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Les inconnus de Moscou, par Philippe Grasset

Saturday 4 April 2015 at 01:23

2 avril 2015 – Les Grecs sont nombreux à Moscou ces temps-ci, en ce début de printemps. Durant les deux premiers jours de la semaine, on y trouvait un ministre de l’énergie et de la réforme industrielle (Panagiotis Lafazini) et un député de Syriza (Thanasis Petrakos) ; la semaine prochaine, le 8 avril, ce sera le sommet entre Tsipras et Poutine. On a vu (le 30 mars 2014) que Lafazini n’avait pas ménagé ses critiques contre “l’Europe allemande” avant son départ pour Moscou, comme pour bien faire mesurer l’enjeu de cette phase de la bataille.

Il ne s’agit pas d’une péripétie intérieure grecque de plus, ni même d’une péripétie Athènes-Bruxelles de plus. Cette fois, nous sortons du champ restreint de la crise gréco-européenne pour atteindre le champ international incluant au moins la Russie, et peut-être plus … Ou plutôt, devrions-nous dire, que les évènements eux-mêmes et la pression qu’ils exercent sur le “champ restreint de la crise gréco-européenne” conduisent eux-mêmes à cet élargissement. Même si le sommet Tsipras-Poutine est prévu depuis un certain temps, les évènements et la pression qu’ils exercent forcent à faire de ce sommet un événement d’élargissement de la crise. Les évènements parlent.

Par ailleurs, d’autres péripéties contribuent à cet élargissement, et nous pensons particulièrement à une intervention de Zbigniew Brzezinski, le 25 mars. Il n’est pas certain que cette intervention soit des plus habiles, et dans tous les cas elle montre que l’obsession de certains, – dans ce cas l’obsession de Brzezinski pour la crise ukrainienne et contre la Russie, – contribue à cet “élargissement” de la crise Athènes-Bruxelles d’une façon indirecte et sans doute involontaire mais importante. Brzezinski a dit son inquiétude à propos du rôle de la Grèce dans l’OTAN, notamment dans le cas où l’OTAN devrait avoir à prendre des décisions en rapport avec la crise ukrainienne et le rôle particulièrement détestable que le bloc BAO, et Brzezinski dans cette occurrence, attribuent à la Russie selon l’emportement que leur impose le déterminisme-narrative. (Nous avions évoqué très généralement cette question des rapports de la Grèce de Tsipras avec l’OTAN le 31 janvier 2015 et les préoccupations US plus récemment, parce que la très habile Nuland avait, déjà avant Brzezinski mais en toute discrétion, levé le lièvre [voir le 18 mars 2015].)

… Donc, selon Le Point du 25 mars 2015, voici Brzezinski exposant ses préoccupations complètement nourries à lanarrative du bloc BAO sur les intentions agressives de la Russie : «La Grèce, amie de la Russie, pourrait retarder voire “paralyser” par son veto la réponse de l’Otan à une violation de sa défense collective, estime Zbigniew Brzezinski, l’une des voix influentes de la politique étrangère américaine. Après l’annexion de la Crimée en 2014, la Russie risque de jeter son dévolu sur la Moldavie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan, après quoi les Baltes et la Pologne, pays membres de l’Alliance atlantique, pourraient “devenir une cible”, a déclaré M. Brzezinski dans une interview mercredi au quotidien polonais Dziennik Gazeta Prawna.

»L’article 5 de l’Otan prévoit une réponse collective de l’Alliance à toute agression contre l’un de ses 28 membres. “Mais au sein de l’Otan, diverses procédures sont en vigueur, dont le principe de l’unanimité. Cela veut dire que l’Otan pourrait être paralysée pendant un certain temps, ne serait-ce que par la Grèce qui est une amie de la Russie et qui dispose bien sûr d’un droit de veto”, a-t-il expliqué. Le Premier ministre grec Alexis Tsipras est attendu le 8 avril à Moscou où Athènes cherche un soutien face à ses problèmes économiques…»

C’est grande pitié de voir un esprit du calibre de celui de Brzezinski, quoi qu’il en soit de ses conceptions qui sont toutes entières au service du système de l’américanisme, se laisser emporter par cette obsession en évoquant l’hypothèse grotesque d’une agression de la Russie contre un pays de l’OTAN ; et, ce faisant sous la forme d’une maladresse bien réelle du point de vue de son propre parti, mettant sur la place publique la possibilité d’une collusion entre la Grèce et la Russie… A parler tout haut d’une chose à laquelle certains pensaient tout bas ou ne réalisaient même pas, et cela lorsqu’on est une voix parée d’une grande autorité comme l’est Brzezinski, on donne à cette chose une substance qu’elle n’avait pas mais qui est peut-être, on le réalise alors, sa propre “vérité de situation”. C’est-à-dire que l’intervention de Brzezinski a largement contribué, comme nous le remarquions plus haut, à transformer la crise grecque dans son strict cadre européen en une crise dynamique qui rejoint le cadre général de la crise haute regroupant la crise ukrainienne et la crise majeure des relations entre le bloc BAO et la Russie, voire entre le bloc BAO et l’axe Russie-Chine avec tout ce qu’il y a derrière (le regroupement de facto antiSystème de l’OCS, des BRICS, etc.). Tsipras n’en demandait peut-être pas tant, – ce point-là reste à débattre, – mais les évènements décident à cet égard.

Du coup, les hypothèses sur la possibilité d’un arrangement entre la Grèce et la Russie (ou la Russie + d’autres) se renforcent. Là encore, la force des évènements joue son rôle, et aussi les pressions du système de la communication ; aux éléments dans ce sens qu’on a déjà vus, on ajoutera celui de l’intransigeance de Bruxelles, de l’UE, qui ne cesse de se manifester depuis janvier dans le cours des négociations avec la Grèce. Cette intransigeance absolument conforme à l’arrogance et aux certitudes des dirigeants européens absolument dogmatiques, et à la discipline teutonne de l’“Europe allemande” par ailleurs, conduit à exiger une capitulation complète de Tsipras, poussant ainsi le gouvernement grec dans une position de plus en plus intenable, avec cette seule option d’une capitulation complète qui peut avoir des répercussions catastrophiques pour lui (Tsipras et son gouvernement) au niveau intérieur. Dans ce cas, une échappée sérieuse vers Moscou pourrait passer du stade d’une menace tactique sans intention de réalisation, pour peser dans la négociation avec Bruxelles, à une stratégie de changement de paradigme en bonne et due forme.

Phil Butler, de Russia Insider, est l’un de ceux qui jugent inéluctable un rapprochement stratégique de la Grèce et de la Russie. Américain spécialiste des médias et des relations publiques, de plus en plus actif au niveau du commentaire économico-politique, Butler suit les questions européennes (euro et le reste) et la crise grecque depuis longtemps. Le 18 mars 2015, il était encore incertain sur la possibilité d’une coopération entre la Grèce et la Russie, tout en considérant qu’il s’agissait d’une ouverture nouvelle qui ne manquait pas d’attrait :

«… This Speigel Online report frames the sitution fairly well if Russia and Greece do come to some agreement in April. Zero Hedge was spot on early in the new Greek adminitration’s strategy in framing the Greek attitude at least. The point there being, with nothing much left to lose and no love lost between Greece and the EU, Russia could play out as the white knight for a country that was dealt a deadly economic blow. In the end however, all the experts are speculating today. What matters now is the last up card in this back and forth portrait of wheeling and dealing. On Russia’s side? Well, this Pew Research Poll says the Greek people favor Russia over the EU 2 to 1. Looking at this report, it’s also clear Russia’s reputation is not as bad as the American perspective suggests. Even after a massive negative media onslaught these last 14 months the world tone on Russia is as equally postive as it is negative. This is actually fabulous if you’re Putin and being assailed.

»In the end it all comes down to Greece’s leaer though. As a politician, Tsipras could do a lot worse than giving his people what they ask for.»

Le 1er avril 2015, le ton a clairement changé. Le commentaire de Butler prend une dimension géopolitique fondamentale, alors qu’il affirme sans hésiter que ce n’est pas la seule Russie qui est dans ce jeu. Effectivement, Butler tient pour acquis que les Russes et les Chinois se sont entendus pour faire à la Grèce des offres de coopération générale au sens le plus large qui dépasse largement le seul domaine économique, notamment avec une dimension géopolitique passant par la livraison d’armements, offres qui devraient s’avérer bien plus intéressantes que tout ce que la Grèce peut attendre de sa position au sein de l’UE, et au sein de l’OTAN également. Butler reprend donc son commentaire en l’élargissant aux perspectives à long terme, qu’elles soient économiques et stratégiques, comme s’il avait pris connaissance du commentaire de Brzezinski et qu’il en avait tiré la conclusion que la Grèce ne peut plus prétendre à demeurer dans l’OTAN, et n’a plus intérêt à le faire… Ainsi annonce-t-il des perspectives offertes par Poutine à Tsipras “que Tsipras ne pourra pas refuser” ; et terminant son analyse par la prédiction qu’il faut s’attendre à d’importantes nouvelles et spéculations, le 9 avril, lendemain du sommet Tsipras-Poutine («Expect a big play in the news April 9th»).

«…On April 8th Greece is set to become the most valuable piece of real estate among NATO nations. The people there having suffered long because of corruption inside and outside their borders, they’ve nothing to lose, no love lost for Germany or her NATO companions. In fairness, Greeks adore no nation so much as their own. I expect Vladimir Putin and China’s Xi Jinping have already set their minds as to what the “offer” will be. Having already agreed to join China’s Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) on April 14, Russia will in all likelihood make Tsipras a deal he cannot refuse. Some combination of massive Chinese money investment, a Gazprom deal from Russia of equivalent value, and Greece will be back in the game sans NATO, the euro, and worries about defense spending.

»Not many of the investors (except for Boeing, Raytheon, and others) who flocked to read the first of my stories (metrics tell me interest in Greece intense) are aware Greece spends more [Note : en % du PIB bien entendu] than all but one of the 27 NATO countries after the United States. By the way, the US, Germany, and France are the beneficiaries of Greece’s arms expenditures, so a chunk of the country’s current budget goes to defense contractors. No doubt news of this creates even more of an austerity sore for Greek taxpayers. Where the metal meets the meat in Moscow, I’d be dully surprised if Putin’s finance people did not advise Greece to take every advantage, then to default and return to the drachma, at which time Russia and China could easily escalate the currency buying into Greek endeavors. After all, the Obama administration’s easing off Goldman Sachs, when that firm’s involvement in the Greek crisis has yet to be resolved, leaves Tsipras’ situation as a “catch-as-catch-can ” choice.

»After all is said and done, since when is cheating and defaulting on obligations a crime these days? Greece can earn €300 billion in one day, and another €300 billion in Gazprom gas, China capital, and Russian arms deals (Mr. Lavrov gives hints) to shortchange western manufacturers. Add in free flights from Moscow and St. Petersburg for the tourist season, and Greece could be the richest country in eastern Europe before summer’s end. Who could really blame the Greek people? American bankers double dipping, German arms dealers recouping revenue from EU bailouts, 30 percent unemployment and Germans here calling the Greeks “lazy” slackers? My only question is “when” will Portugal, Spain, and Italy tell Frankfurt and Washington to bugger off.

»In all seriousness, given the current situation in the United States, the UK, and in the EU debt wise, it seems clear “the west” cannot bid higher than China and Russia for Greece’s affections. The EU is in no position to either bail out Greece, or to contest Moscow in courting favor. The United States’ catastrophic foreign policy failures since 9/11, a debt bubble set to explode at home, and civil problems that would cripple any other country leave Washington scrambling to plug holes in the NATO alliance and the geostrategic limbo to come. The politicians in Washington not only have the world in a fix, but the American people are poised blindfolded on a fiscal cliff. David Stockman, former director of the Office of Management and Budget for President Ronald Reagan, says America is so addicted to debt a catastrophe is imminent. Experts from real estate legend Donald Trump to best selling author Robert Wiedemer have predicted as recently as this month a “bust” somewhere in between catastrophic and total collapse for the US economy.

»All these variables and more weigh on Greece’s leader, the chorus of EU principals, and Washington looking on as the Russo-Greek summit awaits in Moscow. I was reading just now a sentient piece about Greece being able to seize opportunity in these critical times. Ideas like a Greek-Cypriote doctrine of common defense, “The New Grand Strategy of Greece and its Mediterranean Geostrategic Imperatives” by Alexander Th. Drivas, emerge as a new construct for the Greek people. It seems pertinent right here to point out Greece is actually a good investment for Putin, or anybody for that matter. The chart below shows the situation with deposits still higher than before the hyper inflated years that led to the country’s crash. An infusion of business in Greece can surely fund full recovery, especially if the country changes currency and affiliations. I’m no economists, but I know Russia’s fiscal experts have not overlooked the potential.

»It is also no insignificant that Russian Foreign Minister mentioned at a recent meeting with Greek Foreign Minister Nikos Kotzias the Orthodox religious ties Russia and Greece share. To quote Lavrov: “In 2016, there will be another important anniversary: 1,000 years of a Russian monastic presence on Mount Athos – commemorative events have been planned.”»

Baril de poudre, mèche et allumette

L’on peut suivre ou répudier l’enthousiasme de Butler, mais l’on ne peut nier qu’effectivement la crise grecque, confrontée pour l’instant à un blocage au sein de l’UE du à l’intransigeance de la bureaucratie bruxelloise qui n’offre à la Grèce que la “porte de sortie” d’une capitulation complète, est effectivement en train d’évoluer pour sortir de ce cadre strictement européen et économico-financier qui était le sien jusqu’alors. La rencontre Tsipras-Poutine, avec le tintamarre de communication qui va l’accompagner, dans l’occurrence pesante sinon hystérique de l’extrême tension entre la Russie et le bloc BAO, ne peut en aucun cas être une rencontre de routine ou une rencontre de faux-semblant. La communication étant ce qu’elle est, cette rencontre sera nécessairement un événement politique, où nombre de commentateurs-Système verront la marque d’une trahison insupportable de Tsipras.

