

Source : Reflets, Jef Matiot, 24-02-2016

hippies-backdoor

Depuis une grosse semaine, l’affaire Apple vs. FBI c’est le choc des titans. À ma gauche, Apple, championne de la vie privée. À ma droite le FBI, assisté du Department of Justice. L’objet de la querelle ? Le déverrouillage de l’iPhone de l’un des assassins de la tuerie de San Bernardino au mois de décembre. À lire certains commentaires, la seconde Guerre de la Crypto serait déclarée, le sort du monde se déciderait sous nos yeux inquiets.

Une backdoor pour les gouverner tous

Lorsque l’heureux possesseur d’un iPhone, iPad, ou iPod Touch, souhaite y accéder, le fonctionnement est, très schématiquement, le suivant. Il saisit d’abord son passcode. Celui-ci est transmis au système d’exploitation (l’OS). Un compteur du nombre de tentatives effectuées est incrémenté, puis le passcode est transmis à une fonction de dérivation cryptographique. Cette dernière est intégrée dans le SoC (système sur une puce). Il s’agit d’un élément matériel qui contient différents composants essentiels, notamment le micro-processeur. Un identifiant unique (ou UID), un nombre aléatoire et différent sur chaque iTruc, est codé lui aussi directement dans le matériel, dans le SoC. Cet UID est combiné avec le passcode par la fonction cryptographique, qui « dérive » une clé cryptographique (AES 256 bits en l’occurence) qui est ensuite utilisée par l’OS pour déchiffrer les données.

Au fur et à mesure que le nombre de tentatives infructueuses (le nombre de passcodes incorrects) augmente, et pour ralentir les vélléités d’un éventuel attaquant, le délai entre deux essais s’allonge progressivement. Au delà d’un certain seuil (dix essais par défaut), l’iPhone se verrouille et devra être débloqué par une procédure via le logiciel iTunes. Ou, si le propriétaire a choisi cette option plus radicale, les données contenues par l’appareil seront totalement effacées.

Pour déverrouiller le bazar, il y a plusieurs possibilités. Les deux plus évidentes sont à écarter en l’espèce, puisqu’il s’agit de disposer du passcode (merci Captain Obvious) ou de le deviner en moins de dix essais (merci Élizabeth Tessier).

Ceux qui ont du temps à perdre peuvent s’attaquer en force brute à la sortie de la fonction de dérivation qui fournit la clé. Autant le dire tout de go, c’est pas gagné-gagné. En fait, ceux-là seront sans doute morts avant d’avoir réussi, en tout cas beaucoup plus proche de la tombe. 256 bits c’est tout de même un nombre avec 77 chiffres, ça se traite avec respect.

Les Experts : Cyber tenteront, à grand renfort d’acides et autres produits chimiques, de démonter le SoC pour lire l’identifiant unique (l’UID) avec un microscope qui envoie la ganzou. Si l’opération est théoriquement possible, elle est très compliquée en pratique, sinon infaisable. Il s’agit en effet de microscopiques composants électroniques présents dans une « puce » minuscule mais extrêmement dense. La probabilité de réussir est très faible, le risque d’endommager façon puzzle irrémédiablement le matériel est quand à lui extrêmement élevé.

Mission impossible, alors ? Et bien pas vraiment. En effet, la sécurité de l’engin repose sur l’impossibilité pour l’attaquant d’essayer très rapidement un grand nombre de passcodes. Si l’on court-circuite l’étage qui compte et retarde les tentatives – et in fine déclenche le verrouillage de l’appareil ou la destruction des données – on pourra donc enchaîner très rapidement les essais, jusqu’à ce que le sésame tant convoité soit révélé. Ce shuntage est tout à fait possible, si l’on peut démarrer avec une version de l’OS (et du logiciel de la Secure Enclave, sur les versions les plus récentes des appareils pommés) plus tolérante à cet égard.

« Mais alors, vous exclamez-vous, je suis foutu·e ! Les espions chinois soviétiques du FBI ils peuvent rentrer quand ils veulent dans mon iPhone à moi que j’ai !? » Qu’on se rassure, ce n’est heureusement pas si simple. En effet, le logiciel de démarrage intégré au matériel (la Boot ROM) vérifie que l’OS chargé est « signé » cryptographiquement par Apple, qu’il s’agit bien d’un logiciel autorisé par Cupertino. Apple étant en possibilité de signer n’importe quel OS, la firme peut donc développer une version permettant d’attaquer les passcodesen force brute, et c’est très exactement ce qu’un tribunal, le DOJ et le FBI lui demandent de faire.

