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La solitude de Noam Chomsky, par Arundhati Roy

Thursday 24 December 2015 at 04:38

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Arundhati Roy (née le 24 novembre 1961 à Shillong en Inde) est une écrivaine et militante indienne. Elle est notamment connue pour le roman Le Dieu des Petits Riens, pour lequel elle a obtenu le prix Booker en 1997, et pour son engagement en faveur de l’écologie, des droits humains et de l’altermondialisme.

LA SOLITUDE DE NOAM CHOMSKY

Un texte d’Arundhati Roy que l’on retrouve dans la préface du livre de Noam Chomsky, intitulé “For Reasons of State” (Pour raisons d’état).

« Je ne m’excuserai jamais pour les États-Unis d’Amérique — quels que soient les faits, je m’en moque ». [Président George Bush Sr]

Assise chez moi à New Delhi, en regardant une chaîne d’informations américaine faire sa propre promotion (« Nous rapportons, Vous décidez »), j’imagine le sourire amusé aux dents abîmées de Noam Chomsky.

Tout le monde sait que les régimes autoritaires, indépendamment de leurs idéologies, utilisent les mass-médias pour leur propagande. Mais qu’en est-il des régimes démocratiquement élus du « monde libre »?

Aujourd’hui, grâce à Noam Chomsky et à ses compagnons analystes des médias, il est presque évident pour des milliers, voire des millions d’entre nous que l’opinion publique dans les démocraties« d’économie de marché » est fabriquée comme n’importe quel autre produit du marché de masse — savon, interrupteurs ou pain en tranches. Nous savons qu’alors que, légalement et conformément à la constitution, la parole peut être libre, l’espace dans lequel cette liberté peut être exercée nous a été volé, et a été vendu aux enchères aux plus offrants. Le capitalisme néolibéral n’est pas simplement une affaire d’accumulation de capital (pour quelques-uns). C’est aussi une affaire d’accumulation de pouvoir (pour quelques-uns), d’accumulation de liberté (pour quelques-uns). Inversement, pour le reste du monde, les personnes qui sont exclues du conseil d’administration du néolibéralisme, c’est une affaire d’érosion de capital, d’érosion de pouvoir, d’érosion de liberté. Dans « l’économie de marché », la liberté de parole est devenue un produit de base comme un autre — la justice, les droits de l’homme, l’eau potable, l’air pur. Seuls ceux qui ont les moyens de se l’offrir peuvent en bénéficier. Et, naturellement, ceux qui peuvent se le permettre utilisent la liberté de parole pour fabriquer le genre de produit, le genre d’opinion publique qui convient le mieux à leur objectif. (Les informations qu’ils peuvent utiliser). La manière exacte dont ils font cela a été le sujet d’une bonne partie des écrits politiques de Noam Chomsky.

Le premier ministre Silvio Berlusconi, par exemple, a une participation majoritaire dans les principaux journaux, magazines, chaînes de télévision et maisons d’édition italiens. « En réalité, le premier ministre maîtrise environ 90% de l’audience télévisée italienne » rapporte le Financial Times. Qu’est-ce qui fixe le prix de la liberté de parole? Liberté de parole pour qui? Il faut reconnaître que Berlusconi est un exemple extrême. Dans les autres démocraties — en particulier aux États-Unis — les magnats des médias, les puissants lobbys d’entreprise et les fonctionnaires sont imbriqués d’une manière plus élaborée, mais moins flagrante. (Les rapports de Georges Bush Jr avec le lobby pétrolier, avec l’industrie de l’armement et avec Enron, et l’infiltration d’Enron dans les institutions gouvernementales et les médias des États-Unis — tout ceci est maintenant de notoriété publique).

Après le 11 septembre 2001, et les frappes terroristes à New-York et Washington, le comportement flagrant de porte-parole du gouvernement des États-Unis qu’ont endossé les médias dominants, leur promotion d’un patriotisme vengeur, leur empressement à publier les communiqués de presse du Pentagone comme des informations et leur censure explicite de l’opinion dissidente sont devenus l’objet d’un humour assez noir dans le reste du monde.

Ensuite, la Bourse de New-York s’est effondrée, les compagnies aériennes en faillite ont fait appel au gouvernement pour des renflouements financiers, et il a été question de lois de contournement manifestes afin de fabriquer des médicaments génériques pour combattre l’alerte à l’anthrax (beaucoup plus important et urgent, bien sûr, que la production de génériques pour combattre le sida en Afrique). Tout à coup, il a commencé à sembler que la liberté de parole et l’économie de marché pourraient finir par s’effondrer à côté des tours jumelles du World Trade Center.

Mais bien sûr, cela n’est jamais arrivé. Le mythe continue.

Il y a cependant un aspect plus intéressant à la quantité d’énergie et d’argent qu’investit l’establishment pour gérer l’opinion publique. Il évoque une peur très réelle de l’opinion publique. Il relève du souci perpétuel et effectif d’une prise de conscience collective, car si les gens devaient découvrir (et comprendre entièrement) la véritable nature des choses qui sont faites en leur nom, ils pourraient agir en conséquence. Les personnes puissantes savent que les gens ordinaires ne sont pas toujours d’instincts impitoyables et égoïstes. (Quand les gens ordinaires pèseront les coûts et les avantages, une certaine conscience troublée pourrait facilement faire pencher la balance). C’est pour cette raison qu’ils doivent être tenus éloignés de la réalité, élevés dans une atmosphère contrôlée, dans une réalité adaptée, comme des poulets d’élevage ou des cochons dans un enclos. Ceux d’entre nous qui ont réussi à échapper à ce destin, et qui creusent en grattant çà et là dans l’arrière-cour, ne croient plus tout ce qu’ils lisent dans les journaux et regardent à la télévision. Nous nous mettons au courant et cherchons d’autres façons d’arriver à comprendre le monde. Nous recherchons l’histoire jamais divulguée, le coup militaire mentionné en passant, le génocide non-signalé, la guerre civile dans un pays africain consignée dans une histoire sur une colonne d’un pouce à côté d’une publicité pleine page pour de la lingerie en dentelle.

[A propos des médias, de la qualité de l’information qu’ils distillent, un excellent documentaire analyse les nôtres, en France; on peut le visionner gratuitement sur Dailymotion, aux adresses suivantes: Partie 1 – Partie 2]

Nous ne nous souvenons pas toujours, et bien des gens ne savent même pas, que cette façon de penser, cette acuité placide, cette méfiance instinctive à l’égard des médias, serait aux mieux une intuition politique et au pire une vague accusation sans l’analyse médiatique implacable et inflexible d’un des plus éminents esprits du monde. Et ceci n’est qu’une des manières par lesquelles Noam Chomsky a radicalement modifié notre compréhension de la société dans laquelle nous vivons. Ou devrais-je dire, notre compréhension des règles compliquées de l’asile d’aliénés dans lequel nous sommes tous des internés volontaires?

En parlant des attaques du 11 septembre à New-York et Washington, le président Georges W. Bush a désigné les ennemis des États-Unis « ennemis de la liberté »« Les Américains demandent pourquoi ils nous détestent », a-t-il dit. « Ils détestent nos libertés, notre liberté de religion, notre liberté de parole, notre liberté de vote, de nous rassembler ou de ne pas être d’accord les uns avec les autres ».

Si les habitants des États-Unis veulent une vraie réponse à cette question (par opposition à celle du manuel idiot de l’anti-américanisme, qui sont: « Parce qu’ils sont jaloux de nous »« Parce qu’ils détestent la liberté »« Parce que ce sont des loosers »« Parce que nous sommes bons et qu’ils sont méchants »), je dirais, lisez Chomsky. Lisez Chomsky sur les interventions militaires des États-Unis en Indochine, en Amérique Latine, en Irak, en Bosnie, en ex-Yougoslavie, en Afghanistan et au Moyen-Orient. Si les gens ordinaires aux États-Unis lisaient Chomsky, peut-être que leurs questions seraient formulées un peu différemment. Peut-être seraient-elles: « Pourquoi ne nous détestent-ils pas plus que ça? » ou « N’est-il pas étonnant que le 11 septembre ne soit pas arrivé plus tôt? ». Malheureusement, en ces temps nationalistes, les mots comme « nous » et « eux » sont utilisés couramment. La frontière entre les citoyens et l’état est brouillée délibérément et avec succès, pas seulement par les gouvernements, mais aussi par les terroristes. La logique sous-jacente des attaques terroristes, comme celle des guerres de « représailles » contre les gouvernements qui « soutiennent le terrorisme » est la même: les deux punissent les citoyens pour les actions de leurs gouvernements.

(Une brève digression: Je me rends compte que ça passe mieux pour Noam Chomsky, citoyen des États-Unis, de critiquer son propre gouvernement, que pour quelqu’un comme moi, citoyenne indienne, de critiquer le gouvernement des États-Unis. Je ne suis pas patriote, et je suis pleinement consciente que la vénalité, la violence et l’hypocrisie sont gravées dans l’âme plombée de chaque état. Mais lorsqu’un pays cesse d’être simplement un pays et devient un empire, alors, l’ampleur des opérations se transforme de manière radicale. Donc, permettez-moi de préciser que je parle en tant que sujet de l’empire des États-Unis. Je parle comme une esclave qui se permet de critiquer son roi.)

Si on me demandait de choisir une des contributions majeures de Noam Chomsky au monde, ce serait le fait qu’il a démasqué l’horrible univers manipulateur et sans pitié qui règne derrière cette « liberté », mot rayonnant et magnifique. Il l’a fait de façon rationnelle et d’un point de vue empirique. La multitude de preuves qu’il a rassemblée pour élaborer ses arguments est phénoménale. Terrifiante, à vrai dire. La prémisse de départ de la méthode de Chomsky n’est pas idéologique, mais intensément politique. Il se lance dans sa série d’enquête avec une méfiance anarchiste instinctive à l’égard du pouvoir. Il nous emmène en voyage à travers le marécage de l’establishment des États-Unis et nous conduit à travers le labyrinthe vertigineux des couloirs qui relient le gouvernement, les grandes entreprises et la question de la gestion de l’opinion publique.

Chomsky nous montre que des expressions telles que « liberté de parole »« économie de marché » et« monde libre », n’ont pas grand-chose, voire rien à voir avec la liberté. Il nous montre que, parmi les libertés innombrables revendiquées par le gouvernement des États-Unis, il y a la liberté d’assassiner, d’anéantir, et de dominer d’autres peuples. La liberté de financer et de parrainer les despotes et les dictateurs à travers le monde. La liberté d’entraîner, d’armer et de protéger les terroristes. La liberté de renverser les gouvernements démocratiquement élus. La liberté d’accumuler et d’utiliser des armes de destruction massive — chimiques, biologiques et nucléaires. La liberté d’entrer en guerre contre n’importe quel pays avec lequel il est en désaccord. Et, le plus terrible de tout, la liberté de commettre ces crimes contre l’humanité au nom de la « justice », au nom de la « vertu », au nom de la « liberté ».

Le Procureur Général John Ashcroft a déclaré que les libertés des États-Unis « ne sont pas une concession d’un gouvernement ou d’un document mais… notre droit divin ». Donc, au fond, nous sommes en présence d’un pays armé d’un mandat divin. Peut-être que cela explique pourquoi le gouvernement des États-Unis refuse d’être jugé selon les mêmes critères moraux avec lesquels il juge les autres. (Toute tentative pour le faire est rejetée comme une « équivalence morale »). Sa technique, c’est de se présenter comme le géant bien-intentionné dont les bonnes actions sont condamnées par les intrigants autochtones des pays étrangers, dont il essaye de libérer les marchés, dont il essaye de moderniser les sociétés, dont il essaye d’émanciper les femmes, dont il essaye de sauver les âmes.

Peut-être que cette croyance en sa propre divinité explique également pourquoi le gouvernement des États-Unis s’est accordé le droit et la liberté d’assassiner et d’exterminer les gens « pour leur bien ».

Lorsqu’il a annoncé les frappes aériennes des États-Unis contre l’Afghanistan, le président Bush Jr a dit, « Nous sommes une nation pacifique ». Il a poursuivi en disant, « Ceci est la vocation des États-Unis d’Amérique, la nation la plus libre du monde, une nation bâtie sur des valeurs fondamentales, qui rejette la haine, qui rejette la violence, qui rejette les assassins, qui rejette le mal. Et nous persisterons toujours. »

L’empire des États-Unis repose sur des fondations macabres: le massacre de millions d’autochtones, le vol de leurs terres, et après ceci, l’enlèvement et l’asservissement de millions de Noirs d’Afrique pour travailler cette terre. Des milliers d’entre eux sont morts en mer tandis qu’ils étaient transportés comme du bétail en cage entre les continents. « Volés à l’Afrique, amenés en Amérique » (Stolen from Africa, Brought to America) — le « Buffalo Soldier » de Bob Marley contient un univers entier de tristesse indescriptible. Il parle de la perte de dignité, de la perte de liberté, de la perte d’une nature sauvage, de l’amour-propre brisé d’un peuple. Le génocide et l’esclavage sont les bases sociales et économiques de la nation dont les valeurs fondamentales rejettent la haine, les assassins et le mal.

Un extrait de Chomsky, tiré de l’essai « The Manufacture of Consent » (la fabrication du consentement), à propos de la fondation des États-Unis d’Amérique:

Durant les festivités de Thanksgiving il y a quelques semaines, j’ai fait une promenade avec des amis et de la famille dans un parc national. Nous sommes tombés par hasard sur une pierre tombale, qui avait l’inscription suivante: « Ci-gît une femme indienne, une Wampanoag, dont la famille et la tribu ont donné d’eux-mêmes et de leur terre afin que cette grande nation puisse naître et grandir ». Bien sûr, il n’est pas tout à fait exact de dire que la population autochtone a donné d’elle-même et de sa terre à cette noble fin. Elle a plutôt été massacrée, décimée et dispersée au cours d’une des plus grandes opérations de génocide de l’histoire humaine… que nous célébrons tous les mois d’octobre lorsque nous honorons Colomb — lui-même boucher notable — lors du Columbus Day. Des centaines de citoyens américains, des gens bien intentionnés et convenables, s’attroupent régulièrement près de cette pierre tombale et la lisent, apparemment sans réaction, sauf, peut-être, le sentiment de satisfaction qu’enfin, nous donnons une certaine reconnaissance méritée aux sacrifices des autochtones… Ils réagiraient peut-être différemment s’ils visitaient Auschwitz ou Dachau et qu’ils y trouvaient une pierre tombale indiquant:« Ci-gît une femme, une Juive, dont la famille et le peuple ont donné d’eux-mêmes et de leurs biens pour que cette grande nation puisse grandir et prospérer ».

[A propos de « la fabrication du consentement », un documentaire tiré du livre de Chomsky est disponible en visionnage, gratuitement, sur YouTube]

Comment les États-Unis ont-ils survécu à leur atroce passé, et font-ils aujourd’hui si bonne figure? Pas en l’admettant, pas en réparant, pas en s’excusant auprès des Noirs américains ou des Américains de naissance, et certainement pas en changeant leurs méthodes (maintenant, ils exportent leurs cruautés). Comme la plupart des autres pays, les États-Unis ont réécrit leur histoire. Mais ce qui distingue les États-Unis des autres pays, et les place loin devant dans la course, c’est qu’ils se sont assurés les services de l’entreprise publicitaire la plus puissante et la plus prospère du monde: Hollywood.

Dans la version à succès du mythe populaire en tant qu’histoire, la « bonté » des États-Unis a atteint son plus haut niveau pendant la deuxième guerre mondiale (alias la guerre de l’Amérique contre le fascisme). Perdu dans le vacarme du son de la trompette et du chant de l’ange, il y a le fait que quand le fascisme était en plein progrès en Europe, le gouvernement des États-Unis a véritablement détourné le regard. Lorsqu’Hitler exécutait son pogrom génocidaire contre les Juifs, les fonctionnaires américains ont refusé l’entrée aux réfugiés juifs fuyant l’Allemagne. Les États-Unis ne se sont engagés dans la guerre qu’après le bombardement de Pearl Harbour par les Japonais. Étouffé par les bruyants hosannas, il y a leur acte le plus barbare, en fait l’acte le plus féroce dont le monde ait jamais été témoin: le largage de la bombe atomique sur des populations civiles à Hiroshima et Nagasaki. La guerre était presque finie. Les centaines de milliers de Japonais qui ont été tués, les innombrables autres qui ont été invalidés par des cancers pour les générations à venir, n’étaient pas une menace pour la paix mondiale. C’était des civils. Exactement comme les victimes des bombardements du World Trade Center et du Pentagone étaient des civils. Exactement comme les centaines de milliers de personnes qui sont mortes en Irak en raison des sanctions dirigées par les États-Unis étaient des civils. Le bombardement de Hiroshima et de Nagasaki était une expérience froide et délibérée exécutée pour faire une démonstration de la puissance de l’Amérique. A ce moment-là, le président Truman l’a présenté comme « la plus grande chose de l’histoire ».

On nous dit que la deuxième guerre mondiale était une « guerre pour la paix ». Que la bombe atomique était une « arme pacifique ». On nous invite à croire que la force de dissuasion nucléaire a empêché une troisième guerre mondiale. (C’était avant que le président Georges Bush Jr ne suggère la« doctrine de frappe préventive »). Y a-t-il eu un débordement de paix après la deuxième guerre mondiale? Il y avait assurément la paix (relative) en Europe et en Amérique — mais considère-t-on cela comme une paix mondiale? Pas tant que les guerres féroces par personnes interposées menées dans les pays où vivent les races de couleur (Chinetoques, Nègres, Asiates,…) ne sont pas considérées comme des guerres du tout.

Depuis la deuxième guerre mondiale, les États-Unis ont été en guerre contre, ou ont attaqué, entre autres, les pays suivants : la Corée, le Guatemala, Cuba, le Laos, le Vietnam, le Cambodge, la Grenade, la Libye, El Salvador, le Nicaragua, Panama, l’Irak, la Somalie, le Soudan, la Yougoslavie et l’Afghanistan. Cette liste devrait également comprendre les opérations clandestines du gouvernement des États-Unis en Afrique, en Asie et en Amérique Latine, les coups d’État qu’il a manigancés, et les dictateurs qu’il a armés et soutenus. Elle devrait comprendre la guerre soutenue par les États-Unis d’Israël au Liban, dans laquelle des milliers de personnes ont été tuées. Elle devrait comprendre le rôle-clé joué par l’Amérique dans le conflit au Moyen-Orient, dans lequel des milliers de personnes sont mortes pour combattre l’occupation illégale du territoire palestinien par Israël. Elle devrait comprendre le rôle de l’Amérique dans la guerre civile en Afghanistan dans les années 80, dans laquelle plus d’un million de personnes ont été tuées. Elle devrait comprendre les embargos et les sanctions qui ont causé directement, et indirectement, la mort de centaines de milliers de personnes (c’est particulièrement évident en Irak).

Mettez tout cela ensemble, et cela donne tout à fait l’impression qu’il y a eu une troisième guerre mondiale et que le gouvernement des États-Unis était (ou est) un de ses principaux protagonistes.

La majorité des essais dans For Reasons of State de Chomsky concerne l’agression des États-Unis au Sud-Vietnam, au Vietnam du Nord, au Laos et au Cambodge. C’est une guerre qui a duré plus de douze ans. 58 000 Américains et à peu près deux millions de Vietnamiens, de Cambodgiens et de Laotiens ont perdu la vie. Les États-Unis ont déployé un demi-million de soldats au sol, ont largué plus de six millions de tonnes de bombes. Et pourtant, bien que vous ne le croiriez pas si vous regardiez la majorité des films d’Hollywood, l’Amérique a perdu la guerre.

La guerre a commencé au Sud-Vietnam et s’est ensuite propagée au Vietnam du Nord, au Laos et au Cambodge. Après avoir mis en place un régime satellite à Saigon, le gouvernement des États-Unis s’est invité à combattre l’insurrection communiste — les guérilleros Viêt-Cong qui s’étaient infiltrés dans les régions rurales du Sud-Vietnam où les villageois les cachaient. C’est exactement le modèle que la Russie a reproduit quand, en 1979, elle s’est invitée en Afghanistan. Personne dans le « monde libre »n’a aucun doute sur le fait que la Russie a envahi l’Afghanistan. Après la glasnost, un ministre soviétique des affaires étrangères a même qualifié l’invasion soviétique de l’Afghanistan « d’illégale et d’immorale ». Mais il n’y a pas eu d’introspection de cette sorte aux États-Unis. En 1984, dans une stupéfiante révélation, Chomsky a écrit:

Depuis 22 ans, j’ai fouillé dans le journalisme et le savoir dominant pour trouver une quelconque allusion à une invasion américaine du Sud-Vietnam en 1962 (ou n’importe quand) ou à une attaque américaine contre le Sud-Vietnam, ou à une agression américaine en Indochine – en vain. Il n’y a pas d’événement de ce genre dans l’histoire enregistrée. Par contre, il y a une défense états-unienne du Sud-Vietnam, contre les terroristes soutenus par l’extérieur (principalement par le Vietnam).

Il n’y a pas d’événement de ce genre dans l’histoire!

En 1962, l’armée de l’air des États-Unis a commencé à bombarder le Sud-Vietnam rural, où vivait 80% de la population. Le bombardement a duré plus d’une décennie. Des milliers de personnes ont été tuées. L’idée était de bombarder sur une échelle assez colossale pour provoquer une migration affolée des villages vers les villes, où les gens pourraient être retenus dans des camps.

Samuel Huntington y a fait référence en tant que processus « d’urbanisation ». (J’ai étudié l’urbanisation lorsque j’étais à l’école d’architecture en Inde. Je ne sais pas pourquoi, je ne me souviens pas du bombardement aérien en tant que partie du programme). Huntington — célèbre aujourd’hui pour son essai « Le choc des civilisations? » — était à ce moment-là président du Conseil des Études Vietnamiennes du Groupe Consultatif sur le Développement du Sud-Est Asiatique. Chomsky le cite décrivant le Viêt-Cong comme « une force puissante qui ne peut pas être chassée de sa circonscription aussi longtemps que la circonscription continue d’exister ». Huntington a continué en conseillant« l’usage direct de la puissance mécanique et conventionnelle » — autrement dit, pour écraser une guerre populaire, éliminer les gens. (Ou peut-être, pour actualiser la thèse — afin d’éviter un choc de civilisations, anéantir une civilisation).

