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Revue de presse du 30/05/2015

Saturday 30 May 2015 at 05:55

Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-30052015/


La France s’érige en Big Brother européen, par Guy Verhofstadt

Saturday 30 May 2015 at 01:44

Comme quoi, ils peuvent quand même être utiles les libéraux européistes…

La France s'érige en Big Brother européen

La France, ses grandes entreprises, ses diplomates, des hauts fonctionnaires européens, ont été espionnés pendant des années par les services secrets allemands dont les dérives défraient aujourd’hui la chronique politico-judiciaire outre Rhin. Cela rend d’autant plus incompréhensible cette loi d’exception sur le renseignement que vient de voter l’Assemblée nationale et qui généralise la surveillance de masse, au mépris non seulement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg mais aussi de la Cour de justice de l’Union européenne à Luxembourg en matière de rétention des données. Cette législation dans l’urgence est de surcroît une mauvaise manière de François Hollande à ses collègues du Conseil européen qui avaient demandé une Stratégie de sécurité intérieure après l’attentat contre Charlie Hebdo, laquelle vient justement d’être présentée par la Commission européenne. Avec cette loi taillée sur mesure pour ses seuls services secrets, Paris s’érige en Big Brother européen.

L’inquiétude majeure concerne naturellement cette obligation faite aux opérateurs de télécommunications et aux hébergeurs de sites Internet de poser des boîtes noires sur leurs installations, c’est-à-dire de surveiller le trafic par des algorithmes qui filtreront les profils suspects. Ces derniers, sélectionnés selon des critères pour le moins hasardeux, pourront ensuite être tracés grâce à de fausses antennes-relais installées dans des lieux publics pour capter les métadonnées de leurs téléphones mobiles. Ce système de captation directe d’informations va permettre de surveiller étroitement la société française, mais pas seulement: n’importe quel touriste étranger dans une ville française sera soumis au même régime et en réalité n’importe quel Européen partout sur le territoire de l’Union européenne. Car qu’est-ce qu’une métadonnée? Une simple adresse IP qui se connecte à une autre adresse IP. Autrement dit, tout le flux Internet au départ et à l’arrivée d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un téléphone actif sur le territoire français sera désormais sous contrôle policier.

La situation n’est pas plus satisfaisante sur le plan judiciaire. L’exploitation des données elles-mêmes, c’est-à-dire le contenu des messages ou des conversations téléphoniques, ne sera pas autorisée a priori par un juge d’instruction mais contestée a posteriori par les magistrats administratifs du Conseil d’Etat. Certes, un statut de «lanceur d’alerte» a été créé pour apporter une protection juridique aux agents secrets ou aux policiers qui voudraient dénoncer des abus. Reste que les dispositions pour protéger la confidentialité de certaines professions, comme les journalistes et les avocats, sont purement formelles et sûrement pas de nature à garantir la sécurité des sources et des conversations. Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Président et un noyau de députés courageux s’opposant à ce projet liberticide. Nous prendrons acte de sa décision, mais en tout état de cause, toute ambiguïté subsistant après son arrêt fera l’objet d’une saisine de la justice européenne.

Ancien Premier ministre belge, Guy Verhofstadt est président de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) au Parlement européen.

Source : Guy Verhofstadt, pour L’Opinion, le 10 mai 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/la-france-serige-en-big-brother-europeen-par-guy-verhofstadt/


La France de 2025 vue par les ministres

Saturday 30 May 2015 at 01:22

J’avais ça sous le coude depuis 2013 (je voulais commenter en détail, et je n’ai jamais eu le temps…).

Lisez le papier de Moscovici, c’est à mourir de rire : on s’attend à une espèce de plan d’action pour 2025, on a juste une rêverie illuminée…

Le président a laissé un devoir de vacances à ses ministres : “Décrivez votre vision de la France en 2025″. “Le Point” a relevé les copies de 5 ministères.

Photo de classe du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. © WITT/SIPA   Par 

La question était à peu près la suivante : “Exposez votre vision de la France en 2025. Vous avez un mois.” Le 19 août, donc, à l’occasion du séminaire gouvernemental de rentrée, le maître François Hollande ramassera les copies. Tous les élèves-ministres devront avoir pondu quelques feuillets pour dire, dans leur domaine, ce que sera devenu notre pays. Évidemment, chacun s’est donné le beau rôle dans cet exercice, que Le Point a pu consulter en exclusivité. Mais chacun l’a fait à sa manière. Pierre Moscovici (ou, plus vraisemblablement, quelques surdiplômés qui peuplent Bercy) a rendu une copie à son image – sérieuse, étayée, scolaire. Pas mal de chiffres, quelques notes très optimistes – le plein emploi sera sans doute atteint, le pays aura “recouvré sa souveraineté budgétaire”… – et des idées intéressantes. Moscovici met ainsi en garde contre une chimère, celle de copier le modèle allemand et de “chercher, à grand renfort d’argent public, à reconstruire une industrie perdue”. Bercy prévient en effet que le modèle industriel allemand, “sans doute idéal à court terme (…), ne correspondra plus à l’état de l’économie mondiale dans dix ans”. Les grands pays émergents, dit le devoir de Bercy, seront beaucoup moins consommateurs de biens d’équipement, ce qu’ils sont aujourd’hui. La France doit donc “privilégier des segments plus hauts”.

Valls, lui, fait du Valls. La République est plusieurs fois convoquée, l’ordre aussi, tout comme la laïcité. Très sérieux, comme toujours, Valls se lâche un poil lorsqu’il évoque en 2025 les “forces de l’ordre 3.0″, grandes utilisatrices de nouvelles technologies, et “proches de la population” – on l’espère. Quelques suggestions intéressantes, comme la création de “maisons de l’État” (on comprend qu’elles remplaceront, dans des zones dépeuplées, les sous-préfectures). Valls entrevoit aussi “l’élection au suffrage universel” dans les principales intercommunalités et, même s’il ne le dit pas vraiment, la suppression des départements dans les grandes agglomérations (Paris, Lyon…).

Manuel Valls n’a sans doute pas encore vu la copie de sa voisine Christiane Taubira, mais il y a fort à parier qu’encore une fois, elle va l’énerver à la récré. La garde des Sceaux annonce noir sur blanc la fin des prisons bondées, non pas grâce à la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, mais par “le développement des peines alternatives à l’incarcération”. Voilà qui va faire bouillir Valls, partisan d’une politique plus répressive. Taubira, fidèle à ses convictions, prépare pour 2025 des peines “qui ont du sens, réparatrices pour les victimes, sanctionnant à sa juste mesure l’auteur de l’infraction et permettant l’insertion ou la réinsertion de ce dernier”. Elle compte pour cela sur “la réforme pénale intervenue il y a onze ans” (en 2014, donc), alors que cette réforme est en 2013 bien mal engagée (Valls vient de s’y opposer avec force).

Et Montebourg redressa la France…

L’élève Duflot, de son côté, est limite hors-sujet. Ministre de l’Égalité des territoires, la patronne des écolos en profite pour brosser un tableau inquiétant de la biodiversité en 2025, des changements climatiques, de l’emploi industriel… Ministre du Logement, elle se laisse aller à l’autocongratulation – “Une politique publique du logement volontariste pour garantir l’intérêt général”, titre-t-elle sa copie. Boutant les lois incontrôlées du marché hors de France, elle a instauré, en 2025, “un nouvel âge du logement”. Voilà quelques promesses : “Dans le cadre des lois adoptées entre 2012 et 2014, les logements vacants seront devenus très rares” et “6 millions de logements auront été édifiés”. Conclusion : “Chacun dispose d’un toit et d’un environnement de qualité” (oui, vous avez bien lu, “chacun”). D’ailleurs, poursuit-elle, “l’accès à ces logements pour chacun ne sera plus un facteur de stress et d’incertitude, mais une étape plaisante de la vie”. Vivement 2025.

À cette date, nul doute qu’Arnaud Montebourg se voit à la place de François Hollande. À lire sa copie, on n’a plus de doute : le sauvetage de la France, sa réintégration dans le “concert des grandes nations industrielles”, c’est lui. En voici une preuve, contenue dans sa copie pleine de verve : “En choisissant, il y a plus d’une décennie, de concentrer ses efforts sur les segments de croissance future, sous la forme de 35 initiatives, la France a pris rang sur les marchés les plus dynamiques aujourd’hui et y occupe désormais une place de leader”. Montebourg nous annonce que nos chercheurs et industriels ont mis au point un “véhicule 2 l/100 km”, qui est l’un des “plus commercialisés en Europe” à partir de 2017. Il affirme aussi qu’un programme “Usine du futur” a “permis d’amener nos industries aux meilleurs standards et plus encore de définir un modèle français de production qui après Ford et Toyota fait figure de modèle mondial en concurrence avec les modèles développés en Allemagne (Siemens) et en Chine (Foxconn)”. Aidés notamment par “l’allégement du coût du travail” (tiens, tiens…), “de nombreuses PME” ont crû “pour devenir des grands groupes”. La révolution Montebourg a même transformé “ce qu’il est encore convenu d’appeler le CAC 40 !”.

On attend maintenant les notes du maître Hollande.

 

REGARDEZ la contribution du ministère de l’Économie :

cliquez ici

REGARDEZ la contribution du ministère de l’Intérieur :

REGARDEZ la contribution du ministère de la Justice :
REGARDEZ la contribution du ministère du Redressement productif :
REGARDEZ la contribution du ministère du Logement :

 Source : Le Point, 15/08/2013

 

Source: http://www.les-crises.fr/la-france-de-2025-vue-par-les-ministres/


Miscellanées du mercredi (OTAN, Delamarche, Sapir, Béchade)

Friday 29 May 2015 at 04:44

I. OTAN

Les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN chantent «We Are The World” lors d’un dîner après une réunion en Turquie.

Le secrétaire général de l’OTAN, M. Jens Stoltenberg, la chef politique étrangère de l’UE, Federica Mogherini et le commandant suprême des forces alliées de l’OTAN en Europe, le général Philippe Breedlove ont conduit les ministres sur scène, bras dessus bras dessous, en chantant «We Are The World».

II. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: Sortie de la Grèce: “Un risque de contamination” – 25/05

Les points sur les “i” : Olivier Delamarche: “Mme Yellen dit tout et son contraire à une semaine d’intervalle” – 25/05

III. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade : La reflation des actifs enrichit encore plus les ultra-riches

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (1/2): Renforcement du QE: Les marchés ont-ils raison de s’en réjouir autant ? – 20/05

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (2/2): Investissement: Faut-il privilégier le marché américain ? – 20/05

IV. Jacques Sapir

Les points sur les “i”: Jacques Sapir: “Il y aura une hausse des taux de la FED mais il est clair qu’elle sera très limitée” – 26/05


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-29-05-15/


Stephen F. Cohen : “Ceux qui conçoivent la politique américaine dans ses rapports avec la Russie et l’Ukraine sont en train de détruire la sécurité de la nation américaine”

Friday 29 May 2015 at 04:22

Suite de ce billet

Les mythes du nationalisme américain volent en éclats, alors que notre entretien avec un célèbre professeur arrive à sa conclusion. Patrick L. Smith

S’il y a quelque enseignement à tirer face au sort subi par Steven F. Cohen dans sa vie professionnelle depuis l’année dernière, c’est qu’il n’est pas sans danger de promouvoir une lecture impartiale des faits et gestes de notre grand pays à l’étranger. Les nombreux articles sur la crise ukrainienne et l’écroulement consécutif des relations entre les États-Unis et la Russie qu’il a publiés dans The Nation lui valent aujourd’hui d’être assailli de toutes parts par la critique. “Mon problème avec ça commence par le fait… que je n’ai aucun intérêt particulier à défendre tel ou tel “isme” ou idéologie”, confie Cohen dans cette seconde partie d’un long entretien réalisé le mois dernier.

Le problème vient des idéologues infestant le milieu dans lequel évolue Cohen. Empoisonnés sans recours par l’état d’esprit de la guerre froide ceux-ci ne peuvent pas supporter une pensée non-partisane. Cohen a été principalement universitaire et en partie journaliste depuis les années 70. Sa rubrique “Sovieticus”, lancée dans les années 80 dans The Nation, a fait de ce magazine traditionnellement tourné vers les questions de politique intérieure une des rares publications américaines proposant une analyse cohérente des affaires politiques de la Russie. Aujourd’hui, les essais de Cohen parus dans The Nation constituent le corpus de référence vers lequel se tournent ceux (peu nombreux) qui défient l’opinion dominante.

La première moitié de notre échange, publiée la semaine dernière dans Salon, avait commencé avec les événements de l’année dernière pour remonter jusqu’aux origines post-soviétiques de la crise actuelle. Dans la seconde partie, Cohen complète son analyse concernant l’héritage reçu par Vladimir Poutine et explique comment il en est venu à concentrer sa pensée sur les “alternatives manquées” – issues qui étaient possibles mais ne se sont pas concrétisées. La plus surprenante à mes yeux est qu’il existait une perspective réelle, mais abandonnée, de reformer le système soviétique pour que les souffrances qui ont résulté de son écroulement puissent être évitées.

Salon : ce dont Poutine a hérité à l’époque était un désastre – ou comme il dirait lui-même – “une catastrophe”.

Steven F. Cohen : Comme dirigeant de la Russie, Poutine a changé au fil des ans, surtout en matière de politique étrangère, mais aussi de politique intérieure. Son premier mouvement a été d’aller davantage dans le sens d’une libéralisation des marchés, de la mise en place de taxes à taux fixes. Il a institué un impôt à taux unique de 13% – Steve Forbes aurait été en extase, n’est-ce pas ? Il offre à (George W.) Bush ce que Clinton n’a jamais offert à Eltsine – un partenariat complet. Et que fait-il ? Le 11 septembre 2001 il appelle George et lui dit, “Peu importe ce que vous voulez faire, nous sommes avec vous”. Bush a répondu : “Eh bien, je pense que nous allons devoir partir en guerre en Afghanistan”. Poutine lui dit : “Je peux vous aider. Nous disposons d’appuis et de moyens d’action extrêmement importants en Afghanistan. J’ai même une armée là-bas appelée l’Alliance du Nord. Je vous la donne ! Vous voulez des couloirs aériens ? Vous les aurez.”

Combien de vies américaines Poutine a-t-il sauvées durant notre guerre terrestre en Afghanistan ? Et savez-vous ce que ça lui a coûté politiquement, en Russie ? Parce que ses forces de sécurité étaient totalement contre.

Elles étaient contre ? Expliquez s’il vous plaît.

Oh, oui. Vous pensez que ça les dérangeait de voir l’Amérique mise à genoux ? Ils ont été envahis si souvent ; laissons l’Amérique y goûter un peu ! Mais Poutine pense qu’il a réalisé ce que Elstine n’avait pu faire, et que c’est bénéfique pour l’état russe. Il a établi un réel partenariat stratégique avec l’Amérique. Maintenant, rappelez-vous qu’il est déjà préoccupé par son problème de l’islam radical parce que la Russie a elle-même presque 20 millions de citoyens musulmans. La Russie est à la fois dans l’Est et dans l’Ouest : elle est sur les lignes de front.

Que lui donne Bush en retour ? Il élargit encore plus l’OTAN et retire unilatéralement les USA du Traité des Missiles Anti-Balistiques, le fondement même de la sécurité nucléaire russe – c’est une complète trahison. Est-ce une façon de traiter quelqu’un qui vous a aidé à sauver les vies de vos citoyens ? C’est à ce moment que le mot “trahison” fait son apparition dans le discours.

C’est un mot important pour Poutine.

Pas seulement pour Poutine ; (Dimitri) Medvedev l’utilise aussi quand il devient président [en 2008]. “L’Amérique n’a pas tenu sa parole, elle nous a trahis, elle nous a trompés et nous ne pouvons plus la croire sur parole” – en fait, ils n’auraient jamais dû se trouver pour commencer, dans cette foutue situation, tout comme Gorbatchev aurait dû obtenir que soit mise par écrit la promesse de ne pas élargir l’OTAN. Nous l’aurions fait de toute manière, mais au moins ils auraient eu un sujet de conversation.

Cette foi, cette foi naïve de la part des russes, qu’il y a quelque chose concernant les présidents américains qui les rend honorables – elle montre qu’ils ont besoin d’un cours intensif sur certains sujets. Ce fut une trahison pour Poutine, et pour toute la classe politique russe, et Poutine en a payé le prix.

Je l’ai déjà entendu être qualifié, parmi les intellectuels de droite russe, de laquais de l’Occident. De mou. Vous pouvez entendre ceci aujourd’hui : Marioupol ? Odessa ? Elles devraient avoir été prises depuis un an : elles nous appartiennent. A quoi pense-t-il ? Pourquoi discute-t-il ? (Marioupol et Odessa sont deux villes contestées dans le sud-est de l’Ukraine.)

Ainsi Poutine poursuit son chemin et puis vient son célèbre discours en 2007 à Munich, avec McCain assis au premier rang. Poutine dit juste ce que je vous ai dit. Il dit, écoutez, nous voulons être votre partenaire, c’est ce que nous avons toujours voulu être depuis Gorbatchev. Nous croyons que l’Europe est notre maison commune. Mais chaque fois que nous nous tournons vers vous ou négocions avec vous ou nous pensons que nous avons un accord avec vous, vous agissez comme un chef hégémonique et tout le monde doit faire exactement ce que vous dites s’il veut être de votre côté.

Poutine en est arrivé à dire que l’Amérique prend le risque d’une nouvelle guerre froide avec plus d’une décennie de mauvaise conduite envers la Russie post-soviétique. Ce que John McCain interprète comme la déclaration d’une nouvelle guerre froide.

Mais la diabolisation de Poutine avait commencé plus tôt, avant le discours de Munich, quand il a commencé à chasser quelques-uns des oligarques [des sociétés pétrolières] préférés des américains hors du pays. J’ai vérifié : aucun pays producteur de pétrole important ne permet que son pétrole soit majoritairement détenu par l’étranger. C’est une très, très longue histoire, la manière dont Poutine passe dans les médias US du statut de démocrate au-dessus de tout soupçon et de quelqu’un qui aspire à devenir un partenaire de l’Amérique à celui du Hitler de notre temps, comme l’a appelé Hillary Clinton. Vous voyez à quel point c’est devenu une véritable maladie, ce rejet de Poutine…

RT vient juste de diffuser un documentaire dans lequel Poutine explique en détail à quel moment et pour quelles raisons il a décidé d’agir comme il l’a fait en Crimée. C’est frappant : les délibérations commencent la nuit où le président Ianoukovitch est viré par le coup d’état soutenu par les américains l’année dernière. Pouvez-vous parler des réflexions de Poutine sur la question de la Crimée, amenant à cette annexion ?

