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Quand Paris et Londres redessinaient le Moyen-Orient

Sunday 29 November 2015 at 04:16

Source : Pierre Haski, rue89.nouvelobs, 28/06/2014

Gravure de Mossoul, en Mésopotamie, au XIXe siècle : fin de partie pour le Moyen-Orient dessiné par le traité Sykes-Picot ? – ABECASIS/SIPA

C’est une page d’histoire vieille d’un siècle qui est en train de se refermer progressivement, dans les fracas de la guerre. En 1916, en plein conflit mondial et dans le plus grand secret, Français et Britanniques redessinaient la carte du Moyen-Orient post-ottoman en s’attribuant des zones d’influence : ce sont les célèbres accords Sykes-Picot que les convulsions actuelles de l’Irak menacent, de facto, de détruire.

Sykes-Picot : ces noms reviennent si souvent dans les discours sur le Moyen-Orient depuis un siècle qu’on en oublie les personnages et les circonstances qui les ont inscrits dans l’Histoire.

En 1916, l’Empire ottoman finissant est l’allié de l’Allemagne, et les alliés français et britanniques, les deux principales puissances coloniales, rivaux historiques mais engagés ensemble dans la « grande guerre », pensent déjà à se partager les dépouilles alléchantes de la Sublime Porte.

Le Moyen-Orient au XIXe siècle : l’Empire ottoman règne en maître – Atlas géopolitique du Moyen-Orient et du monde arabe, éd. Complexe, 1993

Rappel historique utile, tiré de l’Atlas géopolitique du Moyen-Orient et du monde arabe, sous la direction de Philippe Lemarchand, dont sont extraites ces cartes :

« Du XVIe au XIXe siècle, l’Empire ottoman contrôla, de la Grèce au Levant et à l’Algérie, la majeure partie du bassin méditerranéen. Devenu l’“homme malade de l’Europe” aux débuts de l’expansion coloniale, l’Empire, qui contrôlait de plus en plus mal ses provinces lointaines, fut progressivement dépecé par les puissances. »

François Georges-Picot et Mark Sykes

Deux hommes laisseront leur nom à ce remodelage de la carte :

François Georges-Picot vu par L’Illustration au début du XXe siècle – Wikimedia Commons/CC

Il était membre du « parti colonial », ce comité de notables et d’élus français de tous les bords qui se donnait pour mission d’influencer les décisions politiques dans le sens de l’expansion (et par ailleurs, pour la petite histoire, grand-oncle de Valéry Giscard d’Estaing…) ;

Il négocie les accords secrets sur le Moyen-Orient au nom du ministère des Affaires étrangères, et sera par la suite haut-commissaire en Palestine et en Syrie (il était partisan déclaré d’une grande Syrie allant de l’actuel Liban jusqu’à Mossoul, dans le nord de l’Irak, évidemment sous contrôle français). Il sera ensuite ambassadeur en … Argentine !

Mark Sykes en 1918, un an avant sa mort de la grippe espagnole – Via Wikipédia

Cet aristocrate anglais a participé à la guerre des Boers, au tournant du siècle, opposant l’armée britannique aux descendants de colons néerlandais pour le contrôle de l’Afrique du Sud, avant de se tourner vers le Moyen-Orient. Il visite en particulier à deux reprises le Kurdistan avant le début de la Première guerre mondiale.

Pendant la guerre, il est rattaché au War Office britannique, au nom duquel il négocia les accords secrets avec la France. On lui attribue un rôle dans la déclaration Balfour qui garantissait un « foyer national » aux juifs, mais aussi, selon l’historien israélien Tom Segev, une déclaration de mépris vis-à-vis des juifs dans un courrier adressé au futur roi Fayçal d’Irak…

Il mourra à l’age de 40 ans, en 1919 à Paris où il participait aux négociations de paix, victime de l’épidémie de grippe espagnole qui fit des millions de victimes. Son corps fut exhumé, avec l’accord de sa famille, en 2008, dans l’espoir de récupérer à des fins scientifiques des informations sur ce virus.

Les accords secrets franco-britanniques

L’état d’esprit concernant le futur Moyen-Orient est parfaitement résumé dans un article du Monde diplomatique de 2003, par Henry Laurens, professeur au Collège de France et grand connaisseur de l’histoire de cette région :

« Un certain nombre d’esprits romantiques du Caire, dont le plus célèbre sera T.E. Lawrence, le futur Lawrence d’Arabie, misent sur une renaissance arabe qui, fondée sur l’authenticité bédouine, se substituerait à la corruption ottomane et au levantinisme francophone.

Ces Bédouins, commandés par les fils de Hussein, les princes de la dynastie hachémite, accepteront naturellement une tutelle britannique “bienveillante”. Londres leur promet bien une “Arabie” indépendante, mais par rapport aux Ottomans.

De leur côté, les Français veulent étendre leur “France du Levant ‘ à l’intérieur des terres et construire ainsi une grande Syrie francophone, francophile et sous leur tutelle.’

Français et Britanniques ont un intérêt commun à rallier à leur camp les tribus arabes, pour les retourner contre les Ottomans. Mais tout en leur faisant de grandes promesses, ils négocient secrètement, derrière leur dos, leurs futurs zones d’influence.

Mark Sykes et François Georges-Picot s’y attellent pendant plusieurs mois de négociation difficile, pour aboutir en 1916 à la signature d’un accord signé par l’ambassadeur de France à Londres, Paul Cambon, et le secrétaire au Foreign Office, Edward Grey.

‘Les prétentions de Picot sont absurdes’

Fin 1915, toutefois, comme le raconte Jeremy Wilson, auteur d’une formidable biographie de Lawrence d’Arabie (éd. Denoël, 1994), un négociateur britannique résume l’impasse dans un mémorandum :

‘Ainsi que vous le verrez, les choses ne démarrent pas très favorablement, ce qui n’est pas très surprenant avec Picot comme représentant français. Les prétentions de Picot sont absurdes et ses arguments valent pratiquement zéro’.”

Dans ce choc des puissances coloniales, plus habituées à se combattre depuis des siècles qu’à coopérer, le personnage de François Georges-Picot cristallise les ambitions contradictoires. Le 10 décembre 1915, un négociateur britannique écrit à son ministère :

“Le choix de Picot pour les représenter est une indication décourageante de l’attitude des Français. Sur la question syrienne, Picot est un fanatique notoire et il est absolument incapable de participer à un règlement mutuel sur la base du sens commun raisonnable qu’exige la situation actuelle.”

Les Britanniques redoutent que l’affichage des ambitions françaises sur la Syrie, incarnées par François Georges-Picot, ne rendent plus difficile le soulèvement des tribus arabes contre l’Empire ottoman auquel s’active Lawrence d’Arabie. Ils ont appris qu’un diplomate français en poste au Caire a déclaré à un notable arabe de Damas que le gouvernement français n’accepterait jamais que la Syrie fasse partie d’un empire arabe.

Ce diplomate, selon Londres, aurait annoncé la couleur :

“La Syrie sera sous le protectorat de la France et nous enverrons bientôt une armée pour l’occuper.”

Un accord de circonstances

Quelques mois plus tard, néanmoins, l’accord se fait entre Sykes et Georges-Picot, ratifié par les deux gouvernements qui font passer leur intérêt à gagner la guerre en Europe avant leurs rivalités au Moyen-Orient. D’autant que, selon Jeremy Wilson, les Britanniques se disent que cet accord a toutes les chances de ne pas être appliqué…

Les conclusions résumées par Henry Laurens :

La “ligne Sykes-Picot” telle qu’elle apparaît sur un document britannique de 1916 – FP PHOTO/THE NATIONAL ARCHIVES UK

Ces conclusions sont néanmoins tenues secrètes, y compris au sein des deux administrations, française et britannique, et auprès de leurs alliés au Moyen-Orient maintenus dans l’illusion que Londres s’opposera aux visées françaises. En particulier le chérif Hussein, émir de La Mecque, dont ils espèrent le soulèvement.

“L’hostilité du chérif à toute influence française”

Lawrence d’Arabie – Sipa

Les termes du dilemme britanniques sont ainsi exposés au Foreign Office :

“Faysal [fils d’Hussein et futur roi d’Irak, ndlr] se propose d’opérer dans une zone que nous avons définitivement laissée à la France. Si l’on songe à l’hostilité déclarée du chérif à toute influence française, comment pouvons-nous justifier notre action devant les Français si nous introduisons dans leur zone une force qui, inévitablement, s’opposera à leurs objectifs ?”

Lawrence d’Arabie décide alors de révéler la teneur des accords Sykes-Picot à Faysal, de sa propre initiative comme il le fera à plusieurs reprises dans son épopée. Son biographe, Jeremy Wilson explique :

“Tôt ou tard, la vérité se ferait jour, et, s’il mentait, ses relations avec Faysal seraient constamment en péril. De plus, il serait particulièrement difficile de tromper un homme tel que lui. [...]

La connaissance des clauses du traité Sykes-Picot amena un changement fondamental des plans de Faysal. Désormais, il savait qu’il était vital pour la cause arabe qu’il s’emparât de Damas, Homs, Hama et Alep, les quatre cités énumérées dans les clauses du traité Sykes-Picot.

La décision de dévoiler ce renseignement secret à Faysal ne dut pas être facile à prendre, car les conséquences auraient pu en fait en être très sérieuses. Lawrence fut probablement influencé par sa certitude que Faysal serait le chef arabe le plus étroitement impliqué dans les affaires syriennes. La franchise était la seule démarche réaliste, et, à la longue c’était certainement elle qui servirait le mieux les intérêts britanniques.”

L’histoire bascule à Mossoul

La carte des indépendances au Proche et Moyen-Orient – Atlas géopolitique du Moyen-Orient et du monde arabe, éd. Complexe, 1993

On connaît la suite. L’Empire ottoman perdit la guerre et disparut, la France et le Royaume-Uni furent un temps les deux puissances coloniales dominantes, avec une modification de taille par rapport à la carte initiale, puisque la région de Mossoul (et son pétrole…), qui devait être rattachée à la Syrie française, fut finalement intégrée à la Mésopotamie britannique qui devait devenir l’Irak.

Et c’est à Mossoul que l’Armée islamique d’Irak et du Levant (EIIL), avec son raid surprise le 6 juin dernier, a proclamé sa volonté de détruire l’ordre post-colonial. Ce vieux rêve auquel se sont heurtés pendant des décennies le nationalisme arabe et le panarabisme, est aujourd’hui incarné par les djihadistes, avec de surcroît le prisme de leur conflit ancestral avec les shiites.

Le Proche et le Moyen-Orient n’en finissent pas de payer les conséquences du dépeçage de l’Empire ottoman par des puissances voraces et prédatrices, qui ont laissé, à force de duplicité et de conflits d’intérêts, des bombes à retardement en Palestine, au Liban, en Syrie, en Irak ou dans la péninsule arabe.

Les guerres fratricides d’Irak peuvent nous sembler bien lointaines et déconnectées de nous ; elles sont pourtant toujours reliées à une histoire dans laquelle la France et la Grande-Bretagne assument une sacrée responsabilité.

Source : rue89.nouvelobs, 28/06/2014

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Accords Sykes-Picot. (9 et 16 mai 1916.)

Source : mip.univ, Jean Pierre Maury, 2011

 Pendant la Grande Guerre, la France et la Grande-Bretagne conclurent des accords organisant le partage de l’empire Ottoman ; la Russie et l’Italie devaient être associées au partage des dépouilles. En ce qui concerne le Proche-Orient arabe, c’est le gouvernement d’Aristide Briand qui conclut un accord par un échange de lettres entre l’ambassadeur Paul Cambon (9 mai 1916) et le secrétaire d’état britannique, qui confirme son accord le 16 mai.
Ces accords ne purent s’appliquer complètement par suite de la Révolution russe, puis de la prise de pouvoir par Mustapha Kémal qui obtint l’établissement d’un État national turc. Les accords Sykes-Picot permirent cependant le partage des régions de peuplement arabe entre la France (Syrie et Liban) et la Grande-Bretagne (création de deux royaumes arabes, Irak et Jordanie, pour la dynastie hachémite chassée de La Mecque), tandis que la zone brune devient la Palestine du Mandat, dans laquelle les Britanniques créent un foyer national juif, conformément à la promesse faite, par l’intermédiaire de Lord Rothschild, au mouvement sioniste (voir la Déclaration Balfour).

Source : Document dactylographié original publié par le ministère français des affaires étrangères. Par suite d’une erreur, le document ne propose pas la page 5 de l’accord, que nous avons dû compléter. Le document, trouvé dans les archives du gouvernement russe, a été publié initialement par le gouvernement bolchevik, pour dénoncer la politique impérialiste des Français et des Britanniques.
Source de la carte illustrant les accords (il ne s’agit pas de la carte d’origine) : Commons.wikimedia.


Lettre de Paul Cambon, ambassadeur de France à Londres,

à Son Excellence Sir Edward Grey, secrétaire d’État britannique aux affaires étrangères

9 Mai 1916.

Monsieur le secrétaire d’État,

Désireux d’entrer dans les vues du Gouvernement du Roi et de chercher à détacher les Arabes des Turcs en facilitant la création d’un État ou d’une confédération d’États arabes, le Gouvernement de la République avait accepté l’invitation qui lui avait été adressée par le cabinet britannique en vue de fixer les limites de cet État et des régions syriennes où les intérêts français sont prédominants.

A la suite des conférences qui ont eu lieu à ce sujet à Londres et des pourparlers qui se sont poursuivis à Pétrograd un accord s’est établi. J’ai été chargé de faire connaître à Votre Excellence que le Gouvernement français accepte les limites telles qu’elles ont été fixées sur les cartes signées par Sir Mark Sykes et M. Georges Picot, ainsi que les conditions diverses formulées au cours de ces discussions.

Il demeure donc entendu que :

1. La France et la Grande-Bretagne sont disposées à reconnaître et à soutenir un État arabe indépendant ou une confédération d’États arabes dans les zones (A) et (B) indiquées sur la carte ci-jointe, sous la suzeraineté d’un chef arabe. Dans la zone (A), la France, et, dans la zone (B), la Grande-Bretagne, auront un droit de priorité sur les entreprises et les emprunts locaux. Dans la zone (A), la France et dans la zone (B) la Grande-Bretagne, seront seules à fournir des conseillers ou des fonctionnaires étrangers à la demande de l’État arabe ou de la Confédération d’États arabes.

2. Dans la zone bleue la France, et dans la zone rouge la Grande-Bretagne, seront autorisées à établir telle administration directe ou indirecte ou tel contrôle qu’elles désirent, et qu’elles jugeront convenable d’établir, après entente avec l’État oula Confédération d’États arabes.

3. Dans la zone brune sera établie une administration internationale dont la forme devra être décidée après consultation avec la Russie, et ensuite d’accord avec les autres alliés et les représentants du chérif de la Mecque.

4. Il sera accordé à la Grande-Bretagne, (1) les ports de Caifa et d’Acre ; (2) la garantie d’une quantité définie d’eau du Tigre et de l’Euphrate dans la zone (a) pour la zone (b). Le Gouvernement de Sa Majesté de son côté s’engage à n’entreprendre à aucun moment des négociations en vue de la cession de Chypre à une tierce Puissance sans le consentement préalable du Gouvernement français.

5. Alexandrette sera un port franc en ce qui concerne l’Empire britannique et il ne sera pas établi de droits de ports, ni d’avantages particuliers refusés à la Marine et aux marchandises anglaises ; il y aura libre transit pour les marchandises anglaises par Alexandrette et par chemin de fer à travers la zone bleue que ces marchandises soient destinées à la zone rouge, la zone (B), la zone (A) ou en proviennent ; et aucune différence ne sera établie (directement ou indirectement) au dépens des marchandises anglaises sur quelque chemin de fer que ce soit, comme au dépens de marchandises ou de navires anglais dans tout port desservant les zones mentionnées.