Voici un observateur de l’époque sur les limites de la puissance mécanique de l’Amérique: « Le problème est que les machines américaines ne sont pas à la hauteur de la tâche consistant à tuer les soldats communistes, sauf dans le cadre d’une tactique de terre brûlée qui détruit tout le reste aussi ». Ce problème a été résolu maintenant. Pas avec des bombes moins destructrices, mais avec un langage plus inventif. Il y a une façon plus élégante de dire « qui détruit tout le reste aussi ». Il suffit de parler de « dommages collatéraux ».

Et voici un compte-rendu de première main de ce que les « machines » de l’Amérique (Huntington les appelaient « instruments de modernisation » et les officiers d’état-major du Pentagone les appelaient« bomb-o-grams ») peuvent faire. Il est de T.D. Allman, survolant la Plaine des Jarres au Laos:

Même si la guerre au Laos se terminait demain, le rétablissement de son équilibre écologique pourrait prendre plusieurs années. La reconstruction des villes et des villages totalement détruits de la Plaine pourrait prendre autant de temps. Même si cela était fait, la Plaine pourrait pendant longtemps se révéler périlleuse pour l’habitation humaine en raison des centaines de milliers de bombes non-explosées, de mines et d’objets piégés.

Un vol récent aux environs de la Plaine des Jarres a laissé voir ce que moins de trois années de bombardement américain intensif peuvent faire à une région rurale, même après que sa population civile ait été évacuée. Dans de vastes régions, la couleur tropicale primaire — vert vif — a été remplacée par un motif abstrait de couleurs métalliques noires et brillantes. Une bonne partie du feuillage restant est rabougri, ternie par les défoliants.

Aujourd’hui, le noir est la couleur dominante des étendues du nord et de l’est de la Plaine. Du napalm est régulièrement largué pour brûler l’herbe et les broussailles qui recouvrent la Plaine et garnissent ses nombreux ravins étroits. Les feux semblent brûler continuellement, produisant des rectangles de couleur noire. Durant le vol, des panaches de fumée ont pu être vus, s’élevant depuis les régions fraîchement bombardées.

Les routes principales, arrivant dans la Plaine depuis le territoire sous contrôle communiste, sont impitoyablement bombardées, apparemment de manière ininterrompue. Là, et le long du bord de la Plaine, la couleur dominante est le jaune. Toute la végétation a été détruite. Les cratères sont innombrables… La région a été si souvent bombardée que la terre ressemble au désert grêlé et retourné dans les zones touchées par la tempête dans le désert nord-africain.

Plus vers le sud-est, Xieng Khouangville — la ville autrefois la plus peuplée du Laos communiste — est vide, détruite. Dans le nord de la Plaine, le petit lieu de vacances de Khang Khay a également été détruit. Autour du terrain d’aviation à la base de King Kong, les couleurs principales sont le jaune (du sol retourné) et le noir (du napalm), allégées par des taches de rouge et de bleu vif: des parachutes utilisés pour larguer des provisions.

Les derniers habitants locaux ont été embarqués par transports aériens. Des potagers abandonnés qui ne seraient jamais récoltés poussaient à proximité de maisons abandonnées, les assiettes toujours sur les tables et les calendriers toujours aux murs.

(Les oiseaux morts, les animaux carbonisés, les poissons massacrés, les insectes incinérés, les sources d’eau empoisonnées, la végétation détruite ne sont jamais comptés dans les « coûts » de la guerre. L’arrogance de la race humaine à l’égard des autres êtres vivants avec lesquels elle partage cette planète est rarement mentionnée. Tout cela est oublié dans les combats pour les marchés et les idéologies. Cette arrogance causera probablement la perte définitive de l’espèce humaine).

La clé de voûte de For Reasons of State est un essai intitulé The Mentality of the Backroom Boys (« La mentalité des travailleurs de l’ombre »), dans lequel Chomsky présente une analyse complète extraordinairement souple des Pentagon Papers, lesquels, dit-il, « fournissent la preuve par écrit d’un complot pour utiliser la force dans les affaires internationales en violation de la loi ». Ici aussi, Chomsky prend note du fait qu’alors que le bombardement du Vietnam du Nord est examiné en long et en large dans les Pentagon Papers, l’invasion du Sud-Vietnam mérite tout juste d’être mentionnée.

Les Pentagon Papers sont fascinants, pas en tant que documents de l’histoire de la guerre des États-Unis en Indochine, mais en tant qu’aperçu des idées des hommes qui l’ont élaborée et exécutée. C’est passionnant d’être au courant des idées qui étaient lancées, des suggestions qui étaient faites, des propositions qui étaient émises. Dans une section intitulée The Asian Mind / The American Mind (L’esprit asiatique / L’esprit américain), Chomsky examine le débat sur la mentalité de l’ennemi qui« accepte stoïquement la destruction des richesses et la perte de vies », alors que « Nous voulons la vie, le bonheur, la richesse, la puissance », et que pour nous « la mort et les souffrances sont des choix irrationnels quand il existe des alternatives ». Donc, nous apprenons que les pauvres asiatiques, vraisemblablement parce qu’ils ne peuvent pas comprendre la signification du bonheur, des richesses et de la puissance, invitent l’Amérique à amener cette « logique stratégique à sa conclusion, qui est le génocide ». Mais ensuite, « nous » nous dérobons parce que « le génocide est un fardeau terrible à supporter ». (Finalement, bien sûr, « nous » avons poursuivi et avons de toute façon exécuté un génocide, et ensuite avons fait comme si rien ne s’était passé).

Bien sûr, les Pentagon Papers contiennent aussi un certain nombre de propositions modérées:

Les frappes ciblant la population (proprement dit) sont non seulement susceptibles de créer une vague de dégoût contre-productive à l’étranger et chez nous, mais d’augmenter énormément le risque d’étendre la guerre avec la Chine et l’Union Soviétique. La destruction des écluses et des barrages pourrait toutefois… —si elle est bien gérée — offrir un espoir. Elle devrait être examinée soigneusement. Une telle destruction ne tue ni ne noie pas les gens. Une inondation superficielle du riz occasionne, après un certain temps, une famine considérable (plus d’un million?) à moins que des vivres ne soient fournis — ce que nous pouvons proposer de faire « à la table de conférence ».

Couche par couche, Chomsky démonte complètement le processus de prise de décisions des fonctionnaires du gouvernement des États-Unis, pour révéler la nature impitoyable du cœur de la machine de guerre américaine, totalement isolée des réalités de la guerre, aveuglée par l’idéologie et disposée à anéantir des millions d’êtres humains, des civils, des soldats, des femmes, des enfants, des villages, des villes entières, des écosystèmes entiers — à l’aide de méthodes violentes scientifiquement affinées.

Ici, un pilote américain parlant des joies du napalm:

Nous sommes vachement contents de ces chercheurs anonymes de Dow. Le produit initial n’était pas assez chaud — si les Asiates étaient rapides, ils pouvaient l’enlever en grattant. Donc, les chercheurs ont commencé à ajouter du polystyrène — maintenant, ça colle comme de la merde à une couverture. Mais alors, si les Asiates sautaient dans l’eau, cela cessait de brûler, donc ils ont commencé à ajouter du Willie Peter (phosphore blanc) afin que cela brûle mieux. Il brûlera même sous l’eau maintenant. Et une seule goutte est suffisante, cela continuera à brûler jusqu’à l’os afin qu’ils meurent de toute façon d’un empoisonnement au phosphore.

Donc, les chanceux Asiates étaient anéantis pour leur bien. Plutôt morts que rouges.

Grâce aux charmes séduisants d’Hollywood et à l’appel irrésistible des mass-médias de l’Amérique, après toutes ces années, le monde considère la guerre comme une histoire américaine. L’Indochine a fourni la toile de fond tropicale luxuriante contre laquelle les États-Unis ont joué leurs fantasmes de violence, ont essayé leur dernière technologie, ont affiné leur idéologie, ont examiné leur conscience, se sont tourmentés à propos de leurs dilemmes moraux, et se sont occupés de leur culpabilité (ou ont fait mine de le faire). Les Vietnamiens, les Cambodgiens et les Laotiens n’étaient que les accessoires de ce scénario. Anonymes, sans visage, humanoïdes aux yeux bridés. Ce sont juste des gens qui sont morts. Des Asiates.

La seule véritable leçon que le gouvernement des États-Unis ait tirée de son invasion de l’Indochine est la manière d’entrer en guerre sans engager les troupes américaines et risquer les vies américaines. Donc maintenant, les guerres sont menées avec des missiles de croisière à longue portée, des Black Hawks, et des « bunker busters ». Des guerres dans lesquelles les « alliés » perdent plus de journalistes que de soldats.

Quand j’étais enfant, j’ai grandi dans l’état du Kerala, dans le sud de l’Inde — où le premier gouvernement communiste élu démocratiquement du monde a accédé au pouvoir en 1959, l’année de ma naissance — être une Asiate m’inquiétait terriblement. Le Kerala n’est qu’à quelques milliers de miles à l’ouest du Vietnam. Nous avions aussi des jungles, des rivières, des rizières et des communistes. Je ne cessais d’imaginer ma maman, mon frère et moi nous faire souffler des buissons par une grenade, ou faucher, comme les Asiates dans les films, par un soldat américain avec des bras musclés, un chewing-gum et une musique de fond assourdissante. Dans mes rêves, j’étais la fille brûlée de la célèbre photo prise sur la route de Trang Bang.

Étant donné que j’ai grandi entre la propagande américaine et la propagande soviétique (qui se neutralisaient plus ou moins l’une l’autre), quand j’ai lu Chomsky pour la première fois, je me suis dit que sa collection de preuves, leur quantité et son acharnement, étaient un peu — comment dire? — insensés? Même le quart des preuves qu’il avait compilé aurait été suffisant pour me convaincre. Je me demandais pourquoi il avait besoin d’en faire tellement. Mais maintenant, je comprends que l’ampleur et l’intensité du travail de Chomsky est un baromètre de l’ampleur, de l’étendue et de l’acharnement de la machine de propagande contre laquelle il se bat. Il est comme le ver à bois qui vit dans le troisième casier de ma bibliothèque. Jour et nuit, j’entends ses mâchoires qui écrasent le bois, le réduisant en fine poussière. C’est comme s’il n’était pas d’accord avec la littérature et qu’il voulait détruire la structure même sur laquelle elle repose. Je l’appelle Chomsky.

Être un américain travaillant en Amérique, écrivant pour expliquer son analyse aux Américains, cela doit vraiment être comme avoir à creuser des galeries à travers du bois dur. Chomsky fait partie d’une petite bande d’individus qui combattent une industrie toute entière. Et cela le rend non seulement brillant, mais héroïque.

Il y a quelques années, dans un entretien émouvant avec James Peck, Chomsky a parlé de son souvenir du jour où Hiroshima a été bombardé. Il avait seize ans:

Je me souviens que je ne pouvais littéralement parler à personne. Il n’y avait personne. Je me suis juste éloigné tout seul. J’étais à ce moment-là en colonie de vacances, et quand je l’ai appris, je me suis éloigné dans les bois et je suis resté seul environ deux heures. Je n’ai jamais pu en parler à personne et je n’ai jamais compris la réaction de qui que ce soit. Je me sentais totalement isolé.

Cet isolement a donné naissance à un des plus grands, et des plus radicaux, penseurs publics de notre époque. Et lorsque le soleil se couchera sur l’empire américain, comme ça, comme il se doit, le travail de Noam Chomsky survivra.

Il montrera d’un doigt froid et incriminant l’empire impitoyable et machiavélique aussi cruel, pharisaïque et hypocrite que ceux qu’il a remplacés. (La seule différence est qu’il est armé d’une technologie pouvant infliger au monde un genre de dévastation sans précédent dans l’histoire, à peine imaginable pour la race humaine).

Étant donné que j’aurais pu être Asiate, et qui sait, peut-être en tant qu’Asiate potentielle, il est rare qu’une journée se passe durant laquelle je ne me retrouve pas à penser — pour une raison ou pour une autre — « Chomsky Zindabad » (Vive Chomsky) !

Source: http://www.les-crises.fr/la-solitude-de-noam-chomsky-par-arundhati-roy/


14 ans après les attaques du 11 septembre, la guerre contre la terreur accomplit tout ce dont Ben Laden avait pu rêver, par Tom Engelhardt

Thursday 24 December 2015 at 02:45

Source : The Nation, le 08/09/2015

Convoi de marines dans le sud de l’Afghanistan en 2008. (AP Photo / David Guttenfelder, File)

Quatorze années se sont écoulées, y croyez-vous ? Les avons-nous réellement vécues ? Les vivons-nous encore ? Et cela semble tellement improbable !

Quatorze ans de guerre, d’interventions, d’assassinats, de torture, d’enlèvements, de “sites noirs”, de croissance de l’appareil de sécurité national américain dans des proportions monumentales. Et l’extrémisme islamique s’est encore plus propagé à travers le Moyen-Orient et l’Afrique. Quatorze ans de dépenses astronomiques, de campagnes de bombardements et de politique étrangère militaire comprenant multiples défaites, déceptions et désastres. Quatorze ans de culture de la peur en Amérique, d’états d’alertes sans fin, ainsi que de prédictions sinistres d’attaques terroristes. Quatorze ans d’enterrement de la démocratie américaine (ou plutôt de sa refonte en un terrain de jeu pour milliardaires et une source de spectacle, non de gouvernance). Quatorze ans de secret, de classification de chaque document en vue, de persécution féroce de donneurs d’alerte, et une recrudescence de la foi pour donner un sentiment de sécurité aux Américains en les laissant dans l’ombre concernant les agissements du gouvernement. Quatorze ans de démobilisation de la citoyenneté. Quatorze années d’expansion de la caste guerrière, de transformation de la guerre et du renseignement en activités lucratives, de signature de contrats avec d’innombrables sociétés privées au Pentagone, à la NSA, à la CIA et dans tant d’autres composantes de la sécurité nationale qu’il est impossible d’en garder la trace. Quatorze années durant lesquelles nos guerres reviennent sur notre propre territoire sous la forme de syndromes de stress post-traumatiques, de militarisation de la police, et de la multiplication de technologies de guerre comme les drones et les missiles stingray sur le sol de la “patrie”. Quatorze années de cette expression non américaine, la “patrie” (“homeland”). Quatorze années d’expansion de toutes sortes de surveillances, et de développement d’un système global de surveillance dont la portée – depuis les dirigeants étrangers jusqu’aux groupes tribaux dans les coins les plus reculés de la planète – aurait stupéfié ceux qui dirigeaient les États totalitaires du vingtième siècle. Quatorze années d’étranglement financier des infrastructures américaines et toujours pas un seul kilomètre de ligne de train à grande vitesse construit où que ce soit dans le pays. Quatorze années durant lesquelles faire éclater la guerre d’Afghanistan 2.0, les guerres d’Irak 2.0 et 3.0, et la guerre de Syrie 1.0. En bref, quatorze années d’improbabilités devenues réelles.

Quatorze années plus tard, merci beaucoup, Oussama ben Laden. Avec peu de soutien, de 400 000 à 500 000 dollars, et dix-neuf détourneurs d’avion suicidaires, la plupart d’entre eux saoudiens, vous avez produit un tour de passe-passe géopolitique de première grandeur. De la sorcellerie sur la scène des ténèbres. Ce faisant, vous avez bien “tout changé”, ou en tout cas suffisamment pour que cela compte. Ou plutôt, vous nous avez conduits à faire ce que vous n’aviez ni les moyens ni les capacités de faire. Alors autant vous rendre hommage. Du point de vue psychologique, les attaques du 11 septembre ont représenté un ciblage de précision dont les dirigeants américains n’ont pu que rêver dans les années suivantes. Je n’ai pas la moindre idée de comment vous y êtes arrivé, mais vous nous avez très clairement beaucoup mieux compris que nous ne vous avons compris, ou même que nous ne nous sommes nous-mêmes compris. Vous saviez exactement sur lesquels de nos boutons appuyer pour que nous nous chargions de mettre en place le reste de votre plan pour vous. Alors que vous vous reposiez et attendiez à Abbottabad, nous avons suivi les desseins de vos rêves et de vos désirs comme si vous l’aviez vous-même planifié, et ce faisant, nous avons modifié le monde de manière significative, (et significativement plus sinistre).

Quatorze ans plus tard, nous ne comprenons même pas ce que nous avons fait.

Quatorze années plus tard, l’improbabilité de tout ça continue à défier l’imagination, à commencer par ces vastes débris du World Trade Center dans le bas Manhattan, l’équivalent dans la vraie vie de la Statue de La Liberté émergeant du sable dans La Planète des Singes. Avec le Bas Manhattan brûlant encore dans un air âcre de destruction, ils semblaient la preuve d’une civilisation qui a passé son moment apocalyptique et qui l’a traversé et en a été transformée au point d’en être méconnaissable. A en croire la couverture médiatique de l’époque, les Américains avaient subi tout ensemble Pearl Harbour et Hiroshima. Nous étions les plus grandes victimes de la planète et dans le bas de New York se trouvait “Ground Zero”, une expression jusque-là réservée aux lieux touchés par une explosion nucléaire. Nous avons instantanément été les plus grandes victimes du monde et ses plus grands survivants, et il allait de soi que notre désir de revanche allait être le plus grand du monde. Le 11 septembre allait être vu comme une attaque contre tout ce qu’il y a d’innocent, de bon et de triomphant chez nous, le suprême instant du “ils-haïssent-notre-liberté”, et ça a marché, Oussama. Vous avez plongé ce pays dans une période de quatorze années durant lesquelles toute action stupide ou horrible, toute horrible loi ou intrusion dans nos vies privées ou restriction de nos droits se verrait remettre un laissez-passer inconditionnel. Vous n’avez pas seulement lâché vos chiens de guerre, mais bel et bien aussi les nôtres, ce qui était exactement ce qu’il vous fallait pour semer le chaos dans le monde musulman.

Quatorze années plus tard, laissez-moi vous rappeler à quel point l’attaque du 11 septembre était improbable, et combien frustrant était notre manque d’indices à ce moment. George W. Bush (et compagnie) ne purent même pas l’admettre quand, le 6 août 2001, le président a reçu une note quotidienne de renseignement intitulée “Ben Laden déterminé à frapper les USA”. La NSA, la CIA et le FBI, qui avaient dans leurs mains de nombreuses pièces du puzzle Ben Laden, étaient toujours incapables de l’imaginer. Et, croyez-moi, même alors que les événements se déroulaient, je n’arrivais pas non plus à y croire. Je prenais de l’exercice dans ma chambre à coucher, la télé allumée, quand j’ai entendu pour la première fois parler d’un avion qui aurait percuté le Word Trade Center et vis les premiers plans des tours fumantes. Et je me souviens de ce que j’ai pensé à ce moment-là : c’est comme le B-52 qui a failli faire s’effondrer l’Empire State Building en 1945. Des terroristes détruisant le World Trade Center ? Allons ! al-Qaïda ? Vous plaisantez. Plus tard, alors que deux avions avaient frappé New York et qu’un autre avait arraché une partie du Pentagone, et qu’il était clair qu’il ne s’agissait pas d’accidents, j’ai eu une pensée encore plus grotesque. J’ai réalisé que cette vulnérabilité inattendue d’Américains éprouvant, dans un pays largement protégé du chaos, tant de ce qu’éprouve le monde, pourrait nous ouvrir d’une nouvelle manière à la souffrance du monde. Rêve toujours. Cela nous a seulement ouverts à d’autres manières d’infliger de la souffrance au monde.

Quatorze années plus tard, ne trouvez-vous pas improbable que George W. Bush & Co a utilisé ces actes assassins et les quasi 3000 morts qui s’en sont suivis comme une excuse pour mettre la main sur le monde ? Il ne leur a pas fallu une minute pour décider de lancer une “Guerre Mondiale contre le Terrorisme” dans plus de soixante pays. Il ne leur en a pas fallu beaucoup plus pour rêver d’établir une future “Pax Americana” au Moyen-Orient, suivie d’une sorte d’empire global qui était auparavant seulement fantasmé par le genre de méchant qu’on retrouve dans les films de James Bond. Ne trouvez-vous pas étrange, en regardant en arrière, à quelle rapidité le 11 septembre a enflammé leurs esprits ? Ne trouvez-vous pas curieux que les hauts responsables de l’administration Bush se soient tant entichés de l’armée américaine ? Cela ne vous frappe-t-il pas qu’ils aient eu une foi aussi aveugle dans ce pouvoir militaire censément sans limite pour faire absolument tout et être “la plus grande force de libération que le monde ait jamais connu” ? Ne trouvez-vous pas intrigant que, dans le désastre du Pentagone, les premiers ordres que notre secrétaire à la Défense donna à ses adjoints étaient de travailler sur des plans pour attaquer l’Irak, même s’il était déjà convaincu que c’était al-Qaïda qui avait lancé l’attaque ? (“Allez-y à fond”, indique la note d’un de ses subalternes en le citant. “Balayez-les tous. Qu’il y ait un rapport ou pas.”) Ne trouvez-vous pas que le “ou pas” résume l’époque qui en a suivi ? Ne trouvez-vous pas curieux que, dans les décombres de ces tours, les plans non seulement pour faire payer Oussama ben Laden, mais aussi pour transformer l’Afghanistan, l’Irak et même l’Iran – “Tout le monde veut atteindre Bagdad. Les vrais mecs veulent aller à Téhéran” – en protectorats américains étaient déjà imaginés?

Quatorze ans plus tard, quelle était la probabilité que le pays alors universellement considéré comme “l’unique superpuissance”, ouvertement défiée seulement par de petits groupes de djihadistes extrémistes, avec une force militaire mieux dotée que les dix ou treize forces combinées suivantes (la plupart d’entre elles étant de plus des alliés), et dont la maîtrise technologique était, comme ils disent, à en crever, n’allait remporter aucune guerre, battre aucun ennemi, et n’arriver à aucune occupation réussie ? Quelles étaient les chances ? Ne me dites pas que vous n’auriez pas parié, le 12 septembre 2001, sur des chances à demi raisonnables d’une frappe militaire gagnante dans le grand Moyen-Orient.