Poutine, à mon avis, a fait quelques erreurs d’appréciation. Nous en savons beaucoup plus maintenant sur la Crimée, mais malgré ce qu’il a dit, la question ne faisait pas l’unanimité. Ce n’était pas aussi tranché que ce qu’il prétend. Il y a eu un débat entre deux stratégies.

Le premier camp disait : “Il faut prendre la Crimée immédiatement ou devoir affronter l’OTAN là-bas plus tard”. Quant au deuxième, c’était : “Laissons le référendum [sur le rattachement à la Russie, tenu en mars 2014] se dérouler et ils voteront à plus de 80% en faveur du rattachement à la Russie. Nous ne sommes pas obligés de faire quoi que ce soit à son issue ; ils auront simplement exprimé un souhait, et nous dirons ce que nous en pensons. Pendant ce temps, on regarde ce qui se passe à Kiev”. Le Kremlin avait finalement laissé le vote se dérouler en Crimée. Et c’est la meilleure arme que Poutine aura pour négocier. Il aura la Crimée qui veut joindre la Russie et il pourra dire à Washington : “Bien, vous aimeriez que la Crimée reste en Ukraine ? Voici ce que j’aimerais en retour : une interdiction définitive d’adhérer à l’OTAN et la fédéralisation de la constitution ukrainienne, parce que je dois donner quelque chose à mes frères de Crimée”.

Mais ceux qui soutenaient que la Crimée était la principale arme de Poutine pour des négociations, ont perdu. L’autre camp l’emporta.

Maintenant, Poutine s’en est attribué tout le mérite, mais ce n’est pas ce qui s’est vraiment passé. Ils étaient tous complètement dépendants des renseignements qui venaient de Kiev, de la Crimée et du Donbass. Vous voyez maintenant, si vous observez le film, quel tournant aura été le renversement de Ianoukovitch. Souvenez-vous, les ministres des affaires étrangères européens – polonais, allemand et français – avaient négocié un accord disant que Ianoukovitch formerait un gouvernement de coalition et resterait au pouvoir jusqu’en décembre. Et cet accord a été réduit en cendres par la rue. Je n’oublierai jamais le massif Klitschko [Vitali Klitschko, un boxeur professionnel devenu homme politique d'opposition, aujourd'hui maire de Kiev] debout sur une plate-forme à Maïdan, annonçant, du haut de ses deux mètres, ce grand triomphe suite à la négociation et un type plus petit saisissant le microphone et disant “Va te faire foutre. Cette chose sera brûlée dans les rues.” Le jour suivant c’était fait. Cette nuit-là, vous avez vu à quoi ressemble un champion poids lourd invaincu quand il est frappé de terreur.

Ceci est le moment décisif, et “c’est entièrement la faute de Poutine”, mais c’est entièrement la faute de Poutine parce que sa diabolisation est devenue le pivot de l’analyse.

Que devons-nous faire à partir de maintenant, pour résoudre la question de l’Ukraine ? Vous avez utilisé le mot “espoir” en parlant du cessez-le-feu de février, Minsk II “le dernier, et meilleur espoir.” Cela m’a désarçonné. L’espoir est une vertu, mais qui peut aussi être très cruelle.

N’importe qui, avec un peu de bon sens et de bonne volonté, sait que cela [la solution] se trouve dans la sorte d’autonomie qu’ils ont négociée au Royaume-Uni – Et ne parlez pas d’Ukraine fédérale si cela contrarie Kiev. Comme il est écrit dans la constitution, les gouverneurs de toutes les  provinces ukrainiennes sont nommés par Kiev. On ne peut plus le faire en Ukraine orientale. Probablement, même pas non plus en Ukraine occidentale et centrale désormais. L’Ukraine se fragmente.

Je veux que nous examinions ceci : quel est à votre avis le but stratégique de l’Amérique ? Je pose la question dans le contexte de votre analyse, exposée dans “la Croisade Ratée,” de “transitionologie”, comme vous nommez le paradigme selon lequel la Russie était censée se transformer en un paradis de l’économie de marché. Comme le livre le montre clairement, cela revenait à la promotion et à la protection d’escrocs qui avaient dépouillé une nation tout entière de la plupart de ses biens. Maintenant nous n’entendons plus beaucoup parler de “la transition” de la Russie. Quelle est l’ambition de Washington maintenant ?

Je crois que la crise ukrainienne représente le choc le plus dur pour la sécurité nationale de l’Amérique – plus grave encore que la guerre en Irak dans ses conséquences à long terme – et ce pour une raison simple : la voie vers la sécurité nationale de l’Amérique passe toujours par Moscou. Il n’y a pas un seul problème majeur touchant aux conflits régionaux ou lié aux questions de la sécurité nationale que nous puissions résoudre sans l’entière collaboration de quiconque siège au Kremlin, un point c’est tout.

Choisissez ce que vous voulez : on peut parler du Moyen-Orient ou de l’Afghanistan, de l’énergie ou du climat, de la prolifération nucléaire, du terrorisme, des destructions d’avions, ou bien parler des deux frères terroristes de Boston.

Comprenez : je parle de la sécurité nationale américaine du point de vue qui me préoccupe – qui fait que mes enfants, petits-enfants et moi-même vivons en sécurité – à une époque beaucoup plus dangereuse que celle de la guerre froide parce qu’il y a moins de structure, plus d’acteurs non gouvernementaux et plus de dissémination du savoir-faire et des matériaux nucléaires… La sécurité ne peut qu’être partielle, mais cette sécurité partielle dépend d’une coopération américano-russe digne de ce nom, point. Nous perdons, en Ukraine, l’aide de la Russie pour la sécurité nationale américaine au moment où nous parlons et même si cela devait finir demain la Russie ne sera jamais, pour au moins une génération, aussi disposée à coopérer avec Washington en matière de sécurité qu’elle l’était avant que cette crise n’ait commencé.

Par conséquent, ceux qui conçoivent la politique américaine dans ses rapports avec la Russie et l’Ukraine sont en train de détruire la sécurité de la nation américaine — et par conséquent, c’est moi qui suis patriote, et ce sont eux les saboteurs de la sécurité américaine. C’est là toute l’histoire, et toute personne sensée qui n’est pas atteinte de  Poutinophobie peut le voir clairement.

Est-il exagéré de dire qu’il s’agit de déstabiliser Moscou ?

Qu’est-ce que cela voudrait dire ? Quel serait le sens de vouloir déstabiliser un pays qui potentiellement possède plus d’armes de destruction massive que les États-Unis ?

En effet, est-ce là leur ambition ?

Je ne crois pas qu’il y ait une quelconque ambition. J’en reviens à l’idée que vous avez des perspectives diverses qui sont discutées à huis clos. Je crois que Mearsheimer [John Mearsheimer, le réputé professeur de l'Université de Chicago] a raison quand il tend à dire qu’il y a une faction à Washington qui se comporte exactement comme se comporterait une grande puissance essayant de maximiser sa sécurité, mais qui ne comprendrait pas que c’est ce que font les autres grandes puissances, elles aussi. C’est là qu’est la faille. Gorbatchev et Reagan, quoique ce n’ait pas été leur idée à l’origine, se sont probablement mis d’accord sur la seule chose de première importance : la sécurité devait être mutuelle. C’était leur accord et ils ont tout construit là-dessus. Nous avons un développement de nos forces armées que vous allez percevoir comme une menace et alors vous développez les vôtres de votre côté, et je vais percevoir votre développement comme une menace…et c’est une dynamique de croissance permanente et conventionnelle, une course aux armements permanente. Et c’est pour cette raison que Gorbatchev et Reagan se sont dit, “Nous sommes au bord du précipice. C’est pourquoi nous allons déclarer que la guerre froide est terminée”, ce qu’ils ont fait.

Ce concept de sécurité mutuelle ne signifie pas seulement signer des accords : il signifie ne pas entreprendre quelque chose que vous pensez être pour votre sécurité mais qui va être perçue comme une menace, parce que cela s’avérera contraire à vos intérêts. La défense antimissile est l’exemple classique : on n’aurait jamais dû mettre en œuvre un quelconque programme de défense antimissile sans une coopération avec la Russie, mais, à la place, on l’a conçu comme une opération anti-russe. Ils le savaient et nous le savions, et les scientifiques du Massachusetts Institute of Technology le savaient, mais personne ne s’en souciait parce qu’un certain groupe croyait qu’il fallait contenir la Russie.

La vérité est que tout ne dépend pas du Président des États-Unis. Pas tout, mais énormément de choses en dépendent, et quand il est question des affaires internationales, nous n’avons pas réellement eu de président qui agisse comme un véritable homme d’état vis-à-vis de la Russie depuis Reagan dans les années 1985-88. Clinton ne l’a certainement pas été. Sa politique russe était celle d’un clown et a été préjudiciable aux intérêts de la sécurité nationale américaine. Celle de Bush était irréfléchie et a laissé passer une occasion après l’autre, et Obama est soit mal informé, soit complètement à côté de ses pompes. En ce qui concerne la Russie, il n’y a eu aucun véritable homme d’état à la Maison-Blanche depuis Reagan, et je suis profondément, totalement, à 1000 pour cent convaincu que jusqu’à novembre 2013, lorsque nous avons essayé d’imposer un ultimatum à Ianoukovitch, et même là, aujourd’hui qu’un véritable homme d’état à la Maison-Blanche pourrait mettre fin à tout ça avec Poutine en 48 heures. Ce que veut Poutine pour l’Ukraine est ce que nous devrions vouloir ; c’est la réalité.

Intéressant.

Que veut Poutine ? Il répète la même chose sans jamais varier : il veut une Ukraine stable, sur son territoire actuel – sans la Crimée – et il sait que ce n’est possible que si l’Ukraine est libre de commercer à la fois avec l’Ouest et avec la Russie, mais sans jamais intégrer l’OTAN. Cependant, quelqu’un va avoir à reconstruire l’Ukraine, et il ne pourra pas se charger de ce fardeau tout seul, mais il y aidera en fournissant de l’énergie à prix réduit. Tout pourrait être fait demain si nous avions un homme d’état à la Maison-Blanche. Demain ! Plus personne n’aurait besoin de mourir.

Je pense que la chancelière Merkel le comprend aussi.

Je pense qu’elle a fini par comprendre, mais quelle est sa force, et est-ce que Washington va lui couper les jarrets comme ils sont en train d’essayer de le faire maintenant… [peu de temps avant cet entretien le sénateur McCain s'est livré, lors d'une conférence sur la sécurité à Munich, à une attaque brutale contre Merkel à cause de son opposition à la fourniture à l'Ukraine d'armes létales. Le sénateur républicain de l'Arizona avait de la même façon critiqué Merkel lorsqu'elle avait commencé au printemps 2013 à explorer les possibilités d'une solution diplomatique en Ukraine.]

Ils n’ont pas beaucoup de respect pour elle, et ils ont tort.

Pensez à ce que Lindsay Graham et McCain lui ont fait en Allemagne, dans son propre pays, à la  télévision nationale allemande, face à elle – et le fait qu’elle soit une femme n’a pas aidé, non plus. Leur manière de lui parler, je ne crois pas avoir déjà vu une chose pareille.

Certaines parties de vos recherches sont très émouvantes et il n’y a pas beaucoup de travaux universitaires qui feront jaillir un tel mot. L’énorme valeur cumulée des actifs de l’Union soviétique – la plupart des américains n’en savent rien ; confortés dans cet état par les médias, nous en sommes complètement ignorants. Il n’y a rien qui nous encourage à comprendre que les centaines de milliards d’actifs spoliés pendant les années 90 étaient essentiellement une spoliation des richesses soviétiques.

Beaucoup de ces richesses se sont retrouvées ici, aux États-Unis.

Pouvez-vous nous en parler ?

Je peux vous parler d’un type qui était autrefois très haut placé à la CIA. Je l’ai appelé à propos de quelque chose que j’écrivais sur la richesse russe entrée clandestinement aux États-Unis par l’intermédiaire du système bancaire et il a dit, “Nous avons informé le FBI de manière précise sur la localisation de cette richesse aux États-Unis, mais nous avons reçu des hommes politiques l’ordre strict de ne rien faire.” Alors, la question intéressante c’est, pourquoi maintenant ? Eh bien, cela aurait fortement nui au régime d’Eltsine, que l’administration de Clinton avait inconditionnellement soutenu, mais aussi parce que cet argent était investi dans la bourse et le marché immobilier, en pleine croissance ici, à ce moment-là.

Même aujourd’hui en Russie, quand vous demandez aux gens s’ils auraient préféré que l’Union soviétique ne disparaisse pas, plus de 60 pour cent répondent encore par l’affirmative, parmi les jeunes aussi, parce qu’ils entendent les histoires que racontent leurs parents et grands-parents. Il faudrait une étude particulière, mais ce n’est pas d’une difficulté si extraordinaire. Si de jeunes enfants voient leurs grands-parents mourir prématurément parce qu’ils ne reçoivent pas leurs pensions de retraite, ils vont en vouloir au système. Quand l’état-providence soviétique a touché le fond, et que le chômage a explosé, ce qui est  arrivé dans les années 90 est que la classe moyenne soviétique – qui était une des plus compétentes et instruites et avait des économies et qui de ce fait aurait dû être le socle pour la création d’une économie de marché russe – que cette classe moyenne a été anéantie et n’a jamais été recréée. Au lieu de cela, on s’est retrouvé avec un pays de nouveaux pauvres et de gens très très riches – avec une petite classe moyenne au service des riches. Cela a changé sous Poutine ; Poutine a reconstruit la classe moyenne, progressivement.

La classe moyenne russe n’est pas la même que la nôtre. Beaucoup de russes de la classe moyenne sont des gens qui dépendent du budget fédéral : officiers de l’armée, médecins, scientifiques, enseignants – ceux-là vivent tous du budget fédéral. Ils sont une classe moyenne, mais ils ne deviennent pas une classe moyenne en tant que propriétaires autonomes. Beaucoup de mes amis font partie de cette classe, et beaucoup sont pro-Poutine, mais beaucoup de mes amis aussi sont anti- Poutine. Ce qu’il y a à dire sur l’Union soviétique peut être résumé très simplement : l’Union soviétique a duré 70 ans, ce qui est moins que l’espérance de vie d’un homme américain d’aujourd’hui. Il n’est pas plus possible de sortir de son histoire personnelle que de sortir de sa peau – c’est votre vie. Vous êtes nés en Union soviétique, vous avez eu votre première expérience sexuelle en Union soviétique, vous y avez fait vos études, construit une carrière, vous vous y êtes mariés, vous y avez élevé vos enfants : c’était votre vie. Bien sûr elle vous manque, certaines choses vous manquent à coup sûr.

Il y avait des nationalités ethniques en Union soviétique qui détestaient l’URSS et voulaient s’en séparer, et ça a joué un rôle en 1991, mais pour la grande majorité des gens – certainement la majorité des russes et beaucoup d’ukrainiens, de biélorusses et les populations d’Asie Centrale – il n’est pas surprenant que 25 ans plus tard, ces adultes se rappellent  toujours l’Union soviétique avec affection. Ceci est normal et je n’y trouve rien de mal. Vous savez, Poutine n’était pas, en réalité, le premier à le dire, mais il l’a vraiment dit et c’est génial, et ça vous explique qui est Poutine et ce que sont la plupart des russes. Il a dit ceci : “Celui qui ne regrette pas la fin de l’Union soviétique n’a pas de cœur. Celui qui pense que l’on peut recréer l’Union soviétique n’a pas de tête.” C’est vrai, c’est exactement ça !

Poutine n’a-t-il pas dit que la fin de l’Union soviétique était la plus grande catastrophe du 20e siècle ?

Tout a un rapport avec l’article “La”. Il n’y a pas de “La” en russe. Poutine a-t-il dit, si on le traduit correctement, que la fin de l’Union soviétique était “La” plus grande catastrophe du 20e siècle ? Si c’est vrai, alors l’affirmation n’est pas très juste, parce que pour des juifs ça a été l’Holocauste. Ou a-t-il dit, “une des” plus grandes catastrophes ?

J’aurais penché pour cette dernière interprétation.

Les quatre traducteurs professionnels à qui j’ai envoyé la phrase de Poutine ont tous dit qu’on doit la traduire par “une des plus grandes catastrophes du 20e siècle.” Maintenant, nous pouvons avoir une discussion. C’est une position modérée, mais quelles sont les autres ? D’accord, mais catastrophe pour qui ? Les américains ne pensent pas que cela ait été une catastrophe. Poutine dirait, “Regardez, vingt millions de russes se sont retrouvés à l’extérieur du pays quand l’Union soviétique s’est défaite, ça a été une tragédie pour eux, une catastrophe. Soixante-dix ou quatre-vingts pour cent ont plongé dans la  pauvreté dans les années 90, et ont tout perdu. Qualifierais-je cette catastrophe de seulement “une des plus grandes” ? Je dirais oui, parce que tout le monde a sa “plus grande catastrophe”. Pour les juifs il n’y a aucune catastrophe plus grande que l’Holocauste. Pour les arméniens, leur génocide. A nouveau, les gens ne peuvent pas s’extraire de leur histoire. Une personne tolérante, démocratique le reconnaît. Chaque peuple et chaque nation a sa propre histoire. Je voudrais écrire un article sur ce sujet, mais je ne vais pas vivre assez longtemps pour écrire tous les articles ou tous les livres que je veux écrire. Nous disons, par exemple, que les russes n’ont pas fait face et entièrement reconnu les horreurs du stalinisme et ses victimes. Je soutiendrais dans cet article qu’ils ont fait plus pour reconnaître les horreurs du Stalinisme que nous ne l’avons fait a propos de celles de l’esclavage.

Intéressant.