Caifa sera un port franc en ce qui concerne le commerce de la France, de ses colonies et de ses protectorats et il n’y aura ni différence de traitement ni avantage dans les dans les droits de port qui puisse être refusé à la Marine ou aux marchandises françaises. Il y aura libre transit pour les marchandises françaises par Caifa et par le chemin de fer anglais à travers la zone brune que ces marchandises soient en provenance ou à destination de la zone bleue, de la zone (a) ou de la zone (b) et il n’y aura aucune différence de traitement directe ou indirecte au dépens des marchandises françaises sur quelque chemin de fer que ce soit, comme au dépens des marchandises ou des navires français dans quelque port que ce soit desservant les zones mentionnées.

6. Dans la zone (A) le chemin de fer de Bagdad ne sera pas prolongé vers le sud au-delà de Mossoul, et dans la zone (B) vers le nord au-delà de Samarra, jusqu’à ce qu’un chemin de fer reliant Bagdad à Alep dans la vallée de l’Euphrate ait été terminé et cela seulement avec concours des deux gouvernements.

7. La Grande-Bretagne aura le droit de construire, d’administrer et d’être seule propriétaire d’un chemin de fer reliant Caifa avec la zone (B). Elle aura en outre un droit perpétuel de transporter ses troupes, en tout temps le long de cette ligne. Il doit être entendu par les deux gouvernements que ce chemin de fer doit faciliter la jonction de Bagdad et de Caifa et il est de plus entendu que si les difficultés techniques et les dépenses encourues pour l’entretien de cette ligne de jonction dans la zone brune en rendent l’exécution impraticable, le Gouvernement français sera disposé à envisager que la dite ligne puisse traverser le polygone Barries-Keis Maril-Silbrad-Tel Hotsda-Mesuire avant d’atteindre la zone (B). [voir note]

8. Pour une période de 20 ans les tarifs douaniers turcs resteront en vigueur dans toute l’étendue des zones bleue et rouge aussi bien que dans les zones (a) et (b) et aucune augmentation dans le taux des droits ou changement des droits “ad valorem” en droits spécifiques ne pourra être faite si ce n’est avec le consentement des deux Puissances.

Il n’y aura pas de douanes intérieures entre aucune des zones ci-dessus mentionnées. Les droits de douanes prélevables sur les marchandises destinées à l’intérieur seront exigés aux ports d’entrée et transmis à l’administration de la zone destinataire.

9. Il sera entendu que le Gouvernement français n’entreprendra, à aucun moment, aucune négociation pour la cession de ses droits, et ne cédera les droits qu’il possèdera dans la zone bleue à aucune tierce Puissance, si ce n’est l’État ou la Confédération d’États arabes, sans l’agrément préalable du Gouvernement de Sa Majesté, qui, de son côté, donnera une assurance semblable au Gouvernement français en ce qui concerne la zone rouge.

10. Les gouvernements anglais et français, en tant que protecteurs de l’État arabe, se mettront d’accord pour ne pas acquérir, et ne consentiront pas à ce qu’une tierce Puissance acquière de possessions territoriales dans la Péninsule arabique, ou construise une base navale dans les îles sur la côte est de la mer Rouge. Ceci n’empêchera pas telle rectification de la frontière d’Aden qui pourra être jugée nécessaire, par suite de la récente agression des Turcs.

11. Les négociations avec les Arabes pour les frontières de l’État ou de la Confédération d’États arabes continueront, par les mêmes voies que précédemment, au nom des deux puissances.

12. Il est convenu que des mesures de contrôle des importations d’armes dans les territoires arabes seront prises par les deux gouvernements.

Source de la carte illustrant les accords (il ne s’agit pas de la carte d’origine) : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sykes_picot.jpg

Note : Le texte anglais mentionne à l’alinéa 7 : Banias, Keis Marib, Salkhad Tell Otsda, Mesmie 


Pour obtenir davantage d’informations sur le pays et sur le texte ci-dessus,
voir la fiche Syrie.

Source : mip.univ, Jean Pierre Maury, 2011

Source: http://www.les-crises.fr/quand-paris-et-londres-refaisaient-le-moyen-orient-sur-le-dos-des-arabes/


[Histoire] Quand la Syrie était administrée par la France

Sunday 29 November 2015 at 03:30

Source : geopolis.francetvinfo, 03/09/2013

Défilé de l’indépendance. Damas 30 avril 1946. L’indépendance syrienne est devenue effective le 17 avril. AFP

La France a un rapport historique «privilégié» avec la Syrie. Le pays a en effet été administré par la France, désignée puissance mandataire par la SDN (l’ONU de l’époque) de 1920 à 1946. Une présence qui a laissé des traces.

Avant la guerre de 1914, le territoire syrien était une des provinces de l’empire ottoman. Lors de la première guerre mondiale, les Turcs choisissent le camp de l’Allemagne et l’est de l’empire, qui s’étend jusqu’à l’Egypte devient un champ de bataille où s’opposent Turcs et Anglais, avec le soutien de nationalistes arabes.

Anglais et Français n’attendent pas la fin de la guerre pour se partager, dès 1916, les dépouilles de l’empire turc, sur la base des accords Sykes-Picot. Ces accords secrets – qui vont à l’encontre des ambitions arabes, symbolisées par la lutte de Lawrence d’Arabie – dessinent le partage du monde arabe entre Anglais et Français. Alors que les Britanniques s’attribuent la Palestine et l’Irak les Français obtiennent ce qui sera plus tard le Liban, la Syrie et le sud-est de la Turquie actuelle.

La bataille de Khan Mayssaloun
Les traités internationaux de 1920 confirment plus ou moins le plan de partage et la tutelle française sur la zone Liban-Syrie, malgré l’opposition des nationalistes arabes, qui débarassés de la tutelle turque avaient cru aux promesses d’indépendance des Britanniques. Officiellement, le mandat français sur la Syrie a pour but d’amener celle-ci à l’indépendance. L’indépendance justement, les Syriens y croient et font tout pour la mettre en oeuvre dès 1918 se dotant d’une monarchie constitutionnelle. En vain : les Français s’installent.

Le général Gouraud, haut-commissaire de la France au Levant, écrase en 1920 l’embryon d’armée syrienne, issue du rêve nationaliste arabe, à la bataille de Khan Mayssaloun. Face à l’attitude syrienne, le général Gouraud menace : «Par un sentiment d’humanité commun à tous les Français, je n’ai pas l’intention d’employer les avions contre les populations sans armes, mais à la condition qu’aucun Français, aucun chrétien ne soit massacré. Des massacres, s’ils avaient lieu, seraient suivis de terribles représailles par la voie des airs ». Il faut environ trois ans aux Français pour contrôler le pays.

L’administration française restructure le territoire qu’elle occupe avec la création d’un Etat du grand Liban, l’Etat d’Alep et l’Etat de Damas, sans compter un Etat autonome alaouite et un Etat autonome druze… Un peu plus tard, les Français instituent une Fédération syrienne et en instaurent Damas comme capitale, après avoir hésité avec sa concurrente Alep, comme le rappelle l’historienne Julie D’Andurain. L’appartenance communautaire et religieuse est encouragée par la France. Elle voit sa concrétisation dans l’organisation du Liban. «La France perpétue et renforce le communautarisme et le confessionnalisme dans la région. Le Liban est finalement séparé de la Syrie et l’indépendance du pays vis-à-vis de la Syrie est proclamée le 1er septembre 1920», note l’historienne Nadia Hamour.

Détenus druzes. © PHOTO12

En 1925, une insurrection éclate dans la Syrie mandataire, à partir du pays druze. La révolte a gagné une partie du pays et la repression est parfois brutale. A l’assemblée nationale le député communiste Jacques Duclos s’emporte : “Quel est l’exploit principal du général Sarrail ? [Haut-commissaire en Syrie, NDLR] Le bombardement de Damas. (…) jamais n’est apparue de façon plus éclatante la brutalité de la colonisation». A l’issue de cette «Grande Révolte syrienne» (1925-1926), Paris mène une politique plus libérale dans un contexte de modernisation et de développement économique de la région.

En France, l’arrivée au pouvoir du Front populaire en 1936 permet des négociations entre nationalistes syriens et Paris qui débouchent sur un accord donnant l’indépendance à la Syrie dans un délai de cinq ans. L’accord est cependant mort-né en raison de l’obstruction du parlement français et de l’arrivée de la guerre en Europe.

Catroux : «Je viens mettre fin au régime du mandat»
En 1939, le territoire mandataire est amputé de la région d’Alexandrette, cédée au gouvernement turc pour faciliter sa neutralité dans la guerre à venir. Une amputation dont se plaignent toujours les Syriens.

En 1941, les Forces françaises libres, aidées des Anglais, se rendent maîtres de la région, qui était entre les mains des «vichystes». Le général Catroux, commandant des troupes françaises du Levant, et représentant de la France libre, évoque l’indépendance du pays le 1er juin 1941 : « Je viens mettre fin au régime du mandat et vous proclame libres et indépendants, et vous pourrez soit vous constituer en Etats séparés, soit vous unir en un seul Etat. Votre statut souverain sera garanti par un traité dans lequel seront définies nos relations réciproques».

Mais sur le terrain, les affaires ne sont pas si simples : le Liban se dote d’un président en novembre 1943, Bechara el-Khoury,mais celui-ci est arrêté par les Français. Les Anglais interviennent et font libérer les détenus. L’indépendance officielle est programmée pour le 1er janvier 1944.

De Gaulle (à droite) à Beyrouth en 1941 avec le président libanais (au centre) et le représentant britannique (à gauche). © AFP

Sur le reste du territoire mandataire, la Syrie d’aujourd’hui, l’indépendance promise se heurte aux exigences françaises. Face aux revendications syriennes, le 29 mai 1945, la France bombarde Damas faisant des centaines de victimes. Les Anglais interviennent. Malgré la colère de De Gaulle, les Français doivent céder et stopper toute activité militaire.C’est le départ des Français de Damas, le 17 avril 1946, qui donne à la Syrie, premier pays à devenir indépendant à l’issue de la seconde guerre mondiale, la date de sa fête nationale. Un symbole par rapport à la France.
La présence française en Syrie n’a rien à voir avec la colonisation du Maghreb, le nombre de Français sur place ayant toujours été extrèmement faible. Mais, «lorsqu’aujourd’hui le pouvoir syrien brandit l’épouvantail de la division fomentée par l’étranger, ce n’est pas complètement théorique puisque le mandat français a morcelé le pays, encouragé les mouvements régionalistes, imaginé plusieurs Etats, éphémères, sur des bases ethniques (Alaouites, Djebel druze); et surtout créé le Liban, littéralement séparé de la Syrie. Lorsque Bachar el-Assad évoque le risque du chaos, c’est aussi cette mémoire collective qu’il titille» note Ariane Bonzon.
Rencontre Assad-Sarkozy en 2008
Depuis l’indépendance en 1946, les relations entre les deux parties ont connu des hauts et des bas.Lors de la crise du canal de Suez en 1956 , Damas avait rompu avec Paris. Les relations sont rétablies en 1961, puis se gâtent de nouveau lors de la guerre civile au Liban. La France approuve tout d’abord l’intervention syrienne dans le cadre de la Force arabe de dissuasion en 1976. L’ambassadeur de France au Liban, Louis Delamare, est assassiné le 4 septembre 1981 et les soupçons se dirigent vers la Syrie.Plus récemment, l’assassinat du premier ministre libanais Rafik Hariri en 2005 provoque une rupture entre Jacques Chirac et le clan Assad (Bachar el-Assad a succédé à son père Hafez en 2000). Les relations se réchauffent avec Nicolas Sarkozy qui tente un temps de jouer la carte de la Syrie dans la politique proche-orientale. Un réchauffement de courte durée.
Source : geopolis.francetvinfo, 03/09/2013

Source : wikipedia

Quand la France régnait sur la Syrie

Source : slateAriane Bonzon,

Le général Gouraud inspecte les troupes à cheval à Maysalun, le 24 juillet 1920 / domaine public via Wikimedia Commons

Il y a 91 ans, le 25 juillet 1920, l’armée française entre à Damas. Munie d’un mandat de la Société des Nations, elle doit conduire la Syrie à l’autodétermination et veiller à l’intégrité du territoire. Mais c’est au morcellement du pays qu’elle va procéder. Et les Syriens s’en souviennent…

CE QU’ILS PENSENT DE LA FRANCE? Faruk résume parfaitement l’état d’esprit de ces jeunes Syriens qui manifestent courageusement depuis le mois de mars:

«Mon grand-père était fier de s’être débarrassé des Français, d’avoir fait la révolution et d’avoir gagné l’indépendance; mon père, lui, était reconnaissant à la France d’avoir influencé les lois et la Constitution. J’ai grandi avec ces deux discours-là: le premier à l’école, le second à la maison. Alors, aujourd’hui quand Bachar el-Assad agite l’épouvantail extérieur, le risque de chaos, et ranime discrètement le souvenir du mandat français, c’est complètement artificiel et à côté de la plaque. Nous, ce qui nous préoccupe, c’est le chômage et la démocratisation de notre pays, l’ennemi c’est le régime syrien, d’abord et avant tout.»

La Première Guerre mondiale vient de s’achever. Les vainqueurs se partagent les dépouilles de l’empire ottoman. Aux Britanniques, reviennent la Palestine et l’Irak; aux Français, le Mont Liban et la Syrie.

Dans un premier temps, la population syrienne est plutôt enthousiaste d’en avoir fini avec le joug ottoman et le mandat que la Société des Nations confie à Paris en avril 1920 est plutôt rassurant: la France «est chargée de  mener la Syrie à l’autodétermination politique, c’est-à-dire à l’indépendance,  dans les plus brefs délais  et de protéger son intégralité territoriale», décrit Christian Velud, maître de conférences en Histoire à l’Institut d’Etudes politiques de Lyon.

L’Occident sûr de son bon droit

Mais dès juillet de la même année, c’est bien de «l’instauration musclée d’une pax francorum» qu’il convient de parler. L’armée française, avec à sa tête le général Gouraud, anéantit sans difficulté la résistance héroïque des troupes syriennes à Maysalun, puis pénètre à Damas. Elle y restera vingt-six ans.

«Ce début dramatique de l’expérience mandataire française en Syrie allait faire figure de symbole. Pour les foules arabes, la prise de Damas, tout à la fois cité millénaire, ville impériale, sanctuaire et gardienne de l’identité arabe, cause une immense émotion. Pour les Français, c’est une revanche, celle d’un Occident chrétien sûr de son bon droit au lendemain de la Première Guerre mondiale», analyse Christian Velud.

Jeune officier des renseignements français à Damas en 1929, Pierre Rondot (le père de Philippe), fait un jour remarquer à l’un de ses supérieurs qu’«en acceptant d’être mandataire de la SDN au Levant, la France a (…) renoncé à (…) l’usage souverain de la force, et accepté d’accomplir une tâche d’éducation politique. De ce fait, si le peuple syrien n’accepte qu’à contrecoeur d’être l’objet de cette mission, ne sommes-nous pas dans une impasse?» Réponse résumée de son interlocuteur, le général Vallier: «Vous avez raison mais il faut crâner.» (Syrie 1929, itinéraire d’un officier in Damas, revue Autrement, 1993).

La «faute originelle»

Il  sera souvent reproché aux Français d’avoir tenté d’exporter en Syrie le modèle de ses protectorats tunisien et marocain. Mais pour autant, les Syriens ne gardent pas de la colonisation française un souvenir traumatique analogue à celui  des Africains du Nord. Cela dit, «aujourd’hui encore lorsque les Syriens se positionnent vis-à-vis des Occidentaux, ils en reviennent à la politique mandataire et à la façon dont les Français ont favorisé les regroupements ethno-communautaires et prôné un découpage du territoire», explique Barah Mikaïl, directeur de recherches à Fride (Madrid).

Ancien diplomate en poste en  Syrie, Ignace Leverrier confirme:

«“Si on en est là aujourd’hui, c’est parce qu’on a été occupé et divisé”, voilà ce que disent certains Syriens. Le mandat français, c’est la faute originelle, en quelque sorte! Et en période de crise, l’argument ressort plus fort encore.» 

