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[Reprise] Notes sur le vertige ukrainien, par Philippe Grasset

Saturday 30 August 2014 at 11:53

Un intéressant billet de DeDefensa…

29 août 2014 – Il y a les débats houleux, une poussée soudaine de fièvre, jusqu’à une réunion du Conseil de Sécurité, lancés par les affirmations du président-“roi du chocolat” un petit peu aux abois tout de même, d’une “invasion” russe. “Invasion”, d’abord, le terme est étrange, puisqu’on parle de mille, ou deux à trois mille combattants, ce qui n’a rien d’une “invasion” même si l’on accepte cette version extrême type-Kiev. (On s’en doute, connaissant les circonstances habituelles de ce cirque, les Russes ont déclenché un barrages contre-offensif furieux, défonçant la complète fabrication de la chose, – voir notamment Russia Today, le 29 août 2014.)

Ray McGovern, dans Antiwar.com parlait le 23 août 2014 de l’“invasion” en cours, celle du convoi alimentaire russe (l’“invasion” précédente de celle en cours selon Kiev-guignol, ou bien la précédente de la précédente on ne sait, vu le rythme des annonces dans ce sens). Selon son expérience, il exprimait le simple bon sens qu’une “invasion” russe, c’est vraiment tout autre chose que les multiples bribes de montage que nous balance Kiev-guignol…

«…The West accused those trucks of “invading” Ukraine on Friday, but it was a record short invasion; after delivering their loads of humanitarian supplies, many of the trucks promptly returned to Russia.

»I happen to know what a Russian invasion looks like, and this isn’t it. Forty-six years ago, I was ten miles from the border of Czechoslovakia when Russian tanks stormed in to crush the “Prague Spring” experiment in democracy. The attack was brutal. Once back in Munich, West Germany, where my duties included substantive liaison with Radio Free Europe, I experienced some of the saddest moments of my life listening to radio station after radio station on the Czech side of the border playing Smetana’s patriotic “Ma vlast” (My Homeland) before going silent for more than two decades…»

Inquiétude à Kiev

On en restera là pour la réelle substance de l’“invasion”-du-jour, non sans noter au reste que les chiffres avancées (1 000 combattants “russes”, ou 2 000 ou 3 000) peuvent très bien figurer des infiltrations concernant des initiatives spécifiques, mélangeant des groupes plus ou moins paramilitaires, plus ou moins soutenus par des services ruses. Une guerre dite “civile” de la sorte qui est en cours est pleine de tels mouvements (par exemple, la présence de volontaires français commence à apparaître en nombre substantiel et organisé, comme le montre, vidéo à l’appui, le “Saker-français”, le 29 août 2014), – et cela vaut, bien sûr, pour les deux côtés… Enfin, et puisque nous sommes dans une tragi-grotesquerie où des événements terribles côtoient des circonstances grandguignolesques, les Russes pourraient très bien prétendre à une invasion ukrainienne depuis que plus de 400 soldats ont passé la frontière pour se rendre aux garde-frontières russes début août, suivis depuis par divers contingents qui doivent conduire à un contingent général dépassant le millier…

Ce qui, par contre, relève de la certitude désormais, après plusieurs jours d’informations croisées et finalement vérifiées, c’est un changement de structure de combat des milices du Donbass devenues forces armées de la République Nationale du Donetsk (RND), enchaînant sur un changement opérationnel. Il s’agit de l’évolution d’une structure de guerre mi-guérilla mi-conventionnelle faite avec des petits groupes mobiles assurant une grande souplesse défensive mais peu de capacités offensive de conquérir et de tenir du terrain, réorganisée en unités conventionnelles capables effectivement d’offensives d’occupation. Cela s’est traduit aussitôt par diverses offensives couronnées de succès, facilitées par ailleurs, sinon sollicitées par l’état terrifiant de l’armée ukrainienne, désorganisée, laissée à elle-même sans soutien logistique de Kiev, avec un moral extrêmement bas et, selon la tradition ukrainienne, un commandement corrompu et incompétent.

Ce soudain changement de dimension structurelle et stratégique des forces du Donbass est un événement fondamental parce qu’il secoue directement la structure politique de la direction-guignol de Kiev, ou de la “junte” comme disent les anti-Kiev en élargissant la structure au-delà du seul pouvoir nominal (Porochenko). C’est-à-dire que c’est la structure même de l’Ukraine telle qu’elle avait été installée par l’UE et les USA, pour leurs bénéfices espéraient-ils, qui tremble sur ses bases. Un tweet du radical Oleg Lyachko, un des plus durs au sein de la junte, montre effectivement cette situation (Itar-Tass, le 28 août 2014).

«The situation in eastern Ukraine is very complicated, leader of Ukraine’s Radical Party, parliamentarian Oleg Lyashko said on Thursday. “President [Petro] Poroshenko is indulging in wishful thinking. Several units have been encircled in the Donetsk and Luhansk regions. They cannot break out of the blockade if no measures are being taken,” Lyashko wrote on Facebook. Lyashko said a serious threat was posed to the south of Rostov Region where militias opened the second front. “I can say the defense minister and the chief of General Staff do not adequately react to the situation. No aviation support was provided either to defenders in Mariupol or to volunteers encircled in Ilovaisk,” Lyashko said. He called on the Ukrainian president to appoint a new defense minister and a new chief of General Staff. “The economy should be rebuilt for the war needs. The army does not have enough heavy hardware, artillery, aviation, communications and transport,” Lyashko added.»

La guerre est devenue un facteur stratégique

Par conséquent, quoi que l’on pense de l’“invasion” russe, et même si l’on accepte l’extrême de la croyance-Système en tout ce que gémit le “roi du chocolat” pour appeler le bloc BAO à l’aide, c’est-à-dire si l’on est le secrétaire général de l’OTAN, un fonctionnaire du département d’État ou un journaliste-Système, il est assuré que ce qui est présenté comme un “fait indubitable” (l’“invasion”) n’est certainement pas suffisant pour expliquer le basculement complet de la situation stratégique. Cela signifie que, guerre de l’information-guignol mise à part, la vérité de la situation montre que la guerre du Donbass, à cause de ses prolongements soudain, devient un facteur politique de première dimension dépassant d’ailleurs le Donbass, qui menace les amis de Kiev et pourrait déboucher sur une situation inconnue dans ses composants, marquée par un désordre difficilement contrôlable, fût-ce par la porte-parole du département d’État Jen Psaki. (On peut voir sur les sites habituels, Itar-Tass, Russia Today, les Saker US et français, etc., les indications sur la situation, – et rien absolument rien, à fuir comme la peste sinon pour mesurer l’évolution de leur pensée et de leur trouille, – élément intéressant tout de même,– rien de ce que “pense” dit et écrit la presse-Système à cet égard n’a pour l’instant le moindre intérêt d’information directe. La crise ukrainienne se confirme comme la marche funèbre de la presse-Système dans son rôle de pilier de la démocratie, ou so-disant “4ème pouvoir”.)

En d’autres mots, cette “vérité de la situation”-là (la situation sur le terrain) a fait une incursion en fanfare pour déranger dramatiquement l’agencement qui règne en général dans cette crise, de la présence d’au moins deux mondes (et sans doute plus), sans aucune communication entre eux, présentant des “réalités” sans aucun rapport entre elles. L’état général des choses et des événements est à ce point où il faut que tous, d’une façon ou l’autre, tiennent compte, au moins en partie, de la vérité de la situation. Cela ne garantit absolument pas une sorte de remise en ordre, au contraire cela accélère le désordre en dispensant des zestes de “vérité de la situation” dans ces mondes qui ne communiquent pas entre eux…

Des “mondes parallèles” sans communication

En un rapide a parte, nous citerons un paragraphe de notre texte F&C du 27 août 2014, expliquant que l’affaire ukrainienne est le banc d’essai général d’une puissante rupture dans le domaine de la communication, faisant plonger la perception du monde dans un complet désordre, organisation des ruptures totales de perception qui conduisent à l’existence de “mondes parallèles”. (Il est entendu que, dans cette description disons “objective”, nous sommes absolument du côté antiSystème, désignant par conséquent et identifiant sans hésitation le parti déstructurant et dissolvant, – dans ce cas le bloc BAO dans son unanimité moutonnière et paniquée…)

«Nous proposons l’hypothèse que cette nécessité d’une “référence”, – puisqu’il y a bien nécessité, selon nous, – est apparue en pleine lumière, c’est-à-dire comme impérative, essentiellement avec la crise ukrainienne, après une préparation substantielle avec la crise syrienne. Avec l’événement ukrainien, le système de la communication a pris d’une part une extension d’influence, d’autre part une diversité contradictoire et antagoniste sans aucun précédents concevables. Ce faisant, il a conduit à son terme l’exercice d’un changement de nature de la situation du monde. Littéralement, il a fractionné la perception du monde et il a conduit la situation du monde à un chaos indescriptible et incompréhensible en tant que tel. Le compte-rendu intelligible de la réalité de la crise, entre les différentes fractions, et principalement entre le Système du bloc BAO et assimilés d’une part, les forces antiSystème d’autre part, est devenu totalement impossible dans les conditions d’évolution normale. Toutes les catégories de propagande, virtualisme, production de narrative, etc., ont été pulvérisées et remplacées par l’existence chaotique de plusieurs “mondes”, et principalement d’au moins deux mondes sans aucune communication possible. (De ce point de vue, on dira que la crise syrienne a été un “banc d’essai” de ce maximalisme de communication aboutissant à la rupture totale et non dissimulée des réalités caractérisant la situation ukrainienne.)»

La logique de la destruction de MH17

Ce qu’on décrit de la vérité de la situation en Ukraine, qui est une direction qui pourrait se révéler être aux abois à cause des défaites du Donbass et de sa prodigieuse incompétence pour conduire cette guerre “anti-terroriste” qui devait se réduire à une boucherie type épuration ethnique bien organisée, tout cela explique donc la réaction du bloc BAO. C’est une réaction type “destruction du vol MH17”. Aggravation générale, tocsin, civilisation en danger, – réunion du conseils de sécurité avec une Power vouant la Russie aux gémonies, déclarations diverses et décisives entre dirigeants du bloc, fureur du secrétaire général de l’OTAN, préparations d’un nouveau train de sanctions, entretien téléphonique Obama-Merkel (la Merkel, avec ses attitudes selon la logique du yoyo a de plus en plus de mal à nous convaincre qu’elle a une dimension d’homme d’État), etc. Cet appel à l’aide du “roi du chocolat” a été l’occasion pour lancer une offensive de mobilisation générale.

Bien, jouons les naïfs ou les incompréhensibles (pour certains) en ne faisant pas de notre position sur la réalité de cette “invasion” un point central de notre raisonnement. Jouons au “tout se passe comme si…”. En effet, puisque c’est le parti du bloc BAO/ Kiev-guignol qui est en difficultés graves, c’est au bloc BAO de prendre l’initiative pour tenter d’éviter le naufrage de Kiev-guignol. Par conséquent, “tout se passe comme si” l’“invasion” russe était réelle, simplement pour justifier une mobilisation générale au niveau de la communication (ONU, appel aux sanction et tout le toutim) et tenter d’interrompre une phase cruciale, extrêmement dangereuse pour le Système qui entend faire son miel de cette crise ukrainienne, en maintenant Kiev-guignol en place, en écrasant la révolte du Donbass, en impliquant les Russes alors que la situation leur serait stratégiquement très défavorable, – trois faits, deux réels et l’un hautement spéculatif, qui sont de toutes les façons complètement compromis par la situation stratégique nouvelle. (De même, avec MH17, “tout s’était passé comme si” les Russes avaient abattu le vol, justifiant “une mobilisation générale au niveau de la communication”, avec suffisamment d’à-propos pour interrompre net des manœuvres diverses qui auraient pu mener à un arrangement selon l’“axe” Paris-Berlin-Moscou resurgissant épisodiquement, et qui pouvait ouvrir la voie à un règlement de l’affaire ukrainienne dans un sens non conforme aux intérêts du Système.)

A propos de la “vérité de la situation”

Maintenant, on conviendra que le bloc BAO est dans une position beaucoup moins favorable, pour la relance de la tension, que dans le cas du MH17 il y a un mois et demi. La cause en est que la vérité de la situation compte aujourd’hui beaucoup plus qu’à la mi-juillet où le flou régnait encore en maître sur cette situation. Cette fois, il y a des situations claires qui apparaissent, qui justifient que l’on parle effectivement de “vérité(s) de situation” comme d’un facteur fondamental :

• La guerre du Donbass n’est plus un élément tactique accessoire, taillable et corvéable à merci pour les besoins de la communication. Elle est devenue un facteur stratégique fondamental qui pèse de tout son poids dans l’évaluation de la situation. Désormais, le “roi du chocolat” peut être fondé de dire : l’OTAN doit venir à mon secours, sinon je saute… Et là, c’est une autre paire de manche, 1) parce que l’OTAN n’est pas en mesure d’intervenir directement et efficacement, d’une façon irrésistible ; 2) parce qu’une intervention directe de l’OTAN, – en acceptant tout de même l’hypothèse, – ne serait absolument pas assurée d’être un facteur décisif : les milices du Donbass, devenus une vraie armée, sont un sacré morceau contre lequel les sublimes armées occidentales, ou ce qu’il en reste, pourraient subir un échec catastrophique ; et 3) parce qu’une telle perspective nous conduirait vers les abysses d’une guerre générale en Europe, avec l’horreur de l’option nucléaire.