Il ne s’agit donc pas d’une « backdoor », comme on a pu le lire ici ou là, mais d’un outil de forensics, d’expertise judiciaire. Apple, contrairement à ce que ses communiqués laissent entendre, peut tout à fait créer une version de l’OS qui ne démarre que sur l’iPhone visé. Pourquoi ? Parce qu’Apple est le seul acteur a pouvoir signer cryptographiquement un tel OS. Ses ingénieurs pourraient donc très probablement y implanter du code de vérification permettant d’identifier le matériel, faisant ainsi en sorte que l’OS refuse de démarrer sur d’autres appareils. Les autres acteurs, le FBI notamment, seraient dans l’impossibilité de signer leur propre version, donc de la faire démarrer sur d’autres appareils pour chaluter les données de leurs propriétaires respectifs.

Apple se défend en faisant valoir que cette version d’OS constituerait « l’équivalent d’une clé-maître, capable d’ouvrir des millions de verrous » :

Bien sûr, Apple ferait de son mieux pour protéger cette clé, mais dans un monde où nos données sont constamment menacées, elle serait attaquée sans relâche par les hackers (sic) et les cybercriminels (sic).

Ouh, ça fait peur ! Et vas-y que ça hurle à la backdoor et qu’on va tous mourir à cause que le FBI il demande à la gentille Apple de créer une clé maître. Sauf que l’argument est totalement bidon : cette « clé maître » existe déjà. Il s’agit de celle qui permet à Apple de signer son OS avant de le distribuer à ses clients. Pour quiconque à cette clé en main, c’est la fête du slip de l’iPhone troué. Apple a donc d’ores et déjà ce problème de sécurisation de « clé maître ». Il n’est donc pas tant question de « chiffrement », ou de l’existence ou non d’un OS FBI-friendly, que du processus de signature cryptographique qu’impliquerait sa création.

Chef, chef ! J’ai fait une iBoulette

Du côté du FBI ou du DOJ, c’est ceinture noire de mauvaise foi cynique, septième dan. Sur l’affaire, d’abord. Le FBI n’est visiblement pas démuni pour conduire son enquête – historique des déplacements, SMS, relevés d’appels, données Internet – ainsi qu’une sauvegarde relativement récente du téléphone dans iCloud. Tout cela sans parler des éléments et témoignages qui n’auront pas manqué d’être recueillis par ailleurs. De l’aveu même de Jim Schrödinger Comey, le quantique directeur du FBI :

Peut-être que le téléphone contient la preuve qui permettrait de trouver plus de terroristes. Ou peut-être pas.

Les deux assaillants avaient pris soin de détruire leurs téléphones personnels après l’attaque, mais pas l’appareil concerné. Il s’agit, qui plus est, du téléphone professionnel de l’un des deux tireurs, Syed Farook. La probabilité de trouver du nouveau sur cet iPhone paraît ainsi bien mince. Passons sur le fait, qui serait hilarant en d’autres circonstances, que ce soit les forces de l’ordre elles-mêmes qui aient maladroitement interrompu les sauvegardes iCloud en essayant d’accéder au compte. Oh, la boulette…

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Le DOJ avance que seul l’iPhone de Farook serait concerné. On peut légitimement douter de cet argument, dans la mesure où tout ce que les USA comptent de procureurs ou de policiers est déjà dans les starting-blocks pour demander la même chose, à commencer par le procureur de Manhattan avec ses 175 iPhones bien au chaud. Lesquels appareils n’ont pour l’essentiel aucun rapport avec des actions de terrorisme. Ce qui laisse à penser qu’Apple, ainsi que les Google, Facebook et cie, risquent le cas échéant de devoir recruter pour leur SAV des forces de l’ordre.

Autre argument du DOJ, Apple pourrait « conserver le logiciel en sa possession, le détruire une fois l’objectif atteint, et refuser sa dissémination en dehors d’Apple ». Cet argument est, une nouvelle fois, plutôt bancal à en croire un expert auprès des tribunaux US, Jonathan Zdziarski. Ce dernier nous explique que le FBI l’a joué fine, juridiquement parlant. Ainsi, d’un point de vue juridique, le FBI ne demande pas à Apple d’attaquer ses propres produits, chose qu’un juge aurait trouvé excessif. Au contraire, le FBI ne fait que solliciter « l’assistance raisonnable » d’Apple, la fourniture d’un outil, d’un « instrument ». Le FBI se chargera lui-même de « l’expertise ». L’expert précise ensuite les modalités administratives qui régissent la certification des « instruments » utilisés pour les procédures judiciaires (ici, l’OS modifié). Ce processus de validation, lourd et complexe, exigerait par exemple l’intervention du NIST (l’organe de normalisation technique US) pour les tests, d’un comité scientifique, d’experts de la défense, voire la communication du code source dans certains cas. On imagine mal comment cette procédure, qu’il faudrait de plus recommencer à chaque nouvelle modification, pourrait être compatible avec la stricte non-dissémination du logiciel, ou avec sa destruction.

Des perquisitions sous stéroïdes ?