Faire allusion au  mandat français est évidemment d’actualité. Lorsqu’aujourd’hui le pouvoir syrien brandit l’épouvantail de la division fomentée par l’étranger, ce n’est pas complètement théorique puisque le mandat français a morcelé le pays, encouragé les mouvements régionalistes, imaginé plusieurs Etats, éphémères, sur des bases ethniques (Alaouites, Djebel druze); et surtout créé le Liban, littéralement séparé de la Syrie.  Lorsque Bachar el-Assad évoque le risque du chaos, c’est aussi cette mémoire collective qu’il titille.

Les trois reproches faits aux Français

«Mais pour l’essentiel, résume Christian Velud, les Syriens font trois reproches au Mandat français: de ne pas avoir ratifié le traité franco-syrien d’indépendance de 1936, d’avoir donné le Sandjak d’Alexandrette en 1939 aux Turcs en échange de la neutralité de ces derniers, et enfin les promesses d’indépendance non tenues des années 1940.»

Arrive 1945, l’affrontement entre Syriens et Français va conduire ces derniers à bombarder Damas et causer plusieurs centaines de morts. Et c’est le départ des Français, le 17 avril 1946, qui donne sa date à la fête nationale syrienne et conduit le pays à l’indépendance.

Pourtant, au cours d’un dîner ou d’une rencontre amicale, il n’est pas rare d’entendre des Syriens dire que les Français sont «partis trop tôt»! Car à partir de 1925, les civils français ont pris le pas sur les militaires pour administrer eux-mêmes le pays. Ils mènent une politique plus libérale, instaurent des élections libres, réforment le système judiciaire et introduisent la laïcité.

Mais ils quittent le pays avant que ces institutions soient réellement ancrées dans le pays. Alors, durant les périodes les plus autoritaires du régime, certains Syriens non sans humour et autodérision se prenaient parfois à regretter que le «travail n’ait pas été achevé».

S’il y a un point en tout cas sur lequel Bachar el-Assad est bien d’accord avec ses anciens protecteurs, quoiqu’il en dise, c’est celui-là:

«Pour son bonheur, le peuple syrien doit comprendre que s’il bouge, il sera de nouveau frappé. Ce peuple doit être mené comme un cheval bien dressé, qui portera son cavalier à merveille, mais si on lui cède à tort, le videra et ira se fracasser les membres dans le fossé…»

Des propos tenus par le dictateur syrien? Pas du tout! Ils sont signés d’un général français: Gaston Vallier, l’homme qui a mâté les insurgés de 1925.

Ariane Bonzon

Source : slateAriane Bonzon,

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A l’issue de la Grande Guerre, la France reçoit un mandat de la SDN, sur une partie des territoire soustraits à la domination ottomane, pour « faciliter le développement progressif de la Syrie et du Liban comme États indépendants ».

Dès 1920, le général Gouraud, haut-commissaire, crée et délimite quatre territoires : Grand Liban, Damas, Alep et État des Alaouites ; un peu plus tard, le 24 octobre 1922 est crée l’État du Djebel-Druze. Le Djebel-Druze et le Grand Liban refusent de se joindre à la Fédération des États autonomes de Syrie, qui regroupe alors les trois autres entités, mais est dissoute deux ans plus tard, à la demande des Alaouites ; et le 5 décembre 1924, la Syrie est constituée avec seulement les territoires de Damas et d’Alep, le Sandjak bénéficiant d’un Statut particulier.
Le 14 mai 1930, la Syrie est dotée d’une Constitution par la France. L’indépendance est obtenue à la faveur de la Guerre mondiale et de la défaite de la France. Elle est formellement proclamée par le général Catroux, au nom de la France libre, le 27 septembre 1941. Mais les Syriens commémorent plutôt le 17 avril 1946 (départ des dernières troupes françaises).
Après plusieurs coups d’État et plusieurs projets d’union avortés, dont la République arabe unie (avec l’Égypte) de 1958 à 1961, le parti Baas prend le pouvoir en 1963. C’est ensuite le général Hafez el-Assad qui s’installe au pouvoir en 1970 et qui gouverne le pays jusqu’à sa mort en 2000. Son fils Bachar lui succède. La Constitution du 13 mars 1973 fournit le cadre formel à l’exercice d’un pouvoir autoritaire dominé par la minorité alaouite.
A la suite du mouvement violent de contestation du régime qui se développe depuis l’hiver 2011, une nouvelle Constitution est approuvée par référendum le 26 février 2012. Le rôle dirigeant du parti Baas est aboli, et le principe du pluralisme politique est adopté. Mais le conflit se poursuit…
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Lien vers la constitution 2012 http://mjp.univ-perp.fr/constit/sy2012.htm
On citera quelques articles :

2-2. La souveraineté appartient au peuple. Aucun individu, aucun groupe ne peut l’exercer. Son principe est le gouvernement du peuple par le peuple.

3-3. L’État respecte toutes les opinions religieuses et garantit la liberté de pratiquer tous les rites pourvu qu’ils ne compromettent pas l’ordre public.

3-4. Le bien-être personnel et le statut des groupes religieux est respecté.

8-1. Le système politique est fondé sur le principe du pluralisme politique et le pouvoir est obtenu et exercé démocratiquement par le vote.

8-2. Les partis politiques autorisés et les groupes électoraux participent à la vie politique nationale et sont tenus de respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.

9. La Constitution garantit la préservation et la protection de la diversité culturelle de la société syrienne dans toutes ses composantes et ses ressources variées comme un patrimoine national qui renforce l’unité nationale dans le cadre de l’intégrité territoriale  de la République arabe syrienne.

22-1. L’État protège chaque citoyen et sa famille en cas d’urgence, de maladie, d’invalidité, d’orphelinage et de vieillesse.

22-2. L’État veille à la santé des citoyens et leur fournit les moyens de protection, les traitements et les médicaments.

23. L’État garantit aux femmes toutes les possibilités de participer pleinement et effectivement à la vie politique, sociale, culturelle et économique. L’Etat supprime les restrictions qui empêchent le développement des femmes et leur participation à la construction de la société.

26-1. Les fonctions publiques sont un devoir et un honneur. Elles visent à réaliser l’intérêt général et à servir le peuple.

27. La protection de l’environnement est un devoir pour l’État, les collectivités et pour chaque citoyen.

29-1. L’éducation est un droit garanti par l’État. Elle est gratuite à tous les niveaux et la loi règlemente l’éducation dans les cas où elle est acquittée pour les universités et les institutions gouvernementales.

33-1. La liberté est un droit sacré. L’État garantit la liberté individuelle des citoyens et protège leur dignité et leur sécurité.

33-2. La citoyenneté est un principe fondamental qui implique des droits et des devoirs dont jouit tout citoyen et exercés dans les limites de la loi.

33-3. Les citoyens sont égaux devant la loi, sans discrimination de sexe, race, langue, religion ou croyance.

33-4. L’État garantit l’égalité des chances aux citoyens.

36-1. La vie privée est inviolable et protégée par la loi.

37. Le secret de la correspondance postale, des télécommunications et des autres formes de correspondance est garanti conformément aux dispositions de la loi.

42-1. La liberté de croyance est garantie conformément à la loi.

42-2. Tout citoyen a le droit d’exprimer ses opinions librement et publiquement, par écrit, par la parole ou par tout autre moyen d’expression.

43. L’État garantit la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition et l’indépendance des médias conformément à la loi.

60-2. Au moins la moitié des membres de l’Assemblée du peuple [Le Parlement] sont des ouvriers ou des paysans, comme déterminé par la loi électorale.

132. Le pouvoir judiciaire est indépendant. Le président de la République est le garant de cette indépendance ; il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature.

Il est temps d’exposer nos pratiques pour leur apprendre la vraie Démocratie…

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Chronologie : -1916 – Les accords Sykes-Picot délimitent les zones d’influence française et britannique au Proche-Orient.
      -11 mars 1920 – Fayçal proclamé roi de Syrie.
      -25 avril 1920 – Conférence de San Remo. Mandat français sur la Syrie.
      -9 septembre 1936 – Blum promet l’indépendance, mais les accords ne seront pas ratifiés par le Parlement français.
      -27 septembre 1941 – Le général Catroux proclame l’indépendance de la Syrie, au nom de la France libre.
      -17 avril 1946 – Évacuation des troupes françaises.
      -1958-1961 – La Syrie et l’Égypte forment la République arabe unie sous la direction de Nasser.
      -8 mars 1963 – Le parti Baas prend le pouvoir
      -1967 – Guerre de Six-Jours. Israël occupe le plateau du Golan et l’annexe en 1981.
      -16 novembre 1970 – Hafez el-Assad prend le pouvoir.
             -10 juin 2000 – Décès de Hafez el-Assad, son fils Bachar lui succède.

Source: http://www.les-crises.fr/histoire-quand-la-syrie-etait-administree-par-la-france/


La Libye, prochain objectif de Daech

Sunday 29 November 2015 at 02:48

In memoriam, 2011 :

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L’État islamique utilise la France comme un leurre Par Jacques Benillouche 

Source : Slate, Jacques Benillouche 24-11-2015

Benghazi, le 7 juillet 2015 I REUTERS/Stringer

Pour Daech, le vrai combat se déroule en Libye, où elle mobilise aujourd’hui une bonne partie de ses troupes.

L’État islamique n’est pas parvenu au sommet des organisations terroristes islamistes par défaut. Son théoricien, Abou Moussab Al-Souri, et l’adepte qui s’est inspiré de son idéologie, Abou Bakr al-Baghdadi, ont été les artisans de l’implantation au niveau international de ce qui était à l’origine un petit mouvement islamiste concurrent d’Al-Qaïda. La réussite de Daech résulte d’une stratégie patiemment élaborée. Le groupe État islamique s’intéresse peu aux pays occidentaux, sauf pour faire diversion. Son objectif principal consiste à islamiser les pays musulmans, en particulier les pays faibles ou en phase de décomposition.

Les experts israéliens sont convaincus que les attentats de Paris tendent à détourner l’attention des Occidentaux sur ce qui se trame en Libye depuis quelques mois. Ils lui servent aussi de vecteurs de publicité pour attirer à lui de nouveaux candidats au djihad à la recherche d’un idéal ou d’aventures sanglantes. Les terroristes éliminés en France, très dangereux parce qu’incontrôlables, sont cependant des petits délinquants à la kalachnikov facile. Ils représentent des troisièmes couteaux suffisamment fous, hâbleurs et habiles pour occuper l’espace médiatique tandis que les vrais chefs expérimentés, issus de l’armée et des services de sécurité de Saddam Hussein, sont aux commandes. D’ailleurs, les tueurs de Paris ont montré leurs limites et leur manque d’expérience puisqu’ils ont laissé des traces qui ont mené la police vers leur refuge. Leur maladresse a permis d’épargner le Stade de France avec ses 80.000 spectateurs.

Créer les structures d’un État

La diversion semble fonctionner. Les djihadistes ont d’abord attaqué les centres-villes de la Libye pour mobiliser les dirigeants locaux tandis que la périphérie devenait une proie facile. La deuxième phase consiste à se lancer dans des massacres d’une rare sauvagerie pour forcer les populations à rejoindre les djihadistes en croyant qu’ils sont ainsi les seuls à rétablir la paix civile face à des gouvernements locaux qui ont échoué. La cruauté n’est pas gratuite mais efficace pour mener à la victoire. Les djihadistes utilisent ensuite leurs techniques barbares en Libye pour asservir les récalcitrants en décapitant et en accrochant à des croix douze combattants locaux, dont des salafistes, qui voulaient les déloger de Syrte. L’exemple marque; les civils tremblent et les moins téméraires se rallient en nombre.

Daech recherche, enfin, le rétablissement du califat qui prône le rejet de la démocratie, du nationalisme et de l’Occident. Fondé sur un islam rigoriste, il pourra alors s’installer dans la durée en créant les structures d’un État qui s’appuie sur de nouveaux juges et une nouvelle police. En contrepartie, il organise la vie sociale et les aides à une population soumise par la force et qui, de toute façon, se contente de dons matériels à défaut de liberté. Cependant, les dirigeants occidentaux parlent de démonstration de force pour détruire Daech en faisant allusion à la Syrie et à l’Irak envahie par les djihadistes. Mais ils négligent l’impact des filiales autonomes de l’État islamique installées au Yémen, dans la péninsule du Sinaï, et en Algérie même, faisant d’ailleurs concurrence à Al-Qaïda qui perd de plus en plus de son influence.

La plaque tournante du djihadisme mondial

En Libye, trois provinces ont déjà été envahies par des combattants aguerris qui n’ont rien à voir avec les «petites frappes» de Paris. En fait, l’État islamique profite des divisions politiques et du chaos généralisé pour renforcer sa présence à l’est et à l’ouest du pays. Un an après l’allégeance d’un petit groupe islamiste libyen au «califat», les djihadistes sont à présent bien implantés. Ils représentent les nouvelles structures d’un État qui a disparu dans les décombres de la guerre civile. Les arsenaux de Kadhafi, dont il reste encore quelques fusils à roquette, aident les terroristes dans leur conquête.

L’Occident considère que cette avance irrémédiable est neutralisée par les combats entre factions rivales. Or, Daech puise auprès de combattants désarçonnés un nouveau vivier de jeunes subjugués par sa réussite qui fait la une des medias internationaux. Les groupes islamistes concurrents se vident alors de leurs meilleurs éléments qui rejoignent les vainqueurs.

Daech contrôle Syrte et une grande partie de la côte-est. Cette ville côtière, qui comptait 75.000 habitants et où était né Kadhafi, est aux mains de Daech depuis juin. Il a réussi à diviser la ville de Benghazi en se substituant aux autres groupes extrémistes. D’ailleurs, l’État islamique conforte son implantation dans le pays en y envoyant toutes ses nouvelles recrues étrangères venant de Syrie et d’Irak. La Libye devient la plaque tournante du djihadisme mondial dans l’indifférence totale de l’Occident. Il dispose d’une forte capacité de nuisance auprès du monde musulman, tout en étant à quelques centaines de kilomètres de l’Europe. Si ce monde explose ou se décompose, les conséquences rejailliront sur tout le continent européen, sans compter l’envoi de terroristes déguisés en migrants qui affluent pour constituer la cinquième colonne. Daech a compris que celui qui contrôle les côtes libyennes contrôlera en fait le flux migratoire vers l’Occident.

Ne pas répéter l’abandon kurde

Mais l’Europe ne sera que secondairement touchée. Daech utilisera la tête de pont libyenne pour menacer les pays voisins faibles comme la Tunisie et d’une certaine manière l’Algérie. D’ailleurs, il est déjà établi que les terroristes qui ont attaqué les centres touristiques tunisiens ont été formés en Libye, dans les camps djihadistes. L’Occident, s’il le décide, n’a qu’un seul moyen pour freiner l’expansion en Libye en soutenant les nombreuses tribus qui constituaient jadis l’ossature du régime de Kadhafi. Elles ne sont pas prêtes à abandonner leur mainmise sur les zones dont elles ont le contrôle. Cette structure clanique, qui a freiné l’unité du pays, est la seule aujourd’hui qui pourrait s’opposer à l’État islamique pour l’instant rejeté.

Mais encore faut-il que l’Occident se comporte mieux qu’avec les Kurdes qu’il a abandonnés alors qu’ils étaient les seuls à occasionner des pertes sévères aux djihadistes. Les tribus libyennes ont beaucoup appris du déroulement des faits en Syrie. Ils veulent à présent protéger avec toute leur énergie les puits de pétrole pour empêcher le financement des troupes de Daech. Seul le chaos en Libye pourrait servir de catalyseur à l’État islamique pour s’emparer du pays à moins que les Occidentaux n’aident ces tribus par des frappes aériennes plus nombreuses et plus ciblées. Mais pour l’instant les Rafale visent les bases de Daech en Syrie en occasionnant peu de pertes puisqu’elles sont toutes souterraines.

