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[Propagande Sortie de l'euro] Télé-irréalité, par Jacques Sapir

Tuesday 17 February 2015 at 00:15

Encore un documentaire de pure propagande visant à manipuler les masses – payé par la redevance en plus !

Bien entendu, ils ne rappelleront pas que Stligitz, Krugman, Sen, allais, Phelps, Friedman étaient / sont contre l’euro…

France 5 va diffuser, mardi 17 février, un soi-disant « documentaire » (en réalité une « docu-fiction ») sur une sortie de l’Euro1 . J’ai été interviewé dans la préparation de ce « document ». Ce que j’en ai vu ne plaide pas en sa faveur. Ce n’est pas l’Euro à la télévision mais la télévision qui se saisit, et dans le plus mauvais sens du terme, de l’Euro. Passons sur le fait que les personnes doutant de l’Euro, ou les partisans d’une dissolution de la zone Euro ne sont que très faiblement représentées. Le plus grave est la volonté consciente et délibérée des réalisateurs de provoquer une inquiétude, voire une panique, dans l’opinion. On détaillera ici les principales remarques.

  1. L’hypothèse présentée (une crise des banques en Italie) est absurde. Aucun pays ne sortira de l’Euro en raison d’une crise bancaire. Nous en avons connu par le passé et il ne fut jamais question d’une sortie de l’Euro. Une crise de liquidité peut être gérée par la BCE ou par la Banque Centrale du pays considéré. Les seules raisons qui peuvent provoquer une sortie de l’Euro sont la question des dettes souveraines et des difficultés économiques de compétitivité insurmontables rendant impératives une dépréciation de la monnaie.
  2. Le ton de cette « docu-fiction » est volontairement alarmiste et même catastrophiste. On sent la volonté délibérée d’affoler la personne qui regarde. C’est une attitude indigne et honteuse de la part de France 5.
  3. De nombreuses erreurs factuelles, que j’avais signalées, sont pourtant reproduites dans cette « fiction ». Il en est ainsi de la question des dettes (aucune mention n’est faite de ce qu’un bon du Trésor est remboursable dans la monnaie du pays émetteur quelle que soit cette monnaie), la question de la hausse des prix est traitée de manière absurde ainsi que la « panique bancaire ». On ne voit pas pourquoi et surtout comment une conversion de l’Euro à une monnaie nationale provoquerait une panique bancaire. Rappelons que dans le cas de la crise de Lehmann Brother, c’était par la destruction d’une partie de l’actif (les dettes considérées comme « mauvaises ») mais surtout en raison d’une crise de liquidité internationale que les banques ont eu des problèmes. Dans le cas d’une sortie de l’Euro, il n’y aura aucune crise de liquidité internationale, et la question du passif des banques a été étudiée en 2012, montrant que dans l’ensemble des pays (sauf l’Espagne) il n’y aurait aucun problème.
  4. L’idée d’une interruption du commerce international, qu’agite ce pauvre Dessertine est tout aussi absurde. Il n’hésite pas à travestir la réalité des faits pour faire passer son discours : la chute du commerce international en 1930 n’est nullement le produit des dévaluations (qui sont pour la plupart survenue après, d’ailleurs), mais de la crise de liquidité générale, engendrée par la faillite des banques américaines. Ce point a été établi il y a des années dans une étude du NBER2  (via la contraction du crédit qui toucha plus particulièrement les firmes commerciales3 ). C’est l’extension de cette crise de liquidité qui a provoqué l’extension de la crise en Europe, et non les dépréciations monétaires ou le protectionnisme4 . Les conditions d’assurance du trafic maritime se sont détériorées et les moyens financiers des négociants maritimes se sont contractés brutalement. Un produit est vendu par une entreprise française en France et non plus en Euro. Si le Franc est dévalué par rapport à l’Euro, cela avantage l’acheteur. Pourquoi ce dernier refuserait-il de faire ce qu’il peut considérer comme une « bonne affaire » ? Le Franc (comme la Lire) se dévaluerait en fonction du déséquilibre actuel de notre balance commercial. Cela implique une dévaluation d’environ 20% (25-30% pour la Lire).
  5. Les effets positifs d’une sortie de l’Euro (relance de l’activité économique, afflux de touristes, investissements étrangers) sont systématiquement passés sous silence. La relance de l’activité viendrait non seulement des exportations mais des gains sur le marché intérieur (substitution aux importations). L’attrait touristique de la France, déjà élevé, se verrait accru par une dévaluation de 20%. Enfin, les investissements directs étrangers seraient attirés à la fois par la baisse du prix (effet de la dépréciation du Franc) et par l’activité économique. De ces aspects positifs, qui se feraient assez rapidement sentir et qui se manifesteraient de 3 à 5 ans à la suite de la dislocation de l’Euro, il n’est rien dit. Cela confirme que l’on est en présence d’une fiction « à charge » dont le seul but est de faire peur.
  6. L’ensemble des discours argumentant qu’une dissolution de la zone Euro conduirait à un retour des conflits qui ont ensanglanté l’Europe au XXème siècle relève de la même démarche. La Suède et la Grande-Bretagne ne font pas partie de la zone Euro (techniquement de l’UEM), et pourtant on ne voit pas les conflits s’exacerber avec ces pays ou bien même entre ces pays. Par ailleurs, peut-on vraiment prétendre qu’il y a aujourd’hui moins de conflits et de ressentiments entre la Grèce, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne qu’il y en avait avant 1999 ? On mesure l’absurdité, mais surtout la malhonnêteté insigne des gens qui nous affirment tout de go que « l’Euro c’est la paix ».
  7. Par contre, deux choses sont montrées qui ont un certain intérêt. D’une part, qu’en cas de sortie d’un pays comme l’Italie (ou l’Espagne) la France ne pourrait pas rester dans l’Euro. C’est un point important. A cet égard, il convient d’oublier toutes les stupidités sur l’appartenance de la France au « Nord » ou encore l’idée d’opposer un « nord » vertueux à un « sud » qui ne le serait point. Il y a des réalités économiques, des spécialisations industrielles, dont les effets s’imposent et s’imposeront, que les politiques le veuillent ou non. D’autre part, que si nous décidons de sortir de l’Euro, il faut le faire vite. Il ne serait pas raisonnable de laisser s’écouler plusieurs semaines entre la décision et son application.

Le téléspectateur peut donc oublier cette « fiction » et ce consacrer à autre chose. Un véritable documentaire accompagné d’un véritable débat reste à produire. Mais il est clair qu’il ne faut compter sur les chaînes du « service public » pour tenir ce rôle, pourtant fort nécessaire, d’information des citoyens.

Source : Jacques Sapir, pour son blog RussEurope

  1.  http://www.lepoint.fr/economie/bye-bye-l-eururo-16-02-2015-1905300_28.php 
  2. A. Estevadeordal, B. Frants, A. M. Taylor, « The Rise and Fall of World Trade, 1870-1939 », NBER Working Papers Series, n° 9318, Cambridge, National Bureau of Economic Research, 2002 
  3. J. Foreman-Peck, A History of the World Economy: International Economic Relations since 1850, New York, Harvester Wheatsheaf, 1995, p. 197. 
  4.  A. Schubert, The Credit-Anstalt Crisis of 1931, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 

Source: http://www.les-crises.fr/tele-irrealite-par-jacques-sapir/


[Reprise] Peut-on sauver l’accord de Minsk ?, par Jacques Sapir

Monday 16 February 2015 at 21:30

Le fragile accord signé à Minsk1 le jeudi 12 février au matin entre Mme Merkel, François Hollande, Vladimir Poutine et le président ukrainien M. Poroshenko est aujourd’hui clairement en crise. Les regards se focalisent sur la question du cessez-le-feu. C’est une question importante, mais qui pourrait masquer d’autres problèmes, encore plus grave. Ainsi, le gouvernement de Kiev a indiqué qu’il n’entendait pas appliquer la « fédéralisation » du pays à laquelle il s’est pourtant engagé. Enfin, il est possible que des troubles politiques affectent les forces de Kiev, voire qu’un coup d’Etat venant de la fraction la plus extrémiste, se produise d’ici les premières semaines.

