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Russie-Ukraine : la diplomatie va-t-elle reprendre ses droits ? par Isabelle Facon

Tuesday 26 August 2014 at 04:28

Isabelle Facon est maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique et maître de conférences à l’École polytechnique.

Intéressant papier publié, une fois de plus, par Le Figaro (qui loin d’être parfait laisse passer bien plus de papiers équilibrés que Le Monde ou le Nouvel Obs.

Alors qu’Angela Merkel vient de se rendre à Kiev, Isabelle Faucon analyse les divergences qui ont empêché le dialogue entre les différents acteurs du conflit.

Angela Merkel, en se rendant à Kiev ce week-end, a voulu ramener la diplomatie au centre du jeu ukrainien. Cet effort fait suite à l’initiative franco-allemande de la semaine passée (réunion entre les ministres des Affaires étrangères ukrainien et russe en présence de leurs homologues français et allemand) et précède une rencontre Porochenko-Poutine à Minsk, le 26 août, en marge d’un sommet de l’Union douanière, avec la participation de hauts représentants de l’Union européenne. L’effort diplomatique des Européens traduit leurs craintes que la situation en Ukraine, hautement volatile, pourrait atteindre prochainement un nouveau paroxysme alors que l’armée ukrainienne tente une initiative décisive pour reprendre deux bastions séparatistes, Louhansk et Donetsk, et que le ton se durcit considérablement entre Kiev et Moscou, entre la Russie et le monde occidental.

Il faut dire que, jusqu’à récemment, les éléments de modération n’ont finalement jamais eu le loisir de s’exprimer pleinement.

La Russie n’a jamais, contrairement à ce qu’elle a annoncé à plusieurs reprises, fermé hermétiquement sa frontière avec l’Ukraine, par laquelle sont passées toutes formes d’aides – hommes, matériels, vivres… – avec et sans le visa des autorités russes. La pression militaire russe n’a quasiment jamais cessé, et l’intense propagande officielle a compromis l’apaisement dans les relations avec Kiev, celles-ci étant actuellement réduites au minimum.

Des voix, notamment à l’OSCE, ont regretté le choix par Kiev des termes «terroriste» et «séparatiste» pour qualifier les forces diverses en action dans l’est de l’Ukraine et qui n’étaient pas toutes parties d’un agenda séparatiste. Si cela a permis de justifier une campagne militaire assez indiscriminée, apparemment perçue par Kiev et Washington comme le seul moyen d’assurer l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine, cela a dégradé profondément les relations entre les différentes Ukraines. Après l’annexion de la Crimée, le gouvernement ukrainien ne pouvait que faire preuve de fermeté et de prudence face à Moscou et ses relais dans l’Est, mais en s’attachant aussi à consolider la société ukrainienne par tous les moyens.

Beaucoup de médias occidentaux ont, qui par facilité, qui par projet, opté pour une présentation insuffisamment complexe des enjeux, des intérêts et des responsabilités des acteurs en présence. Cela a directement contribué à brouiller les options diplomatiques et à compliquer les voies du dialogue. La crise a également cristallisé des tensions au sein de la communauté des chercheurs et des experts, entrant dans un jeu d’accusations mutuelles parfois violentes. Cela, aussi, a concouru à priver le débat de la nuance qu’il aurait méritée. Tous ces éléments se sont associés au cours des derniers mois pour miner les perspectives d’une sortie de crise selon des modalités moins délétères. [...]

Lire la suite ici : Isabelle Facon, Le Figaro, 25 aout 2014

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J’en profite pour reprendre une vieille interview du 3 mars, où Mme Facon débat avec la dispensable Marie Mendras :

Source: http://www.les-crises.fr/russie-ukraine-la-diplomatie-va-t-elle-reprendre-ses-droits/


Les manifestations anti-guerre se multiplient en Ukraine, tandis que le gouvernement mène une guerre à tout-va dans le sud-est et que l’Otan menace la Russie, par Roger Annis

Tuesday 26 August 2014 at 02:23

Rabble.ca,  par Roger Annis – 31 juillet 2014

Une vague grandissante de manifestations contre la guerre et la conscription s’étend dans les villes de l’ouest de l’Ukraine . Les manifestations ont débuté après l’annonce, par le président ukrainien Petro Porochenko, il y a dix jours, d’une troisième phase de mobilisation. Celle-ci est jugée nécessaire pour la guerre, qualifiée par Kiev d’« opération anti-terroriste » et entamée il y a trois mois, contre la population d’Ukraine orientale. Parallèlement à ces manifestations, les désertions dans l’armée et les refus d’obtempérer aux ordres de mobilisation se multiplient.

La proposition de mobilisation de Porochenko a été approuvée par la Rada ukrainienne le 22 juillet. Cette mesure signifie que davantage de personnes vont être mobilisées et que plus d’unités de réservistes vont être envoyées au front.

Depuis le crash du vol MH17, Kiev s’est lancé dans une offensive frénétique dans le sud-est de l’Ukraine pour essayer de venir à bout d’une rébellion autonomiste. Cette offensive bloque l’accès des enquêteurs au site du crash du MH17, et sa première phase consiste en des bombardements massifs et aléatoires de villes et villages constituant des crimes de guerre à grande échelle. (proposition : … du MH17, et la ligne de front de l’offensive est impliquée dans un bombardement massif et aléatoire des communes et des villes constituant, de fait, un crime de guerre à grande échelle)

Cette vidéo du bombardement d’un ensemble de logements dans la ville de Donesk, le 29 juillet, est un exemple de ce qui est en train de se passer. Buzzfeed rapporte : « Avec l’attaque de mardi, c’est la première fois que des bombardements ciblent le centre de Donetsk, un bastion rebelle jusque-là tranquille, occasionnant trois morts et quinze blessés. La ville toute proche de Horlivka a décrété trois jours de deuil après que des tirs fournis eurent tué dix-sept personnes en une nuit et blessé des douzaines d’autres. Au moins quatre autres personnes sont mortes dans les bombardements de Yasynuvata, dans la banlieue de Donetsk. »

Kiev s’est lancé dans une course contre-la-montre pour mater la rébellion avant que les coûts des opérations ne deviennent prohibitifs et que les manifestations anti-guerre et les désertions ne l’obligent à interrompre son offensive. Kiev doit également se préoccuper des révoltes prévisibles de la population ukrainienne dans son ensemble, dès lors que se feront sentir, de plus en plus douloureusement, les sévères conséquences de l’accord d’association économique que Kiev a signé avec l’Union européenne le 30 juin dernier.

Les protestations s’amplifient

 

 

 

Bien que les sites internet de propagande du gouvernement de Kiev vantent les succès de son « opération antiterroriste », en cours menée depuis maintenant trois mois dans l’est de l’Ukraine (qu’il appelle « OAT » / « ATO » en anglais), la mesure spéciale de mobilisation approuvée la semaine dernière montre que l’armée ukrainienne est en difficulté. Davantage d’unités de combat sont nécessaires, le Trésor public est en réalité en faillite à cause de tout cela, le nombre de désertions dans l’armée augmente, tout comme s’amplifient les protestations des mères, épouses, amis et voisins des soldats conscrits. La chaîne de télévision ICTV rapporte que le conseiller auprès du ministre des Affaires intérieures, Anton Gerachenko, a annoncé que toute personne qui fera campagne, via les réseaux sociaux en Ukraine, contre la guerre menée par le régime, sera arrêtée.

La contestation qui prend de plus en plus d’ampleur porte sur plusieurs points ; certains s’opposent catégoriquement à la guerre. D’autres s’interrogent plus spécifiquement sur les conditions particulièrement rudes et dangereuses auxquelles sont confrontés les soldats dans l’Est.

L’une des manifestations les plus spectaculaires depuis l’annonce de la « troisième mobilisation » a eu lieu dans la ville portuaire et industrielle de Mikolaïv (aussi orthographiée Nikolaev) sur la mer Noire, à l’est d’Odessa. Des mères et des femmes de soldats ont bloqué le pont de Varvarovka, au-dessus de la rivière Bug, à plusieurs reprises pendant trois jours, à partir du 25 juillet. Elles réclamaient qu’après leurs longues périodes de service dans le 79e Régiment de parachutistes, leurs fils et époux puissent rentrer. Les tours de services ont été prolongés et ce régiment a été engagé dans des combats intenses. Les femmes ont parcouru à pied le trajet jusqu’au pont avec des pancartes où était inscrit « Sauvez nos garçons ! » et elles ont utilisé un passage piéton pour bloquer la circulation. Des affrontements avec la police et la milice ont eu lieu (voir un enregistrement vidéo spectaculaire ici du 25 juillet).

Le premier jour de la manifestation, les femmes ont rédigé un projet de lettre au Président Porochenko, que le maire de la ville et le gouverneur de la région ont accepté de lui porter. Elles y déclaraient qu’elles resteraient là tant qu’elles n’obtiendraient pas une réponse satisfaisante… qui n’est pas arrivée. Un assaut de la police a mis fin au barrage le 27 juillet. Certaines manifestantes ont été arrêtées.

Les sites internet Hronika.info et ZIK.ua ont mentionné des attaques menées le 22 juillet par des habitants en colère contre le bureau de recrutement de l’armée et des bâtiments abritant d’autres services administratifs locaux dans la ville de Bohorodtchany, dans l’oblast (le district) de Ivano-Frankivsk, au sud-ouest de l’Ukraine, à la frontière de la région des Carpates. Les documents de conscription ont été brûlés. (Source en ukrainien ici)

Il s’agit d’une région rurale et les manifestants criaient un slogan qui revient dans beaucoup de manifestations contre la conscription : ils disent que leurs hommes n’ont ni entraînement, ni équipement correct et que les envoyer à l’Est revient à les condamner à une mort certaine.

« Une mort certaine » pour des soldats n’est pas le signe d’une guerre qui réussit. Cela suggère également que le très récent rapport du Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’Homme, qui fait mention « d’au moins » 1 129 victimes dûe à la guerre en Ukraine, est sérieusement en deçà de la vérité. De fait, le chiffre estimé dans ce rapport de 100 000 personnes ayant fui à cause de la guerre est ridiculement bas – la Russie affirme que plus de 500 000 réfugiés ont passé la frontière depuis le début de la guerre en avril, et l’Ukraine admet qu’il y a presque 100 000 réfugiés sur son propre territoire.

La Russie a condamné ce dernier rapport du BHCNUDH, en ces termes : « Le message clef [de ce rapport] est que le gouvernement ukrainien est autorisé à exercer son droit légitime lorsqu’il utilise la force pour restaurer la loi et l’ordre dans l’est du pays. »

Le 22 juillet, des habitants du village de Skobychivka ont formé une chaîne humaine en se tenant par les bras pour bloquer la route menant d’Ivano-Frankivsk à Bohorodchany, produisant un embouteillage d’un kilomètre. Les manifestants tenaient des pancartes où l’on pouvait lire : « Pas d’Afghanistan en Ukraine ! » « Envoyez des ordres de rappel sous les drapeaux aux enfants des dignitaires ! », « Rendez-nous nos enfants » et « Halte au bain de sang ». Le slogan « Refusez ! » est très répandu dans ces manifestations.

Un autre reportage dans Vesti citait rapporte que les parents de soldats déclarent que leurs fils servent de « chair à canon ». Le reportage mentionnait d’autres manifestations à Yaremtcha, dans la même région, et à Sambor, dans la région de Lviv.

Non loin de là, en Bucovine, les habitants de sept villages ont bloqué plusieurs routes le 28 juillet. Cette région du sud-ouest de l’Ukraine abrite une importante population d’origine roumaine.

Une vidéo publiée par 112.UA montre des proches de soldats qui, le 24 juillet, ont bloqué une route dans le district d’Oboukhivs’kyi, près de Kiev, pour exiger le retour de soldats après une longue période d’activité. Le 28 juillet, des manifestants dans la région d’Odessa ont bloqué l’autoroute sur la côte de la mer Noire pendant plusieurs heures.

Les habitants de six villages des environs de Sokyryanskyi (dans l’oblast de Tchernivtsi) – Bilousivka, Lomachyntsi, Mykhalkove, Serbytchany, Korman and Romankivtsi – ont bloqué l’autoroute entre Tchernivtsi et Novodnistrovsk dans la matinée du 25 juillet, pour exiger que leurs hommes ne soient pas envoyés à la guerre.

Les manifestations se sont multipliées dans toute la région de Tchernivtsi au sud-ouest de l’Ukraine. Sur un enregistrement vidéo, des personnes affirment : « On veut la paix, pas la guerre » et « On n’a pas élevé nos enfants pour la guerre. Ils ne les auront pas ! »

Cette vidéo (voir ci-dessous) montre un groupe de personnes de Tchernivtsi, principalement des femmes, se rassembler pour affronter un officier de recrutement du bureau local. Elles brandissent les ordres de conscription de leurs fils ou de leur mari.

« Votre guerre, faites-là vous-mêmes », disent-elles à l’officier de conscription qui leur répond « d’aller sur internet » si elles souhaitent connaître les raisons de cette nouvelle mobilisation. Il fait référence à l’intense propagande des sites du régime de Kiev consacrés à tout ce qui touche à l’OAT (« opération anti-terroriste »). Mais les manifestants n’en ont cure et empilent des ordres de conscription de couleur bleue par dizaines afin de les brûler.

Regroupées autour des flammes, elles expriment leur point de vue. Une mère dit : « [les autorités de Kiev] quittent le navire comme des rats, mais ils viennent ici pour prendre nos fils et les envoyer à la mort. Ce sont eux qui ont causé ce désastre et maintenant ils ont besoin de nous pour remettre de l’ordre ». L’officier de conscription reste là, impuissant. Que peut-il faire ? Il obéit aux ordres. Dans le village de Marchintsi dans la région de Novoselytskyy de l’oblast de Tchernivtsi, les manifestants ont bloqué l’entrée aux soldats et à la police. Les habitants ont apporté des pneus et barricadé la rue menant à l’intérieur du village. Beaucoup d’entre eux ont écrit des lettres de refus, qui décrivent les événements dans le sud-est comme un massacre.

