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Revue de presse du 08/11/2015

Sunday 8 November 2015 at 02:50

Grosse livraison d’articles cette semaine, bonne lecture ! Merci à nos contributeurs.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-08112015/


David Graeber : « Le néolibéralisme nous a fait entrer dans l’ère de la bureaucratie totale »

Sunday 8 November 2015 at 01:51

PAR  AGNÈS ROUSSEAUXRACHEL KNAEBEL 19 OCTOBRE 2015

Source : Bastamag

 

Paperasse et formulaires ont envahi nos vies, et de plus en plus de gens pensent que leur travail est inutile, n’apportant aucune contribution au monde. Malgré ce que martèlent les ultralibéraux, ce n’est pas la faute de l’Etat et de ses fonctionnaires, mais celle des marchés et de leur financiarisation. « Toute réforme pour réduire l’ingérence de l’État aura pour effet ultime d’accroître le nombre de règlementations et le volume total de paperasse », explique ainsi David Graeber, anthropologue états-unien et tête de file du mouvement Occupy Wall Street, dans son nouvel ouvrage Bureaucratie. Il appelle la gauche à renouveler sa critique de cette « bureaucratie totale » avec laquelle nous nous débattons au quotidien.

Basta ! : Vous dites que nous sommes désormais immergés dans une ère de « bureaucratie totale ». Quels en sont les signes ?

David Graeber  [1] : Il suffit de mesurer le temps que nous consacrons à remplir des formulaires. Quelqu’un a calculé que les citoyens états-uniens passent en moyenne six mois de leur vie à attendre que le feu passe au vert. Personne n’a calculé combien de temps nous passons à remplir des formulaires ! Peut-être une année entière… C’est la première fois dans l’histoire que nous atteignons ce niveau de bureaucratie.

Le nombre d’occurrences du mot « bureaucratie » augmente dans les livres jusqu’en 1974, puis diminue. Mais les mots que l’on associe généralement aux procédures bureaucratiques, comme « paperasse », « documents à fournir », ou « évaluation de rendement », augmentent de manière continue et dramatique. Nous sommes donc encerclés par des procédures bureaucratiques, mais nous ne les identifions plus comme telles. C’est ce que j’ai essayé d’analyser dans mon livre.

Le sociologue Max Weber affirmait déjà que le 19e siècle avait inauguré l’ère bureaucratique. En quoi la situation est-elle nouvelle ?

La différence, c’est que la bureaucratie est si totale que nous ne la voyons plus. Dans les années 1940 et 1950, les gens se plaignaient de son absurdité. Aujourd’hui, nous n’imaginons même plus une manière d’organiser nos vies qui ne soit pas bureaucratique ! Ce qui également nouveau, c’est la création de la première bureaucratie planétaire. Un système d’administration que personne n’identifie pourtant comme une bureaucratie, car il est surtout question de libre-échange. Mais qu’est-ce que cela signifie réellement ? La création de traités internationaux et d’une classe entière d’administrateurs internationaux qui régulent les choses, tout en appelant ce processus « dérégulation ».

La bureaucratie n’est plus seulement une manière de gérer le capitalisme. Traditionnellement, le rôle de l’État est de garantir les rapports de propriété, de réguler pour éviter l’explosion sociale. Mais la bureaucratie est désormais devenue un moyen au service des structures d’extraction de profits : les profits sont extraits directement par des moyens bureaucratiques. Aujourd’hui, la majorité des profits n’ont rien à voir avec la production, mais avec la finance. Même une compagnie comme General Motors fait plus de profits en finançant l’achat de voitures par le crédit, que par la production de voitures. La finance n’est pas un monde irréel complètement déconnecté de l’économie réelle, où des gens spéculent et font des paris, gagnent de l’argent à partir de rien. La finance est un processus qui extrait des rentes pour certains, en se nourrissant de la dette des autres. J’ai essayé de calculer la part des revenus des familles états-uniennes directement extraite pour alimenter le secteur de la finance, des assurances et de l’immobilier. Impossible d’obtenir ces chiffres !

Tout cela est permis par la fusion progressive de la bureaucratie publique et privée, depuis les années 1970 et 1980. Cela s’opère par une collusion bureaucratique entre le gouvernement et la finance privée. Les 1% (les plus riches) dont parle le mouvement Occupy Wall Street, sont des gens qui accaparent les profits tout en finançant également les campagnes électorales, influençant ainsi les responsables politiques. Le contrôle du politique est aujourd’hui essentiel dans cette dynamique d’accaparement des profits. Et la bureaucratie est devenue un moyen au service de ce processus, avec la fusion de la bureaucratie publique et privée, saturée de règles et de règlements, dont l’objectif ultime est d’extraire du profit. C’est ce que j’appelle l’ère de la « bureaucratie totale ».

Les gens opposent souvent bureaucratie étatique et libéralisme économique. Mais « il faut mille fois plus de paperasse pour entretenir une économie de marché libre que la monarchie absolue de Louis XIV », écrivez-vous. Le libéralisme augmente donc la bureaucratie ?

C’est objectivement vrai. Regardez ce qui se passe ! La statistique la plus impressionnante concerne la Russie après la chute de l’Union soviétique. D’après la Banque mondiale, entre 1992 et 2002, le nombre de fonctionnaires a augmenté de 25 % en Russie [2]. Alors que la taille de l’économie a substantiellement diminué, et qu’il y avait donc moins à gérer. Les marchés ne s’auto-régulent pas : pour les maintenir en fonctionnement, il faut une armée d’administrateurs. Dans le monde néolibéral actuel, vous avez donc davantage d’administrateurs. Pas seulement dans le gouvernement, mais aussi dans les compagnies privées.

Ce qu’on entend souvent par bureaucratie, ce sont aussi des structures sociales fiables et pérennes, qui font que le société fonctionne, comme la Sécurité sociale… 

Beaucoup d’institutions sociales que l’on associe aujourd’hui à l’Etat-Providence ont été créées « par le bas ». Je l’ai découvert en discutant avec des Suédois : aucun des services sociaux suédois n’a été créé par le gouvernement. Toutes les cliniques, bibliothèques publiques, assurances sociales, ont été créées par des syndicats, des communautés de travailleurs. Le gouvernement a ensuite voulu les gérer à un niveau centralisé, bureaucratique, expliquant que ce serait plus efficace. Évidemment, une fois que l’État en a pris le contrôle, il peut privatiser ces services. C’est ce qui arrive.

Vous faites aussi le lien entre le développement de la bureaucratie et celui des bullshits jobs (« job à la con » ) [3] que vous avez analysés dans un précédent travail. Tous les « bureaucrates » font-ils des « jobs à la con » ?

Pas tous ! Mon idée sur les bullshit jobs est de demander aux gens quelle est la valeur de leur travail. Je ne veux absolument pas dire à quelqu’un : « Ce que vous faites n’est pas utile ». Mais si une personne me dit que son travail n’apporte rien d’utile, je la crois. Qui peut mieux le savoir qu’elle-même ? Suite à mon travail sur les bullshit jobs, l’agence anglaise de statistique YouGov a fait un sondage. Résultat : 37 % des gens interrogés pensent que leur travail est inutile et n’apporte aucune contribution au monde [4].

J’ai été étonné d’un tel résultat ! Le plus grand nombre de personnes qui pensent que leur travail est inutile se trouve dans le secteur administratif. Peu de chauffeurs de bus, de plombiers ou d’infirmières pensent que leur travail est inutile. Beaucoup de bullshits jobs sont « bureaucratiques », autant dans le secteur privé que public. Un exemple ? Ces gens qui vont à des réunions et écrivent des compte-rendus pour d’autres gens qui vont à des réunions et écrivent des compte-rendus. Quand mon article a été publié sur le web, je n’imaginais pas que les gens feraient de telles confessions sur leur travail : « Je donne des ordres pour déplacer les photocopieuses d’un côté à l’autre », ou « Mon job est de reformater des formulaires allemands dans des formulaires anglais et tout un bâtiment fait ça »… C’est incroyable. Presque tous ces jobs se trouvaient dans le secteur privé.

Comment expliquez-vous alors que nous soyons si attachés à la bureaucratie, que nous n’arrivons pas à remettre en question ce processus et que nous continuons même à alimenter son développement ?

J’ai analysé cela avec l’analogie de « la peur du jeu ». Il y a quelque chose de très attirant dans le jeu, qui est une expression de la liberté de chacun, mais aussi quelque chose d’effrayant. Si les gens aiment tant les jeux, c’est parce que c’est la seule situation où vous savez exactement quelles sont les règles. Dans la vie, nous sommes constamment investis dans des jeux, dans des intrigues, au travail ou entre amis. C’est comme un jeu, mais vous n’êtes jamais sûr de savoir qui sont les joueurs, quand cela commence ou s’arrête, quelles sont les règles, qui gagne. Dans une conversation avec votre belle-mère, vous savez bien qu’il y a des règles, mais vous ne savez pas trop lesquelles, ce que vous pouvez dire ou non. Cela rend la vie difficile. Nous sommes effrayés par l’arbitraire.

On ne veut pas du pouvoir qu’il soit arbitraire. Une école de pensée aux États-Unis, le républicanisme civique, dit que la liberté signifie savoir quelles sont les règles : quand l’État peut vous contraindre et quand il ne peut pas. Partant de là, il faut créer toujours plus de régulations pour être plus libre. Paradoxalement, dans les sociétés qui se considèrent comme libres, beaucoup d’aspects sont régulés par la coercition, par la violence.

La bureaucratie est-elle le symptôme d’une société violente ?

La bureaucratie n’est pas stupide en elle-même. Elle est le symptôme de la violence sociale, qui elle est stupide. La violence structurelle – qui inclut toutes les formes d’inégalités structurelles : patriarcat, relations de genres, relations de classes…– est stupide. Là où il y a une inégalité de pouvoir, il y a aussi une forme d’ignorance et d’aveuglement. La bureaucratie semble stupide en elle-même, mais elle ne cause pas la stupidité, elle la gère ! Même quand la bureaucratie est bienveillante, sous la forme de l’État social, elle reste basée sur une forme d’aveuglement structurel, sur des catégories qui n’ont pas grand chose à voir avec ce dont les gens font l’expérience. Quand les bureaucrates essaient de vous aider, ils ne vous comprennent pas, ils ne veulent pas vous comprendre, et ne sont pas même autorisés à vous comprendre.