La question du cessez-le-feu

Le cessez-le-feu doit avoir lieu le dimanche 15 février à 0h00. Pour l’instant les combats continuent. Cela est dû à la volonté de chaque partie de « grignoter » sur la ligne de front, mais aussi à l’élimination progressive des unités de Kiev qui sont encerclées dans la « poche » de Debalstevo. Le principal problème tient à ce que les forces de Kiev doivent faire reculer leurs armes lourdes à partir de la ligne de front tandis que les insurgés doivent faire la même chose à partir de la ligne du 19 septembre 2014. L’idée semble d’avoir voulu donner satisfaction aux deux parties en présence et de créer une « zone tampon ». Mais, si l’on veut que cette zone tampon puisse remplir son rôle (et éviter de nouveaux bombardements ciblant les populations civiles des villes insurgées de Donetsk et Lougansk), il faudra impérativement qu’un corps d’observateur, susceptible de faire de l’interposition entre les deux adversaires soit créé. L’OSCE, qui est nommément désignée dans l’accord n’a pas les moyens de faire cela. De plus, sa légitimité pourrait être contestée. La seule solution stable serait la constitution de contingents de « Casques Bleus » des Nations Unis. Mais, une telle solution doit être acceptée par le gouvernement de Kiev et doit être validée par le Conseil de Sécurité, ce qui implique un accord des Etats-Unis. C’est ici que l’on mesure les limites de la solution Merkel-Hollande. De fait, les Etats-Unis sont aujourd’hui directement part du conflit. Ils doivent donc être associés à son règlement, ou montrer par leur attitude qu’ils ont fait le choix de la guerre. Tant qu’un cessez-le-feu stable, observé et vérifié ne sera pas en place, l’accord sera nécessairement des plus fragiles.

La question du statut des zones insurgées et la souveraineté de l’Ukraine

Mais, il y a d’autres raisons de penser que cet accord pourrait bien ne jamais être appliqué. Les termes de l’accord sont très clairs : un statut de grande autonomie doit être concédé aux insurgés et, sur cette base, le gouvernement de Kiev pourra recouvrer le contrôle de la frontière entre l’Ukraine et la Russie (articles 9 et 11 de l’accord). Or, le gouvernement de Kiev a indiqué son refus d’envisager une « fédéralisation » du pays, dans le cadre d’une refonte de la Constitution, qui devrait être réalisée d’ici à la fin de 2015. De même, le Ministre de la Justice de Kiev, M. Klimkin, s’est déclaré être opposé à une amnistie générale2 . Or, cette amnistie est bien l’une des conditions de l’accord (article 5).

Très clairement, à l’heure actuelle, le régime de Kiev n’a nullement l’intention d’appliquer les clauses politiques de l’accord. Or, on comprend bien que si ces clauses ne sont pas appliquées, la guerre reprendra inévitablement, sauf si l’on s’achemine vers une solution de type « ni paix, ni guerre », ce que l’on appelle un « conflit gelé ». Cependant, une telle solution de « conflit gelé » n’est envisageable que si des forces d’interposition prennent position entre les belligérants. On est donc ramené à la question d’un hypothétique contingent de « Casques Bleus » et de ce fait à la question de l’insertion des Etats-Unis dans le processus d’un accord. On mesure ici, à nouveau, les limites de l’option prise par Mme Merkel et M. François Hollande. A vouloir prétendre que les européens pouvaient trouver sur leurs seules forces une solution à ce conflit, ils se sont enfermés dans une situation sans issue. La position discursive adoptée qui consiste à faire retomber la « faute » de la non-application sur la Russie s’apparente à une ficelle désormais trop grossière. C’est pourtant la voie vers on s’achemine, avec le renforcement des sanctions prises par l’Union européenne3 . Et cela d’autant plus que l’on voit désormais s’ouvrir des failles importantes au sein même du gouvernement de Kiev, très probablement à l’instigation si ce n’est des Etats-Unis, de forces américaines.

Vers un coup d’Etat à Kiev ?

Il faut, à cet égard, regarder de très prés ce que fait le dirigeant de « Secteur Droit », Dmitro Yarosh, l’un des groupes les plus extrémistes (et souvent ouvertement pronazi) de l’espace politique du pouvoir de Kiev. Ce groupe a été directement mis en cause dans le massacre de la place Maïdan4 . Ce personnage a un passé politique chargé, ayant été une sorte d’attaché parlementaire de V. Nalivaïtchenko, un député dont les liens avec le gouvernement des Etats-Unis sont bien connus. Yarosh a été blessé dans les combats de Donetsk. Le groupe qu’il dirige, tout en étant très minoritaire, est très influent dans la Garde Nationale et fournit nombre des combattants des « bataillons punitifs » de cette dernières. C’est là qu’il s’est lié à un oligarque ukrainien I. Kolomoisky5 . Ce dernier s’est constitué un véritable petit royaume privé à partir de Dniepropetrovsk, et surtout Odessa, d’où il finance plusieurs de ces « bataillons punitifs ». Les liens de Kolomoisky avec les Etats-Unis sont nombreux et importants.

Or, dès jeudi 12 au soir, Yarosh annonçait que son mouvement ne reconnaissait pas les accords de Minsk et qu’il comptait établir un « Quartier Général » parallèle à celui existant sous les ordres du Général Muzhenko. Ce dernier s’est attiré l’inimitié de Kolomoisky, qui cherche à le faire remplacer par l’un de ses hommes liges. L’important ici est que Kolomoisky ne s’est pas contenté de financer des bataillons punitifs de la Garde Nationale. Il a aussi recruté entre 400 et 900 mercenaires6 , par le biais des sociétés américaines de contractants militaires. Cela indique que, outre ses liens avec les Etats-Unis, Kolomoisky est désireux de se construire une puissance militaire, peut-être pas sur l’ensemble de l’Ukraine, mais certainement à l’échelle du Sud du pays. Cela implique, de son point de vue, que la guerre continue afin qu’il puisse lui continuer à se renforces.

Mais il y a un autre aspect de la question. Aujourd’hui le gouvernement de Kiev est politiquement divisé (Petro Poroshenko apparaissant à cet égard comme un relatif « modéré ») et surtout techniquement de plus en plus dépendant des Etats-Unis. Des « conseillers » américains occupent plusieurs étages dans les différents ministères. Compte tenu de l’histoire des liens entre Yarosh et les Etats-Unis, on ne peut exclure qu’il puisse représenter une menace de coup d’Etat, si d’aventure le gouvernement actuel devait s’opposer aux intérêts américains.

Ceci montre que les Etats-Unis, qu’ils livrent ou non des armes « létales » à l’Ukraine, sont d’ores et déjà partie prenante de conflit, et d ‘une certaine manière ont acquis une position déterminante dans le gouvernement de Kiev. Ceci expose clairement les illusions de Mme Merkel et de M. Hollande mais nous montre aussi que tant que les Etats-Unis n’auront pas donné leur assentiment explicite à un accord, ce dernier n’a aucune chance d’être respecté. Mais, peut-être peuvent-ils y être contraints.

La question économique

On le sait, l’Ukraine est virtuellement en faillite. Certes, le Fond Monétaire International a évoqué la possibilité d’un prêt de 17 milliards de dollars. Mais, cette somme, si elle est versée et ceci dépend de la réalité du cessez-le-feu, ne règlera rien. Au mieux, si elle est versée, elle assurera la stabilité financière de l’Ukraine jusqu’à la fin de l’année, pas plus. Cet argent ne remplacera pas une économie saine, et des relations commerciales importantes tant avec la Russie qu’avec l’Union européenne. Le futur de l’Ukraine dépend donc d’un accord entre russes et européens. Plus directement, la survie immédiate du pays dépend largement de l’aide consentie par l’Union européenne.

Ceci permettrait à l’Allemagne et à la France, si elles osaient parler clair et fort à Washington, de contraindre les Etats-Unis à s’engager de manière décisive dans le processus de paix. Sinon, l’ensemble du coût de l’Ukraine reposerait sur les Etats-Unis, et il est clair qu’en ce cas le Congrès se refuserait à financer de telles dépenses, qui pourraient d’ici les 5 prochaines années atteindre les 90-120 milliards de dollars.

La question économique est, peut-être, ce qui pourrait permettre d’aboutir à une application réaliste des accords de Minsk, à deux conditions cependant : que l’Allemagne et la France imposent leurs conditions à Washington et que ces deux pays sortent du jeu stérile et imbécile qui consiste à faire retomber, encore et toujours, la faute sur la Russie alors que l’on voit bien que les fauteurs de guerre sont ailleurs.