Quatorze années plus tard, ne trouvez-vous pas incroyable que l’armée américaine ait été incapable de s’extraire d’Irak et d’Afghanistan, les deux guerres majeures qu’elle a menées durant le siècle, bien qu’elle ait officiellement quitté l’un de ces pays en 2011 (mais seulement pour y retourner à la fin de l’été 2014) et avoir sans arrêt annoncé la fin de ses opérations dans l’autre (mais seulement pour les remettre à nouveau en chantier) ?

Quatorze années plus tard, ne trouvez-vous pas incroyable que la politique menée par Washington après le 11 septembre ait contribué à établir un “califat islamique” sur des portions de l’Irak et de la Syrie démantelées, et à un mouvement extrémiste à peu près sans égal qui s’est affranchi avec succès de la Libye au Nigéria en passant par l’Afghanistan ? Si, le 12 septembre 2001, vous aviez émis pareilles prédictions, qui ne vous aurait pas tenu pour fou ?

Quatorze années plus tard, ne trouvez-vous pas incroyable que les États-Unis se soient lancés dans le business de l’assassinat robotisé ; que (malgré l’interdiction légale, datant de la période du Watergate, de pareils agissements), nous soyons à présent les Terminators de la planète Terre, et non ses John Connors ; que le président soit fièrement et ouvertement un assassin-en-chef possédant sa propre liste de cibles à abattre ; que nous ayons sans répit ciblé les régions les plus reculées de la planète avec nos (sinistres) drones Reaper et Predator (merci Hollywood !) équipés de missiles Hellfire ; et que Washington ait régulièrement abattu des femmes et des enfants dans leur recherche de leaders militants et de leurs suiveurs ? Et ne trouvez-vous pas incroyable que tout ceci ait été accompli au nom de la lutte contre les terroristes et leurs mouvements, malgré le fait que, où que nos drones fassent feu, ces mouvements semblent gagner en force et puissance ?

Quatorze années plus tard, ne trouvez-vous pas incroyable que notre “guerre à la terreur” se soit aussi régulièrement dévoyée en une guerre de et pour la terreur ; que nos méthodes, y compris le meurtre ciblé de quantité de chefs et “lieutenants” de groupes militants, ont visiblement contribué, au lieu de le freiner, au développement de l’extrémisme islamique ; et que, malgré ceci, Washington n’a en général pas redéfini ces méthodes de manière significative ?

Quatorze années plus tard, n’est-il pas possible de considérer le 11 septembre comme une fosse commune dans laquelle ont été ensevelis d’importants aspects du mode de vie américain, tel que nous le connaissions ? Bien entendu, les changements qui se sont produits, en particulier ceux qui ont renforcé les côtés les plus oppressifs du pouvoir d’État, ne sont pas sortis de nulle part, comme ces avions détournés. Qui, après tout, pouvait ignorer la taille et la puissance de l’État sécuritaire et du complexe militaro-industriel avant que ces dix-neuf hommes armés de cutters fassent irruption sur la scène ? Qui pourrait nier que, emballée dans le Patriot Act (voté en général sans avoir été lu au Congrès en octobre 2001), se trouvait une liste de projets de loi antérieure au 11 septembre renforçant les chevaux de bataille de la droite ? Qui pourrait nier que les plus importants dirigeants de l’administration Bush et leurs supporters néoconservateurs avaient réfléchi depuis longtemps à un moyen de transformer la “suprématie militaire américaine” en un nouvel ordre mondial de style Pax Americana ou qu’ils avaient rêvé d’un “nouveau Pearl Harbor” qui pourrait accélérer le processus ? Ce ne fut, cependant, que grâce à Oussama ben Laden qu’ils – et nous avec – s’embarquèrent pour le plus incroyable des siècles, le vingt-et-unième.

Quatorze années plus tard, les attaques du 11 septembre et les milliers d’innocents tués représentent un crime et une immoralité de première grandeur. De ceci, les Américains ne sont pas responsables mais – et c’est le plus incroyable de tout – personne à Washington n’a jamais endossé la moindre responsabilité pour avoir fait exploser le Moyen-Orient, pour avoir semé la désolation sur des portions significatives de la planète, ou pour avoir aidé à l’émergence de forces qui allaient créer le premier véritable État terroriste dans l’histoire moderne ; de même que jamais personne dans aucune institution officielle n’a endossé la responsabilité d’avoir créé les conditions qui conduisirent à la mort de centaines de milliers de personnes, peut-être un million ou plus, en transformèrent de nombreuses autres dans le grand Moyen-Orient en réfugiés intérieurs ou extérieurs, détruisirent des nations, et apportèrent des souffrances inimaginables à un nombre incalculable d’êtres humains. Durant ces années, aucun acte – ni la torture, ni le meurtre, ni l’emprisonnement offshore de gens innocents, ni la mort donnée depuis les cieux ou la terre, ni le massacre de fêtes de mariage, ni l’assassinat d’enfants – n’a émoussé parmi les Américains l’impression de vivre dans un pays “exceptionnel” et “indispensable” de stupéfiante bonté et d’innocence.

Quatorze années plus tard, est-ce si incroyable ?

Source : The Nation, le 08/09/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/14-ans-apres-les-attaques-du-11-septembre-la-guerre-contre-la-terreur-accomplit-tout-ce-dont-ben-laden-avait-pu-rever-par-tom-engelhardt/


[Incroyable] Les programmes scolaires d’intolérance en Arabie saoudite

Wednesday 23 December 2015 at 03:21

AVERTISSEMENT : ceci est la traduction du rapport de l’ONG Freedom House à propos de programmes scolaires en Arabie Saoudite.

Tout comme cette ONG, le site les-crises.fr condamne ces propos sans la moindre réserve. Leur diffusion vise simplement à alerter sur un comportement inacceptable d’un pays “allié”.

Source : Freedom House, 2006

 

Le “Center for Religious Freedom” (Centre pour la Liberté Religieuse), section de Freedom House (Maison pour la Liberté), a publié un rapport analysant un ensemble de manuels du ministère de l’éducation saoudien utilisé par les élèves des niveaux primaires et secondaires. Les manuels font la promotion de la haine à l’encontre de ceux (y compris musulmans) qui n’adhèrent pas à la secte wahhabite.

Le “Center for Religious Freedom” (Centre pour la Liberté Religieuse), section de Freedom House (Maison pour la Liberté), a publié un rapport analysant un ensemble de manuels du ministère de l’éducation saoudien utilisé par les élèves des niveaux primaires et secondaires. Les manuels font la promotion de la haine à l’encontre de ceux (y compris musulmans) qui n’adhèrent pas à la secte wahhabite.

Le rapport, intitulé “Programme de l’intolérance en Arabie saoudite”, a été rédigé par le Centre pour la Liberté Religieuse en coopération avec l’Institut des Affaires du Golfe.

Le Centre a analysé une douzaine de manuels du ministère saoudien d’éducation religieuse, utilisés au cours de cette année scolaire en Arabie saoudite (et dans les écoles saoudiennes à l’étranger). Ces textes ont été rassemblés par l’Institut des Affaires du Golfe, basé à Washington, avec l’aide de professeurs, administrateurs et familles ayant des enfants dans ces écoles. Ces textes ont été ensuite traduits par deux arabophones indépendants.

“Ce qu’enseignent les manuels scolaires saoudiens aujourd’hui sur la façon dont les musulmans doivent aborder les autres religions va empoisonner l’esprit de la nouvelle génération,” déclare Nina Shea, directrice du Centre pour la Liberté Religieuse et principal auteure du rapport. “Quels qu’aient pu être les modifications faites au système saoudien d’éducation, il faut aller beaucoup plus loin.”

Les conclusions de ce rapport contredisent les déclarations faites continuellement par les porte-parole du gouvernement saoudien qui ont révisé minutieusement leurs matériels éducatifs. Il y a plus d’un an, le porte-parole de l’ambassade saoudienne Adel al-Jubeir a déclaré : “Nous avons revu nos programmes d’éducation. Nous avons retiré le matériel provoquant ou intolérant envers les personnes d’autres religions.” Le nouvel ambassadeur saoudien aux États-Unis, le prince Turki al-Faisal, durant une tournée à l’échelle nationale un peu plus tôt cette année, a affirmé : “Nous avons éliminé ce qui pouvait être perçu comme de l’intolérance de nos anciens manuels qui étaient dans notre système.” La semaine dernière, le 18 mai, le ministre des affaires étrangères saoudien, le prince Saud Al-Faisal, a déclaré : “… le système éducatif entier est en train d’être revu de fond en comble. Les manuels ne sont qu’une petite partie de ce qui a été entrepris par l’Arabie saoudite.”

Cependant, le rapport démontre que ces textes :

  • Condamnent et dénigrent la majorité des musulmans sunnites qui ne suivent pas l’idéologie wahhabite de l’Islam, et les qualifient de déviants et de descendants de polythéistes.
  • Condamnent et dénigrent les croyances et pratiques des musulmans chiites et soufistes considérées comme hérétiques et les qualifient de polythéistes ;
  • Ordonnent aux musulmans de haïr les chrétiens, les juifs, les “polythéistes” et autres “mécréants”, incluant les musulmans non-wahhabites, bien qu’il ne faille pas les traiter “injustement” ;
  • Enseignent les infâmes contrefaçons des Protocoles des Sages de Sion, comme s’il s’agissait d’un fait historique ;
  • Enseignent les autres théories du complot, accusant les franc-maçon, les Lions Clubs et le Rotary International de comploter pour affaiblir les musulmans ;
  • Enseignent que “les juifs et les chrétiens sont les ennemis des croyants [musulmans]” et que l’affrontement entre ces deux royaumes est perpétuel ;
  • Enseignent aux étudiants à ne pas “saluer”, “prendre pour ami”, “imiter”, “montrer de la loyauté”, “traiter courtoisement”, ou “respecter” les mécréants ;
  • Affirment que la propagation de l’Islam par le djihad est une “obligation religieuse” ;
  • Enseignent que “le combat entre musulmans et juifs” continuera jusqu’au jour du jugement, et que les musulmans sont promis à la victoire sur les juifs à la fin ;
  • Incluent une carte du Moyen-Orient qui montre Israël dans ses frontières d’avant 1967 comme une “Palestine occupée en 1948.”

La doctrine wahhabite de l’Islam est la base de l’idéologie politique de l’État saoudien, et au cœur de son programme d’éducation. D’après l’ambassade saoudienne de Washington, le système éducatif saoudien comporte 25 000 écoles, formant quelque 5 millions d’étudiants. L’Arabie saoudite fait également fonctionner des universités dans 19 capitales, incluant celle à l’extérieur de Washington à Alexandria, Virginie, qui utilise certains des mêmes textes religieux. De plus, l’Arabie saoudite distribue également ses textes religieux à travers le monde à des écoles islamiques et des madrasas qu’il ne gère pas directement.

Étant donné la nature fermée de la société saoudienne, le Centre n’a pas entrepris un examen complet de l’effort de réforme totale du système éducatif saoudien. Le rapport a été entrepris en réponse aux préoccupations concernant le retrait supposé des passages intolérants de ses manuels scolaires par le gouvernement saoudien, et il presse le gouvernement américain de remonter au plus haut niveau l’effort continu d’enseignement de la haine et de l’intolérance en Arabie saoudite.

Voir le rapport complet

Voir les extraits des manuels du ministère de l’éducation saoudien pour les études islamiques : arabe avec traduction anglaise

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Extraits des manuels scolaires d’études islamiques du ministère de l’Éducation saoudien

A PROPOS DU CENTRE POUR LA LIBERTE RELIGIEUSE

Le “Center for Religious Freedom” (Centre pour la Liberté Religieuse) est une section de Freedom House (Maison pour la Liberté). Fondée il y a plus de 60 ans par Eleanor Roosevelt, Wendell Willkie, et d’autres Américains inquiets du renforcement des menaces pour la paix et la démocratie, Freedom House a été une importante force de promotion des valeurs démocratiques, et un opposant déterminé aux dictatures d’extrême droite et d’extrême gauche. Son Centre pour la Liberté Religieuse défend tous les groupes autour du monde contre la persécution religieuse. Il milite pour que la politique étrangère des États-Unis défende ceux qui sont persécutés pour leur religion ou leurs croyances dans le monde, et défend le droit à la liberté religieuse pour chaque individu.

Depuis son lancement en 1986, sous la direction de l’avocate des droits de l’homme Nina Shea, le Centre a documenté la persécution religieuse des individus ou des groupes de personnes à l’étranger et pris en charge, en leur nom, leur défense auprès des médias, du Congrès des USA, du Département d’État et de la Maison-Blanche. Il parraine également des enquêtes de terrain.

A PROPOS DU “INSTITUTE FOR GULF AFFAIRS” (INSTITUT DES AFFAIRES DU GOLFE)

Le principal travail de recherche pour ce rapport a été réalisé par l’Institut des Affaires du Golfe. Il a recueilli les manuels scolaires et a fourni des extraits de douze d’entre eux au Centre pour la Liberté Religieuse de Freedom House.

“L’Institute for Gulf Affairs” est une organisation indépendante, non partisane qui diffuse des informations étayées sur la région du Golfe et produit des analyses approfondies de la politique et des relations internationales dans la région du Golfe. Basé à Washington, DC, l’Institut est au centre d’un réseau mondial de personnes fiables, dont certaines, en raison de la nature fermée du système politique saoudien, n’ont pas d’autres canaux pour exprimer leurs points de vue. Pour remplir cette mission, l’Institut organise des conférences à Washington, où des analystes éclairés débattent des sujets les plus importants concernant les pays du Golfe et des relations entre ces pays et les États-Unis ; il mène des recherches et des enquêtes indépendantes, dont les rapports sont affichés sur son site web : www.gulfinstitute.org ; il favorise une compréhension plus profonde des pays du Golfe par les décideurs de Washington et par les membres de la presse, en leur fournissant des informations récentes et exclusives, et en les mettant en contact avec des analystes fiables ; et il parraine des groupes de travail dont les rapports aident à définir le programme de politique étrangère.

AVANT-PROPOS

Après les événements du 11 septembre 2001, beaucoup de gens réfléchis — y compris des fonctionnaires des gouvernements des États-Unis et d’Arabie saoudite — ont exprimé leur inquiétude sur le fait que le système éducatif de l’Arabie saoudite pouvait effectivement favoriser l’intolérance et l’animosité qui ont contribué à conduire aux attaques meurtrières ce jour-là. Par la suite, le “UN Arab Development Reports” (Rapport des Nations Unies sur le Développement Arabe) et les rapports de la Commission du 11 septembre ont, parmi d’autres, identifié le rôle clé de la réforme de l’éducation dans la promotion du pluralisme et l’expansion de la liberté dans la région. Au cours des dernières années, la politique étrangère des États-Unis a mis en avant l’objectif de la réforme des systèmes éducatifs à travers le Moyen-Orient élargi, y compris en Arabie saoudite.

Les Saoudiens eux-mêmes comptent parmi les plus préoccupés par cette situation. L’une des analyses les plus précises et les plus détaillées était une étude menée en 2003 conjointement par l’ancien juge saoudien Cheikh Abdelaziz Al-Qassem et le journaliste et auteur Ibrahim Al-Sakran, qui ont examiné trois programmes d’étude de collège et de lycée : AL-Hadith (relation des faits et dits du Prophète), un programme concernant les traditions de l’islam, Al-Fiqh (jurisprudence religieuse), un programme concernant les questions de loi religieuse et de rituel, et AL-Tawhid (l’unicité divine), un programme concernant l’objet des croyances. Cette étude a été présentée lors du second forum pour le dialogue national qui s’est tenu en Arabie saoudite fin décembre 2003 sous l’égide du prince-héritier Abdallah Ibn Abdelaziz et publié début 2004. Cette étude montre que le programme religieux du royaume “encourage la violence envers les autres, et induisent les élèves en erreur en leur faisant croire qu’afin de préserver leur propre religion, ils doivent violemment réprimer et même éliminer physiquement “l’autre”.

Même si à notre connaissance ce rapport n’a jamais été officiellement adopté par les autorités religieuses ou éducatives, son existence montre que des analyses rigoureuses et approfondies sont menées en Arabie saoudite. Depuis, le gouvernement saoudien a déclaré en de nombreuses occasions, qu’il avait pris les mesures nécessaires et réformé en profondeur le système éducatif public afin de répondre à ces problèmes. La dernière déclaration en date remonte au 18 mai 2006, lors d’une visite du ministre saoudien des Affaires étrangères à Washington, au moment même où ce rapport était publié par la presse. Le ministre en question, le prince Séoud Al-Faïçal, a affirmé lors d’une conférence de presse conjointe avec la secrétaire d’État Condoleezza Rice que “…le système éducatif dans son ensemble est en train d’être remanié de fond en comble. [La refonte des] livres scolaires ne représente qu’une mesure parmi d’autres qui ont été menées par l’Arabie saoudite.”

Cependant, il semble que les actions menées soient loin d’avoir entièrement résolu le problème. L’étude qui suit est un passage en revue d’une série de manuels scolaires d’études islamiques, publiés par le ministère de l’Éducation en Arabie saoudite et apparemment en usage actuellement, à la fois dans le royaume saoudien et dans les instituts islamiques qu’il finance. La section dédiée à la liberté religieuse de Freedom House, en coopération avec l’Institute for Gulf Affairs, a examiné des passages de livres destinés aux élèves et couvrant les classes de l’école primaire jusqu’au lycée, en s’intéressant en premier lieu au traitement de toutes les religions ou courants religieux qui ne peuvent être rattachés au wahhabisme, ce courant de l’Islam qui a un statut de religion officielle en Arabie saoudite. Les éléments recueillis montrent que le gouvernement saoudien continue de propager une idéologie de haine à l’encontre des “incroyants”, catégorie qui inclut les chrétiens, les juifs, les chiites, les soufis, tous les sunnites qui ne suivent pas la doctrine wahhabite, les hindous ainsi que les athées et d’autres encore.

L’objectif de ce rapport est à la fois de produire de l’information et d’alimenter le débat quant à savoir si des réformes appropriées ont été mises en œuvre dans le système éducatif saoudien, mais également de pousser à une accélération des réformes dans l’avenir.

En raison du caractère fermé de la société saoudienne, il n’y a eu que très peu d’occasions de mener un examen global et approfondi du système éducatif “réformé”. Nous ne savons pas avec certitude ce qu’on enseigne au quotidien dans les écoles saoudiennes. Ce que nous connaissons, c’est le contenu de ces manuels scolaires. Ce que nous savons également, c’est que tout ce qui est actuellement enseigné dans les manuels scolaires au sujet des musulmans et de la relation avec les autres religions et cultures influencera une nouvelle génération de Saoudiens, ainsi qu’un nombre croissant de musulmans à travers le monde dont l’éducation se fait par ces textes.

Nous ne le savons que trop bien : l’Arabie saoudite n’est pas le seul pays concerné par le problème du fanatisme religieux, de l’incitation à la violence et de la propagation de l’intolérance. Tout au long de l’histoire, des gouvernements s’appuyant sur des idéologies extrémistes, parfois religieuses, parfois athées, ont essayé de dépeindre ceux qui vivaient en dehors de leur système de valeurs comme étant des infidèles ou des êtres inférieurs. Des évènements récents, que ce soit au Darfour, au Kosovo ou au Rwanda, ont montré les conséquences en terme de coût humain de telles idéologies fondées sur la haine. Dans le monde globalisé dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui, l’enseignement qui est donné aux enfants, à ceux des autres comme aux nôtres, constitue un enjeu pour tous.

Peter Ackerman

Président de Freedom House

RÉSUMÉ

Ce rapport a été écrit à la suite d’interrogations concernant la mise en place effective de réformes appropriées au sein du système éducatif gouvernemental saoudien. Après le 11 septembre 2001, des critiques se sont fait entendre dans le monde entier, y compris par le gouvernement des États-Unis, selon lesquelles les écoles saoudiennes diabolisaient l’Occident et “l’autre”.

Des porte-parole éminents du gouvernement saoudien ont également reconnu ce sujet comme étant un problème, et ont assuré à de nombreuses reprises que des réformes étaient en cours, ou avaient été menées à bien (1). Cependant, le résultat de notre étude entre en contradiction avec les déclarations publiques de l’Arabie saoudite selon lesquelles les contenus polémiques avaient été retirés des manuels scolaires.

Etant donné le caractère fermé du régime saoudien, Freedom House n’a pas pu conduire de manière exhaustive l’étude de tous les manuels scolaires et programmes utilisés dans le pays. Il n’est pas possible de dire avec précision comment ces manuels sont utilisés au quotidien. Toutefois, le fait que le ministère de l’Éducation continue de publier les livres décrits dans ce rapport, le fait également que ces livres aient été fournis aux chercheurs de l’Institute for Gulf Affairs par les familles des enfants et par d’autres acteurs associés aux écoles rendent ces ouvrages dignes d’être étudiés et discutés.

Comme le montrent les extraits de la douzaine de manuels d’études islamiques en vigueur analysés dans ce rapport, le programme de religion des écoles publiques saoudiennes continue de propager une idéologie de haine à l’encontre des “mécréants”, à savoir, les chrétiens, les juifs, les chiites, les soufis, les sunnites qui ne suivent pas la doctrine wahhabite, mais également les hindous, les athées et autres. Cette idéologie est introduite dans un manuel de religion dès la première année de l’enseignement élémentaire, réaffirmée et développée tout au long du parcours scolaire, avec pour point culminant la dernière année du lycée, où un texte enseigne aux lycéens que c’est une obligation religieuse de “combattre” les infidèles pour propager la foi. (2)

A l’heure où le gouvernement saoudien essaie de s’affirmer comme la voix qui fait autorité sur l’Islam, ces textes prennent une grande signification. Ce qui est enseigné aujourd’hui dans les manuels scolaires saoudiens sur les musulmans et sur la façon dont ils doivent envisager les relations avec d’autres cultures et religions vont influencer une nouvelle génération de Saoudiens, mais également un nombre croissant de musulmans de par le monde qui utilisent ces livres.