Plus de 5.000 combattants

Les Américains, qui se sont brusquement réveillés de leur léthargie, ont bien lancé le 13 novembre 2015 un raid aérien contre Daech, à Derna dans l’Est-libyen, qui a permis d’éliminer le chef local de l’État islamique, l’irakien Wissam Najm al-Zoubaïdi (Abou Nabil), ancien membre d’Al-Qaïda. Mais l’effet est temporaire. Sa mort va certes réduire la capacité de l’organisation à procéder en Libye au recrutement de nouveaux membres, à la création de nouvelles bases et à la planification d’attentats à l’extérieur. Mais cela ne dissuadera pas l’implantation de Daech en Libye puisque les rangs des djihadistes, qui ne cessent de grossir, compteraient aujourd’hui plus de 5.000 hommes, avec des combattants étrangers venus de Tunisie, du Soudan et du Yémen.

Un rapport de l’ONU du 16 novembre 2015 précise que «des groupes armés ayant prêté allégeance à Daech ont pris le contrôle et consolidé leur emprise sur des portions du territoire libyen commettant des abus graves dont des exécutions sommaires sur la base de leur religion». Un proverbe tunisien de circonstance prétend que «ne ressent la brûlure de la braise que celui qui marche dessus». La brûlure n’a pas encore atteint les Occidentaux.

Jacques Benillouche

Source : Slate, Jacques Benillouche 24-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/la-libye-prochain-objectif-de-daech/


[Thinkerview] Interview de Michel Éléftériadès (2013)

Sunday 29 November 2015 at 02:24

Thinkerview – Interview de Michel Éléftériadès

Source : Youtube.

Homme d’affaires Libanais hors normes, homme de réseaux, proche de l’armée libanaise, torturé à l’âge de 15 ans par les milices Libanaises chrétiennes d’extrême droite, victime de deux tentatives d’assassinat manquées dont une par voiture piégée, à connu l’exile politique.

Il demeure bien implanté dans le pays où il joue le rôle d’aiguillon de la politique libanaise. Son analyse théâtrale du bourbier syrien, sans concessions, sort des sentiers battus.

Interview en français réalisé le 8 octobre 2013 à Beyrouth.


Jacques Vergès “La démocratie à visage obscène , le vrai catéchisme de George Bush” – Archive INA

Comme Elefteriadès parle de lui, je le remets…

Source : INA/Youtube.

En présence de Gérard DARMON, Dany BOON, Frédéric BEIGBEDER, Michèle LAROQUE, Laurent BAFFIE et Mano SOLO, Thierry ARDISSON reçoit Jacques VERGES à l’occasion de la parution de son livre “La démocratie à visage obscène, le vrai cathéchisme de George Bush”. Frédéric BEIGBEDER réagit aux propos de Jacques VERGES… Images d’archive INA

Source: http://www.les-crises.fr/thinkerview-interview-de-michel-elefteriades/


Revue de presse du 29/11/2015

Sunday 29 November 2015 at 01:30

Merci aux contributeurs de cette revue de presse. Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-29112015/


Fermeture des commentaires

Saturday 28 November 2015 at 17:09

Bonjour

Les appels récents pour avoir un peu d’aide pour la modération du blog ont été quasi infructueux (merci à ceux qui ont répondu).

Comme par ailleurs, il y a une recrudescence de commentaires, en général de qualité, mais, dont certains ne respectent pas la charte du blog (bienséance, politesse, respect de la loi, pas d’insultes, pas de dialogues limite perso entre commentateurs, moquerie bête des auteurs sélectionnés, lien avec le sujet traité), ils nuisent à l’image du blog, et finissent par représenter un risque juridique.

En conséquence, si des volontaires ne se manifestent pas ce we en nous écrivant, pour aider les autres bénévoles bien fatigués, les commentaires seront fermés à partir de lundi

Olivier Berruyer

P.S. ce qui est dommage, c’est que si vous étiez nombreux, on pourrait imaginer qu’une personne ne modère qu’une semaine par mois…

Source: http://www.les-crises.fr/fermeture-des-commentaires/


Ce que veut vraiment l’Etat islamique, par Graeme Wood

Saturday 28 November 2015 at 05:00

Un bel article de fond…

Source : courrierintarnational, 18-03-2015

Cette grande enquête publiée dans The Atlantic offre un éclairage sans précédent sur les objectifs et les fondements idéologiques de Daech. Soutenant la thèse selon laquelle l’organisation se définit essentiellement par sa lecture littérale du Coran, elle a suscité de nombreuses réactions. En voici, en exclusivité, l’essentiel.

Qu’est-ce que l’Etat islamique [EI, Daech en arabe] ? D’où vient cette organisation et quelles sont ses intentions ? La simplicité de ces questions peut être trompeuse, et rares sont les dirigeants occidentaux qui connaissent les réponses. En décembre 2014, The New York Times a publié des remarques confidentielles du général Michael K. Nagata, commandant des opérations spéciales pour les Etats-Unis au Moyen-Orient, qui admettait être encore très loin de comprendre l’attrait exercé par l’Etat islamique. “Nous ne comprenons pas cette idéologie.”

L’organisation s’est emparée de Mossoul, en Irak, en juin 2014 et règne déjà sur une zone plus vaste que le Royaume-Uni. A sa tête depuis mai 2010, Abou Bakr Al-Baghdadi est monté le 5 juillet 2014 à la chaire de la Grande Mosquée Al-Nour, à Mossoul, en se présentant comme le premier calife depuis des générations. Il s’en est suivi un afflux mondial de djihadistes, d’une rapidité et dans des proportions sans précédent.

Nos lacunes sur l’EI sont d’une certaine façon compréhensibles : l’organisation a fondé un royaume isolé et peu de gens en sont revenus. Abou Bakr Al-Baghdadi ne s’est exprimé qu’une seule fois devant une caméra. Mais son discours ainsi que d’innombrables vidéos et brochures de propagande de l’EI sont accessibles sur Internet et les sympathisants du califat se sont donné beaucoup de mal pour faire connaître leur projet.

Nous avons mal compris la nature de l’EI pour deux raisons. Tout d’abord, nous avons tendance à appliquer la logique d’Al-Qaida à une organisation qui l’a clairement éclipsé. Les sympathisants de l’EI avec qui j’ai discuté font toujours référence à Oussama Ben Laden sous le titre honorifique de “cheikh Oussama”, mais le djihadisme a évolué depuis l’âge d’or d’Al-Qaida (de 1998 à 2003) et nombreux sont les djihadistes qui méprisent les priorités et les dirigeants actuels de l’organisation.

Oussama Ben Laden considérait le terrorisme comme un prologue au califat, qu’il ne pensait pas connaître de son vivant. Son organisation était informelle, constituée d’un réseau diffus de cellules autonomes. L’EI, au contraire, a besoin d’un territoire pour asseoir sa légitimité, ainsi que d’une structure hiérarchisée pour y régner.

En second lieu, nous avons été induits en erreur à cause d’une campagne bien intentionnée mais de mauvaise foi visant à nier la nature religieuse médiévale de l’EI. Peter Bergen, qui a produit la première interview avec Ben Laden en 1997, a intitulé son premier ouvrage Guerre sainte, multinationale [éd. Gallimard, 2002], notamment pour affirmer que le leader d’Al-Qaida était un produit du monde laïc moderne.

Ben Laden a organisé la terreur sous la forme d’une entreprise comptant des franchises. Il exigeait des concessions politiques précises, comme le retrait des troupes américaines d’Arabie Saoudite. Le dernier jour de sa vie, Mohamed Atta [l’un des responsables des attentats du 11 septembre 2001] a fait des courses à Walmart et dîné à Pizza Hut.

Mahomet à la lettre

Il est tentant de reprendre cette observation – les djihadistes sont issus du monde laïc moderne, avec des préoccupations politiques de leur temps, mais déguisés avec des habits religieux – pour l’appliquer à l’EI. Pourtant, beaucoup de ses actions paraissent insensées si on ne les envisage pas à la lumière d’une détermination sincère à faire revenir la civilisation à un régime juridique du VIIesiècle et à faire advenir, à terme, l’apocalypse.

La vérité est que l’EI est islamique. Très islamique. Certes, le mouvement a attiré des psychopathes et des gens en quête d’aventures, souvent issus des populations défavorisées du Moyen-Orient et d’Europe. Mais la religion que prêchent les plus fervents partisans de l’EI est issue d’interprétations cohérentes et même instruites de l’islam.

Presque chaque grande décision ou loi proclamée par l’EI obéit à ce qu’il appelle la “méthodologie prophétique”, qui implique de suivre la prophétie et l’exemple de Mahomet à la lettre. Les musulmans peuvent rejeter l’EI, comme le fait l’écrasante majorité d’entre eux. Néanmoins, prétendre que ce n’est pas une organisation religieuse millénariste dont la théologie doit être comprise pour être combattue a déjà conduit les Etats-Unis à sous-estimer l’organisation et à soutenir des plans mal pensés pour la contrer.

Nous devons apprendre à mieux connaître la généalogie intellectuelle de l’EI si nous voulons réagir non pas de façon à le rendre plus fort, mais plutôt de façon à faire qu’il s’immole lui-même dans un excès de zèle.

I. Dévotion

En novembre 2014, l’EI a diffusé une vidéo de promotion retraçant ses origines jusqu’à Ben Laden. Le film mentionnait Abou Moussab Al-Zarqaoui, le violent dirigeant d’Al-Qaida en Irak de 2003 jusqu’à sa mort, en 2006, faisant de lui un mentor plus direct. Il citait également deux autres chefs de guérillas ayant précédé Abou Bakr Al-Baghdadi, le calife. Aucune mention en revanche du successeur de Ben Laden et dirigeant actuel d’Al-Qaida, le chirurgien ophtalmologiste égyptien Ayman Al-Zawahiri.

Al-Zawahiri n’a pas fait allégeance à Abou Bakr Al-Baghdadi et il est de plus en plus haï par ses confrères djihadistes. Son isolement est renforcé par son manque de charisme. Mais la rupture entre Al-Qaida et l’EI est amorcée depuis longtemps.

Une autre figure importante est aujourd’hui en disgrâce : Abu Muhammad Al-Maqdisi, un religieux jordanien de 55 ans qui est l’un des grands architectes intellectuels d’Al-Qaida. Sur presque toutes les questions de doctrine, Al-Maqdisi et l’EI sont d’accord. Ils sont étroitement liés à l’aile djihadiste d’une branche du sunnisme appelée le salafisme, d’après l’expression arabe al salaf al salih, “les pieux devanciers”. Ces “devanciers” sont le Prophète lui-même et ses premiers disciples, que les salafistes honorent et imitent.

Al-Maqdisi a été le mentor d’Al-Zarqaoui, qui est allé en Irak avec ses conseils en tête. Avec le temps, l’élève a toutefois surpassé son maître, qui a fini par le critiquer. Leur contentieux concernait le penchant d’Al-Zarqaoui pour les spectacles sanglants – et, d’un point de vue doctrinaire, sa haine des musulmans non salafistes, qui allait jusqu’à les excommunier et les exécuter.

Dans l’islam, le takfîr, ou excommunication, est une pratique dangereuse d’un point de vue théologique. Si l’accusateur a tort, alors il est lui-même apostat car il s’est rendu coupable d’une fausse accusation – un acte puni de mort. Et pourtant, Abou Moussab Al-Zarqaoui a imprudemment allongé la liste des comportements pouvant rendre les musulmans infidèles.

Abou Bakr Al-Baghdadi, chef de l’organisation Etat islamique dans une capture d’écran d’une vidéo diffusée le 5 juillet 2014 et tournée à la mosquée de Mossul, en Irak, quelques jours auparavant, le 29 juin – AL-FURQAN MEDIA/HO/AFP

Abu Muhammad Al-Maqdisi a écrit à son ancien élève qu’il devait se montrer prudent et ne pas “émettre de larges proclamations de takfîr” ou “déclarer des personnes coupables d’apostasie en raison de leurs péchés”. La distinction entre apostat et pécheur est un des désaccords fondamentaux entre Al-Qaida et l’EI.

Nier la sainteté du Coran ou les prophéties de Mahomet relève clairement de l’apostasie. Mais Abou Moussab Al-Zarqaoui et l’organisation qu’il a créée estiment que de nombreux actes peuvent justifier d’exclure un musulman de l’islam, comme vendre de l’alcool et des drogues, porter des vêtements occidentaux, se raser la barbe ou encore voter lors d’une élection.

Etre chiite est aussi un motif d’exclusion, car l’EI estime que le chiisme est une innovation, or innover par rapport au Coran revient à nier sa perfection initiale. Ainsi quelque 200 millions de chiites sont menacés de mort. Il en va de même pour les chefs d’Etat de tous les pays musulmans, qui ont élevé le droit des hommes au-dessus de la charia en se présentant à des élections ou en appliquant des lois qui ne viennent pas de Dieu.

Conformément à sa doctrine sur l’excommunication, l’EI s’engage à purifier le monde en exterminant de larges groupes de personnes. Les publications sur les réseaux sociaux laissent penser que les exécutions individuelles se déroulent plus ou moins en continu et que des exécutions de masse sont organisées à quelques semaines d’intervalle. Les “apostats” musulmans sont les victimes les plus nombreuses. Il semble en revanche que les chrétiens qui ne résistent pas au nouveau pouvoir échappent à l’exécution automatique. Abou Bakr Al-Baghdadi les laisse vivre tant qu’ils paient un impôt spécial, appelé jizya, et qu’ils se soumettent.

Retour à un islam “ancien”

Des siècles se sont écoulés depuis la fin des guerres de religion en Europe. Depuis, les hommes ont cessé de mourir en masse pour d’obscurs différends théologiques. C’est peut-être pour cette raison que les Occidentaux ont accueilli la théologie et les pratiques de l’EI avec tant d’incrédulité et un tel déni.

De nombreuses organisations musulmanes traditionnelles sont même allées jusqu’à affirmer que l’EI était “contraire à l’islam”. Toutefois, les musulmans qui emploient cette expression sont souvent “embarrassés et politiquement corrects, avec une vision naïve de leur religion” qui néglige “ce qu’elle a impliqué, historiquement et juridiquement”, suggère Bernard Haykel, chercheur de Princeton d’origine libanaise et expert de premier plan sur la théologie de l’EI.

Tous les universitaires à qui j’ai posé des questions sur l’idéologie de l’EI m’ont renvoyé vers Bernard Haykel. Selon ce dernier, les rangs de l’EI sont profondément imprégnés d’ardeur religieuse. Les citations du Coran sont omniprésentes. Pour lui, l’argument selon lequel l’EI a déformé les textes de l’islam est grotesque et on ne peut le soutenir que par ignorance volontaire. “Les gens veulent absoudre l’islam, explique-t-il, d’où le mantra affirmant que ‘l’islam est une religion pacifique’. Comme s’il existait un ‘islam’! Ce qui compte, c’est ce que font les musulmans et comment ils interprètent leurs textes. Les membres de l’EI ont la même légitimité que n’importe qui d’autre.”
Tous les musulmans reconnaissent que les premières conquêtes de Mahomet ont été chaotiques et que les lois de la guerre transmises par le Coran et les récits sur le règne du Prophète étaient adaptées à une époque troublée et violente. Bernard Haykel estime que les combattants de l’EI représentent un authentique retour à un islam ancien et qu’ils reproduisent fidèlement ses pratiques guerrières. Cela englobe un certain nombre de pratiques que les musulmans modernes préfèrent ne pas reconnaître comme faisant partie intégrante de leurs textes sacrés.

“L’esclavage, la crucifixion et les décapitations ne sont pas des éléments que des [djihadistes] fous sélectionneraient dans la tradition médiévale”, affirme Bernard Haykel. Les combattants de l’EI sont “en plein dans la tradition médiévale et ils la transposent dans son intégralité à l’époque contemporaine”.