Source : Jacques Sapir, pour son blog RussEurope, 16/02/2015

  1. Voir ici la déclaration finale des 4 dirigeants : http://interfax.com/newsinf.asp?pg=3&id=571367 
  2. http://www.vesti.ru/doc.html?id=2351431 
  3. http://top.rbc.ru/politics/13/02/2015/54dd2aec9a79475c523efc2e 
  4. Katchanovski I., « The Separatist Conflict in Donbas: A Violent Break-Up of Ukraine? », School of Political Studies, Universitté d’Ottawa, texte préparé pour l’international conference “Negotiating Borders: Comparing the Experience of Canada, Europe, and Ukraine,” Canadian Institute of Ukrainian Studies, Edmonton, October 16–17, 2014
  5. Rosier R., « L’oligarque genevois qui défie Poutine », la Tribune de Genève, 30/05/2014,
  6.  https://www.youtube.com/watch?v=TBAQJ_b6j8w 

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-peut-on-sauver-laccord-de-minsk-par-jacques-sapir/


De Paris à Sydney, le terrorisme est l’héritage des bévues coloniales, par Stephen Kinzer

Monday 16 February 2015 at 01:44

Par Stephen Kinzer, article initialement paru en anglais sur le site du Boston Globe.

Stephen Kinzer est un journaliste américain qui a été en poste dans diverses régions du monde, notamment en Amérique centrale (Honduras) et en Turquie : il a dirigé de 1996 à 2001 le bureau du New York Times à Istanbul.

18 Janvier 2015


« Bien des problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui », déclarait le ministre des affaires étrangères britannique Jack Straw une décennie plus tôt, « sont une conséquence de notre passé colonial ». Euphémisme diplomatique typique. Les guerres au moyen-orient, et leurs récentes retombées à Sydney, Ottawa et Paris, sont l’héritage de bévues coloniales inconsidérées. Elles nous enseignent que bien que le déploiement extérieur de forces puisse permettre de contrôler des terres lointaines pour un certain temps, la finalité s’avère souvent tragique.

En 1921 la diplomate et espionne britannique Gertrude Bell a écrit qu’elle était « horriblement occupée à faire des rois et des gouvernements ». Cela semblait assez romantique. Bell parlait arabe, charmait les scheiks, et pouvait monter à dos de chameau pendant des heures. Nicole Kidman l’incarne dans la super-production prévue pour plus tard dans l’année.

Bell a été une architecte-clé du monde de Sykes-Picot, du Moyen-Orient de la majorité du 20ème siècle. Aux côtés de diplomates comme Mark Sykes et François Georges-Picot – qui dessinèrent arbitrairement les lignes qui définirent les nouveaux pays arabes d’après la première guerre mondiale – d’aventuriers comme T.E. Lawrence, et d’une poignée d’hommes d’état à Londres et à Paris, elle a créé l’ordre qui s’effondre actuellement dans une violence inconcevable. Si un film sur Bell avait été tourné une génération plus tôt, il aurait peut-être été possible de lui donner une fin heureuse. Aujourd’hui, ses camarades colonialistes et elle-même semblent avoir créé une bombe à retardement dont l’explosion secoue actuellement les nations. L’effondrement de l’ordre Sykes-Picot, c’est la grande histoire géopolitique de notre temps.

Mark Sykes - François Picot

Mark Sykes – François Picot

C’est une erreur de considérer séparément – individuellement – les divers conflits politiques et militaires qui font actuellement trembler le Moyen-Orient. Ils font tous partie d’une lutte globale visant à redéfinir la carte de la région. Cette carte sera bien différente de celle que Bell et ses camarades impérialistes nous avaient léguée.

Certains pays du Moyen-Orient sont condamnés. Ils sont des accidents malheureux de l’histoire. Lamentablement, leur effondrement nécessitera des années, et d’immenses coûts en souffrance humaines.

La Syrie, qui fut créée comme protectorat Français, n’existe plus qu’en tant que nom. L’Irak, initialement dominé par l’Angleterre est probablement le prochain sur la liste. La façon dont furent créés ces pays – par des étrangers qui ne s’intéressaient qu’à leurs propres intérêts – garantissait à peu près leur effondrement.

Ailleurs dans le quartier, le Yémen est dans la tourmente. Le Bahreïn n’est discret que parce que son gouvernement sunnite a temporairement réussi à supprimer la majorité chiite. Même le sultanat d’Oman, dans sa longue stabilité, risque de connaitre des troubles une fois que son sultan souffrant ne sera plus.

Le Liban et la Jordanie, deux petits pays qui ont émergé des spasmes impériaux des années 1920, peuvent survivre aux années de guerre à venir, mais c’est loin d’être garanti. Dans la ceinture externe de la région, le futur à long terme de la Libye est lugubre, et les perspectives du Pakistan sont hautement incertaines.

Le candidat à l’effondrement le plus fascinant est l’Arabie Saoudite. Pendant plus d’un demi-siècle les leaders Saoudiens ont manipulé les États-Unis en nourrissant notre addiction au pétrole, prodiguant de l’argent aux politiciens, aidant aux financements des guerres américaines, et achetant à hauteur de milliards de dollars en armement aux compagnies états-uniennes. Aujourd’hui le sol commence à se dérober sous leurs pieds.

Gertrude Bell - espionne britannique

Gertrude Bell – espionne britannique

Le roi Abdallah d’Arabie Saoudite a près de 90 ans et est malade.  L’un de ses demi-frères va probablement lui succéder [NB. C'est fait...], mais cela marquera la fin de la lignée des fils du dirigeant fondateur, Ibn Saud. Après cela, une bataille de pouvoir au sein de la famille royale est probable. Personne ne peut prévoir ni son intensité ni son degré de violence, mais la perspective d’une crise arrive à un moment particulièrement mauvais. La région est en flammes et le prix du pétrole s’effondre. Il serait stupide de penser que l’Arabie Saoudite aura encore la forme qu’elle a actuellement d’ici la prochaine génération.

Dans une région pleine de faux-pays inventés, une puissance musulmane est sûre de survivre : l’Iran. L’opposé d’un faux pays. L’Irak, la Syrie, le Liban, la Jordanie et l’Arabie Saoudite ont moins d’un siècle. L’Iran existe – avec quasiment les mêmes frontières et plus ou moins le même langage – depuis 2500 ans. Les colonialistes n’ont jamais réussi à le diviser et il siège aujourd’hui comme un ilot de stabilité dans une région d’activité volcanique instable.

L’arrogance des colonialistes du Moyen-Orient est facilement observable du point de vue de l’histoire. Lawrence a admis avant sa mort qu’ils avaient commis des « erreurs évidentes ». Gertrude Bell a écrit, « je ne participerai plus jamais à la création de rois ; c’est bien trop de pression ». Aucun des deux n’aurait pu prévoir l’horreur qu’entraineraient leurs décisions. Le chaos actuel est le résultat de leur ingérence ignorante. Une leçon pour les étrangers qui tentent aujourd’hui de façonner le Moyen-Orient.

Stephen Kinzer

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Paris est un avertissement : il n’y a pas de cloison étanche entre nous et nos guerres. (The Guardian), par Seumas MILNE

Les attaques en France sont le contrecoup des interventions dans le monde arabe et musulman. Ce qui arrive là-bas, arrive aussi ici.

La réponse officielle de l’Occident à chaque attaque terroriste d’inspiration djihadiste, depuis 2001, a été de jeter de l’huile sur le feu. Ça a été le cas après le 11 septembre, quand George Bush a lancé sa guerre contre le terrorisme, dévastant des pays entiers et répandant la terreur dans le monde. Ça a été le cas en 2005, après les bombes de Londres, quand Tony Blair a réduit les libertés publiques et envoyé des milliers de soldats anglais en mission impossible en Afghanistan. Et ça a été le cas, la semaine dernière, après les horribles massacres à Charlie Hebdo et dans un supermarché juif de Paris.

En écho à la rhétorique de Bush, la réaction de l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, aux attaques contre “nos libertés” a été de déclarer une “guerre des civilisations”. Au lieu d’être simplement là avec les victimes – et, aussi, par exemple, avec le grand nombre de victimes de Boko Haram au Nigéria – on a élevé le magazine satirique, et sa manière de représenter le prophète Mouhammad, au rang de symbole sacré de la liberté occidentale. La sortie, mercredi, d’une édition de Charlie Hebdo sponsorisée par l’état est devenu le dernier test en date du “qui n’est pas avec nous est contre nous” dans l’engagement à “nos valeurs”, tout cela pendant que les députés français votaient, par 488 votes pour et un seul contre, la poursuite de la campagne militaire en Irak. Si l’on en juge par le bilan des 13 dernières années, cela se révélera être une décision dangereuse, et pas seulement pour la France.