Par exemple, avons nous un musée national de l’histoire de l’esclavage aux États-Unis ? Ils sont en train d’en construire un très grand pour commémorer les victimes de Staline. Il a récemment signé un décret commissionnant l’érection d’un monument dans le centre de Moscou, pour ces victimes.

Pour parler de ces choses que vous écrivez et qui me touchent, j’ai toujours voulu vous demander ceci depuis des années. C’est en rapport avec les sentiments des russes et ce qu’ils voulaient, leurs ambitions pour eux-mêmes, une forme de… tout en lisant ces passages je n’arrêtais pas de me dire “Je me demande s’il va utiliser le terme “sociale démocratie” ; Et, en effet, vous l’avez fait. Ces passages m’ont forcé à retirer Rudolf Bahro (auteur de “L’alternative en Europe de l’Est”) de mes étagères. Ce qui devait logiquement suivre l’apaisement des tensions Est-Ouest était une forme de sociale-démocratie. Je ne sais pas quel pays pourrait nous en donner un exemple. Un système qui se situerait quelque part entre celui de la Norvège et de l’Allemagne. Pour moi ce qui est arrivé à la place est une horrible tragédie, pas seulement pour la Russie mais pour toute l’Europe de l’est.

Mon problème avec ça commence par le fait que je ne suis pas un communiste, je ne suis pas un socialiste ou un social démocrate. J’aimerais avoir assez d’argent pour être un vrai capitaliste mais c’est très dur. (rires) Je n’ai pas d’intérêts personnels dans l’un de ces “ismes” ou idéologies mais je suis d’accord avec vous. Je ne peux rien dire sur l’Europe de l’est, laissons-la de côté, mais regardez la Russie. On aurait pu s’attendre à ce que l’issue logique du démantèlement du système soviétique stalinien, car c’est Staline qui l’avait principalement bâti à partir des années 30, soit une mise en place en Russie d’un système social-démocrate et à ce que ce rôle échoie à Gorbatchev. Beaucoup de livres ont été écrits sur ce sujet, les plus convaincants étant ceux d’Archie Brown, grand universitaire britannique qui connaît Gorbatchev personnellement, probablement aussi bien que moi-même, qui affirment que Gorbatchev se voyait lui-même comme un social-démocrate européen lorsqu’il était encore au pouvoir. C’était là son but. Il était très proche du premier ministre d’Espagne, un social-démocrate, j’oublie son nom.

Zapatero ?

Je ne me souviens plus, mais je me souviens qu’ils se sont rencontrés souvent pour parler de sociale-démocratie.

Je pense que c’était Felipe Gonzalez.

Oui, c’est bien ça, Gonzalez. Gorbatchev était un homme extrêmement bien informé, et ses conseillers, lorsqu’il était au pouvoir, étaient principalement des sociaux-démocrates, et ce depuis de longues années. Leur mission était de transformer l’Union soviétique. Maintenant, souvenons-nous que Lénine était au départ un social-démocrate et son modèle n’était pas seulement Marx mais aussi le parti social-démocrate allemand. Le parti bolchévique, ou communiste, s’appelait d’abord le parti social-démocrate russe, qui s’est scindé en deux entre bolcheviks et mencheviks. Donc, d’une certaine façon, et je l’ai une fois fait remarquer à Gorbatchev, historiquement il voulait revenir au Lénine d’avant sa conversion au bolchevisme. Il m’a dit : “Eh bien, c’est assez compliqué. Tout le monde s’accorde à dire que la Russie est un pays de centre-gauche.”

Les russes ont une sensibilité de centre-gauche. C’est un pays de l’état-Providence. Gorbatchev a eu cette conversation intéressante avec Poutine, lorsqu’il est allé dire à Poutine que lui, Gorbatchev, allait lancer un parti social-démocrate. Il y avait déjà eu plusieurs tentatives de lancement qui n’avaient rien donné. Et Poutine lui a répondu que c’était la bonne chose à faire car la Russie est un pays qui se situe vraiment au centre-gauche. Donc Poutine a dit la même chose. Et la Russie est comme il le dit, si on examine son histoire…

Là vous parlez de la Russie très tôt dans son histoire, en pensant au fort attachement des russes à leur communauté et tout ça ?

Quel que soit votre angle, la tradition paysanne, la tradition urbaine, la tradition socialiste. Presque tous les partis révolutionnaires étaient socialistes. Il n’y avait pas de Tea Party parmi eux. C’est dans la tradition russe. Maintenant, de toute évidence les choses ont changé mais je peux dire que d’après les sondages, la plupart des russes croient, à une écrasante majorité, que l’état a des obligations envers eux qui comprennent les services médicaux, une éducation gratuite et du travail pour tous. En fait, c’est inscrit dans la constitution russe, la garantie d’avoir un emploi. La plupart des russes pensent que le marché ne devrait pas être “libre” mais social ou régulé, que certaines choses devraient être subventionnées, que le gouvernement devrait réguler certaines choses, et que personne ne devrait être trop riche ou trop pauvre. Pour ces choses-là vous obtenez 80 pour cent des votes à chaque fois. C’est un programme de parti social-démocrate, n’est-ce pas ? Alors pourquoi n’en ont-ils pas un ?

Je pose cette question à toutes mes connaissances en Russie qui souhaitent que voie le jour un parti social-démocrate. Ces gens-là existent, mais pas de parti capable de gagner des élections ? Quel est le problème ? Je pense le savoir mais je veux entendre les russes me donner la bonne réponse. Car ce que nous avançons, vous comme moi, est ensuite repris par les gens. Tout d’abord, ils ont encore la gueule de bois laissée par le communisme, qui était social-démocrate et un peu socialiste, par certains aspects.

Ensuite, et c’est probablement la raison-clé, les mouvements sociaux-démocrates avaient tendance à se développer à partir des mouvements ouvriers – des mouvements syndicaux, historiquement, en Angleterre, dans les pays scandinaves et en Allemagne. Puis ils sont devenus le mouvement politique du mouvement ouvrier, le mouvement de la classe laborieuse. Donc normalement vous obtenez un mouvement ouvrier qui préfère l’action politique aux grèves, qui crée un parti politique, vous avez un système parlementaire, ils commencent à obtenir un soutien dans la classe laborieuse, des éléments de la classe moyenne les rejoignent, et finalement vous vous retrouvez  avec la sociale-démocratie européenne.

L’ancien Parti Travailliste en Grande Bretagne en est un parfait exemple.

Bien, les syndicats ouvriers en Russie sont un vrai foutoir. Je ne devrais pas dire ça, mais ils sont complexes. Le principal reste le vieux syndicat officiel des soviets qui est profondément compromis avec les employeurs d’état. Le ou les indépendants n’ont pas été capables de recueillir une adhésion suffisante. Dans presque tous les pays européens il y avait un certain contexte, on pourrait dire que la culture politique était favorable. Ces circonstances objectives n’existent pas (en Russie) ; Premièrement vous avez une classe moyenne précaire et ravagée, qui a vu ses économies confisquées ou dévaluées de manière répétée durant les 25 dernières années. Vous avez une classe ouvrière piégée entre les oligarques, les intérêts de l’état et les vieilles industries, et les entrepreneurs privés qui sont très vulnérables. Autrement dit, la classe ouvrière est elle-même en transition. Ses propres insécurités ne la mènent pas à penser en termes d’organisations politiques mais en termes de problèmes – comme celui de savoir si Ford va tous les virer demain. Ce sont des questions ponctuelles.

Ensuite, vous n’avez personne pour assurer le leadership. Le leadership compte vraiment. Personne n’a émergé, ni du parlement russe ni de la sphère politique russe. Dans les années 90, l’étoile de Gorbatchev avait bien pâli et il était trop haï pour ce qui était arrivé au pays. Il espérait être, quand il s’était présenté cette fois [en 1996] et avait obtenu 1%, il espérait être le guide de la sociale démocratie. Il y a deux trois types au parlement qui aspirent à devenir les leaders de la sociale-démocratie russe… Quand on me demande, et c’est ce que j’ai dit aux jeunes sociaux-démocrates et à Guennady Zyouganov que je connais depuis 20 ans, le leader du parti communiste, le seul parti vraiment éligible, que la Russie a besoin d’une sociale-démocratie à visage russe.

Cela veut dire que la plus importante force en Russie, et les gens ont eu tort de dire que c’est Poutine qui l’a créée, est le nationalisme. En fait cela a commencé sous Staline. Il s’est fermement installé dans les années Brejnev et s’était éclipsé durant la pérestroïka de la fin des années 80. Puis il y a eu une inévitable résurgence comme résultat des années 90. Vous ne pouvez pas être un candidat politique d’avenir en Russie aujourd’hui si vous ne prenez pas en compte le nationalisme.

Donc, le meilleur moyen, à mon avis, si vous voulez aussi la démocratie, c’est la sociale-démocratie avec un visage nationaliste russe. Ce qui est intéressant c’est que le gars qui était jusqu’à très récemment le leader de l’opposition le plus populaire, Navalny ­[Alexi Navalny, l'illustre activiste anti-corruption], qui a recueilli presque 30% des voix aux élections municipales à Moscou et puis a tout gâché en redevenant un anti-système intégral, au lieu de construire sur la base de son succès électoral – eh bien, il est trop nationaliste au goût de beaucoup de démocrates.

Vraiment ? Ce n’est pas en lisant la presse qu’on aurait appris ça.

Il a un passé pas très glorieux pour ce qui est relatif aux gens originaires du Caucase, entre autres. Mais ce qui est intéressant à cet égard est que nous ne parlons jamais de nationalisme américain. Nous l’appelons patriotisme. Bizarre, n’est-ce pas ? Nous n’avons pas d’état, nous avons un gouvernement…

Tout homme politique américain visant la présidence essaie en effet de faire du nationalisme américain le programme de sa candidature, mais ils l’appellent patriotisme. Ils sont totalement conscients de la nécessité de faire ça, n’est-ce pas ? Alors pensent-ils que Poutine ne doit pas le faire, lui aussi ? C’est incompréhensible. Il n’y a aucune lucidité.

En Russie, les gens ont considérablement perdu espoir après 1991, mais leur espoir s’est ensuite raccroché à Poutine, imaginez ce à quoi il a dû faire face. Par exemple, pouvez-vous imaginer devenir le dirigeant d’un tel pays et, pour des raisons de consensus, suivre un manuel réunissant l’histoire tsariste, soviétique et post-soviétique ? Nos présidents ont eu bien du mal à concilier notre histoire de l’esclavage et de l’après-esclavage, de la guerre civile et de l’après-guerre civile. Comment s’y sont-ils pris ? Chaque président a eu un mode d’action différent, mais Poutine a hérité de cette histoire conflictuelle, et la manière dont il a essayé de raccommoder ces trois périodes pour donner aux russes une version consensuelle de leur histoire qu’on pourrait également enseigner aux enfants dans les écoles est très intéressante. Maintenant, bien sûr, de nouvelles déchirures apparaissent avec cette guerre, la Crimée, et ce nouveau nationalisme.

J’aimerais changer de sujet. Souvent, dans vos livres, vous faîtes part de l’intérêt que vous portez aux autres possibilités existantes : qu’aurait-il pu arriver si ceci ou cela avait été différent. Nous en avons isolé une, l’occasion manquée pour une évolution historiquement logique vers une sociale-démocratie en Russie. Comment expliquez-vous cette tendance de votre esprit ?

Nous avons tous vécu des expériences qui ont eu un rôle formateur, ont fait de nous ce que nous sommes, du moins c’est ce que nous croyons en y repensant longtemps après. On ne sait pas, au moment où on le vit, que tel ou tel évènement est formateur jusqu’à bien plus tard. Vous seriez d’accord avec ça.

C’est seulement après coup. “La réalité ne se forme que dans la mémoire.” Proust.

Pour moi, c’est le fait d’avoir grandi dans le sud marqué par le ségrégationnisme. Mais la réalité s’est avérée valable rétrospectivement, parce que je me suis rendu compte plus tard que ce que je faisais avait été tellement façonné par mon enfance dans le sud ségrégationniste, la manière dont j’y réagissais et les enseignements que j’en ai tirés plus tard dans ma vie m’avaient effectivement, et de manière étrange, conduit à la Russie.

Vous y avez fait allusion dans le livre sur le retour des victimes du goulag, The victims return. J’aimerais que vous puissiez expliquer le rapport. Comment le fait d’avoir grandi dans le Kentucky [Cohen a été élevé à Owensboro] vous a conduit à étudier l’histoire de la Russie, et que vous apporte-t-il pour votre analyse de la situation dans ce pays ? Comment une enfance dans le Kentucky vous sensibilise aux alternatives ?

Bon, vous devez vous souvenir de ce qu’était la ségrégation. Je ne le comprenais pas quand j’étais petit, mais c’était la version américaine de l’apartheid. Owensboro comptait probablement moins de 20 000 habitants à cette époque, fermiers compris. Pour un enfant grandissant dans une région où la ségrégation est institutionnalisée, l’état du monde où il est né est l’état normal du monde. Je n’avais pas de doute à ce propos… Je ne percevais pas l’injustice de la situation.

Ensuite vous commencez à grandir et à voir l’injustice, et vous vous demandez : “Comment cela a-t-il pu arriver ?…” A l’université d’Indiana, je tombe sur ce professeur qui deviendra mon mentor, Robert C. Tucker, [Tucker, mort en 2010, était un russologue distingué, auteur d'une célèbre biographie de Staline]. J’étais déjà allé en Russie – par hasard, je faisais un voyage – et il m’a demandé, “Qu’est-ce qui vous intéresse dans la Russie ?” et j’ai répondu, “Et bien, je suis du Kentucky, et je me suis toujours demandé si le Kentucky aurait pu connaître une autre alternative qu’être un état du sud profond ou pas.” Et Tucker répondit, “Vous savez, une des questions principales de l’histoire russe sont les occasions manquées. Personne ne les a jamais étudiées.” Et là j’ai dit : “Ah ah !”

Alors le titre de votre livre de 2009, Destins de l’Union soviétique et occasions manquées, c’était en son honneur ?

J’ai commencé à vivre en Russie en 1976, deux à trois mois par an jusqu’à ce qu’ils me retirent mon visa en 1982. C’est alors que je me suis profondément impliqué dans le mouvement de dissidence, faisant sortir des manuscrits en douce, rapportant des livres et tout ce genre de choses. J’ai commencé à me demander : “Comment la Russie évolue-t-elle aujourd’hui ?” Et j’ai repensé à la ségrégation, et à la fin de la ségrégation, et aux amis et ennemis du changement… J’ai écrit un article appelé “Les amis et les ennemis du changement” sur le réformisme et le conservatisme dans le système soviétique, car je pensais aux institutions, à la culture, à l’histoire et aux dirigeants, et que vous aviez besoin d’une conjonction de ces éléments avant de pouvoir provoquer un changement majeur en Russie et dans l’Union soviétique… J’ai publié ça dans un article en 1976 ou 1977, et j’ai développé l’idée pour un livre que j’ai écrit, “Repenser l’expérience soviétique”, qui a été publié en 1985, un mois avant l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev. Tout le monde dira plus tard, “Il avait présagé l’arrivée de Gorbatchev.”

En réalité, ce n’est pas tout à fait exact. J’avais prévu la perestroïka. Pour moi, le nom du dirigeant était moins important que la politique que ce dirigeant allait mettre en œuvre. J’ai commis une erreur. Parce qu’il était très difficile de soutenir, dans l’Amérique de la guerre froide, que l’Union soviétique avait la capacité d’entreprendre les réformes en attente, si les facteurs étaient réunis. Je n’ai pas pensé à pousser ma discussion plus loin que la libéralisation, jusqu’à envisager la mise en place concrète de la démocratie. Donc, je n’ai pas prévu que Gorbatchev mettrait en place une démocratie réelle, instaurant le vote libre et démantelant le parti communiste… Mais j’ai toujours pensé que repenser à l’histoire du Kentucky, avoir vécu la ségrégation, constaté les changements, vu les mouvements pour les droits civiques, vu la résistance se développer, m’avait aidé a comprendre plus clairement et l’Union soviétique sous Brejnev et mes amis dissidents. Et j’ai aussi très bien connu pas mal de réformateurs dans la bureaucratie du parti , et quand certains soirs, ils nous arrivait de discuter ensemble, je ne l’ai jamais mentionné, mais mon esprit se laissait toujours aller à cette sorte de retour en arrière.

Le rapport n’est pas du tout évident, mais vous l’expliquez très bien et c’est clair une fois fait.

Eh bien quelquefois les gens lisent un livre qui leur ouvre les yeux. Je pense tout le secret, particulièrement quand vous vieillissez… Trotsky, je pense, a écrit qu’à partir d’un certain âge, je crois qu’il parlait de 39 ou 45 ans, tout ce que nous faisons est de documenter nos préjugés. Et il y a quelques vérités en cela, c’est évident. Mais une des façons d’éviter de devenir dogmatique sur vos propres vues exprimées c’est de garder un œil sur les choses qui remettent en cause ce que vous pensez. Vous essayez de les filtrer par n’importe quel dispositif intellectuel que vous aviez utilisé, dans mon cas, pendant 40 années.

J’ai pensé qu’il serait intéressant de présenter ces extraits du journal de Kenan ["The Kenan Diaries," 2014] [NdT : Kenan, fameux diplomate US, en poste en URSS publie ses mémoires truffées de révélations sur le côté "sombre" de sa fonction] qui pourrait être pertinents pour notre échange. Ce qui m’a frappé dans ces extraits est l’énorme tristesse et le pessimisme qui le dominaient dans les dernières années. Je me demande si vous êtes d’accord.

Ma position a toujours été que l’Amérique n’a pas besoin d’un ami au Kremlin. Nous avons besoin d’un partenaire en matière de sécurité nationale. Les amitiés ne durent généralement pas. Contrairement aux partenariats fondés sur des intérêts communs, des intérêts propres à chacun qui se rejoignent.