• La situation de la directions-guignol à Kiev est vraiment, désormais, dans une position extrêmement délicate. Toute la stabilité du montage UE/USA est menacée, et il faudra bien plus d’une Nuland avec ses sacs de hamburgers à deux balles pour redresser ce Titanic-là, parce que l’iceberg qu’il est en train de heurter est d’une sacrée texture.

BHO, l’habileté faite POTUS

… Tout de même, et pour introduire notre partie de commentaire et de conclusion qui va porter sur le fait de l’extraordinaire désorganisation du bloc BAO, – pour rassurer ceux qui avouent leurs craintes de voir leurs teribles maîtres-plans et manigances réussir, – un point accessoire mais significatif, et peut-être pas si accessoire au bout du compter, on verra, certes. Le département d’Etat, a priori, dans le chef de la charmante Jen Psiki, a accepté comme argent comptant les photos de l’OTAN, faite d’ailleurs par une société civile officiellement sans rapport structurel avec l’OTAN ni aucun service de sécurité du bloc BAO, selon une technique désormais acceptée ; ces photos-satellites comme “preuves” de l’“invasion” (les guillemets volent bas…)  : «The US as always sided with Poroshenko’s statements and NATO-offered evidence, with US Department of State spokesperson Jen Psaki saying that Washington has “no reason to doubt their [NATO's] assessment.”» (Russia Today du 29 août 2014)

Du côté d’Obama, par contre, on fait dans la nuance extrêmement prudente en considérant l’“invasion” avec la plus extrême réserve, selon Jason Ditz, de Antiwar.com, le 29 août 2014 : «President Obama was very careful to distance himself from Ukraine’s latest allegations of a Russian invasion, saying that there was “not really a shift” in Russia’s policy toward Ukraine, despite this morning’s claims of thousands of Russian troops in the east.»

Mais Ditz poursuit aussitôt, dans le sens de ce qui nous paraît évident… Ce doute extrême sur la véracité des clameurs de Kiev-guignol, qui a déjà démontré son théâtre grossièrement faussaire à cet égard, n’empêche absolument pas le POTUS en place, entre deux parties de golf, de pencher vers la solution habituelle des sanctions renforcées. Il s’agit d’une punition sans trop de risques (sauf les contre-sanctions qui affecteront l’Europe) pour un crime dont il est hautement probable qu’il n’a pas été commis, – et ainsi l’homme de communication nihiliste qu’est Obama se trouve-t-il satisfait : «Still, Obama is not one to let a crisis go unexploited, even a likely imaginary one, and he is promising to impose yet more sanctions against the Russians, insisting Russia brought the moves on themselves by opposing Ukraine’s crackdown on eastern secessionists. The “invasion,” which US media outlets were reporting as absolute fact, was never explicitly mentioned by President Obama, but was clearly the pretext for the latest round of sanctions.»

L’“invasion”, guillemets au vent

L’enseignement de ces divergences de réactions washingtoniennes, loin d’être coordonnées, ne témoignent que d’une chose, toujours la même chose sans cesse renouvelée : le désordre. D’une façon générale, le bloc BAO montre une inorganisation totale, et cède constamment au réflexe imposé par le Système de la montée aux extrêmes. Ce titre de EUObserver, du 29 août 2014, en nous arrêtant au seul titre et sous-titre du texte, sans nous attarder à son contenu qui développe un raisonnement dont la fausseté et l’inversion sont ainsi parfaitement exposées par avance : «Russian “invasion” of Ukraine alienates EU friends – Germany, France, and Italy have indicated they are willing to impose extra sanctions on Russia due to its overt “invasion” of Ukraine…»

… Que dire d’une “invasion” décrite comme “ouverte” mais dont par ailleurs on n’est sûr de rien, et d’abord de son existence, et qui pourtant conduit des “amis de la Russie” (sic) à punir le coupable, la susdite Russie ? Rien, sinon que l’épisode est décrit par un fou plein de bruit et de fureur, et qui ne nous signifie rien, – sinon sa folie… En réalité, cette folie témoigne simplement de la faiblesse de caractère de tous les dirigeants de ces pays, de leur impuissance à oser porter un jugement qui aille contre le raisonnement de la folie, lequel raisonnement, expressément voulu par le Système, est développé par les irrésistibles mécanismes de la bureaucratie. (Quant à la Russie, on finirait par croire que sa culpabilité se trouve dans ce fait que, selon le gouvernement qu’elle a, les principes qui la gouvernent, les conceptions qu’elle défend, il ne serait effectivement pas impossible ni illogique qu’elle vînt en aide à ses compatriotes du Donbass. C’est cette possibilité-là de la souveraineté et de la légitimité, qui constitue une culpabilité aux yeux du bloc BAO qui ne sait ce qu’est un principe de souveraineté et de légitimité, et nullement dans l’acte d’une hypothétique “invasion”, guillemets au vent…)

De tous les côtés qu’on se tourne, on rencontre les mêmes caractères, c’est-à-dire les mêmes absences de caractère. Le cas Rasmussen, tel qu’il nous l’a été suggéré, est particulièrement remarquable. Ce bon politicien d’un petit pays ayant abdiqué toute souveraineté, c’est-à-dire cet homme politique médiocre qui n’a pas la seule idée que puisse exister un homme d’État, ne représente, dans ses clameurs diverses, que lui-même. Il est décrit comme “un homme seul”, qui prend souvent conseil de sa porte-parole (on imaginerait plutôt l’inverse), une Roumaine qui garde la rancune tenace et antirusse de la domination soviétique sur son pays, et lui-même, Rasmussen, qui dirige la rédaction de communiqués incendiaires sans autre consultation. Qu’est-ce qui le guide ? L’alignement comme le reste, certes, la piètre ambition pour un esprit si bas de figurer un rôle dans ce qu’il croit être une posture historique, et surtout le fait, nous dit-on, qu’«il y croit» (à l’infamie et à l’ambition hégémonique de la Russie). Un tel bilan laisse sans voix.

Otages de Kiev-guignol

Il n’y a aucune raison de croire que le reste n’est pas, avec des nuances et des positions variables, dans le même esprit. Par conséquent, nous aurons un durcissement continuel de la politique dans les paroles (c’est ce qu’ils ont de plus banalement facile), des sanctions de plus en plus fortes selon les vœux des bureaucrates, des renforcements divers pour soutenir Kiev-guignol auquel ils seront liés jusqu’au bout, – c’est-à-dire, otages par faiblesse de caractère, par mollesse de jugement, par incompréhension du monde… Illustration à nouveau (voir le 24 mai 2014) de la situation décrite par Immanuel Wallerstein, selon laquelle les manipulés sont de plus en plus, jusqu’à l’être complètement, les manipulateurs de leurs manipulateurs…

(Répétons la chose, pour l’avoir bien dans notre caboche : «Most analysts of the current strife tend to assume that the strings are still being pulled by Establishment elites… [...] This seems to me a fantastic misreading of the realities of our current situation, which is one of extended chaos as a result of the structural crisis of our modern world-system. I do not think that the elites are any longer succeeding in manipulating their low-level followers… [...] I think however that step one is to cease attributing what is happening to the evil machinations of some Establishment elites. They are no longer in control…»)

… Par bonheur, sapiens ne jouant plus qu’un rôle accessoire, celui de figurant tout juste dans la pièce de la crise d’effondrement du Système, l’action de tous ces figurants de la crise ukrainienne n’est qu’un simple apport collatéral pour participer à l’aggravation de la situation qui répond à des impératifs plus hauts. Dans ce cas de l’Ukraine, il en sera fait ainsi : l’envolée et la fortune militaire du Donbass répondent à une légitimité évidente des revendications de cette région, après le traitement qu’elle a subi ; les revers des forces ukrainiennes répondent, elles, à l’illégitimité du pouvoir, se traduisant dans la plus complète désorganisation, et le plus grand désintérêt de ce pouvoir pour ces forces une fois qu’elles sont engagées dans la boucherie.

Les événements vont leur train, certes, et ils ont fait la situation d’aujourd’hui incomparablement plus dangereuse qu’elle n’était un mois et demi plus tôt, lors de l’épisode du MH17. Les exclamations du bloc BAO n’empêcheront pas les forces du Donbass, si c’est leur destin et si c’est de leurs capacités, de poursuivre leur avancée et de déstabiliser toujours plus et toujours plus profond le pouvoir à Kiev-guignol. Quelles que soient sa volonté d’accommodement et d’arrangement, Poutine ne pourra éviter de constater que ces événements le placent dans une position où il ne pourra plus éviter un engagement, que ce soit, au minimum, une reconnaissance d’un Donbass qui établirait son territoire et pourrait ainsi proclamer son indépendance. Au-delà de cette sorte d’hypothèse, on trouve tous les ingrédients pour une aggravation de la situation générale autour de l’Ukraine, mais qui pourrait d’abord toucher, – c’est le vrai grand espoir qui doit subsister, – la cohésion des pays du bloc BAO lorsque les tensions et les conséquences de restriction de la crise auront atteint une mesure insupportable.

Source : DeDefensa (pensez à la soutenir aussi)

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Ah tiens, en plus d’avoir la Démocratie, les Suisses ont aussi des journalistes…

Source: http://www.les-crises.fr/notes-sur-le-vertige-ukrainien/


[Reprise] La Russie nous surprendra toujours, par Emmanuel Todd

Saturday 30 August 2014 at 05:53

L’historien Emmanuel Todd a entrevu en 1976 la fin de l’URSS avec un essai au titre provoquant : La chute finale. Aujourd’hui, dans un entretien inédit avec Herodote.net, il prend à nouveau l’opinion à rebrousse-poil en annonçant la renaissance de la Russie et l’effondrement de l’Ukraine. Avec des chiffres que nos dirigeants auraient intérêt à méditer.

Herodote.net : Vous tentez de comprendre les sociétés humaines et entrevoir leur futur à travers leurs indicateurs démographiques. Depuis quarante ans, la Russie est l’un de vos terrains de chasse favoris. Cela tombe bien. Au moment où elle fait à nouveau trembler l’Europe, dites-nous comment vous la percevez.

Emmanuel Todd : En 1976, j’avais découvert que la mortalité infantile était en train de remonter en URSS et ce phénomène avait troublé les autorités soviétiques au point qu’elles avaient renoncé à publier les statistiques les plus récentes. C’est que la remontée de la mortalité infantile (décès avant l’âge d’un an) témoignait d’une dégradation générale du système social et j’en avais conclu à l’imminence de l’effondrement du régime soviétique.

Aujourd’hui, disons depuis quelques mois, j’observe à l’inverse que la mortalité infantile dans la Russie de Poutine est en train de diminuer de façon spectaculaire. Parallèlement, les autres indicateurs démographiques affichent une amélioration significative, qu’il s’agisse de l’espérance de vie masculine, des taux de suicide et d’homicide ou encore de l’indice de fécondité, plus important que tout. Depuis 2009, la population de la Russie est repartie à la hausse à la surprise de tous les commentateurs et experts.

C’est le signe que la société russe est en pleine renaissance, après les secousses causées par l’effondrement du système soviétique et l’ère eltsinienne, dans les années 1990. Elle se compare avantageusement, sur de nombreux points, à bien des pays occidentaux, sans parler des pays d’Europe centrale ou de l’Ukraine, laquelle a sombré dans une crise existentielle profonde.

La mortalité infantile

La mortalité infantile (décès avant l’âge d’un an pour mille naissances) est sans doute l’indicateur le plus significatif de l’état réel de la société. Il dépend en effet tout à la fois du système de soins et des infrastructures, de la nourriture et du logement dont disposent les mères et leurs enfants, du niveau d’instruction des mères et des femmes en général…

Le graphique ci-dessous témoigne des progrès spectaculaires accomplis par les trois pays issus de l’ancienne URSS depuis la fin du XXe siècle. La Russie, partie de très haut (plus de 20 décès pour mille naissances) a rattrapé l’Ukraine et se situe à peine au-dessus des États-Unis.