Le résultat de la communication sera alors d’ajouter effectivement, mais officiellement cette fois, cette dimension politique et même stratégique que Butler décrit. A partir de là, la crise grecque échappe à la seule problématique européiste, aux pleurnicheries des partisans de l’Europe appuyés sur l’intransigeance des doctrinaires de Bruxelles. A partir de là, la crise grecque n’est plus une “affaire de famille” (européenne) mais l’illustration d’une famille (européenne) désunie sinon déjà brisée, dont les membres épars se sentent dégagés des liens d’allégeance, et dont certains sont amenés à voir ailleurs s’ils y sont, – au moins aussi bien, sinon mieux … Et Lavrov d’ajouter : “mais nous sommes orthodoxes, vous et nous, c’est-à-dire de la même famille après tout  ; et l’année prochaine nous célébrerons le millénaire du Mont-Athos, berceau de cette ‘famille’”. Cela vous a une autre allure que la mine coupante du président de la Commission Juncker, le texte du Traité de Lisbonne ou les perspectives du TTIP transatlantique qui vous enchaîne à une superpuissance parasitaire en train de couler.

A partir de là, effectivement, les évènements prennent en charge la crise grecque, signifiant par là que leur dynamique elle-même n’est plus la conséquence de décisions politiques mais s’impose comme l’énergie directrice, et tend elle-même alors à imposer des décisions. Les acteurs deviennent trop nombreux pour qu’on puisse espérer faire une prévision, ce qu’on a fait jusqu’ici dans les négociations entre Athènes e Bruxelles … On voit alors combien cette ligne rectiligne tracée entre l’arrivée de gouvernement Tsipras et les décisions de juillet tend à se briser, et justement à échapper à ce schéma où l’on voulait enfermer la crise grecque.

Si effectivement cette logique s’impose, si effectivement la visite de Moscou libère la crise grecque de son carcan bruxellois/berlinois pour devenir une vraie crise internationale, alors on se trouvera devant une situation inédite, une véritable “première”. Pour la première fois, une affaire purement européenne, et qu’on espérait conserver comme purement européenne parce que le linge sale se lave en famille et que cela permet de faire rentrer dans le range les récalcitrants, pour la première fois “une affaire purement européenne” serait extraite, on dirait presque “exfiltrée” en termes militaires, du cadre européen où l’on entendait l’y conserver.

La “magie” de l’Europe se trouve dans une sorte de logique concentrationnaire : vous y entrez mais vous ne pouvez plus prétendre en sortir, même si vous en avez formellement le droit, parce que l’Europe est quelque chose qui ne peut pas reculer, qui ne peut pas accepter que “l’un des siens” puisse envisager de la quitter, parce qu’une fois que vous avez goûté au paradis européen vous n’avez pas l’autorisation de vouloir vous en extirper sous prétexte que ce paradis c’est l’enfer. Si c’est pourtant le cas, alors tout s’ébranle, tous les soupçons sont permis jusqu’à celui du paradis devenu enfer, tout est remis en question, jusqu’à la vertu du dogme postmoderniste et de la global governance, jusqu’à l’existence de Dieu en un sens… C’est certainement pour cette raison, bien plus à notre sens que pour des raisons monétaires, budgétaires, d’endettement, qu’il faudrait attendre des remous considérables si effectivement se dessinait quelque chose d’inéluctable du côté des Grecs.

… Et “remous considérables”, certes, parce qu’il s’agit des Russes. Tout le potentiel extraordinaire de diabolisation, de haine, de narrative faussaire et d’épuisement des psychologies que le bloc BAO a amassé face à la Russie-Poutine et à l’encontre de la Russie-Poutine, va peser d’un poids terrible sur la rencontre. Il va faire naître, ce potentiel, des supputations extraordinaires, des hypothèses fantastiques, qui nous conduiront bien loin que la dette et les calculs d’épicier des bureaucrates à-la-Juncker inspirés par les banquiers… Et encore n’a-t-on pas mentionné directement la panique soudaine, la colère terrible, l’anathème tonitruant qui vont naître du côté de l’OTAN quand on s’apercevra, la gorge soudain étranglée, le canon à moitié sorti de son étui que l’un des membres de la distinguée organisation, “l’un des leurs” malgré tout, s’en va batifoler, c’est-à-dire comploter intimement, avec l’Ennemi numéro un, avec le voleur de Crimée et le boucher du Donbass. (Et bien sûr tout cela n’est concevable que parce qu’il s’agit de la Grèce et que chacun sait bien, au fond de lui, que la Grèce est dans une situation telle, avec un gouvernement sur qui pèse le poids terrible de ses engagements alors que l’on ne lui offre que la possibilité de capituler, qu’elle pourrait effectivement être tentée par une aventure ou l’autre, et que cette rencontre avec le diable c’est justement l’opportunité d’une de ces aventures.)

Pour l’instant, nous n’avons, nous, rien d’autre à proposer que cette perspective de communication autour des 8-9 avril, mais nous découvrons en énonçant la chose que ce n’est rien de moins qu’un cas tout simplement fondamental. Et il est alors bien vrai qu’il faut s’attendre à un véritable choc lorsque l’événement aura lieu, et que ce choc sera générateur de nombre d’attitudes aujourd’hui imprévisibles et même paraissant improbables. Dans cette sorte d’occurrence, on ne peut anticiper la force du choc psychologique de la chose accomplie par simple connaissance de la perspective anticipée de l’accomplissement de la chose. Encore sommes-nous dans une situation où nombre d’acteurs-commentateur, qui vivent en général au jour le jour, au rythme de la communication de cette étrange époque, ne se sont pas encore vraiment aperçus de ce qui se préparait, sans parler de supputer à propos de ce qui pourrait se passer…

Ainsi, chemin faisant, sommes-nous conviés à nous apercevoir que la crise grecque, qui est un baril de poudre avec une mèche, n’est pas à la seule disposition des pouvoirs totalitaires, arrogants et irresponsables de Bruxelles. Il se trouve que les Russes auraient peut-être bien l’allumette qu’il faut et que Tsipras pourrait avoir l’esprit de laisser faire sans essayer de souffler pour éteindre.

Source : De Defensa, le 2 avril 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/les-inconnus-de-moscou-par-philippe-grasset/


Les services secrets prédisent l’enfer pour 2030

Saturday 4 April 2015 at 00:01

Tiens, un vieux papier plein d’optimisme sur lequel je suis retombé…

Surpopulation, guerre de l’eau, manque de nourriture et épuisement des ressources de la planète, un rapport du National Intelligence Council dresse un constat qui fait froid dans le dos pour les années à venir.

Nous sommes de plus en plus nombreux sur la Terre ce qui provoque des conséquences alarmantes.
Nous sommes de plus en plus nombreux sur la Terre ce qui provoque des conséquences alarmantes.

A quoi ressemblera la Terre en 2030? Combien serons-nous? Y aura-t-il assez à manger pour tout le monde? Où devrons-nous vivre? Autant de questions qui peuvent être des facteurs d’instabilité dans le monde et auxquelles leNational Intelligence Council (NIC) américain vient de répondre dans le rapport Global Trends 2030 publié récemment.

Crucial

La question de la démographie est cruciale pour l’avenir de la planète. Et la Terre devrait accueillir 8,3 milliards d’habitants en 2030, rappelle l’étude rapportée par Le Monde, contre 7,1 aujourd’hui. Mais surtout contre 2,5 milliards en 1950.

Autant de chiffres qui ont des conséquences pour l’état de santé de la Terre. Des conséquences d’abord alimentaires. Car la demande en nourriture devrait augmenter de 35% d’ici 2030. Or, les rendements agricoles, même s’ils continuent de s’améliorer, n’arriveront pas à répondre à la demande et nous vivons déjà sur les réserves selon le rapport du NIC, le bras analytique et prospectif des services de renseignement américains.

On consomme plus que l’on produit

«Au cours de sept des huit dernières années, le monde a consommé plus de nourriture qu’il n’en a produit. Une grande étude internationale estime qu’en 2030, les besoins annuels en eau atteindront 6900 milliards de mètres cubes, soit 40% de plus que les ressources durables actuelles», note l’étude. Pire encore: le rapport souligne que presque la moitié de la population mondiale vivra dans des régions touchées par la sécheresse, provoquant ainsi de gros risques de guerre pour l’eau.Mad Max n’est décidément pas loin…

En outre, les pays émergents sont en train de changer leur régime alimentaire et consomment de plus en plus de viande. Or, la production de viande exige beaucoup d’eau et de céréales également avides de liquides.

Le rapport souligne aussi que 60% de la population mondiale vivra en ville en 2030. Là aussi, les conséquences seront graves pour l’environnement. Car l’urbanisation croissante «a conduit à des réductions drastiques des forêts, des changements négatifs dans le contenu nutritif et la composition microbienne des sols, des altérations dans la diversité des plantes et animaux supérieurs ainsi que des changements dans la disponibilité et la qualité de l’eau douce».

Bref: l’avenir ne s’annonce pas franchement rose en terme de sécurité alimentaire. Reste à savoir comment les Américains, qui ont refusé de s’engager récemment sur la limitation des gaz à effet de serre lors des négociations de Doha, vont empoigner le problème décrit minutieusement cette fois pour leurs propres services de sécurité.

Source : Christine Talos, pour Le Matin, le 29 décembre 2012.

Source: http://www.les-crises.fr/les-services-secrets-predisent-lenfer-pour-2030/


Une Europe Détestable, conduite par des gens méprisables, par Charles Gave

Friday 3 April 2015 at 03:17

La minute nécessaire du vrai libéral :)

Charles Gave

Revenons en arrière, aux années 90.  L’Euro est en préparation et tous « les oints du Seigneur » de service de nous expliquer que l’introduction de l’Euro va amener à une croissance plus forte, à une hausse de l’emploi, au développement d’un système bancaire intégré, solide et puissant, à une amélioration extraordinaire de la protection sociale, à des femmes plus belles et à des hommes plus aimables…et que tout cela n’aura aucun coût.

Une citation entre mille : « Maastricht constitue les trois clefs de l’avenir : la monnaie unique, ce sera moins de chômeurs et plus de prospérité ; la politique étrangère commune, ce sera moins d’impuissance et plus de sécurité ; et la citoyenneté, ce sera moins de bureaucratie et plus de démocratie. » (Michel Rocard, 27 août 1992, Ouest-France)

Quel génie ! Le sergent Maginot apparait comme un visionnaire en comparaison de Michel Rocard…

Quelques voix, Philippe Villin,  J.C Rosa et quelques autres dont votre serviteur, s’élevaient- déjà- à l’époque contre ce qui paraissait être une ânerie économique mais surtout une faute politique.

Je ne vais pas avoir la cruauté de montrer une fois de plus les résultats  économiques désastreux de ce Frankenstein financier car la réalité parle d’elle-même.

En réalité, ma principale critique a toujours été que l’Euro allait détruire l’Europe que j’aimais, celle de la diversité pour la remplacer par une Europe Technocratique et inhumaine, ce qui ne manquerait pas de faire renaitre les vielles haines entre peuples tout en permettant l’émergence de mouvements populistes dont l’Histoire a montré qu’ils pouvaient être extraordinairement dangereux.

C’est sur cet aspect politique que je veux écrire aujourd’hui, car c’est de loin le plus important.

Ma thèse, depuis le début, a toujours été que la construction de l’Euro avait été organisée par un groupe de gens non élus et ne rendant de comptes à personne pour prendre le pouvoir politique et que donc cela s’assimilait à un coup d’Etat.

En ce qui concerne l’Europe, dès son origine, il y a eu deux conceptions qui s’affrontaient

Ces deux conceptions ont navigué de pair tant bien que mal jusqu’à  la réunification Allemande où il devint évident que l’Allemagne allait disposer du pouvoir monétaire en Europe grâce à  la Bundesbank et au DM.

Les partisans Français de l’Etat Européen (Delors, Trichet etc..) décidèrent alors de faire un coup d’Etat et de forcer la création de cet Etat en commençant par la monnaie, c’est à dire l’Euro, ce qui était censé coincer l’Allemagne, Mitterrand annonçant fièrement alors «qu’il avait cloué les mains de l’Allemagne sur la table de l’Euro». On le vérifie chaque jour.

A l’époque, j’avais écrit ” des Lions menés par des Anes”, mon premier livre, dans lequel j’expliquais que l’Euro allait amener à trop de maisons en Espagne, trop de fonctionnaires en France et trop d’usines en Allemagne et où j’annonçais un désastre économique sans précédent dans l’Europe du Sud.

Et pour cause, je ne connais pas dans l’histoire de fixation de taux de changes fixes entre deux pays avec une productivité différente qui ne se soit pas terminé par un désastre.

Et la conclusion de ce livre était que l’Euro allait tuer l’Europe que j’aimais, c’est à dire l’Europe de la diversité et faire remonter les vieilles haines ancestrales  à la surface…

Car toutes les tentatives dans l’Histoire de recréer l’Empire Romain, ce fantôme qui hante notre histoire, se sont terminées dans la guerre et dans le sang.

Comme on pouvait s’y attendre, depuis ce coup d’Etat, les procédures de remises au pas de ceux qui ne sont pas d’accord sont devenues de moins en moins démocratiques.

Lorsque la crise Grecque, la première, commença, un socialiste, Papandreou était au pouvoir. Il accepta les conditions imposées par le FMI qu’il avait appelé à la rescousse (présidé alors par Strauss-Kahn…), à la condition que le peuple Grec soit consulté par referendum. Il fut instantanément remplacé, après de sordides manœuvres de couloir par un dénommé Papademos…ancien vice gouverneur de la BCE.

Quelque temps après, Berlusconi, le premier Ministre Italien, émit l’idée que si l’Allemagne continuait à suivre une politique déflationniste qui tuait ses voisins, alors l’Italie pourrait décider de quitter l’Euro. Lui aussi fut promptement débarqué et remplacé par le Quisling de service,  un ancien Commissaire Européen, dénommé Monti, que personne n’avait jamais élu et qui avait fait toute sa carrière à Bruxelles.

Dans les deux cas de figure, un premier ministre parfaitement légitime qui avait osé remettre en cause la Doxa Européenne a été débarqué manu militari pour être remplacé par quelqu’un de plus …souple.

Mais tout cela s’est fait dans une certaine discrétion, le but étant de ne pas affoler les populations.

Avec les dernières élections Grecques, les masques sont tombés.