J’ai toujours su qu’un tel partenariat serait difficile à mettre en place parce qu’il y a trop de différences, de conflits et de champs de mines laissés par la guerre froide. Il y a eu plusieurs occasions d’améliorer le partenariat – au moment de la Détente de la période Nixon-Brejnev, celle de Gorbatchev et Reagan, Gorbatchev et Bush, et même celle de Poutine après le 11 septembre, quand il a aidé [Georges W.] Bush en Afghanistan. Mais elles sont toutes devenues des opportunités ratées, celles d’après 1991 l’ayant été du fait principal de Washington, pas de Moscou.

Quand je parle d’alternatives manquées, je ne parle pas de fictions utilisées par les romanciers et quelques historiens – la création de “mondes alternatifs”. Je parle de possibilités réelles qui ont existé politiquement à des tournants de l’histoire, et de pourquoi telle voie a été prise et pas telle autre. La plus grande part de mon travail est axée sur cette grande question de l’histoire de la Russie soviétique et post-soviétique et sur les relations US-Russie.

Donc vous voulez savoir si je suis déçu par les occasions perdues d’un partenariat américano-russe, particulièrement à la lumière de la terrible confrontation sur l’Ukraine ? M’étant battu pour un tel partenariat pendant près de 40 ans, oui évidemment, je suis personnellement déçu – et encore plus par la crise ukrainienne parce qu’elle pourrait se révéler fatidique dans le pire sens du terme.

D’un autre côté, en tant qu’historien spécialisé dans les occasions perdues, eh bien, maintenant, j’en ai une autre à étudier, à remettre dans son contexte historique, et à analyser. Et c’est mon analyse historique – qu’une occasion en Ukraine a été gâchée en premier lieu par Washington, non par Moscou – celle que n’aiment pas ceux qui me dénigrent.

Ce à quoi je réponds, laissons-les étudier l’histoire, parce que peu d’entre eux, si ce n’est aucun, ne semblent l’avoir fait.

Source : Salon, le 23/04/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/stephen-f-cohen-ceux-qui-concoivent-la-politique-americaine-dans-ses-rapports-avec-la-russie-et-lukraine-sont-en-train-de-detruire-la-securite-de-la-nation-americaine/


[Propagande 1/2] Les médias chiens de garde à l’attaque de l’Argentine…

Thursday 28 May 2015 at 03:37

Nous allons ici décrypter l’affaire Nisman dont vous avez sans doute entendu parler – sans en connaitre le fin mot… (ce qui ne veut pas dire que cette série vise à dédouaner de toute critique la présidente argentine – je n’en sais rien. C’est la traitement médiatique qui est très intéressant…)

La narrative était simple : la très très méchante présidente argentine a fait maquiller en suicide le meurtre du gentil gentil juge qu’elle avait commandité, vu qu’il allait prouver à la face du monde sa malhonnêteté… (tiens, ça ne vous rappelle rien, en changeant juge par opposant ?)

Ce qu’on vous a montré :

LE MONDE

En Argentine la présidence Kirchner minée parl’affaire Nisman (C.Legrand)

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/02/05/en-argentine-la-presidence-kirchner-minee-par-l-affaire-nisman_4570528_3222.html?xtmc=kirchner_nisman&xtcr=20
« Deux semaines après la mort suspecte du procureur Alberto Nisman, et alors que l’enquête piétine, des milliers de personnes ont défilé dans Buenos Aires, mercredi 4 février, pour exiger « la fin de l’impunité … La sensation que l’impunité est de règle en Argentine a été alimentée, ces dernières années, par une série de tragédies sans coupables – l’incendie d’une discothèque en 2004 ou l’accident d’un train en 2012 –
et par des scandales de corruption éclaboussant le pouvoir et qui n’ont jamais été sanctionnés…
Argentine : le crépuscule des années Kirchner (P. Paranagua)
http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/02/20/argentine-le-crepuscule-des-annees-kirchner_4580641_3222.html?xtmc=kirchner_nisman&xtcr=12
« La tragique affaire Nisman sonne le glas des années Kirchner. La mort subite et suspecte du procureur Alberto Nisman, le 18 janvier, alors qu’il s’apprêtait à engager des poursuites contre la présidente Cristina Kirchner, a précipité une ambiance de fin de règne, avec sa succession d’épisodes pathétiques … Les Kirchner et leurs partisans ont du mal à accepter l’alternance, parce qu’ils craignent des poursuites judiciaires. L’enrichissement personnel vertigineux de la famille Kirchner suscite des soupçons : au minimum, il y a eu conflit d’intérêt, si ce n’est blanchiment d’argent provenant de la corruption. Le capital initial amassé pendant la dictature militaire, lorsque les Kirchner, avocats d’affaires, se sont repliés sur la province natale de Nestor, Santa Cruz, ne suffit pas à expliquer l’expansion de leur fortune ».
MARIANNE
Argentine : L’intrigante mort du procureur Nisman
http://www.marianne.net/argentine-intrigante-mort-procureur-nisman.html
«Qui a tué le procureur Nisman ? La question agite l’Argentine depuis bientôt deux semaines, date à laquelle Alberto Nisman, 51 ans, a été retrouvé mort, d’une balle dans la tête, dans la salle de bain de son luxueux appartement … Après dix ans d’enquête dans l’affaire de l’attentat de 1994 contre l’Association mutuelle israélite argentine (AMIA), qui a fait 85 morts, le procureur s’apprêtait en effet à présenter devant le Parlement argentin ses conclusions. Très embarrassantes pour quelques-uns des plus hauts dignitaires du pays, parmi lesquels la présidente Cristina Kirchner accusée publiquement par Nisman, le 14 janvier dernier, d’avoir protégé les officiels iraniens inculpés dans l’attentat, en échange du renforcement des liens commerciaux entre l’Iran et l’Argentine ». 
L’OBS
“Je suis Nisman. Un magistrat meurt mystérieusement. Et l’Argentine s’embrase.”
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20150120.OBS0320/je-suis-nisman-un-magistrat-meurt-mysterieusement-et-l-argentine-s-embrase.html

« Il accusait la présidente Cristina Kirchner d’avoir couvert les suspects d’un attentat antisémite. L’enquête sur la mort du magistrat Nisman s’oriente vers un suicide, mais la société argentine demande la vérité et dénonce la corruption du gouvernement. »

Pas besoin d’aller plus loin …
 
THE GUARDIAN
Il suffit d’énumérer les titres de leurs articles, selon leur moteur de recherche :
« Family of Alberto Nisman say Argentinian prosecutor was murdered », “Argentina, Iran and the strange death of Alberto Nisman », “Alberto Nisman’s death highlights failures of Argentinian investigation», “Reporter flees Argentina after threats in case of dead prosecutor », “Spies, cover-ups and the mysterious deathof an Argentinian », “Argentina prosecutor laid to rest as protesters demand ‘Justice for »
THE NEW YORK TIMES. 
Même chose :
“Alberto Nisman, Argentine Prosecutor, Was Killed, His Ex-Wife Says »”The Mysterious Death of Alberto Nisman” –« Puzzling Death of a Prosecutor Grips Argentina» “Suspicion Is Cast on Aide in Death of Argentine Prosecutor « Draft of Arrest Request for Argentine President Found at Dead … » “March to Honor Dead Prosecutor Highlights Tensions” 
http://www.slate.com/blogs/the_slatest/2015/02/04/
« who_killed_argentinian_prosecutor_alberto_nisman ?
http://financial-times
« Democracy-in-argentina-dented-by-mysterious-murder”)
 https://foreignpolicy.com/2015/01/22/
Can-argentina-find-justice-without-alberto-nisman ?”
Délire sur Nisman le justicier infatigable.
“Nisman committed suicide. I don’t believe it. … Kirchner’s administration insisted that the charges “have no foundation,” but neither those charges nor the sudden, suspicious death of the prosecutor who brought them would be the first time the case was marred by political corruption and illegal activities at the highest levels”.
El PAIS
Ordre d’apparition selon leur moteur de recherche.
06/3 « L’ex épouse affirme que l’ex- procureur Nisman a été assassiné », 20/1 « Le légiste penche pour le suicide, mais n’exclut pas qu’il ait pu être provoqué », 21/4 « le procureur renonce à poursuivre la présidente », avec pour commentaire : on ne saura donc jamais qui a commis l’attentat, comme si cela avait un rapport !
19/1 Editorial non signé du journal : « La balle qui a tué Nisman se glisse dans les failles d’une démocratie faible contaminée par l’autoritarisme ».
20/1 « L’enquête alimente les doutes qui existent sur la mort de Nisman »
26/1 Editorial « L’argentine recule. La perception de l’impunité dans le tissu social genera un desespoir impuissant ».

Source: http://www.les-crises.fr/propagande-1-2-les-medias-chiens-de-garde-a-lattaque-de-largentine/


[Propagande 2/2] Ce que vous n’avez pas appris dans les médias à propos de l’affaire Nisman

Thursday 28 May 2015 at 02:08

Merci à Bernard Guerrien qui m’a proposé et a réalisé ce dossier pour nous…

On se souvient de l’énorme campagne médiatique mondiale sur le « petit magistrat suicidé-assassiné », alors qu’il venait de demander l’inculpation de la présidente de la République, de son ministre des affaires étrangères et de quelques députés et hauts fonctionnaires pour « félonie » – sombres manœuvres visant à disculper des dirigeants iraniens de l’attentat contre la mutuelle juive (AMIA), en 1994, à Buenos Aires. Gros titres dans la presse mondiale. Une « manifestation immense », une « marée humaine » selon Le Monde, d’une population meurtrie et « indignée». 400.000 personnes « selon la police de Bs As » (Le Monde, 19/2/2015). Le Monde omet de signaler que la police dont il parle dépend du maire, de droite, de la capitale, très hostile au gouvernement. 50.000 personnes selon la police fédérale et, le plus crédible, 80.000 selon une étude de densité faite par un journal trotskyste d’opposition (de gauche). Tout cela dans « une ambiance de fin de règne » pour une présidente cernée par les affaires de corruption :

« La mort subite et suspecte du procureur Alberto Nisman, le 18 janvier, alors qu’il s’apprêtait à engager des poursuites contre la présidente Cristina Kirchner, a précipité une ambiance de fin de règne, avec sa succession d’épisodes pathétiques » (Le Monde, 21/2/2015).

La thèse de l’assassinat était ainsi (implicitement) confortée : on ne manifeste pas pour un suicide ! Et cela bien que personne n’ignorait alors que les « accusations » de Nisman reposaient sur du sable. Faites en pleine trêve judiciaire d’été, subitement et théâtralement, elles n’avaient guère convaincu la juge de garde – Servini de Cubria, une personnalité très respectée – qui n’avait pas accédé à la demande de Nisman de rompre la trêve et d’inculper les « suspects ». Le juge chargé du dossier, Canicobal Corral, rentré précipitamment de vacances, l’a approuvée, estimant que Nisman n’ « apportait aucun élément nouveau », qu’il avançait « des propos de services d’espionnage sans aucune valeur judiciaire », l’accusant au passage d’avoir travaillé pendant deux ans, comme il le prétendait, sans en référer à aucun juge. . Pire, le chef d’Interpol entre 2000 et 2014 qui s’était occupé du dossier iranien, Ronald Noble, a pris publiquement position en affirmant :

« je peux dire, avec 100% de certitude, sans le moindre doute, que le ministre des affaires étrangères, Timerman et le gouvernement argentin ont toujours insisté, sans aucune ambiguïté, pour que les listes rouges d’Interpol demeurent en vigueur, sans jamais demander qu’elles soient suspendues ou retirées”.(The Telegraph, 19/01/2015)

Il a qualifié de “fausses” les allégations de Nisman. Tout cela avant son « assassinat », la veille du jour où les députés du parti au pouvoir, sûrs d’eux, avaient convoqué Nisman au Parlement pour qu’il apporte les nouvelles preuves qui justifiaient l’inculpation de la Présidente de la République – rien que ça ! On a appris par la suite que son mentor et principal informateur, l’ancien ‘chef des opérations’ des services secrets, Stiuso, un homme de l’ombre au passé trouble, l’avait lâché et ne répondait plus à ses innombrables appels, la veille de sa parution devant le Parlement. Dans ces conditions, la thèse du suicide d’un homme aux abois n’apparaissait pas comme invraisemblable. Même avant qu’on ait pris connaissance des éléments très gênants de sa vie privée, que lui n’ignorait pas évidemment.

Voilà pour les états d’âme du personnage. En ce qui concerne sa mort, la thèse du suicide semblait la plus plausible : salle de bains sans fenêtre, corps entravant la porte d’entrée (rendant difficile la sortie sans laisser aucune trace de son éventuel assassin), tir à bout portant, aucun signe de lutte ou de résistance, aucune ecchymose sur le corps, éclaboussures du sang sur la porte fermée (vous savez, la lumière bleue des séries policières…), etc. Seul élément de doute : il n’y avait pas de poudre sur la main de Nisman. Mais il semble que cela n’est pas obligatoire avec le tipe de pistolet utilisé. Les éléments recueillis depuis étayent encore plus la thèse du suicide. A supposer que ce n’est pas le cas, on doit se demander alors à qui profite le crime. Sûrement pas au gouvernement, qui savait qu’il lui serait automatiquement imputé par des média très hostiles, et que le dossier de Nisman était vide (ce qui a été confirmé par la suite : toutes les instances judiciaires convoquées par la suite ont qualifié, malgré la pression des média, ses accusations de non fondées). La popularité de Cristina a d’ailleurs nettement baissé suite à la mort de Nisman et

« 70% des argentins pensent que la mort du procureur ne sera jamais élucidée et que les responsables ne seront jamais punis » (Le Monde, 4 février),

le suicide n’étant même plus considéré comme une possibilité par la journaliste (et donc ses lecteurs).

Le Monde ne se distingue en rien de ses confrères du Pais et du Guardian, réputés sérieux comme lui. Il suffit de faire « Nisman Argentine » dans leurs moteurs de recherche pour constater que le thème dominant est l’ assassinat de Nisman, ou sa « mort suspecte », toujours en faisant le lien avec ses accusations envers la présidente. Inutile d’y chercher le nom de Ronald Noble, dont le démenti a mis Nisman en grande difficulté.

Campagne des media … et des fonds vautour

Les média, violemment hostiles au gouvernement, ont vu dans l’affaire Nisman l’occasion de porter lui porter le coup de grâce – ne pouvant plus compter sur les militaires, ils rêvent d’un « coup en douceur », genre Maïdan, la « marée humaine » (des beaux quartiers) forçant le départ de Cristina (la capitale lui étant très majoritairement hostile). Une immense campagne fut déclenchée, relayée obligeamment par la presse mondiale anti « populiste », NYT, El Pais, Le Monde, Libération, le Guardian

L’American Task Force Argentina, organe des fonds vautour voué à dénigrer systématiquement le gouvernement argentin – plusieurs millions de dollars dépensés jusqu’à présent – en a évidemment profité pour multiplier ses compagnes de désinformation. Il a crée un prix, le Alberto Nisman Award for Couragequi sera attribué par la Foundation for Defence of Democracies (FDD),dirigée par un ami intime de Nisman, Mark Dubowitz. Prix financé par le fonds spéculatif NML Elliott, du « célèbre » vautour en chef, Paul Singer, grand donateur du parti Républicain. On verra si ce prix survit à la suite des évènements … La page d’ouverture du site, albertonisman.org montre une photo de Nisman dissertant pour le FDD, ce qui est pour le moins troublant… Depuis, un ex dirigeant de la DAIA (organisme de la communauté juive argentine), Jorge Elbaum, a déclaré sous serment que, lorsqu’il était en exercice, Nisman avait offert de la part de Paul Singer de financer la campagne contre l’accord avec l’Iran (« memorandum ») que le parlement argentin avait approuvé et pour essayer de débloquer la situation en permettant aux juges argentins d’enquêter à Téhéran.

Puis, on en a de moins en moins parlé. En Argentine les media ont tenté pendant un certain temps d’exploiter à fond l’affaire – certains ont inventé une sombre histoire faisant intervenir des agents iraniens entraînés au Venezuela qui n’auraient pas pardonné à Nisman d’avoir découvert le pot aux roses… Mais cela n’a pas pris. Fini le « deuil national » pour Nisman, le « jour Nisman », le procureur martyr. Plus grand chose dans Le Monde, El Pais, The Guardian et autres, si ce n’est sur les tentatives de Cristina K pour « surmonter l’affaire », que les juges cherchent à enterrer. Il s’en est pourtant passé des choses depuis …

Comme cela a déjà été signalé, toutes les instances judiciaires, malgré les multiples appels faits par des procureurs ouvertement opposés au gouvernement et soumis à une énorme pression par les média, ont désavoué Nisman. Mais cela ne suffit pas pour les faire taire – ils peuvent toujours dire, ou laisser entendre, que les juges sont, soit corrompus, soit a la merci du pouvoir (en fait, dans leur grande majorité ils lui sont très hostiles et ne le cachent pas), soit … tout ce qu’on veut.

Ce qui a fait taire les media, ce sont les révélations faites notamment (et maladroitement ?) par la famille de Nisman, qui ont mis a mal l’image du petit juge intègre qui tient tête, au péril de sa vie, au pouvoir.

Ici commence la saga, qui pourtant devrait délecter les journalistes. Car la réalité dépasse parfois la fiction.

 

Cigarettes, whisky et ptites pépées

(Si vous vous demandez si c’est bien une…, oui oui, c’est bien une….)

Quelques jours après la mort de Nisman, ont a vu apparaître sur des sites internet des photos où Nisman est en joyeuse compagnie. Notamment des modèles – dont plusieurs sur une plage de Cancun (Mexique) où il est entouré de ces merveilleuses créatures. Interrogées, elles ont expliqué qu’elles avaient rencontré Nisman « par hasard » et que c’était un « ami », connu dans des salons de danse à Buenos Aires. On apprend que Nisman les fréquentait assidûment. Ainsi, tous les jeudis il recrutait des jeunes modèles pour qu’elles l’accompagnent au RoseBar, un endroit select où il était reçu comme un VIP, avec son salon particulier.

Il n’y a rien à redire, a priori : c’est sa vie privée. Sauf que, en tant que personnage public et dirigeant d’un organisme « sensible », c’était pour le moins imprudent, car il donnait ainsi prise à d’éventuels pressions et chantages.