Plus déroutants encore sont les progrès de la Biélorussie, qui se situe désormais au niveau de la France (3 pour mille). Qui l’eut cru de ce « trou noir » au milieu de l’Europe, dirigé par un obscur autocrate ? On verra qu’en tous points la Biélorussie colle à la Russie. Les deux pays ont des structures familiales similaires et la Biélorussie, au contraire de l’Ukraine, se satisfait d’une indépendance restreinte.

Herodote.net : Mais quelle fiabilité pouvons-nous accorder à ces statistiques ?

Emmanuel Todd : La plus grande qui soit. Les données démographiques ne peuvent pas être trafiquées car elles ont leur cohérence intrinsèque. Les individus dont on a enregistré un jour l’acte de naissance doivent se retrouver dans les statistiques à tous les grands moments de leur existence et jusqu’à leur certificat de décès. C’est pour cela que le gouvernement soviétique a cessé de publier les taux de mortalité infantile quand ils lui ont été défavorables.

Ça n’a rien de comparable avec les données économiques ou comptables que l’on peut allègrement trafiquer comme l’ont fait le gouvernement soviétique pendant plusieurs décennies ou les experts de Goldman Sachs quand ils ont dû certifier les comptes publics de la Grèce pour lui permettre d’entrer dans la zone euro…

Les cigognes retrouvent le chemin de la Russie

L’indice de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme) témoigne du renouveau démographique de la Russie même s’il est encore inférieur au seuil de remplacement des générations (comme dans tous les pays développés). Relevons dans les comparaisons ci-dessous l’effondrement de la Pologne catholique qui, visiblement, n’a pas profité de son entrée dans l’Union européenne.

1993 1999 2005 2013
Russie 1,7 1,2 1,4 1,7
Biélorussie 1,8 1,3 1,2 1,6
Ukraine 1,8 1,3 1,2 1,5
Pologne 2,0 1,5 1,2 1,3
France 1,8 1,7 1,9 2,0
Allemagne 1,4 1,3 1,3 1,4
États-Unis 2,0 2,0 2,0 1,9

Source : World Population Data Sheet / INED, Population & Sociétés.

Herodote.net : Ce regain de vitalité de la Russie est donc une surprise pour vous ?

Emmanuel Todd : Oui, tout à fait. Dans Après l’Empire, un essai consacré aux États-Unis et publié en 2003, j’ai envisagé cette éventualité dans un chapitre intitulé « Le retour de la Russie » mais je n’avais aucune donnée statistique me permettant de l’étayer. Je faisais seulement confiance à ma perception de la société russe, de ses structures familiales et étatiques.

C’est peu dire qu’elle n’est pas partagée par mes concitoyens. Dans les dernières années, j’ai été exaspéré par le matraquage anti-russe de la presse occidentale et en particulier française, avec Le Monde au coeur du délire !

Herodote.net : Vous exagérez !

Emmanuel Todd : Pas du tout. Ces médias ont réussi à aveugler l’opinion sur le redressement spectaculaire de la première puissance militaire du continent européen ! Ce faisant, je ne crains pas de le dire, ils nous ont mis en situation de risque.

La CIA s’est elle-même laissée abuser par ses préjugés. En se focalisant sur le désastre démographique des dernières décennies du XXe siècle, elle a cru à la disparition prochaine de la Russie. De même que l’Union européenne, elle a mal évalué les nouveaux rapports de force entre la Russie et ses voisins et c’est comme ça que, de maladresse en maladresse, on a abouti à l’annexion de la Crimée et à la guerre civile en Ukraine.

Herodote.net : Vous oubliez Poutine, sa brutalité, son homophobie…

Emmanuel Todd : Sur l’homophobie, je ne suis pas compétent, même si je suis à titre personnel favorable au mariage pour tous. Le magazine Marianne m’a confié il y a quelques semaines l’analyse d’un sondage sur la sexualité politique des Français et j’avoue que ça m’a beaucoup amusé…

Plus sérieusement, c’est vrai que le président russe n’a rien d’un social-démocrate ou d’un libéral. Interrogé par Le Point en 1990, j’avais dit qu’il ne fallait pas imaginer que la Russie devienne un jour une démocratie à l’anglo-saxonne. Ses structures familiales et étatiques s’y opposent tout autant que la violence inscrite dans son Histoire.

Mais la « poutinophobie » ambiante nous a masqué l’essentiel, ce que révèlent de façon claire les indicateurs démographiques : la chute de l’URSS a accouché d’une grande société moderne et dynamique, avec notamment un haut niveau d’éducation hérité de l’ère soviétique, des filles plus nombreuses que les garçons à l’Université et un bilan migratoire positif qui atteste de la séduction qu’exerce encore la société russe et sa culture sur les populations qui l’environnent.

Cela débouche sur ce que je qualifie faute de mieux de « démocratie autoritaire » ; un régime fort et même brutal, qui a néanmoins le soutien implicite de la grande majorité de la population.

Les filles à l’assaut de l’Université

Le pourcentage de filles par rapport aux garçons dans l’enseignement supérieur est un indicateur intéressant du degré de modernité d’une société et de la place qu’y tiennent les femmes ou qu’elles sont appelées à y tenir (source : OCDE, 2013).

Suède – 140 filles pour 100 garçons
Russie – 130
France – 115
États-Unis – 110
Allemagne – 83

Herodote.net : Permettez-moi d’insister mais un président issu du KGB, la police politique soviétique, ça n’a rien de très moderne.

Emmanuel Todd : Et alors ? Le KGB et son avatar actuel, le FSB, sont des viviers pour les élites russes. Hélène Carrère d’Encausse a dit, en ironisant, qu’ils sont l’équivalent de l’ENA pour la France. Disons qu’ils participent de la nature violente du pays !

Le spectre d’Ivan le Terrible s’éloigne

Sur le chapitre des moeurs, on note de lentes améliorations en Russie, qu’il s’agisse des taux de suicide et d’homicide ou de l’espérance de vie masculine, longtemps plombée par l’alcoolisme et la violence.

1998 2010
taux de suicide (décès pour 100.000 habitants) 35,5 30
taux d’homicide (décès pour 100.000 habitants) 22,9 10
espérance de vie masculine 61 ans 64 ans

Pour rappel, le taux de suicide est de 16 pour 100.000 habitants en France (2008) ; le taux d’homicide est de 4,2 pour 100.000 habitants aux États-Unis et de 1 pour 100.000 habitants en France (2013).

Les graphiques ci-dessous représentent l’espérance de vie à 60 ans des femmes et des hommes. Ils témoignent du retard accumulé par l’URSS depuis les années 1950 et du redressement récent, qui demeure fragile.

Herodote.net : Vous nous assurez que la société russe se porte plutôt bien mais son économie, elle, va mal.

Emmanuel Todd : En matière d’économie, je ne veux pas trop m’engager. Notons simplement que les 1,4% de croissance de la Russie et son taux de chômage de 5,5% feraient pâlir d’envie le président Hollande. Et pour ne pas l’accabler, je ne dirai rien de l’indice de popularité de son homologue russe.

Mais il est vrai que la Russie vit pour l’essentiel sur une économie de rente fondée sur l’exploitation de son sous-sol et, de plus en plus, sur son agriculture. Pour le reste, elle s’en tient à une politique protectionniste destinée à protéger ce qui reste de son industrie.

Le pays a deux atouts : un territoire immense de 17 millions de km2 plein de richesses potentielles et une population de 144 millions d’habitants (2013) qui compte encore beaucoup de scientifiques de haut niveau, malgré le départ de 800.000 juifs pour Israël.

Ces deux atouts déterminent la stratégie de Poutine : protéger le territoire et ses ressources avec une armée performante, en attendant que l’économie mondiale achève sa transition vers l’Asie et les nouvelles technologies. On le voit mal faire un autre choix comme d’accueillir des industries de main-d’œuvre ou développer des entreprises exportatrices de biens de consommation.

Mais je m’en tiens là-dessus à des hypothèses. Ce qui, par contre, ne relève pas de l’hypothèse mais du réel, c’est le réconfortant redressement de la démographie russe. Il témoigne d’une santé qui ferait envie à de nombreux pays européens…

Cela dit, n’exagérons rien. Si par malheur, il devait arriver que je sois chassé de ma patrie, ce n’est pas en Russie que je me réfugierais mais aux États-Unis selon une tradition familiale bien établie !

Propos recueillis par André Larané pour Herodote.net, le 28 mai 2014

Source: http://www.les-crises.fr/la-russie-nous-surprendra-toujours/


[Reprise] Dangereux dirigeants, par Alain Garrigou

Saturday 30 August 2014 at 01:53

Dangereux dirigeants

http://www.les-crises.fr/wp-content/uploads/2014/08/head-gears.jpg

Comment peut-on nier l’évidence ? En étudiant les mécanismes de dissonance cognitive, Leon Festinger a élucidé ce mystère [1]. En s’attachant aux communautés millénaristes annonciatrices de la fin du monde, lesquelles refusaient d’admettre — sinon sur un calcul — s’être trompées lorsqu’elle n’advenait pas, il pointait des individus auxquels on attribue au moins un soupçon de folie [2]. Son analyse des dénis de réalité conservait un parfum d’irrationalité finalement rassurant. Il faut cependant convenir que la défense opposée par l’homme de foi à la réalité qui le dément s’applique très généralement à l’homme politique : « Supposons qu’un individu croit de tout cœur à quelque chose. Supposons aussi qu’il est engagé et a commis au nom de cette conviction des actes irréversibles. Supposons enfin qu’on lui fournisse la preuve incontestable et sans équivoque du caractère erroné de sa croyance. Que se passe-t-il bien souvent ? Non seulement l’individu ne sera pas ébranlé mais il en sortira plus convaincu que jamais de la “vérité” de sa foi. Peut-être ira-t-il jusqu’à montrer une ardeur nouvelle à convaincre et à convertir des profanes [3] ».

La dissonance cognitive est un pathos beaucoup plus grave au centre de la politique où elle menace le monde. Prenons les récents événements irakiens : les djihadistes de l’EIIL mènent une offensive en direction de Bagdad en s’emparant au passage des armes laissées par les Etats-Unis. On se souvient que l’intervention de 2003 était justifiée par un mensonge, celui des armes de destruction massive inexistantes. Sûr de son succès, le principal initiateur de l’aventure, Dick Cheney, avait eu cette formule, à placer parmi les plus belles inepties de l’histoire : « Les Irakiens nous accueillerons en libérateurs ». Accompagnés par le Royaume-Uni de Tony Blair, les Etats-Unis avaient donc le projet d’instaurer la démocratie et la paix par les armes. Il est vite apparu qu’en détruisant le régime de Saddam Hussein, ils préparaient une guerre civile meurtrière, sanctionnée par des centaines de milliers de morts irakiens et quelques milliers de soldats américains, et contribuaient à placer au pouvoir les chiites soutenus par leur pire ennemi, l’Iran. Un fiasco comme il en existe peu, d’autant plus grave qu’il était annoncé. Ne manquaient plus que les djihadistes. Comment réagirent les responsables de l’intervention de 2003 ? Croit-on qu’ils se turent ? Bien au contraire, cela leur donnait raison.

Pour Dick Cheney, l’offensive djihadiste serait la faute de l’administration Obama qui a refusé d’intervenir en Syrie, laissé le pays s’enfoncer dans la guerre civile et servir de base au djihadisme. Une administration qu’il accuse aujourd’hui de se préoccuper de réchauffement climatique, à coup sûr un sujet négligeable pour l’ancien PDG de l’entreprise pétrolière Halliburton. A cet égard, on ne saurait lui reprocher l’incohérence : l’initiateur de la guerre pour le pétrole ne saurait accepter qu’on se soucie d’environnement. Si l’intervention en Syrie a été abandonnée au dernier moment, c’est notamment à cause de sa justification — l’usage d’armes chimiques par le régime syrien contre sa population —, qui rappelait trop la tricherie tragique de George W. Bush. Le Parlement britannique se chargea d’ailleurs de le rappeler au premier ministre David Cameron, qui renonça. Au concert des justifications folles, citons encore la voix de son prédécesseur Tony Blair, « caniche » de Bush en 2003, qui déclarait récemment que si l’intervention en Irak n’avait pas eu lieu, le Proche Orient serait aujourd’hui en guerre (Le Monde, 19 juin 2014).

Quel mal affecte donc l’esprit de ces dirigeants qui ne sauraient jamais convenir qu’ils se sont trompés ? Les néocons américains ont sans doute quelque affinité intellectuelle avec les millénaristes, dont ils partagent les traits psychiques sectaires. En France, ils sont plus difficile à approcher tant ils sont rares. Toutefois, en ayant croisé des spécimens dans mon entourage universitaire, j’ai été confronté aux paralogismes de la mauvaise foi. Comme le notait immédiatement Leon Festinger, « l’homme de foi est inébranlable. Dites-lui votre désaccord, il vous tourne le dos. Montrez-lui des faits et des chiffres, il vous interroge sur leur provenance. Faites appel à la logique, il ne voit pas en quoi cela le concerne. Nous savons tous d’expérience ce qu’il y a de dérisoire à essayer de changer une conviction forte… ».