INTRODUCTION

Ce rapport passe en revue certains des principaux manuels d’études islamiques publiés par le ministère saoudien de l’Éducation et utilisés durant l’année académique en cours dans les classes des écoles publiques en Arabie saoudite ainsi que dans les écoles saoudiennes à l’étranger.

Lorsque l’on découvrit que 15 des 19 pirates qui ont attaqué l’Amérique le 11 septembre étaient de jeunes ressortissants saoudiens, les Américains commencèrent à se poser des questions sur le royaume d’Arabie saoudite, non seulement à propos de la possibilité d’un financement du terrorisme par de l’argent saoudien, mais également à propos du système éducatif, suspecté d’enseigner aux jeunes à considérer les Américains comme des ennemis, et de propager l’intolérance à l’égard d’autrui. (3)

L’Arabie saoudite n’est pas une société libre, et il est difficile d’établir ce qui est enseigné dans ses salles de classes. Néanmoins, ces dernières années, des universitaires respectés et des défenseurs des droits de l’Homme aux États-Unis – au cours de campagnes menées essentiellement par des musulmans – ont pu obtenir quelques manuels saoudiens et les ont analysés. (4) Ils ont découvert que l’Arabie saoudite a en effet semé les graines de l’hostilité à l’égard de l’Occident, tant dans les programmes de ses écoles religieuses que dans d’autres matériels éducatifs tels que les compilations de fatwa religieuses qui ont une autorité d’autant plus forte qu’elles sont collectées et publiées par l’État et proviennent d’imams occupant des postes rémunérés par le gouvernement. (5)

De plus, les chercheurs ont découvert que depuis plusieurs décennies, les publications saoudiennes ont endoctriné les étudiants dans une idéologie de haine religieuse à l’encontre des chrétiens, des juifs, et autres, y compris les musulmans n’adhérant pas à l’enseignement wahhabite strict. (6)

Les Saoudiens eux-mêmes ont clairement fait état du besoin d’une véritable réforme en profondeur de l’éducation. Dans un rapport publié il y a un an et demi, un groupe d’études du palais saoudien a déclaré que le programme d’études religieuses du royaume “encourage la violence à l’encontre des autres, et induisent les élèves en erreur en leur faisant croire qu’afin de préserver leur propre religion, ils doivent violemment réprimer et même éliminer physiquement “l’autre”. (7)

Le gouvernement saoudien a depuis affirmé publiquement que tous les éléments d’intolérance avaient été retirés des manuels de ses écoles publiques. L’ambassadeur saoudien aux États-Unis, le prince Turki al-Faisal, a déclaré à plusieurs reprises que son gouvernement avait éliminé des manuels saoudiens “tout élément  qui aurait pu être interprété comme soutenant l’intolérance ou l’extrémisme”. (8) Pendant plus d’une année, l’ambassade saoudienne à Washington a donné des assurances similaires, disant que les réformes avaient été menées. Le 7 mars 2007, un porte-parole du ministère saoudien des Affaires étrangères a déclaré lors d’une conférence de presse de son ambassade a Washington : “Nous avons révisé nos programmes scolaires. Nous avons retiré les éléments qui incitent à l’intolérance envers les personnes d’autres religions.” (9)

Le présent rapport démontre que cela n’est tout simplement pas le cas.

Les manuels scolaires d’études islamiques publiés par le ministère saoudien de l’Éducation que le présent rapport examine continuent à promouvoir une idéologie de haine qui enseigne le fanatisme et condamne la tolérance. Ces textes continuent à enseigner aux étudiants une vision binaire du monde dans laquelle il existe deux règnes incompatibles — l’un formé par les authentiques croyants de l’Islam, ceux qui croient dans le “monothéisme” (10) et l’autre celui des mécréants — royaumes qui ne peuvent jamais coexister pacifiquement. On apprend aux étudiants que les chrétiens, les juifs et d’autres musulmans sont les “ennemis” du vrai croyant, et qu’ils ne doivent se lier d’amitié et ne montrer du respect qu’envers de vrais croyants, tels que les wahabbites. Ces manuels scolaires de l’État saoudien propagent la croyance que les chrétiens, les juifs et les autres mécréants se sont ligués pour conduire une guerre contre l’Islam qui s’achèvera dans la destruction complète de ces infidèles. (11) A l’instar des déclarations d’Oussama ben Laden, ils portent l’idée que les croisades ne se sont jamais terminées et qu’elles continuent de nos jours sous différentes formes. Parmi les exemples les plus préoccupants, on peut citer (voir l’appendice A pour les citations des textes) :

Concernant les sunnites, les chiites, les soufis et les autres musulmans non wahabbites ou non salafistes, les manuels :

  • Condamnent la majorité des musulmans sunnites sur la terre comme étant de “mauvais successeurs” et de “mauvais prédécesseurs”. (12)
  • Condamnent et dénigrent les croyances et les pratiques des musulmans chiites et soufis, qualifiées d’hérétiques, ces derniers étant appelés “polythéistes”. (13)
  • Dénoncent les musulmans qui n’interprètent pas le Coran [de manière] “littérale”. (14)

A l’égard des chrétiens, des juifs, des polythéistes (y compris les musulmans qui ne sont pas adeptes du wahabbisme) et d’autres infidèles, les livres :

  • Ordonnent aux musulmans de “haïr” les chrétiens, les juifs, les polythéistes et les autres “incroyants,” y compris les musulmans non wahabbites — tout en demandant de manière assez incongrue, de ne pas les traiter de manière “injuste”. (15)
  • Enseignent que les croisades n’ont jamais pris fin, et dénoncent les universités américaines à Beyrouth et au Caire, d’autres organismes sociaux occidentaux ou chrétiens, des groupes de médias, des centres d’études et de recherche sur le monde arabe, et des campagnes pour les droits des femmes comme autant d’aspects de la phase moderne des croisades. (16)
  • Enseignent que “les juifs et les chrétiens sont les ennemis des croyants musulmans” (17) et que “l’affrontement” (18) entre les deux royaumes “continue jusqu’au jour de la Résurrection.” (19)
  • Apprend aux élèves à ne pas “saluer” (20), “imiter” (21), être loyaux (22), être courtois (23) ou “à respecter” (24) les infidèles.
  • Définissent le Djihad comme comprenant “la lutte contre les infidèles en les appelant à la foi et en les combattant” (25) et affirment que propager l’Islam par la voie du Djihad est une “obligation” [religieuse] (26). [Le terme qital, traduit ici par combat, dérive du verbe qatala, "tuer", et n'est presque jamais employé métaphoriquement.]

A propos de l’antisémitisme, ils :

  • Enseignent que le “combat entre les musulmans et les juifs” (27) se poursuivra “jusqu’à l’heure [du jugement]” (28) et que les “musulmans triompheront car ils ont raison” et que “celui qui a raison est toujours victorieux.” (29)
  • Sélectionnent des passages prônant la violence à l’encontre des juifs, tandis que dans la même leçon, ils ignorent les passages du Coran et des Hadiths [les récits de la vie du prophète] qui conseillent la tolérance. (30)
  • Enseignent les “Protocoles des Sages de Sion” comme des faits historiques et les relient à des événements contemporains. (31)
  • Parlent des Juifs en termes violents, les accusant de pratiquement toutes les “séditions” et les guerres du monde moderne. (32)

A PROPOS DU RAPPORT

Ce rapport a été préparé par le Centre pour la Liberté Religieuse de Freedom House, avec l’aide de l’Institute for Gulf Affairs, qui a réuni les manuels scolaires examinés ici. Le directeur de l’institut, Ali al Ahmed, est un ressortissant saoudien vivant à Washington, qui a collecté des manuels scolaires de l’État saoudien, et écrit à leur propos depuis 2001. Nina Shea, la directrice du centre, est l’auteur de ce rapport.

Ce rapport est basé sur une douzaine de manuels scolaires d’études islamiques, publiés par le ministère saoudien de l’Éducation, et utilisés au cours de l’année scolaire dans les classes des écoles publiques des niveaux élémentaires, collège et lycée. Il ne s’agit pas de l’analyse de tous les textes saoudiens d’études religieuses, mais il inclut un large éventail de textes utilisés dans les niveaux élémentaires, collège et lycée, et que nous pensons représentatifs des supports utilisés dans les cours d’éducation religieuse des écoles publiques saoudiennes de la filière générale. (33)

Ces textes religieux sont destinés à être utilisés dans les écoles publiques d’Arabie saoudite, ainsi que dans les écoles dirigées par l’État saoudien dans les principales villes du monde. L’une de ces écoles, de laquelle proviennent certains de ces manuels, est l’Islamic Saudi Academy (Académie Islamique saoudienne), et se trouve près de Washington D.C. (voir Appendice B).

Les manuels étudiés dans ce rapport ont été obtenus auprès du Gulf Institute de manière non officielle, via des enseignants, du personnel administratif et des familles dont les enfants sont élèves des écoles saoudiennes, à la fois en Arabie saoudite et à la Saudi academy (lycée saoudien) près de Washington. Comme l’indique la couverture de ces manuels, ils ne sont pas en vente, et généralement ils ne sont pas disponibles au public non plus, en particulier à l’extérieur du pays. En septembre 2005, le ministre des Affaires étrangères saoudien Séoud al-Faïçal (34) a annoncé au président de la commission judiciaire du Sénat américain, le sénateur Arlen Specter, qu’il lui fournirait l’ensemble des manuels scolaires utilisés actuellement, pour au final n’en fournir qu’un seul. (35)

Les exemplaires originaux des ouvrages cités ici sont conservés aux archives de l’Institue for Gulf Affairs. Freedom House a fait traduire les extraits par deux traducteurs différents. Des photocopies des textes originaux en arabe de toutes les pages citées dans ce rapport sont publiées sur le site internet de Freedom House : www.freedomhouse.org/religion.

Cette étude ne prétend pas être une analyse générale de tous les aspects du cursus scolaire saoudien. Nous n’avons pas essayé de répondre à la question de savoir si le programme saoudien s’est modernisé dans d’autres matières telles que les mathématiques ou les sciences, pour mieux préparer les élèves à l’accès à l’emploi après leur diplôme. Il ne s’agit pas non plus d’une analyse exhaustive du contenu complet des ouvrages disponibles. Notre attention s’est portée en premier lieu sur la manière dont ces ouvrages traitent des groupes religieux et des croyants, y compris des autres musulmans, même si nous avons également inclus certains extraits historiques portant sur les questions relatives à Israël et à la Palestine. Les textes n’ont pas été étudiés quant à leur contenu portant sur d’autres questions importantes telles que la situation des femmes, la démocratie ou encore les pratiques commerciales et économiques.

Le Center for Religious Freedom a réuni un comité consultatif constitué d’éminentes personnalités, dont Zineb Al-Suwaij, directrice générale de l’American Islamic Congress ; Zeyno Baran, Professeur et directeur du Centre pour les politiques eurasiatiques de l’Hudson Institute ; Hillel Fradkin, professeur et directeur du Centre sur l’Islam, la démocratie et l’avenir du monde musulman à l’Hudson Institute ; Mary Habeck, professeur associé des Etudes stratégiques de l’université Johns Hopkins de la Paul H. Nitze School of Advanced International Studies (SAIS) ; Hussein Haqqani, professeur invité au Carnegie Endowment for International Peace et directeur du Center for International Relations at Boston University ; et R. James Woolsey, co-président du Committee on Present Danger (Comité sur les Dangers Actuels) et ancien directeur de Central Intelligence. Le rapport a aussi été évalué par les responsables de Freedom House et par le comité exécutif du Conseil des actionnaires.

POURQUOI CECI EST-IL IMPORTANT

L’importance du programme des études islamiques et des manuels scolaires dans la société saoudienne ne devrait pas être sous-estimée. Le système scolaire public saoudien dispose de 25 000 écoles. Ce sont quelque 5 millions d’enfants saoudiens de tous niveaux qui reçoivent un enseignement en études islamiques dispensé par les manuels du ministère de l’Éducation. Les spécialistes estiment que, dans le programme scolaire public saoudien, les études islamiques correspondent à une moyenne comprise entre un quart et un tiers des cours hebdomadaires dans les écoles primaires et les collèges, auquel il faut ajouter plusieurs heures par semaine au lycée. (37)

La religion est la base de l’idéologie politique de l’État saoudien, et est également une part importante de l’éducation saoudienne. L’Arabie saoudite se définit elle-même en tant qu’État musulman, et a établi le wahhabisme en doctrine officielle de l’État. (38) Le Wahhabisme saoudien est une interprétation extrême de l’Islam, fondée sur une vision dualiste dans laquelle les “vrais” monothéistes sont obligés de “combattre” les “polythéistes” et les “idolâtres” jusqu’au “jour du Jugement”, et cela inclut les chrétiens, les juifs, et les musulmans sunnites non totalement dévots. (39)

En Arabie saoudite, le désaccord avec le dogme religieux d’É peut aboutir à une condamnation officielle et à des poursuites judiciaires (pour “crime”). Nous en avons un exemple dans la fatwa lancée par l’ambassade saoudienne à Washington dans un pamphlet d’”éducation” qui réprimande un prêcheur musulman en Europe pour son “infidélité, car il a émis des doutes à propos de l’infidélité des juifs et des chrétiens.” (40) Le gouvernement saoudien exerce un contrôle strict sur l’enseignement religieux dispensé par les enseignants à leurs élèves. En novembre 2005, un instituteur fut renvoyé et condamné à 750 coups de fouet et à 3 ans et demi de prison pour avoir exprimé des opinions positives sur les juifs et sur le Nouveau Testament ; il fut pardonné à la suite de protestations internationales. (41)

Les adhérents du wahhabisme constituent une faible minorité dans le monde musulman, mais cela n’empêche pas l’Arabie saoudite d’essayer de s’imposer comme la voix de l’Islam faisant autorité. Sa conquête du Hejaz en 1924 lui a donné le contrôle des deux lieux les plus saints et du Hajj, le pèlerinage annuel à La Mecque, qui est l’un des cinq piliers de l’Islam. Ce rôle, ajouté à la manne pétrolière, a été utilisé par l’Arabie saoudite pour prétendre être prépondérante à l’intérieur du monde musulman, et être le protecteur de la foi, une déclaration confirmée et gravée dans la loi saoudienne. Le Conseiller des Affaires étrangères saoudiennes Adel al-Jubeir déclara à Tony Snow à la télévision américaine que “le rôle de l’Arabie saoudite dans le monde musulman était similaire à celui du Vatican.” (42) Dans une interview avec Barbara Walters en 2005, le roi Abdullah fit aussi un parallèle entre le rôle de l’Arabie saoudite dans l’Islam et celui du Vatican dans l’ensemble du monde catholique. De même, l’ambassadeur saoudien Turki Al-Faisal reprit cette analogie en 2006 dans une lettre à la Commission américaine sur la liberté religieuse dans le monde. (43) Autrefois confinée au rang d’une secte marginale dans un coin reculé de la Péninsule Arabe, l’idéologie wahhabite jouit d’une audience planétaire grâce aux finances du gouvernement saoudien.

L’Arabie saoudite cherche également à influencer l’instruction délivrée par les autorités islamistes, particulièrement dans les 85 pour cent du monde musulman d’obédience sunnite. Abdurrahman Wahid, ancien président d’Indonésie et un érudit islamiste, a été à la tête de la plus grande organisation musulmane, Nahdlatal Ulama, et a observé que grâce à la manne pétrolière, “durant les récentes décades, l’idéologie wahabbite/salafiste a fait une percée substantielle à travers le monde musulman.” (44) Selon certaines estimations, l’Arabie saoudite a dépensé 75 milliards de dollars dans les 25 dernières années pour sa propagande, environ trois fois plus que ce qu’avait dépensé l’Union Soviétique à l’apogée de la guerre froide. (45) Les manuels pour les études islamiques édités par le ministère de l’Éducation saoudien sont aussi utilisés dans le réseau international des écoles directement supervisées par l’État saoudien. Une brochure de l’Académie saoudienne islamique à Alexandria, Virginie, affirme : “Le programme d’études d’Arabe, d’Études islamiques, et d’Études sociales arabes, et l’instruction civique, sont basés sur le programme du ministère de l’Éducation saoudien. D’autres programmes, tels que les sciences, mathématiques, études sociales, l’anglais et l’informatique, sont similaires aux programmes d’études offerts par les Écoles Fairfax County, en Virginie.” (46) Les manuels religieux saoudiens ont aussi été trouvés dans certaines écoles musulmanes et madrassas à travers le monde, qui ne sont pas directement sous l’égide du gouvernement saoudien. Le rapport de la Commission du 9/11 a observé qu’à travers le monde, et “ceci même dans les pays riches, les écoles wahhabites fondées par l’Arabie saoudite sont souvent les seules écoles islamiques.” (47)

Par conséquent, ce qui est enseigné aujourd’hui dans les manuels d’éducation publiques saoudiens à propos des musulmans, et comment ceux-ci devraient se comporter envers les autres religions et cultures, ne va pas seulement influencer une nouvelle génération de saoudiens, mais aussi ces musulmans du monde entier qui se fient à l’affirmation du gouvernement saoudien que ses instructions sur l’Islam font autorité.

LES PROCLAMATIONS SAOUDIENNE DE MODÉRATION

Depuis le 11 septembre 2001, le gouvernement saoudien a souvent répété devant une audience américaine qu’il a commencé une réforme en profondeur de l’éducation. En plusieurs occasions, le roi saoudien Abdullah, le représentant de l’Arabie saoudite à Washington et les ministères saoudiens de l’Éducation et des Affaires étrangères ont chacun déclaré leur volonté de réformer le système éducatif du royaume. Certaines réformes était assez spécifiques. L’un a précisé que seuls cinq pour cent du programme ont été conservés. (49) Un autre a attesté que 36 manuels sur 66 ont été révisés. (50) Un troisième que l’Arabie saoudite a retiré 31 points controversés de son programme. (51) Dans le même temps, ces représentants ont insisté sur le fait que la réforme sera appliquée “doucement” (52), ou ne prendra effet qu’après une “période de trois ans de vérifications” (53) ou même sur une période de “dix ans”. (54)

Le prince ambassadeur saoudien Turki el-Faisal, qui prit son poste à Washington à l’automne 2005, a travaillé assidument à convaincre les Américains que la réforme de l’éducation avait déjà eu lieu. En décembre 2005, l’ambassade a fait passer une annonce dans The New Republic, un journal politique américain, proclamant que :

Ayant modernisé tous les programmes scolaires pour mieux préparer nos enfants aux défis de demain… l’Arabie saoudite a fait vœu de combattre le mal par la justice, de confronter les pensées déviantes avec la sagesse et les idées nobles, et de défier l’extrémisme par la modération et la tolérance. (55)

Au cours d’une série de conférences aux États-Unis, l’ambassadeur Turki a fait la déclaration suivante, lors d’un meeting au Town Hall de Los Angeles, le 21 mars 2006 :

“Le Royaume a fait l’inventaire de toutes ses pratiques et matériels d’enseignement, et a supprimé les éléments en contradiction avec les besoins d’un enseignement moderne. Nous n’avons pas seulement éliminé de nos vieux manuels ce qui pouvait être perçu comme de l’intolérance, nous avons aussi mis en œuvre une révision interne complète et un plan de modernisation. Les nouveaux programmes mettent l’accent sur la pensée critique, les mathématiques et les sciences, et ils insistent aussi sur l’enseignement des vraies valeurs islamiques, sur les qualités positives requises pour une bonne citoyenneté et une bonne productivité, ainsi que sur la façon de sauvegarder (sic) la communauté dans la paix, et aussi l’environnement, la santé et les droits de l’Homme. À chaque niveau d’éducation, de l’école primaire au lycée, jusqu’à l’université, le gouvernement est même allé jusqu’à sponsoriser des cours destinés à promouvoir la modération et la tolérance. Dès les classes de maternelle, on enseigne aux enfants l’importance de la tolérance et de la paix.”

L’ambassadeur a aussi transmis à la Commission américaine sur la Liberté Religieuse Internationale un document de 74 pages publié par l’ambassade, daté de mars 2006, et intitulé “Résumé du programme complet de révision des programmes éducatifs nationaux de l’Arabie saoudite”. Désirant démontrer que les manuels saoudiens ont été réformés, ce document fournit une sélection d’exemples des suppressions et des révisions de leçons, tirés de certains des textes examinés ici (une partie des modifications étaient censées attester d’une tolérance accrue à l’égard du “capitalisme”, du “commerce”, des “relations commerciales avec les non-croyants”, des “partis politiques”, du patriotisme national, et de la “législation”, sujets qui ne sont pas traités dans cette étude). En ce qui concerne la tolérance envers d’autres religions, le rapport de mars 2006 donne les exemples suivants :

  • Dans les textes destinés au primaire, suppression des références à la croisade que des Chrétiens continuent de mener, aux revendications du jihad, et la dénonciation de l’étude de l’Orientalisme. Toutefois, selon la présente étude, des déclarations similaires figurent toujours dans les manuels scolaires à destination des cycles secondaires.
  • Redéfinition d’Abraham, présenté comme un “monothéiste”. Les opinions publiques occidentales sont susceptibles de comprendre cette révision comme étant le signe d’une plus grande tolérance à l’égard des Juifs, et même des Chrétiens, qui considèrent eux aussi qu’Abraham est leur “père dans la foi”. (58) Pourtant, les Musulmans aussi se réclament du prophète Abraham, et ce changement n’indique pas pour autant que leur position soit nouvelle, voire plus tolérante à l’égard d’autres religions.
  • De nouvelles exemptions par rapport à l’interdiction des images dans un passage mettant en garde contre “le fait de glorifier des images sculptées telles que des idoles ou des statues représentant la création de Dieu.” Cette révision, toutefois, ne semble pas nécessairement porter sur la tolérance d’autres groupes religieux, tels que les Musulmans chiites pour qui l’art fait partie de leur expression islamique. Le passage révisé répète sa mise en garde contre l’art religieux et dit clairement que ces exceptions sont d’ordre pragmatique et concernent les photographies figurant sur les passeports et les cartes d’identité. (59)
  • Le langage révisé qui enjoint le croyant à haïr l’incroyant et à le traiter “justement” (dans le texte révisé du CM1 sur le monothéisme). La nouvelle formulation est la suivante : “Haïr les infidèles qui s’opposent aux Musulmans, mais ne pas faire preuve d’injustice à leur encontre” ; et “Et aimer pour l’amour de Dieu et haïr pour l’amour de Dieu.” (60) Au mieux, les révisions des manuels envoient un message brouillé. D’autres manuels utilisés actuellement continuent à appeler au “jihad” (61) contre les infidèles, et à inciter à tuer des Juifs.