Tour à  tour, nous avons eu :

Et donc, ces trois éminents personnages nous annoncent tranquillement qu’’ils s’assoient avec beaucoup d’assurance et sur la Démocratie et sur la Souveraineté de chaque Nation Européenne. Et cette attitude est de plus en plus visible chez leurs seconds couteaux.

Une participante -Grecque- aux dernières négociations à Athènes a dit que l’un des membres de la Troïka avait suggéré pour régler les problèmes de cash-flow de l’Etat local que celui-ci ne paye ni les retraites ni les fonctionnaires pendant un ou deux mois. Proposition rejetée avec indignation par le ministre des Finances, cela va sans dire. On ne peut s’empêcher de penser au fameux  « Ils n’ont pas de pain ?  Qu’ils mangent de la brioche» de Marie Antoinette.

Cela m’amène à poser une seule question : Pour les Peuples Européens, de quel espoir est porteur aujourd’hui l’Europe telle que les technocrates nous l’ont bâti ?

Qui est prêt à mourir pour cette Europe ?

La «Démocratie Européenne ressemble de plus en plus à l’évidence aux  « Démocraties Populaires »  d’il y a peu.

On sait comment on y entre, on ne sait pas comment en sortir.

Nous sommes en train d’arriver à  ce que je craignais par-dessus tout : Une dé -légitimation de l’idée Européenne née après la seconde guerre mondiale et voila qui me rend fort triste. A ce point, le lecteur va me demander: mais que faire ?

La réponse est toujours la même.

Le pire n’est jamais sûr, et c’est pendant la profondeur de la nuit disait Péguy (je crois, à moins que ce ne fut Bernanos) qu’il est beau de croire à  l’Aurore.

Source : Charles Gave, pour l’Institut des Libertés, le 16 mars 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/une-europe-detestable-conduite-par-des-gens-meprisables-par-charles-gave/


Pourquoi Jobs n’est pas Edison, par Vaclav Smil

Friday 3 April 2015 at 01:01

Allez, pour nous changer un peu, ce petit billet qui vous fera certainement réagir… :)

Cela n’enlève rien à Steve Jobs de dire qu’il n’est pas Thomas Edison. Il suffit seulement de comprendre ce que Edison a accompli.

Les superlatifs à propos de l’exercice de Steven Jobs en tant que responsable d’Apple ont atteint de nouveaux sommets lorsqu’il a annoncé sa retraite en août 2011. Ceux qui ont été frappés par les chics produits d’Apple que Jobs a aimé présenter dans des mises en scène très attendues les estimaient pour le moins révolutionnaires et ont maintes fois déclaré qu’ils changeaient non seulement ce qu’on pouvait attendre de l’électronique moderne, mais nos vies mêmes.

Les panégyriques ont atteint leur apogée avec l’hommage d’Auletta Ken dans Le New Yorker :

Le Thomas Edison du vingtième siècle a franchi une étape… Le champ d’application des technologies qui sont sorties ou ont été transformées par les laboratoires d’Apple de Jobs – le Mac, la souris, l’ordinateur portable, Pixar, iTunes, l’iPod, l’iPhone, l’iPad – est stupéfiant, comme cela fut le cas du Menlo Park d’Edison. Et Jobs, comme Edison, a accompli ses exploits imaginatifs sans la béquille d’enquêtes et de sondages interminables pour lui dire ce que les gens voulaient.

Je n’ai aucun désir de dénigrer ou rejeter quoi que ce soit de ce que Jobs a fait pour son entreprise, pour ses actionnaires ou pour les millions de gens rendus incurablement accros au point de constamment devoir vérifier leurs minuscules téléphones Apple ou subir un lavage de cerveau avec d’incessants flots de musique – je veux juste expliquer pourquoi Jobs n’est pas Edison.

N’importe quel étudiant en histoire des progrès techniques doit être frappé par la différence entre les innovations historiques, de premier ordre, qui n’ont eu lieu qu’à de rares et imprévisibles périodes et la myriade d’inventions de deuxième ordre ultérieure, d’améliorations et de perfectionnements qui n’auraient pu avoir lieu sans une telle percée et qui accompagnent et suivent à la fois (parfois très rapidement, souvent assez tardivement) la maturation commerciale des possibilités ouvertes par le progrès technique fondamental. L’exemple le plus ancien d’un tel saut technique a eu lieu quand nos ancêtres de la préhistoire ont commencé à utiliser des pierres pour en modeler d’autres et en faire des outils aiguisés (des haches, des couteaux et des flèches). Et il n’y a pas eu d’innovation moderne plus fondamentale, plus importante que la production commerciale à grande échelle, la transmission, la distribution et la conversion de l’électricité.

Je me suis dit que le meilleur moyen, peut-être, pour illustrer l’importance de l’électricité dans la civilisation moderne serait de se demander ce que nous n’aurions pas sans elle : (1)

La réponse est : à peu près tout dans le monde moderne. Nous utilisons l’électricité pour nous éclairer, un univers d’appareils électroniques (des téléphones portables aux superordinateurs), une multitude d’appareils électroniques allant des sèche-cheveux portables aux trains les plus rapides du monde, et presque tous les produits qui sauvent des vies (la synthèse moderne et la production de médicaments est impensable sans électricité : les vaccins doivent être réfrigérés, les cœurs sont supervisés par électrocardiogrammes et, pendant les opérations, sont irrigués par des pompes électriques) et la plus grande part de notre alimentation est produite, transformée, distribuée, cuite à l’aide d’appareillages et de machines électriques.

Ces innovations fondamentales eurent lieu pendant une période remarquablement brève – la plupart entre 1870 et le début du XXe siècle – étonnamment par un petit nombre d’inventeurs, d’ingénieurs, et de scientifiques. Dans le but d’éviter les plus évidentes injustices, même une brève liste de créateurs pionniers des systèmes électriques doit inclure les noms de Charles Clarke, Sebastian Ferranti, Lucien Gaulard, John Gibbs, Zénobe-Théophile Gramme, Edward Johnson, Irving Langmuir, Charles Parsons, Emil Rathenau, Werner Siemens, William Stanley, Charles Steinmetz, Joseph Swan, Nikola Tesla, Elihu Thomson, Francis Upton, et George Westinghouse. Mais, à juste titre, un nom les surpasse tous : celui de Thomas Alva Edison.

Contrairement aux idées reçues, sa plus grande contribution n’était pas l’invention de la lampe à incandescence : une pléthore d’autres inventeurs l’ont surpassé, et il doit partager la gloire de ses premiers divers succès commerciaux relativement durables avec Joseph Swan. La contribution d’Edison fut fondamentalement plus importante car il a mis en place, en une remarquablement brève période entre 1880 et 1882, le premier système commercial au monde de génération, de transmission et de conversion de l’électricité. T.P. Hughes l’exprime le mieux quand il conclut que “Edison était un conceptualiseur holistique et un chercheur déterminé à résoudre les problèmes associés avec le développement des systèmes”. (2) L’allure ainsi que l’ampleur de son inventivité est peut-être la mieux illustrée par le fait que, pendant ces trois années décisives, il s’est vu attribuer non seulement 90 brevets pour le filament et l’ampoule à incandescence, mais aussi 60 brevets pour des machines électriques type magnéto ou dynamo et leurs régulations, 14 brevets pour le système d’éclairage électrique, 12 brevets pour la distribution d’électricité et 10 brevets pour les compteurs et moteurs électriques.

Peut-être qu’aucun témoignage contemporain de ses réussites n’est aussi révélateur et élogieux que les impressions d’Emil Rathenau, le pionnier de l’industrie électrique allemande, lorsqu’il découvrit la démonstration du système d’Edison à l’Exposition Universelle de Paris en 1881 :

Edison a aussi magnifiquement conçu jusqu’au moindre détail le système d’éclairage, et l’a tout aussi soigneusement élaboré que s’il avait été testé pendant des décennies dans différentes villes. Aussi bien les prises, les interrupteurs, les fusibles, les porte-lampes, ou encore les autres accessoires nécessaires pour compléter l’installation ont été mûrement réfléchis ; de plus la génération du courant, la réglementation, le câblage avec des boîtes de distribution, les raccordements domestiques, les compteurs, etc., tous ont montré des signes d’ingéniosité étonnante et d’incomparable génie. (3)

Après tout, Edison a apporté de nombreuses contributions fondamentales à des secteurs d’activité évoluant très rapidement, en utilisant l’électricité dans la reproduction de sons et d’images (son phonographe, des caméras et projecteurs), ainsi que dans des catégories techniques aussi diverses que des batteries améliorées, le traitement du minerai de fer et la construction de maisons préfabriquées en béton. Il a accumulé près de 1100 brevets américains et plus de mille brevets étrangers.

Mais le système électrique d’Edison est sans conteste sa réussite la plus probante : un approvisionnement abordable et fiable de l’électricité qui a ouvert les portes au tout-électrique, à toutes les grandes innovations de second ordre allant de l’éclairage progressivement plus efficace aux trains rapides, des dispositifs médicaux de diagnostic aux réfrigérateurs, des industries électrochimiques géantes à des ordinateurs minuscules équipés de micropuces.

Jusqu’en 2010, aucun des microprocesseurs dans la gamme des produits Apple n’était désigné ou fabriqué par Apple. Par exemple, Samsung a fourni le principal processeur de l’iPhone ; les puces Wolfson ont été utilisées pour son système audio ; l’interface d’écran a été pris en charge par des puces National Semiconductor, et la gestion énergétique a été assurée par des puces Infineon. C’était également le cas des tout premiers produits Apple : la gamme Apple II aurait été impossible sans les innovations réalisées par Xerox PARC – surtout son Star computer – et Douglas Engelbart de Stanford Research Institute a breveté la première souris en 1967, une décennie avant la gamme Apple II.

En conséquence, les produits Apple sont des innovations de troisième ordre qui utilisent une variété de fondamentaux d’innovations de second ordre dans l’actuel vaste royaume des composants électroniques pour assembler et programmer des systèmes dont le plus grand attrait a été dû à leur caractère : (choisissez votre propre adjectif où utilisez les tous) lisse, non-conformiste, élégant, rationnel, propre, design d’interface fonctionnel.

Non que ces caractéristiques soient sans importance lorsqu’on essaye de vendre a l’échelle de masse – Edsel, peut-être le parangon du produit défaillant américain, avait le même type de moteur (V8 Ford-Edsel) qui fit le succès de la Ford Mustang! – mais l’apparence et l’attrait du produit représentent beaucoup trop peu pour prétendre à l’exposition universelle.

Et il ne fait aussi aucun doute que les appareils Apple ont bénéficié de l’engouement pour la marque, un phénomène qui a souvent favorisé un produit ou une catégorie de modèles fondés sur une allégeance que les fidèles eux-mêmes ont du mal à définir en termes cohérents (en revanche, au faîte de sa gloire Microsoft a souffert à l’inverse d’une critique excessive). Dans ces positions extrêmes, cette loyauté s’est manifestée par des gens prêts à payer des surcoûts élevés pour l’ingénierie allemande, même après des décennies d’évaluations des associations de consommateurs qui n’ont pas réussi à démontrer une supériorité indéniable des voitures allemandes sur Honda et Toyota.

Quant aux “technologies extraordinaires” qui ont surgi à partir des laboratoires de recherche d’Apple, un observateur impartial ne pourrait pas décrire l’iPad autrement que comme un petit ordinateur portable sans clavier avec un étui (une aubaine pour les fabricants d’étuis que les gens achètent pour protéger l’appareil) plutôt qu’une invention qui a fait date comme ont pu le faire l’électricité, la vaccination, les cultures hybrides ou des engrais azotés synthétiques…

Auletta conclut que Steve Jobs, tout comme Edison, est « un inventeur et un homme qui a changé nos vies.” Analyser l’histoire en train de s’écrire comporte un risque. Quelque 130 ans après la création du remarquable système de l’électricité d’Edison, il ne subsiste aucun doute sur la nature fondamentale et réellement contemporaine de ce que nous lui devons : le monde sans électricité est devenu inimaginable. Je suis prêt à parier que dans 130 ans, nos successeurs ne seront pas en mesure de dire la même chose de dispositifs électroniques élégants d’Apple assemblés à partir de composants de fournisseurs et offrant des services qui ne sont pas fondamentalement différents de ceux produits par les concurrents. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’un monde sans iPhone ou iPad serait tout à fait acceptable.

Vaclav Smil fait de la recherche interdisciplinaire dans les domaines de l’énergie, le changement de l’environnement et de la population, la production alimentaire et la nutrition, l’innovation technique, l’évaluation des risques et la politique publique à l’Université du Manitoba.

EN SAVOIR PLUS : Smil a aussi écrit “Crise du Japon : Contexte et Perspectives.” Nick Schulz parle de “Steve Jobs : Le plus grand échec de l’Amérique.” “Biotechnologie et le système des brevets” une enquête de Claude Barfield et John E. Calfee.

Notes de bas de page

1. Smil, V. 2005. Creating the Twentieth Century. New York: Oxford University Press.

2. Hughes, T.P. 1983. Networks of Power. Baltimore, MD: Johns Hopkins University Press.

3. Rathenau, E. 1908. Quoted in: Dyer, Frank L. and Thomas C.  Martin. 1929. Edison: His Life and Inventions. New York: Harper & Brothers, pp. 318-319.

Source : American Enterprise Institute, le 30/09/2011

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/pourquoi-jobs-nest-pas-edison-par-vaclav-smil/


ALERTE Grèce

Thursday 2 April 2015 at 02:00

J’ai hésité à rédiger ce billet, mais bon…

J’ai discuté cette semaine avec plusieurs spécialistes du dossier grec, y compris des personnes ayant rencontré des ministres de Syriza.

Les conclusions étant inquiétantes, je les partage avec vous.

I. Le problème insoluble

Voici les contraintes actuelles :

1. l’Europe a prêté des sommes folles à la Grèce

2. la Grèce ne peut pas rembourser

3. si la Grèce annonce officiellement un défaut, l’Europe perd des sommes folles, la BCE saute et obligera à des recapitalisations dantesques, ce qui entrainera probablement la fin de l’euro

4. l’Europe veut imposer des programmes de lourde austérité néolibérale à la Grèce

5. ces politiques sont le contraire du programme de Syriza, qui ne peut céder

6. si l’UE cède, d’autres pays du Sud demanderont les mêmes annulations de dette que la Grèce, et ce sera la fin de l’euro

En résumé :

Reste à savoir dans ce jeu de poker qui cèdera le premier. (oui, ça semble sans issue, mais c’est normal, vu que l’euro n’a jamais été viable… !)