Alors que je donnais rendez-vous à ce partisan de l’intervention en Irak de 2003 dans dix ans afin d’en évaluer le succès, il me répondit que la meilleure armée du monde chargée d’apporter la démocratie aux Irakiens ne pouvait que réussir. En eût-il été autrement, il ne serait pas à cours de ressources rhétoriques, m’assurait-il, ayant dirigé une organisation étudiante dans sa jeunesse [4].

Sans doute la responsabilité de milliers de morts pèse-t-elle sur la conscience de dirigeants politiques pris en flagrant délit de mensonge. Tellement insupportable qu’il leur est impossible de l’admettre. La dissonance cognitive apparaît comme un mécanisme élémentaire de faiblesse. Non point une faiblesse ordinaire de citoyens sans pouvoir, mais celle de chefs politiques qui, incapables de bien juger, deviennent incapables de se déjuger et dès lors, dangereux.

La dissonance cognitive opère aussi au-delà des questions tragiques où les humains font face à de colossales responsabilités. Il suffit d’écouter des dirigeants de l’opposition non seulement critiquer le gouvernement — c’est leur devoir — mais expliquer doctement ce qu’ils feraient à sa place. Et préparer leur retour. Le plus souvent évoqué, celui de Nicolas Sarkozy, laisse dubitatif. N’était-il pas au pouvoir il y a seulement deux ans ? Avec un bilan très négatif si l’on se fie aux statistiques économiques et aux affaires, et un programme non tenu puisqu’il est à nouveau proposé. En somme, l’ancien président prétend aujourd’hui gouverner pour faire ce qu’il n’a pas fait au cours de son mandat. On serait tenté de mettre l’amnésie sur le compte de traits de caractères personnels. Mais son ancien « collaborateur » François Fillon semble atteint du même mal quand, devant la Thatcher Conference, think tank ultralibéral, il promet de mener une politique… ultralibérale. Cinq ans à Matignon ne lui ont pas suffi. Il faut donc des boucs émissaires : « Les médias sont très majoritairement à gauche. Et nos universités sont des foyers de marxisme » (Huffington Post, 19 juin 2014).

Parfait exemple de professionnel de la politique, François Fillon n’a jamais exercé d’autre métier puisqu’il fut assistant parlementaire dans la Sarthe dès sa sortie de l’université. Comme Nicolas Sarkozy, il aura trouvé dans la politique l’occasion de se venger des professeurs qui lui ont mis des mauvaises notes au cours de ses ternes études – sur Marx qu’il ne connaissait pas, ou tout autre sujet dont on imagine que la trépidante vie politique ne donne pas le temps d’approfondir. Au même moment, Nicolas Sarkozy montrait de l’audace (il est vrai que la conférence rémunérée était organisée par le cabinet Deloitte) en assurant : « la meilleure façon de combattre les extrémistes c’est de les laisser aller au pouvoir pour que les gens comprennent que, en plus de leur fanatisme, ils sont nuls. » (Nice Matin, 18 juin 2014). Sans doute l’orateur n’a-t-il jamais su qu’en 1933, ce même argument avait été utilisé par Franz von Papen pour convaincre le président maréchal Hindenburg de nommer chancelier Adolf Hitler.

Il n’est pas nécessaire de donner tant d’exemples de la mauvaise sélection du personnel politique que déplorait Max Weber dans un autre pays et dans un autre temps [5]. La médiocrité intellectuelle et morale d’une partie importante (la partie supérieure, semble-t-il), du personnel politique français, est dangereuse puisqu’elle conduit à ne pas comprendre ses échecs, à aligner les clichés et les incohérences. Bref, à persévérer.

Que dire encore de l’obstination de la politique néolibérale en France ? Il a suffi d’habiller de quelques équations mathématiques l’autorégulation par le marché pour faire oublier qu’il s’agissait là d’une autre forme de foi dans la providence qui résiste obstinément à la raison. La lecture de la presse depuis deux décennies suffit à convaincre que rien n’a changé dans les grandes orientations politiques. Il est toujours question de critères de convergence et de déficit inférieur à 3 % pour satisfaire les accords de Maastricht, de la nécessité de privatiser pour réaliser l’Europe de la concurrence, de réduction des dépenses de l’Etat pour équilibrer le budget, de baisse des impôts pour encourager l’entreprise. Si les mêmes buts continuent d’être affichés, c’est bien que quelque chose ne fonctionne pas depuis vingt ans. Au lieu de cela, on nous explique qu’il n’y a pas d’autre politique possible ! Que diront-ils nos dirigeants politiques si, par malheur (!), ils échouent ? A qui la faute ? Pas à eux, n’en doutons pas. Il y aura toujours des boucs émissaires : une conjoncture défavorable, le peuple rétif, l’université marxiste, la presse à gauche ou le manque de chance. Cela n’empêchera pas les responsables de chercher un placard doré à Bruxelles ou ailleurs, selon un paradoxe ancien dont se moquait Marc Bloch dans les circonstances tragiques de 1940, lorsqu’il remarquait que les chefs militaires vaincus recevaient le pouvoir « des mains du pays qu’ils n’ont pas su faire triompher [6] » . S’agissant des deux principaux personnages dont il parlait, Hindenburg et Pétain, le danger n’était pas surestimé.

Alain Garrigou

1. Leon Festinger, Cognitive Dissonance, 1959.
2. Leon Festinger, Hans Rieken, Stanley Schachter, L’échec d’une prophétie, PUF, 1993.
3. Ibid., p. 1
4. Faute de néocons et selon une conception dévoyée du pluralisme, la presse française lui donne parfois la parole pour justifier les massacres faits au nom du mensonge.
5. Max Weber, Œuvres politiques (1895-1919), Paris, Albin Michel, 2004. Cf. Alain Garrigou, « La médiocrité du personnel politique occidental », in L’Etat du monde (sous la direction de B. Badie et D. Vidal), Paris, La Découverte, 2011.
6. Marc Bloch, L’étrange défaite, Paris, Gallimard, 1990, p. 56.

Source : Alain Garrigou, Le Grand Soir, aussi disponible sur le blog Monde Diplo d’Alain Garrigou

Source: http://www.les-crises.fr/dangereux-dirigeants-par-alain-garrigou/


Revue de presse du 30/08/2014

Saturday 30 August 2014 at 00:01

Nous avons besoin de volontaires pour participer aux revues de presse, chargés de suivre certains sites. Vous pouvez nous contacter ici (en précisant si vous préférez des sites en français ou en anglais). Merci d’avance.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-30082014/


[Ukraine] L’ultimatum de l’UE contre la Russie – un nouveau Rambouillet ?

Friday 29 August 2014 at 01:57

par Williy Wimmer, ancien secrétaire d’Etat au Ministère fédéral allemand de la défense et vice-président de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE

Les chefs d’Etats et de gouvernements de l’UE n’ont rien appris de leur visite à Ypres à l’occasion du centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914. L’ultimatum visant la Russie équivaut à un Rambouillet II. Et quand est-ce qu’on passera à l’attaque?

Une récente enquête effectuée par une fondation d’Allemagne du Nord a clairement démontré à quel point le soutien de la population allemande à l’égard de l’orientation martiale du gouvernement fédéral et du Président, de l’UE et de l’OTAN envers la Russie, est faible. Peter Gauweiler, chef adjoint de la CSU et député du Bundestag de Munich, a mis l’accent sur ce constat dans son important discours, tenu devant les diplômés de l’Université de la Bundeswehr de Hambourg. La décision de l’Union européenne, présentée par les présidents sortants Barroso et van Rompoy, va accentuer cette aversion pour de très bonnes raisons.

Est-ce qu’en Europe le moment est à nouveau venu de lancer des ultimatums à l’instar de celui lancé en 1914 à la Serbie ? L’Union européenne demande à la Russie d’entrer, dans un délai de 72 heures, en négociation sur le «plan de paix» du président ukrainien. Et sinon, va-t-on riposter par la force dès 5 h 45 ?
On a l’impression que la Commission européenne et le Conseil européen à Bruxelles, représentés par les messieurs susmentionnés, sont totalement dérangés et qu’ils veulent absolument précipiter le continent dans le malheur. Nul besoin d’avoir visité Ypres avec ses immenses cimetières militaires, pour découvrir à quel point ce langage et cette attitude sont fatals.

Il y a précisément 15 ans, on a emprunté ce chemin «avec succès», en voulant forcer la République fédérale de Yougoslavie, par de soi-disant «négociations» à Rambouillet en France et en rupture avec les prétendus «Accords de Vienne», à des pourparlers internationaux, afin d’obéir au dictat de l’OTAN qui exigeait le passage par la Yougoslavie. Afin que Belgrade le comprenne bien, l’OTAN avait présenté des projets qui correspondaient en détail aux plans d’Adolf Hitler envers la Yougoslavie lors de la Seconde Guerre mondiale. Rambouillet était – aujourd’hui, nous ne le savons que trop – seulement le prétexte pour la guerre qui suivit peu de semaines plustard avec le bombardement de Belgrade. Lors de la guerre de Yougoslavie, l’OTAN avait encore fait le détour abject par les morts de Racak, que l’OSCE, représentée à Pristina par William Walker, voulait absolument attribuer à la Serbie.

Les sanctions économiques envisagées représentent-elles le pas intermédiaire avant que des violences éclatent pour de bon? Ce que les Etats-Unis ont déjà causé en Irak, en Syrie et au Moyen- et Proche-Orient tout entier ne leur suffit pas? Ne peuvent-ils pas se contenter d’y avoir mis le feu aux poudres? Faut-il attiser une guerre contre la Russie?

Après la guerre olympique de la Géorgie contre la Russie on ne peut faire autrement que de penser que des attaques se préparent dans l’ombre d’événements sportifs internationaux. L’Europe politique pratique-t-elle l’exact opposé de l’esprit olympique, selon lequel la paix et un esprit pacifique doivent régner sur des événements tels qu’au Brésil aujourd’hui?
Pourquoi donc un ultimatum contre la Russie, pourquoi des sanctions économiques? Pourquoi la Chancelière allemande ne s’active-t-elle pas auprès du «Bundestag» et en fait «sa cause»? Pourquoi – et c’est là que ça doit avoir lieu – ne dit-elle pas aux dames et aux messieurs au sein du parlement allemand, et par eux au public allemand, où elle voit les raisons, qui justifient un tel comportement envers un voisin européen qui nous a accordé il y a 25 ans le passage à l’unité étatique de notre nation? Que se passe-t-il dans la tête de la Chancelière qui a prêté serment sur le bien-être du peuple allemand? N’est-ce pas sa versatilité qui a empêché, sous un prétexte cousu de fil blanc, un accord de coopération avec l’Ukraine il y a deux ans? Seulement à cause de la dame à la natte blonde en couronne, à qui la plupart des Allemands ne souhaitent pas attribuer la moindre influence sur les intérêts allemands? Madame la Chancelière préfère manifestement prendre la voie administrative par Bruxelles, afin de ne pas devoir dire la vérité au peuple allemand et de nous refuser toute explication.

Nous sommes déjà habitués à ce que le secrétaire général de l’OTAN braille d’une manière ignoble et attise à chaque occasion la haine contre la Russie. Ses exposés le prouvent. Lorsque certains procédés russes à la frontière russo-ukrainienne soulèvent ou soulèveront des questions: pourquoi l’OTAN, l’UE, la Chancelière et le ministre des Affaires étrangères ne consultent-ils pas l’OSCE, conçue pour cela? Que les Britanniques soient félicités pour avoir publiquement annoncé la nouvelle voie qu’ils prendront en tant qu’avant-poste de l’Europe. Bruxelles vante des sanctions économiques et augmente par là le risque d’une guerre en Europe. Cameron en même temps, fait signer des accords d’un montant de plusieurs milliards entre BP et Rosneft, une entreprise russe. Naturellement, cela ne va empêcher ni Londres ni les puissants à Washington de continuer à pousser l’Europe de l’Union européenne dans le désastre. L’ultimatum de l’UE envers la Russie, n’est rien d’autre.