Le 20 juillet, l’autoroute Kiev-Tchop a été bloquée par des résidents locaux, pour la plupart des femmes, non loin du village de Hamaliivka, près de Lviv. Une manifestation, le mois dernier, a également bloqué l’autoroute. La même autoroute a été bloquée le 28 juillet, dans les villages de Rakochyno et de Znyatsevo, près des frontières de la Slovaquie et de la Hongrie.

Dans une des toutes dernières vidéos postées sur YouTube, on peut voir une manifestation dans la ville de Novoselytsya (oblast de Tchernivtsi), le 30 juillet dernier.

Dans nombre de ces manifestations, le mot d’ordre est « Pas d’Afghanistan en Ukraine ». Ce slogan renvoie à la guerre de dix ans que l’Union soviétique a livrée contre le peuple d’Afghanistan, dans les années 80. Au total 14 500 soldats de l’Union soviétique y ont péri, 54 000 ont été blessés, et beaucoup, beaucoup plus d’Afghans y ont trouvé la mort. Cette guerre a été un facteur déterminant dans l’effondrement de l’Union soviétique, qui s’est produit en 1988, peu de temps après une défaite humiliante suivie d’un retrait d’Afghanistan.

Après l’ère soviétique, l’Ukraine désormais indépendante s’est jointe à la guerre et à l’occupation américaine en Afghanistan. Une force modeste y participe encore.

Le journaliste et commentateur ukrainien bien connu Ostap Drozdov a appelé au boycott du dernier décret de mobilisation. Le site internet Russkaya Vesna (Printemps russe) rapporte ses propos : « Mon programme d’hier (sur la chaîne régionale ZIK) peut être considéré comme le début d’une campagne informelle pour le boycott de cette mobilisation. J’y déclare mon soutien total à cette initiative, qui porte le nom provisoire de « Mobilisation Égale Génocide ». »

Il ajoute : « C’est vraiment important que les gens opposés à la mobilisation de la population civile sachent qu’ils ne sont pas isolés. Il y a en a beaucoup d’autres comme eux. »

L’armée en difficulté

 

 

Le nombre exact de désertions est inconnu , et fait l’objet de vifs débats. Ce site Internet publie, par exemple, un rapport présumé de l’armée ukrainienne affirmant que près de 3 500 soldats ont déserté au cours de la troisième semaine de juillet, que 1 600 soldats sont morts et 4 700 ont été blessés au cours de la même période. Des sources en Russie affirment que les documents cités ne sont pas authentiques.

Voici un bref article de presse dans lequel plusieurs soldats ukrainiens parlent de leur décision de demander asile en Russie. (de nombreuses vidéos de combats dans l’est de l’Ukraine sont postées ici sur la « chaîne YouTube Anti-Maidan »)

Cette vidéo montre une manifestation à Kiev des familles de la 72e Brigade militaire, qui ont subi de lourdes pertes lors d’une attaque à la roquette il y a quelques jours. Les protestataires scandent « Aidez les héros ». Sur une pancarte, on lit : « Envoyez les députés [de la Rada] et les généraux sur le champ de bataille ! » Ils prient et chantent l’hymne national ukrainien.

La brigade a été prise dans un macabre chaudron, dans le sud-est de l’Ukraine, il y a eu de nombreux morts, blessés et quelques survivants qui ont trouvé refuge en Russie. Dans cette vidéo, des soldats de la brigade parlent, pendant 13 minutes, de leurs difficultés et de leur expérience bouleversante du combat.

L’agence Interfax, pro-Kiev, parle de 18 soldats ukrainiens qui ont trouvé refuge en Russie et y ont reçu des soins médicaux. Russia Today a parlé, il y a quelques jours, de ce groupe de 40 soldats qui ont pénétré en Russie pour y demander l’asile.

Un fasciste recyclé présente une proposition de loi de conscription

 

 

 

Andriy Parubiy a déposé un « troisième » projet de loi de mobilisation à la Rada. Il est secrétaire à la sécurité nationale et au conseil de la défense, une importante institution de conseil au Président et au Parlement en matière d’affaires militaires. Selon lui, la mesure va mobiliser 15 unités de combat de plus et 44 unités de soutien.

Parubiy est un fasciste bien connu en Ukraine qui a modifié son image au cours de l’année passée et s’est élevé dans la hiérarchie du régime qui a pris le pouvoir à Kiev en février dernier. En 2013, il a rejoint le parti « Patrie » de l’ancienne Premier ministre Ioulia Timochenko et a été élu à la Rada. « Patrie » est un parti-coalition néo-conservateur.

Le journaliste américain Robert Parry écrivait, il y a peu de temps, au sujet de Parubiy « Parubiy est lui-même un néonazi bien connu, qui a fondé le parti National-Socialiste d’Ukraine en 1991. Ce parti mélange un nationalisme radical ukrainien avec des symboles néonazis. »

« Parubiy a également formé un groupe paramilitaire, les Patriotes d’Ukraine, et a soutenu la remise [en 2007] (à titre posthume) du titre de « Héros de l’Ukraine » au collaborateur nazi de la Seconde Guerre mondiale, Stepan Bandera, dont les propres forces paramilitaires ont (auraient) exterminé des milliers de Juifs et de Polonais en vue d’aboutir à une Ukraine racialement pure. »

Les États-Unis renforcent leur aide et leurs actions de formation militaire en Ukraine. L’annonce vient de l’ambassadeur des États-Unis en Ukraine, Geoffrey Pyatt, le 25 juillet. Les États-Unis ont déjà investi 23 M$ en équipement; leur aide se montera donc désormais à 33 M$. Ils interviennent également dans les pays qu’ils dominent dans la région afin de renforcer la formation et l’équipement de leurs armées, y compris en Moldavie et en Roumanie à la frontière sud-ouest de l’Ukraine, ainsi que du côté nord-ouest, en Pologne.

Le bombardement sans pitié de villes et villages par Kiev tourne court en raison du gigantesque coût financier de la guerre.

A propos de l’économie de l’Ukraine, voici ce qu’écrivait, le 26 juillet, le Washington Post :

« Le FMI prévoit que le PIB de l’Ukraine chutera de 6,5 % cette année, et que le déficit public atteindra 10,1 % du PIB. Cette semaine, le gouvernement a déclaré qu’il lui faudrait au moins 800 millions de dollars pour poursuivre les opérations de contre-insurrection et a demandé au Parlement de voter une augmentation supplémentaire des impôts et une réduction des dépenses publiques. Le refus des députés d’affecter les fonds nécessaires a provoqué la démission du premier ministre Arseniy Yatsenyouk, qui a dû admettre que les soldats ne recevraient pas leur solde le mois prochain. La reconstruction du Donbass est, elle, encore plus incertaine puisque le gouvernement a promis de se tourner vers des donateurs étrangers afin de récolter des fonds cet automne. »

La semaine dernière, l’ambassadeur d’Ukraine au Canada, Vadym Prystaiko, a fait cet aveu extraordinaire au Globe and Mail, « Nous injectons tout l’argent de notre budget…dans la campagne d’anti-terrorisme. »

De manière scandaleuse, la guerre ne fait absolument aucun cas de l’enquête internationale portant sur la tragédie du vol Malaysia Airlines MH17. Le 27 juillet et les jours suivants, les bombardements continus et autres pilonnages d’artillerie de l’armée ukrainienne dans la région ont empêché les enquêteurs de se rendre sur le site.

Comme les médias internationaux s’en sont fait l’écho, les inspecteurs sont logés dans des hôtels de Donetsk et traversent sans difficultés les lignes d’autodéfense pour accéder au site. Mais au fil des jours, ces mêmes médias ont imputé le blocage à des « combats » et « échanges de tirs ».

Le 30 juillet, la propagande de Kiev a commencé à prétendre que les combattants rebelles avaient placé des mines sur le site du crash et le bombardaient. Une histoire qui a disparu dès le lendemain lorsque, dans des circonstances inexpliquées, les inspecteurs ont finalement rejoint le site.

La sinistre réalité de la campagne militaire de Kiev dans l’est de l’Ukraine a été escamotée par les grands médias. Aucune image, ou presque, des bombardements et autres crimes de guerre ne passe les filtres éditoriaux. La guerre et ses conséquences ne sont expliquées qu’avec des mots vides de sens comme « combats » ou « échanges de tirs ». Tanya Talaga du Toronto Star commence son article du 30 juillet par : « L’Union européenne et les pays occidentaux se sont mis d’accord [le 29 juillet] pour tenter de forcer le président russe, Vladimir Poutine, à arrêter son agression militaire en Ukraine…» (Dans le même numéro, le Toronto Star publiait un décompte exact des villes et villages bombardés).

L’Union européenne complète l’offensive de l’armée ukrainienne en aggravant ses sanctions économiques contre la Russie. Ces sanctions sont une punition infligée à la Russie, pour son refus d’obéir aux États-Unis et à l’UE qui exigaient qu’elle contrôle les mouvements pro-autonomistes dans l’est de l’Ukraine et les oblige à se rendre. Les sanctions participent à la volonté de longue date des pays membres de l’OTAN d’affaiblir et d’isoler la Russie.

L’essor du mouvement anti-guerre en Ukraine a des conséquences profondes pour l’avenir du pays. Les contestations arrêteront-elles la guerre menée par Kiev avant que le sud-est de l’Ukraine ne soit plus qu’un champ de ruines ? Qu’ils viennent d’Ukraine ou du reste du monde, ces mouvements de protestation réussiront-ils à faire réfléchir des stratèges de l’OTAN qui ont de plus en plus la Russie dans leur ligne de mire ?

L’élite économique ukrainienne a pris un virage très serré et a accueili à bras ouverts l’Europe de l’austérité. C’est cette austérité, dont les conséquences ont ravagé la Grèce et d’autres pays d’Europe du Sud, qui attend le peuple ukrainien. Comment les manifestants anti-guerre et les Ukrainiens ordinaires réagiront-ils alors que le gouvernement poursuit sa politique impopulaire de coupes dans les programmes sociaux et réduit les subventions qui abaissent le prix des produits de première nécessité ?

Partout dans le monde, il faut qu’il y ait des manifestations pour faire cesser les faiseurs de guerre dans le sud-est de l’Ukraine. Des actions de solidarité peuvent arrêter les tueries. Elles peuvent aussi aider les Ukrainiens à choisir une nouvelle voie de développement économique et social. Ce ne serait que justice, puisqu’au tout début, c’était bel et bien un refus de l’austérité qui était au coeur de la rebellion dans l’est de l’Ukraine.

Une nouvelle compilation vidéo de 80 minutes, Ukraine Crisis, vient d’être réalisée et constitue un témoignage puissant de la guerre dans l’est de l’Ukraine au cours du mois dernier. Certaines séquences montrant des morts et des destructions causées par les bombardements du gouvernement de Kiev sont très dures, particulièrement celles entre les minutes 4 et 6. Le témoignage de cette femme qui parle pendant cinq minutes à 1’17″30 est particulièrement juste et bouleversant. Elle n’a aucune nouvelle de son fils parti à la guerre depuis mars, et se demande s’il est encore en vie. Elle pose la question: « Qu’est devenue la nation ukrainienne ?»

Cet article est partiellement inspiré d’un article du 28 juillet 2014 publié sur le site russe Rabkor (La correspondance des travailleurs), traduit en anglais par Renfrey Clarke.

Notes :

[1] L’Ukraine est divisée en 25 régions : 24 oblasts (provinces) et la capitale Kiev, au statut spécial. Deux anciens oblasts, Donetsk et Luhansk, ont voté en mai pour l’autonomie. La férocité de la guerre conduite par Kiev les mène à une sécession de fait.

Roger Annis – Traduction collective par les lecteurs du blog www.les-crises.fr 

Source: http://www.les-crises.fr/les-manifestations-anti-guerre-se-multiplient-en-ukraine-tandis-que-le-gouvernement-mene-une-guerre-a-tout-va-dans-le-sud-est-et-que-lotan-menace-la-russie-par-roger-annis/


Ukraine : vers l’effondrement, par Xavier Moreau

Monday 25 August 2014 at 05:00

Billet du 22 aout de Xavier Moreau – avec des informations très intéressantes, mais avec un ton très pro-russe (je vous laisse aiguiser votre esprit critique).

Saint-Cyrien et officier parachutiste, titulaire d’un DEA de relations internationales à Paris IV Sorbonne, il a fondé une société de conseil en sûreté des affaires, et est installé en Russie depuis 14 ans.

Source : Xavier Moreau, RP, 22/08/2014

Le système ukrainien poursuit son effondrement politique, économique et militaire. Le calcul du Kremlin, qui consistait à attendre, que les réalités économiques ramènent le gouvernement oligarchique à la raison, semble fonctionner. La question qui se pose aujourd’hui, est de savoir s’il restera quelqu’un pour assumer les réformes constitutionnelles qui aboutiront à la fédéralisation du pays.

Situation militaire

Le 19 août dernier, Kiev a lancé une nouvelle fois ses forces à l’assaut, et de nouveau sans résultats. En fait, les rebelles laissent approcher les troupes ukrainiennes, et en combat rapproché, la supériorité de l’infanterie de Nouvelle Russie fait la différence, particulièrement contre des troupes démoralisées, ou trop habituées aux beuveries de Maïdan. L’artillerie rebelle, plus professionnelle et manœuvrière, emporte régulièrement les duels contre celle de Kiev, qui ne peut que riposter en bombardant les agglomérations à l’aveuglette.