La réponse que j’attendais de mes contacts est qu’il semble bien que les Grecs ne cèderont pas. Ils sont europhiles, mais ils ont compris que l’Europe veut qu’ils baissent leur pantalon, ce qui serait un suicide politique pour une politique délirante et de souffrance du peuple grec qui a déjà lourdement donné.

La logique de base voudrait évidemment alors que l’UE cède, mais elle a 3 raisons de ne pas le faire :

  1. par principe néolibéral et bêtise (mauvaise raison)
  2. pour que cet exemple ne contamine pas d’autres pays (bonne raison – sauf que si la Grèce ne cède pas, ça explose)
  3. pour tuer l’euro en jetant la faute sur la Grèce, ce qui pourrait être une stratégie cachée allemande (je n’en sais rien, mais ce serait alors une bonne raison).

Conclusion : Il semble donc qu’il y a 70 % de chances qu’on s’oriente vers un Grexit brutal, d’ici 2 ou 3 semaines - sauf si l’UE cède, mais ce qui aura aussi des conséquences politiques difficiles.

Comme Sapir l’explique, et comme le disait Romaric Godin (relire ce papier d’avant hier), le temps presse :

II. Que faire ?

Pas grand chose hélas… Pour le moment, croiser les doigts et attendre d’y voir plus clair :

 

Par ailleurs, et même si ce site n’a nullement pour but (c’est un métier) ni envie de donner des conseils financiers, je me bornerais à quelques conseils de prudence élémentaire en ces temps dangereux :

1. si vous avez moins de 50 000 € de placements financiers, ne vous inquiétez pas trop, ça devrait assez bien se passer même en cas de remous ;

2. ne laissez pas plus de 50 000 € dans une banque universelle systémique qui a de grosses expositions sur la finance de marché (bref, à défaut d’avoir une séparation légale des activités bancaires, séparez vous-même votre épargne :) )

Le risque du pays est concentré sur les 4 premières banques ici (parties en rouge) :

Sont donc beaucoup moins risquées des structures comme par exemple, la banque postale, le crédit mutuel, le crédit coopératif, d’autres petites banques, les livrets d’épargne des crédits municipaux (monts de piété), etc.

3. sortez rapidement des marchés actions et obligations – surtout vu les niveaux stratosphériques atteints. ATTENTION, c’est un conseil pour une gestion “de bon père/mère de famille”, pour préserver votre épargne. Dans une optique spéculative, rester investi pourrait générer encore plus de gains – ou de pertes !

4. n’achetez pas d’immobilier, sauf peut-être si vous êtes CERTAINS de garder le bien 20 ou 30 ans, et encore… En revanche, c’est le bon moment pour vendre à mon avis. ATTENTION, c’est un conseil pour une gestion “de bon père/mère de famille”, pour préserver votre épargne. Dans une optique spéculative, acheter pourrait générer encore plus de gains – ou de pertes !

5. il n’est pas stupide de disposer de 5 % à 10 % de son patrimoine sous forme d’or physique, mais c’est à voir comme une assurance en cas de gros problème. En effet, ce marché est volatil et peut susciter des gains ou des pertes en capital. (perdre 10 % de 5 % de son capital reste acceptable dans ce domaine). Réfléchissez et soyez prudents, surtout si vous ne pouvez pas le stocker sans risque.

À suivre !

P.S. inutile de m’écrire, je ne donnerai pas de conseils personnalisés…

P.P.S. et ne vous moquez pas de moi si en juin la Grèce est toujours dans l’euro, je signale juste un risque important, je ne suis pas Madame Soleil… :)

Source: http://www.les-crises.fr/alerte-grece/


Junker : “Maintenant, il va falloir que Tsipras explique aux grecs qu’il ne remplira pas ses promesses”

Thursday 2 April 2015 at 00:17

Junker à la presse espagnole…

 

A Bruxelles, la semaine dernière : Junker derrière son bureau, tenant une copie d’un entretien précédent donné à EL PAÍS. [NdT : quotidien espagnol] / DELMI ALVAREZ

A un moment, au cours des deux dernières années, après avoir perdu les élections au Luxembourg, Jean-Claude Junker (né à Redange en 1954), caressa l’idée d’abandonner la politique et d’écrire ses mémoires. Puis, il a réalisé que ce qui ne peut pas être dit doit être tu : “Il aurait fallu confesser des secrets inavouables.” Juncker a rangé le projet pour revenir à son milieu naturel : après avoir gagné les élections européennes, malgré les réticences de Berlin, il dirige la Commission européenne, qu’il appelle lui-même “de la dernière chance” à cause de la nécessité de sortir définitivement la tête de cette combinaison de crises multiples assaisonnées d’un formidable désenchantement quant à l’UE. Il continue de taire certaines choses après plusieurs décennies en première ligne européenne, même si, hors micro, il égrène des anecdotes juteuses parfaitement impubliables. Et, dans cette entrevue avec El PAIS, il offre une vision modérément optimiste de l’Europe, même s’il s’autorise le doute : il applaudit l’Espagne pour ses réformes, mais prévient que, pour être honnête, il faut ajouter que la crise perdurera tant que le chômage ne baissera pas ; il concède qu’Alexis Tsipras a assumé ses responsabilités, mais il affirme qu’il lui faudra encore expliquer aux grecs que certaines de ses promesses sont intenables. Les partis comme Syriza ou Podemos, dit-il, établissent un bon diagnostic de la situation, mais leurs propositions mèneraient au “blocage total” du projet européen.

L’Europe continue d’être un lieu intéressant et contradictoire : un ex-vice-président de Goldman Sachs, Mario Draghi, défie l’orthodoxie allemande. Et le leader conservateur d’une sorte de paradis fiscal, Juncker, fait obstacle aux recettes de Berlin en ajoutant une dose de flexibilité dans ses règles fiscales. Il lance un plan d’investissements d’un contorsionnisme financier inusité, à la saveur pseudo keynésienne. Il promet d’en finir avec les magouilles fiscales des multinationales, alors qu’il est lui-même dans l’œil du cyclone à cause des abus de son pays. Entre le discours churchillien de sang, de sueur et de larmes incarné par Merkel et le “I have a dream” à la Martin Luther King de Tsipras, Juncker – qui vient aujourd’hui en Espagne – cherche un compromis plus pragmatique, moins proche du ton moralisateur de ces (très germaniques) derniers temps. Il alerte contre la tentation de l’échec en rappelant que certaines choses n’éveillent une loyauté passionnée qu’après avoir été perdues. Et il déplore que le pire de la crise “soit le retour de vieilles rancœurs.”

Question : Quel est le problème majeur de l’Europe ?

Réponse : Le désenchantement des gens par rapport aux institutions est un défi, mais le problème majeur reste le chômage. Avec des chiffres du chômage des jeunes aussi élevés en Espagne, même si les choses sont en train de s’améliorer, nous ne pouvons dire aux gens, ni à nous-mêmes, que la crise est finie. Il est plus honnête de dire que nous continuerons à subir de graves difficultés tant que le chômage ne sera pas redescendu à des niveaux normaux. Nous sommes au milieu de la crise : celle-ci n’est pas terminée.

Q : Un tel réalisme surprend : l’Espagne a fait trois réformes sur l’emploi en cinq ans, la Commission que vous présidez les montre en exemple jour après jour, alors que le chômage atteint 23% et que le chômage des jeunes dépasse 50%.

R : Mon impression est la suivante : le gouvernement espagnol a réformé l’économie, a pris des décisions compliquées, a approuvé de dures réformes structurelles, même si nous pouvons discuter de leur envergure et de leur ambition, a résolu la crise bancaire, et la reprise est là. Peut-être n’en a-t-on pas encore suffisamment fait pour aboutir à l’emploi, cela peut donner aux espagnols l’impression trompeuse que les choses ne vont pas dans la bonne direction.

Q : Personne ne met en doute les statistiques mais expliquez-les à 5,5 millions de chômeurs.

R : Les réformes structurelles tardent à donner des résultats. Je comprends l’impatience, les citoyens exigent des résultats immédiats. Mais il faut donner du temps au temps.

Q : N’avons-nous pas eu déjà suffisamment de temps pour voir les résultats des politiques européennes ? Nous en sommes déjà à cinq années de sauvetage en Grèce, et il ne semble pas que les choses soient si faciles pour Tsipras. Il n’était pas approprié que les gouvernements négocient des ajustements avec des fonctionnaires.

R : Tsipras a franchi une étape fondamentale ; Il a commencé à assumer ses responsabilités. Mais il a un problème : il doit encore expliquer que certaines des promesses qui lui ont fait gagner les élections ne seront pas réalisées.

Savoureux, quelle belle vision de la Démocratie – c’est ça finalement les “valeurs européennes” ?

Tsipras a le mérite d’avoir posé les bonnes questions. Mais il n’a jamais donné de réponses. S’il a donné quelques réponses, celles-ci étaient exclusivement nationales, alors qu’il est évident que sur ce qui touche à la Grèce et à son programme, il y a 19 opinions publiques qui comptent. Les élections ne changent pas les traités : il est clair que vous pouvez avoir une autre approche de la crise grecque ; Il peut y avoir plus de flexibilité, mais la victoire de Tsipras ne lui donne pas le droit de tout changer. L’image de la Grèce prend diverses couleurs selon qui la regarde : les Allemands, les Grecs, les Portugais ou les Espagnols.

Q : Le dernier accord a évité une secousse sur les marchés. Et pourtant, n’est-ce pas là l’un de ces croche-pieds que vous dénonciez en quittant la direction de l’Euro-groupe ?

R : La marge de manœuvre s’est réduite. De nombreux pays ont l’impression que l’histoire de la Grèce n’en finit pas, de deux programmes on va passer à trois ; les grecs ont le même sentiment. Les choses se sont améliorées : le déficit public et le chômage ont chuté, la situation s’était éclaircie jusqu’aux élections. Mais même ainsi, pour un grec de 27 ans qui n’a jamais travaillé les statistiques ont peu d’intérêt : il est préoccupé parce qu’il n’a pas d’emploi. Et cela, qui vaut pour la Grèce comme pour l’Espagne, n’est pas si facile à changer à court terme, même avec des réformes.

Q : Tsipras a été élu sur un message anti-austérité, anti-troïka, avec la promesse de restructurer la dette. Craignez-vous que d’autres partis, comme Podemos, brandissent ce drapeau ?

R : Ce nouveau genre de parti analyse souvent la situation de façon réaliste, ils pointent avec acuité les énormes défis sociaux. Mais s’ils gagnent les élections ils sont incapables de réaliser leurs promesses, de transformer leurs programmes en réalités. Les propositions de certains de ces partis ne sont pas compatibles avec les règles européennes : ils mèneraient à une situation de blocage total.

Q : “Mort à la troïka”, disait un haut responsable de la dernière Commission. Ce moment est-il arrivé ?

R : Les gens découvrent aujourd’hui que cela fait des années que je dis qu’il faut en finir avec la troïka. En partie pour une question de dignité : peut-être n’avons nous pas été suffisamment respectueux.

Q : C’est ce que dit Tsipras.

R : C’est différent. Mon approche consiste à souligner que les pays secourus siégeaient lors des négociations non pas face à la Commission ou à l’Euro-groupe, mais à des fonctionnaires. Ce n’était pas adéquat. Second problème : lorsque nous lançons un programme d’ajustement, une évaluation de l’impact social est indispensable. Cela n’a pas été fait, et nous voyons aujourd’hui que 25% des grecs ont été chassés du système de sécurité sociale. Nous devrions anticiper ce genre de conséquences.

Q : Au-delà de la Grèce, l’Europe prend un tournant : plus de flexibilité fiscale, d’investissements et une BCE plus active. Les États-Unis ont une croissance du double et moitié moins de chômeurs, peut-être parce que d’autres politiques ont été appliquées. Est-ce trop tard ? Y-a-t’il eu des erreurs ici ?

R : Les États-Unis et la zone euro ne sont pas comparables. Nous continuons à penser en Europe que la consolidation fiscale et les réformes sont importantes, mais il est clair que cela seul ne suffit pas : il faut investir pour éviter que 23 millions d’européens soient toujours privés d’emploi. Pour cela nous avons conçu ce plan d’investissements de 315 000 millions d’euros. Les banques publiques d’Allemagne et d’Espagne ont déjà répondu au projet. Nous sommes sur la bonne voie.

Q : Mais ils écartent l’investissement dans le capital du fonds. Ils injecteront seulement des fonds durant la phase finale des projets de leurs pays respectifs. Cela vous déçoit ?

R : Je ne partage pas votre point de vue. Quand la photo globale du plan sera prête, nous aurons plus de contributions. Mais même sans elles, le plan est comme un poème : il parle par lui-même.

Q : Vous êtes un des pères des actuelles règles de l’euro, qui n’ont ni empêché la crise ni permis plus tard de la gérer correctement. N’ont-elles pas été faites pour un monde qui n’existe plus ?

R : L’Europe n’est pas un État avec un gouvernement et un trésor public. Dans la conception actuelle de la zone euro, des règles sont indispensables pour coordonner les politiques économiques. Le pacte de stabilité permet déjà la flexibilité ; l’union bancaire est un bond en avant pour éviter que ne se déclenche une réplique de la crise financière. L’union économique et monétaire est un processus en continuelle construction.

Q : Pourquoi au sud avons-nous l’impression que les règles deviennent flexibles seulement quand les problèmes atteignent la France, comme cela s’est déjà produit au cours de la dernière décennie pour l’Allemagne ?

R : Vous mélangez les dates : l’Allemagne n’a pas suivi la lettre du pacte en 2003, et la réforme se fit en 2005. Par rapport à la décision de donner deux ans à la France, différents pays, incluant ceux du sud, ont critiqué cette mesure. Et je ne vois cependant pas de grand enthousiasme en France, qui se trouve obligée de revoir son budget et de tenir ses engagements. On peut avoir l’impression que la France a reçu un cadeau, mais c’est un cadeau empoisonné.

Q : Comment expliquez-vous à un espagnol que, après trois réformes du code du travail et une des retraites, l’Espagne ait obtenu deux ans en 2013 pour réduire son déficit, et que la France ait obtenu quatre ans depuis lors sans une seule réforme de cette ampleur ?