Mais, surtout, on a vite su qu’aux dates où Nisman se prélassait sur les plages mexicaines, il était officiellement au travail. Et qu’il s’était fait payer pour des jours de vacances qu’il n’aurait pas pris, faute de temps (l’enquête a montré qu’en cinq ans, Nisman a passé un an et demi (411 jours) en voyages, la grande majorité n’ayant rien à voir avec son activité – sans jamais avoir officiellement demandé des jours de vacances ; au point que sa femme réclame l’équivalent de 10 mois de salaires lui soient payés, pour vacances non prises…). En outre, il est apparu que Nisman avait payé le voyage à au moins deux de ces modèles-secrétaires, en première classe. Une facture de 20.000 dollars, aux frais du contribuable. On changeait de registre – surtout quand ça venait d’un magistrat. Mais ce ne sont là que peccadilles, qu’on peut attribuer au surmenage. La suite est devenue bien plus gênante.

Rentrée en scène tonitruante de l’ex, qui soutient la thèse de l’assassinat

Nouvel épisode : l’ex femme de Nisman (Arroyo Salgado) entre en scène. Juge fédéral – poste relativement élevé dans la hiérarchie judiciaire –, elle connaît toutes les ficelles pour freiner ou accélérer les procédures. Elle se porte partie civile au nom de ses filles et parcourt les média en affirmant qu’il n’y avait aucun doute que Nisman a été assassiné – tout en traitant d’incapables la magistrate (Fein) responsable de l’enquête. Elle a tenté de la récuser, mais elle a été déboutée. Dénonçant le « parti pris » des légistes – pourtant dépendant de la Cour Suprême, plutôt hostile au gouvernement – et des autres enquêteurs, elle a proposé les siens, qui se sont empressés de contester leurs conclusions (préliminaires). Elle a bloqué l’expertise des ordinateurs personnels de Nisman, au nom du « respect de la vie privée ». C’est pourtant un élément essentiel de l’enquête, les légistes officiels datant la mort au dimanche matin, la partie civile au samedi soir (seule date où Nisman aurait pu être tué par Lagomarsino – voir plus loin). Or Nisman aurait lu la presse sur son ordinateur le dimanche, tôt le matin. Trois mois après la mort de Nisman, l’expertise n’est toujours pas terminée, l’ex continuant l’obstruction par tous les moyens (qu’elle connaît bien).

Tout cela est évidemment une aubaine pour les média, dont l’ex de Nisman est devenue la vedette – plus ça traîne, plus on entretient la thèse de l’assassinat et des “mains ensanglantées” de la présidente. Pourquoi une telle politique d’obstruction systématique de l’ex ? Difficile à dire. Il ne semble pas que ce soit par haine du gouvernement – il y a des limites. Préserver l’image de leur père pour ses deux filles ? Une histoire d’assurance vie – non valable s’il y a suicide ? On ne sait trop.

Quoi qu’il en soit, en plus de soutenir la thèse de l’assassinat, l’ex femme désigne un coupable. Un nouveau personnage trouble rentre sous les feux de la rampe, à son grand regret : Diego Lagomarsino,  un jeune informaticien, homme de main et de confiance de Nisman, avec lequel il faisait une partie de ses nombreuses virées à l’étranger, personnage aux tâches mal définies, auquel il versait un salaire étonnamment élevé (10 fois le smic). Selon lui, c’est Nisman qui lui avait demandé le pistolet avec lequel il s’est tué (après avoir fait la même requête à ses gardes du corps, qui avaient refusé, notamment parce que Nisman n’avait pas de permis de port d’arme). L’ex a publiquement accusé Lagomarsino d’avoir assassiné Nisman – il l’aurait tué le samedi soir, au moment où il dit lui avoir amené le pistolet, les caméras de l’immeuble l’ayant filmé alors. D’où l’importance du moment de la mort, le dimanche matin Lagomarsino ayant un alibi irréfutable.

Ce faisant, l’ex a déclenché une nouvelle affaire dans l’affaire, dont elle se serait probablement passée.

Le compte caché aux Etats Unis et les ñoquis

Pour quel motif Lagomarsino aurait-il tué celui qui le rémunérait si grassement ? Selon l’ex, c’est pour de l’argent : elle a expliqué que la sœur et la mère de Nisman lui avaient raconté que Nisman détenait un compte aux Etats Unis, chez Merrill Lynch (compte N°  5v3-50653) à New York, au nom de sa mère et sa soeur, mais aussi de Lagomarsino – Nisman n’en étant que son fondé de pouvoir. Il avait expliqué à Lagomarsino qu’ « étant donné son statut, il ne voulait pas que son nom figure parmi les détenteurs du compte ». Compte non déclaré, bien entendu. D’ailleurs, la feuille d’impôts de Nisman était particulièrement simple : il ne possédait rien, aucune épargne, en titres ou autres,même pas de voiture. Pourtant il utilisait  une grosse AUDI, dans le garage de son appartement, qui appartenait à une société dont un des propriétaires est quelqu’un de connu pour ses liens étroits avec l’ambassade US (si ce n’est la CIA)

Face à l’accusation d’être l’assassin, la langue de Lagomarsino s’est déliée – surtout, celle de son avocat. Il disait s’être tu jusqu’alors pour « respect pour le mort », mais il était maintenant obligé de parler pour se défendre. Il a expliqué qu’il ne savait pas grand chose de ce compte – il s’en était seulement servi pour payer des impôts pour des terrains que Nisman aurait en Uruguay et quelques dépenses pour des appartements nà Miami. Mais, surtout, il a révélé qu’il était convenu lorsque Nisman l’a embauché qu’il lui reverserait la moitié de son salaire chaque mois, de la main à la main. Il ne serait pas le seul à le faire : Nisman aurait passé un accord similaire avec un ami d’enfance, une « nutritionniste » et deux secrétaires (dont une modèle), tous embauchés par la « cellule de recherche » AMIA dont il était le chef – qui avait la particularité de n’avoir pas de compte à rendre à personne, vu le caractère spécial de sa mission. Cellule qui n’a pratiquement rien produit depuis des années – on  voyait d’ailleurs rarement ses membres dans les bureaux. Tous ont promptement démissionné à la mort de Nisman. En Argentine, on appelle « ñoquis » les personnes embauchées occasionnellement et pour des tâches particulières par des organismes d’Etat – un peu comme les attachés parlementaires en France – et qui, en fait, ne font rien ou pas grand chose.

C’est probablement sans s’en rendre compte que la juge Arroyo Salgado, ex femme de Nisman, a ainsi largement contribué à démolir l’image, déjà dégradée par l’affaire des modèles, du petit magistrat intègre s’attaquant au Léviathan populiste. En ce qui la concerne, les démêlés avec la justice de son compagnon actuel ont de quoi surprendre.

Mais les choses ne s’arrêtent pas là. La saga continue

La sœur et la maman

Mises en cause, la sœur et la mère de Nisman ont été convoquées pour s’expliquer à propos du compte aux USA. Elles ont alors dit qu’elles ne savaient rien, que Nisman leur avait fait signer des papiers en blanc, en leur donnant un numéro de téléphone où appeler à New York « au cas où il lui arriverait quelque chose ». Ce qu’elles ont fait, à peine le décès connu. Elles ne l’ont toutefois pas fait de chez elles ou de leur téléphone personnel. Trop simple … Elles ont appelé d’une boutique téléphonique (locutorio) dont elles avaient  ”oublié l’adresse”. Le correspondant de la banque US les a reconnues, mais il leur a dit que pour les renseigner, elles  devaient d’abord demander le mot de passe à Lagomarsino. C’est ainsi qu’elles auraient appris qu’il était aussi dans le coup. Elles se sont empressées de le signaler à l’ex femme, qui a alors fait l’erreur de le désigner comme l’assassin (elle devait probablement ignorer le truc du salaire reversé à Nisman).

Il n’y a pas que cela : la mère a dû reconnaître que Nisman possédait 4 coffres forts, dont deux dans deux succursales d’une banque de Buenos Aires, qu’elle s’est empressée de vider à peine connue la mort de son fils. Les employés de la banque pouvaient attester… Qu’y avait-il dans ces coffres ? Mystère. De toutes façons, elle peut dire n’importe quoi et avoir supprimé les documents compromettants. L’étude des comptes bancaires de Nisman ayant révélé, par la suite, qu’il versait régulièrement des charges (4000 euros par trimestre) pour trois terrains situés près de la station balnéaire chic de Punta del Este (Uruguay), il s’est avéré que ces terrains étaient au nom de sa mère. Celle-ci a reconnu s’être déplacée, à la demande de son fils, à Montevideo pour signer des papiers dont elle ignorait tout (finalité, personnes concernées, etc.). Elle ne se souvenait même plus du nom ni de l’adresse du notaire où cela s’était passé. Une mère dévouée corps et âme à son fils, qui ne voulait rien voir, rien entendre, rien savoir. Seulement signer, les yeux fermés, quand il le lui demandait…

La mère de Nisman aurait dû, en réalité, être inculpée pour recel et blanchiment d’argent, mais vu les circonstances, la magistrate chargée de l’affaire Nisman (Fein) s’est contentée de transmettre le dossier, notamment en ce qui concerne le blanchiment d’argent, à un autre magistrat, qui continue l’enquête auprès des banques et autorités d’Uruguay et des Etats Unis (pour le moment …). Reste encore un fait étrange au sujet des coffres de Nisman  : dans un coffre qu’il détenait à l’AMIA, on a découvert deux documents signés de sa main : l’un  explique que le gouvernement et Cristina Kirchner l’avaient soutenu toujours dans sa tâche, avec le sincère désir de connaître la vérité, et qu’il n’y avait donc rien à leur reprocher. Dans l’autre document, Nisman y décrit la « conspiration » visant à étouffer l’affaire, à disculper les iraniens pour obtenir du blé contre du pétrole (que les raffineries argentines ne peuvent traiter, car ayant trop de souffre ..),etc. C’est sur la base de ce deuxième document qu’il a fait sa tonitruante demande d’inculpation de la présidente en plein milieu des vacances (d’été). Pourquoi ce choix ? Mystère.

La mère de Nisman a aussi révélé qu’en fouillant dans les affaires que son fils avait déposées chez elle, il y avait deux pistolets, dont un du même modèle que celui qui est à l’origine de sa mort. Nisman n’avait pas de port d’arme. Pourquoi ces pistolets non déclarés ? Mystère.

Reste aussi à trouver la provenance de l’argent ayant permis à Nisman de mener un train de vie exorbitant – voyages incessants, entretien ou achat de propriétés, etc. Ses cartes bancaires révèlent des achats de 7000 euros par mois, en moyenne – certaines estimations avançant un chiffre proche de 30.000 euros mensuels, si on tient compte de ses divers placements. Bien loin de ses revenus – sans parler de sa déclaration d’impôts.Nisman était quand même unhomme de loi …. 

Reste aussi à mettre le grappin sur l’ « agent secret » Stiusso, collaborateur et informateur (et manipulateur) privilégié de Nisman – disparu et recherché par Interpol à la demande du gouvernement argentin.

Pendant ce temps, Cristina K – dont c’est le « crépuscule », dans une « ambiance de fin de règne, avec sa succession d’épisodes pathétiques » (Le Monde),  est fortement remontée dans les sondages, s’approchant des 45% d’approbation (après 12 ans au pouvoir : qui dit mieux ?). Si elle pouvait se représenter pour un troisième mandat, il y a de bonnes chances qu’elle serait réélue dès le premier tour.

On attend avec impatience que la « presse internationale » raconte enfin la suite de la passionnante histoire du petit magistrat intègre qui a osé s’attaquer à l’ogre populiste. Va-t-on le donner en exemple à nos enfants ?

Les 3 juges mentionnés :
Servini de Cubria (“neutre”, très respectée, pour son impartialité). Juge “de garde” ayant refusé de rompre la trêve estivale
Canicobal Corral : chargé du dossier, seul habilité à inculper. Pas hostile au gouvernement.
Rafecas : chargé de reprendre le dossier après la mort de Nisman. Plutôt en mauvais termes avec le gouvernement (il a inculpé le vice président pour une affaire compliquée, basée sur des ragots – cas Ciccone).
De Luca : juge ayant tranché définitivement après appel de la décision de Rafecas. Pas hostile au gouvernement.
Il faut voir que les deux derniers ont été soumis à une immense pression des medias : difficile de dire que leur “héros” avait un dossier vide.

Traduction d’un article du quotidien argentin de gauche Pagina 12

Dimanche, 1er mars 2015

Comment les dementis a la soi-disant CONSPIRATION se sont accumulés

Ce qui a provoqué l’effondrement de l’accusation faite par Nisman

L’ex directeur d’Interpol affirmant que tout était faux, les preuves de Timmerman (ministre des affaires étrangères imputé), le silence des associations juives concernées (AMIA et DAIA), le refus par la juge de service Servini de Cubría de rompre la trêve d’été et celui du juge responsable du dossier Canicoba Corral d’entériner l’accusation, l’ex agent secret Stiusso qui ne lui répondait pas au téléphone.

Par Raúl Kollmann et Irina Hauser

Le juge fédéral Daniel Rafecas, chargé de trancher sur les accusations portées par le procureur Nisman, a décidé de ne pas y donner suite. Pour justifier sa décision, il passe en revue minutieusement les preuves soumises par Nisman et les réfute toutes, une à une. L’intervention très remarquée de l’ex dirigeant d’Interpol, l’américain Ronald Noble – qui a publiquement qualifié, notamment dans le Wall Street Journal,  l’accusation de fausse – a largement contribué à son effondrement. Cependant, une étude chronologique encore plus large que celle du juge, sur la base des éléments contenus dans le dossier, prouve que la succession de coups subis en quelques jours par Nisman fut particulièrement rude.

Le retour

Il ressort du dossier que Nisman a décidé en décembre 2014 qu’il reviendrait d’Espagne le 12 janvier 2015 (rapport d’Iberia et témoignage d’une de ses secrétaires). Ce qui a été mal ressenti par sa fille aînée, alors qu’il l’avait amené en voyage à travers l’Europe. Nisman avait maintenu secret son retour. Il n’avait ni prévenu son ex femme, Sandra Arroyo Salgado, qui l’a très mal pris, ni ses proches

Pourquoi est-il revenu ? Il y a actuellement deux réponses différentes à cette question. La première est que lui était parvenue la rumeur qu’on voulait lui enlever la direction de l’enquête sur l’attentat de l’AMIA. Ce qui l’aurait poussé à rendre publique l’accusation, empêchant ainsi que l’affaire lui soit retirée. En fait, bien que les familles des victimes demandaient depuis longtemps son renvoi, le procureur général venait d’effectuer des changements en décembre sans que sa position ne change.

La deuxième réponse est que Nisman pensait provoquer un énorme coup de théâtre politique en pleine période estivale, avec des tribunaux tournant au ralenti – les nouvelles sont alors plutôt rares. Cette précipitation expliquerait les faiblesses du dossier qu’il a présenté, notamment l’absence de la transcription des écoutes téléphoniques – un élément présenté comme essentiel par l’accusation. A cela s’ajoute un fait surprenant relaté dans la sentence du juge Rafecas : on a trouvé dans le coffre de Nisman a l’AMIA un autre rapport signé de sa main, daté en janvier 2015, qui soutient exactement exactement le contraire de ce qu’il av avance dans son dossier d’ accusation. Dans cet autre rapport il explique que le mémorandum signé par le gouvernement argentin avec celui d’Iran ne peut être qualifié de délit ; il peut même être considéré comme un pas en avant compréhensible, son objectif n’étant pas d’aider les iraniens, mais au contraire d’ « asseoir les accusés devant le juge et permettre ainsi de faire avancer la cause et d’aboutir à un procès ». Ce rapport bis a été remis au juge Rafecas par le secrétaire juridique de Nisman, le docteur S. Castro.

Nisman a donc pris un avion à Madrid le 12 janvier, en suscitant un conflit familial, pour présenter une accusation mal fagotée et s’appuyant sur des faits supposés sur lesquels il avait aussi une opinion opposée ..

L’accusation

Le juge Rafecas dresse une liste de ce qui est arrivé les jours ayant suivi la mise an accusation faite par Nisman le 14 janvier.

- le jeudi 15, le ministre des affaires étrangères H. Timerman a rendue publique la lettre qu’il a envoyée, peu après la signature du mémorandum avec l’Iran, au directeur d’alors d’Interpol, R. Noble. Il y affirme deux fois qu’il n’est pas question de changer quoi que ce soit dans les mandats d’arrêt et que n’importe quelle modification ne pouvait être le fait que du juge Rodolfo Canicoba Corral, chargé du dossier. Cela alors que Nisman affirmait que le gouvernement avait essayé de faire lever les mandats d’arrêt.

- Le même jeudi  le juge Rodolfo Canicoba Corral fait une déclaration lapidaire :

“ L’accusation du docteur Nisman n’a aucune valeur, ou presque, en ce qui concerne les preuves apportées ».

Il signale qu’elle est basée sur un travail effectué par les services de renseignement, sans aucune valeur sur le plan juridique. Il reproche en outre à Nisman d’avoir travaillé pendant deux ans sans en avoir référé à aucun juge – contre tous les usages.

- La juge María Romilda Servini de Cubría a refusé le même jour de lever la trêve judiciaire, comme le demandait par Nisman. Elle n’en voyait pas l’urgence et surtout elle ne voyait pas où étaient les preuves permettant de soutenir l’accusation.

- Les deux organisations de référence de la communauté juive, AMIA et DAIA, n’ont pas émis de communiqué soutenant l’accusation. « Nous attendons les preuves » ont dit les principales associations des victimes.

- Le jour suivant Nisman a essayé de modifier le tir en disant que le gouvernement ne pouvait pas changer les mandats d’arrêt, mais qu’il avait tenté d’en modifier le caractère, en demandant qu’ils ne relèvent plus de l’urgence (« alerte rouge »).

- Ce même vendredi la nouvelle version de Nisman a reçu un coup fatal quand Timerman a rendu public le mail de R.Noble où il détaillait tout ce qu’avait fait le ministre pour qu’on ne modifie en rien les mandats d’arrêt. Y compris deux visites faites par Timerman au siège d’ Interpol à Lyon, alors que Nisman prétendait qu’il y était allé pour négocier la mise en veilleuse de ces mandats d’arrêt – retrait de l’ « alerte rouge ». Noble l’a démenti de façon catégorique, en allant jusqu’à affirmer le contraire publiquement, par écrit, en précisant que Nisman est venu à Lyon pour lui dire que “le gouvernement argentin était engagé à cent pour cent pour le maintien des mandats d’arrêt sous leur forme actuelle”.