Les tergiversations sur le convoi humanitaire russe ne sont pas liées à la possibilité que les Russes y aient caché une division parachutiste ou des T-90, mais au fait, que cette aide remet en question les efforts de Kiev pour affamer les habitants de Nouvelle Russie. Toute la stratégie de la Junte repose sur l’espoir de répéter ce qui s’est passé à Slaviansk. Notons que la tentative de couper l’approvisionnement en eau à Donetsk a échoué, l’administration de la ville ayant réussi à rétablir les stations de pompage. Fatigués de l’anarchie kiévienne et confiants dans la maîtrise du terrain par les guerriers de la LNR, les Russes ont envoyé leur convoi qui est arrivé aujourd’hui à Lougansk. La crise humanitaire est désormais impossible à nier pour Kiev, d’autant plus que son armée en est également victime.

L’OSCE continue de donner raison à la Russie, et les soldats ukrainiens, faute de combattre efficacement les guerriers du Donbass, en sont réduits à tourner des vidéos où ils se font passer pour des soldats russes prisonniers. Tandis que Pravy Sektor et le SBU torturent et brutalisent leurs prisonniers, l’armée de Nouvelle Russie met un point d’honneur à traiter les siens correctement. Les Ukrainiens capturés sont autorisés à appeler leur famille restée sans nouvelles. L’effet est dévastateur à l’arrière, car Kiev nie l’hécatombe dont son armée est victime. C’est une nouvelle fois le choc entre la sauvagerie de la modernité occidentale et l’Europe chrétienne.

Les Russes n’ont pas besoin d’envoyer du matériel car, comme le soulignait non sans humour le premier ministre de la DNR, Alexandre Zakharchenko, le fournisseur unique et fiable en matière d’armements pour les rebelles reste l’armée ukrainienne. Du côté russe proviennent certainement des volontaires et de l’argent, mais cette guerre est une guerre civile, que Kiev est en train de perdre, faute d’avoir voulu l’admettre.

Il semblerait que la contre-offensive annoncée régulièrement depuis 3 semaines a commencé. Sur tous les points du front, les forces kiéviennes reculent. L’objectif de la Nouvelle Russie est de contrôler totalement la zone tampon avec la frontière russe et ses liaisons avec Lougansk. Ces premiers objectifs atteints, les fédéralistes pourraient se retourner, si leurs réserves le leur permettent, vers Slaviansk et Marioupol. Les jours qui viennent devraient être décisifs.

Stalingrad puis l’offensive du Têt et peut-être le débarquement du 6 juin 1944

L’état-major de Nouvelle Russie a accompli Stalingrad, car il a contenu les forces d’invasion, tout en préparant sa contre-attaque. Il est sur le point d’accomplir l’offensive du Têt par une attaque qui révèlera aux opinions ukrainiennes et occidentales que la guerre est loin d’être gagnée par Kiev et peut même être perdue. Enfin, dans la mesure où le gouvernement de Kiev a envoyé la majeure partie de ses forces s’épuiser sur le Donbass, il a créé un vide entre Donetsk et les autres villes de l’est : Kharkov, Zaporojie ou Dniepropetrovsk. L’armée allemande s’est retrouvée dans la même situation après la bataille de Normandie.

À la demande de l’ambassade des États-Unis, les médias français ont expliqué cette débâcle par un changement de stratégie, « un calcul intelligent », comme l’a appelé Harold Hyman. Tout aussi incompétent que ses homologues français, il mélange allègrement munitions éclairantes et bombes au phosphore, comme Frédéric Encel confond les T64, fabriqués à Kharkov, avec des T72. Admettons pour sa défense que contrairement à ses confrères français, le journaliste américain a au moins le mérite d’être sympathique et rigolo.

Situation économique

Le Premier Ministre Iatsenouk, que certains avaient tendance à considérer, à tort, comme modéré et raisonnable, se ridiculise avec ses sanctions contre la Russie. Les Européens ont appris avec effarement qu’il était question de couper les arrivées de gaz, du côté ukrainien. L’incrédulité a succédé à l’effarement quand il a proposé la privatisation partielle du réseau ukrainien de transit du gaz russe. Les installations sont dans un tel état de délabrement, que personne ne voudra sérieusement y investir. Shell a d’ailleurs immédiatement décliné l’offre, préférant collaborer avec la Russie. Tout le monde attend « South Stream », alors que les Bulgares, qui ont été menacés par John MacCain et l’UE, ont gelé le projet contre leurs propres intérêts. Il sera intéressant de voir comment le gouvernement bulgare expliquera cela à sa population, cet hiver, si Kiev coupe le gaz.

En effet, l’hiver arrive, mais pas le gaz. Les approvisionnements alternatifs se révèlent être une fable, comme nous l’avons annoncé depuis le début. Au déficit de gaz, qui empêchera de chauffer correctement les maisons pendant l’hiver, et d’avoir de l’eau chaude, s’ajoute celui du charbon (majoritairement extrait dans le Donbass). Dans 40 jours, l’Ukraine va passer du statut d’exportateur à celui d’importateur. La production d’électricité, où l’Ukraine est également exportatrice devrait être gravement affectée, notamment à Kiev. Dans la mesure où les Ukrainiens se sont précipités sur les chauffe-eau et les chauffages électriques, il faut s’attendre à des « black-out » cet hiver. L’aide du FMI est prévue pour le 29 août, mais elle n’est pas garantie. Étant donné la situation, le ministre de l’économie, Pavel Sheremet, a démissionné le 21 août.

Situation politique

La démission du ministre de l’économie n’est pas un cas isolé. Parouby a quitté le conseil de sécurité national complètement, après avoir renoncé il y a deux semaines au secrétariat général. Tatiana Tchernovol, autre figure hystérique du bandérisme militant a, quant à elle, quitté son ministère de la lutte contre la corruption.

Le gouvernement ukrainien s’est soumis aux menaces de Iarosh. Le chef du « Pravy Sektor », ne supportant pas que ses sbires soient arrêtés pour trafic d’armes, avait menacé de quitter le Donbass pour remonter sur Kiev. Des rumeurs circulent, sur le fait que Petro Porochenko aurait demandé son élimination et que les unités nazies, dont l’absence de professionnalisme en fait des cibles faciles pour les rebelles, seraient envoyées dans les zones les plus dangereuses pour y être taillées en pièces (le déploiement tragi-comique de cette unité sur cette vidéo, entrainerait un renvoi immédiat de l’École d’Application de l’Infanterie). Plusieurs leaders radicaux ont ainsi été blessés ou tués. L’efficacité de Iarosh n’est pas sans nous rappeler celle d’un autre grand stratège de la deuxième mondiale.

L’arbitraire règne partout en Ukraine. Les enlèvements et les tortures se multiplient. Les échanges de prisonniers et des dépouilles mortuaires apportent des témoignages effrayants sur les traitements subis dans les geôles de Kiev. Comme si cela ne suffisait pas, le Président Porochenko a signé un décret autorisant une détention de 30 jours sans décision d’un juge. Comme quoi, les valeurs américaines finissent par se répandre en Ukraine.

Maïdan a été déblayé, au moins en partie. Vitali Klitchko a mis la main à la pâte et n’a jamais été aussi populaire que depuis qu’il remplit des bennes à ordures, en évitant de parler. Le gouvernement ne passera donc plus devant le soviet de Maïdan. Cela n’a pas éveillé de protestation chez Anne de Tinguy, qui s’était pourtant laissée, avec beaucoup de sensualité, submerger par le bonheur, le 26 février dernier, devant l’érection de ce système politique fabuleux et original.

Dans les Carpates, les Hongrois demandent désormais leur autonomie, avec le soutien du parti nationaliste hongrois, le Jobbik. On sourit, en pensant à ceux, qui voulaient unir les nationalistes de toute l’Europe. Nous attendons avec impatience la réaction de Svoboda et de son leader Tiagnibok. Pour Kiev, la situation est des plus délicates. La Hongrie est non seulement membre de l’OTAN, mais aussi un pays ami de la Russie, dont elle partage les valeurs chrétiennes, en attendant de transporter son gaz.

Relation russo-ukrainienne

Le Président Porochenko s’apprête à rencontrer Vladimir Poutine à Minsk, le 26 août prochain, mais sa marge de manœuvre est limitée. Yulia Timochenko, qui n’a toujours pas digéré sa défaite aux présidentielles, l’attend en embuscade avec une accusation de trahison, pour le cas où le Président ukrainien accepterait la fédéralisation. Elle est soutenue par Igor Kolomoïski, qui est en train de s’emparer d’Odessa et qui peut mettre à la disposition de la « princesse du gaz », son armée privée, que composent les bandes armées du « Pravy Sektor ».

Si Porochenko veut faire bouger les choses et notamment la constitution ukrainienne il devra, tôt ou tard, mettre sa démission dans la balance. Élu pour faire la paix, il est de plus en plus impopulaire en Ukraine et risque de perdre les élections parlementaires. Il bénéficierait dans ce cas-là des soutiens français et russe. La question est de savoir, si Angela Merkel, qui doit le rencontrer à Kiev le 23 août, sera capable d’oublier son propre revanchisme anti-russe.

La Russie est désormais le seul pays qui semble s’intéresser aux résultats de l’enquête sur la destruction du Boeing malaysien. Gageons que la publication du rapport, si elle a lieu, devrait être un grand moment dans l’histoire des médias français, dans le même genre que l’assassinat de James Foley, soit disant détenu par Bachar al-Assad depuis 2012.

Échec des sanctions

Les sanctions sont un échec quasi-total. L’UE, qui ne doute décidemment de rien, vient de demander à l’Amérique du Sud de sanctionner la Russie, ainsi qu’à la Serbie. La réponse ne s’est pas fait attendre des uns comme des autres. Côté américain, c’est sur la Chine et la Corée que Washington espère, avec beaucoup d’optimisme et de candeur, faire pression. Le Japon continue à faire semblant. Les agriculteurs russes et serbes peuvent ainsi dire un grand merci à l’UE et à l’OTAN. De son côté la Russie battra en 2014 son record de production de blé, et vient d’ailleurs de signer un contrat de livraison avec l’Égypte dans le cadre de la reprise de la politique arabe, héritée de l’Union Soviétique. Grâce aux sanctions, la valeur en bourse des actions des sociétés agricoles russes a augmenté de 20%.

Les 125 millions d’euros proposés par l’UE n’étant qu’une goutte d’eau dans l’océan du désastre, les idéologues européistes tentent d’expliquer aux producteurs européens que c’est encore plus dur pour les Russes. Même si cela était vrai, ce serait une bien piètre consolation pour les paysans français, qui, contrairement à Bruxelles et Washington, ne sont pas en guerre contre la Russie. Pas plus pour les Lettons, qui n’en peuvent plus eux aussi, ou que les Espagnols, qui protestent désormais ouvertement. Le pauvre Jacques Rupnik voyait dans la crise ukrainienne un test pour l’Europe (en fait l’UE, mais la nuance est trop subtile pour son enthousiasme de supporter de football). Il va être servi.

L’UE et l’OTAN vivent toujours dans les années 1990, et il est temps que la France rentre dans le XXIème siècle et cesse de s’occuper des caprices de la Pologne pour se tourner vers les BRICS et l’Asie. Dans l’immédiat, la France a bien joué sa partie lors du salon de l’armement, qui s’est tenu à Moscou du 13 au 17 août, et où Dimitri Rogozine a annoncé que les sociétés qui avaient été présentes dans les moments difficiles ne seraient pas oubliées.

Concernant Exxon Mobil, que nous avions évoquée lors de notre dernière analyse, la compagnie pétrolière n’a pas manifesté d’intérêt pour les tuyaux rouillés de Naftogaz. Elle a, en revanche, inauguré en direct avec Vladimir Poutine et Igor Setchine (qui se trouve sur toutes les listes de sanctions) son premier forage américano-russe en Arctique, le 9 août dernier.

La Russie attend donc calmement que la situation se décante. Les contre-sanctions ont été comme une douche froide pour l’UE qui, visiblement, pensait que Moscou se laisserait punir comme un enfant pris en faute. Le gouvernement français, dont il faut saluer une nouvelle fois la persévérance sur le Mistral, s’est laissé entraîner dans ces sanctions stupides et stériles en raison de la nullité des « spécialistes » qu’il consulte sur les questions russes et ukrainiennes. Les journalistes français doivent, bien entendu, ne jamais être consultés, et les Gomart, Encel, Tertrais, Rupnik et autres Heisbourg, dont l’incompétence nuit gravement aux intérêts français, doivent être mis à l’écart. La Fondation pour la Recherche Stratégique et l’IFRI doivent se remettre en cause urgemment, impérativement et sérieusement.

En conclusion

Pour finir sur une note humoristique, nous présenterons un exemple filmé, de la manière dont on joue avec les enfants en Galicie. Cela ressemble davantage à une cérémonie Vaudou, et on se dit qu’après une enfance pareille, même Oleg Tiagnibok a des excuses…

Enfin, ultime et excellente nouvelle, un budget pour la constitution de Russia Today en français, de 29 millions d’euros, a été voté. Le Kremlin a fini par prendre en compte l’absence de liberté d’expression en France et tente désormais d’y porter remède.

Xavier Moreau

Source: http://www.les-crises.fr/ukraine-vers-l-effondrement/


[Article] « Nous assistons à l’écroulement d’un monde, des forces immenses sont sur le point d’être déchaînées », par Frédéric Lordon

Monday 25 August 2014 at 01:59

Vous n’avez décidément pas de chance en ce mois de mai.

Pour couper un peu la série aride sur le système bancaire européen, je vous propose aujourd’hui, avec un manque total de sens marketing, un article de Frédéric Lordon. Un roman je dirais. Mais comme à son habitude, un beau, profond et grand roman.

L’article fait 20 pages, mais vous avez ici un concentré d’intelligence analytique, qui change tellement de la médiocrité des “analystes star” des médias, qui oui, font plus simple, plus court, mais surtout beaucoup plus faux.

Comme souvent, je n’adhère pas à tout le propos, mais j’adhère au sens général, à la description et à l’enchaînement des faits analysés.