Vous écrivez que la critique de la bureaucratie aujourd’hui vient de la droite et pas de la gauche. Et que les populistes ont bien compris que la critique de la bureaucratie était rentable d’un point vue électoral… 

C’est un des problèmes qui a inspiré mon livre. Pourquoi est-ce la droite qui tire tous les avantages de l’indignation populaire contre la bureaucratie, alors que c’est la droite qui est à l’origine d’une grande partie de cette bureaucratie ? C’est ridicule ! Aux États-Unis, la droite a découvert que si vous taxez les gens d’une manière injuste, et qu’ensuite vous leur dites que vous allez baisser les impôts, ils vont voter pour vous. Il y a quelque chose de similaire avec la bureaucratie en général. La gauche est tombée dans ce piège, avec la manière dont elle défend l’idée d’un État social tout en faisant des compromis avec le néolibéralisme. Elle finit par embrasser cette combinaison des forces du marché et de la bureaucratie. Et la droite en tire tout l’avantage avec ses deux ailes – d’un côté les libertariens, qui aiment le marché mais critiquent la bureaucratie, de l’autre, l’aile fasciste, qui a une critique du marché. La droite concentre toute la rage populiste sur ce sujet. Et la gauche finit par se retrouver à défendre les deux, marché et bureaucratie. C’est un désastre politique.

Comment le mouvement altermondialiste a-t-il renouvelé cette critique de gauche de la bureaucratie ?

Le mouvement altermondialiste cherche à identifier les structures bureaucratiques qui n’étaient pas censées être visibles. Mais pas seulement pour les dévoiler, également pour montrer à quel point ces structures ne sont pas nécessaires, qu’il est possible de faire les choses autrement d’une manière non-bureaucratique. Pourquoi les procédures démocratiques sont-elles aussi importantes dans le mouvement altermondialiste ? Parce qu’il essaie de créer des formes de décision non-bureaucratiques. Dans ce mouvement, il n’y a pas de règle, il y a des principes. C’est une négation pure de la bureaucratie. Bien sûr, ces processus ont aussi tendance à se bureaucratiser si l’on n’y fait pas attention, mais tout est fait pour l’éviter. Mon travail sur la bureaucratie vient de mon expérience d’activiste dans le mouvement altermondialiste.

 Mais le mouvement altermondialiste se bat aussi pour plus de régulation, par exemple dans le secteur financier…Le mouvement altermondialiste se bat pour des régulations différentes ! Et nous ne devrions pas tomber dans le piège de croire que nos adversaires sont favorables aux dérégulations. Vous ne pouvez pas avoir une banque non-régulée, c’est absurde : les banques sont entièrement basées sur des régulations. Mais des régulations en faveur des banques ! Quand on parle de re-régulation, cela signifie mettre les consommateurs au centre plutôt que les banques. Nous devons sortir de ce langage « plus ou moins de régulation ». Le néolibéralisme crée plus de régulations que les systèmes économiques précédents.Voyez-vous la même critique de la bureaucratie dans l’expérience de démocratie directe en cours au Rojava, au Kurdistan syrien ?L’exemple syrien est vraiment intéressant. J’ai fait partie d’une délégation d’universitaires en décembre dernier, qui a observé sur place leur processus démocratique. Ils sont vraiment en train de créer une société non-bureaucratique (lire notre article). C’est le seul endroit que je connaisse où il y a une situation de pouvoir « dual » où les deux côtés ont été créés par les mêmes personnes. Avec, d’un côté, des assemblées populaires de base, et de l’autre des structures qui ressemblent à un gouvernement et à un Parlement. Des structures nécessaires, car pour coopérer avec les institutions internationales, il faut une sorte de gouvernement bureaucratique institutionnel effectif, sinon elles ne vous prennent pas au sérieux. Mais au Rojava, quiconque porte une arme doit en répondre face à la base avant d’en répondre au structures du « haut ». C’est pourquoi ils disent que ce n’est pas un État, car ils ne réclament pas le monopole de la violence coercitive.

Peut-on imaginer un État sans bureaucratie ?

L’État est une combinaison de trois principes aux origines historiques totalement différentes : premièrement, la souveraineté, le monopole de la force dans un territoire donné. Deuxièmement, l’administration, la bureaucratie, le management rationnel des ressources. Et troisièmement, l’organisation du champ politique, avec des personnages en compétition parmi lesquels la population choisit ses dirigeants. En Mésopotamie, il y avait beaucoup de bureaucratie mais aucun principe de souveraineté. L’idée de responsables politiques en compétition vient de sociétés aristocratiques. Et le principe de souveraineté vient des Empires. Ces trois principes ont fusionné ensemble dans l’État moderne. Nous avons aujourd’hui une administration planétaire, mais elle n’a pas de principe de souveraineté et pas de champ politique. Ces principes n’ont rien à faire ensemble a priori, nous sommes juste habitués à ce qu’ils le soient.

Comment expliquez-vous que, dans l’imaginaire social, les marchés, le libéralisme, apparaissent comme les seuls antidotes à la bureaucratie ?

C’est le grand piège du 20e siècle : cette idée qu’il n’y a qu’une alternative – les marchés ou l’État – et qu’il faut opposer les deux. Pourtant historiquement, les marchés et les États ont grandi ensemble. Ils sont bien plus similaires qu’ils ne sont différents : les deux ont l’ambition de traiter les choses de la manière la plus rationnelle et efficace possible.

Je me souviens d’une interview d’un général sud-africain au moment où Nelson Mandela est arrivé à la présidence du pays. On lui demandait : « Vous ne trouvez pas un peu étrange de recevoir des ordres de quelqu’un que vous avez combattu pendant 20 ans ? ». Il a répondu : « C’est un honneur en tant que militaire de recevoir des ordres, quelle que soit la personne qui les donne. » En fait, ce n’est pas un comportement spécialement militaire, mais bureaucratique. Parce que ça ne se passerait pas comme ça dans une armée médiévale. Être un bureaucrate, cela signifie faire ce qu’on vous demande, et séparer les moyens et les fins. Cette séparation est devenue une base de la conscience moderne. Seules deux institutions – marché et État – opèrent de cette manière.

Propos recueillis par Rachel Knaebel et Agnès Rousseaux

Photo : CC Christian Schnettelker

Source: http://www.les-crises.fr/david-graeber-le-neoliberalisme-nous-a-fait-entrer-dans-lere-de-la-bureaucratie-totale/


TURQUIE. “On s’achemine vers un système à la Poutine” par Céline Lussato

Sunday 8 November 2015 at 00:30

Parce que ce n’est  pas parce qu’on parle de la Turquie qu’on va se priver d’un peu de russophobie, hein…

Source : Céline Lussato, le nouvelobs 02-11-2015

Avec sa majorité retrouvée au Parlement, Erdogan va pouvoir mener la réforme constitutionnelle mettant en place un régime présidentiel, qui effraie tous les défenseurs des libertés en Turquie. Le politologue Cengiz Aktar explique pourquoi.

Un drapeau turc géant est déployé dans une rue d’Istanbul par des supporters de l’AKP, le parti conservateur du président Recep Tayyip Erdogan. L’AKP avait perdu lors des législatives de juin dernier le contrôle total qu’il exerçait depuis 13 ans sur le Parlement. (AFP PHOTO / OZAN KOSE)

 

Arrivé en tête des élections législatives du 1er novembre en Turquie, le parti islamo-conservateur AKP dispose de nouveau de la majorité au Parlement. Un résultat qui devrait laisser les mains libres au président Recep Tayyip Erdogan pour mettre en place le régime présidentiel qu’il appelle de ses voeux, à l’issue d’une réforme constitutionnelle.

Ce changement effraie tous les défenseurs des libertés en Turquie. Le politologue Cengiz Aktar, professeur à l’université de Bahçesehir et directeur du département des relations avec l’Union européenne à Istanbul, explique pourquoi. Interview.

On évoque des fraudes lors du scrutin d’hier. Qu’en pensez-vous ? Ce scrutin est-il entaché ?

- Nous n’avons pas encore de rapport d’organismes indépendants qui donne des éléments concrets sur ce que tout le monde soupçonnaient dès hier soir. Mais même les dirigeants des partis ne croient pas à ce résultat. La question n’est pas de savoir s’il n’est “pas impossible” qu’il y ait eu des fraudes mais plutôt de souligner qu’il est fort probable qu’il y en ait eu. Ce ne serait pas la première fois. On entretient l’idée que les élections en Turquie sont libres mais c’est faux : le rapport de l’OSCE sur le dernier scrutin soulignait déjà des cas de fraudes. Et hier, on n’a pas arrêté d’en parler dans tout le pays.

Diriez-vous comme la plupart des commentateurs que la stratégie de la terreur menée par Erdogan depuis plusieurs mois a gagné ?

- Il y a cela bien sûr. Mais c’est aussi la victoire d’une stratégie clientéliste. La Turquie s’est enfoncée petit à petit dans un régime clientéliste depuis 13 ans. C’est un secret de polichinelle. Et cela fonctionne. Les gens préfèrent garder leurs petits avantages, voire croire aux promesses qui leur font miroiter qu’ils vont s’accroître. Exception faite du sud-est, où la crainte de la violence à ramené dans le giron de l’AKP une partie des électeurs qui lui avaient tourné le dos. Mais pas la totalité. L’AKP n’a pas récupéré tout son électorat dans la région à majorité kurde, le parti n’a pas atteint le score qu’avait obtenu Erdogan à la dernière présidentielle.

Les partis d’opposition, les Kurdes, les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme… Tout le monde semble avoir peur aujourd’hui de ce qui peut se passer en Turquie.

- C’est vraiment la gueule de bois. Les laïcs, les Alévis – les Turcs blancs comme on les appelle… Tous ceux qui ne mangent pas de ce pain là sont très inquiets. Il y a déjà dans notre pays nombre de lois liberticides, notamment contre les universités qui vont désormais passer sous le contrôle du ministère alors que nous avons dans le pays une tradition d’universités indépendantes.

Et évidemment, nous craignons que de nouvelles lois restreignant nos libertés soient désormais votées au Parlement. D’ailleurs, nous constatons de nombreux départs – j’appelle cela la fuite des cerveaux : de jeunes couples, diplômés, qui refusent de vivre dans un pays autoritaires et partent, en particulier vers le Canada.

Nous craignons une accentuation de la répression. Il n’y a plus de liberté de la presse, les trois ou quatre journaux qui restent, s’ils ne ferment pas, ne pourront plus publier librement.