Le Coran précise que la crucifixion est l’une des seules sanctions permises contre les ennemis de l’islam. La taxe imposée aux chrétiens est clairement légitimée par la sourate At-Tawbah, neuvième chapitre du Coran, qui intime aux musulmans de combattre les chrétiens et les juifs “jusqu’à ce qu’ils versent la capitation [la taxe] de leurs propres mains, après s’être humiliés”.

Lorsque l’EI a commencé à réduire des gens en esclavage, même certains de ses sympathisants ont renâclé. Néanmoins, le califat a continué à pratiquer l’asservissement et la crucifixion. “Nous conquerrons votre Rome, briserons vos croix et asservirons vos femmes, a promis Mohamed Al-Adnani, porte-parole de l’EI, dans l’un des messages qu’il a adressés à l’Occident. Si nous n’y parvenons pas, nos enfants et nos petits-enfants y parviendront. Et ils vendront vos fils sur le marché aux esclaves.”

II. Territoire

En novembre 2014, je me suis rendu en Australie pour rencontrer Musa Cerantonio, un trentenaire identifié comme l’une des deux plus importantes “nouvelles autorités spirituelles” guidant les étrangers pour qu’ils rejoignent l’EI. Pendant trois ans, il a été télévangéliste sur Iqraa TV, au Caire, mais il est parti quand la chaîne a contesté ses appels fréquents à la création d’un califat. Maintenant, il prêche sur Facebook et Twitter.

Musa Cerantonio, un homme grand et avenant à l’air studieux, raconte qu’il blêmit à la vue des vidéos de décapitations. Il déteste voir la violence, même si les sympathisants de l’EI sont contraints de la soutenir. Il a une barbe broussailleuse qui rappelle certains fans du Seigneur des anneaux, et son obsession pour l’idéologie apocalyptique de l’islam m’était familière.

En juin 2014, Musa Cerantonio et son épouse ont tenté d’émigrer – il n’a pas précisé où (“Il est illégal de partir en Syrie”, précise-t-il méfiant) – mais ils ont été arrêtés en route, aux Philippines, et expulsés vers l’Australie. En Australie, chercher à rejoindre l’EI ou se rendre sur son territoire est une infraction ; le gouvernement a donc confisqué le passeport de Musa Cerantonio. Jusqu’à présent, toutefois, il est libre. C’est un idéologue sans affiliation officielle, mais dont la parole fait autorité auprès des autres djihadistes pour ce qui touche à la doctrine de l’EI.

Nous nous sommes donné rendez-vous pour déjeuner à Footscray, une banlieue multiculturelle très peuplée de Melbourne. Musa Cerantonio a grandi là, dans une famille italo-irlandaise.

Musa Cerantonio, prédicateur de l’Etat islamique – Capture d’écran de YouTube

Il me raconte sa joie lorsque Abou Bakr Al-Baghdadi a été déclaré calife, le 29 juin 2014, ainsi que l’attraction que l’Irak et la Syrie ont commencé à exercer sur lui et ses amis. “J’étais dans un hôtel [aux Philippines] et j’ai vu la déclaration à la télévision. J’étais ébahi et je me disais ‘Qu’est-ce que je fais coincé dans cette foutue chambre ?’”

Le dernier califat historique est l’Empire ottoman, qui a connu son âge d’or au XVIe siècle, avant de subir un long déclin jusqu’à sa disparition en 1924. Mais Musa Cerantonio, comme de nombreux sympathisants de l’EI, met en doute la légitimité de ce califat, car il n’appliquait pas intégralement la loi islamique, qui requiert lapidation, esclavage et amputations, et parce que ses califes ne descendaient pas de la tribu du Prophète, les Quraychites.

Abou Bakr Al-Baghdadi a longuement insisté sur l’importance du califat dans le sermon qu’il a prononcé à Mossoul. Il a expliqué que faire renaître l’institution du califat – qui n’a existé que de nom pendant environ mille ans – était une obligation commune. Lui et ses fidèles s’étaient “empressés de déclarer le califat et de nommer un imam” à sa tête, a-t-il déclaré. “C’est le devoir des musulmans, un devoir qui a été négligé pendant des siècles… Les musulmans commettent un péché en l’oubliant et ils doivent constamment chercher à l’établir.”

Comme Oussama Ben Laden avant lui, Abou Bakr Al-Baghdadi s’exprime avec emphase, utilisant de nombreuses allusions coraniques et en affichant une grande maîtrise de la rhétorique classique. Mais contrairement à Ben Laden et aux faux califes de l’Empire ottoman, il est Quraychite.

Le califat, m’a expliqué Musa Cerantonio, n’est pas uniquement une entité politique mais également un véhicule du salut. La propagande de l’EI relaie régulièrement les serments de bay’a (allégeance) des autres organisations djihadistes. Musa Cerantonio m’a cité un proverbe attribué au Prophète selon lequel mourir sans avoir fait vœu d’allégeance revient à mourir jahil (ignorant) et donc à “mourir hors de la foi”.

Pour être calife, il faut remplir les conditions précisées par le droit sunnite : être un homme musulman adulte descendant de Quraych, manifester une probité morale, une intégrité physique et mentale, et faire preuve de ’amr, c’est-à-dire d’autorité. Ce dernier critère, selon Musa Cerantonio, est le plus difficile à remplir, et il exige que le calife ait un territoire sur lequel faire régner la loi islamique.

Après le sermon d’Abou Bakr Al-Baghdadi, les djihadistes ont commencé à affluer quotidiennement en Syrie, plus motivés que jamais. Jürgen Todenhöfer, auteur allemand et ancienne figure politique qui s’est rendu dans les territoires contrôlés par l’EI en décembre 2014, a déclaré avoir vu affluer, en deux jours seulement, 100 combattants au poste de recrutement installé sur la frontière turque.

A Londres, une semaine qui a précédé mon déjeuner avec Musa Cerantonio, j’ai rencontré trois anciens membres d’un groupe islamiste interdit appelé Al-Muhajiroun (Les émigrés) : Anjem Choudary, Abu Baraa et Abdul Muhid. Tous trois souhaitaient émigrer pour rejoindre l’EI, mais les autorités ont confisqué leurs passeports. Comme Musa Cerantonio, ils considéraient le califat comme le seul gouvernement légitime. Dans nos entretiens, leur principal objectif était de m’expliquer ce que représente l’EI et en quoi sa politique reflète la loi de Dieu.

Anjem Choudary, 48 ans, est l’ancien chef du groupe. Il apparaît souvent dans les émissions d’information sur le câble car il est l’une des seules personnes que les producteurs peuvent inviter en étant assurés qu’il défendra l’EI avec véhémence – jusqu’à ce qu’on coupe son micro. Au Royaume-Uni, il a une réputation de détestable fanfaron, mais lui et ses disciples croient sincèrement en l’EI et ils diffusent sa doctrine. Anjem Choudary et consorts sont très présents sur les fils Twitter des habitants des territoires contrôlés par l’EI et Abu Baraa gère une chaîne YouTube pour répondre aux questions sur la charia.

Depuis septembre 2014, les autorités mènent une enquête sur ces trois hommes, qui sont soupçonnés d’apologie du terrorisme. En raison de cette enquête, ils ont dû me rencontrer un par un : toute communication entre eux aurait enfreint les termes de leur liberté conditionnelle. Anjem Choudary m’a donné rendez-vous dans une confiserie de la banlieue d’Ilford, à l’est de Londres.

Logement gratuit pour tous

Avant le califat, “environ 85 % de la charia n’était pas appliquée, m’explique-t-il. Ces lois étaient en suspens jusqu’à ce que nous ayons un khilafa [un califat], et c’est maintenant le cas”. Sans califat, par exemple, il n’y a pas d’obligation d’amputer les mains des voleurs pris en flagrant délit. Avec l’établissement d’un califat, cette loi ainsi que toute une jurisprudence reprennent soudain vie. En théorie, tous les musulmans sont obligés d’émigrer vers le territoire où le calife applique ces lois.

Anjem Choudary affirme que la charia est mal comprise en raison de son application incomplète par des régimes comme l’Arabie Saoudite, qui décapite les meurtriers et ampute les mains des voleurs.

“Le problème, explique-t-il, c’est que des pays comme l’Arabie Saoudite appliquent uniquement le code pénal et ne mettent pas en œuvre la justice socio-économique de la charia. Et ils ne font qu’engendrer de la haine pour la loi islamique.”

Cet ensemble de mesures, selon lui, inclut la gratuité pour tous du logement, de la nourriture et des vêtements, même si tout le monde a bien sûr le droit de travailler pour s’enrichir.

Abdul Muhid, 32 ans, a prolongé cette réflexion. Il portait une élégante tenue moudjahidine lorsque je l’ai retrouvé dans un restaurant local : barbe broussailleuse, chapeau afghan et portefeuille porté dans ce qui ressemblait à un étui de revolver à l’épaule. Il avait à cœur d’aborder la question des aides sociales. L’EI applique peut-être des sanctions médiévales contre les crimes moraux, mais son programme d’aides sociales est, du moins à certains égards, suffisamment progressiste pour plaire à des commentateurs de gauche. Les soins de santé, affirme-t-il, sont gratuits. Fournir des aides sociales n’était pas selon lui un choix politique, mais une obligation en vertu de la loi de Dieu.

III. L’apocalypse

Tous les musulmans reconnaissent que Dieu est le seul à savoir de quoi sera fait l’avenir. Ils s’accordent aussi à dire qu’il nous en a offert un aperçu dans le Coran et les récits du Prophète. L’EI s’écarte cependant de presque tous les autres mouvements djihadistes actuels car il pense être le personnage central des textes sacrés.

Oussama Ben Laden mentionnait rarement l’apocalypse et, quand c’était le cas, il semblait partir du principe qu’il serait mort depuis longtemps quand le glorieux châtiment divin se produirait enfin. “Ben Laden et Al-Zawahiri sont issus de familles sunnites appartenant à l’élite, qui méprisent ces spéculations et les voient comme une préoccupation des masses”, affirme Will McCants, qui travaille pour la Brookings Institution et écrit un livre sur la pensée apocalyptique de l’EI.

Pendant les dernières années de l’occupation américaine en Irak, les fondateurs directs de l’EI voyaient, au contraire, de nombreux signes de la fin des temps. Ils s’attendaient à l’arrivée sous un an du Mahdi, la figure messianique destinée à conduire les musulmans vers la victoire avant la fin du monde.

Pour certains croyants – ceux qui rêvent de batailles épiques entre le bien et le mal – les visions de massacres apocalyptiques répondent à un profond besoin psychologique. Parmi les sympathisants de l’EI que j’ai rencontrés, c’est Musa Cerantonio, l’Australien, qui a exprimé le plus grand intérêt pour l’apocalypse. Certains aspects de cette prédiction lui sont propres et n’ont pas encore le statut de doctrine. D’autres éléments viennent de sources sunnites traditionnelles et apparaissent partout dans la propagande de l’EI. Il s’agit notamment de la croyance qu’il n’y aura que 12 califes légitimes (Abou Bakr Al-Baghdadi étant le huitième), que les armées de Rome se rassembleront pour affronter les armées de l’islam dans le nord de la Syrie et que la grande bataille finale de l’islam contre un anti-messie se déroulera à Jérusalem après une dernière période de conquête islamique.

La bataille de Dabiq

L’EI accorde une importance cruciale à la ville syrienne de Dabiq, près d’Alep. Il a nommé son magazine de propagande d’après elle et il a organisé de folles célébrations après avoir conquis (non sans mal) les plaines de Dabiq, qui sont inutiles d’un point de vue stratégique. C’est ici, aurait déclaré le Prophète, que les armées de Rome installeront leur camp. Les armées de l’islam les y affronteront et Dabiq sera pour Rome l’équivalent de Waterloo.

Les propagandistes de l’EI se pâment à cette idée et sous-entendent constamment que cet événement se produira sous peu. Le magazine de l’EI cite Abou Moussab Al-Zarqaoui, qui aurait déclaré : “L’étincelle a été allumée ici, en Irak, et sa chaleur continuera de s’intensifier jusqu’à brûler les armées des croisés à Dabiq.” Maintenant qu’il s’est emparé de Dabiq, l’EI y attend l’arrivée d’une armée ennemie, dont la défaite déclenchera le compte à rebours précédant l’apocalypse. “Nous enterrons le premier croisé américain à Dabiq et nous attendons avec impatience l’arrivée du reste de vos armées”, a proclamé un bourreau masqué dans une vidéo de novembre 2014 montrant la tête tranchée de Peter Kassig, travailleur humanitaire qui était retenu en otage depuis 2013.

Après la bataille de Dabiq, explique Musa Cerantonio, le califat s’agrandira et ses armées pilleront Istanbul. Certains pensent qu’il se lancera ensuite à la conquête de la Terre entière, mais Musa Cerantonio estime qu’il ne dépassera jamais le Bosphore. Dajjal, un antimessie de la littérature musulmane apocalyptique, arrivera de la région du Khorasan, à l’est de l’Iran, et tuera un grand nombre des combattants du califat jusqu’à ce qu’il n’en reste que 5 000, piégés à Jérusalem. Alors que Dajjal se préparera à les éliminer, Jésus – le deuxième Prophète le plus vénéré dans l’islam – reviendra sur Terre, transpercera Dajjal d’une lance et conduira les musulmans jusqu’à la victoire.

Selon cette théorie, même les revers essuyés par l’EI n’ont pas d’importance. Dieu a de toute façon ordonné d’avance la quasi-destruction de son peuple.

IV. La lutte

A Londres, Anjem Choudary et ses étudiants m’ont décrit en détail la façon dont l’EI doit mener sa politique étrangère maintenant qu’il est a fondé un califat. Il a déjà entrepris le “djihad offensif”, conformément à la charia, soit l’expansion par la force dans des pays qui ne sont pas gouvernés par des musulmans. “Jusqu’à présent, nous ne faisions que nous défendre”, déclare Anjem Choudary. Sans califat, le djihad offensif est un concept inapplicable. En revanche, faire la guerre pour agrandir le califat est un devoir crucial du calife.

Abu Baraa, confrère d’Anjem Choudary, m’a expliqué que la loi islamique n’autorisait des traités de paix temporaires que durant une décennie. De la même manière, accepter des frontières est anathème, comme l’a déclaré le Prophète et comme le répètent les vidéos de propagande de l’EI. Si le calife consent à une paix à plus long terme ou à une frontière permanente, il sera dans l’erreur. Les traités de paix temporaires sont renouvelables, mais ils ne peuvent s’appliquer à tous les ennemis en même temps : le calife doit mener le djihad au moins une fois par an.

Anjem Choudary s’adressant à des manifestants musulmans regroupés devant l’ambassade des Etats-Unis à Londres le 14 septembre 2012. Ils protestaient contre un film prétendument insultant pour la foi musulmane – Leon Neal/AFP

Il faut insister sur le fait que l’EI pourrait être paralysé par son radicalisme. Le système international moderne, né de la paix de Westphalie, en 1648, repose sur la disposition de chaque Etat à reconnaître des frontières, même à contrecœur. D’autres organisations islamistes, comme les Frères musulmans et le Hamas, ont succombé aux flatteries de la démocratie et à la perspective d’une invitation au sein de la communauté des nations. Pour l’EI, ce n’est pas envisageable : ce serait une apostasie.

Les Etats-Unis et leurs alliés ont réagi contre l’EI tardivement et avec stupéfaction. Les ambitions de l’organisation et les grandes lignes de sa stratégie étaient manifestes dans ses déclarations et sur les réseaux sociaux dès 2011, quand l’EIn’était qu’un mouvement parmi les nombreux groupes terroristes présents en Syrie et en Irak. En 2011, Abou Bakr Al-Baghdadi s’était déjà qualifié de “commandeur des croyants”, un titre habituellement réservé aux califes.