Source : Horizons et débats


«Il est pourtant clair que les cartes mentales des dirigeants du monde, en particulier en Occident, sont attachées au passé. Ils ne veulent ou ne peuvent pas reconnaître qu’ils devraient peut-être réviser leur vision du monde. S’ils ne le font pas, ils risquent de commettre des erreurs stratégiques désastreuses.»
Kishore Mahbubani. Le défi asiatique. Fayard 2008. AN13: 978-2-213-63752-5

Source: http://www.les-crises.fr/ukraine-lultimatum-de-lue-contre-la-russie-un-nouveau-rambouillet/


[Reprise] « La crise ukrainienne est en train de dégénérer en véritable génocide », par Francis Boyle

Friday 29 August 2014 at 01:51

Reprise d’une interview de RT du 4 juillet

“Alors que les russophones sont exterminés en Ukraine par le « mauvais » gouvernement dirigé par des fascistes néo-nazis, la Russie doit agir et prévenir le génocide, dit à RT Francis Boyle, Professeur de Droit International de l’Université d’Illinois.

 

 

RT : La situation à l’Est de l’Ukraine est désormais terrible. Au moins 200 personnes ont été tuées et 600 autres blessées dans les combats qui se déroulent dans les régions ukrainienne de Donetsk et Lugansk. Le premier ministre Yatsenyuk [ex. premier ministre – NdT] traite officiellement les Russes de « sous-hommes », tout comme le faisait Hitler. Dans les zones qu’elle n’a pas encore prises, l’armée de Kiev a coupé les couloirs humanitaires de sorte que la famine est désormais aussi catastrophique que le bombardement. Selon vous, le comportement de Kiev est-il génocidaire ?

Francis Boyle : Oui, je crains que ce à quoi nous assistons dégénère en génocide. Je le dis en m’appuyant sur mon expérience en tant qu’avocat de la partie Bosniaque dans le procès en génocide à la Cour pénale internationale [à la Haye – RT], ainsi que sur les deux ordonnances mesures provisoires de protection [technique judiciaire de protection des droits fondamentaux – NdT] prises pour eux. Nous constatons depuis un certain temps des crimes contre l’Humanité et des crimes de guerre manifestes. Et je crains maintenant que cela dégénère en véritable génocide, si ce n’est pas déjà le cas.

La Russie comme l’Ukraine sont signataires de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 et, dans ces circonstances, ma première recommandation au président Poutine serait de couper le gaz à l’Ukraine, totalement, même plus un mètre cube de gaz. Couper le gaz puis annoncer que, étant donné que la Russie est signataire de cette convention, et selon son article Un, la Russie a l’obligation de « prévenir le génocide ». Si ce n’est pas encore un génocide, cela le deviendra très rapidement. Je pense que le président Poutine peut et doit le faire maintenant, et s’il coupe le gaz, cela forcera l’arrêt immédiat de tout cela. Nous savons qu’en droit international la doctrine du parens patriae (parent de la patrie) autorise un État à agir dans l’intérêt de personnes qui ne sont pas ses propres citoyens. En l’espèce la Russie peut sans aucun doute intervenir en tant que parens patriae au nom des russophones d’Ukraine qui sont actuellement exterminés par un gouvernement mauvais dirigé par un groupe de néo-nazis fascistes. Je pense que même le Président Poutine a utilisé le terme « exterminer » et c’est exactement ce qui se passe.

RT : Quelqu’un pourrait-il poursuivre l’Ukraine devant la Cour pénale internationale pour génocide contre les russophones ?

Francis Boyle : Oui, la Russie peut poursuivre l’Ukraine ; les deux États sont signataires, je pense que ça doit être fait aussi. Mais dans des circonstances aussi terribles, je pense vraiment que le président Poutine doit couper le gaz au nom de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Mais il peut bien entendu intenter un procès aussi, déposer plainte, demander un référé auprès de la Cour et obtenir un jugement provisoire demandant à l’Ukraine de cesser immédiatement ses actes de génocide à l’encontre des russophones. Ça risque de prendre un moment. Je pense que la situation est si grave qu’il faut que le président Poutine monte au créneau et coupe le gaz maintenant, et dise clairement pourquoi il le fait – pour que le génocide cesse sur le champ. Ça ramènerait l’Ukraine et ses soutiens européens et américains à la raison et, espérons-le, produirait des effets concrets et immédiats.

RT : Qu’est-ce qu’un jugement provisoire, et qu’empêcherait-il l’Ukraine de faire ?

Francis Boyle : Ce serait une ordonnance typique de cessation immédiate comme les deux ordonnances que j’ai gagné pour la Bosnie contre la Yougoslavie, lui intimant l’ordre de cesser immédiatement tout acte de génocide envers les Bosniaques. Et cette ordonnance est ensuite transmise au Conseil de Sécurité [de l'ONU – NdT] pour sa mise en application. Mais encore une fois, dans le cas des Bosniaques, ce processus m’a pris trois semaines, et je crains que nous soyons les témoins d’une catastrophe humanitaire là-bas [en Ukraine] dans les trois prochaines semaines. C’est la raison pour laquelle je propose que le président Poutine annonce immédiatement l’arrêt des livraisons de gaz à l’Ukraine sur la base de l’Article Un de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide – et l’obligation pour la Russie et le président Poutine de prévenir le génocide des russophones en Ukraine.

RT : Étant donné l’influence de la Maison Blanche, n’est-il pas peu probable que la Cour pénale internationale prenne position contre un gouvernement soutenu par les États-Unis, quand bien même il serait génocidaire ?

Francis Boyle : Non, je ne pense pas. Je suppose que si on voulait aussi poursuivre les États-Unis pour complicité dans le génocide ukrainien des russophones cela puisse être un facteur. Mais ce n’est pas ce que je recommande. Je pense que les États-Unis d’Obama sont coupables, vue leur complicité dans ce que Poroshenko et ces néo-fascistes font. En effet l’administration Obama et son porte-parole ont hier [le 3 juillet – NdT] et le jour d’avant apporté leur soutien à Poroshenko dans ses actes de génocide envers les russophones. Mais je pense que si la Russie poursuivait les États-Unis, cela compliquerait la situation politiquement et diplomatiquement, et je ne pense pas que le président Poutine voudrait faire cela parce que le Ministre des Affaires Étrangères Lavrov se réfère aux Américains comme « nos collègues » ou « nos partenaires ». Je ne pense pas qu’ils le croient vraiment mais ils doivent le dire pour des raisons diplomatiques, et pour cette raison je ne pense pas qu’ils poursuivraient les États-Unis ou l’Europe en justice, bien qu’en théorie cela puisse arriver.

RT : Vous avez écrit que la situation à l’Est de l’Ukraine ne pourra qu’empirer. Pourquoi pensez-vous cela ?

Francis Boyle : Poroshenko a utilisé le soit-disant cessez-le-feu, qui n’a jamais été un cessez-le-feu, pour amener des armes lourdes jusqu’aux villes du Donbass. C’est exactement ce que la Serbie a fait aux Bosniaques avant de déchaîner ces armes lourdes sur les quartiers les plus habités. Pourquoi apporterait-il des armes lourdes en bordures des villes russophones si ce n’est pour exterminer la population ? De même la rhétorique ici est clairement génocidaire. En les désignant comme des « parasites », des « sous-hommes », Timoshenko annonce qu’elle va « tuer tous ces chiens de Russes » à coups de bombes nucléaires, etc. Nous voyons donc à l’œuvre une mentalité génocidaire de la part de Poroshenko, Yatsenyuk, Timoshenko et bien d’autres parmi ceux qui dirigent le régime néo-nazi de Kiev. Lorsqu’on met bout à bout ces mentalité et déclarations exterminationistes et les armes lourdes qui entourent maintenant les villes russophones du Dombass, on peut craindre le pire et c’est ce à quoi nous serons bientôt confrontés.


Source : RT, via histoireetsociete.

Maison détruite par une frappe aérienne de l'armée ukrainienne dans le village de Stanitsa Luganskaya le 2 juillet 2014 (photo AFP).

Source: http://www.les-crises.fr/la-crise-ukrainienne-est-en-train-de-degenerer-en-veritable-genocide-par-francis-boyle/


L’Amérique divisée, par Gordon Duff

Thursday 28 August 2014 at 02:14

Parce que la guerre, c’est ceux qui l’ont faite qui en parlent le mieux…

Gordon Duff est un Marine vétéran de la guerre du Vietnam. Il travaille sur des questions relatives aux vétérans et aux prisonniers de guerre depuis des décennies, et a conseillé des gouvernements sur des questions de sécurité intérieure. Il est co-rédacteur en chef et président du conseil d’administration de Veterans Today, en particulier pour le magazine en ligne “New Eastern Outlook”.

Source : Gordon Duff, veteranstoday.com, 4 aout 2014

Pour la première fois depuis la guerre du Vietnam, les américains sont divisés, jusqu’à s’e prendre à la gorge. Nous en avons eu les prémices avec l’Ukraine. Collègues et familles prennent parti, générant amertume et colère. Cependant, ce n’est rien par rapport à ce qui est en train d’arriver face à ce qui est clairement un génocide à Gaza.

Le grand changement a eu lieu dans les média grand public. Ils ne défendent plus Israel, ce qui en déconcerte beaucoup. Avec un Président Obama pris à son propre piège en appuyant ouvertement le droit d’Israël à l’autodéfense, tout en gardant le silence sur le meurtre de 250 enfants, le ciblage des écoles, des bâtiments de l’ONU et maintenant la demande d’un tribunal de guerre.

Les américains sont dorénavant prêts à se retourner contre d’autres américains, et contre leur président , ils sont réveillés et en colère, des décennies et même des siècles de vieilles rancœurs ont refait surface, comme c’est aussi le cas dans le monde entier.

Arrière-plan

Comme ça a souvent été le cas par le passé, les présidents s’entourent de conseillers qui ne voient rien hors de ce qu’on leur dit dans les diners privés et les sorties au golf avec les lobbyistes des groupes d’intérêt. Et quand le monde prend un virage à 180 degrés, et que même les médias télévisés et les journaux que la plupart en Amérique considèrent comme étant sous contrôle strict, à gauche comme à droite, prennent des positions radicales nouvelles, Obama est désemparé.

Aujourd’hui, le président le plus haï par le lobby d’Israël est en train de « mourir » politiquement, catalogué comme criminel de guerre pour avoir fait des déclarations absolutistes tout comme d’autres présidents américains, juste au mauvais moment. Il n’y a jamais eu de plus « mauvais moment » dans l’histoire.

Pour ceux d’entre nous qui se rappellent la guerre du Vietnam, qui ont servi au combat au Vietnam et qui sont revenus prendre la tête des manifestations qui ont arrêté la guerre, un conflit ici, chez nous, ça a quelque chose de rafraîchissant, après des décennies à défendre nos intérêts personnels sans état d’âme.

Quand les médias reflétaient seulement les intérêts d’Israël, le soutien sans conditions au meurtre de palestiniens était considéré bizarre mais inoffensif. Ce qui est effrayant en Amérique c’est que les gens ont l’air d’avoir besoin de permission pour penser ou ressentir. Assassiner des enfants est tout à fait normal jusqu’à ce qu’un journal possédé par une entreprise étrangère ou un fournisseur de l’armée décide de faire remarquer que faire de la boucherie systématique d’enfants, c’est mal.

Malaise du leadership

L’Amérique est en manque d’autorité morale. Des millions d’américains regardent le président Vladimir Poutine en souhaitant qu’il soit notre président. La droite aime ses déclarations musclées, sa force physique et son amour des armes.

La gauche aime ce qu’il voient comme sa capacité à déjouer ses ennemis, son refus de céder à la menace. Les politiciens américains se courbent à la moindre brise.
Ce « culte de Poutine » n’est pas sain. Les américains ne savent pas grand chose de la politique russe ni de la marche du monde. Les américains n’y connaissent vraiment pas grand chose, et la plupart d’entre eux ont arrêté de s’en préoccuper deuis longtemps, en tous cas depuis le 11 septembre, quand il devint évident pour la plupart qu’il venait de se produire une catastrophe qui ne devait rien à des terroristes armés de cutters.

Il n’y a aucun membre du gouvernement américain que le public puisse admirer. Personne à Washington n’est vu comme un homme d’Etat. John Kennedy n’a pas été remplacé. Il n’y a que du second choix, et les américains ne voient rien d’autre. Dans le genre, John Mc Cain est typique : instable, changeant, lié depuis toujours à des organisations criminelles, poursuivi par des rumeurs de trahison lors de sa captivité au VietNam.

Les médias américains avaient Walter Cronkite, Edward R. Murrow et tant d’autres hommes, respectés, vénérés, prêts à prendre position, soutenus par des organes de presse qui n’avaient pas de comptes à rendre à des groupes d’intérêt.

Rien de cela n’existe plus en Amérique. Les médias américains ont des acteurs et des semeurs de haine. Maintenant quelqu’un leur dit qu’il est permis de haïr Israël. Certains parmi nous se demandent pourquoi, que se passe-t-il en coulisse ? Pourquoi des hommes mauvais feraient-ils quelque chose simplement parce que c’est juste ?