Le problème kurde reste là, béant, avec un potentiel de violence très fort. On peut toujours retourner à la table des négociations mais le gouvernement a le vent en poupe et on entend depuis hier soir un revanchisme très fort qui ne va aller qu’en s’amplifiant dans les semaines à venir.

Tous ceux qui déplaisent au pouvoir – journalistes, académiciens… – se sentent visés. Nous savons qu’une chasse aux sorcières se prépare.

L’opposition espérait la constitution d’un gouvernement de coalition afin de garantir l’ouverture d’enquêtes concernant les affaires de corruption touchant les dirigeants du pays. C’est donc partie remise. Les affaires seront-elles enterrées ?

- Après les dernières législatives, les trois partis de l’opposition avaient une occasion en or de s’unir autour de ce projet. Ils auraient alors pu, malgré leurs différents, mettre en place une sorte de gouvernement d’exception pour rouvrir les dossiers de décembre 2013, afin que les coupables soient jugés et que soit nettoyée la politique du pays. Mais ils n’ont pas réussi. Ils ne sont pas allés devant le public turc pour expliquer ce qu’ils souhaitaient faire, ils sont allés négocier chacun leur tour avec l’AKP ! Et Erdogan a géré tout cela habilement. C’est fini.

Avec sa nouvelle majorité, Erdogan va pouvoir mettre en route la réforme constitutionnelle qu’il ambitionne depuis la dernière présidentielle ?

- Il lui sera difficile d’obtenir les 367 voix nécessaires pour une réforme constitutionnelle par voie uniquement parlementaire. Mais il lui faut seulement 330 voix pour une réforme constitutionnelle via un référendum, et il obtiendra très facilement les quelques voix qui lui manquent pour emprunter ce chemin. Il récupérera très facilement ses voix au MHP. On s’achemine vers un système à la Poutine : un régime exécutif très fort sans aucun autre contrepoids ni frein.

Propos recueillis par Céline Lussato, lundi 2 novembre 2015

Source : Céline Lussato, le nouvelobs 02-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/turquie-on-sachemine-vers-un-systeme-a-la-poutine-par-celine-lussato/


En Syrie, une expérience de démocratie directe, égalitaire et multiconfessionnelle tient tête à l’Etat islamique, par Rachel Knaebel

Sunday 8 November 2015 at 00:10

Une jolie histoire pour une fois…

Source : Bastamag, 10/07/2015

 

Les médias occidentaux relaient abondamment les décapitations, les appels au meurtre et les exactions perpétrés par Daech, le pseudo « Etat islamique ». Pourtant, face à cette barbarie, les populations kurdes, arabes ou yézidis de la région de Rojava, au nord de la Syrie, mettent en oeuvre un autre modèle de société, émancipateur, égalitaire, multiconfessionnel, et très démocratique. Une expérience qui pourrait même servir d’inspiration pour ramener la paix dans la région. En attendant, les Kurdes et leurs voisins combattent pour défendre cette utopie concrète, sans véritable soutien international. Entretien avec des chercheurs et activistes qui en reviennent.

Photo : © Michalis Karagiannis

Les raisons d’espérer sont rares en provenance de Syrie. Mais en janvier 2015, le monde découvre, ébahi, les images de femmes kurdes en treillis qui participent à la résistance puis à la libération de la ville syrienne de Kobané. Un mouvement démocratique et anti-patriarcal vient de défaire les forces ultra-réactionnaires de l’État islamique, victorieuses ailleurs. Deux modèles de société radicalement différents se font face. Car le Kurdistan syrien fait l’expérience depuis 2011 d’une révolution démocratique inédite.

Assez vite débarrassé des forces du régime de Bachar el-Assad, le mouvement de libération kurde y a développé une organisation politique basée sur la démocratie directe, l’organisation en communes et la libération des femmes. Malgré la guerre, les attaques de l’État islamique (EI), l’embargo turc, sur fond d’indifférence de la communauté internationale, la région poursuit la mise en pratique de ce confédéralisme démocratique, un modèle de société multiconfessionnelle et multi-ethnique, sans État, pour l’émancipation de tous. Entretien avec Ercan Ayboğa et Michael Knapp, co-auteurs de Revolution in Rojava, ouvrage d’enquête militante sur cette révolution en cours au milieu du chaos syrien.

Basta ! : Ce qui se passe depuis 2011 dans la région syrienne de Rojava (au nord de la Syrie, à la frontière avec la Turquie), représente-t-il le contre-modèle absolu de la violence de l’État islamique ?

Ercan Ayboğa [1] : L’État islamique représente la ligne la plus réactionnaire qui existe aujourd’hui et en Syrie et au Moyen Orient, plus réactionnaire encore qu’Al-Qaïda, et le pôle le plus opposé au mouvement de Rojava. Il y a d’un côté le modèle de société de Rojava, une démarche démocratique et émancipatrice, et de l’autre, l’EI, extrêmement réactionnaire, hiérarchique, misogyne, absolument anti-démocratique, violent, et qui exploite les populations.

Michael Knapp : Rojava ressemble évidemment à une antithèse de l’EI. Mais c’est beaucoup plus profond. L’EI est aussi l’expression du jeu des forces présentes au Moyen Orient. Rétrospectivement, vu de l’Occident, on peut avoir l’impression que le mouvement de Rojava est né en opposition à l’EI. Mais en fait, c’est plutôt l’EI qui a été renforcé par des puissances comme la Turquie, entre autres pour détruire ce projet de Rojava.

Comment le projet démocratique du mouvement kurde s’est-il mis en place en Syrie, malgré la guerre civile ? Un compromis a-t-il dû être passé avec le régime de Bachar el-Assad ? 

Michael Knapp : Quand la guerre civile a commencé en Syrie, le mouvement kurde n’a pas voulu s’allier à l’opposition. Il soutenait bien évidemment l’opposition démocratique, celle qui misait sur une sortie de crise politique et pas sur une escalade de la violence. Mais il voyait aussi que les forces d’opposition étaient soutenues par la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et les pays occidentaux. C’est pour ça que le mouvement kurde a décidé de prendre une troisième voie.

Du point de vue militaire, les forces combattantes d’autodéfense kurdes sont allées encercler les casernes du régime et leur ont dit : soit vous partez, soit on vous combat. Souvent, les soldats du régime se sont retirés relativement pacifiquement, pensant que les forces kurdes n’allaient pas combattre aux côtés de l’Armée syrienne libre. Le régime a donc préféré poster ses soldats ailleurs. Même s’il y a eu des combats autour des puits de pétrole. C’est dans ce vacuum que le modèle de Rojava a pu prendre naissance.

Les membres de la coalition nationale syrienne et de l’armée syrienne libre reprochent parfois aux structures d’auto-organisation de la région de collaborer avec le régime. Mais il faut comprendre que le mouvement kurde suit un principe d’autodéfense légitime et de primat de la politique civile. Cela veut dire qu’aussi longtemps qu’on n’est pas attaqué, il faut tout résoudre politiquement. C’est aussi la politique suivie par la guérilla du Nord-Kurdistan (Kurdistan turc).

Comment s’organise maintenant la vie politique dans la région ?

Michael Knapp : C’est complexe et dynamique à la fois. L’organisation s’adapte aux besoins. Les assemblées des conseils sont le moteur de tout. Il y a plusieurs niveaux de conseils : de rue, de quartier, de la ville… Chaque niveau envoie ensuite des représentants dans les structures du niveau supérieur : des conseils de rue aux conseils de quartiers, des conseils de quartiers aux conseils des villes, puis vers les conseils des cantons et jusqu’au conseil populaire de Rojava. Les communautés s’organisent aussi en commissions à ces différentes niveaux, pour la sécurité, l’économie, la justice…

Les commissions forment comme des ministères au niveau de la région. Les conseils sont toujours doubles, avec un conseil mixte et un conseil des femmes. Le conseil des femmes a droit de veto. Et dans tous les conseils mixtes, il y a une règle de parité, un quota de 40 % au moins pour chaque genre, et le principe d’une double direction, élue, avec une femme et un homme. Si dans une ville, il y a une communauté yézidie ou des communautés arabes, par exemple, ils ont aussi droit à une co-présidence dans les conseils. On a donc souvent une présidence de conseil triple voire quadruple.

Parallèlement aux conseils, il existe un parlement, parce qu’il y a encore des gens qui sont membres de partis et qui doivent aussi pouvoir s’organiser et être représentés. Dans ce parlement, il y a les partis, mais une partie des sièges sont réservés à des organisations de la société civile, associations de défense des droits de l’homme, de la communauté yézidie… Malheureusement, il n’a pas encore été possible de tenir des élections au niveau de toute la région pour désigner par le vote les membres de ce Parlement, à cause de la guerre.

D’où vient ce modèle de l’auto-organisation et de confédération démocratique ? 

Ercan Ayboğa : Des structures d’auto-organisation communalistes sont nées au Nord-Kurdistan, en Turquie, en 2007-2008. Ces expériences se sont ensuite transmises à Rojava à partir de 2011. Le projet de confédération lui-même vient du KCK (Union des communautés du Kurdistan), une branche du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) créée en 2005. L’idée était de démocratiser le mouvement de libération kurde, de s’éloigner d’une structure de parti pour aller vers un mouvement porté par la société toute entière. Le mouvement a profité des héritages historiques comme la Commune de Paris (1871), mais surtout du mouvement zapatiste au Mexique. Avant, le PKK avait une démarche marxiste-léniniste. Le parti a lancé des discussions sur le « confédéralisme » démocratique au début des années 2000.

L’écologie joue-t-elle un rôle dans ce mouvement ?

Michael Knapp : L’écologie en est un point central. Pour développer le projet du confédéralisme démocratique, Öcalan (le leader du PKK, emprisonné en Turquie depuis 1999) s’est saisi du principe de l’écologie sociale du militant américain Murray Bookchin. Avec l’idée que le capitalisme est un système qui conduit à la destruction de la planète, et qu’il faut donc construire une économie basée sur une production régionale, écologique et décentralisée.

Quelles sont les structures d’émancipation des femmes à Rojava, à côté des conseils de femmes et des brigades féminines des forces d’auto-défense ? 