Absolument rien ne justifie l’assaut meurtrier des journalistes de Charlie Hebdo, et encore moins celui des victimes juives sélectionnées sur le seul critère de leur identité religieuse et ethnique. Ce qui est devenu terriblement évident la semaine dernière, en revanche, c’est le fossé qui sépare la manière dont est perçue la position officielle de l’état français en matière de politique intérieure dans le pays et à l’étranger ainsi que par de nombreux citoyens musulmans du pays. Cela est vrai de l’Angleterre aussi bien sûr. Mais ce qui est salué par la France blanche comme une laïcité dénuée de tout préjugé racial, garantissant l’égalité à tous, est vécu par de nombreux Musulmans comme de la discrimination et comme un déni de leurs liberté fondamentales.

Dans un pays où les femmes sont embarquées dans des cars de police à cause de la manière dont elles s’habillent, la liberté d’expression peut aussi donner l’impression d’être à sens unique. Charlie Hebdo prétend pratiquer “l’offense égalitaire”, en insultant toutes les religions. Mais la réalité, comme un de ses anciens journalistes l’a souligné, était que le journal souffrait d’une “névrose islamophobe” et que son fonds de commerce était l’attaque raciste de la minorité la plus marginalisée de la population. Il ne s’agissait pas simplement de “représentations” du prophète, mais d’humiliations pornographiques à répétition.

Malgré tous les beaux discours sur le fait que la liberté d’expression est un droit non négociable en France, la négation de l’Holocauste y est illégale et les spectacles du comédien noir antisémite Dieudonné y ont été interdits. Mais c’est avec le même aveuglement dont les milieux progressistes français ont fait preuve en ne se rendant pas compte que l’idéologie laïque, qui servait autrefois à lutter contre le pouvoir des puissants, servait aujourd’hui à contrôler le segment le plus faible de la population, que le droit de cibler une religion et de l’insulter à qui mieux mieux a été élevé au statut de valeur libérale fondamentale.

Tout le monde a pu constater l’absurdité de la situation à la manifestation “Je suis Charlie”, à Paris, dimanche. Une marche supposée défendre la liberté d’expression était menée par des rangs serrés de va-t-en guerre et d’autocrates : des leaders de l’OTAN et de celui d’Israël, Binyamin Netanyahou, au roi Abdullah de Jordanie et au ministre des Affaires Etrangères égyptien qui, tous autant qu’ils sont, ont harcelé, jeté en prison et assassiné des pléthores de journalistes tout en commettant des massacres et en lançant des interventions armées qui ont fait des centaines de milliers de morts, bombardant, en chemin, les stations de TV de la Serbie jusqu’à l’Afghanistan.

La scène était d’un ridicule achevé. Mais elle mettait aussi en lumière le rôle central de la guerre contre le terrorisme dans les atrocités commises à Paris, et la manière dont les rangs serrés de meneurs de la manif, sont en train de la récupérer pour faire avancer leur agenda personnel. Bien sûr, le cocktail de causes et de motivations qui a présidé aux attaques est complexe : il va de l’héritage de la sauvage brutalité coloniale en Algérie, à l’idéologie takfiri djihadiste, en passant par la pauvreté, le racisme, la criminalité.

Mais ces attaques n’auraient certainement pas eu lieu si les puissances occidentales, dont la France, n’avaient pas attaqué le monde arabe et musulman pour le mettre au pas et le réoccuper. Cette guerre contre le terrorisme dure depuis 13 ans – même s’il y a eu des tentatives bien antérieures de contrôler la région – et sème massivement la destruction et la terreur.

C’est ce que les meurtriers disent eux-mêmes. Les frères Kouachi se sont radicalisés à la guerre d’Irak et ont été entraînés au Yémen par al-Qaida. Cherif Kouachi a dit clairement que les attaques avaient pour but de venger les “enfants des Musulmans en Irak, Afghanistan et Syrie”. Ahmed Coulibaly a dit qu’elles étaient une réponse aux attaques de la France contre Isis tout en affirmant que le massacre du supermarché avait pour objet de venger les morts de Musulmans de Palestine.

Ces assassinats gratuits sont bien sûr tout à fait contre-productifs et nuisent aux causes qu’ils sont censés promouvoir – et le fait que les victimes soient choisies en fonction d’un cadre religieux réactionnaire, donne à penser que ces assassinats sont une sorte de produit mutant des guerres culturelles européennes. Mais ces attaques n’existaient pas avant 2001. Les bombes de 1995 à Paris qui semblent me contredire, étaient en fait une retombée directe de la guerre civile en Algérie et du rôle qu’y jouait la France. Par contre, la guerre de l’Union Soviétique en Afghanistan, il y a 30 ans, a favorisé le développement d’une forme de fondamentalisme violent qui revient en boomerang frapper le cœur de l’occident.

La France est célèbre pour avoir refusé de prendre part à l’agression étasuno-anglaise contre l’Irak. Mais depuis elle a rattrapé le temps perdu en envoyant des troupes en Afghanistan, en intervenant dans un pays africain après l’autre : de la Libye et du Mali à la Côte d’Ivoire et à la République centrafricaine, en bombardant l’Irak et en soutenant les rebelles syriens. Comme l’Angleterre, la France a armé les autocrates du Golfe et basé des troupes chez eux, et dernièrement, le président français a déclaré qu’il était le “partenaire” du dictateur égyptien Sissi et qu’il était “prêt ” à bombarder à nouveau la Syrie.

L’ancien premier ministre français, Dominique de Villepin, chef de file du camp opposé à la guerre en Irak, a dit, cette semaine, qu’Isis était “l’enfant monstrueux” de la politique occidentale. Les guerres occidentales dans le monde musulman “nourrissent toujours de nouvelles guerres” et “elles nourrissent le terrorisme chez nous”, a-t-il écrit, pendant que “nous simplifions” ces conflits “en ne regardant que le symptôme islamiste ”.

Il a raison – mais il ne fait pas partie des leaders qui ont mené la marche en rangs serrés et qui vont utiliser ces attaques pour justifier d’autres interventions militaires. Etant donné les événements de la dernière décennie, les Européens ont de la chance d’avoir eu si peu d’attentats terroristes. Mais le prix à payer est la perte des libertés, la montée de l’antisémitisme et l’islamophobie rampante. Plus nous laissons cette guerre s’éterniser, plus la menace s’alourdit. Dans un monde globalisé, il n’y a pas moyen de s’isoler. Ce qui arrive là-bas, finit par arriver ici aussi.

Seumas Milne

Traduction : Dominique Muselet

»» http://www.theguardian.com/commentisfree/2015/jan/15/paris-warning-no-…

Source: http://www.les-crises.fr/le-terrorisme-est-l-heritage-des-bevues-coloniales/


Ces morts que nous n’allons pas pleurer, par Mathias Delori

Monday 16 February 2015 at 01:37

Une sensation circule depuis l’attentat perpétré contre la rédaction de Charlie Hebdo : nous sommes en train de vivre un « 11 septembre français ». Si on laisse de côté la question du volume (environ trois mille morts d’un côté, une douzaine de l’autre), le parallélisme entre les deux événements saute en effet aux yeux. Dans les deux cas, les attentats ont été perpétrés par des personnes se réclamant de l’Islam. Ils ciblent par ailleurs des personnes civiles et des symboles de la modernité occidentale (la presse ici, le capitalisme là-bas). Enfin, ils mettent en œuvre une stratégie « terroriste » au sens où il s’agit de provoquer une émotion de peur dans le pays touché. Cette idée selon laquelle nous aurions affaire à un « 11 septembre français » a donc fleuri dans les rédactions. Elle conduit les commentateurs à s’interroger sur les leçons à tirer du 11 septembre américain et, plus généralement, à l’attitude à adopter face à cette « menace ».

A ce propos, deux interprétations semblent structurer le débat public. La première, outrancièrement raciste, affirme que l’Islam a déclaré la guerre à l’Occident et que ce dernier est en droit de se défendre. E. Zemmour, M. Houellebecq et d’autres islamophobes vont certainement s’engouffrer dans la brèche dans les prochains jours. Le corollaire de cette vision du monde est la peur ou la haine de l’Islam, peur et haine que les personnes susmentionnées ne récusent pas. La seconde interprétation invite au contraire à ne pas faire d’amalgame entre Islam et terrorisme et à ne faire la guerre qu’à ce dernier. Cette deuxième approche, dominante dans les discours officiels et les éditoriaux de la presse « mainstream », est plus nuancée que la première dans la mesure où elle dénonce la grossièreté de l’opération consistant à assimiler un milliards d’individus aux actes d’une poignée. Elle se présente par ailleurs comme « humaniste » au sens où elle condamne les idéologies haineuses et invite à se recueillir, pacifiquement, en solidarité avec les victimes des attentats.