R : La France n’a pas fait suffisamment de réformes, mais elle a mis en marche ce processus. Elle a réformé sa structure régionale, et elle a adopté la loi Macron, bien que celle-ci ne soit pas suffisamment ambitieuse. Paris a envoyé un document de 47 pages qui explique comment elle va aborder les réformes. Elle sait ce qu’elle doit améliorer. Et elle le fera.

Q : Il y aura des amendes ?

R : Je suis sûr que le gouvernement français a compris que les sanctions sont une possibilité.

Q : Il semble que le traditionnel axe franco-allemand soit une chose révolue. Que vous évoque ce que Tony Judt appelait l’”inquiétant pouvoir de l’Allemagne” ?

R : La Grèce est l’exemple même que ce sentiment d’une Allemagne leader européen à la poigne de fer ne correspond pas à la réalité. Il y a eu des pays plus sévères que l’Allemagne : la Hollande, la Finlande, la Slovaquie, les pays baltes, l’Autriche. Ces dernières semaines, l’Espagne et le Portugal ont été très exigeants envers la Grèce.

Q : Comment votre relation avec Merkel a-t-elle évolué ? Votre Commission veut être plus politique : est-ce que cela inclut d’agir comme contrepoids à Berlin ?

R : Ca ne m’intéresse pas de défier Merkel, ni aucun premier ministre. Ma relation avec elle est excellente.

Q : L’un des défis de votre mandat est le référendum britannique sur son appartenance à l’UE. N’êtes-vous pas lassé par tant d’apocalypses ?

R : Mon expérience me dit que les révolutions ne s’annoncent jamais : les ruptures du statu quo ne réussissent que si elles arrivent par surprise. Je veux réfléchir aux propositions du Royaume-Uni. Eux ont leurs propres lignes rouges et moi, j’ai les miennes : la libre circulation des personnes n’est pas négociable. Mais je suis surpris que des pays du sud comme l’Espagne, ou ceux de l’Est, avec une grande tradition d’émigration, ne réagissent pas avec plus de fermeté.

Q : Quelle proposition va faire la Commission sur l’immigration ?

R : Je comprends l’importance qu’accordent certains pays à la lutte contre les abus, mais la réponse n’est pas de changer les règles européennes, mais la législation nationale. Si on remet en cause aujourd’hui la libre circulation, dans deux ans il y aura des attaques contre d’autres libertés.

Q : Ce type de proposition accompagne l’avancée du populisme. Mais d’autres choses gênent les Européens : l’évasion fiscale, par exemple. Êtes vous la personne adéquate pour régler cette affaire après le Luxleaks ?

R : Le problème du Luxembourg est le même que celui de beaucoup d’autres pays. Mais l’écosystème a changé : plusieurs membres se sont vus obliger de faire des ajustements qui minent leur état-providence, et ne tolèrent plus ces comportements avec les impôts. Les européens n’acceptent plus que les multinationales, avec l’aide de consultants, échappent au paiement de l’impôt si facilement. En ce qui concerne Luxleaks, au Luxembourg les règles sont claires, bien que probablement elles ne furent pas respectées : ce n’est pas le ministre des finances qui prend ces décisions, mais l’administration fiscale. Je sais que personne ne le croit, mais c’est ainsi.

Q : L’Europe a un problème en son sein (la Grèce), à sa périphérie (la Russie) et court le risque de perdre une ou deux générations de jeunes à cause du drame du chômage. Voyez-vous les symptômes du malaise ?

R : Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe et périlleux. L’UE a pris des mesures afin d’améliorer sa gouvernance, mais il est difficile de partager sa souveraineté et de surmonter les pulsions nationalistes de désagrégation : la crise a fait émerger des problèmes qui étaient en gestation depuis des années. Mais je ne vois pas d’alternative au projet européen, en dehors des utopies régressives portées par quelques populismes démagogiques. Quel aurait été le déroulement des évènements si les pays n’avaient pas partagé la monnaie ?

Hmmm, comme le Royaume-Uni ?

Aurions-nous eu une réponse commune à une Russie qui fait tout ce qu’elle peut afin de nous diviser ?

Diplomate le gars…

Q : Sans une reprise digne de ce nom, il est inévitable que resurgissent les vieux démons. Quelles sont les conséquences de la fracture nord sud ?

R : Le plus triste de ces trois dernières années, c’est de constater que les vieilles rancœurs que nous croyions disparues persistent. De nombreuses analyses allemandes sur la Grèce sont inacceptables ; beaucoup de réactions grecques aux décisions de l’Allemagne sont inacceptables. Non seulement la reprise est fragile, mais l’intégration européenne dans son ensemble est menacée. C’est une fleur délicate.

Et elle aura donc duré ce que durent les roses. RIP.

Source : El Pais, le 03/03/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/junker-maintenant-il-va-falloir-que-tsipras-explique-aux-grecs-quil-ne-remplira-pas-ses-promesses/


Jean-Claude Junker : “Il faudrait une armée européenne”

Thursday 2 April 2015 at 00:14

Jean-Claude Juncker , à la presse allemande…

Le chef de la Commission européenne, Juncker, souligne les grands points communs qu’il partage avec la chancelière fédérale – qu’il n’appelle que “Angela” – en ce qui concerne la question de la Grèce. Il conseille également aux allemands de lui faire plus confiance.

Par Beat Balzli, Christoph B. Schiltz, André Tauber

“Des déclarations d’amour à la pelle” : Jean-Claude Juncker avec la chancelière fédérale Angela Merkel. Photo : dpa

Des murs blancs chaulés, des couloirs sombres, peu d’œuvres d’art aux murs. A l’intérieur de l’immeuble de la Commission, à Bruxelles, peu de choses pour signaler que l’on se trouve ici dans le centre de la politique européenne. Même le bureau du président de la Commission, Jean-Claude Juncker, au 13e étage, fait fi des signes pompeux du pouvoir. A l’entrée de ses invités, le jovial luxembourgeois enfile rapidement sa veste. Dans la bibliothèque derrière son bureau se trouvent des livres d’art, l’un d’entre eux traite du Gréco. Ce crétois a quitté autrefois sa patrie parce qu’il s’imaginait trouver le bonheur à l’extérieur de la Grèce.

Die Welt : Monsieur le président, êtes-vous un connaisseur de la Grèce ?

Jean-Claude Juncker : Je m’étonne que vous affirmiez cela. Il faut que nous respections les grecs et que nous comprenions leurs problèmes. Je m’oppose à ce que l’on tape sur les grecs, comme c’est de temps à autre le cas dans les articles allemands. Je ne suis pas un connaisseur de la Grèce, mais quelqu’un qui respecte les grecs.

Die Welt : Alexis Tsipras semble le savoir, il vous a désespérément appelé au téléphone et vous a demandé votre aide.

Juncker : Cela fait déjà plusieurs jours que je discute avec M. Tsipras afin de fixer une date pour une visite à Bruxelles. Nous allons certainement nous rencontrer dans les deux semaines qui viennent. Mais je ne voudrais pas saper par des ententes en sous-main les décisions prises par l’Euro-groupe. C’est pourquoi je ne verrai pas monsieur Tsipras avant lundi, quand les ministres des finances de l’Euro-groupe se rencontreront.

Die Welt : Que pensez-vous du ministre des finances grec, M. Varoufakis ?

Juncker : Je ne suis pas obligé de parler avec le ministre des finances grec. Mes interlocuteurs sont les chefs d’état et les chefs de gouvernement.

Die Welt : Mais Tsipras et lui suivent un parcours chaotique. Est-ce que le gouvernement grec se perd entre les promesses électorales et la réalité ?

Juncker : Vous savez, je ne comprends déjà pas ma propre psychologie, alors comment pourrais-je comprendre celle des autres ?

Die Welt : Concrètement, qu’est-ce que vous attendez d’Athènes ?

Juncker : La Grèce doit s’en tenir aux réformes qui ont été convenues avec ses créanciers. Si le gouvernement veut dépenser plus, il doit compenser par des économies ou des prélèvements complémentaires.

Die Welt : Au début de l’Euro-crise, vous avez mis en garde contre des troubles sociaux en Europe. La situation en Grèce vous conforte-t-elle dans cette idée ?

Juncker : A l’époque j’ai été décrié, les critiques disaient que j’exagérais. Mais j’avais bien raison. Un quart des grecs ne perçoit plus de prestations sociales, le chômage augmente, en particulier celui des jeunes et il y a des manifestations pour protester contre cela. Nous devons faire attention à ce que la situation en Grèce ne dégénère pas davantage. Ce qui me préoccupe c’est qu’au sein de l’Union européenne tous ne semblent pas avoir compris la gravité de la situation en Grèce.

Die Welt : Le problème crucial des grecs est que l’argent manque. Est-ce que l’UE interviendra, quand bien même Athènes n’aura encore livré aucune réforme ?

Juncker : Je suis toujours prudent quand il s’agit de faire publiquement des recommandations à l’Euro-groupe.

Die Welt : Ce n’est pas ce que tout le monde croit. Certains disent que vous vous mêlez trop des négociations des ministres des finances de l’Euro-groupe.

Juncker : Je ne m’occupe pas de la manière dont les autres me perçoivent. Sinon une journée de 24 heures ne suffirait pas. Je ne m’en suis pas mêlé de manière inappropriée, mais seulement en apportant ma contribution pour arriver à une résolution du problème. Dans ce contexte mon action était étroitement coordonnée avec celle du chef de l’Euro-groupe.

Die Welt : En fait, savez-vous de combien d’argent la Grèce a réellement besoin ?

Juncker : Nous connaissons les besoins financiers de la Grèce, mais je ne vais pas contribuer à des spéculations publiques sur des chiffres. Cela enverrait un faux signal à Athènes.

Die Welt : Mais sans nouveaux crédits, la Grèce ne survivra pas. Y aura-t-il un nouveau plan d’aide pour cet été ?

Juncker : Nous ne devons pas spéculer maintenant sur ce qui se passera en juillet. Tant que la seconde moitié du plan d’aide actuel à la Grèce est en cours, nous ne pouvons rien changer à la Troïka (qui a maintenant une autre appellation), et représente les créanciers européens et internationaux d’Athènes Tant que le plan est en cours, c’est ceux qui étaient aux commandes qui doivent y rester.

Photo du Président de la commission européenne Jean-Claude Juncker dans son bureau à Bruxelles – Photo : Sander de Wilde

Die Welt : Et qu’est-ce qui se passe après juillet ?

Juncker : Comme je l’ai déjà souligné lors de la campagne électorale, après juillet il faudra réfléchir à la manière dont les créanciers internationaux doivent se comporter face à des pays dont l’économie a dérapé. Cela ne signifie pas que les négociations sur les programmes d’aide devront être menées de manière moins stricte, mais elle doivent être plus politiques. Ce n’est pas acceptable qu’un premier ministre doive discuter de réformes avec des fonctionnaires. L’un est élu, l’autre pas.

Die Welt : Est-ce que le fonds monétaire international doit rester à bord concernant les crédits pour les programmes des pays ?

Juncker : Le FMI doit continuer à jouer un rôle lors des programmes d’aides. S’il en était autrement, le parlement allemand manifesterait une grande résistance.

Die Welt : Est-ce qu’un “Grexit”, une sortie de la Grèce de l’union monétaire, ne rendrait pas les choses plus faciles ?

Juncker : La Commission européenne a la position suivante : il n’y aura jamais de “Grexit”. Personne parmi les responsables politiques en Europe ne travaille dans le sens d’une sortie de la Grèce de la zone Euro. La sortie de la Grèce conduirait à entacher de manière irréparable la réputation de l’Union européenne dans le monde.

Die Welt : Mais la réputation de l’Europe a déjà souffert depuis longtemps. L’Union européenne est en pleine crise : la monnaie, la politique étrangère, le marché intérieur. Comment voulez-vous redonner de l’enthousiasme aux gens pour l’Europe ?

Juncker : Avant je pensais que l’Europe n’était plus à établir. Mais j’ai compris, qu’en fait il y a une nécessité à le faire. L’Europe a beaucoup perdu en reconnaissance, elle n’est pas non plus bien prise au sérieux en ce qui concerne la politique étrangère.

Die Welt : Cela est apparu entre autre dans la crise ukrainienne. Avons-nous besoin d’une armée de l’Union européenne ?

Juncker : Une armée européenne commune montrerait au monde, qu’il n’y aura plus jamais de guerre entre les pays de l’UE.

Non, il y aura comme ça de plus grosses guerres de l’UE avec d’autres pays, comme les USA – le modèle…

Une telle armée nous aiderait à établir des politiques étrangères et de sécurité communes, et à conforter la responsabilité de l’Europe dans le monde. Avec sa propre armée, l’Europe pourrait intervenir de manière plus crédible devant la paix menacée dans un pays membre ou dans un pays voisin de l’Union européenne.

Die Welt : La Russie aurait-elle renoncé à l’annexion de la Crimée, si une telle armée avait existé ?

Juncker : Les réponses militaires sont toujours les mauvaises réponses. Elles sont l’aveu que les diplomates et les politiques ont échoué. On n’a pas une armée européenne pour tout de suite l’envoyer sur le terrain. Mais une armée commune aux européens donnerait clairement à comprendre à la Russie que nous ne plaisantons pas avec la défense des valeurs européennes.

Ah, les “valeurs européennes”… C’est quoi au fait ?

Die Welt : L’OTAN ne suffit pas à cela ?

Juncker : Tous les membres de l’OTAN ne font pas partie de l’Union européenne. Dans ce cas il ne s’agit pas de concurrence, mais de rendre l’Europe plus forte. De plus une armée européenne conduirait à une meilleure coopération pour le développement et l’achat de matériel militaire et à des économies significatives.

Die Welt : Avec tous les efforts pour se mettre d’accord, il y a aussi suffisamment de divergences. Est-ce que l’union monétaire doit être approfondie pour la consolider ?

Junker : Nous devons éviter de donner l’impression que nous voulons accroître la distance entre les pays de la zone Euro et ceux qui n’en font pas partie.  Dès que les pays de la zone Euro tirent de l’avant, les autres, comme la Grande-Bretagne ont une attitude de défense.