Ercan Ayboğa : Dans chaque ville, il y a une maison des femmes. C’est un centre politique, mais aussi un centre de conseil, avec des séminaires, des cours, du soutien. Il y a aussi de nombreuses coopératives de femmes, des boulangeries, des coopératives textiles, de produits laitiers…

Michael Knapp : Le mouvement de libération des femmes profite aussi aux autres communautés, par exemple aux communautés suryoyes (chrétiens) et arabes. Sur la zone près de la frontière irakienne, il y avait des groupes arabes très conservateurs mais qui sont entrés en conflit avec l’EI et ont demandé aux unités kurdes des les aider à s’en libérer. Du coup, beaucoup se sont joints au mouvement. J’ai vu des unités de formations de ces hommes. Il ne s’agissait pas seulement de savoir-faire militaire, mais aussi de discussions sur les droits des femmes et sur la démocratie directe.

Nous avons aussi rencontré des jeunes femmes des communautés arabes qui ont rallié les forces combattantes d’autodéfense [2]. Elles nous ont dit qu’il y a deux ans, elles ne sortaient pas de leur maison, et maintenant, elles protègent la frontière les armes à la main. Ce modèle de confédéralisme démocratique n’est pas identitaire. C’est pour ça qu’on peut espérer qu’à plus grande échelle, il puisse aussi représenter un modèle de résolution des conflits ailleurs au Moyen Orient.

Comment s’organise l’économie ?

Michael Knapp : C’est très difficile notamment à cause de l’embargo imposé par la Turquie. Dans le canton de Jazirah par exemple [La région de Rojava a été découpée en trois cantons : Kobané, Jazirah et Afrin, ndlr] il y a, comme ressources, du pétrole et des céréales. Mais il n’y a pas de raffinerie et presque pas de moulins. Nous avons vu des silos assez pleins pour nourrir toute la Syrie pendant dix ans. Mais les céréales ne peuvent pas être transformés sur place. Une économie collectivisée se développe pourtant, avec des coopératives, qui raffinent, comme elles peuvent, le pétrole, des coopératives agricoles…

Ercan Ayboğa : Les coopératives jouent un rôle toujours plus important à Rojava. Elles sont soutenues par les conseils. Mais l’économie privée est aussi possible, ce n’est pas interdit.

Le mouvement reçoit-il des soutiens de l’étranger, du Kurdistan turc, irakien, ou de la communauté internationale ?

Ercan Ayboğa : Il y a quelques médicaments et des outils qui arrivent du Nord-Kurdistan, en Turquie. Mais la Turquie ne laisse passer que peu de choses. Le soutien du Nord-Kurdistan reste néanmoins très important. Les administrations auto-organisées du Nord-Kurdistan soutiennent vraiment Rojava. La ville de Diyarbakir a par exemple envoyé à Kobané des machines de construction, des ingénieurs, un soutien technique. Mais pas officiellement. Sinon, de l’aide arrive d’ailleurs, d’ONG, mais c’est très peu. La communauté internationale dit qu’elle a besoin de l’autorisation du gouvernement syrien pour envoyer de l’aide vers Rojava. Mais les gens à Rojava attendent évidemment plus de soutien international parce qu’ils considèrent qu’ils combattent pour l’ensemble du monde démocratique.

Michael Knapp : Rojava n’a presque pas de moyens financiers, et ne reçoit pas d’aide humanitaire. La communauté internationale dit que le problème, c’est que ce n’est pas un État. Manifestement, aux yeux de la communauté internationale, le système d’auto-organisation de Rojava n’a pas à être soutenu.

Pourtant, les forces combattantes kurdes d’autodéfense ont à leur actifs plusieurs succès militaires contre le pseudo État islamique…

Michael Knapp : Dans ces forces d’autodéfense, les gens combattent pour survivre, pour des convictions, et pour un projet de société. Certains ont longtemps combattu au Nord-Kurdistan auparavant. Ils ont déjà beaucoup d’expérience militaire. Mais leur armement est vraiment modeste, en comparaison à celui de l’EI par exemple.

Recueilli par Rachel Knaebel

Source : Bastamag, 10/07/2015

 

Source: http://www.les-crises.fr/en-syrie-une-experience-de-democratie-directe-egalitaire-et-multiconfessionnelle-tient-tete-a-letat-islamique-par-rachel-knaebel/


Les va-t-en guerre irresponsables d’octobre, par Daniel Lazare

Saturday 7 November 2015 at 03:47

Source : Daniel Lazare, Consortiumnews.com, le 16/10/2015

Exclusif : Dans les hautes sphères de Washington, avec ses guerriers de salon réclamant une confrontation avec la Russie à cause de la Syrie, les possibilités d’un conflit échappant à tout contrôle augmentent de jour en jour. Dans quelques années, les historiens seront ébahis de constater l’incapacité à trouver un compromis, à coopérer et à désamorcer la situation, comme le décrit Daniel Lazare.

Par Daniel Lazare

Des rapports relatant que des avions de guerre américains et russes ont volé à moins de 10 ou 20 milles les uns des autres – seulement quelques secondes à ces vitesses supersoniques – illustrent combien la situation militaire est devenue dangereuse en Syrie. De même sont dangereux les appels d’al-Nosra, affilié syrien d’al-Qaïda, aux djihadistes du Caucase, pour qu’ils tuent des Russes en représailles de chaque mort syrienne.

Comme le conflit continue de s’intensifier, le danger de voir l’incendie s’étendre encore augmente d’autant plus. Dans quelques années, les historiens considérant les événements des “Canons d’Octobre 2015″ pourraient les voir comme quelque chose de cet ordre :

Comme le krach de 2008, le conflit militaire qui s’est embrasé hors de tout contrôle dans le Moyen-Orient à la fin de 2015 a été l’un de ces événements qui sont compréhensibles avec le recul, alors qu’ils sont une surprise totale au moment où ils se produisent. La crise a commencé plusieurs années auparavant, lorsque des manifestations du printemps arabe en Syrie ont ouvert la possibilité d’une révolte généralisée menée par les Frères Musulmans et autres fondamentalistes. Mais lorsque le président Bashar al-Assad a pris des mesures pour réprimer cette révolte, les États-Unis l’ont accusé de bloquer les aspirations démocratiques légitimes de son peuple et ont exigé qu’il démissionne.

Le roi Salman d’Arabie Saoudite et son entourage arrivent pour saluer le président Barack Obama et la Première Dame Michelle Obama à l’aéroport international King Khalid à Riyad en Arabie saoudite, le 27 janvier 2015. (Photo officielle de la Maison Blanche par Pete Souza)

Il fallait s’y attendre, depuis que les États-Unis ont soutenu un “changement de régime” en Tunisie et en Égypte – ainsi qu’en Libye, où les avions de l’OTAN fournirent aux rebelles l’aide décisive dont ils avaient besoin pour renverser le dictateur de longue date Mouammar al-Kadhafi. Mais le problème en Syrie était que si le gouvernement d’Assad était assurément répressif, l’opposition armée était encore pire. Au nom de la démocratie, le gouvernement étatsunien s’est retrouvé à faire parvenir des armes et des fonds non seulement aux Frères Musulmans, mais également à toute une brochette d’extrémistes sunnites violents, ayant l’intention d’imposer une dictature écrasante à une population aux religions diverses.

Ayant de plus en plus peur d’un “croissant chiite” s’étirant du Liban au Yémen, les sunnites fondamentalistes d’Arabie Saoudite et d’autres richissimes États pétroliers arabes sont également intervenus, inondant les rebelles avec “des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armes militaires,” comme l’a dit plus tard le vice-président Joe Biden, dans un effort pour promouvoir “une guerre par procuration entre sunnites et chiites” visant à renverser le gouvernement d’Assad prétendument dominé par les chiites.

Les conséquences ont été de faire grimper le sectarisme à des hauteurs stratosphériques. En mars 2011, les Saoudiens et les Émirats Arabes Unis ont envoyé des troupes au Bahreïn pour protéger la famille royale sunnite contre les protestations de la part de 70% de la majorité chiite du royaume insulaire. Quatre ans plus tard, les Saoudiens, avec huit autres États arabes sunnites, ont déclaré la guerre contre les rebelles chiites houthi au Yémen, lançant des raids aériens nocturnes et plus tard une invasion terrestre qui, avec l’appui technique des Américains, a tué plus de 2300 civils et provoqué des millions de sans-abri.

La péninsule arabique était encerclée par les incendies allumés au fur et à mesure que les sunnites affrontaient leurs rivaux chiites dans un nombre croissant de lieux. Les Saoudiens, dépendant d’un courant religieux wahhabite sunnite, ont porté la responsabilité première de cette débâcle. Mais les États-Unis ont attisé les flammes en fournissant un soutien militaire à ses alliés de Riyad dans un effort pour contrôler l’Iran, que Washington continuait à considérer comme l’ennemi numéro un au Moyen-Orient.

Au milieu de cette violence, l’intervention russe, commencée le 30 septembre 2015, a eu l’effet d’une bombe. L’initiative a été condamnée par l’OTAN, mais a reçu un large soutien de la critique qui se plaignait depuis longtemps que tout en attaquant l’organisation terroriste connue comme Al-Qaïda dans une demi-douzaine d’autres pays, les États-Unis étaient restés silencieux alors que l’aide coulait jusqu’à Al-Nosra, la filiale d’Al-Qaïda en Syrie, et même l’État Islamique, un groupe dissident dont le penchant pour la violence était encore plus extrême.

Même le New York Times connu pour ses œillères a observé qu’ISIS (également identifié comme ISIL, État islamique, et Daesh) a continué à obtenir le soutien de “donateurs privés, principalement au Qatar, au Koweït et en Arabie saoudite”. Puis, cinq ans après, l’actuelle secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a accusé dans une note diplomatique secrète les Saoudiens privés de “constituer la plus importante source de financement des groupes terroristes sunnites dans le monde entier”, il est alors apparu que le royaume était encore en train de procurer des fonds à des groupes terroristes, y compris à l’État Islamique.

Une coalition pleine de trous

Ainsi, non seulement la coalition anti-État Islamique américaine était pleine de trous, mais ses efforts pour soutenir les rebelles « modérés » contre l’État islamique se sont révélés factices, car il était depuis longtemps évident que les différentes factions coopéraient sur le champ de bataille et partageaient les armes. Comme l’a souligné un expert : “Le problème est ce nombre kaléidoscopique de groupes d’opposition qui sont constamment en train de passer des accords les uns avec les autres. Tout le monde a été associé à Al-Qaïda à un moment donné.”