Si nous avions identifié les intentions de l’EI plus tôt et compris que le vide politique en Syrie et en Irak lui donnerait tout l’espace nécessaire pour les mettre en œuvre, nous aurions au minimum poussé l’Irak à renforcer sa frontière avec la Syrie et à négocier des accords avec sa population sunnite. Et pourtant, début 2014, Barack Obama a déclaré au New Yorker qu’il voyait l’EI comme un partenaire plus faible d’Al-Qaida. “Si une équipe de basketteurs junior enfile des maillots de la NBA, ça ne fait pas d’eux Kobe Bryant”, a-t-il ironisé.

Les dessous de l’exécution de Peter Kassig

Notre incapacité à comprendre la rupture entre l’EI et Al-Qaida, ainsi que les différences cruciales qui les séparent, a entraîné de dangereuses décisions. A l’automne 2014, le gouvernement américain a accepté un plan désespéré pour sauver l’otage Peter Kassig. Ce plan requérait l’interaction de figures fondatrices de l’EI et d’Al-Qaida.

L’objectif était qu’Abu Muhammad Al-Maqdisi, mentor d’Al-Zarqaoui et haute figure d’Al-Qaida, contacte Turki Al-Binali, principal idéologue de l’EI et ancien étudiant d’Al-Maqdisi. Les deux hommes s’étaient brouillés car ce dernier avait critiqué l’EI. L’érudit jordanien avait déjà appelé l’EI à se montrer clément envers le Britannique Alan Henning. En décembre 2014, The Guardian a révélé que le gouvernement américain, en utilisant un intermédiaire, avait demandé à Al-Maqdisi d’intervenir auprès de l’EI en faveur de l’otage Peter Kassig.

Al-Maqdisi vivait librement en Jordanie, mais il lui était interdit de communiquer avec des terroristes à l’étranger et il était étroitement surveillé. Quand la Jordanie a autorisé les Etats-Unis à organiser une rencontre avec Turki Al-Binali, le Jordanien a acheté un téléphone avec de l’argent américain et il a pu correspondre à son aise avec son ancien étudiant pendant quelques jours avant que le gouvernement jordanien ne mette un terme à la conversation et ne se serve de ce prétexte pour l’incarcérer. Quelques jours plus tard, la tête tranchée de Peter Kassig est apparue dans une vidéo filmée à Dabiq.

Intentions génocidaires

La mort du travailleur humanitaire était une tragédie, mais le succès du plan des Etats-Unis aurait été une catastrophe. La réconciliation d’Abu Muhammad Al-Maqdisi avec Turki Al-Binali aurait réduit le fossé entre les deux plus importantes organisations djihadistes au monde. Il est possible que la Maison-Blanche ait seulement voulu faire parler Turki Al-Binali pour obtenir des renseignements ou pour l’assassiner. De multiples tentatives visant à obtenir une réponse du FBI à ce sujet sont restées infructueuses. Quoi qu’il en soit, vouloir rabibocher les deux principaux ennemis terroristes des Etats-Unis révèle un manque de discernement lamentable.

Punis de notre indifférence initiale, nous attaquons maintenant l’EI sur le champ de bataille en soutenant Kurdes et Irakiens, ainsi qu’au moyen de frappes aériennes régulières. Certains observateurs ont appelé à une intensification de la riposte, parmi lesquels plusieurs porte-parole de la droite interventionniste qui se sont exprimés en faveur du déploiement de dizaines de milliers de soldats américains.

Ces appels ne doivent pas être rejetés précipitamment : une organisation qui ne cache pas ses intentions génocidaires se trouve à deux pas de ses victimes potentielles et commet quotidiennement des atrocités sur le territoire qui est déjà sous son contrôle. En outre, si l’EI perd son emprise sur les territoires syrien et irakien, il cessera d’être un califat. Celui-ci ne pourra plus être au cœur de sa propagande, ce qui fera disparaître le supposé devoir religieux d’émigrer pour le servir. Et pourtant, les risques d’une escalade de la violence sont considérables. Une invasion représenterait une grande victoire pour la propagande des djihadistes du monde entier, qui pensent tous que les Etats-Unis veulent s’embarquer dans une croisade des temps modernes pour tuer les musulmans. A quoi s’ajoute notre maladresse lors de nos précédentes tentatives d’occupation. La montée de l’EI, après tout, n’a été possible que parce que notre occupation [de l’Irak] a ouvert un espace pour Zarqaoui et ses successeurs.

Etant donné tout ce que nous savons sur l’EI, continuer de le saigner peu à peu au moyen de frappes aériennes et de batailles par alliés interposés semble la moins mauvaise solution. Le coût humanitaire de l’EI est élevé, mais la menace qu’il représente pour les Etats-Unis est limitée. Le noyau d’Al-Qaida fait figure d’exception parmi les organisations djihadistes en raison de son intérêt pour “l’ennemi lointain” (l’Occident). Les principales préoccupations de la majorité des organisations djihadistes concernent des questions plus proches de chez eux. C’est particulièrement vrai pour l’EI. Abou Bakr Al-Baghdadi a demandé à ses agents saoudiens de “régler la question des rafida [chiites] d’abord, puis des Al-Sulul [sympathisants sunnites de la monarchie saoudienne], avant de s’attaquer aux croisés et à leurs bases”.

Les combattants étrangers (ainsi que leurs femmes et leurs enfants) se rendent dans le califat avec un aller simple : ils veulent vivre selon la véritable charia et nombre d’entre eux cherchent à devenir des martyrs.

Quelques “loups solitaires” soutenant l’EI ont attaqué des cibles occidentales et d’autres attentats se produiront. Toutefois, la plupart des agresseurs se sont avérés des amateurs frustrés, incapables d’émigrer vers le califat. Même si l’EI se réjouit de ces attentats, notamment dans sa propagande, il n’a planifié ni financé aucun d’entre eux. (L’attaque contre Charlie Hebdo à Paris était principalement une opération d’Al-Qaida.)

S’il est contenu, il est probable que l’EI cause lui-même sa chute. Il n’est allié à aucun autre pays et son idéologie garantit que cela ne changera pas. Les terres qu’il contrôle, certes vastes, sont pour l’essentiel inhabitées et arides. A mesure qu’il stagnera ou que son territoire rétrécira lentement, sa prétention d’être le moteur de la volonté de Dieu et l’agent de l’apocalypse perdra de sa valeur. A mesure qu’augmenteront les informations sur la misère qui y règne, les autres mouvements islamistes radicaux seront discrédités : personne n’a jamais cherché à ce point à appliquer strictement la charia en faisant appel à la violence. Voilà à quoi cela ressemble.

V. Dissuasion

Il serait facile d’évoquer, concernant l’EI, un “problème avec l’islam”. La religion autorise de nombreuses interprétations et les sympathisants de l’EI sont moralement responsables de celle qu’ils ont choisie. Et pourtant, en faire une institution contraire à l’islam peut être contreproductif, notamment si ceux qui entendent ce message ont lu les textes sacrés et vu que de nombreuses pratiques du califat y sont clairement décrites.

Les musulmans peuvent affirmer que l’esclavage n’est plus légitime aujourd’hui, et que la crucifixion est condamnable à ce stade de l’Histoire. Nombre d’entre eux tiennent précisément ce discours. En revanche, ils ne peuvent condamner l’esclavage et la crucifixion dans l’absolu sans contredire le Coran et l’exemple donné par le Prophète.

L’idéologie de l’EI exerce un attrait puissant sur une certaine population. Les hypocrisies et les incohérences de la vie s’évanouissent face à elle. Musa Cerantonio et les salafistes que j’ai rencontrés à Londres sont incollables : aucune de mes questions ne les a pris de court. Volubiles, ils m’ont exposé leurs idées – et même de manière convaincante si l’on accepte leurs postulats. Juger celles-ci contraires à l’islam revient selon moi à les inviter à un débat qu’ils gagneraient.

Les non-musulmans ne peuvent dicter aux musulmans la manière correcte de pratiquer leur religion. Mais les musulmans ont lancé ce débat depuis longtemps dans leurs rangs. Il existe une autre branche de l’islam qui offre une solution radicale à l’EI : elle est tout aussi intransigeante, mais aboutit à des conclusions opposées.

“Ce n’est pas mon califat”

Abou Bakr Al-Baghdadi est salafiste. Le terme “salafiste” est devenu péjoratif, notamment parce que de véritables criminels ont lancé des batailles au nom de cette école de pensée. Mais la plupart de ses partisans ne sont pas djihadistes et ils adhèrent généralement à des mouvances religieuses qui rejettent l’EI. Ils sont déterminés, comme le note Bernard Haykel, à agrandir le Dar Al-Islam, la terre de l’Islam, y compris au moyen de pratiques monstrueuses comme l’esclavage et l’amputation – mais pas tout de suite. Leur priorité est la purification personnelle et l’observance religieuse. Pour eux, tout ce qui menace ces objectifs est interdit, comme provoquer une guerre ou des troubles risquant de perturber les vies, la prière et les études.

Image issue du site djihadiste Welayat Salahuddin et montrant des membres du l’Etat islamique dans un véhicule volé aux forces de sécurité iraquiennes, le 14 juin 2014 dans la province de Salah ad-Din, province natale de Saddam Hussein – Welayat Salahuddin/HO/AFP

A l’automne 2014, je suis allé à Philadelphie dans la mosquée dirigée par Breton Pocius, 28 ans, un imam salafiste qui se fait appeler Abdullah. Il s’est converti au début des années 2000 après avoir été élevé dans une famille polonaise catholique à Chicago. Tout comme Musa Cerantonio, il parle comme un livre et montre une grande familiarité avec les textes anciens.

Lorsque Abou Bakr Al-Baghdadi a fait son apparition, Breton Pocius a adopté le slogan “Ce n’est pas mon califat”. “L’époque du Prophète était baignée de sang, m’a-t-il expliqué, et il savait que les pires conditions de vie pour n’importe quel peuple étaient le chaos, notamment pour l’umma [communauté musulmane].” Pour cette raison, poursuit Breton Pocius, le bon choix pour les salafistes n’est pas de semer la discorde en créant des factions et en réduisant les autres musulmans à des apostats.

Au contraire, Breton Pocius pense – comme une majorité de salafistes – que les musulmans devraient se retirer de la vie politique. Ces salafistes “quiétistes”, comme ils sont qualifiés, sont d’accord avec l’EI pour affirmer que la loi de Dieu est la seule valable. Ils rejettent aussi les pratiques comme les élections et la création de partis politiques. Toutefois, la haine du Coran pour la discorde et le chaos signifie pour eux qu’ils doivent se soumettre à quasiment n’importe quel dirigeant, même si certains sont manifestement pécheurs.                   “Le Prophète a dit : tant que le dirigeant ne s’abandonne pas clairement au kufr [mécréance], obéissez-lui”, m’a expliqué Breton Pocius.Et tous les “livres de principes” classiques mettent en garde contre les troubles sociaux. Vivre sans prêter serment, affirme Breton Pocius, rend effectivement ignorant ou ignare. Mais la bay’a n’implique pas de faire allégeance à un calife, et certainement pas à Abou Bakr Al-Baghdadi. Cela signifie, dans une perspective plus large, adhérer à un contrat social religieux et s’engager pour une société de musulmans, qu’elle soit dirigée ou non par un calife.Breton Pocius ressent beaucoup d’amertume contre les Etats-Unis à cause de la façon dont il y est traité – “moins qu’un citoyen”, selon ses termes (il affirme que le gouvernement a payé des espions pour infiltrer sa mosquée et a harcelé sa mère à son travail pour savoir s’il était un terroriste). Pourtant son salafisme quiétiste est un antidote islamique au djihadisme selon la méthode d’Abou Bakr Al-Baghdadi.Les dirigeants occidentaux devraient sans doute s’abstenir de donner leur avis sur les débats théologiques islamiques. Barack Obama lui-même a presque tenu les propos d’un mécréant lorsqu’il a affirmé [l’an dernier] que l’EI n’[était] “pas islamique”. Je soupçonne que la plupart des musulmans ont apprécié l’intention du président américain : il était à leurs côtés contre Abou Bakr Al-Baghdadi et les chauvins non musulmans qui cherchent à les impliquer dans les crimes de l’EI. La majorité des musulmans ne sont toutefois pas susceptibles de rejoindre le djihad. Ceux qui le sont auront vu leurs suspicions confirmées : les Etats-Unis mentent sur la religion pour servir leurs intérêts.

Ne pas sous-estimer l’attrait de l’organisation

Dans le cadre limité de sa théologie, l’EI bourdonne d’énergie et même de créativité. En dehors de ce cadre, il pourrait difficilement être plus austère et silencieux : sa vision de la vie est faite d’obéissance, d’ordre et de soumission au destin. Dans la conversation, Musa Cerantonio et Anjem Choudary sont capables de passer de la question des massacres et des tortures à une discussion sur les vertus du café vietnamien et des pâtisseries sirupeuses – affichant un intérêt identique pour les deux. J’ai pu apprécier leur compagnie, en tant qu’exercice intellectuel et avec mauvaise conscience, mais seulement jusqu’à un certain point.

Lorsqu’il a fait la critique de Mein Kampf, en mars 1940, George Orwell a confessé qu’il n’avait “jamais été capable de détester Hitler”. Quelque chose chez lui percevait l’image d’un outsider, même si ses objectifs étaient lâches ou détestables.

Le fascisme, poursuivait George Orwell, est “psychologiquement bien plus solide que n’importe quelle conception hédoniste de la vie. […] Le socialisme et même le capitalisme, à contrecœur, ont affirmé au peuple : ‘Je peux vous offrir du bon temps.’ De son côté, Hitler a déclaré : ‘Je vous propose la lutte, le danger et la mort’, à la suite de quoi une nation tout entière s’est jetée à ses pieds. […] Nous ne devons pas sous-estimer son attrait émotionnel.”

Dans le cas de l’EI, il ne faut pas non plus sous-estimer son attrait religieux ou intellectuel. Le fait que l’EI tienne pour un dogme la réalisation imminente d’une prophétie nous indique au moins la trempe de notre ennemi. Les outils idéologiques peuvent convaincre certains candidats à la conversion que son message est erroné. Les outils militaires peuvent limiter les horreurs que l’EIcommet. Mais sur une organisation aussi imperméable à la persuasion, il n’y a pas d’autres mesures susceptibles d’avoir un impact. Même si elle ne dure pas jusqu’à la fin des temps, la guerre risque d’être longue.

Les coulisses de l’article “Ce que veut vraiment l’Etat islamique”

C’est en août 2014 que Graeme Wood a commencé à travailler sur son grand article paru en une de The Atlantic sous le titre “Ce que veut vraiment l’Etat islamique”. “C’était devenu presque un cliché de dire que [l’Etat islamique] est un mouvement laïc qui utilise l’islam”, explique-t-il à Courrier international. Pourtant, à mesure qu’il lisait davantage sur Daech et sa propagande, le mouvement lui semblait bien plus informé que ce qu’il imaginait. C’est ce qui l’a poussé à rechercher “ce qui fondait sa prétention d’être islamique” et quelle était son interprétation de l’islam.

Interrogé sur les nombreuses critiques qu’a suscitées l’article – et en particulier la formule selon laquelle “l’Etat islamique est très islamique” – Graeme Wood déclare qu’il “s’attendait aux critiques”, mais qu’il “ne s’attendait pas à ce qu’elles soient, pour beaucoup, aussi détachées des faits relatifs à l’Etat islamique”. Il déplore que beaucoup des réactions “ne s’intéressent pas à l’article lui-même (…) mais à la question de savoir si l’EI est la meilleure représentation de l’islam, une question qui ne m’intéresse pas du tout”.

AUTEUR

Graeme Wood

Graeme Wood est un contributeur régulier du mensuel The Atlantic, ainsi que des magazines  américains The New Republic et Pacific Standard. Il enseigne également la science politique à l’université de Yale, dans le Connecticut. Il a étudié pendant 15 ans les langues du monde musulman (arabe, persan, turc) et a vécu et travaillé au Moyen-Orient de 2002 à 2006.