Bien que différentes en première analyse, ces deux interprétations présentent au moins un point commun : leur dimension très émotionnelle. En effet, elles ne se fondent pas seulement sur des raisonnements articulés mais également sur une constellation (différente) de sentiments et d’affects. D’un côté, les islamophobes grossiers sont animés par des émotions négatives : peur et haine de l’autre, instincts revanchards, etc. D’un autre côté, les « humanistes » semblent traversés, d’abord et avant tout, par des émotions positives : compassion et sympathie avec les victimes, attachement affectif à des « grandeurs » positives (la liberté de la presse, la démocratie libérale, la république, etc.). La dimension émotionnelle de ces deux cadres d’interprétation se donne à voir dans l’espace public quand un groupe de personne brûle passionnellement un Coran et quand d’autres convergent les yeux rougis vers les places de la république pour un moment de recueillement. Ces deux types de scènes ont marqué l’imaginaire américain après le 11 septembre. Internet et les médias français nous passent en boucle leur équivalent français depuis le drame du 7 janvier.

Le caractère public et collectif de ces réactions émotionnelles nous rappelle que les émotions sont tout sauf des réactions spontanées. En effet, ces sentiments qui nous semblent si personnels, si intimes, si « psychologiques » sont en réalité médiatisés par des cadres interprétatifs qui les génèrent, les régulent et leur donnent un sens. Derrière les émotions se cachent des discours, des perspectives et des partis pris moraux et politique dont il importe de comprendre la nature pour bien mesurer leurs effets. Or quelle leçon pouvons-nous tirer de cette observation très générale sur le caractère socialement construit des émotions et de ce qu’on pourrait appeler le « précédent américain » ?

La philosophe J. Butler s’est intéressée aux réactions émotionnelles aux attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. Elle a relevé que ces réactions se sont articulées selon les deux dimensions évoquées plus haut : la dimension négative génératrice de haine, de peur et de désir de revanche et la dimension positive invitant à la compassion et à l’indignation morale face à l’horreur. J. Butler s’est principalement intéressée à la seconde car elle n’a pas, en apparence, le caractère belligène et grossier de la première. Ses conclusions intéresseront peut-être celles et ceux qui s’inscrivent dans le cadre humaniste, affirment « être Charlie » et veulent réfléchir au sens de leurs gestes politiques.

La première observation de J. Butler porte sur le caractère extraordinairement sélectif de ces sentiments de compassion. Elle relève que le discours humaniste a organisé la commémoration des 2 992 victimes des attentats du 11 Septembre sans trouver de mots ni d’affect pour les victimes, incomparablement plus nombreuses, de la guerre américaine contre le terrorisme. Sans nier avoir elle-même participé « spontanément » à ces scènes de commémoration, J. Butler pose la question suivante : « Comment se fait-il qu’on ne nous donne pas les noms des morts de cette guerre, y compris ceux que les USA ont tués, ceux dont on n’aura jamais une image, un nom, une histoire, jamais le moindre fragment de témoignage sur leur vie, quelque chose à voir, à toucher, à savoir? ».

Cette question rhétorique lui permet de pointer du doigt le fait que des mécanismes de pouvoir puissants se camouflent derrière ces scènes apparemment anodines et (littéralement) sympathiques de compassion avec les victimes de la violence terroriste. Ces mécanismes de pouvoir se donnent à voir dans ce qu’on pourrait appeler le paradoxe du discours moderne et humaniste. Alors que ce discours accorde a priori une valeur égale à toutes les vies, il organise en réalité la hiérarchisation des souffrances et l’indifférence de fait (ou l’indignation purement passagère) par rapport à certaines morts : les morts de la « forteresse Européenne » (19 144 depuis 1988 d’après l’ONG Fortress Europe) et les enfants de Gaza – pour prendre deux exemples étudiés par Butler – ou encore les 37 personnes tuées dans un attentat au Yemen le jour même du drame de Charlie Hebdo, pour prendre un exemple plus récent.

Le corolaire pratique de cette observation est que ces cérémonies de commémoration ne sont pas triviales. Derrière leur paravent de neutralité positive, elles sont des actes symboliques performatifs. Ces cérémonies nous enseignent quelles vies il convient de pleurer mais aussi et surtout quelles vies demeureront exclues de cette économie moderne et humaniste de la compassion.

Appliquée à l’actualité française, l’étude de J. Butler apporte un éclairage  sur la réaction officielle et dominante – c’est-à-dire « humaniste » et « compatissante » – au drame de la rédaction de Charlie Hebdo. Cette analyse invite à se décentrer et à s’interroger sur les effets de ces discours et gestes de compassion. Or il n’est pas certain que les effets mis en avant par les partisans de ce discours soient les plus importants. On nous explique que ces discours de sympathie et ces gestes de compassion peuvent aider les familles de ce drame à accomplir leur deuil. Mais ces familles (et les lecteurs de Charlie Hebdo qui ont noué des liens d’attachement à ces victimes) ne préféreront ils pas faire ce travail dans l’intimité ? On nous dit ensuite que ces discours et ces gestes sont une manière de réitérer le principe de la liberté d’expression. Mais qui pense réellement que ce droit fondamental soit aujourd’hui menacé en France, notamment quand celui-ci consiste à caricaturer la population musulmane, laquelle est – et restera vraisemblablement dans les moments à venir – fréquemment moquée, caricaturée et stigmatisée ?

Le travail de J. Butler nous enseigne que ces discours et ces gestes produisent plus certainement des effets belligènes. En effet, on aurait tort de penser que les guerres et la violence ne prennent racine que dans les émotions négatives. Contrairement à une idée fort répandue, la haine du boche et du « Franzmann » n’a pas été le premier moteur de la Première guerre mondiale. Cette guerre a d’abord pris racine dans les sentiments les plus positifs qui soient : la compassion pour les victimes nationales des guerres passées, l’attachement à la communauté nationale ou encore l’amour de grandeurs aussi universalistes que la « civilisation » en France et la « Kultur » en Allemagne.

On a le droit de penser que la guerre contre le terrorisme islamiste est une guerre légitime. Mais il importe d’être conscient d’une réalité statistique. En trente ans, le terrorisme islamiste a fait environ 3500 victimes occidentales, soit, en moyenne, un peu moins de 120 chaque année. Ces 120 morts annuels sont 120 catastrophes personnelles et familiales qui méritent reconnaissance. Ce nombre est toutefois bien inférieur à au moins deux autres : 9 855 (le nombre de morts par arme à feux aux États-Unis en 2012) et 148 (le nombre de femmes tuées par leur conjoint en France en 2012). Cette nécro-économie (E. Weizman) est certainement trop froide. Elle nous enseigne cependant que nos attitudes politiques sont embuées par notre sensibilité différenciée par rapport à la violence. En effet, personne n’aurait l’idée d’envoyer des bombes de 250 kg sur les maisons des auteurs d’homicide aux États-Unis. De même, aucun chef de gouvernement ne penserait à décréter l’Etat d’exception après avoir pris connaissance du nombre de meurtre sexiste et intra-familial en France. Pourquoi cet unanimisme, dans la presse de ce matin, au sujet de la nécessité de ne pas baisser les pouces dans le cadre de la guerre (militaire et non métaphorique) au terrorisme islamiste ?

Cette économie sélective de la compassion produit un deuxième type d’effet en ce qui concerne la perception de la violence d’État occidental. Les discours communautaristes ou racistes ont ceci de particulier qu’ils mettent bruyamment en scène la violence qu’ils déploient. À l’inverse, le discours moderne et humaniste est aveugle par rapport à sa propre violence. Qui a une idée, même approximative, du nombre de morts générés par la guerre américaine en Afghanistan en 2001, par celle des États-Unis et du Royaume-Uni en Irak en 2003 ou encore par l’intervention de la France au Mali en 2013 ? L’une ou l’autre de ces guerres était peut-être légitime. Mais le fait que personne ne soit capable de donner une estimation du nombre de morts qu’elles ont généré doit nous interroger.

Dans ces moments où nous sommes submergés par les émotions, il peut être intéressant de penser à tous ces précédents et à ces morts, à venir, que nous n’allons pas pleurer.

Source : Mathias Delori, Chercheur CNRS au Centre Emile Durkheim de Sciences Po Bordeaux, pour Mediapart

Source: http://www.les-crises.fr/ces-morts-que-nous-n-allons-pas-pleurer/


[Entraide] Je cherche la 2e partie de la semaine de l’éco de vendredi sur France 24…

Sunday 15 February 2015 at 15:50

où je participais ce vendredi 13/02 à 15h15… (la 1ère partie est sur leur site)

Si quelqu’un l’a, me contacter svp

Merci !