Il FAUT lire Frédéric Lordon avec sa vision si contraire à tout ce qui nous est déversé au quotidien – et se faire sa propre opinion.

Je l’ai entièrement remis en page et vous pouvez le télécharger en cliquant ici.

“C’est une leçon de choses historiques. Ouvrons bien les yeux, on n’a pas souvent l’occasion d’en voir de pareilles. Nous assistons à l’écroulement d’un monde et ça va faire du gravât. L’histoire économique, en tout cas celle qui a fait le choix de ne pas être totalement bornée – je veux parler d’auteurs comme Kindleberger, Minsky ou Galbraith – a depuis longtemps médité l’effrayant pouvoir de destruction de la finance libéralisée. Il fallait de puissants intérêts – très évidemment constitués – à la cécité historique pour remettre sur les rails ce train de la finance qui a déjà causé tant de désastres ; en France, comme on sait, c’est la gauche de gouvernement qui s’en est chargée.

De sorte que, à la lumière de ces leçons de l’histoire, on pouvait dès le premier moment de la dérégulation financière annoncer la perspective d’une immense catastrophe, et ce sans pourtant savoir ni où, ni quand, ni comment exactement elle allait se produire. La catastrophe en question aura pris vingt ans pour survenir, mais voilà, nous y sommes. Notons tout de même qu’un scénario que certains avaient envisagé d’assez longue date considérait l’hypothèse de la succession de crises financières sérieuses, rattrapées mais, aucune des contradictions fondamentales de la finance de marché n’étant résolues, enchaînées selon un ordre de gravité croissante, jusqu’à la big one. Sous ce rapport, la première crise de la série n’aura pas pris un an pour se manifester puisque le grand krach boursier se produit en 1987… après le big bang de 1986. Puis elles se sont succédé à intervalle moyen de trois ans. Et nous voilà en 2007. 2007, n’est-ce pas, et pas 2010. Car le discours libéral n’a rien de plus pressé que de nous faire avaler l’idée d’une crise des dettes publiques tout à fait autonome, européenne dans son principe, et imputable à une fatalité d’essence de l’État impécunieux. Or le fait générateur est bien la crise de la finance privée, déclenchée aux États-Unis, expression d’ailleurs typique des contradictions de ce qu’on pourrait appeler, pour faire simple, le capitalisme de basse pression salariale, dans lequel la double contrainte de la rentabilité actionnariale et de la concurrence libre-échangiste voue la rémunération du travail à une compression continue et ne laisse d’autre solution à la solvabilisation de la demande finale que le surendettement des ménages.”

Source: http://www.les-crises.fr/l-ecroulement-d-un-monde/


La crise économique est aussi une crise de l’enseignement de l’économie (+ Scandale au Bac ES)

Monday 25 August 2014 at 00:10

Un article de 2013, que j’avais sous le coude… Mis à jour avec un papier de Sapir de juin 2014

Etudiants en économie, nous nous intéressons au monde qui nous entoure. Or l’enseignement que nous recevons est étrangement déconnecté de l’histoire qui s’écrit sous nos yeux.

De cette insatisfaction est né en France le collectif étudiant PEPS-Economie, qui se mobilise “Pour un enseignement pluraliste de l’économie dans le supérieur”. D’autres mouvements similaires ont vu le jour de par le monde (Canada, Etats-Unis, Allemagne, Israël, Chili, Uruguay, Argentine…).

Afin de mesurer l’ampleur du problème de l’enseignement de l’économie dans l’enseignement supérieur, et particulièrement à l’université, nous avons mené un grand travail d’enquête en recensant les programmes et curriculae de toutes les licences d’économie en France. Nous en tirons un triple constat, qui est à la base de notre désarroi : un manque de recul critique criant, un repli de l’enseignement sur une portion congrue de la discipline économique, et un isolement à l’égard des autres sciences sociales.

Durant les trois premières années d’enseignement, l’histoire de la pensée et des faits économiques n’est ainsi enseignée que très marginalement (moins de 1,7 % des cours proposés).

COURS D’ÉPISTÉMOLOGIE

Le recul offert par une perspective historique est pourtant fondamental, ainsi que le soulignent des économistes comme Paul Krugman ou Joseph Stiglitz. Pire : une seule licence en France propose un cours d’épistémologie, qui analyse les fondements scientifiques de la discipline, question ô combien importante en économie.

L’infime place concédée aux problèmes économiques contemporains (1,6 %) confirme enfin la difficulté à faire le lien entre enseignements théoriques et réalités concrètes. Pour le dire clairement : l’enseignement de l’économie à l’université ne parle presque pas de ce qui se passe dans le monde. C’est aberrant.

Cette absence de questionnement sur l’histoire et les méthodes de cette discipline est aggravée par l’absence de pluralisme théorique. Malgré la diversité des approches existantes, les cursus actuels font la part belle à l’école dite “néoclassique” et à ses différentes branches contemporaines (nouveaux classiques, nouveaux keynésiens, nouvelle microéconomie…), au point de favoriser la confusion entre science économique et économie néoclassique.

Or les récents événements ne permettent pas de déceler une quelconque supériorité scientifique de cette approche. Nous souhaitons que la théorie néoclassique soit pleinement enseignée, mais au même titre que d’autres écoles de pensée, aussi dynamiques que stimulantes (théorie de la régulation, économie écologique, économie complexe, économie postkeynésienne, école autrichienne…).

Enfin, l’isolement disciplinaire sclérose la réflexion. Les autres sciences sociales sont absentes des cursus universitaires en économie. Ce repli est d’autant plus préjudiciable qu’un problème économique est également un problème social et politique.

NÉCESSAIRES À LA COMPRÉHENSION

L’économie telle qu’elle est enseignée a tendance à se satisfaire de méthodes quantitatives qui, si elles sont indispensables, aboutissent à la production d’un savoir parfois trop simpliste malgré sa sophistication technique. L’idée n’est pas de remplacer les mathématiques et les statistiques, mais de ne pas se priver des outils complémentaires nécessaires à la compréhension de phénomènes complexes.

Nous revendiquons donc un triple pluralisme.

Pluralisme critique d’abord : il est fondamental d’offrir aux étudiants un recul sur la discipline elle-même, notamment à travers l’enseignement de l’épistémologie et de l’histoire de la pensée et des faits économiques.

Pluralisme théorique ensuite : les différentes écoles de pensée doivent être enseignées avec rigueur afin de promouvoir une émulation scientifique entre ces courants théoriques et d’offrir une pluralité de vues aux étudiants.

SCIENCE SOCIALE

Pluralisme disciplinaire enfin : l’économie est une science sociale. Pour rendre compte de dynamiques complexes, les disciplines voisines de l’économie offrent des approches et des outils d’analyse féconds.

Refusant de rester inactifs, nous avons pris appui sur notre analyse critique pour être force de proposition. Nous avons élaboré une maquette alternative d’enseignements en licence d’économie, fondée sur ce triple pluralisme et l’envie de croiser les apports des différentes approches. Nous proposons ainsi une problématisation par objets, organisée autour de grands thèmes, à l’instar de ce qui se faisait dans les cours de sciences économiques et sociales dans l’enseignement secondaire.

L’enseignement de l’économie est un enjeu démocratique. Nos sociétés ont besoin d’économistes capables d’imaginer des politiques diverses, de contribuer au débat public en diffusant les éléments de réflexion nécessaires à l’exercice d’une citoyenneté éclairée, afin que tous puissent se forger un avis.

Aujourd’hui l’enseignement de l’économie ne le permet pas, et l’urgence et la persistance de la crise que nous traversons impose de le refonder.

Par le Collectif PEPS-Economie
Source lemonde.fr

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Scandale au Bac ES

19 juin 2014

Par 

Le Bac est, cette semaine, le sujet à la mode. Il revient ainsi tous les ans, avec ses polémiques (faut-il supprimer le Bac ?), avec ses scandales, réels ou imaginaires. Il y a une bonne raison à cela. Premier examen universitaire (et c’est pour cela qu’un professeur des universités préside le jury), il conditionne pour de nombreux jeunes la possibilité d’avoir accès aux études supérieures. L’idée de faire passer le Bac par contrôle continu aurait probablement pour conséquence de conduire les universités à instaurer des concours d’entrée, puis à créer leurs propres filières de préparation à ces concours d’entrée, ouvrant par là même la porte à des abus multiples.

Le formatage par le MEDEF commence au Bac !

On trouve donc de tout dans les sujets du Bac ; parfois des « perles » et même de la propagande. C’est le cas pour les sujets de 2014 dans l’épreuve de sciences économiques et sociales pour la section ES (Sujets: BAC-ES2014). Cette propagande peut être grossière, comme c’est le cas pour les (malheureux) élèves qui auront choisi l’épreuve composée. La première question de cette dernière (valant 6 points) se compose de deux sous-questions :

  1. Comment la flexibilité du marché du travail peut-elle réduire le chômage ?
  2. À quels risques économiques peuvent s’exposer les pays qui mènent une politique protectionniste ?

On ne saurait imaginer choix plus tendancieux, et plus erroné du point de vue de la science économique.

Commençons par la première sous-question ; il est ainsi implicitement suggéré à l’élève que la « rigidité » du marché du travail peut-être une cause du chômage. Or, ce que l’on appelle la « rigidité » ce sont des contrats de travail assurant une stabilité et une protection au salarié. Poussons alors le raisonnement à l’absurde : si la flexibilité du travail permet de réduire le chômage, il nous faut revenir à des contrats journaliers ou hebdomadaires, comme aux premiers jours de la révolution industrielle. Il n’y avait rien de plus flexible que le marché du travail au début du XIXème siècle. Pourtant, comme c’est étrange, tous les commentateurs de l’époque s’entendent pour dire qu’il régnait alors un chômage important… Par ailleurs, si une personne n’a aucune garantie quant à son lendemain, si elle vit dans une insécurité permanente, aura-t-elle la moindre incitation pour s’instruire et développer sa force de travail ? On oublie trop que l’extrême flexibilité du travail a pour corolaire une productivité extrêmement faible. Inversement, ce sont les industries qui avaient besoin d’un travail qualifié (comme Krupp en Allemagne ou Schneider en France) qui ont, les premières, instauré des mécanismes rigidifiant le marché du travail afin de stabiliser une main d’œuvre avec des caractéristiques spécifiques. En réalité, la segmentation du marché du travail est issue du développement même du capitalisme. Les gains très importants en productivité du travail que l’on a connu depuis plus de 100 ans dans l’industrie sont le résultat de ces stabilités qui sont aussi, pour ceux qui les combattent, autant de « rigidités ». Or, ces gains permettent des hausses régulières du salaire réel, qui assurent ainsi les débouchés (la consommation) à la production, et contribuent par là à la baisse du chômage. Il faut ici rappeler que l’introduction du SMIG puis du SMIC a fortement contribué à une croissance rapide dans les années 1960.

Quant à la seconde question, elle passe sous silence le fait qu’il n’y a pas eu un seul pays qui ait réussi à s’industrialiser et à se développer économiquement sans recourir à des méthodes protectionnistes. De la France au Japon, des États-Unis à l’Allemagne, tous les pays ont eu recours au protectionnisme, et ceci a correspondu à leurs périodes de croissance les plus importantes. Dans un papier célèbre[1], le regretté Paul Bairoch et Richard Kozul-Wright ont montré le rôle largement positif des réglementations protectionnistes.

Tableau 1

Niveau de protection 1875 et 1913[2]

Montant moyen des droits de douanes sur les biens manufacturés

Tous produits

1875

1913

1913

Autriche-Hongrie

15-20

18-20

18-23

Belgique

9-10

9

6-14

Danemark

15-20

14

9

France

12-15

20-21

18-24

Allemagne

4-6

13

12-17

Italie

8-10

18-20

17-25

Russie

15-20

84

73

Espagne

15-20

34-41

37

Suède

3-5

20-25

16-28

Suisses

4-6

8-9

7-11

Pays-Bas

3-5

4

3

Grande Bretagne

0

0

0

Etats-Unis

40-50

44

33

 

Tableau 2

Composition géographique des exportations, 1913 (en %)

Part des exportations mondiales Commerce avec le « nord » Part des exportations de biens manufacturés en % des exportations Exportations vers d’autres producteurs industriels en % de exportations
Grande-Bretagne

22.8

37.9

76.6

31.8

France

12.1

68.2

57.9

63.8

Allemagne

21.4

53.4

71.7

53.5

Autres pays d’Europe occidentale

15.0

70.3

49.4

62

Etats-Unis

22.1

74.5

34.1

63.2

Source: Maizels Industrial Growth and World Trade, Cambridge, Cambridge University Press, 1963

On constate ainsi que non seulement le protectionnisme n’a nullement ralenti la croissance, mais qu’il n’a pas non plus ralenti le développement du commerce international avant la première guerre mondiale, dans la période considérée comme celle de la « première mondialisation ». La « seconde mondialisation » se caractérise aussi par la fin de l’URSS et du CAEM en Europe, transformant en commerce « international » ce qui était largement un commerce « intérieur » auparavant. À cet égard, les chiffres extrêmement élevés du commerce international dans les années 1994-1997 semble bien avoir été le produit d’une illusion statistique. Ce sont ces chiffres, enregistrés sur quatre années, qui ont très largement conditionné notre vision de la croissance. Enfin, il faut avoir à l’esprit la hausse du prix des matières premières qui s’est manifestée pendant une bonne partie de cette période. Les matières premières, à l’exception de la période 1998-2002, ont vu leur prix monter de manière significative. Or, dans le commerce international, les produits sont comptabilisés à leur prix courant.