Par conséquent, la décision de la Russie de lutter contre tous les rebelles syriens – ISIS, Al-Qaïda et “l’Armée Syrienne Libre” de la même façon – a rencontré des applaudissements dans de nombreux milieux mais pas dans les couloirs du pouvoir de Washington. Un Barack Obama humilié n’avait pas d’autre choix que d’arrêter un très moqué programme de 500 millions de dollars destiné à l’entraînement de rebelles devant lutter contre l’État islamique, et qui avait généré seulement quelques dizaines de combattants rapidement capturés ou tués par Al-Nosra.

Le président Obama aurait dû à ce moment se retirer complètement ou même choisir de se joindre aux forces russes contre les fondamentalistes. Mais la pression d’Israël, de l’Arabie Saoudite et la présence dans son propre pays, en ce qui concerne la politique étrangère, d’un groupe puissant de plus en plus belliqueux, a rendu tout ceci rien moins qu’impossible.

Avec Steve Kroft du programme d’information de CBS “60 Minutes” raillant Obama à cause de sa « faiblesse » en Syrie – « Il remet en question votre leadership, Monsieur le Président. Il est en train de remettre en question votre leadership », a déclaré Kroft en parlant du président russe Vladimir Poutine – Obama bientôt au placard. [Pour plus d'informations sur l'intervention extraordinaire de Kroft, voir "Asticoter Obama pour plus de guerres." De Consortiumnews.com]

En peu de temps, les rebelles ont joui d’une abondance exceptionnelle d’aide militaire américaine, comprenant des missiles filoguidés de haute technologie, des armes légères et des munitions larguées par des avions-cargos américains. “En nous bombardant, la Russie bombarde les treize pays « amis de la Syrie »”, jubile un commandant rebelle, parlant des États-Unis et des aux autres nations qui avaient appelé au renversement d’Assad en 2011. Une guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie a commencé à prendre forme.

Bien que la Maison Blanche ait rechigné à fournir les rebelles avec des systèmes de défense anti-aérienne portatifs, la pression a augmenté de la part des politiciens et des experts néoconservateurs. Un éditorial envoyé à CNN par le sénateur John McCain, président de la commission sénatoriale des services armés et restant une voix des plus influentes sur les questions de sécurité nationale, écrit le 13 octobre 2015, a été particulièrement glaçant. Il a appelé Obama à infliger une sévère leçon à la Russie et à Poutine sans se soucier des conséquences :

“Il y a ici une occasion … d’imposer à un adversaire qui veut saper les États-Unis partout un coût significatif. C’est une occasion d’affaiblir un dirigeant anti-américain qui nous verra toujours comme un ennemi. … Nous ne pouvons craindre d’affronter la Russie en Syrie, comme s’y attend Poutine. Son intervention a fait grimper les coûts et les risques d’une plus grande implication des États-Unis en Syrie, mais ceci n’a pas rendu caduques les mesures que nous devons prendre. En fait, il les a rendues plus impératives.

“Nous devons agir maintenant pour défendre les populations civiles et nos partenaires de l’opposition en Syrie. Comme le général David Petraeus et d’autres l’ont préconisé, nous devons établir des enclaves en Syrie où les civils et l’opposition modérée au dirigeant syrien Bashar al-Assad et à l’État Islamique peuvent trouver une plus grande sécurité. Ces enclaves doivent être protégées avec une plus grande puissance aérienne américaine et coalisée et probablement par des troupes étrangères au sol. Nous ne devrions pas exclure que les forces américaines puissent jouer un rôle limité dans ce contingent terrestre. Si al-Assad continue de bombarder les civils en Syrie, nous devons détruire la capacité de son armée de l’air à être en mesure de le faire.

“Nous devons confirmer notre politique de façon à contrer les ambitions de Poutine et à modifier son comportement. Si la Russie attaque nos partenaires de l’opposition, nous devons imposer des coûts plus élevés aux intérêts de la Russie – par exemple, en frappant des dirigeants syriens importants ou des cibles militaires. Mais nous ne devrions pas limiter notre réponse à la Syrie. Nous devons accroître la pression sur la Russie ailleurs. Nous devons fournir des armes défensives et d’aide connexe aux forces ukrainiennes afin qu’elles puissent prendre un plus grand ascendant sur les forces russes. … Et si Poutine continue à frapper les civils syriens et nos partenaires de l’opposition, nous devrions rendre les sanctions ciblées envers la Russie encore plus agressives. Les bas coûts de l’énergie donnent des coups de boutoir à l’économie et à la monnaie russe. Nous devrions augmenter la douleur.”

Hausse de la tension Arabie Saoudite-Iran

C’était la logique de l’escalade continuelle. Un journaliste novice aurait pu remarquer que les tensions augmentaient en même temps entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Le conflit entre les deux États remonte à la révolution iranienne de 1979, qui a enflammé l’imagination des militants musulmans à travers le monde et menacé de démasquer les saoudiens comme des corrompus et des soutiens complaisants au statuquo.

Mais plus les saoudiens cherchaient à redorer leur crédibilité musulmane en recrutant des milliers de moudjahidines pour combattre les “infidèles” soviétiques en Afghanistan et en dépensant des dizaines de milliards de dollars pour diffuser leur vision ultraconservatrice de l’Islam, plus la rivalité entre sunnites et chiites s’intensifiait.

“Le moment n’est pas si loin au Moyen-Orient, Richard, où ce sera littéralement ‘que Dieu aide les chiites’.” a déclaré le prince saoudien Bandar ben Sultan à Sir Richard Dearlove, directeur des services secrets britanniques, ou MI6, avant le 11 Septembre. “Plus d’un milliard de sunnites en ont tout simplement assez d’eux.”

Le prince Saud al-Faisal, ancien ministre pendant longtemps, a fait remarquer au secrétaire d’état américain John Kerry que “Daesh est notre réponse a votre soutient au Da’wa”, le parti islamiste chiite que l’invasion américaine a aidé à installer en Irak.

Daesh était méchant quand il menaçait la monarchie saoudienne, mais quelque peu moins lorsqu’il guerroyait contre le chiisme. Mais 2015 a marqué un tournant. Une fois qu’ils ont commencé à bombarder les rebelles Houthi au Yémen – un instrument des Iraniens, aux yeux des Saoudiens – les Saoudiens ont encouragé le clergé wahhabite à dénoncer leur ennemi de l’autre côté du détroit d’Ormuz en des termes de plus en plus acides. Un jour après le déclenchement de la guerre, par exemple, la chaîne d’information d’État a accordé du temps d’antenne à un mollah radical nommé Saad ben Atiq al-Ati qui a déclaré que le Yémen était destiné à être “purement monothéiste”, qu’il “ne pouvait pas être pollué ni par les Houthis, ni par les Iraniens”, et que “nous nettoyons le pays de ces rats”.

Les officiels iraniens ont répondu en accusant les Saoudiens de “suivre les pas du sioniste Israël” et en prédisant que “la maison saoudienne tomberait bientôt”. Mais le ton est devenu encore plus agressif après la bousculade du 24 septembre à La Mecque, ayant tué 1453 personnes, dont un tiers d’iraniens.

Parmi les plaintes comme quoi la police saoudienne a été grossière et indifférente, refusant aux pèlerins, même âgés, de quitter le lieu malgré la température extrême, l’Ayatollah Ali Khamenei, le guide suprême iranien, a appelé l’Arabie Saoudite à présenter des excuses au “monde musulman” pour avoir permis que survienne ce désastre, tout en promettant une “réaction sévère et dure” si le royaume ne renvoyait pas rapidement les corps de ceux qui avaient été tués.

Certains autres dirigeants iraniens ont été encore plus incendiaires. Au lieu du langage diplomatique, le président Hassan Rouhani a averti que l’Iran pourrait utiliser “le langage de l’autorité” dans ses relations avec les Saoudiens. Mohammad Ali Jafari, commandant des Gardiens de la Révolution Islamique, a promis de “faire répondre la dynastie saoudienne des crimes qu’elle a commis”, ajoutant :

“Le monde musulman est fatigué des trahisons et de l’ignorance des Saoudiens… incluant le massacre du peuple du Yémen, les déplacements des populations pauvres de Syrie, la répression au Bahreïn, les massacres ethniques en Irak, la création de tensions ethniques et le soutien au terrorisme. Les Saoudiens devraient être balayés par la colère des musulmans.”

Mohsen Rezaei, le prédécesseur de Jafari à la tête des Gardiens de la Révolution Islamique, a prévenu Riyahd : “Ne jouez pas avec le feu, parce que le feu vous brûlera … ne suivez pas l’exemple de Saddam [Hussein], qui n’avait plus d’issue de secours lors de la guerre Iran-Irak.”

Cela équivaut à une déclaration de guerre. Jafari est allé jusqu’à comparer les Saoudiens à Abu Lahab, qui, selon la tradition musulmane, était un oncle du prophète Mahomet qui s’était élevé contre la cause musulmane. C’est l’équivalent d’un pape qualifiant de “Judas”, ou même de “Satan”, le chef de l’Église orthodoxe russe.

Comment ce jeu se terminera-t-il ?

La direction que prend cette histoire semble bien trop claire. Une possibilité est un affrontement entre l’Arabie Saoudite et les forces iraniennes dans le détroit d’Ormuz, une voie d’acheminement vitale du pétrole, une répétition par certains aspects de la guerre Iran-Irak des années 80, mais avec des F-15 chasseurs-bombardiers entre les mains des Saoudiens et, du côté iranien, des missiles Shabab 3.

Certes, il y a des faits qui ont tendance à calmer le jeu. Avec un déficit budgétaire de 20% en raison d’une chute vertigineuse des prix du pétrole, Riyad est sous une pression croissante. En septembre 2015, un prince saoudien aîné a écrit deux lettres condamnant la guerre au Yémen et appelant le roi Salman, un jusqu’au-boutiste aux liens étroits avec les oulémas wahhabites, à se retirer. Les rumeurs d’une révolution de palais se répandent.

Un État normal pourrait en conséquence rentrer ses griffes. Mais l’Arabie Saoudite est une des entités politiques les plus bizarres de l’histoire, une kleptocratie géante régie par de très riches “pompes à fric”, comme les capitalistes rentiers furent surnommés.