Olivier Berruyer

Source: http://www.les-crises.fr/je-cherche-la-2e-partie-de-la-semaine-de-leco-de-vendredi-sur-france-24/


Revue de presse internationale du 15/02/2015

Sunday 15 February 2015 at 05:20

Contre qui se battent finalement les saoudiens côté pétrole ? Les barbouzeries au cours du temps. Menaces sur les sites indépendants d’informations. Un système informatique accessible à tous. Voilà quelques-uns des sujets abordés dans cette collecte d’articles internationaux. Un grand merci à nos contributeurs et bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-15022015/


[Reprise] De Gaulle vu par l’Egypte nassérienne

Sunday 15 February 2015 at 03:30

Au-delà du jeu de miroirs entre la France de De Gaulle et l’Egypte de Nasser, l’étude de Hoda Abdel-Nasser, dont nous publions un extrait, met l’accent sur l’évolution de la position impartiale française vis-à-vis d’Israël après l’agression de 1967.  

« J’ai commencé à admirer De Gaulle durant la seconde guerre mondiale. Je me souviens de lui défilant sur les Champs-Elysées à la libération de Paris. Durant la guerre, j’ai admiré l’officier déterminé à poursuivre la lutte en dépit de toutes les difficultés. De même, De Gaulle a été courageux en ce qui concerne l’Algérie où il affronta la situation sans louvoyer. Il s’agit d’une question de dignité. Je pense que c’est un homme de principes ; je pense qu’en dépit des difficultés, les relations avec lui diffèrent des relations habituelles avec les politiques. C’est un grand privilège pour un homme que d’être en relation avec un homme de principes ».

Telles sont les paroles prononcées par Nasser au sujet de l’impression que lui fit De Gaulle à travers son histoire personnelle, ses prises de position nationalistes, ses initiatives et ses actions politiques.

« Par son intelligence, sa volonté et son courage, exceptionnels, le président Gamal Abdel-Nasser a rendu à son pays et au monde arabe tout entier des services incomparables. Dans une période de l’Histoire plus dure et dramatique que tout autre, il n’a pas cessé de lutter pour leur indépendance, leur honneur et leur grandeur. Aussi nous étions-nous tous deux bien compris et profondément estimés. Ainsi avions-nous pu rétablir entre la République arabe unie et la France les très bonnes relations que leur commandent leur grande amitié séculaire et leur volonté commune de justice, de dignité et de paix ».

Ici, c’est le général qui exprime son estime à Nasser. Les deux dirigeants ne se sont jamais rencontrés, mais durant leur mandat, les relations franco-égyptiennes d’une part et les relations franco-arabes de l’autre ont connu une évolution déterminante sur une période de temps n’excédant pas dix années ; au regard de l’histoire des relations entre les peuples, une telle période semble courte.

De Gaulle est revenu au pouvoir en 1958 à une époque où la France, à l’intérieur, était déchirée et manquait de stabilité, où son image dans le monde était ébranlée, à une époque aussi où les relations franco-arabes étaient au plus bas après la crise de Suez et du fait de la situation de l’Algérie.

Le rôle que la IVe République joua dans l’agression de 1956, son alliance avec la Grande-Bretagne et Israël du fait que l’Egypte se trouvait du côté de la révolution algérienne contre le colonialisme français, pesa lourdement sur la vision que l’Egypte nassérienne avait de la France et ce, pendant plusieurs années. Cette vision ne changea pas simplement du fait de l’arrivée de De Gaulle au pouvoir, les doutes subsistèrent à l’égard des intentions du nouveau gouvernement français conduit par De Gaulle ; ils ne furent levés qu’avec l’acceptation des revendications des Algériens et la reconnaissance par la France de l’indépendance de l’Algérie.

Deux facteurs décisifs

Dans la réalité des faits, il est possible de dire que deux aspects essentiels de l’évolution de la France contribuèrent à changer directement la vision que l’Egypte nassérienne avait de la France de De Gaulle et des relations bilatérales. Ces deux points furent les suivants :

— La reconnaissance par la France de l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962.

— La condamnation par la France de l’agression israélienne contre l’Egypte et les Etats arabes en juin 1967, et la mise en œuvre effective de mesures concrètes de coercition à l’égard de l’agresseur pour qu’il évacue les territoires arabes occupés.

Pour l’Egyptien politiquement averti, il apparut que la position de la France, dans ces deux situations historiques, était inspirée par le général De Gaulle en personne, que celui-ci avait radicalement réorienté le cours de la politique française, et que les orientations tant extérieures qu’intérieures de cette nouvelle politique reposaient avant tout sur ses épaules.

Mais, en même temps, et en marge des deux points précédemment évoqués, il existait de nombreux points « attractifs » dans la politique et la personnalité de De Gaulle de nature à favoriser le rapprochement des deux pays et à contribuer à modifier l’image que l’Egypte nassérienne avait de la France. Il en résulta que la France allait occuper une position différente de celle des autres Etats occidentaux qui nourrissaient de l’hostilité à l’égard de l’Egypte ; sous le leadership de De Gaulle, l’image de la France, entre 1962 et 1969, prit corps en tant qu’Etat soutenant les principes de liberté, de justice et de dignité.

La France de De Gaulle appuie le droit et la justice

La position de la France à l’égard de l’agression israélienne contre les territoires arabes en juin 1967 constitue le second point d’évolution dans les relations franco-égyptiennes ; cette position a contribué de façon substantielle à mettre en évidence le rôle de la France sous la direction de De Gaulle ; elle lui a donné une nouvelle image auprès des Arabes : l’image d’un Etat qui, après s’être départi de son alliance traditionnelle et de sa partialité à l’égard d’Israël, soutenait le droit et la justice.

Après avoir été convaincu que la partie qui avait tiré profit de l’alliance entre la France de la IVe République et l’Etat hébreu était bien Israël et que la France avait perdu son crédit dans le monde arabe, De Gaulle comprit qu’à long terme, l’intérêt de la France passait par un rapprochement avec le monde arabe.

Condamnation de l’agresseur

Dès le début, et avant même que ne se produisent les accrochages militaires, De Gaulle annonça que la France ne soutiendrait aucune des deux parties dans le conflit israélo-arabe et qu’elle condamnerait l’agresseur. En dépit des pressions exercées par Israël et par les organisations juives en France pour que le gouvernement français fournisse du matériel militaire à Israël, en dépit du soutien dont Israël bénéficiait auprès de la majorité militaire à Israël, en dépit du soutien dont Israël bénéficiait auprès de la majorité des organes de presse français et malgré les critiques dont sa personne faisait l’objet, jamais le président français ne revint sur sa position. Une fois les opérations militaires terminées, il annonça que la France refusait le fait accompli résultant des opérations militaires sur le terrain.

Lettre à Nasser

Au lendemain de la défaite de l’Egypte face à Israël, De Gaulle s’engagea personnellement ; il envoya à Abdel-Nasser une lettre dont voici le texte :

« La victoire et la défaite dans les batailles militaires sont des péripéties passagères dans l’histoire des nations ; ce qui importe, c’est la volonté. Comme vous en avez le souvenir, la France a été un temps pour moitié sous l’occupation directe des nazis, pour une autre moitié sous la coupe d’un gouvernement collaborateur. Mais la France n’a jamais perdu sa volonté et elle est demeurée tout ce temps confiante derrière son chef qui était l’expression de sa volonté. Le vrai courage est d’affronter les malheurs ; quand les temps sont heureux, un tel courage n’est pas nécessaire. La paix du monde arabe requiert de vous des efforts et je suis le premier à être d’accord avec vous pour dire que le fait accompli, tel qu’il se présente chez vous maintenant, ne peut fournir de base véritable à une telle paix ».

De Gaulle fut également le premier chef d’Etat occidental à condamner l’agression israélienne contre les Arabes et l’occupation des territoires arabes. Mieux même, il assortit cette condamnation d’un embargo sur la livraison de Mirage et de pièces de rechange pour lesquels des contrats avaient été signés avant l’agression, ce qui conforta le sérieux et la détermination de sa position.

Le retrait comme base du compromis

De Gaulle soutint la position de l’Egypte et la détermination de ce pays à considérer que la solution à la crise du Proche-Orient ne pouvait être trouvée que sur la base d’un retrait complet d’Israël. Il condamna la politique expansionniste d’Israël, exprimant de la sorte la vue pénétrante qu’il avait de l’histoire du conflit israélo-arabe au Proche-Orient depuis la création en Palestine d’une partie pour les juifs au lendemain de la seconde guerre mondiale au milieu de peuples arabes foncièrement hostiles. Bien que la France ait approuvé la création d’un Etat destiné aux juifs, sur une terre qui leur était reconnue par les grandes puissances avec l’espoir qu’ils y vivent en paix avec leurs voisins arabes, De Gaulle déclara qu’après l’expédition de Suez en 1956, Israël était apparu comme un Etat belliqueux et bien décidé à s’agrandir, qui avait œuvré à doubler sa population grâce à l’immigration et laissé accréditer l’idée que la terre qu’il avait obtenue ne suffirait pas dans le long terme qu’en conséquence il procéderait à un agrandissement et profiterait de toutes les occasions qui lui seraient données pour réaliser cet objectif.