Die Welt : L’Union européenne a-t-elle besoin de son propre budget, afin de la renforcer, et qu’elle ne soit pas dépendante des finances des pays membres ?

Juncker : Je suis pour que les états de la zone Euro, à moyen terme, reçoivent ensemble des budgets pour faire face à la conjoncture.

Die Welt : Pour cela il faudrait un ministre des finances commun.

Juncker : Cette question m’occupe depuis des années. Mon ami, l’ancien président de la Banque Centrale Européenne, Jean-Claude Trichet, y était favorable. Une chose est sûre, un tel ministre des finances devrait disposer d’un pouvoir sur tous les budgets européens et serait contrôlé par le parlement.

Die Welt : Vous voyez une majorité politique pour ça ?

Juncker : Il faudrait d’énormes modifications des traités, pour qu’un tel fonctionnaire soit également doté des instruments nécessaires. Pour cela il faudrait que les états membres soient prêts à renoncer à leur souveraineté. Nous n’avons même pas pu imposer que le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité puisse avoir le titre de ministre européen des affaires étrangères. Aucun ministre national des affaires étrangères ne laisse le champ libre si facilement. Ils invoquent tous la communauté, mais d’autre part ne suivent pas tous les mêmes règles.

Et c’est pas près de changer… – heureusement

Die Welt : Votre décision d’accorder un nouveau délai à la France pour assainir son budget est critiquée.

Juncker : C’était très difficile avec le report pour la France, car je savais quelle serait la réaction de l’Allemagne. Les Allemands ont commenté la décision, avant même qu’elle soit rendue officielle. Mais ce que nous avons décidé était concluant.

Die Welt : L’impression d’un monde à deux vitesses s’instaure quand les grands pays comme la France sont traités avec indulgence et que les petits doivent s’en tenir aux règles.

Juncker : Un ancien premier ministre luxembourgeois ne contribue pas à ce que les différences entre petits et grands pays augmentent. La décision concernant la France est la bonne. Nous exigeons aussi que Paris fasse des réformes.

Die Welt : Mais vous renoncez pour la troisième fois à des sanctions.

Juncker : C’est l’éclairage allemand sur la question. A Berlin on se plaint que la France ait obtenu deux années supplémentaire pour réduire son déficit. En revanche en France, il est question de réformes à faire dans les deux ans et non pas trois comme souhaité. Paris doit économiser environ quatre milliards d’euros au cours de son année budgétaire.

Die Welt : Pierre Moscovici, le commissaire européen aux affaires économiques et financières, ancien ministre français des finances, serait intervenu pour une ligne de traitement douce.

Juncker : Je ne participe pas aux spéculations pour savoir quel commissaire aurait dit quoi et quand. Je suis le président de la Commission. Si d’autres veulent se livrer à ces petits jeux sur le dos de l’institution, c’est leur affaire.

Die Welt : Lors de votre visite il y a quelques jours, la Chancelière allemande Angela Merkel ne vous a-t-elle pas sermonné ?

Juncker : Madame Merkel, en fait je dirai plutôt “Angela et moi” partageons le même avis et avons donné à profusion des déclarations d’amour publiques. C’est bien le journal “Die Welt” , il n’y a pas si longtemps, qui nous a qualifiés de vieux couple (rire). Je l’ai aussi lu à Angela, quand elle était assise là sur le divan.

Die Welt : Et a-t-elle ri aussi ?

Juncker : Naturellement.

Photo: Infographie Die Welt

Die Welt : Ça sonne très harmonieux. Mais pour traiter avec ceux qui ont des déficits budgétaires, vous avez de grosses divergences.

Juncker : Je vous en prie ! Quand Mme Merkel dit que nous avons de bonnes relations de travail, et qu’elle fait confiance au président de la République française pour remplir les exigences, eh bien vous ne remettez pas en question ses évaluations. Faites confiance à ce que cette femme dit. C’est ce que je fais.

Die Welt : Qu’en est-il de votre programme d’investissement ? Vous voulez mettre 21 milliards d’euros sur la table de manière à ce qu’ils génèrent 315 milliards d’investissements. Berlin voit ça d’un œil critique.

Juncker : Pas à ma connaissance. Lundi dernier, lors de ma visite à Berlin, la Chancelière allemande a publiquement soutenu le programme d’investissement de l’UE et l’institut de crédit allemand pour la reconstruction, ainsi que la banque française pour le développement, contribueront à hauteur de huit milliards d’euros. Nous voulons tous, avec l’aide de bailleurs de fonds privés changer les paradigmes budgétaires. Au lieu de donner des moyens pour des subventions, nous réorganisons ces moyens. Ce qui ne dédouane pas les états membres de leurs obligations, mettre en place les réformes structurelles et tenir leur budget.

Die Welt : Cela ne risque-t-il pas de mener à des affrontements lors de la distribution ?

Juncker : Bien que cela irrite beaucoup de personnes dans mon entourage, j’attache beaucoup d’importance au fait que ce n’est pas la Commission européenne qui gère le programme d’investissements, mais des experts de la Banque Européenne d’Investissement. La raison en est simple : La Commission serait objet de pressions. Les gouvernements des états membres ne cesseraient de nous influencer pour que nous privilégions leurs projets.

Die Welt : Vous-même êtes critiqué, car le Luxembourg a accordé des privilèges fiscaux aux multinationales.

Juncker : Je sais que l’affaire des LuxLeaks n’a pas joué en ma faveur. Je suis suffisamment réaliste. Mais j’ai déjà annoncé en juillet que nous allions établir un plan d’action contre l’évasion et la fraude fiscales. Je le maintiens, même si tout le monde ne me croit pas. Le Commissaire européen Pierre Moscovici va présenter prochainement un projet reprenant les grandes lignes.

Die Welt : Est-ce que vous êtes en accord avec vous-même ?

Juncker : Absolument. Malheureusement là je dois partir, pour appeler le chef du l’Euro-groupe Jeroen Disjsselbloem.

Source : Die Welt, le 08/03/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/il-faudrait-une-armee-europeenne/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade)

Wednesday 1 April 2015 at 04:00

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: Chômage: “L’alignement des planètes ? Je le cherche encore !”

Olivier Delamarche VS Pierre Sabatier (1/2): A qui profite la hausse du CAC 40 ? – 30/03

Olivier Delamarche VS Pierre Sabatier (2/2): Croissance en Europe: “Il ne faut pas croire tout ce qu’on nous dit” – 30/03

II. Philippe Béchade

La minute de Béchade: “L’investissement en bourse c’est comme des penaltys sans gardien!”

Philippe Béchade VS Julien Nebenzahl (1/2): Le CAC 40 prend une pause – 25/03

Philippe Béchade VS Julien Nebenzahl (2/2): Qu’est-ce qui pourrait enrayer la hausse des marchés européens ? – 25/03

III. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir : “La Grèce sera à court d’argent le 14 avril” – 31/01

Jacques Sapir VS Pierre Barral (1/2): La zone euro affiche un premier trimestre exceptionnel – 31/03

Jacques Sapir VS Pierre Barral (2/2): L’Europe doit-elle craindre le ralentissement de l’économie américaine ? – 31/03


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-01-04-2015/


L’assassinat de la Grèce, par James Petras

Wednesday 1 April 2015 at 01:09

L’asphyxie de Syriza fait partie intégrante d’un processus qui dure depuis dix ans en vue de l’élimination de la Grèce par l’UE.

Par James Petras – le 22 février 2015

 

by Dr. James Petras

Le gouvernement grec est aujourd’hui enfermé dans une lutte à mort face à l’élite qui domine les banques et les centres du pouvoir politique de l’Union Européenne.

Ce qui est en jeu, ce sont les conditions de vie de 11 millions de travailleurs, fonctionnaires et artisans grecs, ainsi que la viabilité de l’Union Européenne. Si le gouvernement de Syriza capitule face aux exigences des banquiers de l’Union Européenne et accepte de poursuivre la politique d’austérité, la Grèce sera alors condamnée à des décennies de régression, de misère et de domination coloniale. Si la Grèce décide de résister et si elle est contrainte de quitter l’Union Européenne, il lui faudra répudier une dette extérieure de 270 milliards d’euros, provoquant la chute des marchés financiers internationaux et l’effondrement de l’Union Européenne.

 

Les dirigeants européens : des fantoches impuissants

Les dirigeants de l’Union Européenne misent sur un reniement par les dirigeants de Syriza des promesses faites à l’électorat grec qui, au début du mois de février 2015, voulait, à une écrasante majorité (plus de 70 %), en finir avec l’austérité et le paiement de la dette, développer les investissements de l’état dans l’économie nationale et le développement social (Financial Times 7-8/2/15, p. 3). Les choix sont douloureux, leurs conséquences auront une portée historique mondiale. Les enjeux vont bien au-delà de l’aspect local, ou même régional à court terme. C’est à l’échelle mondiale que tout le système financier en sera affecté (FT 10/2/15, p. 2).

Bien au-delà de l’Europe, le non-remboursement de la dette va se propager à tous, débiteurs ou créanciers ; la confiance des investisseurs à l’égard de l’empire financier occidental sera ébranlée. Avant tout, toutes les banques occidentales ont des liens directs ou indirects avec les banques grecques (FT 2/6/15, p. 3). Quand ces dernières s’effondreront, elles seront profondément affectées au-delà de ce que leurs gouvernements peuvent supporter. L’intervention massive de l’état sera à l’ordre du jour. Le gouvernement grec n’aura plus alors d’autre choix que de prendre le contrôle de l’ensemble du système financier… l’effet domino affectera en premier lieu l’Europe du Sud puis se propagera aux “régions dominantes” du nord ainsi qu’à l’Angleterre et à l’Amérique du Nord (FT 9/2/15, p. 2).

Afin de comprendre les origines de ces crises et des choix auxquels la Grèce et l’Union Européenne sont confrontées, il est nécessaire de passer rapidement en revue les développements économiques et politiques des trois dernières décennies. Nous procéderons en examinant les relations grecques et européennes entre les années 1980 et 2000, puis la crise actuelle et l’intervention européenne dans l’économie grecque. Dans la section finale, nous discuterons de l’ascension et de l’élection de Syriza et de sa soumission grandissante dans le contexte 0de domination et d’intransigeance de l’Union Européenne, mettant en évidence la nécessité d’une cassure radicale avec les anciennes relations de ‘seigneur à vassal’.

Histoire ancienne : la fondation de l’empire européen

En 1980 la Grèce fut admise dans la Communauté économique européenne (CEE) comme un état vassal de l’empire émergent franco-allemand. Avec l’élection d’Andreas Papandréou, chef du parti panhellénistique socialiste grec qui disposait d’une majorité absolue au Parlement, l’espoir d’un changement radical dans les affaires intérieures et extérieures se faisait jour. 1/ En particulier, pendant la campagne électorale, Papandréou avait promis la sortie de l’OTAN et de la CEE, l’annulation des accords autorisant les États-Unis à maintenir des bases militaires en Grèce et une économie fondée sur la “propriété sociale” des moyens de production. Après avoir été élu, Papandréou a immédiatement assuré à la CEE et à Washington que son gouvernement resterait au sein de la communauté européenne et de l’OTAN et renouvelé les accords sur les bases militaires des États-Unis. Des études, commandées par le gouvernement au début des années 80, montrant les résultats à moyen et long terme du maintien de la Grèce dans la CEE, notamment la perte de contrôle du commerce, des budgets et des marchés, ont été ignorées par Papandréou qui a choisi de sacrifier l’indépendance politique et l’autonomie économique sur l’autel des transferts de fonds à grande échelle, des prêts et des crédits venant de la CEE. Depuis son balcon, Papandréou a parlé aux masses d’indépendance, de justice sociale, alors qu’il conservait des liens avec les banquiers européens et les oligarques grecs, armateurs comme banquiers. L’élite européenne à Bruxelles et les oligarques grecs à Athènes ont gardé la mainmise sur les hautes sphères du système politique et économique de la Grèce.

Papandréou a conservé les pratiques de clientélisme politique mises en place par les précédents gouvernements de droite, remplaçant uniquement les fonctionnaires de droite par des membres du parti PASOK.

La CEE a balayé la rhétorique radicale bidon de Papandréou et s’est focalisée sur le fait qu’elle achetait le contrôle et la soumission de l’état grec en finançant un régime clientéliste corrompu, qui détournait les fonds des projets de développement de la compétitivité économique grecque au profit d’un système de favoritisme fondé sur une consommation accrue.

Les élites européennes savaient, au final, que la mainmise financière sur l’économie leur permettrait de dicter la politique grecque et de la garder au sein de l’empire européen émergent.

En dépit de la rhétorique démagogique “tiers-mondiste” de Papandréou, la Grèce était profondément ancrée au sein de l’Union Européenne et de l’OTAN. Entre 1981 et 1985, Papandréou a rejeté sa rhétorique socialiste en faveur d’une augmentation des dépenses sociales pour les réformes de l’aide sociale, l’augmentation des salaires, des pensions et de la couverture de santé, tout en renflouant les entreprises en faillite économique mises à terre par des capitalistes kleptocrates. Résultat, tandis que le niveau de vie augmentait, la structure économique de la Grèce ressemblait toujours à celle d’un état vassal fortement dépendant de la finance de l’Union Européenne, des touristes européens, et à une économie de rente basée sur l’immobilier, la finance et le tourisme.

Papandréou a consolidé le rôle de la Grèce comme avant-poste vassalisé de l’OTAN, une plate-forme pour une intervention militaire américaine au Moyen-Orient et en Méditerranée orientale doublée d’un marché pour les produits manufacturés d’Allemagne et d’Europe du Nord.

D’octobre 1981 à juillet 1989 la consommation grecque a augmenté tandis que la productivité stagnait. Papandréou a remporté les élections en 1985 en utilisant les fonds de la CEE. Pendant ce temps la dette grecque européenne s’envolait… Les dirigeants de l’UE ont condamné la mauvaise utilisation des fonds par la vaste armée de kleptocrates de Papandréou mais pas trop bruyamment. Bruxelles reconnaissait que Papandréou et le PASOK représentaient le meilleur moyen pour museler l’électorat radical grec et garder la Grèce sous tutelle de la CEE et comme fidèle vassal de l’OTAN.