Source : courrierintarnational, 18-03-2015

 

 Débat. Non, l’Etat islamique n’est pas “très islamique” Par Gabriel Hassan

Source : courrierinternational, 17-03-2015

La une de The Atlantic de mars 2015. Monstage Courrier international

Daech est-il “très islamique” ? Cette formule de l’enquête approfondie de The Atlantic “Ce que veut vraiment l’Etat islamique” a suscité une foule de critiques, notant que le mouvement fait une lecture tronquée des textes et que les motivations religieuses sont secondaires pour ses partisans.

C’est “l’article de politique étrangère dont tout le monde parle cette semaine, et c’est mérité”, écrivait un chroniqueur du New York Times le 18 février à propos de l’article en une de The Atlantic, “Ce que veut vraiment l’Etat islamique” [publié en mars 2015]. 

Dès sa parution, le grand article de Graeme Wood sur les objectifs et l’idéologie de Daech a déclenché une avalanche de réactions. Jusqu’en Grande-Bretagne où le New Statesman a publié en une, le 6 mars, une longue réponse à la formule de The Atlantic : “l’Etat islamique est islamique. Très islamique.”

 

C’est peu dire que cette phrase – répondant elle-même à une déclaration de Barack Obama selon laquelle l’Etat islamique ne serait “pas islamique” – a fait polémique aux Etats-Unis. De nombreux commentateurs se sont élevés contre l’idée que la vision de l’Etat islamique (EI) serait “issue d’interprétations cohérentes et même instruites de l’islam”, comme l’écrit Graeme Wood.

“Hérésie”

Il y a un biais flagrant dans le fait d’ignorer les très nombreux religieux érudits du monde musulman dont les conclusions théologiques sont diamétralement opposées au révisionnisme radical de l’Etat islamique”, dénonce le journaliste Murtaza Hussain sur le site The Intercept. Et de citer la “Lettre à Al-Baghdadi”, le calife auto-proclamé, où “des érudits musulmans de premier plan du monde entier ont condamné les actions de l’EI sur des bases purement théologiques, comme une hérésie.”

Le magazine The Atlantic lui-même a publié sur son site l’opinion d’un professeur d’études religieuses, Caner K. Dagli, sous le titre L’islam bidon de l’Etat islamique. “Ce que les autres musulmans disent depuis le début, c’est que l’EI ne prend pas les textes au sérieux”, explique-t-il.

“Pendant des siècles, juristes et théologiens (…) ont mis au point des méthodes rationnelles et systématiques pour passer au crible les hadith [le recueil des actes et paroles du Prophète et de ses compagnons], qui sont souvent difficiles à comprendre ou paraissent contradictoires sur un même sujet. Ils ont rangé et classé ces textes selon leur degré de fiabilité (…). Mais l’EI ne procède pas de cette façon. Ses membres cherchent des bribes de texte qui soutiennent leur vision, prétendent que ces fragments sont fiables même s’ils ne le sont pas, et négligent tout ce qui va dans le sens contraire (…).”

Quant à l’idée que les combattants de l’EI manifestent un sérieux inhabituel en matière de religion et aux nombreuses références “aux débats juridiques et théologiques” dans les discours, l’universitaire souligne qu’il y a “une grande différence entre quelqu’un qui ‘émaille’ son discours d’images religieuses (…) et quelqu’un qui a vraiment étudié et compris les difficultés et nuances d’une immense tradition textuelle”.

Des novices

La réponse la plus complète à l’article de Graeme Wood est celle du journaliste Mehdi Hasan à la une du New Statesman. Celui-ci a interrogé toute une série d’experts sur les mécanismes de radicalisation, la théologie, les enquêtes d’opinion.

Marc Sageman, un psychiatre et ancien agent de la CIA au Pakistan, estime que “la religion joue un rôle certes, mais de justification” dans le parcours des terroristes. “Ce ne sont pas les plus religieux qui vont [combattre]”, remarque-t-il. “Les combattants occidentaux, en particulier, ont souvent redécouvert l’islam à l’adolescence, ou comme convertis.” Mehdi Hasan poursuit en citant un rapport des renseignements britanniques obtenu par The Guardian en 2008 :

“Loin d’être des religieux zélés, beaucoup des terroristes ne pratiquent pas régulièrement. Un grand nombre d’entre eux manquent de culture religieuse et pourraient (…) être considérés comme des novices. (…) Une identité religieuse bien établie protège en réalité contre la radicalisation violente.”

Mehdi Hasan met aussi en avant l’alliance “au cœur de l’Etat islamique” entre les islamistes violents d’Abu Bakr Al-Baghdadi et les restes du régime ba’athiste laïc de Saddam Hussein. “Si l’EI est un culte religieux apocalyptique, comme le pensent Wood et d’autres, pourquoi le représentant de Baghdadi en Irak, Abu Muslim Al-Afari Al-Turkmani, était-il un ancien officier de haut rang des forces spéciales de Saddam Hussein ?

Guidés par la colère

Le journaliste interroge aussi un théologien de renom de l’université Cambridge, Abdal Hakim Murad, ainsi que David Kenner du magazine américain Foreign Policy, qui insistent sur le rôle de l’occupation américaine en Irak dans la naissance de l’EI. Le premier explique ainsi : “les racines de l’EI se trouvent dans la rage contre (…) l’occupation de l’Irak à partir de 2003. Avant cette date, l’extrémisme salafiste existait à peine en Syrie et en Irak, même si les mosquées étaient remplies (…). Des hommes en colère, qui ont souvent souffert dans les geôles américaines, se sont emparés de l’interprétation la plus étroite et la plus violente qu’ils pouvaient trouver de leur religion.

Et dans un reportage récent à Zarqa en Jordanie, “un des foyers de radicalisme les plus connus du pays”, le journaliste David Kenner raconte sa conversation avec un groupe de jeunes supporters de l’EI.

“Aucun d’eux n’avait l’air particulièrement religieux. (…) Pas une fois la conversation n’a porté sur des questions de foi, et aucun n’a bougé de son siège quand l’appel à la prière a résonné. Ils semblaient guidés par la colère au sujet d’humiliations en tout genre, plus que par une exégèse détaillée des textes religieux.”

Le débat continue

Interrogé par Courrier international sur les réactions qu’a suscitées son article, Graeme Wood déplore que beaucoup des critiques “ne s’intéressent pas à l’article lui-même (…) mais à la question de savoir si l’EI est la meilleure représentation de l’islam, une question qui ne m’intéresse pas du tout”. Il rappelait également dans un tweet une phrase de l’article souvent ignorée : “Les musulmans peuvent rejeter l’EI, comme le fait l’écrasante majorité d’entre eux.

Le débat se poursuit : dans son numéro du 13 mars [2015], The New Statesman a publié une “réponse à la réponse” de Mehdi Hasan, signée du journaliste Tom Holland, qui écrit que “l’Etat islamique est fondé sur les textes sacrés musulmans”.

Gabriel Hassan
Source : courrierinternational, 17-03-2015

Source: http://www.les-crises.fr/ce-que-veut-vraiment-letat-islamique-par-graeme-wood/


A qui sert leur guerre ?

Saturday 28 November 2015 at 04:20

Source : liberationun collectif — 24/11/2015

Après le temps de la sidération, plusieurs intellectuels et universitaires s’interrogent sur l’opportunité d’une nouvelle «guerre au terrorisme», les précédentes interventions militaires n’ayant eu aucun résultat positif.

Aucune interprétation monolithique, aucune explication mécaniste n’élucidera les attentats. Faut-il pour autant garder le silence ? Beaucoup jugent – et nous les comprenons – que devant l’horreur de l’événement, seul le recueillement serait décent. Mais nous ne pouvons pas nous taire, quand d’autres parlent et agissent pour nous, nous entraînent dans leur guerre. Faut-il les laisser faire, au nom de l’unité nationale et de l’injonction à penser comme le gouvernement ?

Car ce serait la guerre, désormais. Auparavant, non ? Et la guerre pour quoi : au nom des droits de l’homme et de la civilisation ? En réalité, la spirale dans laquelle nous entraîne l’Etat pompier pyromane est infernale. La France est en guerre continuellement. Elle sort d’une guerre en Afghanistan, lourde de civils assassinés. Les droits des femmes y sont toujours bafoués, tandis que les talibans regagnent chaque jour du terrain. Elle sort d’une guerre en Libye qui laisse le pays ruiné et ravagé, avec des morts par milliers et des armes free marketqui approvisionnent tous les jihads. Elle sort d’une intervention au Mali. Les groupes jihadistes liés à Al-Qaeda ne cessent de progresser et de perpétrer des massacres. A Bamako, la France protège un régime corrompu jusqu’à l’os, comme au Niger et au Gabon. Les oléoducs du Moyen-Orient, l’uranium exploité dans des conditions monstrueuses par Areva, les intérêts de Total et de Bolloré ne seraient pour rien dans le choix de ces interventions très sélectives, qui laissent des pays dévastés ? En Libye, en Centrafrique, au Mali, la France n’a engagé aucun plan pour aider les populations à sortir du chaos. Or il ne suffit pas d’administrer des leçons de prétendue morale (occidentale). Quelle espérance d’avenir peuvent nourrir des populations condamnées à végéter dans des camps ou à survivre dans des ruines ?

La France prétend détruire Daech ? En bombardant, elle multiplie les jihadistes. Les Rafale tuent des civils aussi innocents que ceux du Bataclan. Comme en Irak, certains de ces civils finiront par se solidariser avec les jihadistes : ces bombardements sont des bombes à retardement.

Daech est l’un de nos pires ennemis : il massacre, décapite, viole, opprime les femmes et embrigade les enfants, détruit le patrimoine mondial. Dans le même temps, la France vend au régime saoudien, pourtant connu pour financer des réseaux jihadistes, des hélicoptères de combat, des navires de patrouille, des centrales nucléaires ; l’Arabie Saoudite vient de commander 3 milliards de dollars d’armement ; elle a réglé la facture des deux navires Mistral, vendus à l’Egypte du maréchal Al-Sissi qui réprime les démocrates du printemps arabe. En Arabie Saoudite, ne décapite-t-on pas ? N’y coupe-t-on pas les mains ? Les femmes n’y vivent-elles pas en semi-esclavage ? Engagée au Yémen au côté du régime, l’aviation saoudienne a bombardé les populations civiles, détruisant au passage des trésors architecturaux. Bombardera-t-on l’Arabie Saoudite ? Ou bien l’indignation fluctue-t-elle selon les alliances économiques de l’heure ?

La guerre au jihad, dit-on martialement, se mène en France aussi. Mais comment éviter que ne sombrent des jeunes issus en particulier des milieux populaires, s’ils ne cessent d’être partout discriminés, à l’école, à l’embauche, dans l’accès au logement ou dans leurs croyances ? Et s’ils finissent en prison. En les stigmatisant davantage ? En ne leur ouvrant pas d’autres conditions d’existence ? En niant leur dignité revendiquée ? Nous sommes ici : la seule manière de combattre concrètement, ici, nos ennemis, dans ce pays devenu le deuxième vendeur d’armes mondial, c’est de refuser un système qui, au nom du profit à courte vue, produit partout plus d’injustice. Car la violence d’un monde que Bush junior nous promettait, il y a quatorze ans, réconcilié, apaisé, ordonné, n’est pas née du cerveau de Ben Laden ou de Daech. Elle pousse et prolifère sur la misère et les inégalités dont, année après année, les rapports de l’ONU montrent qu’elles s’accroissent, entre pays du Nord et du Sud, et au sein des pays dits riches. L’opulence des uns a pour contrepartie l’exploitation et l’oppression des autres. On ne fera pas reculer la violence sans s’attaquer à ses racines. Il n’y a pas de raccourcis magiques : les bombes n’en sont pas.

Lorsque furent déclenchées les guerres d’Afghanistan et d’Irak, nos mobilisations ont été puissantes. Nous affirmions que ces interventions sèmeraient, aveuglément, le chaos et la mort. Avions-nous tort ? La guerre de François Hollande aura les mêmes conséquences. Il est urgent de nous rassembler contre les bombardements français qui accroissent les menaces et contre les dérives liberticides qui ne règlent rien, mais contournent et nient les causes des désastres. Cette guerre ne se mènera pas en notre nom.

Signataires : Ludivine Bantigny, historienne, Emmanuel Barot, philosophe, Jacques Bidet, philosophe, Déborah Cohen, historienne, François Cusset, historien des idées, Laurence De Cock, historienne, Christine Delphy, sociologue, Cédric Durand, économiste, Fanny Gallot, historienne, Eric Hazan, Sabina Issehnane, économiste, Razmig Keucheyan, sociologue, Marius Loris, historien, poète, Marwan Mohammed, sociologue, Olivier Neveux, historien de l’art, Willy Pelletier, sociologue, Irène Pereira, sociologue, Julien Théry-Astruc, historien, Rémy Toulouse, éditeur, Enzo Traverso, historien.

Source : liberationun collectif — 24/11/2015

Source: http://www.les-crises.fr/a-qui-sert-leur-guerre/


La Turquie pourrait couper les filières de ravitaillement de l’État islamique. Pourquoi ne le fait-elle pas ?, par David Graeber

Saturday 28 November 2015 at 03:48

Source : LEPARTAGE 21-11-2015

 

David Graeber (1961) est un anthropologue et militant anarchiste US, théoricien de la pensée libertaire nord-américaine et figure de proue du mouvement Occupy Wall Street.  » La paternité du slogan « Nous sommes les 99% » lui est parfois attribuée. Évincé de l’université de Yale en 2005, David Graeber, « l’un des intellectuels les plus influents du monde anglo-saxon» selon le New York Times, est aujourd’hui professeur à la London School of Economics. Il est l’auteur notamment de Debt: The First 5,000 Years (Dette : les 5 000 premières années). (2011).

Les leaders occidentaux pourraient détruire l’État islamique en exigeant d’Erdoğan qu’il cesse ses attaques contre les forces kurdes en Syrie et en Turquie, et leur permettre de combattre l’ISIS sur le terrain.

Au lendemain des attentats meurtriers de Paris, nous pouvons attendre des chefs d’État occidentaux qu’ils fassent ce qu’ils font toujours en de telles circonstances : déclarer une guerre totale et permanente à ceux qui les ont commandités. Ils ne le souhaitent pas vraiment. Ils ont les moyens d’éradiquer et de détruire l’État Islamique depuis plus d’un an déjà. Ils ont tout simplement refusé de se servir de ces moyens. De fait, alors que le monde entendait les dirigeants proclamer leur implacable résolution lors du sommet du G20 à Antalya, ces mêmes dirigeants fricotent avec le président Turc, Recep Tayyip Erdoğan, un homme dont la politique, les décisions économiques, et même le soutien militaire contribuent ouvertement à permettre à l’ISIS de perpétrer les atrocités de Paris, sans mentionner le flux incessant de leurs atrocités au Moyen-Orient même.

La rencontre du G20 à Antalya le 15 novembre

Comment l’ISIS pourrait-il être éliminé? Dans la région, tout le monde le sait. Il suffirait de libérer les forces principalement kurdes de l’YPG (parti de l’Union Démocratique) en Syrie, et la guérilla du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) en Irak et en Turquie. Celles-ci sont, actuellement, les principales forces combattant l’ISIS sur le terrain. Elles se sont avérées extraordinairement efficaces sur le plan militaire, et s’opposent en tout à l’idéologie réactionnaire de l’ISIS.

Mais au lieu de cela, les territoires contrôlés par l’YPG en Syrie se retrouvent placés sous un embargo total par la Turquie, et les forces du PKK subissent le bombardement incessant de l’aviation turque. Non seulement Erdoğan a fait tout ce qui était en son pouvoir pour affaiblir les seules forces s’attaquant effectivement à l’ISIS ; mais en plus il y a de nombreuses preuves qui permettent d’affirmer que son gouvernement aide, au moins tacitement, l’État islamique lui-même.