De Gaulle présenta la politique de la France pour un règlement du conflit israélo-arabe, règlement fondé sur :

« … L’évacuation des territoires qui ont été pris par la force, la fin de toute belligérance et la reconnaissance réciproque de chacun des Etats en cause par tous les autres. Après quoi, par des décisions des Nations-Unies, en présence et sous la garantie de leurs forces, il serait probablement possible d’arrêter le tracé précis des frontières, les conditions de la vie et de la sécurité des deux côtés, le sort des réfugiés et des minorités et les modalités de la libre navigation pour tous, notamment dans le golfe de Aqaba et dans le Canal de Suez. Suivant la France, dans cette hypothèse, Jérusalem devrait recevoir un statut international ».

La décision de De Gaulle de mettre l’embargo sur l’ensemble des armes et pièces de rechange à destination d’Israël en janvier 1969, à la suite de l’agression menée par Israël contre l’aéroport de Beyrouth avec des avions français et après la destruction d’installations civiles, opération qui indiquait une intention délibérée de suivre une voie belliqueuse que la France ne pouvait continuer à cautionner par des livraisons d’armes, fut une nouvelle étape dans l’affirmation de la nécessité du retrait des territoires arabes occupés.

« La position de la France, conduite par le grand patriote Charles de Gaulle, qui est une des figures marquantes de notre époque, a connu une évolution significative en faveur de la justice et de la paix qui s’est traduite concrètement par l’embargo total sur les exportations d’armes vers Israël ».

Nul n’ignore non plus la campagne qu’Israël et les organisations sionistes lancèrent contre De Gaulle, cette campagne alla jusqu’à demander un boycott juif mondial contre la France, ce qui accrut la sympathie de l’Egypte nassérienne pour la France à surmonter la crise qui touchait alors le franc français.

Le général De Gaulle fut l’inspirateur du changement qui advint dans la politique française vis-à-vis de l’Egypte et plus généralement des Arabes. Il fut le facteur décisif dans la modification de l’image de la France dans l’Egypte nassérienne. C’est au crédit de De Gaulle qu’il faut porter cette évolution radicale, et les paroles prononcées par Nasser après la démission de De Gaulle en 1969 constituent sans doute la meilleure preuve de cette évolution :

« Le général De Gaulle comprend notre cause et il est déterminé à s’opposer à l’agression, il est déterminé à se tenir du côté des principes ; déterminé à obliger l’agresseur à se retirer de tous les territoires occupés. Ceci présente pour nous un acquis ; nous sommes confiants quant à la poursuite de la politique de la France vis-à-vis des Arabes. Autrefois, le peuple français a levé ses nobles principes et quand, dans les faits, le général De Gaulle a adopté cette position, nous avons bien reçu qu’il mettait en œuvre, pratiquement, les objectifs auxquels aspirait la Révolution française… ».

Source : Hoda Abdel-Nasser, pour Counter Psy Ops, repris depuis Al-Ahram

Source: http://www.les-crises.fr/de-gaulle-vu-par-legypte-nasserienne/


Nous sommes tous des hypocrites, par Pacôme Thiellement

Sunday 15 February 2015 at 02:15

Par Pacôme Thiellement, essayiste et réalisateur français

Bienvenue dans un monde de plomb

Nous sommes tous des hypocrites. C’est peut-être ça, ce que veut dire « Je suis Charlie ». Ça veut dire : nous sommes tous des hypocrites. Nous avons trouvé un événement qui nous permet d’expier plus de quarante ans d’écrasement politique, social, affectif, intellectuel des minorités pauvres d’origine étrangère, habitant en banlieue.

Marche citoyenne et républicaine

Nous sommes des hypocrites parce que nous prétendons que les terroristes se sont attaqués à la liberté d’expression, en tirant à la kalachnikov sur l’équipe de Charlie Hebdo, alors qu’en réalité, ils se sont attaqués à des bourgeois donneurs de leçon pleins de bonne conscience, c’est-à-dire des hypocrites, c’est-à-dire nous. Et à chaque fois qu’une explosion terroriste aura lieu, quand bien même la victime serait votre mari, votre épouse, votre fils, votre mère, et quelque soit le degré de votre chagrin et de votre révolte, pensez que ces attentats ne sont pas aveugles. La personne qui est visée, pas de doute, c’est bien nous. C’est-à-dire le type qui a cautionné la merde dans laquelle on tient une immense partie du globe depuis quarante ans. Et qui continue à la cautionner. Le diable rit de nous voir déplorer les phénomènes dont nous avons produits les causes.

À partir du moment où nous avons cru héroïque de cautionner les caricatures de Mahomet, nous avons signé notre arrêt de mort. Nous avons refusé d’admettre qu’en se foutant de la gueule du prophète, on humiliait les mecs d’ici qui y croyaient – c’est-à-dire essentiellement des pauvres, issus de l’immigration, sans débouchés, habitant dans des taudis de misère. Ce n’était pas leur croyance qu’il fallait attaquer, mais leurs conditions de vie. À partir de ce moment-là, seulement, nous aurions pu être, sinon crédibles, du moins audibles.

Pendant des années, nous avons, d’un côté, tenus la population maghrébine issue de l’immigration dans la misère crasse, pendant que, de l’autre, avec l’excuse d’exporter la démocratie, nous avons attaqué l’Irak, la Libye, la Syrie dans l’espoir de récupérer leurs richesses, permettant à des bandes organisées d’y prospérer, de créer ces groupes armés dans le style de Al Quaïda ou de Daesch, et, in fine, de financer les exécutions terroristes que nous déplorons aujourd’hui. Et au milieu de ça, pour se détendre, qu’est-ce qu’on faisait ? On se foutait de la gueule de Mahomet.

Il n’y avait pas besoin d’être bien malin pour se douter que, plus on allait continuer dans cette voie, plus on risquait de se faire tuer par un ou deux mecs qui s’organiseraient. Sur les millions qui, à tort ou à raison, se sentaient visés, il y en aurait forcément un ou deux qui craqueraient. Ils ont craqué. Ils sont allés « venger le prophète ». Mais en réalité, en « vengeant le prophète », ils nous ont surtout fait savoir que le monde qu’on leur proposait leur semblait bien pourri.

Nous ne sommes pas tués par des vieux, des chefs, des gouvernements ou des états. Nous sommes tués par nos enfants. Nous sommes tués par la dernière génération d’enfants que produit le capitalisme occidental. Et certains de ces enfants ne se contentent pas, comme ceux des générations précédentes, de choisir entre nettoyer nos chiottes ou dealer notre coke. Certains de ces enfants ont décidé de nous rayer de la carte, nous : les connards qui chient à la gueule de leur pauvreté et de leurs croyances.

Nous sommes morts, mais ce n’est rien par rapport à ceux qui viennent. C’est pour ceux qui viennent qu’il faut être tristes, surtout. Eux, nous les avons mis dans la prison du Temps : une époque qui sera de plus en plus étroitement surveillée et attaquée, un monde qui se partagera, comme l’Amérique de Bush, et pire que l’Amérique de Bush, entre terrorisme et opérations de police, entre des gosses qui se font tuer, et des flics qui déboulent après pour regarder le résultat.

Alors oui, nous sommes tous Charlie, c’est-à-dire les victimes d’un storytelling dégueulasse, destiné à diviser les pauvres entre eux sous l’œil des ordures qui nous gouvernent. Nous sommes tous des somnambules dans le cauchemar néo-conservateur destiné à préserver les privilèges des plus riches et accroître la misère et la domesticité des pauvres. Nous sommes tous Charlie, c’est-à-dire les auteurs de cette parade sordide. Bienvenue dans un monde de plomb.

Source : Les Mots Sont Importants, 13/01/2015

Source: http://www.les-crises.fr/nous-sommes-tous-des-hypocrites/


Actu’Ukraine – 15/02

Sunday 15 February 2015 at 00:10

Lundi 2 février 2015

•  Sergueï Melnitshuk, l’ancien commandant du bataillon Aïdar aujourd’hui député à la Rada (Parlement ukrainien), est sorti victorieux de son entretien de plusieurs heures avec le Ministre de la Défense ukrainien, Stepan Poltorak. Il a pu annoncer officiellement l’annulation de la dissolution du bataillon au sein de la Garde Nationale devant les dizaines de membres de ce dernier ainsi que des sympathisants qui manifestaient depuis plusieurs jours devant le Ministère.