- Le même jour, Nisman a reçu un autre coup très dur, selon l’ex Directeur des Operations des Services de renseignement (Secretaría de Inteligencia), Antonio “Jaime” Stiusso. Un des membres de l’équipe de Nisman a affirmé qu’il attendait que Stiusso lui apporte plus d’éléments (écoutes téléphoniques) pour soutenir son accusation. Ce vendredi, l’ex directeur de des « analyses » des services, Alberto Massino, lui a dit qu’il n’avait rien de plus à lui fournir..

- Le samedi 17 il était clair que Nisman allait être en grande difficulté le lundi suivant, devant le parlement. Il avait pensé faire sa présentation avec la seule présence de l’opposition. Les choses auraient été simples : il ferait un exposé à huis clos et ensuite une conférence de presse où il serait entouré des figures de l’opposition, qui l’approuveraient. Mais le parti gouvernemental, le FPV, venait d’annoncer que non seulement il serait là, mais demandait que la session soit télévisée. La député (violemment) d’opposition Patricia Bullrich a témoigné devant la magistrate chargé de l’enquête (Fein) combien Nisman était inquiet devant la perspective d’avoir à répondre aux questions que lui poseraient les législateurs du FpV..

- Ce même samedi, Nisman a apppelé trois fois l’agent Stiusso, en lui laissant des messages, lui demandant de le rappeler. Stiusso prétend avoir mis en veille ses appareils, mais cela n’explique pas pourquoi il n’avait pas rappelé celui qui avait travaillé en tandem avec lui pendant 10 ans. Le juge responsable du dossier, Canicoba Corral, avait expliqué que “la logique veut toujours que le procureur dirige et l’espion est son auxiliaire. Dans leur cas, c’était le contraire. Stiusso était celui qui apparaissait être aux commandes”. En outre, lors de sa déclaration devant Fein, Stiusso a pris ostensiblement ses distances par rapport à Nisman: “Nous lui avons donné les écoutes téléphoniques mais nous ne savons pas comment il allait établir un lien entre elles et les membres inculpés  du gouvernement”. “S’il m’avait consulté en ce qui concerne l’accusation, je lui aurait conseillé d’agir autrement ”.

Vu cette succession de démentis et de désaveux, le panorama était très sombre pour Nisman le dimanche 18, la veille de sa prestation (télévisée) devant le parlement..

Pagina 12

Complément : On a appris cette semaine que les 13 experts médicaux “officiels” (relevant de la Cour suprême) viennent de rendre leur rapport qu’aucun élément permettait d’appuyer la thèse de l’assassinat – avancée par la partie civile (seuls les 2 experts nommés par elle ont refusé de signer le rapport).


Comment les démentis a la soi-disant CONSPIRATION se sont accumulés

Ce qui a provoqué l’effondrement de l’accusation faite par Nisman

L’ex directeur d’Interpol affirmant que tout était faux, les preuves de Timmerman (ministre des affaires étrangères imputé), le silence des associations juives concernées (AMIA et DAIA), le refus par la juge de service Servini de Cubría de rompre la trêve d’été et celui du juge responsable du dossier Canicoba Corral d’entériner l’accusation, l’ex agent secret Stiusso qui ne lui répondait pas au téléphone.

Par Raúl Kollmann et Irina Hauser

Le juge fédéral Daniel Rafecas, chargé de trancher sur les accusations portées par le procureur Nisman, a décidé de ne pas y donner suite. Pour justifier sa décision, il passe en revue minutieusement les preuves soumises par Nisman et les réfute toutes, une à une. L’intervention très remarquée de l’ex dirigeant d’Interpol, l’américain Ronald Noble – qui a publiquement qualifié, notamment dans le Wall Street Journal, l’accusation de fausse – a largement contribué à son effondrement. Cependant, une étude chronologique encore plus large que celle du juge, sur la base des éléments contenus dans le dossier, prouve que la succession de coups subis en quelques jours par Nisman fut particulièrement rude.

Le retour

Il ressort du dossier que Nisman a décidé en décembre 2014 qu’il reviendrait d’Espagne le 12 janvier 2015 (rapport d’Iberia et témoignage d’une de ses secrétaires). Ce qui a été mal ressenti par sa fille aînée, alors qu’il l’avait amené en voyage à travers l’Europe. Nisman avait maintenu secret son retour. Il n’avait ni prévenu son ex femme, Sandra Arroyo Salgado, qui l’a très mal pris, ni ses proches

Pourquoi est-il revenu ? Il y a actuellement deux réponses différentes à cette question. La première est que lui était parvenue la rumeur qu’on voulait lui enlever la direction de l’enquête sur l’attentat de l’AMIA. Ce qui l’aurait poussé à rendre publique l’accusation, empêchant ainsi que l’affaire lui soit retirée. En fait, bien que les familles des victimes demandaient depuis longtemps son renvoi, le procureur général venait d’effectuer des changements en décembre sans que sa position ne change.

La deuxième réponse est que Nisman pensait provoquer un énorme coup de théâtre politique en pleine période estivale, avec des tribunaux tournant au ralenti – les nouvelles sont alors plutôt rares. Cette précipitation expliquerait les faiblesses du dossier qu’il a présenté, notamment l’absence de la transcription des écoutes téléphoniques – un élément présenté comme essentiel par l’accusation. A cela s’ajoute un fait surprenant relaté dans la sentence du juge Rafecas : on a trouvé dans le coffre de Nisman a l’AMIA un autre rapport signé de sa main, daté en janvier 2015, qui soutient exactement exactement le contraire de ce qu’il av avance dans son dossier d’ accusation. Dans cet autre rapport il explique que le mémorandum signé par le gouvernement argentin avec celui d’Iran ne peut être qualifié de délit ; il peut même être considéré comme un pas en avant compréhensible, son objectif n’étant pas d’aider les iraniens, mais au contraire d’ « asseoir les accusés devant le juge et permettre ainsi de faire avancer la cause et d’aboutir à un procès ». Ce rapport bis a été remis au juge Rafecas par le secrétaire juridique de Nisman, le docteur S. Castro.

Nisman a donc pris un avion à Madrid le 12 janvier, en suscitant un conflit familial, pour présenter une accusation mal fagotée et s’appuyant sur des faits supposés sur lesquels il avait aussi une opinion opposée ..

L’accusation

Le juge Rafecas dresse une liste de ce qui est arrivé les jours ayant suivi la mise an accusation faite par Nisman le 14 janvier.

- le jeudi 15, le ministre des affaires étrangères H. Timerman a rendue publique la lettre qu’il a envoyée, peu après la signature du mémorandum avec l’Iran, au directeur d’alors d’Interpol, R. Noble. Il y affirme deux fois qu’il n’est pas question de changer quoi que ce soit dans les mandats d’arrêt et que n’importe quelle modification ne pouvait être le fait que du juge Rodolfo Canicoba Corral, chargé du dossier. Cela alors que Nisman affirmait que le gouvernement avait essayé de faire lever les mandats d’arrêt.

- Le même jeudi le juge Rodolfo Canicoba Corral fait une déclaration lapidaire :

L’accusation du docteur Nisman n’a aucune valeur, ou presque, en ce qui concerne les preuves apportées ».

Il signale qu’elle est basée sur un travail effectué par les services de renseignement, sans aucune valeur sur le plan juridique. Il reproche en outre à Nisman d’avoir travaillé pendant deux ans sans en avoir référé à aucun juge – contre tous les usages.

- La juge María Romilda Servini de Cubría a refusé le même jour de lever la trêve judiciaire, comme le demandait par Nisman. Elle n’en voyait pas l’urgence et surtout elle ne voyait pas où étaient les preuves permettant de soutenir l’accusation.

- Les deux organisations de référence de la communauté juive, AMIA et DAIA, n’ont pas émis de communiqué soutenant l’accusation. « Nous attendons les preuves » ont dit les principales associations des victimes.

- Le jour suivant Nisman a essayé de modifier le tir en disant que le gouvernement ne pouvait pas changer les mandats d’arrêt, mais qu’il avait tenté d’en modifier le caractère, en demandant qu’ils ne relèvent plus de l’urgence (« alerte rouge »).

- Ce même vendredi la nouvelle version de Nisman a reçu un coup fatal quand Timerman a rendu public le mail de R.Noble où il détaillait tout ce qu’avait fait le ministre pour qu’on ne modifie en rien les mandats d’arrêt. Y compris deux visites faites par Timerman au siège d’ Interpol à Lyon, alors que Nisman prétendait qu’il y était allé pour négocier la mise en veilleuse de ces mandats d’arrêt – retrait de l’ « alerte rouge ». Noble l’a démenti de façon catégorique, en allant jusqu’à affirmer le contraire publiquement, par écrit, en précisant que Nisman est venu à Lyon pour lui dire que “le gouvernement argentin était engagé à cent pour cent pour le maintien des mandats d’arrêt sous leur forme actuelle”.

- Le même jour, Nisman a reçu un autre coup très dur, selon l’ex Directeur des Operations des Services de renseignement (Secretaría de Inteligencia), Antonio “Jaime” Stiusso. Un des membres de l’équipe de Nisman a affirmé qu’il attendait que Stiusso lui apporte plus d’éléments (écoutes téléphoniques) pour soutenir son accusation. Ce vendredi, l’ex directeur de des « analyses » des services, Alberto Massino, lui a dit qu’il n’avait rien de plus à lui fournir..

- Le samedi 17 il était clair que Nisman allait être en grande difficulté le lundi suivant, devant le parlement. Il avait pensé faire sa présentation avec la seule présence de l’opposition. Les choses auraient été simples : il ferait un exposé à huis clos et ensuite une conférence de presse où il serait entouré des figures de l’opposition, qui l’approuveraient. Mais le parti gouvernemental, le FPV, venait d’annoncer que non seulement il serait là, mais demandait que la session soit télévisée. La député (violemment) d’opposition Patricia Bullrich a témoigné devant la magistrate chargé de l’enquête (Fein) combien Nisman était inquiet devant la perspective d’avoir à répondre aux questions que lui poseraient les législateurs du FpV..

- Ce même samedi, Nisman a apppelé trois fois l’agent Stiusso, en lui laissant des messages, lui demandant de le rappeler. Stiusso prétend avoir mis en veille ses appareils, mais cela n’explique pas pourquoi il n’avait pas rappelé celui qui avait travaillé en tandem avec lui pendant 10 ans. Le juge responsable du dossier, Canicoba Corral, avait expliqué que “la logique veut toujours que le procureur dirige et l’espion est son auxiliaire. Dans leur cas, c’était le contraire. Stiusso était celui qui apparaissait être aux commandes”. En outre, lors de sa déclaration devant Fein, Stiusso a pris ostensiblement ses distances par rapport à Nisman: “Nous lui avons donné les écoutes téléphoniques mais nous ne savons pas comment il allait établir un lien entre elles et les membres inculpés du gouvernement”. “S’il m’avait consulté en ce qui concerne l’accusation, je lui aurait conseillé d’agir autrement ”.

Vu cette succession de démentis et de désaveux, le panorama était très sombre pour Nisman le dimanche 18, la veille de sa prestation (télévisée) devant le parlement..

Pagina 12, 1er mars 2015

Source: http://www.les-crises.fr/laffaire-nisman-ce-que-vous-ne-trouverez-pas-dans-les-media/


Discours de la Présidente argentine à l’ONU : “Il y a aussi des terroristes économiques”

Thursday 28 May 2015 at 00:10

Après avoir lu la piètre tambouille des dirigeants occidentaux à l’ONU, je vous propose aujourd’hui celle de la présidente Argentine, dans ses 2 discours, le premier au Conseil de Sécurité (dont elle vient de prendre la présidence mensuelle) à propos de la résolution 2178 (début de Patriot Act mondial), le second dans le discours annuel à l’Assemblée Générale.

C’est un peu long, mais il est bon de voir ce qu’il y a dans la tête des grands pays non occidentaux…

Résolution 2178 de l’ONU – Discours de la Présidente Fernández De Kirchner

Le discours de la Présidente Fernández De Kirchner :

Conseil de sécurité – Mercredi 24 septembre 2014, à 15 heures

Je suis venue assister à cette séance du Conseil avec certaines certitudes et certaines questions, et bien entendu pour voter pour la résolution 2178 (2014) que nous venons d’adopter et aussi pour condamner le terrorisme, résolument et explicitement. Mon pays, la République argentine, et les États-Unis, sont les seuls pays des Amériques qui ont fait l’objet d’attaques terroristes sauvages. L’on a fait sauter l’ambassade d’Israël à Buenos Aires en 1992 et le siège de l’Association mutuelle israélite argentine (AMIA) en 1994.

Depuis lors, je me pose beaucoup de questions parce que tout ce qui se passe actuellement – ce phénomène qui vient d’apparaître, l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL), qui était inconnu l’année dernière–, c’est comme ce qui s’est passé en Argentine depuis 1994. À l’époque, aussi bien dans mon pays que dans le reste du monde, l’on disait que le Hezbollah était responsable de l’attentat contre le siège de l’AMIA. Aujourd’hui, le Hezbollah est un parti politique au Liban. Par la suite, en 2006, la justice de mon pays, suite à la création d’une entité spéciale au sein du ministère public sur l’initiative du Président Kirchner, a mené une enquête exhaustive sur l’attentat qui s’était produit en 1994–cette année, cela fait 20 ans que s’est produit cet attentat et les coupables n’ont toujours pas été jugés.

À la suite des enquêtes menées par le Procureur, le juge de première instance a décidé d’inculper huit citoyens iraniens vivant à Téhéran. Après cela, l’ancien Président Kirchner, et moi-même par la suite, de 2007 jusqu’en 2012, à chacune des sessions de l’Assemblée générale qui se sont tenues ici à l’ONU, avons demandé à la République islamique d’Iran de coopérer pour que nous puissions interroger ces accusés.

Nous avons même proposé des solutions de rechange, comme dans l’affaire de Lockerbie, par exemple que ces personnes soient jugées dans un pays tiers. Finalement, en 2012, le Ministre iranien des affaires étrangères nous a proposé une réunion bilatérale et c’est ainsi qu’en 2013 a été élaboré un mémorandum d’accord en vue de la coopération judiciaire entre les deux pays, dans le seul but de faire en sorte que ces citoyens iraniens puissent faire une déposition devant un juge. En effet, le système judiciaire argentin n’autorise pas les condamnations par contumace. Les accusés doivent être interrogés et jugés, ce qui contribue au respect de la Constitution et des droits fondamentaux. Suite à la signature de cet accord, aussi bien dans mon pays qu’au sein des organisations communautaires qui avaient toujours appuyé nos demandes de coopération à l’Iran, l’on nous a accusé de nous être mis d’accord avec les Iraniens. Cela m’a amené à me demander si au moment où l’on nous priait de demander à l’Iran de coopérer, c’était réellement dans le but d’obtenir cette coopération ou de provoquer un casus belli.

Dans ce pays également, les États-Unis, on a fait pression sur le Congrès américain, principalement les fonds dits vautours –on peut voir cela sur les sites Web du groupe de travail sur les fonds vautours, où on a affiché des photos où on peut me voir en compagnie d’Ahmadinejad. Jusqu’à l’année dernière, on qualifiait ce pays d’État islamique terroriste et on nous condamnait pour avoir conclu avec lui un mémorandum d’accord sur la coopération judiciaire.

Avec surprise, mais pas avec dégoût, parce que le dialogue ne peut jamais être une mauvaise chose, nous avons appris que le week-end dernier, le Chef du Département d’État américain a rencontré son homologue iranien dans un hôtel bien connu de cette ville pour discuter du problème de l’EIIL –l’on sait que ce groupe est sunnite et que l’Iran est gouverné par des chiites- pour voir quel degré de coopération ou de progrès ils pouvaient espérer en ce qui concerne le programme nucléaire. Par la suite, nous avons constaté qu’il y avait un discours beaucoup plus convivial, plus amical, de la part de ceux qui l’année dernière étaient accusés, tout comme nous, qui avions discuté avec eux, d’être des terroristes.

Je ne dis pas que c’est mal de dialoguer, je ne peux que m’en réjouir. Je crois que le dialogue entre les nations est toujours une bonne chose. La question que je me pose, c’est qu’après cet attentat en 1994, il y a eu l’attentat contre les tours jumelles, commis par Al-Qaida, conçu et planifié par Oussama ben Laden, qui lui non plus, n’est pas apparu subitement comme un champignon après la pluie. Oussama ben Laden a été entraîné, aux côtés des Talibans, pour combattre la Russie durant la guerre froide. Comme j’ai coutume de le dire, l’Afghanistan est un pays à part dont seul Alexandre le Grand est sorti vivant. Ensuite il y a eu le fameux «Printemps arabe», pendant lequel tout le monde était, semble-t-il, des combattants de la liberté, et dont de nouvelles démocraties allaient surgir, alors qu’il s’avère en fait que nombre de ces combattants de la liberté étaient des fondamentalistes qui recevaient alors un entraînement militaire et qui combattent aujourd’hui dans les rangs de l’EIIL ou embrigadent de jeunes recrues.

Sur une note personnelle, je voudrais dire au passage que, moi aussi, j’ai été menacée par l’EIIL. La justice de mon pays enquête actuellement contre les menaces qui ont été proférées contre ma personne par l’EIIL. Franchement, je ne crois pas que l’EIIL se préoccupe beaucoup de la Présidente de la République argentine. Je suis sincère quand je dis cela. Mais le fait est que l’EIIL m’a menacée et a déclaré qu’elle allait intenter à ma vie en raison de mon amitié avec le pape François et parce que je reconnais et défends l’existence de deux États, l’État de Palestine et l’État d’Israël, et l’idée qu’ils puissent vivre côte à côte pacifiquement.