Le 11 septembre

Le 11 septembre à brisé l’esprit de l’Amérique, et infecté le pays de peur et de désespoir. Il faut être fou pour penser que Bush et Cheney, alors qu’ils venaient de prendre leurs fonctions après une élection clairement truquée, aient rassuré quiconque en parlant de défense de l’Amérique.

Alors que les informations rapportaient une popularité de Bush de 98%, tout ceux que je connaissais lui reprochaient de l’avoir fait, de l’avoir laissé faire volontairement ou d’être un incompétent flagrant, dans cet ordre. Il s’agit d’un président qui a quitté ses fonctions avec un taux de satisfaction de 12% et qui était entré en fonction avec seulement 48% du vote officiel et une estimation réelle de seulement 35%. L’élection de 2000 était truquée et tout le monde le sait mais rien n’a été fait. En 2004 c’était truqué aussi. Des dizaines de membres du congrès l’ont dit ouvertement mais ça n’a pas été rapporté.

Près de la moitié des Américains ne votent pas et la majorité de ceux-ci sont considérés comme « libéraux. » Les partisans de Bush, même dans les jours qui ont suivi le 11 septembre, n’ont peut-être jamais atteint les 25%, encore moins 98%. Comment ce genre d’histoires peuvent-elles se perpétuer alors que Bush a peur de montrer sa tête en public et encourt une arrestation dans des dizaines de pays à travers le monde ?

Pourquoi les gens à travers le monde ont-ils cru si volontiers que les américains s’étaient soudainement ralliés à une figure de discorde, inepte, un incompétent, la risée du monde ? L’Amérique est-elle parvenue à mentir au monde aussi efficacement ?

L’Amérique Divisée

C’étaient des VRAIS hommes avec de vraies couilles. On espère qu’il y en a encore.

D’un point de vue personnel, les familles américaines commencent à « faire le point. » Gaza les rend furieux, des années de mensonges, le malaise et l’humiliation d’être restés muets trop longtemps. Les américains regardent ceux qu’ils connaissent, les juifs et les évangélistes chrétiens, et les voient sous un nouveau jour. Ils se posent des questions « Comment quelqu’un que je connais depuis si longtemps peut-il encourager ces horreurs. »

Les Américains comparent Israël avec l’Allemagne nazie, des millions le font, certains publiquement, beaucoup en privé. Ils espèrent que leurs amis juifs et extrémistes « évangéliques » vont se réveiller.

C’est la première fois que l’on voit ça depuis très longtemps : les américains veulent mettre un terme à des amitiés, cataloguent des gens comme « psychopathes », reconnaissent la démence tout à fait réelle autour d’eux, et reconnaissent qu’ils ont laissé le mal se rapprocher d’eux, de leurs familles.

Les américains ne savent pas combien il reste de juifs qui montrent des valeurs sociales traditionnelles ni le nombre de moutons qui suivent ce qui est maintenant clairement de la barbarie criminelle. Cela fait maintenant des dizaines d’années que beaucoup ont commencé à élever la voix en Amérique, mais personne ne sait plus comment faire. Faut-il mettre en doute ceux qui sont autour de nous, faut-il aller plus loin ? Penser et ressentir est très nouveau en Amérique, c’est quelque chose que les Américains font mal.

Les Américains connaissent la haine. Ils seront prompts à haïr les juifs, tous les juifs, et à détourner sur eux leur peur manipulée des musulmans, ainsi que la détestation et le ressentiment qu’ils vouent aux hispaniques et aux noirs.

L’évangélisme chrétien est fondé sur la haine des juifs

Les chrétiens en Amérique sont majoritairement des ” nés à nouveau ( born again ) “, des chrétiens évangélistes. Beaucoup sont également étiquetés ” chrétiens sionistes ” : ce groupe soutient aveuglément Israël, a soutenu des guerres pour donner à Israël plus de terres, plus de puissance, plus d’armes nucléaires, et se risque à maintenir un monde basé sur les tensions politiques générées par l’expansionnisme d’Israël.

Ils n’aiment pas les Juifs et n’aiment pas vraiment Israël. La plupart vivent dans des régions où dans le passé les juifs étaient interdits de résidence et où peu de juifs vivent aujourd’hui, si jamais ils y vivent.

Le problème est le suivant : selon d’obscures croyances religieuses, ce n’est qu’après l’établissement d’un “Grand Israël “, “du Nil jusqu’à l’Euphrate” que commencera “la fin des temps”. Soit les Juifs se convertiront au christianisme soit ils mourront, “l’enlèvement de l’Eglise surviendra et les élus s’élèveront jusqu’à prendre place aux côtés de Jésus, alors que les “laissés en arrière” souffriront et mourront dans un enfer post-apocalyptique. De sorte que ceux qui soutiennent Israël se fondent sur leur désir de voir Israël et les juifs s’auto-détruire, et avec eux, la fin de la plus grand partie de l’humanité. Ces gens sont fous. Nous en avons des tonnes de cette espèce. Bienvenue en “Amérique”.

L’Amérique

Il y a des choses que peu de gens, hors des USA, savent sur l’Amérique. La plupart des Américains sont athées. Dans les petites communautés, beaucoup fréquentent les offices religieux à cause de pressions sociales, mais peu « croient ». L’Amérique a rompu avec la religion au XIXème siècle et la religion est généralement considérée comme stupide. Peu de juifs américains sont religieux. La plupart s’en tiennent aux devoirs traditionnels des jours de fête, et s’excusent en privé auprès de leurs amis s’ils ont des activités religieuses, par peur de paraître rétrogrades.

En France, seuls 11% vont à l’église. L’Eglise catholique s’est trop souvent rangée du côté des ennemis du peuple français. La même chose s’est produite en Espagne et en Allemagne. La moitié de l’Italie est communiste. Presque aucun Américain ne sait ça, parce que la plupart ne sortent jamais du pays et quand ils le font, c’est en général pour rester dans leur hôtel, leur navire de croisière ou leur bus touristique.

On nous dit que 44% des Américains sont profondément religieux. En réalité, il y a un puissant courant religieux sous-jacent en Amérique. Dans le Sud et l’Ouest, ainsi qu’ailleurs en Amérique, parmi les moins éduqués, des églises évangéliques qui tournent comme des entreprises, pour la plupart dotées d’un clergé plus qualifié dans la vente de voitures d’occasion ou d’assurances que dans la théologie, vendent un étrange mélange de science-fiction, d’histoires d’ovnis et de « prophéties bibliques » toujours fortement imprégnées de haine sous une forme ou une autre.

Les Américains éduqués considèrent ces gens comme des chiens enragés ou des phénomènes de foire. On ne peut pas parler avec eux. Leurs seules réponses consistent en versets de la Bible et en homélies bizarres imprégnées de psychologie de comptoir.

La majorité des Américains religieux sont des alcooliques ou des narco-dépendants convertis, des gens sévèrement déprimés ou atteints de troubles de la personnalité borderline.
Y en a-t-il des millions en Amérique ? D’après vous, regardez simplement la dernière décennie où l’Amérique a régné sur le monde. Est-ce que vous avez vu des signes quelconques de santé mentale ?

Retour à Gaza

Le bombardement génocidaire de Gaza s’inscrit dans la droite ligne d’une politique vieille de soixante ans. Au début, la plupart d’entre nous ne l’avons considéré que comme une mise en scène de plus, quelque chose que nous n’avons que trop souvent vu. Nous avions tort.

C’est ici que se tient la vraie question. Est-ce que les gens, outre les seuls Américains et les Russes, vont réaliser qu’il y a une théâtralité dans toutes les guerres d’aujourd’hui ?
D’abord, nous avons « disparu » un vol commercial, MH370, comme par l’effet d’un tour de prestidigitation.

Considérons le Nigéria, les filles enlevées, les convois militaires et les communications par satellite. Quelque chose ne cadre pas.

Rien en Ukraine, et certainement rien de Kiev, n’est ce qu’il semble être.

Qu’en est-il d’ISIL en Irak ? Les montres Rolex, les mutilations génitales féminines, les conversions forcées et les militants masqués noyautés par la CIA, le Mossad et armés de M16 [NDT, fusil de l'armée américaine], et infiltrés par divers militants, des djihadistes et des mercenaires occidentaux.

Même Zbignew Brzezinski a été capable de réaliser que les enlèvements israéliens étaient des mises en scène.

Serons-nous capables de voir ce qu’une minorité a préparé depuis longtemps, que tout est scénarisé, que tous les participants sont des acteurs sur une scène ? Seuls les morts sont réels.

Gordon Duff

Source: http://www.les-crises.fr/lamerique-divisee-par-gordon-duff/


[Reprise] Les Bons, la Brute et la Crimée ou L’obsession antirusse, par Olivier Zajec

Thursday 28 August 2014 at 01:02

Reprise d’un papier du Monde diplomatique d’avril 2014 (NB. soutenez ce journal, il en a besoin et, lui, le mérite…)

Avec l’annexion de la Crimée au territoire russe, entérinée le 18 mars par M Vladimir Poutine, et les sanctions décrétées à l’encontre du Kremlin, la crise ukrainienne a pris les dimensions d’un séisme géopolitique. Comprendre ce conflit implique d’intégrer les points de vue concurrents de tous les acteurs. Mais, dans les chancelleries occidentales, les proclamations morales supplantent souvent l’analyse.

PAR OLIVIER ZAJEC *

Ces dernières semaines, le traitement médiatique des événements en Ukraine en a apporté la confirmation : pour une partie de la diplomatie occidentale, les crises ne trahissent plus une asymétrie entre les intérêts et les perceptions d’acteurs doués de raison mais constituent autant d’affrontements ultimes entre le Bien et le Mal où se joue le sens de l’histoire.

La Russie se prête à merveille à cette scénarisation qui a le mérite de la simplicité. Pour nombre de commentateurs, cet Etat barbare gouverné par les Cosaques a la semblance d’un ailleurs semi-mongol tenu par les épigones du KGB, qui ourdissent de sombres complots au service de tsars névrotiques barbotant dans les eaux glacées du calcul égoïste (1). Reclus, coupés de leur époque, ces autocrates déplacent lentement des pions sur de grands échiquiers d’ivoire au lieu de lire The Economist. De temps en temps, ils coulent un sous-marin nucléaire pour le plaisir de polluer la mer de Barents, en attendant de susciter un référendum illégal dans leur «étranger proche» afin de reconstituer l’URSS.

Si on rassemble les lieux communs parus sur ce thème dans la presse occidentale — pas seulement depuis le début de la crise ukrainienne, mais depuis quinze ans —, ce chromo folklorique est à peu près ce que le lecteur ordinaire retiendra de la politique de l’actuelle Fédération de Russie. Cette perception globalement négative dégénérant en caricature relève d’une tradition bien ancrée.

Elle s’appuie tantôt sur des analyses qui soulignent la compulsion totalitaire et « mensongère » de la culture russe (2), tantôt sur la continuité supposée entre Joseph Staline et M. Vladimir Poutine — un thème prisé des éditorialistes français et des think tanks néoconservateurs américains (3). Elle trouve son origine dans les récits des voyageurs européens de la Renaissance, qui opéraient déjà un rapprochement entre les Russes «barbares» et les farouches Scythes de l’Antiquité (4).

Les événements de Maïdan à Kiev offrent un exemple des inconvénients analytiques qu’induit cette démonologie. Divisée linguistiquement et culturellement entre Est et Ouest, l’Ukraine ne peut garantir ses frontières actuelles qu’en maintenant un équilibre éternel entre Lviv et Donetsk, symboles respectifs de son pôle européen et de son pôle russe.

Epouser l’un ou l’autre reviendrait pour elle à nier ce qui la fonde, et donc à valider le mécanisme sans retour d’une partition A la tchécoslovaque (5). Elle est une éternelle fiancée géopolitique.

L’Ukraine ne saurait « choisir ». Elle se contente donc de se faire offrir des bagues coûteuses : 15 milliards de dollars promis par la Russie en décembre 2013, et 3 milliards par l’Union européenne au même moment pour accompagner l’accord d’association avorté. A chaque prétendant, elle accorde quelques assurances révocables : accords de Kharkiv, qui, en 2010, prolongeaient jusqu’en 2042 la location à la Russie de la base navale de Sébastopol, ou encore location de terres arables aux magnats de l’agriculture européenne. En réduisant ce ménage à trois géoculturel à un mariage forcé avec Moscou, les experts qui succombent à ce qu’il faut bien appeler l’obsession antirusse révèlent une sévère insuffisance analytique. Eux qui reprochent à M. Poutine de se borner au champ étroit de la politique de puissance font preuve l’une hémiplégie non moins condamnable en limitant leur horizon narratif à l’absorption libératrice de l’Ukraine dans la communauté euro-atlantique.