Tout avait commencé le 29 janvier après l’annonce de Sergueï Melnitshuk de la dissolution, de jure, d’Aïdar. Dès le lendemain, des volontaires de ce dernier bloquent la rue où se trouve le Ministère, manifestent et essayent même de rentrer en force dans le bâtiment face au refus du Ministre de les recevoir.

Les combattants affirment qu’on essaye de les faire passer pour des criminels pour justifier cette dissolution. Sergueï Melnitshuk avait également affirmé que l’armée ukrainienne avait commencé à bombarder les positions du bataillon dans la zone d’opération anti-terroriste (ATO).

Polit.ruru.wikipedia.orghttp://sharij.net

Petit rappel, Aïdar est un bataillon de volontaires (principalement des activistes de Maïdan et des membres de Praviy Sector) formé en mai 2014 et financé par l’oligarque Igor Kolomoïskiy. Officiellement, il dépend du Ministère de la Défense. L’organisation non-gouvernementale Amnesty International l’accuse de plusieurs crimes de guerre dans la région de Lougansk.

•  La République Populaire de Lougansk a annoncé avoir intercepté un missile « Toshka-Ou » (точка-у).

Pour information, c’est un missile balistique ayant une portée de 70 à 120 km dotée d’une ogive de 482 kg. Masse totale, 2 tonnes (Vidéo en russe Youtube).

Une vidéo (en russe) dans laquelle on peut voir les dégâts causés par un engin de ce genre tombé à Donetsk le 20 octobre dernier ( Youtube)

C’est peut-être un engin de ce type qui a causé l’explosion massive à Donetsk quelques jours plus tard (le 8 février).

 •  Le Président des Etats-Unis, Barack Obama, admet, lors d’une interview à la chaîne américaine CNN, que le changement de régime en Ukraine lors de « l’Euromaïdan » en février 2014 est une action des USA (Fortruss, Youtube).

Mardi 3 février 2015

•  Le Président ukrainien, Piotr Poroshenko, louvoie régulièrement entre « je suis pour la fédéralisation de l’Ukraine » (souvent quand il est à l’étranger et se présente comme le Président de la Paix) et « non, l’Ukraine est un pays unitaire » (quand il est en Ukraine et se présente comme un homme fort). Comme dans son discours du 3 février à Kharkov : « L’Ukraine ne sera pas une fédération et restera un pays unitaire. Si quelqu’un en a envie, je peux organiser un referendum sur cette question et nous verrons que plus de 85% des Ukrainiens voteront pour l’unité du pays. Et nous ne donnerons à personne de mettre en pièces notre pays.»

 •  L’Ukraine aurait épuisé les réserves de gaz stockées sur son territoire (Novorossia.today).

•  Ce mardi s’est tenue une conférence commune des leaders de la République Populaire de Donetsk (DNR) et de la République Populaire de Lougansk (LNR). Ils ont longtemps souligné le fait que « les accords de Minsk n’ont pas été interrompu par notre faute. Nous avons envoyé là-bas des représentants officiels avec un réel pouvoir de décision ». M. Plotnitsky, le dirigeant de la LNR a précisé : « Kiev veut nous étrangler, détruire nos maisons, notre économie. Tous les liens qui nous unissaient à l’ancienne Ukraine sont des chemins de la mort. De l’autre côté, la main que nous tend la Russie, un peuple frère, est le chemin de la vie. Aujourd’hui nous voyons précisément qui sont nos amis et qui ne le sont pas. (…) Le sabotage des accords de Minsk est le fait de l’Ukraine et de M. Poroshenko. »

Le deuxième point abordé à été la situation sur le front et l’offensive des insurgés, M. Zakharchenko, le dirigeant de la DNR a confirmé la prise de contrôle totale de l’aéroport de Donetsk, le village de Pesky et la tentative de fermeture du chaudron de Debaltsevo. « On a compris que c’est seulement par la force que l’on peut sécuriser nos villes et arrêter le pilonnage de nos rues. »

Ils ont demandé à l’Europe et aux Ukrainiens d’ouvrir les yeux sur la réalité de la situation et ont encore une fois souligné qu’ils étaient prêts à s’asseoir à la table des négociations (Vidéo en russe sous-titrée en anglais : Youtube)

Jeudi 5 février 2015

•  260 députés sur 450 de la Rada (Parlement ukrainien) ont voté la loi n°1762 s’intitulant « le renforcement de la responsabilité des militaires et l’obtention des commandants militaires de droits supplémentaires ».

En substance, en cas de refus d’obéissance à un ordre d’un soldat, dans « une situation particulière » (sans précision) le gradé aura désormais le droit d’utiliser la force mais sans causer de dommages physique, voire « en période de combats », les armes contre ce dernier. Il faudra seulement éviter de le tuer.

C’est également vrai en cas de négligence, de non-respect de tour de garde, de prise d’alcool (quelque que soit la boisson alcoolisée). Dans ce dernier cas, le gradé pourra également lui mettre une amende voir le mettre aux arrêts jusqu’à 10 jours.

Il y avait déjà pas mal de rumeurs sur les cas de soldats ukrainiens fusillés sommairement par un gradé quand ces derniers refusaient d’obéir. Maintenant, cela s’approche de la légalité (Sharij.net ,Itar-tass.com)

Vendredi 6 février 2015

•  Face à la violence des combats dans le presque chaudron de Debaltsevo, les insurgés et l’armée ukrainienne ont décidé d’ouvrir un couloir humanitaire pour évacuer les civils qui désirent et peuvent quitter le lieu des combats.

Le gouvernement de la République Populaire de Donetsk (DNR) a dépêché une dizaine d’autobus pour évacuer les civils de Debaltsevo et Ouglegorska. Ils ont été accompagnés de journalistes et d’observateurs de l’OSCE.

Les insurgés ont également promis que les civils auront le choix de leur destination, DNR, Russie ou Ukraine.

 Samedi 7 février 2015

•  Le porte parole de la DNR a annoncé la suspension de l’évacuation des civils de Debaltsevo par le couloir humanitaire ce samedi suite à, d’une part, la présence, selon eux, de nombreux soldats de l’armée ukrainienne qui ont quitté ainsi le chaudron. D’autre part, l’armée ukrainienne aurait pilonné au mortier le lieu où l’embarquement des civils par les autobus de la DNR était prévu.

•   La Rada, le Parlement ukrainien, a déchu Yanukovitch de son titre de « Président de l’Ukraine ».

 Dimanche 8 février 2015

  Ruslan Kotsaba, journaliste ukrainien sur le chaîne 112, s’est insurgé contre la dernière vague de mobilisation et a lancé sur sa chaîne Youtube un appel aux Ukrainiens et a annoncé qu’il refuserait, s’il le recevait, son ordre de mobilisation. Il rappelle que la mobilisation est illégale puisqu’ aucun état de guerre n’a été décrété en Ukraine.

En réponse, il est accusé de haute trahison et espionnage et il a été mis en détention préventive de 60 jours pour éviter qu’il puisse fuir… en DNR !

Amnesty International demande la libération immédiate du journaliste ukrainien.

D’autres voix s’élèvent aussi contre des vagues de mobilisation qu’ils jugent illégales. A chaque fois ces personnes sont poursuivis pour haute trahison, espionnage, etc.

Vidéo en ukrainien sous-titrée français de l’appel de Kotsaba (Youtube)

Vidéo en ukrainien sous-titrée français de la réaction de Kotsaba après la décision du juge concernant la détention préventive  (Youtube)

Vidéo en russe sous-titrée français (Youtube)

  Explosion massive à Donetsk qui a laissé un cratère de 10 mètres de profondeur ! (english.pravda.ru) Il est encore trop tôt pour savoir quel type d’arme a été utilisé par les Ukrainiens et dans quel but réel même si l’explosion a touché une usine chimique fabriquant des munitions.

Conférence de presse de Basurin (Youtube).

Youtube

Youtube

 

Source: http://www.les-crises.fr/actuukraine-1502/


Revue de presse du 14/02/2015

Saturday 14 February 2015 at 05:30

QE, Clearstream, évasion fiscale, l’OTAN, BHL (désolé), la gendarmerie, Voltaire et la chariah, les abeilles, un village espagnol qui résiste et le dernier volet sur l’idéologie du travail (les 3 liens précédents figurent en tête d’article). Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-14-02-2015/