C’est donc de cette période que date le sentiment que le commerce international porte la croissance. L’on a eu l’impression, et peut-être l’illusion, que c’était par l’abolition des barrières aux échanges que l’on avait obtenu la croissance très forte de ces années-là. Les pays qui ont associé des politiques protectionnistes à des bonnes politiques macroéconomiques connaissent des taux de croissance qui sont largement supérieurs à ceux des pays plus ouverts, ce qui invalide le résultat précédent sur l’ouverture[3]. Les travaux d’Alice Amsden[4], Robert Wade[5] ou ceux regroupés par Helleiner[6]montrent que dans le cas des pays en voie de développement le choix du protectionnisme, s’il est associé à de réelles politiques nationales de développement et d’industrialisation[7], fournit des taux de croissance qui sont très au-dessus de ceux des pays qui ne font pas le même choix. Le fait que les pays d’Asie qui connaissent la plus forte croissance ont systématiquement violé les règles de la globalisation établies et codifiées par la Banque mondiale et le FMI est souligné par Dani Rodrik[8].

Les coûts du libre-échange

La menace des délocalisations et le chantage auquel se livrent les entreprises ont conduit à maintenir les salaires dans l’industrie à un niveau très faible et à exercer une pression croissante sur les salariés. La faiblesse des revenus tend à déprimer la consommation et donc la demande intérieure. La pression sur les salariés, pour que les gains de productivité compensent les gains possibles en bas salaires, est une des causes principales du stress au travail et des maladies qui en sont induites, phénomène que l’on a déjà évoqué. En France, il est alors probable que le coût direct et indirect du stress au travail soit de l’ordre de 55 à 60 milliards d’euro, ce qu’il faut comparer aux 15 milliards de déficit de la sécurité sociale. Il est clair que, si les gains salariaux avaient pu suivre ceux de la productivité, et si l’on avait pu économiser ne serait-ce que 1 % du PIB en cotisations tant salariées que patronales, on aurait eu un impact très fort de ce surcroît de pouvoir d’achat sur la croissance. On peut alors estimer à 1 % de la population active au minimum le gain en emploi (ou la réduction du chômage) que l’on aurait pu obtenir. Cependant, ce gain est global et ne concerne pas uniquement l’emploi industriel.

La combinaison de ces effets indique que la pression du libre-échange coûte directement environ 2 % de la population active en emplois industriels perdus ou non créés. Ceci correspond probablement à une perte globale (avec l’effet multiplicateur habituel de l’emploi industriel sur l’emploi global) de 3 à 3,5 % de la population active. Mais cet effet n’est pas le seul. La concurrence entre travailleurs qui est induite par la globalisation a aussi pour conséquence de déformer la répartition des revenus, en comprimant beaucoup plus ceux des ouvriers. Ceci a été largement étudié dans un pays comme les États-Unis. Cette déformation a été à l’origine du surendettement des ménages américains, qui a conduit à la crise de 2007[9]. En France, le phénomène a été moins marqué, mais la divergence entre le rythme des gains de productivité et la croissance du salaire net moyen y est tout aussi notable ainsi que le décalage très net entre le salaire moyen et le salaire médian. L’effet sur la répartition des revenus semble donc indubitable. Ceci ne constitue pas seulement un problème social de première grandeur[10], qui se traduit dans les faits par la paupérisation des jeunes adultes et par l’apparition du phénomène des « nouveaux pauvres », autrement dit d’une fraction de la population qui, tout en étant employée, sombre petit à petit dans la misère. Ceci constitue aussi un phénomène macroéconomique majeur. Dans une telle situation, la demande intérieure est nécessairement comprimée et la croissance en pâtit. On n’a pu la maintenir à un certain niveau que par l’intermédiaire de dépenses publiques qui ont certainement eu un effet intéressant en matière de hausse de la croissance mais qui ont aussi provoqué une dérive de l’endettement global du pays. Il semble bien que, aujourd’hui, nous ayons touché les limites d’un tel système.

On peut alors calculer l’effet sur l’emploi de cette stagnation d’une partie des revenus salariaux à 1 % au minimum et plus probablement à 1,5 % de la population active. Alors qu’avant la crise, le taux de chômage en France était de 8,3 %, l’effet net du libre-échange (une fois décomptées les créations d’emploi induites par le surplus d’exportations découlant des règles du libre-échange) représenterait ainsi au moins la moitié et au plus 60 % de ce taux (4 à 5 % de la population active). Or le libre-échange et l’impact des politiques prédatrices hors et dans l’Union européenne n’est pas le seul facteur. La hausse de l’euro est aussi un élément qui induit une perte d’emplois non négligeable[11]. De ce point de vue, les effets de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) sont venus aggraver les difficultés de la totalité des pays de la zone, sauf – à court terme – de l’Allemagne[12].

De la propagande explicite à la propagande insidieuse

Mais, la propagande digne des sbires du MEDEF ne concerne pas ces deux seules questions. Une forme de propagande plus insidieuse se retrouve dans le premier sujet (sur 20 points). Le sujet de l’étude de document est le suivant :

Les facteurs travail et capital sont-ils les seules sources de la croissance économique

On oriente l’élève vers l’innovation, la recherche et… la garantie des droits de propriété (doc. 4). Jamais ne sont évoqués les facteurs macroéconomiques comme le poids de la finance sur une structure industrielle, ou l’influence du taux de change et de la politique monétaire. Ce sujet provient presque directement des thèses de l’école dite des « nouveaux classiques » avec une pincée d’institutionnalisme, ce dernier étant cependant réduit à la simple défense des droits de propriété. Or, cette école est celle qui a produit les modèles DSGE (Dynamic Stochatsic General Equilibrium) qui se sont révélés incapables de prévoir la crise financière de 2007-2008. Les erreurs des modèles dits « standards » ont en réalité plusieurs explications, qui peuvent parfois se conjuguer.

(a) Des spécifications irréalistes issues de la théorie néo-classique qui continue d’imprégner (même s’ils ne s’en rendent pas toujours comptes) les modélisateurs. C’est en particulier le cas dans les modèles issus du « nouveau consensus » macroéconomique, et qui continuent d’intégrer des hypothèses complètement irréalistes, mais qui sont cohérentes avec une idéologie économique néo-libérale. Et pourtant, ces modèles ont été présentés comme des progrès considérables pour la modélisation[13]. On retrouve ce problème dans le modèle MESANGE utilisé par le Ministère des Finances français[14]. L’une de ces hypothèses est la « clause de transversabilité »[15] qui implique qu’aucun agent ne peut faire défaut et qui induit une disparition des banques et de leur rôle dans le modèle[16]… Ces modèles ont été critiqués[17], et parfois même par leurs propres concepteurs[18], mais pour l’instant ils restent l’alpha et l’omega de ceux qui font les sujets du Bac.

(b) Une confusion entre paramètres et variables. Les modèles sont tous fondés sur l’idée que l’économie est une mécanique dont les évolutions sont toutes probabilisables[19] ; or, l’économie se rapproche bien plus de la métaphore d’un être vivant. Cela implique que certains coefficients sont considérés comme constant dans le temps et non liés à d’autres variables, alors qu’en réalité on observe empiriquement des fluctuations importantes de valeur de ces paramètres en fonction justement de l’évolution de ces variables. C’est par exemple le cas du multiplicateur des dépenses publiques dont on sait qu’il permet de déterminer ce que sera l’évolution du PIB futur à partir d’une hausse ou d’une baisse de ces dépenses publiques (incluant les mesures fiscales). La Commission Européenne s’en tient à des valeurs autour de 0,5 alors que l’on sait que les valeurs réellement observées sur l’Italie et l’Espagne sont de 2,2 à 1,7. Le FMI, lui-même, a récemment adopté des valeurs autour de 1,2, ce qui explique les prévisions plus pessimistes du récent rapport World Economic Outlook publié en octobre 2012.

(c) Des hypothèses adoptées « pour simplifier » mais qui altèrent en profondeur la dynamique du modèle. Les modélisateurs se facilitent la vie (pourquoi pas…) en adoptant des simplifications importantes de la réalité dans leurs modèles. Ce serait acceptable, si ces modèles n’avaient pas pour objet de « simuler » la dite réalité. C’est ainsi que le comportement des ménages ne tient en général aucun compte du contexte (alors que l’on sait aujourd’hui l’influence considérable des contextes sur les préférences[20]). De même, la rationalité des agents n’est elle-même jamais définie par rapport à un contexte donné[21]. Dans le même esprit, on adopte la règle de l’« agent représentatif ». On constate que des points de vue normatifs sont ainsi largement présents dans des modèles utilisés pour « simuler » la réalité.

(d) Une large dose d’idéologie. Elle permet d’expliquer certains des a priori que l’on constate dès la construction des modèles, mais aussi l’interprétation qui est faite de certains de leurs résultats. Ainsi, la flexibilité du marché du travail est toujours positive, ou des mesures libérales ne peuvent qu’accroître la croissance. Ceci permet aux modélisateurs de ne pas trop s’interroger sur les écarts qu’ils peuvent constater entre la réalité et les prévisions de leurs modèles, et considérer que ces écarts sont « normaux » et ne remettent pas en cause la structure du modèle.

Au total, on peut constater empiriquement que non seulement les modèles utilisés jusqu’à présent tendent à sous-estimer l’impact des politiques d’austérité, mais qu’ils donnent de plus des visions très pessimistes de l’impact de politiques non-conventionnelles (comme en Russie en 1999). Ceci n’est que le résultat des fondements idéologiques sur lesquels ils sont construits.

 

Les sujets qui ont été proposés aux élèves de la série ES le 19 juin 2014 sont donc particulièrement scandaleux du fait des biais idéologiques qu’ils révèlent. Mais, en cela, ils ne sont pas vraiment étonnants…

Source : Jacques Sapir


[1] Bairoch P. et Kozul-Wright R., GLOBALIZATION MYTHS: SOME HISTORICAL REFLECTIONS ON INTEGRATION, INDUSTRIALIZATION AND GROWTHIN THE WORLD ECONOMY, WIDER conférence, n°113, Mars 1996, Genève. http://unctad.org/en/docs/dp_113.en.pdf

[2] Idem, p. 8.

[3] Voir H.-J. Chang, « The Economic Theory of the Developmental State » in M. Woo-Cumings (dir.), The Developmental State, Ithaca, Cornell University Press, 1999 ; Kicking away the Ladder: Policies and Institutions for Development in Historical Perspective, Londres, Anthem Press, 2002.

[4] A. Amsden, Asia’s Next Giant, New York, Oxford University Press, 1989.

[5] R. Wade, Governing the Market, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1990.

[6] G. K. Helleiner (dir.), Trade Policy and Industrialization in Turbulent Times, Londres, Routledge, 1994.

[7] Voir C.-C. Lai, « Development Strategies and Growth with Equality. Re-evaluation of Taiwan’s Experience », Rivista Internazionale de Scienze Economiche e Commerciali, vol. 36, n° 2, 1989, p. 177-191.

[8] D. Rodrik, « What Produces Economic Success?  » in R. Ffrench-Davis (dir.), Economic Growth with Equity: Challenges for Latin America, Londres, Palgrave Macmillan, 2007. Voir aussi, du même auteur, « After Neoliberalism, What? », Project Syndicate, 2002 (www.project-syndicate.org/commentary/rodrik7).

[9] JEC, U. S. Senate, 26 août 2008. Voir aussi U. S. Congress, State Median Wages and Unemployment rates, prepared by the Joint Economic Committee, US-JEC, juin 2008.

[10] R. Bigot, « Hauts revenus, bas revenus et “classes moyennes”. Une approche de l’évolution des conditions de vie en France depuis 25 ans », Intervention au colloque « Classes moyennes et politiques publiques » organisé par le Centre d’analyse stratégique, Paris, 10 décembre 2007.

[11] F. Cachia, « Les effets de l’appréciation de l’euro sur l’économie française », Note de Synthèse de l’INSEE, Paris, INSEE, 20 juin 2008.

[12] Voir J. Bibow, « Global Imbalances, Bretton Woods II and Euroland’s Role in All This » in J. Bibow, A. Terzi (dir.), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York, Palgrave Macmillan, 2007.

[13] Gali J and M. Gertler, “Macroeconomic Modelling for Monetary Policy Evaluation”, Journal of Economic Perspectives, Vol. 21, n°4, 2007, pp. 25-45

[14] Céline ALLARD-PRIGENT, Cédric AUDENIS, Karine BERGER, Nicolas CARNOT, Sandrine DUCHENE, Fabrice PESIN, PRÉSENTATION DU MODÈLE MÉSANGEModèle Économétrique de Simulation et d’Analyse Générale de l’Économie, Direction de la Prévision, Document de Travail, mai 2002, http://www.tresor.economie.gouv.fr/file/326640 , p.6

[15] Blanchard O.J. et S. Fisher, lectures on Macroeconomics, MIT Press, Cambridge, MA, and London, 1989, chap. 2.

[16] Goodfriend M, et R.G. King, (1997), “The New Neoclassical Synthesis and the Role of Monetary Policy” in Bernanke B.S., and J.J. Rotemberg (edits), NBER Macroeconomic Annual 1997, MIT Press, Cambridge, MA.

[17] Goodhart, C. A. E., The Continuing Muddles of Monetary Theory: A Steadfast Refusal to Face Facts, paper presented at the 12th Conference of the Research Network Macroeconomics and Macroeconomic Policy of the Macroeconomic Policy Institute/Institut für Makroökonomie, Berlin, Octobre 31–Novembre 1, 2008. Idem “The Foundation of Macroeconomics: Theoretical Rigour versus Empirical realism”, papier présenté à la Conference on the History of Macroeconomics, Louvain-la-Neuve, Belgium, Janvier 2005

[18] Buiter W., “Central Banks and Financial Crises” paper presented at the Federal Reserve Bank of Kansas Symposium on Maintaining Stability in a Changing Financial System, Jackson Hole, Wyoming, August 21-23n 2008, document téléchargeable à l’URL:http://www.kc.frb.otg/publicat/sympos/2008/Buiter.09.06.08.pdf

[19] Haavelmo T., «The probability approach to econometrics » in Econometrica, vol. 12, 1944, supplément

[20] Tversky, Amos and Daniel Kahneman, “Rational Choice and the Framing of Decisions,”Journal of Business, 59, 4, part 2:251–278, Octobre 1986 ; Idem, “Loss Aversion in Riskless Choice: A Reference-Dependent Model,” Quarterly Journal of Economics, 106, 4:1039–1061, Novembre 1991.