Des leçons pour Syriza : les réformes à court terme et la stratégie vassaliste du PASOK

Qu’il soit dans le gouvernement ou en dehors, le PASOK a suivi les traces de son adversaire de droite (Nouvelle Démocratie) en acceptant la camisole de force de l’OTAN-CEE. La Grèce a continué à maintenir les dépenses militaires par habitant au niveau le plus élevé de tous les membres européens de l’OTAN. Résultat, la Grèce a reçu prêts et crédits pour financer des réformes sociales à court terme et la corruption à grande échelle à long terme, tout en élargissant l’appareil politique de l’état-parti.

Avec l’ascension du premier ministre ouvertement néolibéral Costas Simitis en 2002, le régime du PASOK a manipulé les comptes, fabriqué des données gouvernementales sur son déficit budgétaire, avec l’aide des banques d’investissement de Wall Street, et est devenu un membre de l’Union Monétaire Européenne. En adoptant l’euro, Simitis a favorisé une plus grande subordination financière de la Grèce aux fonctionnaires européens non élus de Bruxelles, dominés par le ministère allemand des finances et les banques.

Les oligarques grecs ont fait de la place au sommet pour une nouvelle espèce d’élite kleptocratique issue du PASOK, qui a détourné des millions sur les achats militaires, commis des fraudes bancaires et s’est livrée à une évasion fiscale massive.

Les élites bruxelloises ont permis à la classe moyenne grecque de vivre l’illusion d’être des “européens prospères” car elles conservaient une influence décisive à travers les prêts et l’accumulation des dettes.

Une fraude bancaire à grande échelle – trois cent millions d’euros – a même impliqué le bureau de l’ex-premier ministre Papandréou.

Les relations clientélistes à l’intérieur de la Grèce n’avaient d’égales que les relations clientélistes entre Bruxelles et Athènes.

Même avant le krach de 2008 les créanciers de l’UE, banquiers privés et prêteurs officiels, fixaient les paramètres de la politique grecque.

Le krach mondial révéla les fondations fragiles de l’état grec – et conduisit directement à l’intervention directe et brutale de la Banque Centrale Européenne, du Fonds Monétaire International et de la Commission Européenne – la tristement célèbre « Troïka ». Cette dernière a imposé les politiques « d’austérité » comme condition du “sauvetage”, qui ont dévasté l’économie, provoquant une crise économique majeure, appauvrissant plus de 40% de la population, réduisant les revenus de 25% et générant 28% de chômage.

La Grèce : captivité par invitation

Prisonnière de l’UE politiquement et économiquement, la Grèce était impuissante au plan politique. Mis à part les syndicats qui ont lancé trente grèves générales entre 2009 et 2014, les deux principaux partis, PASOK et Nouvelle Démocratie, ont amené la prise de contrôle par l’UE. La dégénérescence du PASOK en un appendice de l’UE constitué d’oligarques et de vassaux collaborateurs a vidé de son sens la rhétorique ‘socialiste’. Le parti de droite Nouvelle Démocratie a renforcé et rendu plus profonde encore la mainmise de l’UE sur l’économie grecque. La Troïka a prêté à son vassal grec des fonds (“de sauvetage”) qui furent utilisés pour rembourser les oligarques financiers allemands, français et anglais et renforcer les banques privées grecques. La population grecque était ‘affamée’ par les politiques “d’austérité” destinées à maintenir le flot des remboursements sortant vers le haut.

L’Europe : Union ou Empire ?

La crise de L’Union Européenne de 2008/2009 eut plus d’impact sur ses maillons faibles, l’Europe du Sud et l’Irlande. L’Union Européenne a révélé sa véritable nature d’empire hiérarchique, dans lequel les états puissants, l’Allemagne et la France, pouvaient ouvertement et directement contrôler l’investissement, le commerce, les politiques monétaires et financières. Le “sauvetage” de la Grèce tant vanté par l’UE était en fait le prétexte pour imposer de profonds changements structurels. Ceux-ci incluaient la dénationalisation et la privatisation de tous les secteurs économiques stratégiques, les remboursements de dettes perpétuels, les diktats étrangers sur les politiques de revenus et d’investissements. La Grèce a cessé d’être un état indépendant : elle a été totalement et absolument colonisée.

Les crises perpétuelles de la Grèce : la fin de “l’illusion européenne”

L’élite grecque et, au moins depuis 5 ans, la plupart des électeurs, ont cru que les mesures régressives (“austérité”) adoptées – les licenciements, les coupes budgétaires, les privatisations, etc., étaient des traitements amers de courte durée qui mèneraient rapidement à une réduction de la dette, à l’équilibre budgétaire, à de nouveaux investissements, à la croissance et au redressement. Du moins, c’est ce que leur disaient les experts économiques et les dirigeants de Bruxelles.

En réalité, la dette a augmenté, la spirale descendante de l’économie s’est poursuivie, le chômage s’est amplifié, la dépression s’est aggravée. “L’austérité” était une politique de classe instaurée par Bruxelles pour enrichir les banquiers étrangers et piller le secteur public grec.

La clé du pillage par l’UE a été la perte de la souveraineté grecque. Les deux partis majoritaires, Nouvelle Démocratie et le PASOK, en étaient des complices actifs. Malgré un taux de chômage de 55% chez les 16-30 ans, la coupure de l’électricité de 300 000 foyers et un exode de masse (plus de 175 000), l’UE (comme on pouvait le prévoir) a refusé d’admettre que le plan d’”austérité” avait échoué à redresser l’économie grecque. La raison pour laquelle l’UE s’obstinait dans cette “politique ayant échoué” résidait dans le fait qu’elle bénéficiait du pouvoir, des privilèges et des profits du pillage et de sa suprématie impériale.

De plus, la reconnaissance par l’élite de Bruxelles de son échec en Grèce aurait probablement pour résultat qu’il lui serait demandé de reconnaître également ses échecs dans le reste de l’Europe du Sud et au-delà, y compris en France, en Italie et chez d’autres membres clés de l’UE (Economist 17/1/15, p. 53). Les élites dirigeantes, financières et entrepreneuriales, d’Europe et des USA ont prospéré par les crises et la dépression, en imposant des coupes budgétaires dans les secteurs sociaux, les salaires et les traitements. Admettre un échec en Grèce aurait des répercussions en Amérique du Nord et en Europe, remettant en question leurs politiques économiques, leur idéologie et la légitimité des dirigeants. La raison pour laquelle tous les régimes de l’UE soutiennent l’insistance de l’UE à ce que la Grèce continue à respecter cette politique “d’austérité” manifestement perverse et rétrograde et impose des “réformes structurelles” réactionnaires, est que ces mêmes gouvernants ont sacrifié le niveau de vie de leur propre population active au cours des crises économiques (FT 13/2/15, p. 2).

Les crises économiques, de 2008/2009 jusqu’à aujourd’hui (2015), demandent toujours de durs sacrifices pour perpétuer les profits des classes dirigeantes et financer les subventions publiques des banques privées. Toutes les institutions financières majeures – la BCE, la Commission Européenne et le FMI – suivent la même ligne : aucune contestation ou écart ne sera toléré. La Grèce doit accepter les diktats de l’UE ou faire face à d’énormes représailles financières. “Etranglement économique ou servage perpétuel envers la dette” est la leçon que Bruxelles envoie à tous les états membres de l’UE. Alors que, ostensiblement, elle parle à la Grèce – c’est un message destiné à tous les états, mouvements d’opposition et syndicats qui mettraient en question les diktats de l’oligarchie bruxelloise et de ses suzerains allemands.

Tous les principaux médias et grands pontes de l’économie ont servi de mégaphone aux oligarques de Bruxelles. Le message répété sans cesse par les libéraux, conservateurs et sociaux démocrates aux nations persécutées, aux travailleurs dont les revenus baissent, qu’ils soient salariés ou payés à la tâche, ainsi qu’aux petits entrepreneurs, est qu’ils n’ont pas d’autre choix que d’accepter des mesures rétrogrades, taillant dans le vif de leurs conditions de vie (les “réformes”) s’ils veulent espérer la ‘reprise économique’ – qui, bien sûr, n’a pas eu lieu depuis cinq ans !

La Grèce est devenue la cible principale des élites économiques en Europe car les grecs sont passés de manifestations sans conséquence au pouvoir politique. L’élection de Syriza, sur la base d’une souveraineté convalescente, rejetant l’austérité et redéfinissant ses relations avec les créditeurs en faveur d’un développement national marque les prémices d’une éventuelle confrontation à l’échelle du continent.

L’ascension de Syriza : héritage douteux, luttes de masse et promesses radicales (non tenues)

La croissance de Syriza, d’une alliance de petites sectes marxistes en un parti électoral de masse, est largement due à l’incorporation de millions de fonctionnaires des classes moyennes, de retraités et de petits entrepreneurs. Beaucoup soutenaient le PASOK auparavant. Ils ont voté Syriza pour retrouver leurs conditions de vie et la stabilité de l’emploi de la précédente période de “prospérité” (2000-2007) qu’ils avaient obtenue au sein de l’UE. Le rejet total du PASOK et de la Nouvelle Démocratie fut l’aboutissement de 5 années de profondes souffrances qui auraient pu provoquer une révolution dans un autre pays. Leur radicalisme commença par des manifestations, des marches, et des grèves qui furent autant de tentatives de pression sur les régimes de droite pour qu’ils changent le cap de l’UE et que cesse l’austérité tout en restant au sein de l’UE.

Ce secteur de SYRIZA est ‘radical’ en ce qu’il oppose le conformisme présent à la nostalgie du passé – le temps des vacances à Londres et Paris financées par l’euro, du crédit facile pour acheter voitures et mets importés, pour ‘se sentir moderne’ et ‘européen’ et parler anglais !

La politique de Syriza reflète, en partie, cette part ambigüe de son électorat. D’un autre côté, Syriza s’est assuré le vote des jeunes radicaux, chômeurs et travailleurs, qui n’ont jamais fait partie de la société de consommation et qui ne s’identifient pas à “l’Europe”. Syriza s’est imposé comme un parti de masse en moins de 5 ans et ses sympathisants comme ses dirigeants reflètent un haut degré d’hétérogénéité.

La branche la plus radicale, idéologiquement, est représentée principalement par des groupes marxistes qui à l’origine se sont regroupés pour former un parti. La branche des jeunes chômeurs s’y est jointe suite aux émeutes contre la police déclenchées par l’assassinat d’un jeune activiste lors des premières années de la crise. La troisième vague est composée en majorité de milliers de fonctionnaires licenciés et de retraités qui ont souffert de larges coupes dans leurs pensions sur ordre de la troïka en 2012. La quatrième vague représente les membres de l’ex PASOK qui ont fui le naufrage d’un parti en faillite.

La gauche de Syriza se trouve principalement dans la base populaire et parmi les dirigeants des mouvements locaux issus des classes moyennes. Les grands dirigeants de Syriza qui tiennent les postes-clés sont des universitaires, dont certains étrangers. Beaucoup sont des membres récents voire ne sont même pas membres du parti. Peu d’entre eux ont pris part aux luttes de masse – et beaucoup n’ont que peu de liens avec les militants de base. Ils sont les plus enclins à signer un “accord” trahissant des grecs appauvris.

Depuis que Syriza a remporté les élections en 2015, le parti a commencé à enterrer son programme initial de changements structurels radicaux (socialisme) et à adopter des mesures visant à s’adapter aux intérêts du secteur des affaires grec. Tsipras a parlé de la “négociation d’un accord” dans le cadre d’une Union Européenne dominée par les allemands. Tsipras et son ministre des finances ont proposé de renégocier la dette, l’obligation de payer et 70% des réformes ! Quand un accord a été signé, ils ont complètement capitulé !

Pendant un court moment, Syriza a maintenu une position double : “s’opposer” à l’austérité et parvenir à un accord avec ses créanciers. Cette politique “réaliste” reflète les positions des nouveaux ministres universitaires, des anciens membres du PASOK et de la classe moyenne qui s’enfonce. La rhétorique et les postures radicales de Syriza sont révélatrices de la pression des chômeurs, de la jeunesse et de la masse pauvre, qui seraient ceux qui auraient à perdre si un accord de paiement aux créanciers était négocié.

Union Européenne – SYRIZA : les concessions avant la lutte ont mené à la reddition et à la défaite

La “dette grecque” n’est pas vraiment une dette des grecs. Les créanciers institutionnels et les banques européennes ont prêté sciemment et à grand risque de l’argent à des kleptocrates, des oligarques et des banquiers qui en ont siphonné la plus grande partie dans des comptes en Suisse, dans de l’immobilier de grand standing à Londres et à Paris, activités incapables de générer des revenus afin de rembourser la dette. En d’autres termes, la dette est en grande partie illégitime et a été mise à tort sur le dos des grecs.

Syriza, depuis le début des “négociations”, n’a pas remis en question la légitimité de la dette ni identifié les catégories spécifiques de personnes et les entreprises qui devraient la payer.

De plus, pendant que Syriza contestait la politique “d’austérité”, il ne remettait pas en cause les organisations et les institutions européennes qui l’imposaient.

Depuis ses débuts, Syriza a accepté l’adhésion à l’Union Européenne. Au nom du “réalisme”, le gouvernement Syriza a accepté de payer la dette ou une partie de celle-ci comme base de négociation.

Structurellement, Syriza a développé une direction très centralisée dans laquelle toutes les décisions majeures sont prises par Alexis Tsipras, ce qui limite l’influence des militants de base radicalisés. Cela a facilité les “compromis” avec l’oligarchie de Bruxelles qui vont à l’encontre des promesses de campagne et qui peuvent mener à la perpétuelle dépendance de la Grèce aux dirigeants et créanciers de l’UE.

De plus, Tsipras a resserré la discipline au sein du parti au lendemain de son élection, s’assurant qu’aucun compromis douteux ne ferait l’objet d’un quelconque débat public ou d’une révolte extra-parlementaire.

L’Empire contre le succès démocratique grec

 

Lors des élections parlementaires grecques, probablement les plus importantes depuis la seconde guerre mondiale, les travailleurs grecs ont défié une incroyable campagne médiatique de peur et ont voté massivement pour le parti de gauche, anti-austérité, SYRIZA.