LA RÉACTION AMÉRICAINE

Depuis 2004, le Département d’État américain qualifie l’Arabie saoudite de “pays particulièrement inquiétant”, s’appuyant sur la Déclaration Internationale pour la Liberté Religieuse, après avoir découvert que “la liberté religieuse n’existait pas” dans le Royaume, (62) mais il s’est largement  désintéressé de l’enseignement et la propagande saoudiens, sur le plan à la fois domestique et international.

Ce n’est qu’à la fin de l’année 2005 qu’un officiel américain a posé publiquement une question concernant le rôle du gouvernement saoudien dans la diffusion d’une idéologie islamiste extrémiste à travers ses publications éducatives. En visite en Arabie saoudite en octobre 2005, la sous-secrétaire d’État Karen Hughes a publiquement fait état des préoccupations américaines à ce propos, et cela pour la première fois, citant une étude, publiée plus tôt cette année-là par le Centre pour la Liberté Religieuse de Freedom House, concernant les manuels scolaires du gouvernement saoudien et les publications incitant à la haine religieuse, disponibles aux États-Unis.

En mars 2006, dans un rapport sur l’Arabie saoudite, le Département d’État américain, avec son Rapport sur les Droits de l’Homme, a fait pour la première fois un bref commentaire de la question : “Des ONG ont fait des rapports sur l’intolérance dans le système éducatif, et, en particulier, sur les manuels scolaires religieux encourageant l’intolérance et la haine des autres traditions religieuses, particulièrement le christianisme et le judaïsme. Des officiels saoudiens ont déclaré avoir corrigé les manuels scolaires pour en retirer les contenus visant à dénigrer les religions autres que l’Islam. Pourtant, de nombreux manuels récemment publiés ont continué à faire preuve d’intolérance, dans leurs textes, à l’égard du judaïsme, du christianisme et de la tradition chiite en particulier.” (63)

En dehors de ce commentaire sommaire du rapport du Département d’État, il y a peu d’indices que le gouvernement américain fournisse un effort soutenu pour donner suite aux déclarations du sous-secrétaire Hugh.

Ayant eu l’occasion de faire directement des remarques sur la réforme éducative saoudienne lors d’une conversation publique au Royaume-Uni le 31 mars 2006, la secrétaire d’État Condoleezza Rice a affirmé que la réforme est en cours, puis elle a minimisé l’ampleur des réformes, avant de changer de sujet sur les programmes d’échange avec l’étranger. (64) Les possibilités d’échanges pour les étudiants saoudiens sont en effet importantes, mais elles ne remplacent pas une réelle réforme éducative réelle qui profiterait aux étudiants en Arabie saoudite et dans les écoles financées par les Saoudiens dans le monde entier.

CONCLUSION

Les descriptions de l’”autre” – musulmans “déviants”, “polythéistes” et “infidèles” – dans ces manuels d’études islamiques de l’année scolaire en cours ne correspondent pas à l’image de “modération et de tolérance” présentée par l’ambassadeur saoudien à Washington et d’autres officiels saoudiens. Ces manuels continuent à être le reflet d’un programme qui inculque la haine religieuse envers ceux qui ne suivent pas l’enseignement wahhabite. Comme l’année scolaire se termine, des milliers de diplômés des écoles publiques saoudiennes sortiront imprégnés de la croyance que ceux qui sont d’une religion différente leur sont moralement inférieurs et même diaboliques.

L’histoire des autres guerres et conflits devrait nous rappeler que l’éducation peut être utilisée pour promouvoir la haine, la division et l’hostilité. Dans sa volonté de jouer un rôle central dans le monde musulman, l’Arabie saoudite devrait mettre en œuvre des politiques d’éducation tenant compte des inquiétudes des États-Unis et des autres gouvernements démocratiques. L’éducation est la base des perspectives d’importants progrès vers la liberté et la démocratie dans la région. Le leader d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden, l’avait bien compris. Le 23 avril 2006, dans sa cassette audio, il s’énervait contre ceux qui “se mêleraient des programmes scolaires.”

Un échec de l’Arabie saoudite à reformer son système éducatif sapera directement les objectifs de la politique étrangère visant à encourager les progrès en matière de modération et de démocratie dans le monde musulman.

De toute évidence, nous manquons d’informations. Le Département d’État devrait fournir des informations plus détaillées dans ses rapports publics concernant l’utilisation et les contenus des manuels d’études islamiques du programme des écoles publiques d’Arabie saoudite.

Le gouvernement américain doit aussi appuyer clairement ceux qui dénoncent l’intolérance. Aux plus hauts niveaux de l’État, il faudrait soulever auprès de l’Arabie saoudite le problème de l’enseignement du fanatisme et de l’intolérance existant dans le matériel éducatif. Il devrait apporter son aide à ceux qui prennent la défense des minorités musulmanes non wahhabites et des non musulmans résidant dans le Royaume.

En tant que signataire de la Déclaration des Droits de l’Homme, et en tant qu’État membre des Nations Unies, l’Arabie saoudite se doit de défendre la tolérance, le respect du pluralisme et la liberté de religion. En tant qu’allié stratégique des États-Unis, elle devrait mettre immédiatement fin à la propagation de la haine et des prétextes religieux prônant l’hostilité et la violence dans ses programmes et manuels d’éducation.

APPENDICE A : EXTRAITS DETAILLES DES MANUELS

Dans le manuel du cours préparatoire sur le monothéisme et sa jurisprudence, on enseigne aux étudiants que les juifs, les chrétiens et autres non musulmans sont promis “au feu de l’enfer”. Alors que beaucoup de religions enseignent qu’elles sont l’unique et vraie foi, les affirmations saoudiennes sont d’une nature différente : elles sont parrainées par le gouvernement, elles contredisent l’Islam qui enseigne que le judaïsme et le christianisme sont “des religions divines”, et elles sont utilisées comme point de départ d’une argumentation qui finalement conduit les manuels de l’enseignement secondaire à présenter une justification de la violence religieuse.

  • “Toute religion autre que l’Islam est fausse.” (65)
  • “Remplir les blancs avec les mots appropriés (Islam, enfer) :

Toute religion autre que _____ est fausse. Quiconque meurt en dehors de l’islam va _____.” (66)

  • “Donnez des exemples de fausses religions, comme le judaïsme, le christianisme, le paganisme, etc.” (67)
  • “Expliquez que quand quelqu’un meurt en dehors de l’islam, l’enfer est son destin.” (68)

Un manuel de CM1 sur le monothéisme et sa jurisprudence apprend aux élèves que “haïr les polythéistes et les infidèles” est une exigence de la “vraie foi”. D’une façon incongrue, la même phrase leur apprend qu’ils ne doivent pas traiter les infidèles “avec injustice”, mais ne fournit aucun éclaircissement de ce que ceci peut signifier.

  • “Croire n’est pas seulement un mot qu’une personne prononce avec la langue. Croire se manifeste par un discours, une conviction et une action.” (69)
  • “La Vraie croyance signifie : … Que vous haïssez les polythéistes et les infidèles mais que vous ne les traitez pas injustement.” (70)

La question de la haine de l’infidèle est développée plus loin dans une discussion sur la loyauté et l’amitié dans le manuel du CM2 sur le monothéisme, les hadiths, la jurisprudence et la récitation coranique. On apprend aux élèves à être loyal et à ne se lier d’amitié qu’aux autres “croyants au monothéisme”. Il enseigne que :

  • “Il n’est pas permis d’être un ami loyal de ceux qui s’opposent à Dieu et à Son prophète.” (71)
  • “Celui qui obéit au prophète et accepte l’unicité de Dieu ne peut pas être loyal à ceux qui s’opposent à Dieu et Son Prophète, même s’ils sont ses plus proches parents.” (72)
  • “Il est interdit à un musulman d’être l’ami loyal de quelqu’un qui ne croit pas en Dieu et en son Prophète, ou de quelqu’un qui combat l’Islam.” (73)
  • “Un musulman, même s’il vit au loin, est votre frère en religion. Quelqu’un qui s’oppose à Dieu, même s’il est votre frère par les liens familiaux, est votre ennemi en religion.” (74)

Le manuel de sixième sur le monothéisme, les hadiths, la jurisprudence et la récitation coranique ordonne aux élèves de ne pas “pleurer” aux funérailles et de ne pas “prier” dans les cimetières ou dans les mosquées construites sur des tombes, et donc de bannir les traditions de deuil de nombreux chiites et autres musulmans :

Interdictions pour les obsèques :

  1. Il est interdit d’être en colère pour la perte du défunt, de pleurer fort, de déchirer ses vêtements, ou de se frapper les joues ou autres parties du corps.
  2. Il est interdit de s’asseoir et de marcher sur les tombes.
  3. Il est interdit de prier sur les tombes, à l’exception de la prière funéraire.
  4. Il n’est pas bon d’élever la voix au cours des funérailles, même pour mentionner le nom de Dieu ou faire la lecture du Coran.
  5. Il est interdit de construire des mosquées sur les tombes. ” (75)

Le manuel de sixième sur l’Histoire de l’Arabie saoudite contient une leçon sur la Palestine, dans laquelle les élèves apprennent que si les musulmans s’unissent dans le “combat” contre les Juifs et leurs alliés américains et britanniques, ils seront victorieux, comme ils le furent naguère contre les croisés chrétiens. En reliant la question palestinienne avec les croisades, on pourrait facilement déduire du texte que ce “combat” pourrait ou devrait être militaire. Une carte de la région accompagne le texte, mais à la place d’Israël avec ses frontières d’avant 1948, la légende mentionne “Palestine occupée, 1948.”

  • “Tout comme les musulmans se couvrirent jadis de succès lorsqu’ils s’unirent pour entreprendre de vraiment chasser de Palestine les croisés chrétiens, les arabes et les musulmans sortiront victorieux — si Dieu le veut — des Juifs et de leurs alliés, s’ils s’unissent et combattent le vrai jihad de Dieu, car Dieu en a le pouvoir.”
  • “Quel est le chef musulman qui a défait les croisés et libéré Jérusalem ?”
  • “Quel est le nom de la bataille où il triompha ?”
  • “Citer un autre verset du Coran qui proclame que Dieu aide les croyants.”
  • “Citer le noble hadith qui explique les caractéristiques des juifs.”

En quatrième, le manuel sur le monothéisme met en garde contre l’imitation des incroyants, et apprend aux élèves à repérer les caractéristiques “condamnables” des juifs. On y apprend aussi que font partie des incroyants, les musulmans qui ne respectent pas la pratique wahhabite consistant à ne pas construire de mosquée sur des lieux de sépulture.

  • “L’élève remarque certaines caractéristiques condamnables des juifs.”
  • “L’élève est mis en garde contre l’imitation des juifs et des chrétiens, qui vénèrent excessivement les hommes de bien.”
  • “L’élève donne des exemples de polythéisme parmi les membres de cette nation (l’Arabie saoudite).”
  • “Ce sont les gens du Chabbat, dont Dieu transforma les jeunes en singes et les vieux en porcs, pour les punir.” “Comme on le trouve dans Ibn Abbas : les singes sont [les] juifs, les gardiens du Chabbat, tandis que les porcs sont les chrétiens infidèles qui communient en Jésus.”
  • “Dieu a dit à son prophète Mahomet, à propos des juifs qui apprirent du livre de Dieu (la Torah et les Évangiles) que Dieu seul est digne d’adoration. Malgré cela, ils épousent de fausses croyances d’idolâtrie, de divination et de sorcellerie. En faisant cela, ils obéissent au Malin. Ils préfèrent les gens de fausseté aux gens de vérité, par envie et inimitié. Ils s’attirent ainsi la condamnation, et c’est pour nous une mise en garde de ne pas faire comme ils firent.”
  • “Les juifs ont perdu leur religion et attaqué la religion de l’Islam, qui consiste à accepter l’unicité de Dieu et ne vénérer que lui seul.”
  • “Ce sont les juifs, qui sont maudits de Dieu et contre lesquels Sa colère est telle que jamais plus il ne sera satisfait [d'eux].”
  • “Des gens du peuple du Chabbat furent transformés en singes et en porcs pour punition. Certains d’entre eux adorèrent le Malin, et non pas Dieu, par la consécration, le sacrifice, la prière, l’appel à l’aide, et d’autre types d’adorations. Certains juifs vénèrent le Malin. Pareillement, certains membres de cette nation (l’Arabie saoudite) vénèrent le Malin, et non pas Dieu.”
  • “Construire des mosquées sur des tombes est une forme de polythéisme.”
  • “Certains pays musulmans ont vu des tombes d’hommes de bien vénérées par la construction de mosquées. Des tombes ont été adorées. Ainsi, les musulmans imitèrent les chrétiens.”
  • “Lister certaines caractéristiques condamnables des juifs d’après le verset.”
  • “Activité : l’élève rédige une composition sur les dangers de l’imitation des infidèles, donnant des exemples d’imitation parmi les élèves. Il en fait ensuite la lecture à ses camarades de classe.”

Un manuel saoudien de troisième sur les hadiths décrit en termes apocalyptiques la violence de la punition de Dieu contre les juifs, les chrétiens et les autres incroyants. Il cite de manière sélective un hadith incendiaire à propos de la violente sanction contre les juifs, et le rend applicable largement, sans le remettre dans le contexte historique, et en ignorant les hadiths respectueux envers les juifs. Cette leçon est ensuite directement reliée à la situation politique des Palestiniens.

  • “Les affrontements entre cette communauté musulmane (oumma) d’une part, et les juifs et les chrétiens d’autre part, durent depuis longtemps, et continueront selon la volonté de Dieu. Dans ce hadith, Mahomet nous donne une illustration de la bataille entre les musulmans et les juifs.”
  • “Rapporté par Abu Huraira : le prophète a dit que l’Heure (du Jugement) n’adviendrait pas avant que les musulmans n’aient combattu les juifs et ne les aient tués. [Elle ne viendra pas] tant que les juifs se cachent derrière des rochers et des arbres, tant que les rochers et les arbres ne disent : “O musulman ! O serviteur de Dieu ! Il y a un juif qui se cache derrière moi. Viens et tue-le.” À part le gharqad, qui est un arbre des juifs.”
  • “C’est la sagesse de Dieu que musulmans et juifs continuent à lutter jusqu’à l’Heure du Jugement.”
  • “Voici la bonne nouvelle pour les musulmans : à la fin, Dieu leur viendra en aide contre les juifs, et ce sera un des signes qu’il est l’Heure du Jugement.”
  • “Les musulmans vont triompher car ils sont droits. Celui qui est droit triomphe toujours, même lorsque la majorité est contre lui.”
  • “Dieu aidera les musulmans si leur intentions sont sincères, s’ils sont unis, s’ils adhèrent à la loi de leur Seigneur, s’ils obéissent à Ses jugements, et s’ils sont patients et endurants.”
  • “Les juifs et les chrétiens sont les ennemis des croyants, et ils ne peuvent reconnaître les musulmans.”
  • “Ce hadith a montré une des caractéristiques des juifs. C’est : [remplir les balncs].”
  • “Aider ses camarades de classe à trouver des exemples de la façon dont nos frères musulmans souffrent en Palestine, et à proposer des moyens de réduire ces souffrances.”

Un manuel de seconde sur le monothéisme contient un long exposé où sont accusées de “polythéisme” d’autres traditions musulmanes qui interprètent différemment le Coran, en faisant référence aux sunnites, chiites et soufis, qui ensemble composent la majorité des musulmans qui résident en Arabie saoudite, et dans le monde en général. Les disciples de la doctrine Ashrite (musulmans sunnites qu’on trouve partout dans le monde) et ceux de la doctrine Maturidi (musulmans sunnites installés principalement au Pakistan et en Inde), c’est-à-dire des millions de sunnites au travers du monde, sont décrits comme “polythéistes” ou idolâtres :

  • Il affirme que les fondateurs et les disciples de ces doctrines sunnites sont “de mauvais prédécesseurs à de mauvais successeurs.”
  • Ils y sont aussi condamnés soit parce qu’ils ne font pas une lecture littérale des textes concernant les noms et caractères de Dieu, “comme interpréter le visage [de Dieu] comme Son essence, et Sa main comme les bénédictions qu’Il dispense”, soit parce qu’ils sont accusés de “croire que [les écritures] ne veulent pas dire ce que leur sens littéral suggère.”

Un autre manuel scolaire de seconde, sur le Hadith et la culture islamique, contient une leçon sur le “mouvement sioniste”. C’est un mélange curieux de théories conspirationnistes échevelées autour des loges maçonniques, des Rotary ou Lions clubs, accompagné d’insultes antisémites. Il affirme que “Les Protocoles des Sages de Sion” est un document authentique et enseigne aux élèves qu’il révèle ce que les juifs croient vraiment. Il tient les juifs pour responsables de beaucoup de guerres et discordes dans le monde. Bien que facilement identifiables comme cinglées, ces théories conspirationnistes gagnent du terrain. Le Hamas a adopté dans sa charte des théories complotistes qui sont calquées presque point par point sur celles de ce manuel saoudien. Cette année, le Mémorial des États-Unis pour l’Holocauste a inauguré une exposition sur les Protocoles, l’identifiant comme “dangereux” et signalant qu’ “en dépit d’innombrables démonstrations que les Protocoles est un faux, le mythe de la conspiration juive mondiale a conservé une force incroyable pour les Nazis et d’autres qui cherchent à répandre la haine des juifs.” Ce manuel saoudien de seconde affirme :

  • “La Franc-maçonnerie est secrètement juive. Elle met en avant des slogans généraux et humanistes de sorte que des non-juifs puissent rallier sa cause. C’est un mouvement séculier, athée et secret qui sert indirectement les juifs. Elle est le pouvoir secret qui crée des circonstances et conditions favorables pour les juifs. En tant que tel, elle aide le Sionisme à atteindre ses objectifs.
  • “Buts du mouvement sioniste
  1. Instiller un état d’esprit belliqueux parmi les juifs, ainsi qu’un fanatisme religieux et nationaliste pour défier les autres religions, nations et peuples.
  2. Etablir un contrôle du monde par les juifs. Le point de départ pour arriver à cette fin est l’instauration de leur gouvernement dans la terre promise, qui s’étend du Nil à l’Euphrate.
  3. Inciter à la rancœur et à la rivalité entre les grandes puissances afin qu’elles se combattent, et allumer le feu de la guerre entre les États, pour les affaiblir et favoriser leur propre avènement.
  • Les Protocoles des Sages de Sion “a été découvert au XIXe siècle. Les juifs ont tenté de le réfuter mais il y a de nombreuses preuves de leur véracité et de leur origine parmi les sages de Sion.”
  • “Le protocole est résumé par les points suivants :
  1. Saper les fondations de la communauté internationale existante et ses systèmes pour permettre au sionisme de s’arroger le contrôle sur le monde.
  2. Eliminer en particulier les nationalités, les religions et les nations chrétiennes.
  3. Œuvrer à accroître la corruption des gouvernements existant en Europe. Le sionisme croit en la corruption et l’effondrement de ces gouvernements.
  4. Prendre le contrôle de la presse et des moyens de publication et de propagande ; utiliser l’or pour attiser les troubles ; exploiter les désirs des peuples et propager la dépravation.”
  • “La preuve irréfutable de la véracité des Protocoles et des plans juifs infernaux qu’il contient est que les plans, complots et conspirations qu’il détaille ont été mis à exécution. Quiconque lit les Protocoles — et il est apparu au XIXe siècle — réalisera à quel point ce qu’il décrit a déjà été mis en pratique.”
  • “Exemples de moyens par lesquels les sionistes atteignent leurs objectifs :
  1. La sédition, les ruses et la conspiration tout au long de l’histoire. Par exemple :
    1. La Révolution française : les juifs ont exploité la Révolution française pour combattre les religions, détruire les valeurs et répandre des slogans insensés. Ils ont participé aux préparatifs de la Révolution et à l’établissement de ses codes moraux.
    2. La Première Guerre mondiale : les juifs ont joué un rôle en la déclenchant.
    3. La chute du califat ottoman islamique : le rôle des juifs Dönme dans sa chute n’est pas un secret.
    4. La Révolution russe bolchévique contre le règne du Tsar. Il est connu que les racines de la pensée marxiste sont juives. Karl Marx était un juif d’Allemagne.
  • “On ne peut quasiment pas trouver d’exemple de sédition dans laquelle les juifs n’aient pas joué un rôle.”
  • “La tentative de submerger les peuples par le vice et la prostitution généralisée. Les juifs ont pris le contrôle de cette économie et essayent de la développer. Ils gèrent des bars en Europe et en Amérique, ainsi qu’en Israël.”

“La prise de contrôle de la littérature et des arts ; la diffusion de littérature dégénérée, pornographique ; et l’encouragement de tendances perverties dans la littérature et les arts.”

“La prise de contrôle de l’industrie du cinéma dans le monde occidental et ailleurs dans le monde.”

“Fraude, corruption, vol, et escroqueries.”

  • “Les mouvements visant la destruction que le sionisme a utilisés pour atteindre ses buts.
  1. Franc-maçonnerie. Il s’agit d’une organisation secrète juive qui travaille sournoisement à l’avancement des intérêts juifs au sens large. La Maçonnerie est un mot trompeur qui oriente les auditeurs à penser qu’il s’agit d’une noble profession de foi, puisqu’elle signifie “libre construction” et que son slogan est “liberté, fraternité et égalité.”
  2. B’nai Brith, ou fils de l’Alliance. Ce groupe a été créé en Amérique en 1834.
  3. Lions Club International. “Lions” veut dire lions. Ce sont des clubs maçonniques basés en Amérique, et ils ont des agents secrets partout sur la planète.
  4. Rotary Club. Il a été fondé à Chicago en 1905 et s’est depuis répandu partout dans le monde.”