[21] Tversky A., “Rational Theory and Constructive Choice”, in K.J. Arrow, E. Colombatto, M. Perlman et C. Schmidt (edits.), The Rational Foundations of Economic Behaviour, Basingstoke – New York, Macmillan et St. Martin’s Press, 1996, p. 185-197. Voir aussi J. Sapir, “Novye podhody teorii individual’nyh predpotchenij i ee sledstvija” (New Approaches of Individual Preferences and Their Condequences) in Ekonomitcheskij Zhurnal, Vol. 9, n°3/2005, pp. 325-360.

Source: http://www.les-crises.fr/la-crise-economique-est-aussi-une-crise-de-lenseignement-de-leconomie-scandale-au-bac-es/


Les dirigeants européens basculent dans le fanatisme antirusse, par Francis Briquemont

Sunday 24 August 2014 at 04:55

Voici une très intéressante série de vues de Francis Briquemont, le général belge qui commanda la FORPRONU en Bosnie en 1993-1994 (qui a donc 79 ans actuellement…) [NB : si quelqu'un a son contact, ça m'intéresse...].

Pour les plus jeunes, vous trouverez ici son coup de gueule qu’il avait écrit en 1994 quand il avait été rappelé pour avoir critiqué l’ONU : Bosnie : le “j’accuse” d’un général humilié 

On y lira par exemple :

“Récemment, un sondage a révélé que 63% de la population belge était favorable à une intervention aérienne en Bosnie. La question était mal posée. Il aurait fallu demander aux familles: si vous aviez un fils de 20 ans, à Sarajevo, avec un casque bleu sur la tête, seriez-vous favorable à un raid aérien sur les batteries serbes ? Lorsque j’entends Bernard-Henri Lévy prétendre que quelques avions suffiraient à régler la situation, je deviens fou! C’est grave quand un intellectuel se prend pour un expert militaire. C’est encore plus grave lorsqu’il parade dans la ville assiégée, qu’il cite le général de Gaulle à tout va et que les habitants de Sarajevo le prennent pour le Messie. [...]

Il n’y a pas, d’un côté, les bons, de l’autre, les méchants. C’est une guerre à trois. Une guerre tournante. Les alliances se font et se défont en fonction des rapports de forces dans chaque région. Dès qu’un parti – serbe, croate ou musulman bosniaque – devient trop fort, les deux autres s’unissent contre lui. Il faut en finir avec l’antiserbisme primaire véhiculé par quelques intellos en goguette.”

La guerre, c’est toujours plus intéressant quand ceux qui la font en parlent…

En lien, ce papier de Daniel Salvatore Schiffer dans Marianne en 2009 : Serbie et Bosnie: et si le méchant n’était pas celui qu’on croit ?, où on lit :

“La Bosnie, tout d’abord, celle-là même que ne cessèrent d’encenser au prix de mensonges souvent éhontés, en voulant nous la présenter comme un modèle de société multiculturelle et pluriethnique, quelques-uns de nos intellectuels les plus médiatisés, au premier rang desquels émerge un imposteur de taille : Bernard-Henri Lévy. Je me souviens, en particulier, de la manière, aussi partisane qu’effrontée, dont ce grand mystificateur s’évertua, durant toutes ces années de guerre et contre le sens de la vérité elle-même, à glorifier les soi-disant mérites de son idole politique d’alors : Alija Izetbegovic, premier Président de la Bosnie indépendante, mais, surtout, fondamentaliste musulman dont la tristement célèbre « Déclaration Islamique », publiée à Sarajevo en 1970, affirme textuellement, niant là les valeurs de nos sociétés laïques, qu’ « il n’y a pas de paix ni de coexistence entre la religion islamique et les institutions sociales et politiques non islamiques ». ” [Lire ici cette édifiante déclaration]

Intéressant de voir la même propagande par les mêmes personnes 20 ans plus tard…

Bref, retour sur 3 billets sur l’Ukraine publiés cette année par le général Briquemont (merci de me les avoir signalés)

9 avril 2014, Crimée : offerte à Poutine sur un plateau d’argent

Les cris d’orfraie des dirigeants occidentaux à propos de cette “attitude insupportable” de la Russie, “ce référendum illégal”, masquent leurs fautes d’appréciation et bourdes. Inventaire.
La gestion de la crise ukrainienne par les Occidentaux laisse perplexe. La gestion d’une crise ou d’un conflit se traduit en fait par une série d’actions et/ou réactions résultant d’une analyse rationnelle de la situation. Comme dans toute stratégie opérationnelle, un des principes de base à respecter est le maintien de sa liberté d’action. Concrètement cela signifie connaître ses possibilités d’action et être capable d’apprécier et prévoir celles de son adversaire.

Que s’est-il passé en Ukraine ? La moitié occidentale du pays, proeuropéenne, s’est révoltée contre le pouvoir en place, incarné par un président et un gouvernement pro-russe refusant un rapprochement politique avec l’UE, et contre la corruption généralisée caractéristique de cet Etat. Initialement, cette révolte s’est déroulée dans l’indifférence de la partie orientale du pays plutôt pro-russe et surtout russophone mais cette indifférence s’est vite transformée en hostilité envers les révoltés de Kiev, dont l’attitude était de plus en plus anti-russe.

Choqués par la violence croissante des événements de Kiev, les dirigeants européens ont pris fait et cause pour les révolutionnaires de Kiev sans trop se soucier des réactions de la Russie; provoqué la fuite de Ianoukovitch et considéré, un peu naïvement peut-être, le gouvernement provisoire comme celui de “toute” l’Ukraine. Chacun appréciera comme il veut la composition et la légitimité de ce gouvernement ou la manière de réagir de l’UE, mais cette reconnaissance immédiate et très médiatique du gouvernement de Kiev est une erreur d’appréciation politique de l’UE qui a permis à Vladimir Poutine, digne héritier des tsars, de (re) prendre l’initiative dans la gestion de la crise.

Si, dès le début de la révolte populaire à Kiev, les Européens s’étaient penchés (un peu) sur la carte de la Russie et de ses confins et s’étaient souvenus de l’histoire de la Russie depuis la fin, humiliante pour elle, de l’URSS, ils auraient conclu que l’Ukraine n’était pas un pays comme les autres et que, pour autant que la stabilité en Europe soit un objectif stratégique important pour l’UE, il était utile d’organiser, au plus vite, un sommet UE-Russie pour parler sereinement de l’Ukraine. Au lieu de cela, les dirigeants européens ont snobé Vladimir Poutine en refusant d’assister à l’ouverture des Jeux de Sotchi – occasion rêvée pour des contacts discrets – et, erreur plus grave “oublié”, que les révoltés de Kiev ne représentaient que la moitié ouest de l’Ukraine. Si, Herman Van Rompuy et Catherine Ashton avaient pu, au début de l’année, rencontrer Vladimir Poutine pour lui expliquer que l’UE était prête à participer au développement de l’Ukraine mais qu’il n’était pas question d’en faire un membre de l’UE et, encore moins, de l’Otan, on aurait pu peut-être éviter la crise actuelle.

Toujours est-il que le gouvernement provisoire ukrainien a aussi commis d’emblée la bourde politique de vouloir supprimer l’usage de la langue russe comme deuxième langue. Vladimir Poutine n’en demandait pas tant pour d’une part, entretenir l’agitation anti-Kiev à l’Est de l’Ukraine et d’autre part, pour régler en quelques jours le retour de la Crimée dans le giron russe et ce, à la stupéfaction (feinte ?) des Occidentaux; cette Crimée, terre russe depuis des siècles, rattachée à l’Ukraine alors au sein de l’URSS par “erreur stratégique”, et plus encore, siège de la plus importante base militaire russe dans le sud avec son accès à la Méditerranée.

Les cris d’orfraie des dirigeants occidentaux à propos de cette “annexion par la force”, cette “attitude insupportable”, “ce référendum illégal” sont sans doute proférés maintenant pour masquer la faiblesse de leur appréciation depuis le début de la crise. C’est aussi faire semblant d’oublier que les traités, les accords, les règles du jeu international, le respect des droits des humains, etc., se sont toujours plus ou moins adaptés à la stratégie militaire ou économique des Etats (des “Grands” certainement) et non l’inverse. Sans renvoyer aux calendes grecques, les Occidentaux peuvent aussi se rappeler certains épisodes peu légaux de la dislocation de l’ex-Yougoslavie; le déclenchement “illégal” de la guerre en Irak pour un faux prétexte de surcroît; les paroles de Margaret Albright, la secrétaire d’Etat américaine, déclarant un jour : si l’Onu est d’accord avec nous, tant mieux, si elle ne l’est pas tant pis; oublier aussi la manière dont les Occidentaux ont interprété la résolution du conseil de sécurité concernant l’intervention en Libye. Pau Guth écrivait non sans humour : “Regardez la carte du monde : on y joue à bureaux fermés la fable du loup et l’agneau” (1). En stratégie, il y a peu de place pour les naïfs ou les âmes sensibles.

Le sort de la Crimée étant réglé et irréversible, que pourrait-on faire maintenant pour calmer la situation ? Barack Obama, allergique à toute intervention militaire, et Vladimir Poutine semblent reprendre le problème ukrainien en main. Le premier dont les priorités stratégiques restent le Pacifique, la prolifération nucléaire (Iran, etc.) et un accord entre Israël et la Palestine, est venu dire à Bruxelles lors d’une visite dont la démesure n’a eu d’égale que la brièveté : 1°/ Au sein de l’Otan, les Européens devraient faire un effort dans le domaine de la défense; 2°/ Il faut envisager des sanctions économiques (sévères ?) si la Russie poursuit son agression contre l’Ukraine; 3°/ Pour ne plus trop dépendre du gaz soviétique, vous, les Européens, pourrez bientôt acheter du gaz de schiste américain; pour cela, signons au plus vite le traité de commerce transatlantique en discussion aujourd’hui. Bien joué en peu de temps !

Quant à Vladimir Poutine, il peut se permettre d’attendre car il n’a vraiment aucun intérêt à provoquer le déclenchement de sanctions économiques que personne en Europe ne souhaite d’ailleurs.

Tout le monde va sans doute patienter jusqu’aux résultats des élections prévues en Ukraine dans les prochains mois avec l’espoir qu’un modéré soit élu président et qu’un gouvernement d’union (vraiment) national soit formé. Si ce scénario se réalise, l’UE (nouvelle commission) et la Russie pourraient envisager plus sereinement le développement et la place de l’Ukraine sur l’échiquier européen. Assez rapidement, la Russie pourrait reprendre sa place au sein du G8 car, en stratégie, on ne peut faire la paix qu’avec son adversaire. Et l’UE pourrait, mais j’en doute, tirer, de l’épisode ukrainien, les leçons de sa faiblesse chronique, politique et… militaire.

Il est quand même décevant de constater que l’UE, cinq cents millions d’habitants, est incapable de résoudre seule un problème européen avec la Russie parce qu’elle n’a aucune stratégie commune acceptée par ses Etats membres. Une première décision souhaitable à prendre au sein de l’UE serait d’arrêter ce concept de l’élargissement permanent et son corollaire, l’adhésion à l’Otan. Car amener l’Otan à Kiev, ce serait refaire l’erreur de Nikita Kroutchev qui, il y a cinquante ans, voulait faire de Cuba une annexe nucléaire de l’URSS. A l’époque, on a frôlé la catastrophe nucléaire; une façon comme une autre sans doute, de régler le problème du réchauffement climatique !

Francis Briquemont

(1) Dans : “Lettre ouverte aux futurs illettrés”, Livre de poche n°5561

Source : LaLibre.be

20 mai 2014, De l’Ukraine aux élections européennes

Notre Occident, toujours aussi préoccupé de lui-même, se croirait volontiers de nos jours universel.” J. Gernet (1)

 

 

Le chaos s’installe en Ukraine. Récemment, nous avons évoqué cette crise (2) et chaque jour nous nous demandons encore comment le gouvernement (?) de Kiev et les Occidentaux ont pu commettre autant d’erreurs d’appréciation dans la gestion de cette crise. Sauf, bien entendu, si le but poursuivi était de provoquer un conflit avec la Russie.

Aujourd’hui, les déclarations très médiatisées de Barack Obama ou de John Kerry – l’UE étant sur la touche – font penser “au matraquage” bien organisé des opinions publiques pour justifier la guerre en Irak (2003) et ce, dans la tradition de “la stratégie du shérif” c.-à-d. d’un côté : un affreux, Vladimir Poutine et la Russie; et de l’autre : le bon, le gouvernement de Kiev et l’Occident !

Mais en fait, qui a d’abord déstabilisé l’Ukraine à la fin de 2013 ? Est-ce Vladimir Poutine ou les révolutionnaires de Kiev ? Comment ces derniers, évaluant mal la situation économique et… communautaire de leur pays et plus mal encore sa situation géopolitique dans le cadre européen, ont-ils pu croire qu’en criant “Vive l’Europe” les Occidentaux allaient intervenir – comment et avec qui d’ailleurs ? – et mettre Vladimir Poutine devant le fait accompli.

Qui a provoqué les émeutes sanglantes à Kiev qui ont précipité la chute de Viktor Ianoukovitch ? Des pro-Russes peut-être ou cette milice d’extrême droite pro-gouvernement rebelle, composée sans doute d’enfants de chœur, et décorant les murs de leur poste de commandement des croix gammées de sinistre mémoire.

Que sont allés faire exactement ces ministres des Affaires étrangères européens dans le chaudron de Kiev ? Ignoraient-ils à ce point “L’Histoire de la Russie et de son empire” (3) pour se mêler aussi imprudemment d’un problème russo-polono-ukrainien qui remonte à plusieurs siècles et n’a jamais été tout à fait résolu ?