En conséquence, son comportement en devient de plus en plus imprévisible, c’est pourquoi il est impossible d’exclure la possibilité d’une certaine sorte de provocation militaire envers l’Iran. Depuis des années les États-Unis ont encouragé les États du Golfe à “recycler” leurs profits pétroliers en armes de dernière technologie. Les Arabes ont suivi le conseil américain à la lettre, et maintenant la région est proche de l’explosion.

Source : Daniel Lazare, Consortiumnews.com, le 16/10/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/les-va-t-en-guerre-irresponsables-doctobre-par-daniel-lazare/


Rapport final du crash du MH17

Saturday 7 November 2015 at 01:54

Pour ceux que ça intéresse, voici la traduction des conclusions de la commission technique d’enquête sur le crash du MH17.

En résumé, l’avion a été abattu par un missile sol-air, et on ne sait pas de quel camp il a été tiré. Il y aura ensuite le rapport de la commission d’enquête judiciaire.

Mais à ce stade, et en ayant une pensée pour les victimes de ce drame, j’avoue que le résultat m’intéresse assez peu, je crains qu’on n’ait jamais de preuve convaincante du coupable. Surtout, ce genre de cas illustre une dérive actuelle, qui consiste à voir des personnes, après une petite période légitime de débat et de réflexion, à insister, à dépenser une énergie folle durant des mois voire des années après les faits à essayer de trouver la vérité sur un sujet qui, finalement et hélas, n’intéressera presque plus personne (regardez, les mensonges autour de la guerre d’Irak et son bilan ça intéresse qui ?). Sachant que si la vérité n’est pas sortie au bout de 15 jours avec des experts et témoins sur place, il est peu probable qu’elle sorte 2 ans après par des investigations citoyennes à l’autre bout du monde…

Sur le fond, rien n’a changé :

Enfin, c’est mon simple petit avis.

Bref, on n’est guère plus avancé. Donc on ne parlera plus trop de ce drame sur ce blog – il y a bien d’autres sujets bien plus importants qu’un atroce fait divers.

On reparlera en revanche bientôt de la propagande de guerre autour de ce drame, et des mensonges manipulatoires.

Une chose m’a frappé dans cette enquête et dans les débats : l’avion a été abattu par un Buk, les seules dont est sûr qu’elles possèdent non pas 1 mais plusieurs Buks, ce sont les forces armées ukrainiennes, qui ont, hasard, déjà abattu par erreur un avion civil – et je n’ai jamais vu personne enquêter sur elles, savoir où étaient leurs Buks, vérifier si un missile était manquant, etc. Silence total, on préfère échafauder des théories sur la présence d’un Buk pro-Donetsk assez fantôme…  (et qui est en effet peut être le coupable, mais enfin, c’est une étrange façon d’enquêter…).

À suivre, donc, pour la critique des pseudo-experts…

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Source : Onderzoeksraad, 10/2015

Conclusions et Recommandations

10 CONCLUSIONS

Les résultats de l’enquête sur l’accident du vol MH17 du 17 juillet 2014 nous conduisent à proposer les conclusions suivantes.

10.1 Conclusions principales

  1. Causes de l’accident

a. Le 17 juillet 2014, la Malaysia Airlines effectuait le vol MH17 sur un Boeing 777-200 enregistré sous le numéro 9M-MRD, en croisière près des frontières ukrainiennes et russes, à 33 000 pieds d’altitude, sous l’autorité du contrôle aérien ukrainien (Ukrainian Air Trafic Control), et était commandé par un équipage compétent et qualifié.

b. A 13h20:03 (15h20:03 CET) [heure d'Europe centrale, NdT], une ogive a explosé à l’extérieur et au-dessus du côté gauche du cockpit du vol MH17. C’était une ogive de type 9N314M portée par un missile de série 9M38, comme ceux installés sur les lanceurs sol-air de type Buk.

c. Les autres scénarios ayant pu provoquer la désintégration de l’avion ont été examinés, analysés et éliminés devant les éléments de preuve disponibles.

d. La déflagration a tué les trois occupants du cockpit et endommagé la structure à l’avant de l’appareil, ce qui a provoqué une désintégration en vol. La rupture a répandu des débris sur une surface de 50 kilomètres carrés entre le village de Petropavlivka et le village de Hrabove. La totalité des 298 passagers ont perdu la vie.

  1. Conclusions concernant le plan de vol du MH17

a. Les services de contrôle aérien impliqués n’ont pas évalué correctement les risques qu’ils prenaient à faire survoler un conflit armé dans l’est de l’Ukraine par un avion civil.

- Pendant la période précédant le crash du vol MH17, le conflit armé à l’est de l’Ukraine s’était étendu à l’espace aérien. Augmentant en conséquence les risques encourus lors d’un survol de la zone par un avion civil.

- Les déclarations des autorités ukrainiennes qui signalaient que des avions militaires avaient été abattus le 14 et 16 juillet, et qui mentionnaient que les systèmes d’armement étaient capables d’atteindre l’altitude de croisière des avions civils, constituaient une raison suffisante pour fermer par précaution l’espace aérien au-dessus de l’est de l’Ukraine.

- Les autres parties impliquées – les opérateurs, les États dans lesquels ils sont basés et les tierces parties comme l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) – n’ont pas identifié les risques potentiels pour l’aviation civile posés par un conflit armé dans l’est de l’Ukraine. Les opérateurs, comprenant Malaysia Airlines, ont supposé que la partie ouverte de l’espace aérien ukrainien était sûre. Ces États n’ont pas émis d’avertissement spécifique sur les risques encourus par l’aviation civile pendant la période où le conflit s’étendait à l’espace aérien. L’OACI n’a pas jugé utile d’interroger l’Ukraine, ni d’offrir une assistance.

  1. Conclusions concernant les vols au-dessus des zones de conflit

a. Le système actuel de responsabilités pour la sécurité de l’aviation civile ne fournit pas d’éléments suffisants pour évaluer correctement les risques liés au survol des régions en conflit.

b. L’évaluation des risques pour l’aviation civile utilisant l’espace aérien au-dessus de zones de conflit ne devrait pas seulement tenir compte des risques existants, mais aussi inclure les risques dont l’intention ou les possibilités sont incertaines.

10.2 Etayage des conclusions (les causes e l’accident)

La cause identifiée par la Dutch Safety Board est étayée par les découvertes suivantes.

  1. Moment de l’interruption du vol

La détermination du moment de l’interruption du vol de l’avion est soutenue par les découvertes suivantes :

a. L’enregistrement des voix dans le cockpit et les enregistrements des données de vol se sont interrompues brutalement à 13h20:03 (15h20:03 CET) pour cause d’arrêt de l’alimentation électrique.

b. La balise de détresse s’est activée automatiquement environ deux secondes après la cessation de l’enregistrement des voix du cockpit et des données de vol.

c. Les données brutes du radar secondaire de surveillance du service de contrôle aérien ukrainien et la reprise par radar à écran vidéo des données combinées primaire et secondaire des services de contrôle aérien de la fédération de Russie ont montré que le vol MH17 était en trajectoire rectiligne au niveau de vol FL330 jusqu’à 13h20:03 (15h20:03 CET).

d. Les données brutes du radar secondaire de surveillance venant du contrôle aérien ukrainien ont montré que le vol MH17 n’a transmis aucune donnée de surveillance secondaire depuis 13h20:03 (15h20:03 CET).

e. La reprise par le contrôle aérien de la fédération de Russie des données combinées des radars primaire et secondaire ont montré que les traces de la trajectoire de l’avion à partir de 13h20:03 (15h20:03 CET) étaient le résultat de la chute libre et de la chute de débris.

  1. Le pic sonore

L’enregistreur des voix du cockpit a enregistré un pic sonore de 2,3 millisecondes. La triangulation du signal a montré que le bruit venait de l’extérieur de l’avion, commençant d’une position au-dessus du côté gauche du cockpit, se propageant d’avant en arrière.

  1. Pas d’autre avion

Il n’y a pas eu de preuve d’un autre aéronef, civil ou militaire, à proximité immédiate du vol MH17. Selon les données radar, trois autres avions étaient dans le secteur 4 du centre de contrôle de Dnipropetrovsk à l’heure du crash, tous des avions de catégorie transport commercial aérien. Deux volaient cap à l’est, un volait cap à l’ouest. Tous étaient sous le contrôle du radar de Dnipro. A 13h20 (15h20 CET) la distance entre le plus proche de ces avions et le vol MH17 était de 33 km.

  1. Les dommages au cockpit et les blessures à l’équipage

Les dommages observés à l’avant du fuselage et la zone du cockpit de l’avion et les blessures de l’équipage de vol et de l’équipage cabine présents dans le cockpit montrent qu’il y a eu de multiples impacts d’un grand nombre de fragments venant d’un point extérieur et au-dessus du côté gauche du cockpit. Le schéma des dommages observés à l’avant du fuselage et dans la zone du cockpit de l’avion ne sont pas cohérents avec les dommages qui pourraient être provoqués par un mode de défaillance connu de l’avion, ses moteurs ou ses systèmes.

  1. Fragments venant d’un endroit

L’avion a été frappé par un grand nombre de petits fragments de différentes formes et tailles (cubiques et en forme de nœud-papillon) se déplaçant à grande vitesse. La direction de l’ensemble des fragments perforants et non-perforants vient d’un seul endroit à l’extérieur gauche et au-dessus du cockpit. Les fragments ont endommagé le côté gauche du cockpit, le tube d’admission d’air du moteur gauche et le bout de l’aile gauche.

  1. Dispersion par fragmentation ou fragments préformés

Les objets qui ont frappé l’avion depuis l’extérieur avec une force puissante, comme ceux trouvés dans les débris de l’avion et dans les corps de l’équipage du cockpit, étaient faits d’acier pur. Quelques-uns de ceux-ci ont de toute évidence transpercé la carlingue de l’avion et/ou les verrières du cockpit. Les objets trouvés sont faits de fragments préformés. L’emplacement, la forme et les limites des dommages sur l’épave du vol MH17, le nombre et la densité des impacts sur l’épave et les objets trouvés de différentes formes et tailles correspondent aux dommages par impacts multiples de fragments préformés contenus dans l’ogive 9N314M portée par le missile de série 9M38 installé sur le lance-missile sol-air Buk.

  1. Les fragments de missile

Nombre d’objets plus gros trouvés sur le sol et quelques fragments trouvés dans les débris de l’avion ont été suspectés d’appartenir à un missile. Des prélèvements de peinture effectués sur ces pièces supposées de missile trouvées dans la zone de l’épave correspondent à celles trouvées sur les objets étrangers extraits de l’avion. Les pièces du missile ont présenté également les traces d’un type d’explosif (le RDX), lesquelles sont identiques aux traces trouvées dans les débris.