Le texte de niveau seconde sur la jurisprudence enseigne que, selon la loi, la vie d’une personne non musulmane (ainsi que des femmes et, par implication, des esclaves) ne vaut qu’une fraction de celle d’un “male musulman libre”. (117) Le prix du sang (la diyya) est l’argent payé à la victime ou à ses héritiers en cas de meurtre ou de blessure.

  • “La diyya pour un infidèle libre. [Sa quantité] est la moitié de la diyya pour un musulman mâle, qu’il appartienne ou non aux “gens du livre” (comme les païens, zoroastriens etc.)” (118)
  • “La diyya pour une femme : la moitié de la diyya pour un homme, selon sa religion. La diyya pour une femme musulmane est la moitié de la diyya pour un musulman mâle et la diyya pour une femme des infidèles est la moitié de la diyya pour un infidèle mâle.” (119)

Le manuel de première sur les hadiths et la culture islamique pour les garçons des filières Gestion, Études sociales, Histoire naturelle et Études techniques enseigne aux musulmans de ne pas saluer les infidèles et de ne pas faire preuve de courtoisie envers eux.

  • “La salutation ‘Que la paix soit avec vous’ est réservée aux fidèles. Elle ne peut être adressée aux autres.” (120)
  • “Si on arrive dans un lieu où il y a à là fois des musulmans et des infidèles, on devrait employer une salutation destinée aux musulmans.” (121)
  • “Ne leur [les chrétiens et les juifs] cédez pas le passage dans une route étroite par honneur et par respect.” (122)

Le manuel de première pour garçons sur les Hadiths dans les filières de Gestion, Sociologie, Histoire Naturelle et Études Techniques comprend également une leçon d’histoire sélective sur “La menace du Croisé” qui est identifiée comme “l’origine du conflit entre musulmans et chrétiens.” Il n’y est fait mention ni de la conquête musulmane du Moyen-Orient ni des invasions de l’Europe par les musulmans avant les Croisades ni d’aucun exemple de cohabitation paisible entre les musulmans et l’Occident ni d’aucun exemple d’aide militaire et de coopération des États-Unis envers l’Arabie saoudite ou aucun autre pays musulman. Il y est enseigné que la menace du Croisé a commencé avec la première Croisade en 1095 et se poursuit dans l’ère moderne avec le prosélytisme chrétien, les études orientalistes et le colonialisme. Cet enseignement inclut “le débat sur la condition de la femme” dans la croisade moderne. Différentes missions médicales ainsi que des écoles, universités, programmes radio et services sociaux chrétiens à l’œuvre au Moyen-Orient sont cités comme faisant partie de la croisade moderne. Le plus alarmant est que cet enseignement maintient que les croisades n’ont pas pris fin. En ceci, il fait écho aux déclarations d’Oussama ben Laden qui avait désigné ses ennemis comme “Croisés-Sionistes”.

  • “La nouvelle approche des croisades a pris plusieurs formes, dont :
  1. Prosélytisme (Évangélisation) : conduit par l’Église et soutenu par les gouvernements chrétiens.
  2. L’Orientalisme : conduit par des érudits et des intellectuels au service de l’Église et des gouvernements chrétiens.
  3. La colonisation militaire.” (123)
  • “Domaines d’activité missionnaire
  1. Services de santé

L’activité consiste à établir des hôpitaux et des cliniques chrétiennes et d’y envoyer des médecins itinérants. Comme dit l’un des évangélistes, “là où il y a des gens, il y a de la douleur. Et là où il y a de la douleur, il y a besoin de médecins. Et partout où il y a besoin de médecins, il y a une opportunité d’activité missionnaire (évangélisation).”

L’un des premiers exemples fut la Mission Médicale Américaine de Sivas en Turquie en 1859.

Après 1875, des centres médicaux croisés furent établis à Gaza, Naplouse et d’autres villes de Syrie et de Palestine.

  1. Fondation d’églises, monastères et couvents

Cela a eu lieu dans tous les pays musulmans où se trouvent des chrétiens, même si ces derniers se comptent sur les doigts de la main. Des églises ont même été fondées dans des pays dans lesquels il n’y a pas de chrétiens parmi la population.

  1. Fondation d’écoles

Ils fondèrent plusieurs écoles dans le monde islamique avec différents niveaux d’instruction. Ceci inclut : l’Université Américaine de Beyrouth et du Caire, l’Université Jésuite, le Collège Robert à Istanbul, le Collège Gordon [Memorial] à Khartoum, et d’autres trop nombreux pour être mentionnés.

  1. Services sociaux

Il y a des maisons d’accueil pour orphelins, pour les vieux, les veuves, les femmes divorcées, etc.

  1. Création de stations de radio diffusant dans les pays musulmans, dans leur langue

La radio “La Voix du Pardon”, Radio Chypre à Nicosie, Radio Monte Carlo, la radio “La Voix des Bonnes Nouvelles” à Addis-Abeba, et Radio Vatican.

  1. Presse écrite et livres appelant à la conversion au christianisme”

Un manuel de terminale sur le Hadith et la culture islamique, destiné à des garçons inscrits au cursus de Gestion, Études Sociales, Sciences Naturelle et Technique, contient un chapitre “le Jihad et le chemin de Dieu”. Celui-ci explique les diverses significations du Jihad et examine leur application. Bien que le texte explique que l’un des sens du Jihad se trouve dans l’auto-amélioration et le “combat spirituel”, il reconnaît également que le mot contient aussi un sens plus militant. Cette discussion ne mentionne pas l’interdiction de l’usage de la contrainte dans l’Islam, et ne clarifie pas le fait de savoir si les infidèles peuvent être militairement forcés à accepter “l’appel”. En fait, en plusieurs endroits, le texte justifie l’aspect militant en tant que vecteur de propagation de la foi. Le mot qital, traduit ici par “bataille”, est dérivé de qatala, “tuer” et n’est quasiment jamais utilisé métaphoriquement.

  • “Le Jihad est le chemin de Dieu — qui consiste à combattre les incroyants, l’injustice et ceux qui la perpètrent — c’est le summum de l’Islam. Cette religion s’est levée par le Jihad et grâce au Jihad son étendard a flotté haut. C’est l’un des actes les plus nobles, qui rapproche de Dieu, et d’une des preuves les plus magnifiques de l’obéissance à Dieu” (125)
  • “Les clercs musulmans reconnaissent que le Jihad, utilisé pour répandre la foi, est une obligation. Si un nombre suffisamment important de personnes s’y attèlent, ceux qui restent n’ont pas commis de péché” (126)
  • “Dieu a interdit aux musulmans de faire le Jihad en masse, et leur recommande de mobiliser un groupe dans chaque communauté pour se soumettre à l’obligation du Jihad, ce qui libère le reste du groupe [de cette obligation].” (127)
  • “Quand le Jihad de combat est-il le chemin de Dieu ? La bataille ne peut poursuivre que deux buts : obéir à un ordre de Dieu, se sacrifier sur Son chemin, répandre la foi du Dieu Unique, défendre le royaume de l’Islam et des musulmans, et élever le verbe de Dieu. Cela est le Jihad dans la voie de Dieu.” (128)
  • “Le Jihad se poursuit jusqu’au jour de la Résurrection.” (129)
  • “Dans sa sagesse, Dieu fait perdurer le combat entre la Vérité et le Mensonge jusqu’au jour de la Résurrection. Aussi longtemps que ce conflit continue, le Jihad continue.” (130)

ANNEXE B

L’ACADEMIE ISLAMIQUE SAOUDIENNE

L’Académie Islamique saoudienne est la branche américaine d’un réseau mondial de 20 écoles supervisées et financées par l’État saoudien. Le président du conseil d’administration de l’académie est l’ambassadeur saoudien à Washington, actuellement le prince Turki Al-Faisal. Les frais de scolarité sont payés par le gouvernement saoudien. (131) Les études islamiques y sont enseignées à partir des mêmes manuels wahhabites qui ont été analysés dans cette étude (certains de ces manuels référencés dans cette étude ont été fournis par des familles liées avec l’Académie).

Établie en 1984, son campus principal (Classe 2 – 12) est situé à Alexandrie, Virginie, dans la périphérie de Washington, D.C. (132) Sa mission consiste à “être l’établissement d’enseignement de premier plan” pour la communauté musulmane. (133) L’école comprend plus d’un millier d’étudiants chaque année. Comme d’autres académies saoudiennes à l’étranger, l’inscription est ouverte aux enfants de diplomates saoudiens et à d’autres étudiants qui n’ont pas de lien avec le royaume.

Toutes les académies saoudiennes à l’étranger, avec l’exception de celles basées aux États-Unis et en Grande-Bretagne, utilisent le même programme fixé par le ministère saoudien de l’Éducation qui est également utilisé par les écoles publiques en Arabie saoudite même. Aux États-Unis, l’Académie saoudienne a un programme d’enseignement double, rassemblant le programme du ministère saoudien de l’Éducation pour les études islamiques et l’arabe avec le programme d’enseignement du district local pour les mathématiques, l’informatique, les sciences et l’anglais. (134)

En 2002, le Washington Post fournît un rare aperçu de ce qui est enseigné à l’Académie : “Alors [les étudiants] remplissent les classes du cours d’études islamiques, où les manuels leur disent que le Jour du Jugement ne peut pas venir avant que Jésus Christ ne revienne sur Terre, casse la croix et convertisse chacun à l’Islam, et avant que les musulmans ne commencent à attaquer les juifs.” (135) Un citoyen américain qui y était major de sa promotion fut reconnu coupable le 29 mars 2006 pour avoir comploté l’assassinat du Président George W. Bush et être un membre d’Al-Qaïda, et fut condamné à 30 années d’emprisonnement. (136)

L’Académie est accréditée par l’Association Méridionale des Collèges et Écoles et la Commission pour l’Accréditation Internationale et Trans-Régionale.

Dix-neuf autres écoles saoudiennes, chacune présidée par l’ambassadeur local d’Arabie saoudite, sont installées de par le monde, à Alger, Ankara, Beijing, Berlin, Bonn, Djibouti, Islamabad, Istanbul, Jakarta, Karachi, Kuala Lumpur, Londres, Madrid, Moscou, Paris, Rabat, Rome, Tunis et Vienne. (137)

Source : Freedom House, 2006

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/programmes-scolaires-d-intolerance-en-arabie-saoudite/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade)

Wednesday 23 December 2015 at 01:35

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: FED: “Elle a monté ses taux de 0,25 et croyez…” – 21/12

Olivier Delamarche VS Frédéric Rollin (1/2): Comment les marchés ont-ils accueilli la hausse des taux de la FED ? – 21/12

Olivier Delamarche VS Frédéric Rollin (2/2): Quelles sont les perspectives de croissance du marché européen pour 2016 ? – 21/12

II. Philippe Béchade

La minute de Philippe Béchade: “La FED va nous annoncer une politique extrêmement prudente” – 16/12

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (1/2 ): La FED va-t-elle annoncer un tournant historique ce mercredi ? – 16/12

Philippe Béchade VS Bernard Aybran (2/2 ): La hausse des taux de la FED fera-t-elle planer un risque de krach sur les marchés émergents ? – 16/12

Les indés de la finance: La banque centrale japonaise a de nouveau assoupli sa politique monétaire – 18/12

III. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir: “l’Espagne va être dans une situation à la belge” – 22/12

Les points sur les “i” : Jacques Sapir: L’Europe arrivera-t-elle à surpasser le risque politique ? – 22/12


Petite sélection de dessins drôles – et/ou de pure propagande…

 

 

 

Images sous Copyright des auteurs. N’hésitez pas à consulter régulièrement leurs sites, comme les excellents Patrick Chappatte, Ali Dilem, Tartrais, Martin Vidberg, Grémi.

Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-du-mercredi-delamarche-sapir-bechade-4/


Manuel Valls et la guerre civile : le coup de gueule de Périco Légasse

Tuesday 22 December 2015 at 04:18

Source : Figarovox, Périco Légasse, 11-12-2015

FIGAROVOX/HUMEUR – «Le FN peut conduire à la guerre civile» a déclaré Manuel Valls sur France Inter. Pour Périco Légasse, le Premier ministre n’est pas habilité à donner des «leçons de morale».


Périco Légasse est rédacteur en chef de la rubrique vin et gastronomie à l’hebdomadaire Marianne.


Manuel Valls a parlé ce matin de guerre civile? 

Un peu facile de crier au loup pour sauver les meubles et de prédire le pire pour remonter dans les sondages. Faire peur, en appeler à la panique nationale, quitte à mentir un peu et à trahir beaucoup, pour détourner la colère populaire, c’est la base même du fascisme. Quelle est la politique qui peut aujourd’hui conduire à la guerre civile? Qui est au pouvoir depuis 40 ans en général et 4 ans en particulier et nous a conduit à la situation actuelle? Qui s’est essuyé les pieds sur le référendum de 2005 quand 55% des Français avaient voté non à un traité constitutionnel mettant l’Europe sous l’emprise de Goldman Sachs et des marchés financiers dirigés depuis Wall Street? Qui a réduit l’école de la République à une machine à fabriquer des analphabètes? Qui a maintenu la suppression du service national pour que l’on ne mesure pas concrètement le niveau d’ignorance de la jeunesse? Qui a éradiqué la classe paysanne en laissant un syndicat agricole transformer nos campagnes en usines? Qui a installé sur tout le territoire des cités ghettos où l’en entasse l’immigré pour qu’il ne s’émancipe pas et devienne de la main d’oeuvre bon marché pour le patronat? Qui a autorisé les grandes surfaces à coloniser les grandes agglomérations et à s’emparer de 90% du marché de la consommation en étranglant les petits producteurs et les artisans créateurs d’emploi? Qui a autorisé la grande distribution à s’installer dans les centre ville, avec la bénédiction de M. Macron, pour éradiquer les derniers commerces de proximité?

 On ne peut pas imputer tous ces échecs au seul premier ministre!

Qui avait dans ses rangs Jérôme Cahuzac au Ministère du budget? Qui appelle à voter pour les amis de Patrick Balkany et consorts au prix de la démission de ses militants? Qui fut si proche de Dominique Strauss Kahn en fermant, des années durant, les yeux et les oreilles sur des comportements indignes? Qui a supprimé les 60.000 places de prison qui devaient permettre à une population carcérale d’avoir des conditions moins inhumaines de détention pour ne pas transformer les cellules en école du crime? Qui a applaudi l’intervention en Libye avec les intellectuels de gauche pour faire de ce pays le futur Etat Islamique de l’Afrique du Nord? Qui au lendemain du 7 janvier a refusé de parler d’islamisme pour ne pas stigmatiser une religion? Qui après le 7 janvier a refusé de rétablir les contrôles aux frontières et dans les aéroports pour ne pas créer un climat d’insécurité? Qui au lendemain du 7 janvier a refusé d’intervenir dans les mosquées où des imams intégristes prêchent quotidiennement leur haine de la France? Qui s’acoquine et vend son âme contre les deniers du Qatar et de l’Arabie Saoudite? Qui refuse d’interpeller publiquement la Turquie à propos du pétrole de contrebande qui enrichit Daech? Qui a refusé de discuter avec la Russie pour étudier les moyens de combattre ensemble le terrorisme islamique? Qui a démantelé les services secrets au Ministère de l’Intérieur pour créer une cellule de statistique sur la baisse de la criminalité en France, empêchant des milliers de fonctionnaires compétents d’être sur le terrain? Qui n’a pas rétabli la police de proximité déconstruite par Sarkozy, seul instrument efficace de prévention contre la délinquance? Qui a laissé des lignes de bus du réseau nord de la RATP aux mains de militants islamistes? Qui durant le discours au Congrès de Versailles le 16 novembre n’a pas une seule fois utilisé le mot islamiste? Qui a promis une baisse assurée du chômage pourvu que l’on accepte de renoncer aux promesses électorales de la campagne présidentielle de 2012? Qui nous a vendu en grandes pompes une COP21 retentissante pour sauver le climat de la planète et qui va finir en flop magistral? Qui rackette les PME, les artisans, les commerçants avec le RSI? Qui saigne les classes moyennes avec une fiscalité qui appauvrit le pays et décrédibilise l’Etat? Qui, enfin, est entrain de négocier en douce et à l’insu des peuples le Traité transatlantique (TATFTA) qui veut mettre l’Europe à genoux devant le marché américain? Qui, qui, qui?

Vous balayez tout le spectre politique et géopolitique, il parlait en l’occurrence du Front National…

Lire la fin de l’interview sur Figarovox, Périco Légasse, 11-12-2015

Source: http://www.les-crises.fr/manuel-valls-et-la-guerre-civile-le-coup-de-gueule-de-perico-legasse/


Gérard Chaliand : « Daech est expert en manipulation médiatique »

Tuesday 22 December 2015 at 02:18

Source : La Croix, Gérard Chaland, 16-12-2015

Pour Gérard Chaliand, expert en stratégie (1), notre idéal démocratique doit désormais s’appuyer sur une fermeté politique et un arsenal juridique adapté à cette nouvelle forme de conflit.

Né en Belgique, Gérard Chaliand est un spécialiste écouté des relations internationales, de la stratégie, des conflits armés et des guerres irrégulières

La Croix : Comment analysez-vous les attentats de vendredi soir à Paris ?

Gérard Chaliand : Les attaques contre Paris étaient prévisibles depuis longtemps. Déjà, du temps d’Al-Qaïda, la France était située en tête de la liste des pays que promettaient de frapper les djihadistes. Nos engagements militaires ont exacerbé cet objectif déclaré. Je note surtout la minutie de la préparation et son indiscutable impact.

Mais, au-delà du caractère tragique de ces événements, les autorités françaises ne peuvent plus s’en tenir à des propos fermes. Elles doivent passer à des décisions fermes. Déclamer que « nous sommes en guerre » (alors qu’il s’agit d’un conflit), soit. Mais où sont les mesures de guerre ? Je ne les vois nulle part.

Nous avons projeté nos forces militaires à l’extérieur, dans une demi-douzaine de théâtres d’opération. Sur le territoire français, le plan Vigipirate n’a d’efficacité que symbolique et nous n’avons rien fait sur le plan législatif. Il est grand temps de passer aux choses sérieuses.

Il faut arrêter de suspecter des suspects, ne plus attendre qu’ils nuisent pour découvrir, trop tard, qu’ils représentaient une menace sérieuse. Il faut que cesse cette propagande ouverte, ou semi-ouverte, ou à caractère plus ou moins clandestin, menée par des réseaux d’imams, recevant de l’argent de l’étranger dont nous connaissons souvent les filières.

Faire cesser les agissements de ces prêcheurs qui sèment la haine et dont nous récoltons les fruits. Nous devons adapter aux circonstances notre idéal démocratique qui ne convient plus tout à fait aux conditions d’aujourd’hui.

 Quelle distinction faites-vous entre guerre et conflit ?G. C. : La guerre se mène sur un front, avec un ennemi déclaré, visible, localisable. Une situation de conflit, c’est se retrouver avec un adversaire furtif, non aisément localisable. Comme sur le territoire français, par exemple. Ici, nous sommes en guerre de quoi ? Avec qui ? C’est une affaire d’abord de police, de conflits sociaux et idéologiques, avec un adversaire clandestin.

On ne fait pas la guerre avec un clandestin, on le traque. Ce n’est donc pas une guerre, au sens classique du terme. On peut se déclarer « en guerre »mais on fait quoi ? Ce qui compte, ce sont les actes, la fermeté de la réponse de l’État, pas les déclarations spectaculaires ou les mouvements de menton. Il faut modifier l’arsenal juridique et agir avec efficacité.

Que vous inspire le mode opératoire utilisé par les trois commandos dans les rues de Paris ?

G. C. : Rien de neuf. S’attaquer aveuglément et résolument à des civils, cette méthode a déjà été utilisée à Madrid en 2004 (192 morts, 1 800 blessés). Elle a eu pour résultat le retrait des troupes espagnoles d’Afghanistan. C’est une opération d’ordre psychologique. Le terrorisme vise les esprits et les volontés.

Le modus operandi est classique : des exécutants, prêts à s’immoler, frappent le plus possible dans un grand nombre de lieux pour devenir l’événement majeur qui va tétaniser un pays, l’apeurer. Nous n’avions rien connu de similaire en France.

Daech cherche à creuser le fossé entre la population d’origine musulmane et le reste du pays, à rendre inconciliable cet « eux et nous ». Face à ce piège, on ne va pas s’en sortir avec des mots.

Stratégiquement, quelle est la puissance réelle de l’arme terroriste ?

G. C. : Elle est extrêmement limitée. Raymond Aron avait donné cette définition : « Doit être considéré comme terroriste, toute action dont l’effet psychologique est très largement supérieur à ses effets physiques ».

Mieux vaut tuer une personne et être vue de mille qu’en tuer mille et n’être vu que d’une seule. L’effet psychologique des attaques de vendredi soir est très réussi. Daech pratique un terrorisme de déstabilisation.

Nous avons longtemps vécu en sachant qu’une partie de cette jeunesse tourne autour du trafic de la drogue. Notre excellent client, l’Arabie saoudite, finance ceux qui cherchent à nous détruire et nous le savons. Les contradictions montent et nous pètent à la figure. Nous commençons à payer la note d’avoir voulu la paix sociale à tout prix, sans être très regardant sur la réalité.

Pourquoi sommes-nous si mal préparés à cette éventualité ?

G. C. : Parce que nous sortons d’un demi-siècle de paix, de prospérité relative et de protection et que nous vivons dans une société du spectacle. La responsabilité des médias de l’audimat est considérable. Ils font joujou avec l’effroi, sans aucune conscience. Ils montrent tout, répètent sans arrêt les mêmes images effroyables à une population qui a peur de son ombre.

Daech est expert en manipulation médiatique. Ce sont des enfants de Hollywood qui nous servent des films d’horreur. Ils ont la tête embrumée et nous véhiculons leur message à gogo. Nous rendons service à notre adversaire. C’est totalement irresponsable. La télévision française n’arrête pas de faire de la publicité aux exactions de Daech, de relayer la théâtralisation de l’horreur, de la repasser en boucle. Mais cette fois, c’est ici et maintenant. Pour de vrai.

Frapper des civils est-il la marque des formes de guerre modernes ?