Quand J. Kerry prétend que la Russie modifie “l’architecture de la sécurité en Europe”, croit-il vraiment ce qu’il dit ? Quel pays de l’Otan ou de l’UE a été ou est menacé par Vladimir Poutine ? N’est-ce pas plutôt John Kerry qui, en affirmant que “chaque parcelle du territoire de l’Otan sera défendue” , entend sans doute redonner un peu de souffle à l’Alliance et… inciter les Européens à dépenser plus pour leur sécurité ! En déployant quelques avions et un peu d’infanterie dans les pays Otan de l’Est, ou quelques navires dans les eaux internationales, l’Otan se livre à de la gesticulation opérationnelle. Hubert Védrine, l’ancien ministre français des Affaires étrangères disait non sans humour : “Avec la Crimée, l’Otan a retrouvé un ennemi, la Russie.”

Quand Barack Obama, bien ennuyé peut-être, préconise des sanctions de plus en plus sévères contre la Russie – mais dont les Européens se méfient car ils seront les seuls à en subir les dommages collatéraux – n’est-il pas en contradiction avec ses récentes déclarations où il affirme que “les différends doivent être résolus pacifiquement et non par l’intimidation ou la force” ? S’il était logique avec lui-même, il aurait déjà dû provoquer une rencontre au sommet avec Vladimir Poutine; car, face au chaos qui s’installe en Ukraine, avec une Europe inaudible politiquement et qui laisse l’initiative aux Américains (comme en ex-Yougoslavie, jadis), la crise ukrainienne sera difficile à régler “pacifiquement”. Et ce, d’autant plus, que Vladimir Poutine joue sur son terrain, dans “sa” zone d’intérêt stratégique, et applique la politique étrangère constante de tous “les tsars” ou empereurs russes (Staline et successeurs y compris !) depuis des siècles.

Bref, l’Ukraine nouvelle est mal partie et les Européens feraient bien d’examiner leurs propres responsabilités dans ce mauvais départ. Accuser Vladimir Poutine de tous les maux est un peu trop facile ! [...]

Francis Briquemont

(1) Jacques Gernet, “Le monde chinois”. Ed. A. Colin 1999. (2) “Les erreurs de l’UE”. “La Libre” du 9 avril. (3) Titre d’un livre de l’historien Michel Heller. Ed. Plon 1997.

Source : LaLibre.be

22 aout 2014, Les dirigeants européens basculent dans le fanatisme antirusse

Qui est prêt à aller mourir pour l’Ukraine, un pays miné par la corruption ? Personne. Sans stratégie et portés par l’émotion, les dirigeants européens basculent dans le fanatisme antirusse.
La guerre est toujours la conséquence d’un manque de dialogue, de tolérance, d’intelligence et de créativité.” Cette sage réflexion, émise par Elio Di Rupo à l’occasion des commémorations organisées pour le centenaire du début de la guerre 1914-1918, me paraît plus que jamais d’actualité au moment où certains reparlent de guerre froide ou de paix glaciale, en Europe, à propos de la crise ukrainienne. Une crise qui aurait pu être évitée si les principaux responsables politiques européens avaient aussi fait preuve d’un peu de bon sens stratégique.

Le 9 avril dernier, on soulignait ici les erreurs manifestes commises par l’UE dans la gestion de la crise ukrainienne (1). Plutôt que répéter à satiété “c’est la faute à Poutine” comme on a dit jadis “c’est la faute à Voltaire”, les dirigeants européens devraient admettre que leurs réactions lors de la révolte de Kiev ont illustré, une fois de plus, l’absence totale d’une stratégie cohérente au sein de l’UE, aggravée encore par l’ignorance des “réalités” et de l’histoire de cette région.

En Ukraine, l’instabilité politique est grande, la situation économique catastrophique, le pays miné par la corruption (un “cancer”, dixit le vice-président américain Joe Biden), et bien plus grave encore, des soldats ukrainiens se battent, sur leur territoire, contre une partie de la population. Conséquence de ces combats, des dizaines de milliers d’Ukrainiens de l’Est se sont réfugiés à l’ouest du pays et, plus nombreux encore, les russophones ont fui en Russie ; des réfugiés dont on parle peu dans les médias d’ailleurs.

Comme personne en Europe ou aux Etats-Unis n’est prêt à aller mourir pour Kiev, même en cas d’agression russe – très peu probable – les Occidentaux, plutôt qu’essayer de trouver une solution acceptable pour tous au problème, se sont évertués à imaginer une panoplie de sanctions plus ou moins crédibles contre la Russie, le nouveau Satan. L’émotion en Occident, suscitée par le tragique accident de l’avion de la Malaysia Airlines a alors provoqué une prise de sanctions plus sévères qui ont entraîné une riposte de Moscou sous forme de “contre-sanctions” dont seuls les Etats de l’UE – signalons-le quand même – subiront les effets. Nous verrons bientôt si l’UE ne s’est pas tiré une balle dans le pied.

On en est là. Nombreux sont ceux qui doutent du bien-fondé et plus encore, de l’efficacité réelle de cette stratégie mais le problème maintenant est de sortir d’une crise qui menace la stabilité sur le continent européen.

Si, début de cette année, les dirigeants européens, avant de réagir en ordre dispersé aux actions des révolutionnaires et de se précipiter inconsidérément dans le chaudron de Kiev, avaient froidement analysé la situation sur le terrain, ils auraient conclu que : 1° si cette révolution était très pro-Europe, elle était antirusse à un point tel que, même si l’éviction du corrompu Ianoukovitch était compréhensible, il était difficile d’imaginer que la Russie regarderait les événements sans réagir et sans donner “son” avis sur la question, car l’Ukraine n’est pas située n’importe où sur l’échiquier européen ; 2° que les révoltés de Kiev se faisaient peut-être beaucoup d’illusions sur la signification réelle d’un pacte d’association avec l’UE.

Les dirigeants européens auraient pu se rappeler aussi que, depuis des siècles, et quel que soit le régime politique des pays concernés, les relations entre la Grande Russie (Moscou), la Petite Russie (Kiev), la Russie Blanche (Minsk) et la très instable Pologne n’ont jamais été “simples”.

Et si, sur base de ces conclusions, le duo politique de l’UE Herman Van Rompuy et Catherine Ashton, dûment mandaté par un sommet européen, avait d’emblée rencontré, d’une part Vladimir Poutine pour analyser la situation et expliquer ce que pouvait être l’appui de l’UE au développement de l’Ukraine, et d’autre part les révolutionnaires de Kiev pour leur rappeler que leur pays était un Etat bicommunautaire et insister sur les conditions d’une bonne coopération avec l’UE, nous aurions peut-être assisté à un autre scénario, plus conforme en tout cas à la vision d’Elio Di Rupo concernant la résolution des tensions internationales.

Au lieu de cela, le fanatisme antirusse des dirigeants de Kiev a offert la Crimée sur un plateau d’argent à Vladimir Poutine et l’attitude des dirigeants occidentaux vis-à-vis de celui-ci – snobé à Sotchi, éjecté du G7/G8, rejeté par l’Otan, sanctionné et accusé des pires intentions vis-à-vis de l’Ukraine et même de l’Otan – a abouti à la situation d’aujourd’hui.

Je ne sais de quoi sera fait demain. L’optimiste pense qu’il serait peut-être plus intelligent d’aller vers une désescalade et de demander à quelques sages “créatifs” de “déminer” le terrain. Le pessimiste se demandera peut-être si certains ne souhaitent pas en revenir au temps de la guerre froide, d’une nouvelle confrontation Est-Ouest, et pourquoi pas, tant qu’on y est, à un nouveau rideau de fer à l’est des pays baltes et de la Pologne. Quand je pense qu’aujourd’hui, la désignation des remplaçants de Herman Van Rompuy ou de Catherine Ashton à la Commission européenne devrait pour certains dépendre de leur “attitude” plus ou moins ferme vis-à-vis de Moscou, c’est inquiétant pour la paix et la stabilité en Europe […].

En fait, plus on s’éloigne de la fin de la Seconde Guerre mondiale, plus les nationalismes ou régionalismes reprennent vigueur (voir crise ukrainienne), alimentés parfois par des idéologies qui rappellent le fascisme voire le nazisme de sinistre mémoire. L’égoïsme sacré des Etats “souverains” et des… individus d’ailleurs, l’emportent de plus en plus sur l’esprit de solidarité. [...]

Mais, plus sérieusement, les Occidentaux ne devraient-ils pas faire le bilan de leur stratégie depuis le début de ce siècle, jalonné par l’Afghanistan, l’Irak, l’Afrique, la Libye, l’éternel conflit israélo-palestinien et tout cela pour quelques piètres résultats ? Priorité des priorités, ne devraient-ils pas se consacrer à la préparation de la conférence sur l’avenir de la planète qui se déroulera l’an prochain à Paris ? L’enjeu est tel pour l’avenir des Terriens et de “leur” maison que la récupération de la Crimée par la Russie apparaîtra demain comme un épisode anecdotique de la géopolitique mondiale.

Francis Briquemont

(1) “La Libre” du 9 avril, “Crimée : les erreurs de l’UE”.

Source : LaLibre.be

Source: http://www.les-crises.fr/les-dirigeants-europeens-basculent-dans-le-fanatisme-antirusse/


[Vidéo] Poudres et potions de l’industrie alimentaire

Sunday 24 August 2014 at 03:49

Les additifs que créent les entreprises de l’industrie agro-alimentaire ont trouvé une place de plus en plus encombrante dans tout le panel d’aliments qu’aujourd’hui nous consommons, et cela sans que nous n’en ayons réellement conscience. Sous des appellations obscures “d’arômes”, de “goût de synthèse”, “d’édulcorants” et autres qualificatifs sortis tout droit d’une boîte chimique de pandore, ces industriels procèdent à un empoisonnement pernicieux de tout ce que nous mettons dans nos assiettes.

L’augmentation vertigineuse des cas de diabète, d’insuffisances rénales, de problèmes cardiaques, d’allergies, d’obésité, ou bien alors de ces empoisonnements de “lots” que l’on retire de toute urgence des rayons, vient corroborer ce que des techniciens, des Associations de consommateurs et des médecins annoncent depuis des décennies.

Car toute cette manigance de substitutions n’a comme seul objectif que celui de réduire les coûts de fabrication de ces produits parfois mortels.

Le cuisinier n’est plus, même si de temps à autre il en apparaît un à l’écran, toque vissée, accent du terroir, et venant vanter un plat cuisiné ou un yaourt à la saveur naturelle absolument insipide ; la nourriture du 21ème siècle n’est devenue qu’une affaire de gros sous et de chimistes sans aucun scrupules.

Source: http://www.les-crises.fr/video-poudre-et-potions/


Faisons sauter les paradis fiscaux !

Sunday 24 August 2014 at 00:10

Un article de 2013, que j’avais sous le coude…

La crise chypriote a révélé au grand jour le statut fiscal particulier de l’île au sein de la zone euro. Mais il n’est pas très différent de celui d’autres pays européens, comme le Luxembourg ou les îles Anglo-Normandes : des aberrations qu’il faudrait purement et simplement abolir.

Xavier Vidal-Folch

Xavier Vidal-Folch

Pourquoi fait-on couler Chypre, alors que les autres paradis fiscaux – le Luxembourg ou les petites îles britanniques comme Man et Guernesey – ne sont pas inquiétés ?

Cette attitude de victime qu’adopte Chypre est assez bête. Si quasiment personne ne va fouiller dans ces enclaves, c’est parce qu’elles ne demandent pas à leurs partenaires européens de les sauver de la faillite.

Ce n’est pas tout, en revanche, car le cas chypriote est tout de même hallucinant. Jusqu’en 2007, c’est tout juste si l’île collectait des impôts. Dans les années 1990, c’est à Chypre que Slobodan Milosevic est venu cacher les 800 millions de dollars qu’il avait raflés dans les caisses yougoslaves. Ce sont les banques chypriotes qui placent, blanchissent et réinjectent l’argent sale venu de Russie, et notamment les capitaux issus de la spéculation pétrolière. Selon la CIA, l’île participe aussi à la traite de femmes philippines et dominicaines pour leur exploitation sexuelle. Le grand port de Limassol est la capitale des navires qui échappent aux réglementations et dont les activités sont opaques et irresponsables, car ils profitent du pavillon chypriote – qui s’apparente presque à un drapeau pirate.

Liste noire

Par ailleurs, l’élite financière maintient, tout comme en Irlande, des relations incestueuses avec la droite politique : c’est le ministre des Finances, Michalis Sarris, qui a cherché à faire ami-ami avec Moscou pour apaiser les blessures des banques ; c’est aussi lui qui, en 2012, était président du conseil d’administration de l’institution financière dont l’état est le plus catastrophique, le groupe Laïki.

En réalité, Chypre n’est pas un paradis fiscal, si l’on se fie à la définition vague de l’OCDE. Il est vrai que les impôts sont extrêmement bas, condition sine qua non pour être inscrit sur la liste noire. Pourtant, l’île ne répond pas aux deux autres critères nécessaires : l’opacité totale et l’impossibilité pour les pays tiers d’obtenir des informations fiscales.

D’autres petits détails enlaidissent et fragilisent l’île. Son secteur financier a une ampleur démesurée (les actifs équivalent à 7,1 fois le PIB) – tout comme l’Irlande, dont le sauvetage était aussi lié à la taille de l’économie –, soit le double de la moyenne européenne (où les actifs atteignent 3,5 fois le PIB) et de l’Espagne (3,1), mais le tiers du Luxembourg (21,7).

Ainsi, Chypre n’est pas un paradis fiscal au strict sens juridique du terme, même si elle n’en n’est pas loin, tout comme le Luxembourg, bien que les deux ne soient plus inscrits sur la liste grise de l’OCDE.