Le « débat » ne brille donc pas par son honnêteté, nombre de propos tenant de la désinformation. Les arguments techniques, juridiques, politiques, affectifs, quoiqu’ils soient distincts (et parfois contradictoires), se superposent néanmoins allègrement dans un immense foutoir de communication alimentant l’opportunisme des uns et des autres. Le FBI et le DOJ instrumentalisent sans vergogne la peur du terrorisme à des fins politiques. Apple, qui collabore de manière routinière avec les forces de l’ordre, déroule impeccablement sa partition, quand la dite collaboration devient gênante, et enfile son costume de parangon de la privacy. Le commandement du tribunal, d’une portée limitée, a été ordonné par une cour subalterne. Apple fera sans doute appel de toutes les décisions lui étant défavorables, invoquera probablement tout un tas de raisons légales ou de procédures pour retarder l’éventuelle échéance et éviter qu’une décision fasse jurisprudence. L’affaire passerait alors de juridiction en juridiction, potentiellement jusqu’à la Cour Suprême, à la vitesse d’une moule lancée au galop. D’ici là, Apple annoncera en grande pompe la sortie de l’iPhone 12 et le dispositif technique, pour peu qu’il voie le jour, sera probablement obsolète depuis bien longtemps. En résumé, toute cette affaire est montée en épingle par les deux parties.

Néanmoins, la mesure sollicitée par le DOJ et le FBI s’inscrit dans un mouvement amorcé de longue date, visant à transformer certaines entreprises en auxiliaires de justice, de police ou du renseignement, au prétexte d’une opposition assez binaire entre vie privée individuelle et sécurité collective, que Reflets dénonçait dans un précédent épisode. Votre ordinateur, votre boîte mail, votre serveur ou votre smartphone se réduiraient à des projections de votre domicile dans le « monde extérieur », un peu comme l’est votre véhicule. Si l’on file l’analogie, ils ne devraient, selon toute logique, pas échapper aux capacités de perquisition de forces de l’ordre dûment mandatées. Après tout, si les amis du petit déjeuner peuvent venir vous faire un bécot défoncer votre porte à six heures du matin (ou au beau milieu de la nuit, état d’urgence oblige), il n’y a pas de raison que votre smartphone leur reste inaccessible. Les « nouveaux téléphones » (sic), d’après le procureur François Molins rendraient « la justice aveugle », excusez du peu. La question serait donc, pour reprendre les termes d’Olivier Ertzscheid, de savoir si votre smartphone devrait « résister à toute forme de perquisition ».

Mettons de côté l’affaire de San Bernardino, dans laquelle la culpabilité des assaillants ne fait, soit-dit en passant, aucun doute, iPhone ou pas. Une perquisition « classique » à votre domicile n’autoriserait qu’une collecte limitée d’informations. Une perquisition informatique – particulièrement sur un smartphone – permet de déterminer avec une précision diabolique l’historique de vos déplacements, vos centres d’intérêt, relations, et probablement une bonne partie de vos opinions. Cette expérience le démontre. Elle ne porte pourtant que sur des « métadonnées » collectées pendant une semaine. Vis-à-vis des perquisitions au domicile, les perquisitions informatiques constituent donc des intrusions beaucoup plus importantes dans la vie privée des personnes visées (présumées innocentes si ma mémoire est bonne), et dans celle de leurs relations. Ce n’est sans doute pas un hasard si les forces de l’ordre en sont si friands… Et si le législateur, tout à son combat pour la Liberté, fait en sorte qu’elles puissent être distribuées avec tant de générosité. Aveugle, la justice ? En y regardant de plus près, on dirait bien que la technologie la dote au contraire de sens hypertrophiés.

Finalement, la rhétorique sécuritaire en ce domaine peut se résumer à un unique argument : l’ubiquité du chiffrement gênerait le travail des forces de l’ordre. En se focalisant sur la cryptographie, on oublie souvent un fait tout simple : il existe des dizaines de choses qui gênent le travail de la police, qui ont été créées par les sociétés démocratiques pour éviter qu’elle ne soit omnisciente ou qu’elle ne dispose d’un pouvoir disproportionné. À ce qu’on nous a dit, certaines lois ont même été inventées tout exprès. Les drones de combats, les machines à voyager dans le temps et le pouvoir de lire dans les pensées, sont autant d’idées formidables qui rendraient sans doute le travail de la police plus efficace. Cela ne signifie pas qu’elles soient réalisables ou souhaitables.

Pourquoi pas, tant qu’on y est, interdire aux gens d’essayer de préserver leur vie privée ?

Oh, wait.

Mise à jour 09/03/2015 : fait qui nous avait échappé en première analyse, le FBI semble également mentir (on finit par se demander sur quoi l’agence ne pipeaute pas) sur la manière dont le redouté « auto-effacement » fonctionne. Ce ne sont pas les données qui sont effacées par cette dernière, mais une clé qui peut être sauvegardée et être restaurée entre les tentatives. Voir cet excellent article de l’ACLU pour les détails.

Source : Reflets, Jef Matiot, 24-02-2016

Source: https://www.les-crises.fr/apple-versus-fbi-le-choc-des-pipeaux-par-jef-mathiot/