G. C. : Depuis la IIe Guerre mondiale et les bombardements sur Dresde, Coventry, Hiroshima, Nagasaki, on tue beaucoup plus de civils que de militaires. Dans les guerres modernes, on cherche surtout à faire craquer l’opinion pour faire plier le politique. Le centre de gravité des guerres contemporaines se situe dans l’opinion publique.

Nous n’encaissons plus les pertes. C’est une vraie mutation dans les sensibilités. Elle tient à notre démographie modeste qui se rétrécit, à nos sociétés vieillissantes, devenues peureuses. Nous vivions dans un milieu bien protégé, préoccupé de loisirs, sous le parapluie américain, débarrassé de la menace soviétique. Nous nous sommes bercés de beaucoup d’illusions sur un monde de paix, de compréhension, avec pour seul critère les droits de l’homme, d’ailleurs à géographie variable. Or, l’Histoire nous apprend que nous serons toujours dans un univers conflictuel.

► Gérard Chaliand, théoricien et observateur des guerres irrégulières

Né en Belgique, Gérard Chaliand est un spécialiste écouté des relations internationales, de la stratégie, des conflits armés et des guerres irrégulières. Il a beaucoup fréquenté, comme observateur engagé, les guérillas de la vague de décolonisation sur tous les continents et théorisé les formes évolutives du terrorisme, de l’Antiquité à nos jours.

Auteur de nombreux Atlas stratégiques, ainsi que d’une œuvre littéraire, il a enseigné à l’École supérieure de guerre, dirigé le Centre européen d’étude des conflits, conseillé le Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères. Sans cesser d’aller sur différents théâtres d’opération, il est régulièrement invité dans des nombreuses universités étrangères.

Recueilli par JEAN-CLAUDE RASPIENGEAS

(11) Auteur de Histoire du terrorisme de l’Antiquité à Daech (Bayard, 2015).

Source : La Croix, Gérard Chaland, 16-12-2015

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Gérard Chaliand : «Il n’y a rien à négocier avec les islamistes»

Source : Libération, Gérard Chaland, 22-11-2015

Faut-il bombarder Daech avec le risque de nouveaux attentats ? Pour le spécialiste du terrorisme, il est grand temps de se défendre et de ne pas culpabiliser.

Depuis le Kurdistan irakien, Gérard Chaliand, spécialiste des questions stratégiques et du terrorisme a répondu à nos questions. Professeur invité à Harvard, il a aussi coordonné Histoire du terrorisme, de l’Antiquité à Daech paru en septembre chez Fayard.

Beyrouth, l’avion russe, Paris : l’EI est-il en train de faire du terrorisme une sorte de politique étrangère ?

Le lien entre l’avion russe et les attentats de Paris est évident. L’EI n’est pas qu’un mouvement terroriste, c’est une organisation qui pratique plusieurs sortes d’actions : le terrorisme, l’action psychologique avec une horreur théâtralisée, mais aussi la guérilla, quand c’est utile, ou une guerre coercitive. Pour définir Daech, il faut parler de guerre révolutionnaire. A la différence de la guérilla, la guerre révolutionnaire vise à s’emparer du pouvoir. Ainsi, Daech veut exercer un contrôle administratif sur une population : battre monnaie, s’occuper de la voirie, de la santé, de la distribution d’électricité.

N’est-ce pas plutôt une guerre contre-révolutionnaire ?

Disons plutôt des réactionnaires avec une idéologie rétrograde mais mobilisatrice. Le déclin, d’une part du marxisme-léninisme, d’autre part du nationalisme, fait pour certains de l’islamisme une option. Dans certaines banlieues européennes, des jeunes marginalisés, mal dans leur peau, n’ont plus que cette offre. La région qui m’inquiète particulièrement est l’Afrique. Face à la conjonction entre croissance démographique et crise économique, l’islamisme jihadiste risque de faire figure de solution pour certains jeunes.

Sommes-nous face à du nihilisme ?

Je trouve que ce terme est un peu pratique pour se débarrasser de questions qui nous dérangent. Ceux qui rejoignent les rangs de Daech croient à quelque chose. Ils sont dans la réaction, certes, mais ils ne sont pas nihilistes. Certes, il n’y a rien de constructif et tangible, ils ne parlent ni de travail ni de développement économique. Ils se considèrent un peu comme des seigneurs.

Quelle est la particularité du terrorisme islamiste ?

Dans l’écrasante majorité des cas, que ce soit dans les guérillas ou dans les actes terroristes, l’autre souhaite négocier quelque chose et une négociation a lieu. Avec les islamistes, il n’y a rien à négocier. S’ils poursuivent un but, c’est l’écrasement de l’autre. Utopiquement, il cherche une victoire complète, inatteignable.

Comment contrecarrer cette volonté hégémonique ?

On ne va pas en finir facilement. Il faut déjà contenir militairement Daech, puis se doter d’un arsenal juridique permettant de ne pas laisser travailler à l’intérieur ceux qui cherchent à nous nuire. Il est grand temps de se défendre et de ne pas se culpabiliser. Par ailleurs, le terrorisme est essentiellement psychologique, cela se passe dans les esprits et dans les volontés, donc il ne faut pas rendre service à l’adversaire. Montrer d’atroces images en boucle, c’est faire la publicité de l’adversaire, et cela nous déstabilise encore davantage. Quand on est vraiment en guerre, ce qui n’est pas le cas, contrairement à ce qu’on déclare, il y a quelque chose qui s’appelle «la censure de guerre». Bien sûr, il faut informer, mais arrêtons de vendre de l’angoisse en continu.

Les bombardements à Raqqa sont-ils suffisants contre Daech ? Ne faut-il pas combattre au sol ?

Les bombardements sur Raqqa, épicentre proclamé de la présence de l’Etat islamique en Syrie, sont une excellente initiative. Je regrette simplement qu’on ne l’ait pas fait plus tôt. C’est une réplique d’autant plus utile qu’on se souvient que leur victoire dans la ville kurde de Mossoul, en juin 2014, avait créé un appel d’air pour des milliers d’apprentis jihadistes.

Ce serait idéal de combattre l’EI au sol, mais les conditions ne le permettent pas. Seuls les Américains pourraient le faire de façon efficace. Après leurs échecs en Irak, en Libye et en Afghanistan, ce mode d’action n’est plus au programme. Il est désormais impossible de mobiliser l’opinion publique sur ce type d’intervention qui coûte très cher en vies humaines et en moyens. De plus, Barack Obama est à un an de la fin de son mandat. Il n’y a que l’intervention russe qui pousse un peu les Américains sur le terrain.

Pourquoi ne peut-on pas agir indépendamment des Américains ? D’autres alliances sont-elles possibles ?

Les Français sont déjà présents sur de nombreux terrains : Mali, Niger, Centrafrique ou Irak pour la formation. Le budget militaire ne cesse de baisser depuis 1982, et nous ne disposons que de 15 000 hommes opérationnels alors que les zones d’intervention sont très étirées.

Les Britanniques, très performants il y a une dizaine d’années, se sont épuisés à soutenir les Américains, tant en Afghanistan qu’en Irak. Leurs forces militaires sont aujourd’hui très affaiblies.

Il y a, certes, un rapprochement avec les Russes. Mais ils n’iront pas au sol, ils vont continuer à bombarder à distance.

Finalement, seuls les Kurdes combattent Daech au sol…

OB : Euh, il y a un peu l’armée syrienne aussi…. !!!

En effet, c’est grâce à eux que la ville de Kobané n’est pas tombée. Ils sont aidés par les Etats-Unis et paradoxalement aussi par la Russie. Les Kurdes de Syrie sont remarquablement organisés, et ont remporté une importante victoire naguère, à Tall Abyad, position stratégique qui affaiblit l’Etat islamique. Ils sont aussi actifs à Hassaké et participeront, selon toute vraisemblance, à l’assaut sur Raqqa avec des brigades arabes. Il s’agit de la force militaire majeure dont les pays anti-islamistes disposent comme allié. Par ailleurs, les Kurdes d’Irak, les peshmergas, ont très activement participé au refoulement de Daech de la région du Sinjar. L’EI est aujourd’hui militairement en recul. Quand aux Russes, ils frappent les autres mouvements ismamistes également (Jabhat al-Nosra, lié à Al-Qaeda et Ahrar al-Sham encore plus extrême). Bien sûr, l’aire où les Kurdes peuvent intervenir est limitée par le fait que les populations sont arabes. C’est parmi ces derniers qu’on peut éventuellement trouver des adversaires au Daech.

Que pensez-vous de la stratégie turque, qui semble pour le moins ambiguë ?

Erdogan est un islamiste militant qui a cessé d’être «modéré» depuis longtemps. Pour remporter les dernières élections, il a joué avec succès sur l’ultranationalisme, voire le chauvinisme d’une importante partie de l’électorat turc et a ciblé le PKK ainsi que les Kurdes modérés (du HDP de Demirtas). Lors du siège de Kobané, il a fait ce qu’il a pu pour avantager Daech, et lorsque ce mouvement a menacé le Kurdistan d’Irak, il n’a pas levé le petit doigt. Ce sont les Américains qui sont intervenus pour stopper, avec leurs bombardements, l’avancée de Daech. Pour l’Union européenne, la Turquie est un allié plus qu’ambigu. Membre de l’Otan, elle a longtemps interdit aux Américains de se servir de la base située sur son territoire et n’y a consenti que très récemment afin de se démarquer de Daech. Elle appartient à une alliance objective avec les Saoudiens, les Qataris et les émanations d’Al-Qaeda, les Frères musulmans, pour la défense d’un islam sunnite radical. Et tous sont des alliés ambigus qui financent ceux qui nous frappent aujourd’hui.

Catherine Calvet Anastasia Vécrin

Source : Libération, Gérard Chaland, 22-11-2015

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Terrorisme en France. Une simple affaire d’incompétence. Cinq questions à Xavier Raufer

Source : Conflits, Xavier Raufer, 18-11-2015

Depuis janvier 2015, des islamo-terroristes ont tué 19 fois en France* – bilan inouï depuis la guerre d’Algérie. Désemparé, le gouvernement accumule les mesures d’affichage en omettant l’essentiel : virer le patron du renseignement intérieur (DGSI) et son état-major, dont la durable incapacité a aggravé le présent désastre. Il suffirait ensuite de remettre l’appareil antiterroriste au combat, partant des orientations suivantes, résumées en cinq questions, parue dans le n°7 de Conflits (octobre-décembre 2015), actuellement en kiosque. *Note : ces cinq questions posées à Xavier Raufer ont été publiées dans le numéro 7 de Conflits, paru en octobre, raison pour laquelle ne sont pas mentionnés les événements du 13 novembre dernier.

Xavier Raufer

Conflits : « L’État islamique » est-il un « groupe terroriste »

Xavier Raufer : « L’État islamique » (EI) n’est pas un « groupe terroriste » comme le serinent divers médias, mais une troupe mercenaire sunnite, au service des pétromonarchies du Golfe. Preuve : en 2015, l’EI possède plus de tanks que l’armée française et six mille autres véhicules blindés. Une armée possédant plus de blindés que la cinquième puissance mondiale, aux ordres d’ex-généraux de Saddam Hussein, est-elle un « groupe terroriste » ? Non.

Conflits : Dans le reste de l’Europe, que reste-t-il du terrorisme ?

Xavier Raufer : Peu de chose. En 2014 (selon Europol), hors de la Corse et de l’Ulster, il y a eu 10 attentats ou tentatives dans l’Union européenne (comportant 500 millions d’habitants). 24 pays sur 27 de l’UE sont hors terrorisme depuis cinq ans. Fin 2014, l’UE compte 0,03 attentats pour 100 000 habitants, un nombre infime.

Conflits : Djihadis rentrant en Europe : quel danger réel ?

Xavier Raufer : Les djihadis rentrant de Syrie ou d’Irak rêvent-ils tous de frapper les « infidèles » ? Non. Selon des sources de terrain, nombre de ces revenants sont terrifiés des scènes d’une « bestialité préhistorique » qu’ils ont vues : décapitations en masse, femmes enceintes éventrées, etc. Partis pour le djihad, d’autres échouent en pleine guerre de gangs – or tuer des musulmans, c’est risquer l’enfer. Arrêtés dans le Midi, trois djihadis ont ainsi déclaré préférer la prison en France à retourner un seul jour en Syrie…

Conflits : Quel est alors le vrai danger ?

Xavier Raufer : Le vrai danger émane des « recalés » du djihad, instables, voire simplets, comme Merah ou Nemmouche, renvoyés en Europe pour y frapper, car inutiles sur le terrain. Ou assez rusés pour rester en France et tromper la surveillance. Tous les islamistes ci-après nommés entrent dans cette catégorie.

Conflits : La DGSI : quel bilan ?

Xavier Raufer : Maigre. Contre le terrorisme, la DGSI a raté l’affaire de Tarnac, puis Merah. Ensuite : le « Bilal » de Joué-lès-Tours, les frères Kouachi, deux Coulibaly successifs, Sid Ahmed Ghlam en avril et Yassin Salhi récemment. Que le gouvernement exige désormais du renseignement intérieur qu’il cherche les vrais terroristes là où ils sont vraiment – non selon des schémas dépassés – telle est la seule voie pour sortir du présent chaos.

Photo : Siège de la DGSI à Levallois-Perret. Crédit : NemesisIII via Wikimedia (cc)

Source : Conflits, Xavier Raufer, 18-11-2015
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Les 35 plus grandes puissances militaires :

 
On note donc que la France possède royalement 423 chars (sic.), et la Syrie 4 950, l’Irak plusieurs centaines. Il est donc plausible que l’État Islamique ait récupéré plus de 400 chars des stocks de ces deux pays…

Source: http://www.les-crises.fr/gerard-chaliand%e2%80%89-daech-est-expert-en-manipulation-mediatique/


[EXCLUSIF] Alain Marsaud : “L’État français « a facilité les actions d’al-Nosra », la majorité refuse toute enquête”

Monday 21 December 2015 at 05:10

Source : Maxime Chaix, 16-12-2015

Par Maxime Chaix

Le 26 novembre dernier, le député et ancien juge antiterroriste Alain Marsaud (LR) répondait aux questions des internautes sur Twitter. À cette occasion, il m’avait indiqué qu’une enquête parlementaire susceptible d’exposer le soutien du Front al-Nosra par l’État français en Syrie avait été refusée par la majorité. D’après lui, ce refus visait à ne pas embarrasser le gouvernement. Je l’ai donc sollicité afin d’obtenir des précisions sur cette question épineuse, qui est occultée par les médias français malgré d’autres accusations compromettantes formulées par des experts et par différents parlementaires de l’opposition. Selon le député Marsaud,

« il n’est pas sérieusement contesté qu’à un moment ou un autre l’État français a facilité les actions d’al-Nosra qui, je vous le rappelle, est une filiale d’al-Qaïda [en Syrie]. J’ai eu l’occasion de montrer à l’Assemblée Nationale des photos de combattants d’al-Nosra en possession de fusils d’assaut français. Il n’y avait bien évidemment aucune volonté du gouvernement français de voir mis en évidence une telle collaboration avec un groupe terroriste. Ainsi fut rejetée toute idée d’enquête parlementaire. »

Je me suis donc intéressé aux propositions d’enquêtes parlementaires sur ce sujet en consultant le site l’Assemblée Nationale. La seule demande que j’ai pu trouver est celle du député Jacques Bompard (LS), qui avait proposé une commission d’enquête sur « le soutien de la France à la rébellion syrienne » à la suite des attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher et de Montrouge en janvier 2015. L’assistant parlementaire du député Bompard m’a expliqué que cette enquête avait été refusée à deux occasions par la majorité. Déclarant ne pas avoir été surpris par ces refus, il a souligné que cette question dépasse les clivages partisans, et qu’une telle démarche aurait dû être soutenue par les députés de chaque parti politique. Il m’a également rappelé qu’une commission d’enquête parlementaire, si elle est approuvée, dispose de moyens d’investigation supérieurs à ceux de la Justice, dont la levée du secret-défense. Il semble donc que, lorsque les politiques profondes de l’Exécutif français sont mises en cause, la raison d’État l’emporte sur la nécessaire transparence démocratique de nos institutions.

Hélas, en novembre dernier, la France a été à nouveau frappée par des jihadistes, et il s’avère que la majorité d’entre eux avaient combattu en Syrie. De ce fait, j’ai demandé à Alain Marsaud s’il lui semblait cohérent que le gouvernement français soutienne clandestinement al-Qaïda contre Bachar el-Assad tout en affirmant être en guerre contre Daech. D’après le député,

« [n]ous assistons à une recomposition de la ligne de conduite de la diplomatie française, qui comprend aujourd’hui qu’elle s’est fourvoyée dans sa politique syrienne. À la suite des attentats du 13-Novembre, nous recherchons des alliés, ceux-ci se montrent exigeants et ne peuvent accepter aucune compromission avec tel ou tel groupe islamiste. Le plus étonnant est qu’on en arrive à dire que l’on va combattre aux côtés des troupes syriennes de Bachar el-Assad. »

Ce revirement, qui implique un rapprochement franco-russe, est considéré par certains comme un aboutissement de la synthèse « hollandaise », quand d’autres le jugent plus sévèrement. Il n’en demeure pas moins qu’en Syrie, les puissances occidentales, et pas seulement la France, ont été impliquées en profondeur dans le soutien de forces pas aussi « modérées » qu’elles nous ont été décrites jusqu’à présent.

En effet, trois semaines avant les attentats du 13-Novembre, la représentante états-unienne Tulsi Gabbard expliquait sur CNN que la CIA soutient clandestinement al-Qaïda pour renverser Bachar el-Assad. Le 19 novembre, elle a introduit une proposition de loi à la Chambre des Représentants pour stopper cette guerre secrète de la CIA et de ses alliés, qu’elle a décrite comme étant « illégale et contreproductive », et qui perdure malgré les attentats de Paris et de San Bernardino. Depuis l’intervention russe en Syrie, d’autres sources ont confirmé une intensification de l’aide de la France et des États-Unis en faveur d’« islamistes réputés fréquentables », pour reprendre l’expression ironique de l’éditorialiste du Point Michel Colomès.

À la suite des attentats du 13-Novembre, j’ai demandé à Alain Marsaud s’il pensait que les États-Unis et leurs alliés, dont le gouvernement français, allaient interrompre leur soutien de factions jihadistes pour renverser le gouvernement syrien. D’après le député,

« [n]os politiques militaristes, européistes et moralisatrices ont entrainé le chaos moyen-oriental de l’Irak à la Syrie, en passant par les autres pays en révolution.La prise de conscience de la part des Américains et de la France est en cours, du moins souhaitons-le. Le réalisme nous amènera sans doute à côtoyer des gens plus fréquentables et à mettre fin à un impérialisme sur la zone moyen-orientale qui ne nous a coûté que des morts. »

On ne peut que partager ce constat du député Marsaud, si l’on garde en tête que le bilan humain des guerres moyen-orientales de l’Occident est désastreux. Saluons également son objectivité, lorsqu’il reconnaît que « [n]os politiques militaristes, européistes et moralisatrices ont entrainé le chaos moyen-oriental de l’Irak à la Syrie, en passant par les autres pays en révolution. » En effet, le député fait implicitement référence à la Libye, et l’ancienne majorité dont il est issu partage une lourde responsabilité dans le chaos qui s’est imposé dans ce pays, et qui s’est étendu en Syrie. D’une part, le mauvais calcul du gouvernement sarkozyste dans le dossier syrien a placé la France dans une impasse diplomatique dont a hérité la majorité actuelle, et qui se résume en une phrase aussi intransigeante qu’irréaliste : « Assad doit partir ». Par ailleurs, dès l’intervention en Libye, l’État français présidé par Nicolas Sarkozy a clandestinement soutenu des forces pas aussi « modérées » qu’elles nous avaient été décrites dans les médias. En effet, en août 2014, le Washington Post a publié un important article intitulé « Les terroristes qui nous combattent aujourd’hui ? Nous venons tout juste de les entraîner ». D’après cette analyse,

« [a]u cours de nombreux entretiens menés ces deux derniers mois [avec des membres de l’État Islamique et du Front al-Nosra], ils ont décrit comment l’effondrement sécuritaire durant le Printemps arabe les a aidés à recruter, à se regrouper et à utiliser en leur faveur la stratégie occidentale – c’est-à-dire le soutien et l’entraînement de milices afin de combattre des dictateurs. “Des Britanniques et des Américains nous avaient [également] entraînés durant le Printemps arabe en Libye”, d’après un homme surnommé Abou Saleh, qui a accepté d’être interrogé si son identité restait secrète. [Ce dernier], qui est originaire d’une ville proche de Benghazi, affirma qu’un groupe de Libyens et lui-même avaient bénéficié dans leur pays d’entraînements et de soutien de la part des forces [spéciales] et des services secrets français, britanniques et états-uniens – avant de rejoindre le Front al-Nosra ou l’État Islamique [en Syrie]. Interrogées pour cet article, des sources militaires arabes et occidentales ont confirmé les affirmations d’Abou Saleh, selon lesquelles des rebelles en Libye avaient bénéficié d’“entraînements” et d’“équipements” durant la guerre contre le régime de Kadhafi. »

Ces politiques profondes ont donc été confirmées par des sources de haut niveau, et il semblerait que l’extrémisme des combattants entraînés par les services spéciaux occidentaux était parfois connu des autorités. En effet, toujours d’après cet article du Washington Post,

« “nous disposions dès le départ de renseignements nous indiquant que les groupes radicaux avaient profité du vide engendré par le Printemps arabe, et que certains des individus que les États-Unis et leurs alliés avaient entraîné à combattre pour la “démocratie” avaient des objectifs jihadistes – au préalable ou pas – [lorsqu’ils] rejoignirent al-Nosra ou l’État Islamique”, d’après un haut responsable des renseignements d’un pays arabe interrogé récemment. »

À l’aune de ces révélations, toute la lumière doit être faite sur les politiques profondes de l’État français et de ses alliés en Libye et en Syrie. En effet, il est inacceptable que des réseaux terroristes soient considérés par les puissances de l’OTAN comme des alliés clandestins pour renverser des gouvernements étrangers, tandis que les crimes des jihadistes en Occident justifient un durcissement sécuritaire permanent et un état de guerre perpétuelle.