Contrairement à ce qui a pu être écrit, rupture des équilibres internes de cette nation fragile n’a pas eu lieu le 27 février 2014, date de la prise de contrôle du Parlement et du gouvernement de Crimée par des hommes armés — un coup de théâtre qui serait la réplique de M. Poutine à la fuite du président ukrainien Viktor Ianoukovitch le 22 février. En réalité, le basculement s’est opéré entre ces deux événements, précisément le 23 février, avec la décision absurde des nouveaux dirigeants de l’Ukraine d’abolir le statut du russe comme seconde langue officielle dans les régions de l’Est — un texte que le président par intérim a jusqu’ici refusé de signer. A-t-on déjà vu un condamné à l’écartèlement fouetter lui-même les chevaux?

M. Poutine ne pouvait rêver mieux que cette ineptie pour enclencher sa manœuvre criméenne. L’insurrection qui a mené à la chute de M. Ianoukovitch (élu en 2010), puis à la sortie de la Crimée russophone du giron de Kiev n’est donc que la dernière manifestation en date de la tragédie culturelle consubstantielle à cette Belgique orientale qu’est l’Ukraine.

A Donetsk comme à Simferopol, les Ukrainiens russophones sont en général moins sensibles qu’on ne le dit à la propagande du grand frère russe : la décrypter avec une ironie fataliste est devenu une seconde nature. Leur aspiration à un véritable Etat de droit et à la fin de la corruption est la même que celle de leurs concitoyens de Galicie. M. Poutine sait tout cela. Mais il sait aussi que ces populations, qui tiennent à leur langue, n’échangeront pas Alexandre Pouchkine et les souvenirs de la « grande guerre patriotique » — nom soviétique de la seconde guerre mondiale — contre un abonnement à La Règle du jeu, la revue de Bernard-Henri Lévy. En 2011, 38 % des Ukrainiens parlaient russe à la maison. Or la décision aventureuse et revancharde du 23 février a soudainement rendu le discours de Moscou véridique : pour l’Est ukrainien, le problème n’est pas que le nouveau gouvernement du pays soit parvenu au pouvoir en renversant le président élu, mais bien que sa première décision ait été de faire courber la tête à la moitié de ses citoyens.

 

Fantasmes bipolaires et romans d’espionnage

C’est ce jour-là que Maïdan a perdu la Crimée, dont personne n’a jamais oublié qu’elle avait été « offerte » par Nikita Khrouchtchev à l’Ukraine en 1954 (lire la chronologie ci-contre). D’où la remarque de M. Mikhaïl Gorbatchev le 17 mars, après le plébiscite par la population criméenne d’un rattachement à la Russie : « Si, à l’époque, la Crimée a été unie à l’Ukraine selon des lois soviétiques (…), sans demander son avis au peuple, aujourd’hui ce peuple a décidé de corriger cette erreur. Il faut saluer cela, et non annoncer des sanctions (6). » Ces propos ont fait l’effet d’une douche froide à Bruxelles, où se préparaient, en coordination avec Washington, une série de mesures de rétorsion contre Moscou (restrictions du droit de voyager et gel des avoirs de responsables ukrainiens et russes).

Si ce que veut la Russie n’est pas justifiable, il serait intéressant d’en comprendre les ressorts, avant de le condamner si nécessaire. D’autant que l’Ukraine pourrait perdre davantage que la Crimée, si d’aventure la fréquentation prolongée de la si courtoise Victoria Nuland (7) la poussait à adhérer à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Certains des hommes forts du nouveau gouvernement, où siègent quatre ministres du parti ultranationaliste Svoboda (8), sont acquis à cette idée.

Peut-être serait-il temps de bannir la locution « guerre froide » des articles consacrés à la Russie. Historiquement inopérant, ce raccourci sert surtout à justifier l’expression pavlovienne de fantasmes bipolaires recuits. M. John McCain, ancien candidat républicain à la Maison Blanche et expert international reconnu de l’Arizona, en a donné un exemple notable en fustigeant M. Poutine, « impérialiste russe et apparatchik du KGB » enhardi par la « faiblesse » de M. Barack Obama. Lequel, sans doute trop occupé par l’assurance-maladie de ses concitoyens, ne réalise pas que « l’agression en Crimée (…) insuffle de l’audace à d’autres agresseurs, des nationalistes chinois aux terroristes d ‘Al-Qaida et aux théocrates iraniens » (9). Que faire? « Nous devons nous réarmer moralement et intellectuellement, répond l’ancien colistier de Mme Sarah Palin, pour empêcher que les ténèbres du monde de M Poutine ne s’abattent davantage sur l’humanité. » Discours qui, pour dénoncer des théocrates, n’en abuse pas moins du registre théologique.

A Washington et à Bruxelles, dans un style voisin, on semble s’être entendu pour souffler sur les braises de la crise ukrainienne au lieu de l’apaiser. A l’écart de ces outrances, l’impavide Mme Angela Merkel téléphone (en russe) à M. Poutine.

* Chargé de recherche à l’Institut de stratégie comparée (ISC), Paris.

(1) Bernard-Henri Lévy, «L’honneur des Ukrainiens», Le Pole Paris, 27 février 2014.

(2) Alain Besançon, Sainte Russie, Editions de Fallois, Paris, 2014.

(3) Steven P. Bucci, Nile Gardiner et Luke Coffey, «Russia, the West, and Ukraine : Time for a strategy — not hope », Issue Brief 004159, The Heritage Foundation, Washington, DC, 4 mars 2014.

(4) Cf. Stéphane Mund, Orbis Russiarum, Droz, Genève, 2003.

(5) La «révolution de velours» de 1989 conduisit en 1992 à la scission de l’Etat en deux entités, sur une base ethnolinguistique,

(6) Déclaration à l’agence Interfax, 17 mars 2014.

(7) Au cours d’une conversation téléphonique avec l’ambassadeur américain en Ukraine rendue publique en février, la sous-secrétaire au département d’Etat chargée de l’Europe s’est exclamée : «Que l’Union européenne aille se faire f !»

(8) Lire Emmanuel Dreyfus, «En Ukraine, les ultras du nationalisme », Le Monde diplomatique, mars 2014.

(9) John McCain, « Obama has made America look weak», The New York Times, 14 mars 2014,

Source: http://www.les-crises.fr/les-bons-la-brute-et-la-crimee/


[Entraide] Recherche d’un article

Wednesday 27 August 2014 at 07:45

bonjour

je me demandais si par hasard l’un d’entre vous aurait moyen de récupérer cet article (bibliothèque ?) dont j’ai besoin :

Paul Bairoch, International industrialization levels from 1750 to 1980, dans : Journal of European Economic History, Vol. 11, no’s 1 & 2, Fall 1982.

Contactez-moi ici

Merci d’avance !

Olivier Berruyer

Source: http://www.les-crises.fr/entraide-recherche-d-un-article/


L’Occident fait fausse route, par Gabor Steingart

Wednesday 27 August 2014 at 04:12

Gabor Steingart est le directeur de la rédaction du leader de la presse financière allemande, le quotidien Handelsblatt.

par Gabor Steingart, Handelsblatt, 8 aout 2014

Au regard des derniers événements en Ukraine, le gouvernement et nombre de médias ont basculé de la pondération à la surexcitation. L’éventail des opinions s’est réduit à la largeur du champ de vision d’un tireur d’élite. La politique d’escalade n’a pas de but réaliste – et elle porte atteinte aux intérêts allemands.

Chaque guerre s’accompagne d’une sorte de mobilisation des esprits : la fièvre de la guerre.

Même les personnes sensées ne sont pas totalement épargnées. « Cette guerre, dans toute son atrocité, reste toutefois une grande et merveilleuse chose. C’est une expérience qui vaut la peine d’être vécue », se réjouissait Max Weber en 1914 alors que les lumières s’éteignaient en Europe. Thomas Mann, quant à lui, ressentait une « purification, une libération et une énorme espérance ».

Même lorsque des milliers de morts jonchaient les champs de bataille de Belgique, la fièvre de la guerre ne se calma pas. Il y a 100 ans exactement, 93 peintres, écrivains et scientifiques publièrent l’« Appel au monde de la culture ». Max Liebermann, Gerhart Hauptmann, Max Planck, Wilhelm Röntgen et d’autres encouragèrent leurs compatriotes à se montrer cruels envers leur voisin : « Sans le militarisme allemand, la culture allemande aurait été éliminée de la surface de la Terre depuis longtemps. Les forces armées allemandes et le peuple allemand ne font qu’un. Cette conscience commune fait des 70 millions d’Allemands des frères, sans distinction d’éducation, de statut social ou d’appartenance à un parti. »

Arrêtons un instant le cheminement de notre pensée : « l’Histoire ne se répète pas ! » Mais pouvons-nous en être aussi sûrs aujourd’hui ? A la lumière des dernières hostilités en Crimée et dans l’est de l’Ukraine, les chefs des Etats et gouvernements occidentaux ont soudainement cessé de se s’interroger et ont toutes les réponses. Le Congrès des Etats-Unis discute ouvertement d’armer l’Ukraine. L’ancien conseiller à la sécurité, Zbigniew Brzezinski, recommande d’armer les citoyens là-bas pour des combats de rue, maison par maison. La Chancelière allemande, comme à son habitude, est plus floue mais non moins inquiétante : « Nous sommes prêts à prendre des mesures sévères. »

Les journaux allemands sont passés, en quelques semaines, d’une position réfléchie à l’agitation. L’éventail des opinions s’est rétréci au champ de vision d’une lunette de tireur d’élite.

Les journaux que nous pensions être d’idées et de réflexion, emboîtent maintenant le pas aux politiciens dans leurs appels aux sanctions envers le Président de la Russie, Poutine. Même leurs titres trahissent cette agressivité qui d’ordinaire caractérise les hooligans lorsqu’ils « supportent » leurs équipes.

Tagesspiegel : « Assez parlé !».Frankfut Allgemeine Zeitung : « Montrons notre force ». Süddeutsche Zeitung : « Maintenant ou jamais. » Le Spiegel appelle à la « Finissions-en avec la lâcheté » : « Le tissu de mensonges de Poutine, sa propagande et ses tromperies sont averés. L’épave du MH 17 est aussi le résultat d’ une diplomatie en morceaux ».

Les Médias allemands et les Politiques des Chancelleries Occidentales sont alignées.

Chaque série d’accusations réciproques aboutit au même résultat : en un rien de temps, les affirmations et les contre-arguments deviennent si confus que les faits s’en retrouvent presque complètement occultés.

Qui a trompé qui, le premier ?

Cela a-t-il commencé avec l’invasion de la Crimée par la Russie ou est-ce l’Occident qui a d’abord poussé à la déstabilisation de l’Ukraine ? La Russie veut-elle s’étendre à l’Ouest ou bien l’Otan à l’Est ? Ou bien, peut-être, deux super-puissances se rencontrent-elles au pied de la même porte, au milieu de la nuit, guidées par les mêmes intentions envers un pays tiers sans défense qui paye maintenant le prix du bourbier en resultant par les premières phases d’une guerre civile ?

Si, arrivés à ce stade vous attendez de savoir qui est coupable, vous feriez mieux d’arrêter votre lecture. Vous ne manquerez rien. Nous n’essayons pas de déterrer cette vérité cachée. Nous ne savons pas comment ceci a commencé. Nous ne savons pas comment cela va finir. Et nous sommes assis ici, au milieu de tout cela. Au moins, Peter Sloterdijk nous adresse quelques mots de réconfort : « Vivre dans le monde signifie vivre dans l’incertitude ».

Notre but est d’essuyer un peu de l’écume qui se forme aux lèvres des rhéteurs, de remplacer les mots des agitateurs et des agités par de nouveaux mots, par exemple un mot tombé en désuétude depuis longtemps : réalisme.

La politique de l’escalade montre que l’Europe manque cruellement d’un but réaliste. Il en va autrement États-Unis. Menaces et positionnement font simplement partie de la préparation des élections. Quand Hillary Clinton compare Poutine à Hitler, elle ne le fait que pour plaire à l’électorat républicain, c’est-à-dire à des gens qui ne possèdent pas de passeport. Pour la plupart d’entre eux, Hitler est le seul personnage étranger qu’ils connaissent, c’est pourquoi « Adolf Poutine » est une effigie de campagne très appréciée. À cet égard, Clinton et Obama ont un objectif réel : plaire au peuple, gagner les élections, remporter une nouvelle présidence démocrate.

Angela Merkel ne peut pas prétendre à ces circonstances atténuantes. La géographie oblige tout chancelier allemand à un peu plus de sérieux. Comme voisins de la Russie, comme partie prenante de la destinée de la communauté européenne, comme acheteurs d’énergie et fournisseurs de choses et d’autres, nous les Allemands avons clairement un intérêt vital à la stabilité et au dialogue. Nous ne pouvons pas nous permettre de regarder la Russie avec les yeux du Tea Party américain.