  1. L’explosion

La simulation de l’explosion après la détonation de l’ogive 9N314M a révélé une onde de choc près du cockpit. La simulation a montré que l’explosion aurait causé des dommages structurels à plus de 12,5 mètres du point de détonation. Ce qui était cohérent avec les dommages trouvés sur les débris de l’avion.

  1. La séquence de cassure

Après l’impact initial, l’avion s’est brisé de la manière suivante :

a. Il y a eu une séparation presque instantanée du cockpit et de la partie arrière du fuselage quand les fragments préformés ont pénétré le cockpit. Le cockpit a parcouru 2,3 km depuis la dernière position indiquée sur l’enregistreur de vol.

b. L’avion sans sa partie avant a continué de voler sur une trajectoire indéterminée sur environ 8,5 km vers l’est avant de se briser davantage. La section centrale a voyagé plus loin que la partie arrière du fuselage. Cette partie centrale s’est retournée. Des débris ont pris feu.

c. Le temps écoulé entre le début de l’éclatement et l’impact avec le sol n’a pu être déterminé précisément, mais on a estimé que les parties centrale et arrière de l’avion ont mis entre 1 et 1,5 minute pour atteindre le sol. Les autres, les pièces plus légères auront mis plus de temps.

  1. Les armes utilisées

L’avion a été frappé par une ogive 9N314M du type de celles portées par la série de missiles 9M38 et lancées par un système lance-missile sol-air Buk. Cette conclusion s’appuie sur la combinaison suivante : le pic sonore enregistré, les dommages par impacts multiples trouvés sur les débris, causés par l’explosion et les impacts de fragments, les fragments en forme de nœud-papillon et de cubes trouvés dans le cockpit et les corps des membres de l’équipage de cockpit, les blessures subies par les trois membres de l’équipage de cabine dans le cockpit, l’analyse de la rupture en vol, l’analyse des résidus d’explosif et de peinture, ainsi que la taille et la forme distinctive de quelques-uns des fragments.

  1. La trajectoire du missile

La zone de départ possible d’une ogive 9N314M portée par un missile de série 9M38 comme ceux installés sur le système lance-missile sol-air Buk pourrait mesurer autour de 320 km² situés dans l’est de l’Ukraine. Des recherches plus poussées sont requises pour déterminer l’emplacement du lancement. De tels travaux sortent du mandat de la Dutch Safety Board, en termes de l’annexe 13 et du Kingdom Act “Dutch Safety Board”.

Source : Onderzoeksraad, le 10/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Pas grave, Libération a déjà enquêté et conclu :
Hélène Despic-Popovic : dur métier , “journaliste” à Libération… (je rappelle bien que la commission n’a pas dit qu’il avait été tiré par les “prorusses”(sic.))
Je précise aussi que le constructeur des Buks a mené une enquête, et a fait exploser un Buk près d’un vieil avion. Ses conclusions (à prendre avec prudence) sont que le Buk utilisé sur le MH17 était un vieux modèle, retiré des forces russes en 2011, mais actif dans les forces ukrainiennes.
Enfin, les passionnés liront cet intéressant article d’analyse contradictoire détaillée.

Source: http://www.les-crises.fr/accident-du-vol-malaysia-airlines-mh17/


L’armement américain transforme la Syrie en champ de bataille par procuration avec la Russie par Anne Barnard et Karam Shoumali

Saturday 7 November 2015 at 01:50

Source : The New York Times, le 13/10/2015

Par Anne Barnard et Karam Shoumali

Des soldats syriens attaqués dimanche dans la province de Hama. Les forces gouvernementales y ont fait une avancée lundi, soutenues par la force aérienne russe. Crédits : Alexander Kots/Komsomolskaya Pravda, via Associated Press

Beyrouth, Liban – Les chefs des insurgés affirment recevoir pour la première fois d’importantes livraisons de missiles antichars de fabrication américaine, depuis que la Russie a entamé ses frappes aériennes pour soutenir le gouvernement syrien.

Avec l’accroissement de la puissance de feu des rebelles, et avec une Russie intensifiant progressivement ses frappes aériennes contre les opposants au gouvernement, le conflit syrien est à deux doigts de se transformer en guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie.

Ce niveau de soutien accru a rehaussé le moral des deux camps, élargissant les buts de guerre, radicalisant les positions politiques, et rendant un accord diplomatique de moins en moins envisageable.

Les missiles antichars américains TOW ont commencé à arriver dans la région en 2013, par le biais d’un programme clandestin des États-Unis, de l’Arabie Saoudite et d’autres alliés en vue de soutenir des groupes insurgés entraînés par les États-Unis pour combattre le gouvernement syrien.

Les armes sont acheminées sur le terrain par les alliés des Américains, mais ce sont les États-Unis qui valident leur destination. Ce qui suggère a minima que les renforts actuels bénéficient de l’approbation tacite des Américains, à présent que le président Bachar el-Assad bénéficie du soutien aérien russe.

« Nous avons obtenu ce que nous demandions en très peu de temps », a déclaré dans une interview l’un des commandants [rebelles], Ahmad al-Saud. Il a ajouté qu’en seulement deux jours, son groupe, Division 13, avait détruit sept chars et véhicules blindés avec sept TOWs : « sept sur sept ».

Vidéo d’un groupe rebelle syrien tirant un missile TOW sur un char dans la province de Hama, le 7 octobre. Vidéo de Division 13

Le moral est également en hausse du côté gouvernemental. L’armement comme le moral ont « monté en flèche », selon une source gouvernementale, du fait du renouveau de l’alliance entre la Russie, l’Iran et la milice libanaise chiite du Hezbollah qui se bat pour le compte de Damas.

Au lieu d’une pâle lumière au bout du tunnel, selon la même source gouvernementale, évoquant la situation militaire sous couvert de l’anonymat, l’alliance envisage ce qui ressemble davantage à une victoire. Le but consiste à regagner le terrain qui jusqu’alors avait été considéré comme définitivement perdu, écarter définitivement la possibilité de l’éviction de M. Assad, et obtenir une résolution politique de la situation bien plus avantageuse, une fois que « de nouveaux faits auront été obtenus sur le terrain ».

Mais si les frappes russes contre les insurgés syriens se sont intensifiées, il en a été de même des attaques de ces mêmes insurgés, observables sur des vidéos en ligne. Les missiles TOW remplissent les airs avec leur traînées brillantes, à la recherche des véhicules made in Russia utilisés par les forces gouvernementales, et les réduisant en cendres.

Au moins 34 vidéos de ce genre ont été publiées dans les cinq derniers jours depuis les champs de bataille dans les provinces de Hama et d’Idlib, où des TOW ont aidé à amortir la première attaque au sol des forces gouvernementales syriennes appuyées par la puissance aérienne russe.

Le groupe rebelle syrien Fursan al Haq a diffusé une vidéo de ses combattants lançant un TOW sur un tank gouvernemental dans le nord de la province de Hama le 7 octobre. Vidéo par ShaamNetwork S.N.N.

Un officiel d’un groupe rebelle combattant à Hama a qualifié l’approvisionnement de “carte blanche”.

“Nous pouvons en avoir autant que nous en avons besoin et dès que nous en avons besoin”, a-t-il dit, demandant à ne pas être identifié pour éviter les représailles des groupes insurgés islamistes rivaux qu’il a critiqués. “Il suffit de demander.”

Il a dit croire que l’entrée de la Russie dans le conflit a fait la différence.

“En nous bombardant, la Russie bombarde les 13 pays ‘amis de la Syrie’”, a-t-il dit, faisant référence au groupe formé par les États-Unis et leurs alliés qui ont appelé à l’éviction de M. Assad après sa répression contre les manifestations politiques en 2011.

Le programme de la CIA qui a fourni les TOW (acronyme pour “missile filoguidé à suivi optique lancé par tube”) est distinct – et significativement plus important – du programme raté du Pentagone à 500 millions de dollars qui a été annulé la semaine dernière après avoir seulement formé une poignée de combattants. Ce fut un échec en grande partie parce que peu de recrues acceptaient son but de combattre seulement l’organisation militante de l’État Islamique et non M. Assad.

Les commandants rebelles ont tiqué à la demande de rapports sur la fourniture de 500 TOW depuis l’Arabie saoudite, disant que c’était un nombre insignifiant comparé avec ce qui était déjà disponible. En 2013 l’Arabie saoudite en a commandé plus de 13 000 exemplaires. Étant donné l’obligation pour les contrats d’armement américains de révéler l’”utilisateur final”, les insurgés déclarent qu’ils ont été fournis avec l’approbation de Washington.

De même, des vidéos crues montrant la nouvelle puissance de feu russe ont été diffusées par des combattants pro-gouvernementaux et des journalistes évoluant à leur côté.

Les hélicoptères de combat russes volent à basse altitude au-dessus des champs, apparemment assez près pour toucher le sol, puis prennent de l’altitude pour éviter les barrages de roquettes, fusées éclairantes et les tirs de mitrailleuse lourde. Des explosions touchent des villages éloignés, avec des colonnes de fumée s’élevant sur des blocs de maisons, déclarent des témoins qui narrent les progrès contre les « terroristes ».

Il semble que ce soit des techniques perfectionnées en Afghanistan, où l’armée d’occupation soviétique a combattu les insurgés fournis en missiles anti-aériens par les États-Unis. Ce sont certains de ces insurgés qui ont formé plus tard Al-Qaïda.

Les soldats syriens et les forces pro-gouvernementales dans le village de Atshan, province de Hama, dimanche. Crédit SANA, par l’intermédiaire de l’Agence France-Presse – Getty Images

Ce spectre plane sur la politique américaine, et a empêché les insurgés syriens de recevoir ce qu’ils désirent le plus : des missiles antiaériens pour arrêter les frappes aériennes de l’État, l’une des plus grandes causes de morts civils de cette guerre.

Maintenant il veulent les utiliser aussi contre les chasseurs russes.

M. Saud, de la Division 13, a dit que lui et d’autres officiers ont renouvelé leur demande d’armes antiaériennes il y a dix jours auprès des officiers de liaison travaillant avec eux dans un centre opérationnel en Turquie.