Le mal chypriote couve

Le Luxembourg ? Parlons-en. Le Grand-Duché est le pays le plus riche au monde, grâce à 200 banques étrangères et plus de 3 000 milliards d’euros en actifs financiers extraterritoriaux (sur les 20 000 milliards existants dans le monde), qui bénéficient d’un système fiscal extrêmement généreux. La situation actuelle n’est plus aussi paradisiaque que l’ancien régime dont bénéficiaient les entreprises de type “Holding 1929″, qui étaient exemptes de tout impôt et retenue. Toutefois, depuis 2007, certaines sociétés de gestion de patrimoine familial (SPF), qui ne sont redevables à aucun moment de leurs rentes, leur patrimoine ou de la TVA, se voient tout de même prélever quelques retenues et une taxe de 0,25 %. Voilà ce qu’on pourrait appeler les limbes fiscaux.

Un jour, peut-être que le Luxembourg, la Suisse et les égouts insulaires de Londres (et… de Singapour) contracteront le mal chypriote. Ces territoires couvent déjà la maladie, en un sens. Ainsi, pour éviter de faire appel au contribuable allemand ou espagnol pour les sauver et pour empêcher que les détenteurs de dépôts non garantis ne paient les pots cassés, il y a une solution : dynamiter les limbes fiscaux.

Comment ? Il faut mettre en œuvre une grande harmonisation fiscale, qui complètera la partie consacrée aux recettes dans le traité budgétaire, dont l’objectif est la maîtrise des dépenses. La stratégie consiste à harmoniser les types d’impôts et les bases imposables en ce qui concerne les taxes sur le capital, mais aussi à mettre en place des tranches plus petites pour l’impôt sur le revenu, éliminer les exceptions à la TVA, harmoniser à la hausse l’impôt sur les sociétés, taxer les bénéfices engrangés dans les limbes fiscaux par les sociétés marchandes étrangères et imposer une taxe progressive sur les transactions financières.

De telles transformations ne seront pas simples. Au sein de l’UE, les accords fiscaux nécessitent l’unanimité. Ceux qui profitent des limbes fiscaux et tous leurs amis ont un droit de véto. Et ils s’en servent, pour l’instant. Dynamitons aussi ce veto. Faites-passer le mot.

Par Xavier Vidal-Folch
Traduction : Leslie Talaga
Source : presseurop

Source: http://www.les-crises.fr/faisons-sauter-les-paradis-fiscaux/


Banques: des vigies contre Goliath

Saturday 23 August 2014 at 00:10

Un article de 2013, que j’avais sous le coude…

Une autre finance est possible. Au service de l’intérêt général. Qui investirait dans l’économie réelle plutôt que de spéculer en jouant à «pile je gagne, face la société perd – et c’est le contribuable qui casque». Bien sûr, le puissant lobby bancaire résiste. A Bruxelles, son armada compte plus de 700 lobbyistes. Mais depuis dix-huit mois, un frêle Zodiac, l’ONG Finance Watch, tente d’exercer un contre-pouvoir. Et commence à se faire entendre à Berlin, Londres ou Paris. En écrivant une lettre ouverte au ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, elle s’est invitée dans le débat français sur le projet de loi censé séparer et réguler les activités bancaires. Discuté ces jours-ci à l’Assemblée nationale, celui-ci égratigne à peine les opérations spéculatives des banques. Un renoncement du politique, un an après les promesses électorales de François Hollande. Reportage au QG bruxellois de Finance Watch, où nous avons suivi ses treize salariés. Pas des révolutionnaires, juste des banquiers défroqués en quête de (bon) sens.

Mardi 29 janvier, 16 h

«Pas de populisme»

«Où est la hache ?» Grande, élégante, Aline Fares déboule dans le bureau en rigolant. Ancienne de Dexia, la banque franco-belge sauvée à grands frais, la conseillère en stratégie et analyse du secrétaire général a rédigé un document proposant des amendements au projet de loi français. Il est temps d’envoyer le communiqué aux médias. La hache aurait symbolisé à merveille la mesure du candidat Hollande : scinder les activités des banques en deux, d’un côté la banque de dépôt, celle de M. Tout-le-monde et des PME ; de l’autre la banque d’affaires. Tchac ! Histoire d’éviter que les citoyens paient pour la faillite d’un établissement sorti tout nu du casino. Las, cette coupe franche a disparu : le texte prévoit juste de filialiser les activités les plus dangereuses.

Le communiqué de l’ONG ne mâche pas ses mots («Dans l’état actuel du projet de loi, […] la société continuera à garantir l’activité de trading au détriment du financement de l’économie, et le contribuable continuera à subventionner les bonus des traders»). Mais la photo sera neutre. Un stylo posé sur de gros volumes de jurisprudence. La hache, c’était une blague. Malgré son surnom de Greenpeace de la finance, l’organisation évite les campagnes chocs. «Nous ne faisons pas de populisme antibanques. Les errements de la finance, c’est plus compliqué qu’une histoire de gentils et de méchants», justifie Greg Ford, le directeur de la communication, ex-journaliste financier britannique. Ô surprise, l’ONG, sise dans cinq pièces, partage machine à café et imprimante avec ses voisins de l’AFME (Association des marchés financiers en Europe), le bras armé des banques d’affaires. Dans le même immeuble, on trouve aussi Merrill Lynch, Bank of America et l’ISDA, le lobby des swaps et produits dérivés. «C’est un hasard, sourit Greg. Nos relations sont cordiales, mais parfois, je cours chercher ce que je viens d’imprimer.»

16 h 30

Expliquer, sensibiliser

A trois rues de là, au pied du Parlement européen. Joost Mulder se plie aux mises en scène d’une équipe de la chaîne allemande ZDF qui enquête sur le lobbying financier. Sujet que le directeur des relations publiques de Finance Watch connaît par cœur. Ce Néerlandais a quitté sa carrière de lobbyiste bancaire parce qu’il en avait assez de bourrer le crâne des élus avec cette litanie : «Imposer des garde-fous aggraverait la crise et détruirait des emplois.» Sous la pluie, costume gris et cravate rouge, il entre dans un café. Trois prises. Fait mine de lire le Financial Times. Deux prises. Consacrer du temps aux médias fait partie du job. Il faut sensibiliser le public. Expliquer que le combat pour une finance au service de la société concerne chacun d’entre nous, au quotidien. Il sait qu’un soutien populaire lui permet d’avoir davantage de poids auprès des eurodéputés. Et que l’ONG doit récolter des dons de particuliers, si elle veut assurer sa survie et son indépendance.

Mercredi, 8 h 30

«Observer l’animal en action»

Revoici Joost Mulder au Sofitel de la place Jourdan. Petit déjeuner sur l’avenir des securities markets (marchés obligataires) européens, autour de Maria Teresa Fabregas, spécialiste du sujet à la Commission. A la table ovale, une vingtaine de participants dont une moitié de lobbyistes de l’industrie. «C’est assez équilibré, d’habitude ils sont trente, face à deux députés et moi.» Joost n’est pas dupe : les chantres de la dérégulation espèrent charmer Finance Watch en même temps qu’ils font pression sur la technocrate. «C’est la preuve que nous comptons désormais ici. Tant que nous ne sommes pas récupérés, j’accepte ces sollicitations car c’est une des rares occasions où je peux observer l’animal en action.»

9 h 15

Une loi comme une coquille vide

Retour chez Finance Watch, dans le bureau dépouillé de Thierry Philipponnat, le secrétaire général qui a monté et pilote la structure. Il vient d’enregistrer une vidéo pour expliquer sur le site de l’ONG pourquoi le projet de loi français est une coquille vide (voir ci-dessous). «La façon dont il est rédigé laisse croire que ce n’est pas le cas, ça prouve que la plume a été tenue par le lobby. Un tel revirement après le discours de campagne de Hollande, ça force le respect», ironise-t-il.

Détendu, costume impeccable, le quinqua français est un ancien cador de la finance. Après vingt ans chez UBS, BNP Paribas et Euronext, il a claqué la porte pour s’engager chez Amnesty avant d’être repéré par les 22 eurodéputés de tous bords – sauf extrêmes – à l’origine de Finance Watch. La cheville ouvrière idéale. «Je n’ai jamais rien vu d’illégal, c’était bien plus subtil, assure-t-il. La finance ne compte pas tant de grands cyniques que ça. Le problème, c’est le système. Devenu absurde, court-termiste, il a tellement fractionné les boulots qu’il y a peu de place pour prendre du recul. Je me suis dit : “Au fait, ça sert à quoi, la finance ? A investir et aider les gens ou à parier sur tout ce qui bouge?” Ici, on a tous ça dans les tripes.» Thierry Philipponnat a composé une équipe de «professionnels avec une âme de militants», qui ont divisé leur salaire par cinq ou six et pris un gros risque personnel, tant Finance Watch reste fragile – son maigre budget de 2 millions d’euros n’est pas sécurisé. En privé, «la grande majorité» de ses anciens confrères souhaitent eux aussi que les choses changent. «Ils me disent : Allez-y, il y en a besoin.»

9 h 45

«C’est ça, le capitalisme»

Thierry Philipponnat suit en direct sur Internet l’audition des patrons Jean-Paul Chifflet (Crédit agricole), Jean-Laurent Bonnafé (BNP Paribas) et Frédéric Oudéa (Société générale) par la commission des finances du Palais-Bourbon. Il prend des notes. Bonnafé affirme que le Glass-Steagall Act américain de 1933 (qui a interdit pendant soixante ans aux banques de dépôt d’œuvrer sur les marchés financiers) n’a «pas donné satisfaction». Thierry s’énerve : «C’est faux ! Ça a parfaitement marché ! Les banques ont financé l’économie et il n’y a pas eu de crise.» Bonnafé poursuit. Réguler empêcherait de financer l’économie. Agacement. «Il nous fait pleurer avec ça, parlons-en : l’argent que prête BNP Paribas aux entreprises, c’est seulement 7,5% de son bilan ! J’aimerais qu’il nous parle des 92,5% restants.» Frédéric Oudéa menace : «Le jour où vous n’aurez plus de banques…» Thierry est excédé : «Pourquoi il n’y en aurait plus ! Ça n’a aucun sens ! Ça, ça s’appelle faire peur aux élus ! J’adorerais être face à lui et lui répondre.»

Cuisiné par la députée PS Karine Berger, Oudéa admet que la loi ne toucherait que 1% de l’activité de sa banque. Mais même ça, ça l’«embête». «Il nous dit sans complexe qu’il aime les profits mais pas les pertes. Eh bien oui, c’est ça le capitalisme, mon gars : tu gagnes, c’est pour toi, mais tu perds, c’est aussi pour toi, pas pour l’Etat. La finance est la seule industrie qui bénéficie de ce privilège “pile je gagne, face la société perd”.»

11 h 30

Lobby bancaire : «one point»

Aline entre et tend à Thierry la une du Financial Times. «Bruxelles recule sur une réfome bancaire clé», titre la bible de la City. Soupirs. Michel Barnier, commissaire chargé des services financiers, émet des réserves sur la proposition européenne de séparer radicalement le trading du reste de l’activité des banques. Lobby bancaire, one point. A l’écran, l’audition se poursuit. Les députés sont pugnaces. Thierry reprend espoir. «Ils ont bossé, ils posent de bonnes questions, les messages passent. Je voudrais vraiment que le Parlement se révolte vis-à-vis de ce texte, moins ambitieux que ce qui se prépare aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. Et de très loin.»

12 h 45

Un porte-voix pour les hérauts

Retour place Jourdan, avec la Suisse Anouchka Nicolet. Ex-banquière aussi, elle s’occupe du partage d’expertise avec les membres de Finance Watch, 71 syndicats, associations de consommateurs et ONG, comme Oxfam ou le Secours catholique, qui représentent près de 100 millions de citoyens européens. Un énorme porte-voix pour les hérauts de la «finance au service de la société». Anouchka a rendez-vous dans une brasserie avec un salarié de Transparency International. La grosse ONG de lutte contre la corruption a publié un rapport pointant les risques de conflits d’intérêts à la Banque centrale européenne (BCE). De quoi nourrir la réflexion de Finance Watch.

15 h 20

Sabir, amendements et cartoon

Ambiance monacale dans le bureau de l’équipe de recherche. Le Français Frédéric Hache, le Belge Benoît Lallemand et le Britannique Duncan Lindo, encore des repentis, avalent des milliers de pages de propositions législatives européennes et pondent des rapports dans un sabir exotique (MiFID 2, CRD IV, UCITS, PRIPS), ensuite traduits en propositions d’amendements. Quand il a une minute de libre, Frédéric sort son iPad et dessine. Le côté start-up de la maison. D’un trait assuré, il résume en BD les enjeux de Bâle III, la réforme qui obligera les banques à augmenter leur capital pour les rendre plus solides. Malgré le peu de contraintes, les intéressées agitent le chiffon rouge des pertes d’emplois. Elles tremblent juste pour leurs profits. Frédéric croque une analogie : «C’est comme si on limitait la vitesse à 400 km/h et que les constructeurs disaient qu’ils ne vendront plus de voitures.» Pendant ce temps, Benoît peaufine une infographie pour renseigner Mme Michu sur le trading à haute fréquence, ces échanges boursiers traités à la milliseconde, symboles de la transformation des marchés en casinos. «Franchement, c’est bien plus facile d’écrire un rapport technique. Mais cela fait partie de notre mission. Les banques, ça les arrange bien que les gens ne comprennent rien à ce qu’elles font.»

Illustrations Rocco

Par CORALIE SCHAUB
Source Libération

Source: http://www.les-crises.fr/banques-des-vigies-contre-goliath/


Revue de presse du 23/08/2014

Saturday 23 August 2014 at 00:01

Merci à nos contributeurs grâce auxquels la revue d’aujourd’hui nous parle de bulles et de banques centrales, mais aussi de riz, de pop-ups et de décroissance, avec également des thèmes Europe et Réflexion variés…

Source: http://www.les-crises.fr/rdp-23-08-2014/