Chaque erreur provient d’une erreur de raisonnement. Et nous nous trompons si nous croyons que seul l’autre tire profit des relations économiques avec nous, et qu’il souffrira donc seul de la fin de ces relations. Si les liens économiques ont été maintenus pour un bénéfice mutuel, alors les rompre conduit à des pertes pour les deux parties. Punition et auto-punition sont équivalentes dans ce cas de figure.

L’idée même qu’une pression économique et une politique d’isolement puisse mettre la Russie à genoux n’a pas été pensée dans toutes ses conséquences. Même si nous réussissions, à quoi bon mettre la Russie à genoux ? Comment pouvez-vous vouloir vivre ensemble dans la « Maison européenne » avec un peuple humilié dont les dirigeants élus sont traités en paria, et dont vous pourriez avoir à aider les citoyens au cours du prochain hiver ?

Bien entendu, la situation actuelle demande une attitude forte, mais par-dessus tout une attitude forte envers nous-mêmes. Les Allemands n’ont ni voulu ni causé ces situations, mais elles sont devenues notre réalité. Imaginez seulement ce que Willy Brandt a dû entendre lorsque son destin de maire de Berlin l’a placé dans l’ombre du mur. Quelles sanctions et punitions ne lui a-t-on suggérées ! Mais il décida d’ignorer ce festival d’indignation. Il ne céda jamais à l’esprit de revanche.

A sa réception du Prix Nobel de la Paix, il a apporté quelques éclaircissements sur ce qui s’était passé autour de lui au moment des jours fiévreux suivant la construction du mur : « Il y a aussi un autre aspect – l’impuissance qui se cache derrière les gesticulations oratoires : on prend des positions qui ne peuvent devenir réalité et on planifie des mesures répondant à des éventualités sans rapport avec la situation présente. Aux moments critiques, nous étions livrés à nous-mêmes. Les beaux parleurs n’avaient rien à offrir. »

Les beaux parleurs sont de retour et leur quartier général est à Washington D.C. Mais personne ne nous oblige a à faire des courbettes devant leurs ordres. Les suivre – même si c’est de façon calculée et quelque peu réticente comme c’est le cas de Merkel – ne protège pas le peuple allemand, mais pourrait bien le mettre en danger. Cela reste vrai même si ce n’étaient pas les Américains, mais les Russes qui étaient à l’origine des dégâts en Crimée et Ukraine orientale.

Clairement, Willy Brandt prenait ses décisions tout autrement que Merkel aujourd’hui, et ce dans une situation manifestement plus tendue. D’après ses souvenirs, il s’était réveillé le matin du 13 août 1961 « très éveillé et en même temps engourdi ». Il s’était arrêté à Hanovre au cours d’un déplacement, lorsqu’il reçut des comptes rendus de Berlin concernant des travaux en cours sur le vaste mur divisant la ville. C’etait un dimanche matin et il ne pouvait y avoir pire humiliation pour un maire en poste.

Les Soviétiques l’avaient mis devant le fait accompli. Les Américains ne l’avaient pas informé, bien qu’ils eussent probablement reçu des informations de Moscou. Brandt se souvient qu’une « rage impuissante » avait monté en lui. Mais que fit-il? Il étouffa ses sentiments d’impuissance et mit en œuvre son grand talent d’homme politique réaliste, ce qui lui valut un mandat de chancelier, puis un Prix Nobel de la paix.

Sur le conseil d’Egon Bahr, il accepta la nouvelle situation, sachant que quel que soit le niveau d’indignation manifesté par le reste du monde, ce mur resterait là pour un moment. Il donna même l’ordre à la police de Berlin-Ouest de faire usage de bâtons et de canons à eau contre ceux qui manifestaient contre le mur, afin de ne pas glisser de la catastrophe de la division à la catastrophe encore bien plus grande de la guerre. Il suivit le paradoxe que Bahr formula plus tard de la manière suivante : « Nous avons pris acte du statu quo pour mieux le changer. »

Et ils réussirent à accomplir ce changement. Brandt et Bahr firent des intérêts particuliers de la population de Berlin-Ouest, dont ils étaient maintenant responsables (à partir de juin 1962, l’auteur de ces lignes est également concerné), la règle de leur politique.

A Bonn, ils négocièrent la Subvention de Berlin, une réduction de 8% des charges salariales et de l’impôt sur le revenu. Dans le jargon, on l’appelait « la prime de la peur ». Ils négocièrent aussi un traité autorisant les déplacements avec Berlin-Est, ce qui rendit le mur de nouveau perméable deux ans après sa construction. Entre Noël 1963 et le nouvel an 1964, 700 000 habitants de Berlin purent rendre visite à des membres de leur famille dans l’est de la ville. Chaque larme de joie se transforma en vote pour Brandt un peu plus tard.

Les électeurs se rendirent compte que c’était là quelqu’un qui voulait agir sur leur vie quotidienne, pas uniquement faire la une des journaux du lendemain. Dans une situation presque désespérée, cet homme du SPD se battit pour les valeurs occidentales – en l’occurrence la liberté de mouvement – sans mégaphones, sans sanctions, sans menaces de recours à la violence. Les élites de Washington commençèrent à entendre des mots qui n’avaient jamais été entendus auparavant en politique. Compassion. Changement par le rapprochement. Dialogue. Réconciliation des intérêts. Et ce en pleine guerre froide, quand les puissances mondiales étaient censées s’attaquer venimeusement, quand le scénario ne contenait que des menaces et des protestations. Lançons des ultimatums, mettons en place des blocus maritimes, menons des guerres par procuration, c’était de cette manière que la guerre froide était censée être conduite.

La politique étrangère allemande s’efforçant à la réconciliation – au départ simplement la politique étrangère de Berlin – n’apparaissait pas seulement courageuse, mais aussi très curieuse.

Les Américains – Kennedy, Johnson, puis Nixon – suivirent les Allemands, ce qui lança un processus sans précédent dans l’histoire de nations ennemies. Enfin, il y eut une rencontre à Helsinki pour en fixer les règles. L’Union Soviétique obtint la garantie d’une « non-ingérence dans ses affaires intérieures » qui remplit de satisfaction le leader du parti, Leonid Brejnev et irrita Franz Josef Strauss au plus haut point. En retour, la direction du parti communiste de Moscou dut garantir à l’Occident (et donc à ses propres sociétés civiles) un « respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, incluant la liberté de conscience, de croyance et de religion ».

Ainsi, la « non-ingérence » fut acquise par le biais de la « participation de chacun aux affaires de l’autre ». Le communisme reçut une garantie éternelle de maintien de son territoire, mais à l’intérieur de ses frontières, les droits de l’homme commencèrent soudain à poindre. Joachim Gauck se souvient : « Le mot qui a permis à ma génération de tenir bon était Helsinki.»

Il n’est pas trop tard pour que le duo Merkel / Steinmeier utilise les concepts et les idées de ce temps. Il n’y a pas de raison de suivre simplement un Obama sans vision stratégique. Tout le monde peut observer que Poutine et lui sont se dirigent comme dans un rêve en plein vers un panneau marqué : impasse.

« Le test en politique n’est pas la manière dont quelque chose commence, mais dont elle finit », dit Henry Kissinger, un autre Prix Nobel de la paix. Suite à l’occupation de la Crimée par la Russie, il déclarait:« Nous devrions vouloir la réconciliation, pas la domination. Diaboliser Poutine n’est pas une politique. C’est l’alibi d’une absence de politique ». Il conseille de condenser les conflits, c’est-à-dire de les rendre plus petits, de les réduire, puis d’en faire sortir une solution.

Pour le moment (et depuis un bon bout de temps déjà), l’Amérique fait l’inverse. Tous les conflits sont systématiquement aggravés. L’attaque d’un groupe terroriste appelé Al Qaida est transformée en campagne mondiale contre l’Islam. L’Irak est bombardé sous des prétextes douteux. Puis l’US Air Force poursuit son vol vers l’Afghanistan et le Pakistan. On peut avancer sans risque que la relation avec le monde musulman est abîmée.

Si l’Occident avait jugé le gouvernement américain d’alors, qui avait envahi l’Irak sans résolution de l’ONU et sans preuve d’existence d’armes de destruction massive, suivant les mêmes standards que nous appliquons à Poutine aujourd’hui, alors George W. Bush aurait immédiatement été interdit d’entrée sur le territoire de l’UE. Les investissements étrangers de Warren Buffett auraient été gelés; l’exportation de voitures des marques GM, Ford et Chrysler, bannis.

La tendance américaine à l’escalade verbale puis militaire, l’isolation, la diabolisation et l’attaque d’ennemis ne s’est pas montrée efficace. La dernière action militaire majeure réussie des Etats-Unis a été le débarquement en Normandie. Toutes les autres – la Corée, le Vietnam, l’Irak, l’Afghanistan – ont été des échecs patents. Déplacer des unités de l’Otan vers la frontière polonaise et envisager d’armer l’Ukraine sont le prolongement d’une absence de diplomatie compensée par des moyens militaires.

La politique consistant à foncer tête la première dans le mur – et à le faire précisément là où le mur est le plus épais – ne vous donnera qu’un mal de tête et pas grand chose d’autre. Et ce, en considérant qu’une large porte s’ouvre dans ce mur pour les relations de l’Europe envers la Russie. Et la clé de cette porte est étiquetée « conciliation des intérêts ».

La première étape est appelée par Brand « compassion », c’est-à-dire la capacité à voir le monde à travers le regard des autres. Nous devrions arrêter d’accuser 143 millions de Russes sous prétexte qu’ils n’ont pas la même vision du monde que John McCain.

Ce qu’il faut ce sont des aides à la modernisation du pays, pas des sanctions qui vont encore l’appauvrir et nuire à l’ensemble des relations. Les relations économiques font aussi partie des relations. La coopération internationale est semblable à de la tendresse entre nations, car tout le monde se sent mieux par la suite.

Il est bien connu que la Russie est une superpuissance énergétique et qu’à la fois, elle est aussi une nation industrielle en développement. La politique de réconciliation et d’intérêts communs devrait cibler cet angle. Une aide au développement en échange de garanties territoriales ; le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier avait même trouvé les mots justes pour la décrire : partenariat de modernisation. Il lui faut juste dépoussiérer cette formule et l’utiliser comme un slogan ambitieux. La Russie devrait être intégrée, pas isolée. De petits pas dans cette direction sont préférables à la grande absurdité des politiques d’exclusion.

Brandt et Bahr n’ont jamais cherché à utiliser l’outil des sanctions économiques. Ils savaient pourquoi : on ne connaît aucun cas dans lequel des pays sanctionnés aient présenté des excuses pour leur comportement, puis soient restés dociles. Au contraire : des mouvements collectifs se lèvent en soutien au pays sanctionné, comme en Russie aujourd’hui. Le pays a rarement été aussi soudé derrière son président qu’en ce moment. Cela vous ferait presque penser que les agitateurs de l’Ouest sont employés par les services secrets russes.

Encore un commentaire sur le ton du débat. L’annexion de la Crimée a été faite en violation du droit international. Le soutien aux séparatistes en Ukraine de l’Est ne cadre pas avec les idées que nous avons de la souveraineté d’un État. Les frontières des États sont inviolables.

Mais chaque acte doit être pris dans son contexte. Et le contexte allemand est que nous sommes une société qui est dans la situation d’un criminel en probation, qui ne peut pas agir comme si les violations du droit international avaient commencé avec les évènements en Crimée.

Au cours des cent dernières années, l’Allemagne a livré par deux fois la guerre à son voisin de l’Est. L’âme allemande, que nous affirmons généralement romantique, a montré son côté cruel. Bien entendu, nous qui sommes venus plus tard, nous pouvons continuer à proclamer notre indignation envers l’impitoyable Poutine et en appeler au droit international contre lui, mais au vu du contexte, cette indignation devrait se manifester avec une certaine pudeur. Ou, pour reprendre les mots de Willy Brandt, « Les prétentions à l’absolu menacent l’Homme ».

Finalement, même les hommes qui avaient succombé à la fièvre guerrière en 1914 durent en prendre conscience. Après la fin de la guerre, les pénitents lancèrent un second appel, cette fois-ci pour une bonne entente entre les nations : « Le monde civilisé a été un camp militaire et un champ de bataille. Il est temps qu’une grande vague d’amour remplace la vague destructrice de la haine ».

Nous devrions essayer d’éviter ce détour par les champs de bataille au XXIe siècle. Il n’est pas nécessaire que l’histoire se répète. Peut-être pouvons-nous trouver un raccourci.

Gabor Steingart

Source: http://www.les-crises.fr/l-occident-fait-fausse-route/