J’ai noté quelques questions qui ne me sont venues à l’esprit parce qu’également, au milieu de tout cela, il y a eu le problème de Saddam Hussein et des armes chimiques en Iraq. On a fini par se débarrasser de Saddam Hussein, mais depuis, la situation en Irak n’a fait que se compliquer toujours davantage. En fait, c’est le monde qui devient de plus en plus complexe. Les choses sont plus compliquées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient l’an passé, où il semblait que le problème le plus important était celui de la menace nucléaire posée par l’Iran. Aujourd’hui, on n’en parle plus et on est passé à l’EIIL, ce nouveau groupe terroriste dont on ne sait qui lui fournit du pétrole, qui lui vend des armes, qui l’entraîne mais qui, à l’évidence, a des ressources économiques, détient des armes et dispose d’outils de communication et de diffusion dignes de studios de cinéma. Cela m’amène à me demander ce qui est réellement en train de se passer et comment, en définitive, nous pouvons combattre efficacement le terrorisme. Évidemment, face à l’agression, il faut se défendre –personne ne le conteste- d’où la pertinence d’une riposte militaire. Mais il est clair que la façon dont, jusqu’ici, nous avons lutté contre le terrorisme n’est pas la bonne. En effet, à chaque fois, la situation se fait plus complexe; à chaque fois, les groupes sont plus nombreux; à chaque fois, ils sont plus violents; à chaque fois, ils sont plus puissants.

La logique veut que lorsqu’on suit une méthode donnée pour combattre un problème et que ce problème, au lieu de disparaître ou de reculer, s’accentue et gagne du terrain, il faut au moins revoir la méthode et les moyens utilisés, puisque quelque chose ne fonctionne pas. Je ne prétends pas détenir la vérité ou avoir la science infuse. Je ne prétends pas savoir avec une certitude absolue ce qu’il faut faire, mais ce que je sais c’est que, dans mon pays, un vieux proverbe dit que la seule chose qu’on ne peut pas faire face à des cannibales, c’est les manger.

Il me semble que le plus important est de bien comprendre que la logique du terrorisme consiste à déclencher une réaction parfaitement symétrique, du point de vue tant de la violence que des attaques, afin de pouvoir justifier le sang versé à l’infini, car les terroristes vont tuer deux personnes si on tue un des leurs, trois si on en tue deux, quatre si on en tue trois. C’est l’escalade sanguinaire, la loi du talion, et ce, d’autant plus, dans un contexte –celui du Moyen-Orient– où on continue à ne pas reconnaître l’État de Palestine, où il y a eu un usage disproportionné de la force contre la population civile palestinienne sans qu’aucune tête ne tombe du côté de ceux qui lançaient des roquettes. Au contraire, ce sont des enfants, des femmes, des personnes âgées, des innocents que nous avons vu mourir. Cela ne fait à chaque fois qu’un peu plus le lit de ces groupes.

C’est pourquoi, pour parler franchement, nonobstant la résolution 2178 (2014), à laquelle nous souscrivons, que nous approuvons, et que nous allons appliquer, il serait cynique et mensonger de ma part de dire au Conseil que ça y est, nous tenons la bonne méthode. Je crois que la situation au Moyen-Orient ne peut manquer de se compliquer.

L’année passée à Saint-Pétersbourg –en novembre, ce qui n’est pas si vieux, puisque cela fait moins d’an– nous, les membres du Groupe des Vingt, considérions que l’ennemi juré était le Gouvernement syrien et que ceux qui le combattaient étaient des combattants de la liberté. Or maintenant, on découvre que nombre de ces combattants de la liberté ont rejoint les rangs de l’EIIL. Mais qui soutenait les opposants? Qui leur fournissait des armes, des ressources, à ces combattants de la liberté? Je crois donc que nous devons nous poser toute une série de questions, à commencer par ceux qui sont beaucoup mieux informés que la Présidente de la République argentine que je suis.

Comme les membres le savent, mon pays ne fabrique pas d’armes, ne vend pas d’armes. Au contraire, nous avons besoin d’acheter du pétrole parce que nous n’avons pas assez de ressources énergétiques, même si nous avons découvert un important gisement de pétrole qui va faire de nous un grand producteur –et je ne sais pas si je dois me réjouir quand je dis cela, étant donné que tous les pays qui ont du gaz ou du pétrole ont également de grands problèmes. Quoi qu’il en soit, nous ne fabriquons pas d’armes, nous importons l’énergie et nous n’avons pas toutes les informations dont disposent les grandes puissances. Mais je pense que très souvent disposer des informations ne suffit pas, il faut également comprendre ce qui se passe au sein de chaque société, de chaque peuple et essayer de déterminer quels sont les moyens les plus appropriés pour contrecarrer véritablement le terrorisme. Il ne serait pas surprenant en effet de constater l’année prochaine, en 2015, que l’EIIL a disparu de la scène au profit d’un autre groupuscule au nom étrange et aux méthodes encore plus violentes et virulentes, et que, finalement, nous n’avons fait qu’aggraver le problème.

Pour terminer, je crois également qu’une autre question fondamentale dans cette lutte est le respect des droits de l’homme. Et j’en parle parce que l’Argentine a connu une dictature génocidaire sans égale et qu’elle a rendu la justice de façon inédite. Nous n’avons pas eu besoin d’un tribunal de Nuremberg ni de faire juger les dictateurs à La Haye. C’est l’Argentine elle-même, et son système judiciaire, qui a jugé et condamné les responsables, y compris ceux qui avaient fait tuer des ressortissants français, je pense notamment aux religieuses françaises, ou étaient à l’origine de la disparition de ressortissantes suédoises. Je pense donc que nos antécédents nous permettent de dire que la lutte contre le terrorisme doit se faire dans le respect des droits de l’homme, afin précisément de ne pas continuer à alimenter le monstre.

Le Président Obama (parle en anglais)

Je voudrais juste rappeler que cette séance doit être levée à 17 heures et que nous avons une longue liste d’orateurs, y compris les membres du Conseil. Il faudrait donc que nous fassions en sorte de respecter les limites de temps.

Source : ONU

P.S. La présidente Kirchner fait référence aux attentats qui ont eu lieu en Argentine, sous la présidence de Carlos Mennem :

- le 17 mars 1992 : un attentat à la bombe fait 29 victimes et plus de 280 blessés à l’ambassade d’Israël à Buenos Aires.
- le 18 juillet 1994 : attentat à la voiture piégée, devant un bâtiment rassemblant plusieurs associations juives, dont l’Association Mutuelle Israëlite Argentine (AMIA) à Buenos Aires. L’attentat a fait plus de 80 morts et de 200 blessés.


Assemblée générale 2014 – Discours de la Présidente Fernández De Kirchner

24 septembre 2014

Madame la Présidente, chère compatriote,
Mesdames et Messieurs les chefs des délégations des États membres des Nations unies,

Je voudrais prendre la parole ici à un moment très spécial non seulement pour le monde, mais également pour mon pays. Je voudrais commencer par une réflexion sur ce qu’a dit Monsieur le Secrétaire général Ban Ki-moon en ouvrant cette 69ème session de l’Assemblée générale. Il est revenu sur beaucoup de problèmes, de tragédies, de calamités qui frappent le monde aujourd’hui et il a dit, si je me souviens bien, que ces « turbulences » – car c’est ainsi qu’il les a définies – « qui secouent le monde aujourd’hui, mettent en danger le multilatéralisme ».

Sincèrement, je pense qu’une grande partie des problèmes qui frappent le monde aujourd’hui – problèmes économiques et financiers, problèmes en matière de terrorisme et de sécurité, en matière d’emploi de la force et d’intégrité territoriale, en matière de guerre ou de paix – bon nombre de ces problèmes sont dus précisément à l’absence d’un multilatéralisme efficace, concret et démocratique.

C’est la raison pour laquelle je voudrais commencer ici mon allocution en félicitant et en remerciant cette Assemblée générale de l’adoption de la résolution 68/304 du 9 septembre dernier, à une large majorité de 124 votes positifs, qui a finalement décidé d’engager cette Assemblée dans la voie de la rédaction d’une convention multilatérale donnant un cadre légal aux réglementations applicables à la restructuration des dettes souveraines de tous les pays. [applaudissements] Il s’agit d’une tâche que nous devons mener à bien. Cela fait depuis 2003 que je participe à cette assemblée, d’abord en tant que sénatrice, puis depuis 2007 en tant que présidente ; et nous avons depuis le début réclamé une refonte des différents organismes, du Conseil de sécurité comme du Fonds monétaire international. Nous nous basons sur notre expérience en république d’Argentine, mon pays. Dans ce contexte international, mondial, mon pays, la république d’Argentine, j’ose le dire, est un triple cas d’école [« leading case » en anglais dans le texte], en matière économique et financière, en matière de terrorisme et de sécurité, et aussi en matière d’emploi de la force et d’intégrité territoriale.

Sur le premier sujet, la crise économique, qui s’est répandue dans le monde à partir de l’année 2008, qui perdure encore aujourd’hui, et qui commence à menacer les économies des pays émergents, (alors qu’ils ont connu jusqu’ici une grande croissance économique) ; je veux dire que mon pays, a vécue cette m crise en 2001 lorsqu’il y a eu défaut [« default » en anglais dans le texte] de la dette souveraine, sans doute le plus grand défaut [« default » en anglais dans le texte] que l’on ait jamais connu. A l’époque, l’Argentine en était arrivée là avec le consentement des organismes multilatéraux… parce que lorsque l’on doit 160 % de son PIB, la faute n’est pas imputable uniquement au débiteur mais également aux créanciers.

Et depuis la dictature du 24 mars 1976 en passant par l’étape du néolibéralisme, pendant laquelle l’Argentine était présentée comme une élève modèle dans l’assemblée du Fonds monétaire international, elle a finalement accumulé une dette sans précédent qui l’a fait imploser en termes économiques mais également en termes politiques. Nous avons eu 5 présidents en une seule semaine. Ici, personne n’a accepté de prendre ses responsabilités pour ce qui était arrivé en Argentine. L’Argentine a dû se débrouiller comme elle le pouvait. Et en 2003, un président arrivé au pouvoir avec seulement 22 % des voix s’est présenté ici, devant cette assemblée, quelques mois seulement après sa prise de fonctions, et a déclaré qu’il était nécessaire de mettre en place un modèle de croissance et de développement pour le pays qui lui permette d’assumer ses dettes. Car il a dit, dans une métaphore plus qu’intéressante, que les morts ne payaient pas leurs dettes. Et que les pays doivent pouvoir vivre, se développer, et croître pour faire face à leurs obligations. Mais il a également dit que ce niveau de dette – je le répète : 160 % du PIB – n’était pas de la seule responsabilité du pays. Nous assumions en tant que pays l’adoption des politiques qui nous avaient été imposées, nous assumions notre responsabilité, mais nous demandions et nous prétendions aussi que les organismes multilatéraux comme le Fonds monétaire international et les créanciers qui avaient consenti des prêts à des taux usuraires (qui pouvaient atteindre jusqu’à 14% en dollars) assument également une part de responsabilité dans cet endettement.

Cet homme, ce président, qui est arrivé au pouvoir avec 22 % des voix, s’est retrouvé face à 25 % de chômage, 54% de pauvreté et 27% d’indigents, sans écoles, sans santé, sans sécurité. Cet homme, avec un modèle de développement et de croissance, est parvenu à créer non seulement des millions d’emplois, des millions de retraités et de pensionnés qui ont pu être couverts par les systèmes sociaux, mais de surcroît à générer une participation de 6 points du PIB destinés à l’éducation, et à destiner des sommes importantes à l’infrastructure du pays. Nous avons pu bâtir des routes, des centrales nucléaires et hydroélectriques ; des réseaux d’eau, de gaz et d’électricité, qui aujourd’hui s’étendent dans tout le pays, dans un processus d’inclusion sociale sans précédent pour réduire la pauvreté, pour réduire l’indigence à un pourcentage à un seul chiffre aujourd’hui, et le FMI lui-même reconnaît que la croissance économique de l’Argentine entre 2004 et 2011 a été la 3ème croissance la plus importante au niveau mondial. En termes de qualité de croissance, nous ne sommes dépassés que par la Bulgarie et la Chine. En Amérique latine, nous affichons la meilleure prévision de croissance et le meilleur niveau de pouvoir d’achat des travailleurs.

Tout cela, nous y sommes parvenus en supportant la dette qui avait été générée par d’autres. Il est bon de rappeler que nos gouvernements n’ont pas été ceux qui ont déclaré le défaut sur la dette. Ce ne sont pas non plus nos gouvernements qui ont été responsables de la dette, mais nous avons dû l’assumer. C’était notre devoir et depuis 2003 jusqu’à aujourd’hui, nous avons payé plus de 190 milliards de dollars, je répète le nombre, plus de 190 milliards de dollars. Parce que nous avons restructuré la dette avec 92,4 % des créanciers pour deux volets de dette. Il y a eu tout d’abord ce qui a été accompli en 2005 par le président Kirchner et ensuite ce que j’ai fait en 2010. La vérité c’est que nous sommes parvenus à ce que 92,4 % des créanciers de l’Argentine régularisent leur situation et de là, nous avons commencé à rembourser régulièrement cette dette. Nous avons également remboursé en totalité notre dette envers le Fonds monétaire international, qui se soutenait en permanence avec des bicyclettes financières, à travers ce que l’on appelle des standby [NDT : en anglais dans le texte]. Nous avons donc également totalement annulé cette dette que nous avions à l’égard du Fonds monétaire international.

Il y a quelques mois nous avons mené à bien une négociation concernant une dette que nous traînions depuis 1956 avec le club de Paris. Figurez-vous que la présidente qui vous parle avait 3 ans quand cette dette a été contractée, et le ministre de l’économie de mon pays, qui discutait de la restructuration avec le club de Paris, n’était même pas né en 1956. Mais malgré cela, nous sommes parvenus à un accord avec 19 ministres de l’économie de l’Union européenne pour enfin restructurer cette dette, et nous avons déjà remboursé la première tranche de 642 millions de dollars. Et ça ne s’arrête pas là. Nous sommes parvenus à régulariser la situation des jugements du CIADI de la Banque mondiale, des jugements qui avaient commencé non par des actes ou des actions commises au cours de nos gouvernements, mais par des actions de gouvernements antérieurs qui ont fini par amener des procès devant la Banque mondiale. Cela aussi, nous l’avons résolu. Nous sommes aussi arrivés à un arrangement avec Repsol, lorsque nous avons décidé de reprendre le contrôle de nos ressources énergétiques et que nous avons exproprié 51 % des actionnaires de cette entreprise pétrolière. Nous avons aussi restructuré cette dette et nous sommes parvenus à un accord.

Tout cela, nous l’avons fait, de plus, grâce à nos ressources propres, sans avoir accès au marché des capitaux. Car l’Argentine, étant donné le défaut de 2001, était interdite d’accès au marché des capitaux. Rendez-vous compte, un processus d’inclusion sociale sans précédent – et je dis sans précédent sciemment, alors que je sais que d’aucuns, dans mon pays, diront peut-être qu’au cours des années 50, il y avait des processus d’inclusion similaires. Vous savez quelle est la différence ? Que nous, ce processus d’inclusion, nous l’avons démarré en partant d’une banqueroute totale. Totale et absolue. Au beau milieu du défaut de paiement, nous avons réussi à surmonter le défaut [« default » en anglais dans le texte], nous sommes parvenus à travailler avec les Argentins et à obtenir des acquis sociaux pour eux, nous avons réussi à nous désendetter. Aujourd’hui, nous avons un taux de dettes parmi les plus faibles du monde.

Il y a l’autre cas d’école dont je voulais parler, à savoir l’apparition de ce que l’on appelle les fonds vautours. Il ne s’agit pas des dirigeants populistes sud-américains qui utilisent ce terme de fonds vautours, ni des dirigeants des pays d’Afrique, puisque les pays d’Afrique ont également été victimes de ces fonds vautours. Un des premiers dirigeants à utiliser cette expression l’a fait ici en 2002, et la version de son discours a été déposée et enregistrée aux greffes, c’est le Premier Ministre Gordon Brown, Premier Ministre britannique qui a mentionné ces fonds vautours en disant que moralement il était indigne que ces fonds minent les efforts des pays qui visent à réduire la pauvreté de la population, et qui visent à faire davantage en matière d’éducation et de santé. Aujourd’hui, l’Argentine, avec la complicité du système judiciaire de ce pays, est harcelée par ces fonds vautours.

De qui s’agit-il ? Il s’agit en fait de 1 % de ceux qui n’ont pas participé à la restructuration que nous avons négocié en 2005. Ils ne pouvaient pas participer, parce qu’ils avaient acheté des valeurs en 2008. Vous le savez, ce sont des fonds spécialisés, comme leur nom l’indique, dans l’achat de valeurs ou de titres de pays qui sont en défaut de paiement ou vont l’être sous peu. Leur objectif n’est pas de les réclamer au pays, mais de les poursuivre en justice, dans diverses juridictions, afin d’obtenir des gains exorbitants.

Je ne parlerai même pas de « gains » dans ce cas, parce que ce 1 % à la suite d’un procès ici, dans la juridiction de New York, a obtenu un taux de 1608 % sur 5 ans, en dollars. Dites-moi un peu si vous connaissez une compagnie, une entreprise, un investisseur qui parvient à avoir une rentabilité de plus de 1600 % en à peine 5 ans? C’est pour cela qu’on les appelle les fonds vautours. Aujourd’hui ces fonds empêchent ceux qui ont fait confiance à l’Argentine (les 92,4 % des créanciers), empêchent ces 92,4 % d’obtenir ces remboursements. C’est pourquoi je suis très heureuse que l’Assemblée générale ait pris le taureau par les cornes et j’espère que cette année et l’année prochaine, avant l’Assemblée générale de 2015, nous aurons pu construire – parce qu’il s’agit de cela, il s’agit d’un exercice multilatéral actif et constructif – j’espère que nous aurons été capable de mettre en place un cadre réglementaire pour les restructurations des dettes souveraines afin qu’aucun autre pays ne se retrouve dans la situation où se trouve l’Argentine aujourd’hui : un pays qui a des capacités de paiement et qui veut payer et qui va rembourser ses dettes malgré le harcèlement de ces fonds vautours.
[applaudissements]

Des fonds vautours qui menacent d’entreprendre des actions à l’encontre de l’économie de notre pays. Des fonds qui diffusent des rumeurs, des infamies et des calomnies sur les personnes, sur l’économie et sur la finance. Ils agissent comme des agents déstabilisateurs, c’est une sorte de terrorisme économique et financier.