“Ils nous ont dit qu’ils transmettraient nos demandes dans leur pays”, ajoute-t-il. “Nous comprenons que ça n’est pas une décision facile lorsqu’il s’agit d’armes antiaériennes ou d’une no-fly zone, surtout maintenant que l’espace aérien syrien est rempli de chasseurs venant de différents pays.”

La Russie et les États-Unis ont tous deux déclaré qu’ils combattent l’État Islamique, aussi connu sous le nom de Daesh ou ISIS, mais les deux grandes puissances soutiennent les camps opposés de la bataille opposant M. Assad et les Syriens rebellés contre son autorité.

Avec le soutien aérien russe, le gouvernement de M. Assad essaie de reprendre le territoire gagné dans les provinces Idlib et Hama par les insurgés, dont le front Al-Nosra affilié à Al-Qaida et les groupes soutenus par les États-Unis, se désignant eux-mêmes comme l’Armée Syrienne Libre – mais pas Daesh dont les principales forces sont dans le nord et l’est de la Syrie jusqu’en Irak, mais n’a qu’une présence discrète dans l’ouest du pays.

Au lieu de cela, les progrès sur place, qui ont généré la menace la plus immédiate pour M. Assad, sont venus d’une coalition d’insurgés islamistes appelée l’Armée De Conquête, comprenant le Front Nosra, mais s’opposant à l’État Islamique.

Progressant aux côtés des groupes islamistes, en les aidant parfois, un certain nombre de groupes relativement laïques, comme l’Armée Syrienne Libre, ont acquis une nouvelle importance et un nouveau statut en raison de leur accès aux missiles TOW.

Même en plus faibles quantités, les missiles jouent un rôle majeur dans l’avancée des insurgés, ce qui a engendré une menace pour le pouvoir de M. Assad. Alors que cela peut ressembler à un développement intéressant pour les décideurs politiques états-uniens, en pratique cela pose un nouveau dilemme, étant donné que le Front Nosra a été parmi les groupes bénéficiant de cette puissance de feu renforcée.

Il s’agit d’une alliance tactique que les commandants de l’Armée Syrienne Libre décrivent comme un mariage de raison inconfortable, car ils ne peuvent pas opérer sans le consentement de l’inévitable front Al-Nosra. Assad et ses alliés prennent cet arrangement pour preuve qu’il n’y a que peu de différences entre les groupes d’insurgés, les appelant tous terroristes, et les désignant donc pour cibles légitimes.

De toute façon, l’Armée Syrienne Libre nouvellement renforcée, restée longtemps un acteur marginal alors que les groupes islamistes montaient en influence, joue maintenant un rôle plus important.

“Les groupes islamiques nous ont toujours étiquetés agents, infidèles et apostats à cause de nos accords avec l’Ouest,” déclare Mr Saud. “Mais maintenant il se rendent compte combien nous sommes efficaces grâce à nos accords avec l’Ouest.”

Plusieurs unités soutenues par les Américains ont été sous le feu direct des Russes. Mais ils affirment avoir conservé leur territoire, avec l’aide de missiles TOW, mieux que leurs homologues islamistes.

Dans un des derniers envois d’aide américaine aux groupes armés évoluant en Syrie, des avions-cargos américains ont largué dimanche pour la première fois des munitions d’armes légères aux combattants arabes syriens en lutte contre l’État Islamique, a déclaré lundi un porte-parole militaire, le colonel Steve Warren.

Il a refusé d’identifier les groupes ou leurs emplacements, mettant en avant la sécurité opérationnelle, mais a indiqué que des responsables américains les avaient contrôlés. Les destinataires probables étaient une coalition de groupes kurdes et arabes qui étaient aux prises avec des combattants de l’État Islamique dans le nord la Syrie aux côtés des milices kurdes, qui se fait appeler désormais la Coalition Arabe Syrienne.

Les troupes gouvernementales syriennes ont progressé lundi vers une autoroute d’importance stratégique tenue par les insurgés, en prenant plusieurs villages dans la province de Hama avec l’aide de frappes aériennes russes, selon les médias officiels syriens et russes, des activistes anti-gouvernementaux et des combattants.

Mais les lignes de front sont restées fortement disputées, selon les militants, chaque partie faisant large usage de ses nouvelles armes.

Anne Barnard témoignait depuis Beyrouth, et Karam Shoumali d’Istanbul. Maher Samaan a contribué à la rédaction depuis Beyrouth, et Eric Schmitt depuis Washington.

Source : The New York Times, le 13/10/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/larmement-americain-transforme-la-syrie-en-champ-de-bataille-par-procuration-avec-la-russie-par-anne-barnard-et-karam-shoumali/


Crédit Mutuel, Censure, TAFTA : Guerre contre le journalisme ?, par Thinkerview

Friday 6 November 2015 at 05:08

Interview par l’excellente chaine Youtube Thinkerview de Jean-Pierre Canet et Nicolas Vescovacci ; ils sont rédacteur en chef / journaliste du documentaire sur le Crédit mutuel dont la diffusion sur Canal+ a été censurée par Vincent Bolloré.

Source: http://www.les-crises.fr/credit-mutuel-censure-tafta-guerre-contre-le-journalisme/


Pièces à convictions : Enquête sur le Crédit Mutuel

Friday 6 November 2015 at 03:08

On peut enfin voir l’enquête sur le Crédit mutuel, et c’est pas grâce à Bolloré

Source : Richard Sénéjoux, pour Télérama, le 7 octobre 2015.

Avec Bolloré, c'est Canal moins d'investigation.

Si le film “Evasion fiscale, enquête sur le Crédit mutuel” est diffusé à la télévision, c’est grâce à France 3 qui a tenu bon face à Vincent Bolloré. Car l’industriel, lui, l’avait interdit sur Canal+. Merci le service public.

Tout commence par un coup de fil. Début mai, le président du conseil de surveil­lance de Vivendi, Vincent Bolloré, qui n’a pas encore entamé la purge que l’on sait à Canal+, appelle le directeur de la chaîne, Rodolphe Belmer. Il exige la déprogrammation d’un documentaire sur le Crédit mutuel, dont la diffusion est prévue le 18 mai dans le cadre de Spécial investigation. Sans aucune explication. Le magazine Society puis Mediapart révéleront par la suite que la banque est un partenaire financier important du groupe Bolloré.

Une censure directe et brutale

Le film Evasion fiscale, enquête sur le Crédit mutuel a pourtant été validé par le comité éditorial de la chaîne cryptée, puis par la direction juridique. Sa diffusion est annoncée dans les gazettes, dont Télérama. Les équipes de Spécial investigation, qui l’ont commandé à la société de production Zodiak, ne sont au courant de rien. On a affaire à une censure directe et brutale. « A l’ancienne », dit-on chez le producteur, où on n’en revient pas. Outrée par le procédé, Zodiak décide pourtant de ne pas ébruiter l’affaire. La priorité ? « Sauver le film », c’est-à-dire lui trouver un autre diffuseur. France 3 se dit intéressée. Mais pour ça, il faut que Canal+ libère les droits — ce que s’évertuera à faire Rodolphe Belmer jusqu’à son éviction, début juillet.

A qui appartient le film ?

C’est le point central de l’affaire : à qui appartient le film ? Un pré-accord a bien été passé entre le producteur et Canal+. Mais aucun euro n’a été versé, ce qui peut être vu comme une forme de désengagement. L’un des patrons de Zodiak, Renaud Le Van Kim, le signifiera par écrit à France Télévisions : le documentaire est bien libre de droits. A France 3, on décide de le programmer à la rentrée, dans la case de Pièces à conviction. Et on part en vacances.

Coup de théâtre début septembre

France Télévisions reçoit une nouvelle lettre de Zodiak (dont Renaud Le Van Kim a entre-temps été démissionné), qui dit… exactement l’inverse de la précédente : les droits appartiennent à ­Canal+, donc impossible de vous livrer le film. Les raisons de ce revirement ? D’abord, le producteur travaille beaucoup avec Canal+, pour qui il coproduit par exemple la série événement Versailles, à l’antenne en novembre. Jamais bon de fâcher un gros client. Surtout, quelques jours avant ce dernier courrier, Vivendi a pris des parts dans la maison mère de Zodiak, Banijay. Vous voyez le tableau : après avoir interdit d’antenne le documentaire sur Canal+, Vincent Bolloré voudrait profiter de cette (nouvelle) casquette pour empêcher sa diffusion sur France 3 ! Dans les hautes sphères de France Télévisions, on s’interroge. C’est vrai, il y a un risque juridique. Mais la nouvelle patronne du service public, Delphine Ernotte, tient bon et maintient la diffusion. Elle l’annonce même publiquement, sur les ondes de France Inter. En tout début de mandat, elle joue sa crédibilité. Belle mission de service (et de salubrité) public.

Informer va-t-il devenir un délit dans le groupe Canal ?

En revanche, on est franchement inquiet pour l’avenir de l’enquête journalistique sur Canal+. Outre la censure Crédit mutuel, un reportage sur l’Olympique de Marseille a été retiré du site de replay de la chaîne, MyCanal. Un documentaire inédit sur François Hollande et Nicolas Sarkozy avait été déprogrammé sans motif, avant d’être reprogrammé sans plus d’explications. Un autre sur BNP-Paribas, autre partenaire financier de Bolloré, a été gelé. Les équipes de Spécial investigation pensent que leurs jours sont comptés. Avec les multiples intérêts de Vincent Bolloré (énergie, gestion de ports en Afrique, transport, plantations, logistique, batteries et voitures électriques, publicité, médias…), c’est l’indépendance éditoriale de tout le groupe Canal+, propriétaire aussi d’i>Télé, qui est menacée. Le collectif « Informer n’est pas un délit » s’est mobilisé pour interpeller le CSA et les pouvoirs publics.

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P.S. : ce documentaire a été diffusé le 7 octobre.

Le 16 octobre, le mandat du sympathique Michel Lucas, qui a traité les lanceurs d’alerte de “racketteurs”, et qui est accusé dans le reportage d’avoir fait censurer ce documentaire sur Canal Plus, a été renouvelé pour 5 ans…

Plus c’est gros, plus ça passe…

Source: http://www.les-crises.fr/pieces-a-convictions-enquete-sur-le-credit-mutuel/


Revue de presse internationale du 06/11/2015

Friday 6 November 2015 at 00:01

Une revue internationale bien variée avec encore plusieurs articles en version française. Merci à nos contributeurs.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-06112015/