Cela peut sembler outrancier de suggérer qu’un membre de l’OTAN comme la Turquie soutiendrait de quelque façon que ce soit une organisation qui assassine de sang-froid des citoyens occidentaux. Un peu comme si un membre de l’OTAN soutenait Al Qaïda. Mais il y a des raisons de croire que le gouvernement d’Erdoğan soutient également la branche syrienne d’Al-Qaida (Jahbat Al Nusra), ainsi qu’un certain nombre de groupes rebelles partageant son idéologie islamiste conservatrice. L’institut pour l’étude des droits humains de l’université de Columbia a compilé une longue liste de preuves du soutien que la Turquie fournit à l’ISIS en Syrie.

Et puis, il y a les positions officielles d’Erdoğan. En août dernier, l’YPG, revigoré par ses victoires de Kobane et de Gire Spi, était sur le point de s’emparer de Jarablus, la dernière ville que contrôlait l’ISIS sur la frontière turque, que l’organisation terroriste utilisait comme point de ravitaillement, pour sa capitale Raqqa, en armes, matériel, et recrues — les filières de ravitaillement de l’ISIS passent directement par la Turquie.

Des observateurs avaient prédit qu’aune fois Jarablus reprise, Raqqa tomberait rapidement. Erdoğan a réagi en déclarant que Jarablus constituait une « ligne rouge » ; si les Kurdes attaquaient, ses forces interviendraient militairement — contre l’YPG. Jarablus reste à ce jour aux mains des terroristes, de facto sous protection militaire turque.

Comment Erdoğan a-t-il réussi à justifier cela? Principalement en déclarant que ceux qui combattaient l’ISIS étaient des « terroristes » eux-mêmes. Il est vrai que le PKK a par le passé mené une guérilla parfois sale contre la Turquie, dans les années 1990, ce qui l’a placé sur la liste internationale des organisations terroristes. Cependant, ces 10 dernières années, il a complètement changé de stratégie, renoncé au séparatisme et adopté une politique stricte de ne jamais s’en prendre aux civils. Le PKK est à l’origine du sauvetage de milliers de civils yézidis, menacés de génocide par l’ISIS en 2014, et son organisation jumelle, l’YPG, de la protection de communautés chrétiennes en Syrie aussi. Leur stratégie vise à poursuivre le dialogue de paix avec le gouvernement, tout en encourageant l’autonomie démocratique locale dans les zones kurdes sous l’égide du HDP, au départ un parti politique nationaliste, qui s’est réinventé comme voix de la gauche démocratique panturque.

Soutien basque aux combattant-e-s kurdes

Ils se sont avérés extraordinairement efficaces sur le plan militaire, et en adoptant les principes d’une démocratie de base et des droits des femmes, s’opposent en tout point à l’idéologie réactionnaire de l’ISIS. En juin dernier, le succès du HDP dans les urnes a empêché Erdoğan d’obtenir la majorité parlementaire. La réponse d’Erdoğan fut ingénieuse. Il a appelé à de nouvelles élections, déclarant qu’il allait « entrer en guerre » contre ISIS, a effectué une seule attaque symbolique contre eux, puis a déployé la totalité de ses forces armées contre les forces du PKK en Turquie et en Irak, tout en accusant le HDP de « soutenir des terroristes » pour leur association avec eux.

S’ensuivit une sanglante série d’attentats à la bombe, en Turquie — dans les villes de Diyarbakir, Suruc, et enfin, Ankara — des attentats attribués à ISIS mais qui, pour quelque mystérieuse raison, ne semblaient cibler que des activistes associés au HDP. Les victimes ont signalé à de nombreuses reprises que la police empêchait les ambulances d’évacuer les blessés, ou s’attaquait même aux rescapés à coups de gaz lacrymogènes.

En conséquence, le HDP a abandonné jusqu’à la tenue de rassemblements politiques lors des semaines qui précédaient les nouvelles élections de novembre par peur de meurtres en masse, et suffisamment d’électeurs du HDP ne ne sont pas allés voter pour assurer une majorité parlementaire au parti d’Erdoğan.

La nature exacte de la relation entre le gouvernement d’Erdoğan et l’ISIS peut faire l’objet de débats ; mais nous pouvons être certains de plusieurs choses. Si la Turquie avait établi contre les territoires de l’ISIS le même genre de blocus qu’elle a mis en place sur les parties de la Syrie tenues par les Kurdes, ou fait preuve envers le PKK et l’YPG de la même « indifférence bienveillante » dont elle a fait preuve envers l’ISIS, ce « califat » maculé de sang se serait depuis longtemps effondré — et les attentats de Paris auraient peut-être pu être évités. Et si la Turquie faisait cela aujourd’hui, ISIS s’effondrerait probablement en quelques mois. Et pourtant, a-t-on vu un seul dirigeant occidental exiger cela d’Erdoğan ?

La prochaine fois que vous entendrez un de ces politiciens déclarer qu’il est nécessaire de restreindre les libertés civiles ou les droits des migrants en raison de la nécessité absolue d’une « guerre » contre le terrorisme, pensez à tout cela. Leur résolution est tout aussi « absolue » qu’elle est politiquement confortable. La Turquie, après tout, est un « allié stratégique ». Donc, après leurs déclarations, ils sont sans doute allés partager une tasse de thé amicale avec l’homme qui permet à l’ISIS de continuer à exister.

Cette image illustrant une campagne de pétitions demandant le retrait du PKK de la liste des organisations terroristes a été censurée par Facebook

Source : LEPARTAGE 21-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/la-turquie-pourrait-couper-les-filieres-de-ravitaillement-de-letat-islamique-pourquoi-ne-le-fait-elle-pas-par-david-graeber/


Retour de Syrie par le Colonel Jacques Hogard

Saturday 28 November 2015 at 01:50

Nous continuons à vous donner différents regards sur la crise syrienne, qui ne sont pas forcément convergents…

À vous de vous faire votre opinion…

Source : geopolitique-geostrategie, jean-bernard-pinatel 20-11-2015

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

Paris, le 16 novembre 2015

J’étais à Damas vendredi soir avec une importante délégation française composée notamment de cinq députés courageux et de quelques représentants non moins courageux de la « société civile », tous concernés par la situation de la Syrie aux avant-postes de la guerre contre « l’état islamique », quand est tombée la cascade de nouvelles tragiques nous parvenant de Paris où « Daech » venait de déclencher une suite d’attentats terroristes sans précédent contre la France et le peuple français.

Cette attaque terroriste, nous savions tous qu’elle aurait lieu mais nous n’en connaissions bien sûr ni l’heure ni le lieu, ni la forme ni l’ampleur qu’elle prendrait.

Le lendemain matin, la délégation française qui était arrivée en Syrie le mercredi précédent afin de s’informer sur le terrain de la situation, notamment celle des minorités chrétiennes, a été reçue dans un climat de grande franchise par le Président Bachar El Assad en personne.

Avec gravité et simplicité, celui-ci nous a présenté ses condoléances à l’intention des familles éprouvées et du peuple français ; il nous a dit aussi que nul n’était mieux placé que lui pour comprendre le drame que constituaient ces attaques faisant tant de victimes innocentes, tant la Syrie est en effet elle-même confrontée depuis cinq ans à des tragédies quotidiennes de cette nature.

Ce voyage en Syrie nous aura permis de rencontrer la quasi-totalité des autorités religieuses, du grand Mufti de Syrie au représentant du Patriarche syriaque-orthodoxe en passant par le Cheikh Hekmat Al Hajri, chef spirituel des Druzes de Syrie, mais aussi des autorités politiques du pays, du président du Conseil du Peuple syrien (l’équivalent de notre Assemblée nationale) au Président de la République arabe syrienne, en passant par un ou deux ministres ainsi que de nombreux députés, appartenant à toutes les confessions.

Il nous aura aussi permis de rencontrer de nombreux représentants de la société civile (dont de nombreux chrétiens), le président et les membres de la Chambre de commerce syrienne, des dirigeants de sociétés, des médecins et chirurgiens, le directeur des musées de Syrie…etc.

Enfin, nous aurons effectué trois visites très particulières :

– Celle du village martyr de Maaloula, à 60 kilomètres au nord-est de Damas, où les habitants chrétiens ont été attaqués, violentés, chassés par les hordes sauvages du groupe islamiste Al Nosra qui en ont pris le contrôle de longs mois durant, de septembre 2013 à avril 2014, tuant, assassinant, pillant, brûlant, enlevant même des religieuses mais aussi des jeunes chrétiens (Trois d’entre eux, s’ils sont toujours en vie, sont toujours aujourd’hui entre leurs mains). Ce que j’ai vu à Maaloula, les graves dommages causés aux très anciens monastères de Saint Serge – Saint Bacchus et de Sainte Thècle, les icônes volées ou bien dégradées par haine du christianisme, les souffrances infligées aux habitants par ces nouveaux barbares …m’a rappelé étrangement ce que j’ai moi-même vu au Kosovo et Métochie en 1999 où l’UCK persécutait les moines et moniales orthodoxes et brûlaient leurs monastères et leurs églises, tuait, enlevait, torturait les civils serbes, cherchant obstinément à faire du passé table rase. Réaliser, comme nous l’ont rappelé les chrétiens rencontrés sur place, que ce fameux groupe islamiste Al-Nosra n’est autre que celui que le gouvernement français a choisi de soutenir en lui fournissant armes et munitions a de quoi susciter quelques interrogations très fortes !

Comment avons-nous pu, nous la France, nous fourvoyer de cette sorte ? Au nom de quelle cause, au nom de quel principe avons-nous pu ainsi aider ces barbares, ces terroristes qui s’en prennent aux populations innocentes, de préférence d’ailleurs quand elles sont chrétiennes ?

Il faudra bien que des réponses claires soient données un jour.

Pour la vérité de l’Histoire et l’Honneur de la France.

Puis, nous avons visité l’hôpital militaire de Tichrine à Damas. Le plus grand hôpital militaire du pays. Nous y avons vu de nombreux blessés, rescapés des rudes combats que mène l’armée syrienne contre les bandes islamistes, qu’elles se revendiquent d’Al-Nosra ou de Daech, peu importe d’ailleurs, car comment en effet faire la différence « entre bonnet vert et vert bonnet » ?

Nous y avons vu ces jeunes conscrits syriens dont certains sont dans leur cinquième année de service, marqués dans leur chair, devenus infirmes pour certains, mais tous frappés dans leurs âmes et dans leurs esprits par les horreurs auxquelles ils ont été confrontés.

Nous y avons vu aussi le bien triste résultat de l’embargo pratiqué sur les médicaments et autres matériels médicaux indispensables au diagnostic et traitement des blessés de guerre…
Enfin nous nous sommes rendus à l’hôpital français de Damas, l’hôpital Saint Louis, dirigé par une jeune religieuse libanaise à la Foi rayonnante, sœur Lamia, et servi par une équipe exceptionnelle de médecins, de religieuses, d’infirmières et de personnel de soutien.

Cet hôpital est situé à quelques centaines de mètres du réduit islamiste du quartier de Jobar. Il en reçoit régulièrement son quota d’obus. Mais surtout, dans une ambiance de tension extrême, d’où la conscience du danger n’est jamais absente, il fait un travail extraordinaire, avec de quasi bénévoles, dans un état de grand dénuement en médicaments et produits de première nécessité…Il sauve, traite, soigne, en particulier des enfants, de toutes confessions. Mais il faut reconnaître que les enfants chrétiens sont particulièrement nombreux parmi eux. Il faut dire qu’Al-Nosra les vise tout particulièrement, comme ce jeudi dernier 12 novembre où une attaque à la bombe est déclenchée contre un bus scolaire transportant des écoliers quittant leur école. Bilan : 27 enfants morts ou blessés, estropiés à vie, ayant qui perdu deux jambes, qui perdu un œil, du fait des attaques terroristes de ces barbares… mais qui donc cela intéresse-t-il ailleurs qu’en Syrie ?

En remettant en perspective cette visite de quelques jours en Syrie, confrontés à la réalité de sa situation mais aussi de la nôtre aujourd’hui en France, il ressort clairement quelques enseignements élémentaires :

– d’abord que notre politique étrangère, anti-syrienne et antirusse, totalement inféodée aux Etats-Unis et à l’Union Européenne son fidèle vassal, est totalement à revoir. C’est dans le nord de la Syrie et de l’Irak que se situe aujourd’hui « l’empire du Mal ». C’est donc là que nous devons frapper : à la source. Mais jusqu’à présent notre obstination à vouloir frapper Daech (d’ailleurs assez timidement lorsqu’on compte le nombre d’interventions sur un an de notre aviation de chasse : moins de 260, pas même une par jour !) tout en soutenant activement Al-Nosra afin de faire chuter à tout prix le régime syrien, a surtout souligné notre grande incohérence!

– Les Russes depuis le début de leur intervention récente, parce qu’ils sont déterminés et qu’ils y mettent les moyens (40 sorties/ jour en moyenne), mais aussi parce que leur aviation agit en coordination avec les troupes au sol, celles de l’armée syrienne et celles de ses alliés iraniens et du Hezbollah, ont une efficacité de très loin supérieure.

Les faits sont là :

– En un an d’intervention alliée en Syrie et en Irak, Daech a continué à progresser et à s’étendre inexorablement.
– Seule l’intervention russe, en trente jours, a enfin fait reculer pour la première fois les barbares.

Il serait donc temps d’en tirer les leçons et de se décider à rejoindre les Russes et d’apporter sans états d’âme un soutien franc et entier à l’Etat syrien dans sa lutte contre le cancer islamiste. Certes cela nécessitera un certain courage : celui de modifier sensiblement nos alliances en commençant par mettre de la distance entre les monarchies pétrolières du Golfe, Qatar et Arabie Saoudite, fermes soutiens des terroristes et nous. Et en osant dénoncer le double jeu de la Turquie d’Erdogan auquel Daech doit tant.

Il serait temps de constituer une seule et même coalition sincère et unie contre l’islamisme, cette forme moderne des grandes invasions barbares. Ensuite, et tous nos interlocuteurs nous l’ont demandé instamment. Il s’agit de mettre un terme, par tous les moyens, aux flux migratoires, qui en submergeant l’Europe, vident la Syrie et l’Irak. Pour cela, il faut bien évidemment éradiquer Daech, afin de ramener la paix et la concorde dans les régions que le califat a dévastées ces dernières années. Mais il faut aussi simultanément fermer nos frontières, refuser le principe même des immigrés clandestins et cesser de vouloir à tout prix en faire des « réfugiés politiques ». Cela nous a été demandé avec insistance par ces responsables conscients des grands troubles que ne manqueront pas de créer le laxisme et les atermoiements actuels. [...]

En Syrie comme en France, le combat est même : il s’agit du combat sans merci que livrent les nouveaux barbares au monde civilisé pour le détruire et imposer leur loi infâme. La Syrie de Bachar El Assad n’est certainement pas parfaite. Mais la France de François Hollande l’est-elle seulement ?

L’ennemi est commun, il est un et un seul. Son nom peut changer mais il s’agit du fondamentalisme wahhabite, que j’ai déjà personnellement vu à l’œuvre sur le sol européen au Kosovo il y a quinze ans et qui continue d’y prospérer sous l’œil bienveillant des Etats-Unis et de l’Union Européenne.

Il est temps d’ouvrir les yeux, de prendre conscience des graves dangers qui menacent les générations à venir. Celles de nos enfants et de nos petits-enfants. Un sursaut est encore possible.

Comme l’a écrit récemment Philippe de Villiers, « il n’y a plus ni précaution à prendre ni personne à ménager. Il faut que les Français sachent ».

Je souhaite que le sacrifice de tous ces morts et blessés innocents, de Beyrouth, de Damas ou de Paris, ne soit pas vain. Je souhaite qu’il permette une prise de conscience amenant nos dirigeants à un sursaut salutaire, pour la défense de notre civilisation, de nos libertés, sans laquelle la vie ne vaut rien.

Source : à lire en entier sur geopolitique-geostrategiejean-bernard-pinatel 20-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/retour-de-syrie-par-le-colonel-jacques-hogard/