Car ceux qui mettent des bombes sont peut-être des terroristes mais il y a aussi des terroristes économiques, ceux qui déstabilisent les pays et qui sont responsables de la pauvreté et de la faim, à partir du péché de la spéculation. Il faut le dire en toutes lettres. C’est pourquoi nous plaidons pour que cet accord multilatéral démarre rapidement, avec diligence. Pas pour l’Argentine, mais pour tous les pays du monde. Parce qu’en outre, nous pensons qu’un équilibre économique et financier qui attaque les inégalités économiques et sociales est nécessaire – entre les pays, et à l’intérieur des différentes sociétés – sera aussi un antidote puissant contre ceux qui recrutent des jeunes qui n’ont aucun espoir, des jeunes qui n’ont aucun avenir, des jeunes qui sont enrôlés dans des croisades insensées que nous déplorons tous. Nous ne pouvons pas nous limiter à une lecture superficielle des événements, nous devons aussi aller en profondeur et lutter contre les causes de ces problèmes.

J’ai dit que mon pays était un cas d’école à trois égards [« leading case » en anglais dans le texte]. Je parlais du terrorisme et de la sécurité. Mon pays est le seul pays, avec les États-Unis, qui a été victime d’attentats terroristes sur le continent américain. Deux attentats terroristes : un en 1992, lorsqu’on a attaqué l’ambassade d’Israël et en 1994, contre le siège de l’AMIA. Cela fait 20 ans qu’il y a eu cette attaque contre l’AMIA.

Et j’ose dire ici devant cette assemblée et en présence des familles de victimes qui nous ont accompagnées, que le gouvernement du président Kirchner est celui qui a le plus œuvré pour démasquer les véritables responsables. Pas seulement parce qu’il a ouvert l’ensemble des archives des renseignements de mon pays, pas seulement non plus parce qu’il a créé une unité spéciale d’enquête, mais aussi parce qu’en 2006 face à la justice de mon pays, il a accusé certains citoyens iraniens d’être impliqués dans l’attentat contre l’AMIA. Et il a été le seul président, avec moi, à oser proposer, à oser demander à la république islamique d’Iran de collaborer, de coopérer avec l’enquête.

Cette demande est intervenue de manière régulière, en 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, et finalement la république islamique d’Iran a donné suite à cette requête. Avant, la question ne pouvait même pas être mentionnée. Mais l’Iran a ensuite accepté une réunion bilatérale. Il y a eu un protocole d’accord entre l’Iran et l’Argentine en matière de coopération judiciaire. Pourquoi ? Afin de garantir que les citoyens iraniens qui étaient impliqués et qui vivaient à Téhéran, en République islamique d’Iran, puissent passer devant le juge.

Que s’est-il passé lorsque nous avons signé ce protocole d’accord ? Apparemment, on avait ouvert une boîte de Pandore, à l’intérieur et à l’étranger.

Les institutions d’origine juive qui étaient à nos côtés depuis toutes ces années, et qui nous avaient toujours accompagnés ici pour exiger cette coopération, se sont retournées soudain contre nous. Lorsque la coopération a été décidée, ces institutions nous ont accusées de complicité avec l’Iran. Même chose ici dans ce pays : lorsque les fonds vautours ont fait pression sur le Congrès américain, ils nous ont accusés d’être des partenaires de « l’État terroriste d’Iran » – à l’époque, certains ne disaient pas état islamique d’Iran comme aujourd’hui, mais « l’Etat terroriste d’Iran ».

Ces fonds vautour ont fait du lobbying même sur leur sites Web, en mettant ma photo aux côtés du Président Ahmadinejad, comme si nous étions partenaires.

Cette semaine nous avons appris qu’un hôtel emblématique de cette ville, le Waldorf Astoria, accueille la rencontre entre le chef du département d’Etat des Etats-Unis et de son homologue iranien. Nous n’y sommes pas opposés. Au contraire, nous sommes toujours favorables à tout dialogue, à toutes les discussions.

Mais ce que nous voudrions demander, c’est la chose suivante. Ceux qui accusaient l’Iran d’être un pays de terroristes l’année dernière – je ne parle pas d’il y a un siècle, je parle de l’année dernière – que disent-ils aujourd’hui ? Que disent ceux qui, l’année dernière, parlaient de « combattants de la liberté » luttant en Syrie contre le gouvernement d’Al Assad, alors que les mêmes font partie de l’EIIL maintenant ? Que disent-ils aujourd’hui ?

Cela rejoint l’autre problème que nous avons face à l’insécurité, face au terrorisme. Les grandes puissances échangent bien trop facilement les concepts d’ennemis et d’amis, de terroriste ou non-terroriste. Et le problème est que nous devons définir, une fois pour toutes, que nous ne pouvons continuer à utiliser la politique internationale ou les situations géopolitiques, pour obtenir des positions de pouvoir.

Et je parle en tant que militante contre le terrorisme international. Pour vous donner un exemple amusant, la justice argentine enquête en ce moment sur une menace qui m’a été adressée par l’EIIL, pour deux raisons. Tout d’abord, parce que je suis proche de sa Sainteté, le pape François. Et deuxièmement, parce que j’ai dit qu’il était nécessaire qu’Israël et la Palestine soient deux États qui cohabitent – et au passage, je réitère ma demande devant cette assemblée, de la reconnaissance définitive de la Palestine comme nouvel Etat membre de plein droit. [applaudissements]

J’en profite pour le répéter. Il faut commencer à dénouer les nœuds gordiens. Il n’y en a pas qu’un, mais plusieurs. Il faut commencer à dénouer les nœuds gordiens du Moyen-Orient.

La reconnaissance de l’Etat palestinien ; le droit d’Israël à vivre dans le cadre de ses frontières ; le droit pour la Palestine de ne pas voir la force utilisée de manière disproportionnée comme on l’a vu récemment dans ce qui a provoqué la mort de centaines d’enfants et de femmes, ce que nous condamnons comme nous condamnons ceux qui lancent des missiles contre Israël.

Fondamentalement, nous croyons que dans ce monde de vautours économiques et de faucons de guerre, nous avons besoin de davantage de colombes de la paix pour construire un monde plus sûr. Nous avons besoin de plus de respect du droit international. Il faut davantage d’égalité de traitement entre tous ceux qui sont assis ici.

J’ai entendu, ici, à cette tribune ce matin, parler de l’utilisation de la force pour attenter à l’intégrité territoriale d’un pays, ou pour ne pas respecter cette intégrité territoriale. Là encore, la République argentine est un cas d’école. Car cela fait plus de 100 ans que nous avons un litige de souveraineté avec le Royaume-Uni. Nous réclamons que le Royaume-Uni négocie avec l’Argentine sur la question de la souveraineté des îles Malouines, et nous réclamons que l’Assemblée générale demande au Royaume-Uni de le faire. Personne ne s’inquiète de ce cas, il n’y a pas de véto du Conseil de sécurité.

Parce que l’Argentine ne fait pas partie du Conseil de sécurité ou des nations qui décident de la marche du monde. Et tant que ce sera le cas, tant que le vote des cinq membres permanents assis au Conseil de sécurité pèsera plus lourd que le vote de la Côte-d’Ivoire, du Ghana, du Kenya, de l’Égypte, de l’Ouganda, de l’Argentine, du Bahreïn ou des Émirats arabes unis, on ne réglera rien. Il n’y aura que des discours ! Et nous nous réunirons tous les ans, ici, sans parvenir à la moindre solution. [applaudissements]

Nous devons lutter. Cette Assemblée doit reprendre les rênes du pouvoir qu’elle a délégué. Des pouvoirs qu’elle a délégués à un Conseil de telle sorte que, c’est un paradoxe, l’Assemblée doive demander la permission au Conseil en cas d’adhésion d’un nouveau membre. Nous devons rappeler que c’est cette Assemblée, l’Assemblée souveraine des Nations-Unies, où chacun de nous vaut un vote, qui représente la véritable démocratie mondiale.

Quand cette démocratie mondiale sera concrétisée, je ne dis pas qu’on réglera tous les problèmes, mais je crois que nous aurons un début de solution.

Moi, je ne suis ni pessimiste, ni optimiste, je veux être réaliste. En tout cas, entre pessimisme et optimisme, si je dois choisir, je choisis toujours l’optimisme, mais un optimisme réaliste parce que l’optimisme sans réalisme est soit de la naïveté, soit du cynisme et je ne veux être ni naïve, ni cynique face à vous tous.

Je voulais simplement vous dire ce qu’on pense dans mon pays. En Argentine, nous réclamons depuis très longtemps la réforme du Conseil de sécurité, et la réforme du Fonds monétaire international.

Figurez-vous qu’en 2003, il semblait quasi indispensable de réformer le FMI. Mais presque personne aujourd’hui ne réclame cette réforme, parce qu’il a perdu du poids dans toutes les décisions. De plus, le Fonds monétaire international lui-même, sa directrice et une ancienne directrice, Anne Kruger, demande une réglementation des restructurations des dettes souveraines. Parce que tant qu’il n’y aura pas un traité international adopté par cette Assemblée générale avec des dispositions applicables aux restructurations – tant que nous n’aurons pas ça – il y aura toujours un juge, quelque part sur la planète, comme ce Griesa, qui décidera que les accords ne valent rien et qu’il faut appliquer à un pauvre pays des taux usuraires pour le saigner à blanc.

C’est ce qui est en train de se passer. Parce qu’en définitive, il me semble que ce qu’on veut mettre à bas est la restructuration de la dette souveraine qui a coûté tant de travail au peuple argentin.

Avant de venir ici, je me suis rendue à Rome. Et j’y ai rencontré un compatriote qui occupe aujourd’hui une position très importante, une position non seulement religieuse, mais aussi morale et exemplaire. Je voudrais ici relayer le message de paix, de construction de la paix.

Si nous voulons vraiment lutter contre le terrorisme, nous devons œuvrer à la paix. On ne combat pas le terrorisme en faisant résonner les tambours de guerre ! Au contraire, c’est justement ce que veulent les terroristes, une réaction symétrique pour que la roue tourne et qu’il y ait toujours un crédit de sang à réclamer.

Réfléchissons en profondeur à ces questions. Si cette Assemblée, les Nations-unies redeviennent chef de file, si cette assemblée récupère son mandat, face à certains pays qui reconnaissent le droit international pour les autres mais ne se l’appliquent pas à eux-mêmes, je suis sure que nous aurons contribué de manière importante à la construction de la paix et à la lutte contre le terrorisme, dans laquelle personne ne sera absent de la lutte pour laisser à nos enfants un monde meilleur que celui que nous connaissons aujourd’hui.

Et enfin je voudrais rappeler que, l’année passée, les problèmes étaient différents. L’année dernière, nous parlions d’autres thématiques, d’autres dangers, en matière de sécurité.

Aujourd’hui, les choses ont changé. Les mauvais d’hier ne semblent plus aussi mauvais. Ceux qui hier devaient être envahis et rayés de la carte semblent désormais collaborer pour faire disparaître l’EIIL.

Hier, c’était Al Qaïda. Moi, je me demande : Al Qaïda, les talibans, comment sont-ils apparus ? D’où sortent-ils leurs armes ? D’où tirent-ils leurs ressources ? Mon pays ne produit pas d’armes. Qui leur vend des armes ?

Et puis il y a eu ce qui devait être le printemps arabe, qui a viré à l’automne, voire même à l’hiver et dont les combattants de la liberté sont devenus des gens qui méritaient ensuite d’être poursuivis, parfois même emprisonnés.

Aujourd’hui, c’est l’EIIL, cette nouvelle engeance, qui décapite des gens à la télévision lors de vraies mises en scène dont on se demande comment ? d’où ?… Parce que, pardonnez-moi, mais je suis devenue extrêmement méfiante après avoir vu tout ce qui s’est passé. Les séries de télévision qui nous divertissent tant sont de toutes petites fictions à côté des réalités que nous vivons dans le monde actuel.

C’est pour ça qu’il est bon de nous demander comment ces choses vont crescendo, comment il se fait que des problèmes surgissent de plus en plus rapidement, et sont de pires en pires.

Des choses qui font dire au Pape que nous sommes quasiment dans une Troisième guerre mondiale, une guerre qui n’est plus certes la guerre conventionnelle que nous avons connue au XXème siècle, mais des guerres focalisées dont les seules vraies victimes sont les populations civiles.

C’est pourquoi, dans quelques instants, dans ce Conseil de sécurité dont nous faisons temporairement partie, nous allons soulever quelques-uns de ces problèmes, quelques questions. Nous n’avons pas de certitude, nous ne détenons pas de vérité absolue mais nous avons beaucoup de questions et nous voulons les adresser à ceux qui disposent de bien plus d’informations que nous, de bien plus de données que nous, qui ont des réseaux de renseignement bien plus établis que ceux de mon pays.

C’est incroyable qu’avec tant de d’informations, tant de données, on en sache tant mais qu’on en comprenne si peu en réalité. Et il faut comprendre ce qui se passe pour pouvoir construire une solution définitive.

Je salue une fois de plus la volonté politique des 124 pays qui ont voté pour la résolution 68/304. Je sais, nous le savons tous, il y a eu des pressions pour qu’on n’atteigne pas ce chiffre ou pour qu’il n’y ait pas de vote, mais je crois que l’exercice de multilatéralisme pratique, réel et démocratique de cette résolution démontre que tout n’est pas perdu. Au contraire, il nous incombe – à chacun de nous et de nos pays – de trouver des solutions réelles, efficaces, aux problèmes du monde.

Je vous remercie et je vous souhaite à tous et à toutes une excellente fin de journée.

[applaudissements].

Source: http://www.les-crises.fr/discours-presidente-argentine-onu/


Actu’Ukraine 27 mai 2015

Wednesday 27 May 2015 at 05:03

Le contenu est trop long, merci de visiter notre site

Source: http://www.les-crises.fr/actuukraine-27-mai-2015/


Le chef du service de renseignement belge avoue qu’il a menti sur des attentats pour faire approuver Prism

Wednesday 27 May 2015 at 01:16

Il a menti sur trois attentats: le chef du service de renseignement belge avoue

Eddy Testelmans, le patron du service de renseignement militaire, a donné une fausse information en 2013 sur trois attentats en Belgique qui auraient été déjoués grâce aux services de renseignement américains (NSA). Il n’en était finalement rien, lit-on mercredi dans De Tijd.

Afin de démontrer l’utilité du travail de la NSA, Eddy Testelmans aurait souligné, lors d’une interview au magazine MO* en 2013, que trois attentats avaient été déjoués grâce aux informations provenant de la NSA. “Dans trois cas, en effet un possible acte terroriste a été déjoué sur la base d’une info dont nous pouvons supposer qu’elle venait directement du système Prism (le programme d’espionnage controversé de la NSA). Si la NSA ne nous avait pas relayé l’info, nous n’en aurions rien su”, avait-il dit.

Un rapport du Comité I rejette la version que trois attentats ont été déjoués grâce aux Américains. Eddy Testelmans a aussi reconnu cela dans un écrit.

Source : RTL.be, le 6 mai 2015.

Le patron du renseignement belge avait menti (sans le savoir ?)

Le patron des services de renseignement belge a dû démentir cette semaine une information qu’il avait lui-même fournie en 2013, selon laquelle la NSA aurait permis de déjouer trois attentats en Belgique grâce au programme PRISM. Il se défend en affirmant qu’il avait à l’époque de mauvaises informations.

En 2013, alors qu’éclatait l’affaire PRISM avec les premières révélations d’Edward Snowden sur l’accès de la NSA aux données stockées chez les géants du web américains, le patron du renseignement belge Eddy Testelmans avait tenu à défendre le programme de ses homologues, en faisait une révélation. “Dans trois cas, un possible acte terroriste a été déjoué sur la base d’une info dont nous pouvons supposer qu’elle venait directement du système Prism, et qui nous a été fournie par les canaux classifiés“, avait-il affirmé. “Si la NSA ne nous avait pas relayé l’info, nous n’en aurions rien su“.

Le militaire en profitait pour expliquer que ses révélations justifiaient que l’Europe se dote des mêmes capacités de renseignement pour être “suffisamment armée pour la lutte contre le terrorisme, contre la criminalité transfrontalière grave et la prolifération des armes de destruction massive“.

C’est dans cet esprit que la France vient d’adopter en première lecture sa loi Renseignement, malgré l’opposition d’une coalition inédite d’associations et de personnalités que le Premier ministre Manuel Valls a dénoncé comme étant des “pressions” sur les parlementaires, qu’ils n’auraient “heureusement” pas suivi.

MENTEUR OU MANIPULÉ

Mais on apprend cette semaine qu’Eddy Testelmans avait menti, ou alors qu’il s’est fait avoir comme un débutant par les services américains. Le journal néerlandophone De Tijd indique en effet qu’un rapport d’un Comité officiel belge a démenti les informations communiquées à l’époque par le patron du Renseignement dans le magazine MO*, et que celui-ci a confirmé qu’il s’était un peu trop avancé. “Au moment de l’interview le 6 août 2013, je n’avais que des informations de la NSA elle-même, basées sur des informations qu’ils avaient principalement fourni aux États“, tente-t-il d’expliquer. “C’est seulement rétrospectivement, et après davantage d’analyse par les services de renseignement belges, qu’il est venu à ma connaissance que les informations de la NSA devaient être mises en perspective et atténuées“.

En d’autres termes, au moment où le scandale PRISM apparaissant, les Etats-Unis ont affirmé à leurs homologues que le programme illégal de la NSA avait permis de fournir différentes informations permettant de déjouer des attentats, et qu’il était donc légitime à défaut d’être légal. Affirmations que le patron du renseignement belge avait choisi de relayer en l’état, sans aucune précaution, parce qu’elles lui permettaient de demander le même jouet que les Américains.

Source : Guillaume Champeau, Pour Numerama, le 7 mai 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/le-chef-du-service-de-renseignement-belge-avoue-quil-a-menti-sur-des-attentats-pour-faire-approuver-prism/