Dès l’instant où Syriza a reçu un mandat démocratique, l’élite de l’UE a suivi la route autoritaire typique de tous les monarques impériaux. Elle a exigé de Syriza (1) une reddition inconditionnelle, (2) le maintien des structures, politiques et pratiques du précédent régime vassal de coalition (PASOK-Nouvelle Démocratie) (3) que Syriza suspende toute réforme sociale, (augmentation du salaire minimum, augmentation des dépenses dans le secteur des retraites, de la santé, de l’éducation et de la lutte contre le chômage) (4) que SYRIZA se plie aux directives économiques strictes et à la supervision développées par la “troïka” (la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne, et le Fonds Monétaire International) (5) que SYRIZA conserve l’objectif actuel d’excédent budgétaire primaire de 4,5% du PIB en 2015-2017.

Pour renforcer sa stratégie de strangulation du nouveau gouvernement, Bruxelles a menacé de couper brusquement toutes les facilités de crédit présentes et futures, de réclamer tous les paiements de dette, de mettre fin à l’accès aux fonds d’urgence, et de ne pas soutenir les obligations bancaires grecques – lesquelles fournissent les prêts aux entreprises locales.

Bruxelles offre à Syriza la funeste “solution” de commettre un suicide politique en acceptant le diktat qui lui est imposé, s’aliénant ainsi son électorat. En trahissant son mandat, Syriza se confronterait à des manifestations de colère populaire. En rejetant le diktat de Bruxelles et en mobilisant son électorat, Syriza pourrait chercher de nouvelles sources de financement, en imposant un contrôle des capitaux et en s’orientant vers une « économie d’urgence » radicale.

Bruxelles s’est retranché sur ses positions et a fait la sourde oreille aux premières concessions de Syriza, préférant interpréter celles-ci comme une avancée vers une capitulation totale, au lieu d’y voir des efforts pour parvenir à un “compromis”.

Syriza a déjà abandonné ses demandes d’effacement de grandes parts de la dette, en faveur d’une extension de la période de recouvrement de celle-ci. Syriza a accepté de continuer à payer ses échéances, du moment qu’elles soient liées au taux de croissance économique. Syriza accepte la supervision de l’UE, tant qu’elle n’est pas menée par la “troïka” honnie, laquelle a des connotations toxiques pour la plupart des grecs. Malgré tout, les changements sémantiques ne changent pas la substance de la “souveraineté limitée”.

Syriza a déjà accepté une dépendance structurelle à moyen et long terme dans le but de s’assurer le temps et la marge de manœuvre nécessaires afin de financer ses programmes populaires à court terme. Tout ce que Syriza demande c’est un minimum de flexibilité fiscale sous la supervision de “radicaux” ayant la qualité de ministre des finances allemand !

Syriza a temporairement suspendu les privatisations en cours de secteurs clés de l’infrastructure (infrastructures portuaires et aéroportuaires), de l’énergie et des télécommunications. Cependant, elle n’y a pas mis fin, ni révisé les privatisations passées. Mais pour Bruxelles, la “liquidation” des lucratifs secteurs stratégiques grecs est une partie essentielle de son agenda de “réformes structurelles”.

Les propositions modérées de Syriza et ses efforts pour opérer dans le cadre structurel de l’UE établi par les précédents gouvernements vassaux ont été rejetés par l’Allemagne et ses 27 larbins de l’UE.

L’affirmation dogmatique de politiques extrémistes, ultra néolibérales de l’UE, y compris le démantèlement de l’économie nationale grecque et le transfert des secteurs les plus lucratifs dans les mains d’investisseurs impériaux, est répétée dans les pages de tous les principaux quotidiens. Le Financial Times, le Wall Street Journal, le New York Times, le Washington Post, le Monde sont des armes de propagande de l’extrémisme de l’Union Européenne. Confronté à l’intransigeance de Bruxelles et face au ‘choix historique’ de la capitulation ou de la radicalisation, Syriza a essayé de persuader des gouvernements clés. Syriza a tenu de nombreuses réunions avec des ministres de l’UE. Le premier ministre Alexis Tsipras et le ministre des finances Yanis Varoufakis sont allés à Paris, Londres, Bruxelles, Berlin et Rome pour chercher un accord de ‘compromis’. Cela n’a servi à rien. L’élite bruxelloise martelait sans relâche :

La dette devra être payée entièrement et dans les temps.

La Grèce devrait restreindre ses dépenses pour accumuler un surplus de 4,5% ce qui assurerait les paiements aux créanciers, aux investisseurs, spéculateurs et kleptocrates.

Le manque de toute flexibilité économique de l’Union Européenne, comme de toute disposition à accepter le moindre compromis, est une décision politique : humilier et détruire la crédibilité de SYRIZA en tant que gouvernement anti-austérité aux yeux de ses soutiens nationaux et de ceux qui seraient susceptibles de l’imiter à l’étranger, en Espagne, en Italie, au Portugal ou en Irlande (Economist1/17/15, p. 53).

Conclusion

 

Yánis Varoufákis and Aléxis Tsípras (Voltaire)

L’étranglement de Syriza fait partie intégrante du processus, long de 10 ans, visant à l’assassinat de la Grèce par l’Union Européenne. Une réponse brutale à la tentative héroïque d’un peuple entier, projeté dans la misère, condamné à être dirigé par des conservateurs kleptocrates et des sociaux-démocrates.

Les empires ne se défont pas de leurs colonies par des arguments raisonnables ni par la faillite de leurs “réformes” régressives.

L’attitude de Bruxelles envers la Grèce est guidée par la politique du “diriger ou ruiner”. “Sauvetage” est un euphémisme pour recycler les financements, traversant la Grèce et retournant aux banques contrôlées par la zone euro, pendant que les travailleurs et salariés grecs sont accablés par une dette toujours plus importante et une domination durable. Le “plan de sauvetage” de Bruxelles est un instrument de contrôle par des institutions impériales, qu’elles s’appellent “troïka” ou autre.

Bruxelles et l’Allemagne ne veulent pas de membres contestataires, ils peuvent néanmoins condescendre à faire de petites concessions afin que le ministre des finances Varoufakis puisse revendiquer “une victoire partielle” – une comédie grotesque ayant pour euphémisme “rampez ! Sinon…”

Le plan de sauvetage sera décrit par Tsipras-Varoufakis comme étant “nouveau” et “différent” des accords passés ou encore comme un repli “temporaire”. Les allemands peuvent “accorder” à la Grèce de réduire son excédent de budget primaire de 4,5 à 3,5% ‘l’an prochain’ – mais elle devra toujours réduire les fonds destinés à stimuler l’économie et “reporter” la hausse des retraites, des salaires minimums…

Les privatisations et autres réformes régressives ne s’arrêteront pas, elles seront “renégociées”. L’état ne gardera qu’une “part” minoritaire.

On demandera aux ploutocrates de payer quelques taxes supplémentaires mais pas les milliards d’euros d’impôts non payés au cours des dernières décennies.

De même les kleptocrates du Pasok-  Nouvelle Démocratie ne seront pas poursuivis en justice pour pillage et vol.

Les compromis de SYRIZA démontrent que la définition délirante donnée par la droite (the Economist, Financial Times Times, NY Times, etc.) de Syriza comme appartenant à la “gauche dure”, ou ultra-gauche n’est nullement fondée sur la réalité. Car “l’espoir pour l’avenir” de l’électorat grec pourrait à présent virer à la colère. Seule une pression populaire peut inverser l’apparente capitulation de Syriza, et les infortunés compromis du ministre des finances Varoufakis. Comme celui-ci manque de soutien dans son parti, Tsipras peut facilement le démettre pour avoir signé un “arrangement” qui sacrifie les intérêts fondamentaux du peuple.

Cependant, si, dans les faits, le dogmatisme de l’Union Européenne et son intransigeance excluent même les accords les plus favorables, Tsipras et Syriza (contre leur volonté) pourraient être forcés de quitter l’Empire de l’Euro et faire face au défi de bâtir une politique et une économie vraiment nouvelles et radicales, en tant qu’état libre et indépendant.

Une sortie réussie de la Grèce de l’empire germano-bruxellois entraînerait probablement la dissolution de l’UE, car d’autres états vassaux se rebelleraient et suivraient l’exemple grec. Ils renieraient non seulement l’austérité mais aussi leurs dettes extérieures et le paiement éternel des intérêts. L’empire financier tout entier – le prétendu système financier mondial pourrait être ébranlé… La Grèce pourrait redevenir le “berceau de la démocratie”.

 

Post-scriptum : Il y a trente ans, je fus un participant actif et un conseiller pendant trois ans (de 1981 à 1984), du premier ministre Papandréou. Tout comme Tsipras, il a commencé avec des promesses de changement radical et a fini par capituler devant Bruxelles et l’OTAN, se rangeant aux côtés des oligarques et des kleptocrates au nom de “compromis pragmatiques”. Espérons que face à une révolte de masse, le premier ministre Alexis Tsipras et Syriza prendront un tout autre chemin. L’Histoire n’est pas obligée de se répéter comme une tragédie ou une farce.

[1] Le compte-rendu du régime d’Andreas Papandreou s’appuie sur mon expérience personnelle, des interviews et des observations et sur mon article (écrit en collectif) “Socialisme grec : L’état patrimonial revisité” paru dans Paradoxes méditerranéens : la structure politique et sociale de l’Europe du Sud, James Kurth et James Petras (Oxford : presse de Berg 1993/ pp. 160-224)

Source : James Petras, My Catbird Seat, le 22/02/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/l-assassinat-de-la-grece/


[Inde] La victoire du parti Aam Aadmi du point de vue pakistanais

Wednesday 1 April 2015 at 00:01

Juste parce que personne n’en a parlé, que l’Inde ça existe (ça fait terriblement colonialiste ce silence, non ?), nos médias étant de plus en plus abonnés aux (tragiques) faits divers…

Lahore : Le parti Aam Aadmi (AAP) [NdT : « parti de l'homme ordinaire »] d’Arvind Kejriwal a remporté une écrasante victoire dans l’élection territoriale de l’état de Delhi, raflant 67 sièges sur 70 possibles, concédant seulement 3 sièges au parti au pouvoir le BJP [NdT : « parti du peuple indien »], tandis que le Parti du Congrès n’en remportait pas un seul. Ainsi le BJP et le Parti du Congrès ont tous les deux été battus lors des élections territoriales de la capitale indienne. L’AAP a remporté plus de 90% des sièges dans la capitale. L’écrasante victoire de ce parti découle de sa persévérance dans le soutien des aspirations des classes pauvres, spécialement en milieu urbain, de son soutien aux revendications concernant la réduction du prix de l’électricité, l’accès gratuit à l’eau, ou encore les exigences de retenue et de professionnalisme en direction de la police de Delhi.

Delhi, petit état et capitale de l’Inde, a une assemblée très en vue. L’échec total du BJP est à coup sûr un coup rude porté au parti au pouvoir bien que cela ne représente pas pour lui une menace immédiate, puisqu’il a récemment remporté les élections territoriales des états du Maharashtra et de l’Haryana, qui ne sont pas réputés être des bastions du BJP. Le BJP a déjà remporté de nombreuses élections territoriales. Mais l’irruption de l’AAP en tant que puissance politique montante a dû faire froid dans le dos aux dirigeants du BJP. Un observateur politique notait à juste titre que la défaite à Delhi annonçait certainement la fin de l’état de grâce du premier ministre Modi. Le BJP est vu comme un parti de financiers et d’affairistes, tandis que l’AAP est devenu le parti des masses populaires pauvres en Inde. L’AAP a toujours une réputation sans tache, alors que le BJP a déjà été mis en cause pour ses profonds préjugés à l’encontre des 160 millions d’Indiens musulmans et pour son positionnement sur la ligne politique dure de son aile droite.

A présent, la question principale est : l’AAP inspirera-t-il le reste de l’Inde comme il l’a fait à Delhi ? Les principaux sujets de campagne de ces élections étaient la corruption, la fourniture d’eau, l’énergie, la loi et le maintien de l’ordre, etc. Le grand sérieux avec lequel Kejriwal de l’AAP s’est attaqué à ces problèmes dans son précédent mandat a fait naître dans l’électorat une confiance dans les capacités de son parti à trouver les solutions adéquates. Aujourd’hui, même s’il ne devrait plus y avoir de surprises en magasin pour le parti au pouvoir, c’est une réussite suffisante pour l’AAP que d’avoir fait éclater la vitrine d’invincibilité politique dont le BJP se targuait jusqu’alors. Le refus du BJP de prendre en compte les minorités, et sa propension à diviser les électeurs pour des raisons de caste, de classe ou de religion le rendra tôt ou tard impopulaire. Son attirance pour ce stupide suprématisme indien, les identités religieuses et le chauvinisme commence déjà à lui faire mauvaise presse, en Inde comme à l’international, et devrait tôt ou tard provoquer sa chute. Nous en voyons les premiers signes dans les résultats des récentes élections territoriales de l’état de Dehli.

Comment devons-nous, au Pakistan, percevoir cette élection territoriale en Inde, et comment devons-nous réagir face à de tels changements en cours ? Tout d’abord, au Pakistan, il est hautement improbable qu’un petit parti politique, vieux d’à peine deux ans, puisse corriger de la sorte un parti au pouvoir fort et bien implanté dans quelque élection que ce soit. C’est quelque chose qui n’est jamais arrivé jusqu’ici dans notre pays. Ici, même si une telle bataille électorale arrivait, le fait qu’elle implique une entité politique inexpérimentée ferait qu’à la moindre chance de succès de ce parti, la totalité de la machine gouvernementale se mettrait en action pour s’assurer qu’il n’en soit rien. Deuxièmement, dans l’éventualité d’un résultat défavorable, agiter l’épouvantail du vote truqué est une pratique éprouvée, qui permettrait de discréditer entièrement le scrutin.

On pourrait seulement souhaiter que nos politiciens aient, eux aussi, obtenu leurs postes au service de la population à la sueur de leur front, et qu’ils aient constaté et subi les rigueurs de la vie comme tout homme normal, afin de comprendre la misère et les privations subies par les populations pauvres. A moins que la direction politique ne sorte de sa répulsion pour « l’homme ordinaire », aucun changement, réel et de grande portée, ne pourra avoir lieu au Pakistan.

Zafar Aziz Chaudhry

Source : The Express Tribune, le 14/02/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/la-victoire-du-parti-aam-aadmi-du-point-de-vue-pakistanais/