Ce phénomène qui s’autoalimente n’a pas encore suscité une indispensable rationalisation des politiques étrangères occidentales à l’égard des pétromonarchies du Golfe et de la Turquie, dont le soutien de milices terroristes est de notoriété publique. Au contraire, ce processus engendre des lois d’exception sans cesse plus démocracides, comme on peut l’observer avec la réforme constitutionnelle sur l’état d’urgence qui est loin de faire l’unanimité au Parlement français. Hélas, ce processus engendre la légalisation et l’extension incontrôlée d’une surveillance de masse extrajudiciaire avant tout favorable à des intérêts privés et étrangers, mais totalement inefficace pour empêcher des attentats – du moins selon la NSA elle-même, ou d’après l’ancien responsable du contre-terrorisme à la DGSE. Dans ce contexte, comment pouvons-nous accepter que nos libertés publiques soient inutilement sacrifiées, alors que des groupes jihadistes pourtant hostiles sont clandestinement soutenus par nos États pour renverser des gouvernements étrangers ?

Comme l’avait déclaré le député Alain Marsaud quelques mois avant l’adoption de la « Loi Renseignement », cette législation « peut permettre une police politique comme nous n’en avons jamais vue. » Cette loi est dorénavant mise en œuvre, et les administrations « non spécialisées » qui seront autorisées à en faire usage vont l’être par décret du Conseil d’État, et non par voie législative. Cette dérive autoritaire de l’Exécutif, qui invoque la lutte antiterroriste pour s’arroger des pouvoirs exorbitants sans contrepoids judiciaires ou parlementaires, est pour le moins préoccupante.

Au plan extérieur, la politique étrangère occidentale en Syrie semble être hors de contrôle, comme s’en était alarmée la représentante Tulsi Gabbard sur CNN en octobre dernier, lorsqu’elle déclara que

« des armements US vont dans les mains de nos ennemis, al-Qaïda et ces autres groupes, des groupes islamistes extrémistes qui sont nos ennemis jurés. Ce sont des groupes qui nous ont attaqués le 11-Septembre, et nous étions censés chercher à les vaincre, mais pourtant nous les soutenons avec ces armes pour renverser le gouvernement syrien. (…) Je ne veux pas que le gouvernement des États-Unis fournisse des armes à al-Qaïda, à des islamistes extrémistes, à nos ennemis. Je pense que c’est un concept très simple : vous ne pouvez vaincre vos ennemis si, en même temps, vous les armez et vous les aidez ! C’est absolument insensé pour moi. »

Comme nous venons de le démontrer, le soutien clandestin de factions islamistes en Syrie n’est pas limité à celui de la CIA, les services spéciaux français, britanniques et leurs alliés moyen-orientaux étant étroitement impliqués dans ces politiques profondes qui menacent la paix mondiale – toujours selon Tulsi Gabbard. Face à cette situation d’instabilité globale, il est urgent que le gouvernement français, et plus généralement les États occidentaux,

1) interrompent les processus de durcissement sécuritaire permanent dans lesquels ils se sont engagés, qu’ils abrogent leurs politiques de surveillance massive et illégale de leurs populations, et qu’ils priorisent le renseignement humain et les actions judiciaires et policières pour combattre efficacement le fléau jihadiste. La « guerre contre le terrorisme » lancée par l’administration Bush à l’automne 2001 continuera d’enrichir une minorité de multinationales et leurs actionnaires, mais ne pourra qu’amplifier le désordre mondial et la haine anti-occidentale. Les trois ouvrages de Peter Dale Scott traduits en français, dont le dernier vient d’être recensé par l’IRIS, le démontrent indiscutablement ;

2) cessent sans délai de soutenir clandestinement des factions extrémistes en Syrie, qui finissent par attaquer les populations occidentales et qui déstabilisent un nombre grandissant de pays ;

3) réévaluent leurs alliances avec les principaux soutiens étatiques du fléau jihadiste, tout en abandonnant leurs sanctions économiques contre des États luttant réellement contre le terrorisme, tels que l’Iran et la Russie. Il faudrait alors se rapprocher de ces pays, notamment au plan commercial. Ce processus a été lancé avec l’Iran, et les perspectives d’une intervention militaire désastreuse contre ce pays s’éloignent durablement. Comme l’avait écrit Montesquieu, « [l]’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels. » Cette solution, bien qu’imparfaite, est nettement préférable au pillage brutal de nations entières à travers la « stratégie du choc », comme on a pu l’observer en Irak ou en Libye ;

J’encourage donc mes concitoyens à dénoncer auprès de leurs élus les politiques profondes exposées dans cet article, puisqu’elles déstabilisent le monde et menacent nos démocraties. Essentiellement, je vous remercie de diffuser le plus largement possible cette analyse afin de sensibiliser votre entourage sur ces questions trop souvent ignorées ou déformées par les médias.

Maxime Chaix

Source : Maxime Chaix, 16-12-2015

Source: http://www.les-crises.fr/exclusif-alain-marsaud-letat-francais-a-facilite-les-actions-dal-nosra-la-majorite-refuse-toute-enquete/


On vous l’avait bien dit que c’est un dingue ce Trump…

Sunday 20 December 2015 at 22:40

Brève de l’Obs ce soir, je n’invente rien :

#TRUMP Il en remet une couche : Donald Trump défend Vladimir Poutine sur les meurtres de journalistes dont il est accusé

Publié le 20/12/15 à 17:51

Le milliardaire américain Donald Trump a défendu ce dimanche Vladimir Poutine contre ceux qui l’accusent d’avoir commandité des meurtres de journalistes.

“Il y a eu des allégations, bien sûr, je les ai vues, mais personne n’a prouvé qu’il avait tué des gens“, a déclaré Donald Trump sur la chaîne ABC. Il passé un long moment à défendre le président russe face au journaliste de la chaîne, George Stephanopoulos, qui a affirmé que Vladimir Poutine était soupçonné dans le meurtre de la journaliste d’investigation russe Anna Politkovskaïa en 2006.

“Pour être tout-à-fait juste avec Poutine, vous dites qu’il a tué des gens. Je n’en sais rien. Êtes-vous capable de le prouver ? Quels sont les noms des journalistes qu’il a tués?” a encore insisté Donald Trump.

Qualifié par Vladimir Poutine d’homme “brillant”, Donald Trump n’avait pas été avare de compliments cette semaine : “[Vladimir Poutine] est un dirigeant fort, il est un dirigeant puissant” avait estimé le républicain, qui fait course en tête pour la primaire en vue de la présidentielle de 2016.

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=> Eh oui, dans notre presse, en 2015, les ragots de bas étages deviennent la vérité dans nos médias !

Et on se retrouve avec des journalistes qui s’étouffent quand un malotru ose demander “mais avez vous le moindre début de commencement de preuve, ou l’avez vous juste rêvé très fort ?”

Amusant aussi, comme à chaque fois (le MH 17, le gaz en Syrie, l’assassinat de l’opposant à Poutine en bas du Kremlin…) on a a des accusations qui feraient se tordre de rire n’importe quel enquêteur sérieux tant elles sont “abracadabrantes”. (indice pour les “journalistes” de l’Obs ; si vous êtes Président de la Russie, et criminel (attention, ce n’est pas un pléonasme), et que vous décidiez de faire assassinez quelqu’un, vous ne prenez pas des petits malfrats qui lui tirent dessus, hein… Vous avez à votre disposition 412 substances pour qu’une mort semble naturelle, ou vous pouvez au pire la faire discrètement enlever et disparaitre sans laisser de traces, etc…

Mais bon, la rasions est toujours absente de ce genre de délire complotiste….

Par ailleurs, pour les mêmes journalistes qui s’étonnent du petit clin d’oeil de Poutine à Trump, ayant depuis longtemps perdu pied avec la réalité, je rappelle que :

1/ les Russes sont désormais officiellement en guerre contre le terrorisme islamique

2/ que, contrairement à nous, les Russes ne font pas semblant, la guerre c’est la guerre – c’est pou cela qu’ils les gagnent d’ailleurs, en général

3/ que l’Occident (et l’administration démocrate actuelle aux USA en premier lieu) soutient les terroristes “modérés”, et leurs financiers : Arabie, Qatar, Turquie

4/ que la possible future adversaire de Trump est “la sainte” Hillary Clinton, qui a juste comparé Poutine à Hitler l’année dernière (elle est donc parfaitement raisonnable et compétente, elle)

5/ que Hitler pour les Russes, c’est comme Hitler pour les Juifs – 20 millions de Russes morts… La comparaison est donc bienvenue…(bien entendu, si elle avait comparé Netanyahu à Hitler, cela aurait probablement été la fin de sa carrière)

6/ Dans la vie, on récolte toujours ce que l’on sème…

Allez, à suivre – je la sens bien 2016 ! (surtout avec les médias de bouse que l’on a)

Source: http://www.les-crises.fr/on-vous-lavait-bien-dit-que-c-est-un-dingue-ce-trump/


[Honte - à vous de jouer !] Le gouvernement bloque en pleine nuit un outil anti-paradis fiscaux, par Christian Chavagneux (Mis à jour !)

Sunday 20 December 2015 at 04:23

Alerte de Christian Chavagneux, qui lutte régulièrement contre la fraude fiscale…

Source : Alterecoplus, Christian Chavagneux, 16-12-2015

Le Premier ministre Manuel Valls, à l’Assemblée nationale. Le gouvernement a fait adopter un amendement annulant le vote en faveur du reporting pays par pays.
©DENIS ALLARD/REA

Mais qu’est-ce qui leur a pris ? Ce fut une nuit de folie à l’Assemblée nationale. A minuit, la France était dotée d’une arme anti-paradis fiscaux très attendue et qui recevait son deuxième vote parlementaire positif en 10 jours. A une heure trente du matin, le vote était annulé par une manœuvre indigne du gouvernement. Pour quel enjeu ?

Une étape clé dans la lutte contre les paradis fiscaux

Il y a 10 jours, l’Assemblée nationale votait positivement en faveur d’un amendement demandant aux entreprises de rendre public, une fois par an, dans chaque pays où elles sont implantées, le montant de leur chiffre d’affaires, le nombre de leurs employés, les profits réalisés et les impôts payés.

Pourquoi ces données sont-elles importantes ? Parce que les paradis fiscaux ne sont pas, contrairement à l’imaginaire public traditionnel, des coffres-forts remplis d’argent. Ce sont des territoires dont les gouvernements vendent la souveraineté aux plus puissants en leur proposant d’écrire les lois qui leur conviennent. Ces lois ont un objectif : découpler, artificiellement, l’endroit où se produit une transaction économique (toucher un salaire, des intérêts, des dividendes, un héritage, réaliser un profit, une plus-value…) et l’endroit où elle est juridiquement enregistrée et donc contrôlée et taxée.

La comptabilité pays par pays, c’est montrer à tous les turpitudes fiscales des entreprises

Avec une comptabilité pays par pays, on peut voir si une entreprise réalise du chiffre d’affaires dans un pays mais cumule des profits dans un autre où elle n’a pratiquement pas d’employés, voire d’activité et toutes sortes de bizarreries comptables. C’est une bonne technique pour repérer ceux qui abusent des paradis fiscaux, avant de déterminer comment les sanctionner.

Le G20 a prévu d’obliger les grandes firmes à fournir ces données aux administrations fiscales. Mais à elles seules. Actionnaires, parlementaires, ONG, journalistes, etc., sont exclus de l’information.

Antidémocratique

La nuit dernière, un amendement soutenu par plusieurs députés socialistes et écologistes visant à rendre publiques ces données reçoit de nouveau un vote positif. Comme le racontent les ONG qui sont suivi le débat, le gouvernement demande alors une suspension de séance, réveille ses partisans et fait voter à 1 h 30 un nouvel amendement annulant le précédent.

Surtout pas de données publiques sur les turpitudes fiscales de nos grandes entreprises. Une honte. Sur cette page de l’Assemblée, vous trouverez les noms des députés présents qui ont permis au gouvernement de réussir sa manœuvre (les votes pour) et ceux des 21 députés de gauche qui ont tenté de sauver l’honneur de leur famille politique.

Une manipulation à 1 h 30 du matin

En 2013, la France avait obligé les banques à fournir ces informations et à les rendre publiques. Le Parlement européen lui avait emboîté le pas et toutes les banques doivent désormais communiquer, à tous, ces informations (une analyse des résultats sera bientôt disponible). L’enjeu était d’étendre cette obligation à toutes les entreprises, au-delà du secteur bancaire.

Cette fois, le gouvernement a suivi le lobbying des grandes entreprises, qui sont vent debout contre la mesure, en refusant la transparence. Avec quel argument ? « On n’est pas sûr que tout ça tourne bien », a déclaré à l’Assemblée nationale Christian Eckert, le ministre du budget… (voir la vidéo)

La France s’enorgueillit d’être un pays moteur dans la lutte contre les paradis fiscaux. Cette nuit, c’était plutôt la France du frein moteur !

CHRISTIAN CHAVAGNEUX
Source : Alterecoplus, Christian Chavagneux, 16-12-2015
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Voici la liste des députés socialistes (pour l’UMP, je ne developpe pas, c’est “normal”) ayant refusé de suivre les préconisations des ONG de lutte contre la fraude fiscale :
  • Frédéric Barbier : barbier.frederic25@gmail.com ; fbarbier@assemblee-nationale.fr
  • Jean-Marie Beffara : permanence@jeanmariebeffara.fr ; jmbeffara@assemblee-nationale.fr
  • Jean-Claude Buisine :  jcb.permanence@orange.fr ; jcbuisine@assemblee-nationale.fr, c
  • Christophe Caresche : caresche@club-internet.fr ; ccaresche@assemblee-nationale.fr,
  • Pascal Deguilhem : pascaldeguilhem@free.fr ; pdeguilhem@assemblee-nationale.fr
  • Sébastien Denaja : sdenaja@assemblee-nationale.fr
  • Jean-Louis Dumont : jldumont@assemblee-nationale.fr ; Jean-Louis.Dumont@wanadoo.fr
  • Jean-Louis Gagnaire : contact@jlgagnaire.com ; jlgagnaire@assemblee-nationale.fr
  • Joëlle Huillier : jhuillier@assemblee-nationale.fr
  • Bernadette Laclais : blaclais@assemblee-nationale.fr
  • Jean-Yves Le Bouillonnec : jylebouillonnec@assemblee-nationale.fr
  • Viviane Le Dissez : vledissez@assemblee-nationale.fr
  • Bruno Le Roux : bleroux@assemblee-nationale.fr ; brunolerouxdepute@yahoo.fr
  • Victorin Lurel : vlurel@assemblee-nationale.fr
  • Frédérique Massat :  frederique.massat@orange.fr ; fmassat@assemblee-nationale.fr
  • Christine Pires Beaune : cpiresbeaune@assemblee-nationale.fr ; permanence@christinepiresbeaune.fr
  • François Pupponi : fpupponi@assemblee-nationale.fr
  • Valérie Rabault : vrabault@assemblee-nationale.fr ; contact@valerierabault.fr
  • Pascal Terrasse : pterrasse@assemblee-nationale.fr
  • Jean-Jacques Urvoas : contact@urvoas.org ; jjurvoas@assemblee-nationale.fr
Une semaine après les régionales, n’hésitez donc pas à les interpeller (poliment !) … Bien entendu, si un est votre député, un appel téléphonique à la permanence ou à l’assemblée (01 40 63 60 00) s’imposera lundi…
L’ensemble :

barbier.frederic25@gmail.com ; fbarbier@assemblee-nationale.fr  ; permanence@jeanmariebeffara.fr ; jmbeffara@assemblee-nationale.fr ; jcb.permanence@orange.fr ; jcbuisine@assemblee-nationale.fr ; caresche@club-internet.fr ; ccaresche@assemblee-nationale.fr ; pascaldeguilhem@free.fr ; pdeguilhem@assemblee-nationale.fr ; sdenaja@assemblee-nationale.fr ; jldumont@assemblee-nationale.fr ; Jean-Louis.Dumont@wanadoo.fr ; contact@jlgagnaire.com ; jlgagnaire@assemblee-nationale.fr ; jhuillier@assemblee-nationale.fr ;  blaclais@assemblee-nationale.fr ; jylebouillonnec@assemblee-nationale.fr ; vledissez@assemblee-nationale.fr ; bleroux@assemblee-nationale.fr ; brunolerouxdepute@yahoo.fr ; vlurel@assemblee-nationale.fr ;  frederique.massat@orange.fr ; fmassat@assemblee-nationale.fr ; cpiresbeaune@assemblee-nationale.fr ; permanence@christinepiresbeaune.fr ; fpupponi@assemblee-nationale.fr ; vrabault@assemblee-nationale.fr ; contact@valerierabault.fr ; pterrasse@assemblee-nationale.fr ; contact@urvoas.org ; jjurvoas@assemblee-nationale.fr

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P.S. le PS a réagi vu les mails reçus (comme quoi c’est utile), et c’est du lourd, je vous donne la conclusion :
Je me demande d’ailleurs pourquoi ils parlent de “faux procès”, alors qu’il s’agit d’un vrai procès, si si….
Un socialiste ose tout, c’est même à ca qu’on le reconnait…

Alors on va développer schématiquement.

Les entreprises communiquent sur leur résultat de façon agrégée par pays. Aujourd’hui, on a disons une grande banque qui fait 10 Md€ de chiffre d’affaires et 1 Md€ de bénéfice, monde.

Avec la publicité, le public et les ONG sauront qu’elle fait 8 Md€ de CA en France, avec 0 de bénéfice, et 2 Md€ dans la filiale informatique en Irlande, avec 1 Md€ de bénéfice, peu taxé. Or, c’est bien le groupe qui fixe le niveau de facturation entre l’Irlande et la France, il peut donc simplement transférer du profit là-bas en montant la re-facturation des frais informatiques.

L’avantage, quand c’est public, c’est que tout le monde peut mettre la pression sur l’entreprise (et bientôt sur l’Irlande), qui peut beaucoup moins facilement faire pression sur le fisc.

Alors c’est vraiment se moquer du monde que de parler de “création d’asymétrie d’information”, vu que c’est EXACTEMENT le contraire. Exemple : la banque multinationale communique ses résultats agrégés sur la France et l’Italie. Personne ne sait combien elle gagne en Italie. Mais en revanche, elle, elle sait très bien combien les petites banques italienne non multinationales y gagnent, vu que toute structure communique son résultat global !

Après, une fois que le reporting est public en France, leader, eh bien nous avons un argument de poids pour négocier avec les autres ! Et comme si la concurrente allemande de la banque française soumise à transparence ignorait le niveau de profitabilité en Italie – on croit rêver.

Enfin, c’est débile, la concurrence étant mondiale. Si on continue, on dira qu’on ne peut pas le fait en Europe tant que les USA et la Chine ne l’ont pas fait, etc. Du couillemollisme hollandais dans toute sa splendeur…

On avait déjà l’Europe qui nous obligeait à faire plein de trucs, maintenant on a l’Europe qui nous empêche par son inaction de faire des choses que rien en nous empêche, sinon le lobbying des entreprises… Elles doivent en avoir des choses à cacher…

Bon après, je vais aider le socialistes : quand on veut lutter contre la fraude fiscale, on fait ce que demande Chavagneux, pas Gataz ou Moscovici, c’est un des spécialistes français – et ce n’est pas un trotskyste (mais il est un peu de gauche, attention, vous n’avez plus l’habitude), ça ira très bien pour nos entreprises…

“L’Europe puissance”, quoi…

Source: http://www.les-crises.fr/honte-le-gouvernement-bloque-en-pleine-nuit-un-outil-anti-paradis-fiscaux-par-christian-chavagneux/


La guerre d’Ossétie de 2008 : Une victoire russe (I+II) Par Jacques Sapir

Sunday 20 December 2015 at 03:45

Source : Russeurope, Jacques Sapir,  8-8-2015

La guerre d’Ossétie du Sud, qui a éclaté à la suite de l’agression de la Géorgie en Août 2008 présente certaines analogies avec le conflit qui existe depuis 2014 en Ukraine orientale. C’est pourquoi l’analyse des événements ayant conduit à cette guerre, de l’intervention russe, et de ses suites, s’imposent aujourd’hui. Il faut revenir sur ce conflit en ceci qu’il constitue un prototype des manœuvres provocatrices menées, en partie par les Etats-Unis mais aussi en partie par des autorités locales, ici géorgiennes, là ukrainiennes, contre la Russie.

Cette guerre était un événement certes prévisible, mais qui aurait pu être évité. En effet, les sécessions de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par rapport à la Géorgie ont eu lieu dès la fin de l’Union Soviétique. Elles traduisaient la volonté de populations fondamentalement étrangères à la population Géorgienne de se rapprocher des populations similaires qui vivent sur le territoire de la fédération de Russie. De ce point de vue, ces sécessions témoignent de l’échec de ce qu’il faut bien appeler un ethno-nationalisme, c’est à dire un nationalisme qui se construit autour d’une représentation mythifiée d’une « pureté ethnique » de la Nation, et qui opprime, ouvertement ou insidieusement, des populations considérées dès lors comme « impure » mais qui faisaient auparavant partie de cette Nation. De ce point de vue, cet ethno-nationalisme se révèle le fossoyeur de ces Nations issues de la désintégration de l’Union soviétique car il prétend substituer une « pureté ethnique » à un pacte politique. Cet ethno-nationalismeest aujourd’hui à l’œuvre en Ukraine, et il est le principal responsable de la désintégration du pays. C’est en réaction à cet ethno-nationalisme qu’il faut comprendre tant de la décision de la population de Crimée de rejoindre la Russie que l’insurrection des populations russophones du Donbass.

 Le champ de mines du Caucase et la présence américaine

Le partage des nationalités suivant les lignes administratives fixées du temps soviétique ne pouvait survivre à la fin de l’URSS que si, dans chacun des pays successoraux de l’Union soviétique avait pu s’imposer une conception clairement politique de la Nation. Mais, il faut ici ajouter que les forces qui travaillaient les régions du Caucase du Nord étaient, pour partie, antérieures à la désintégration de l’Union soviétique. En fait, dès les années 1970 les Abkhazes avaient cherché à être rattachés à ce qui n’était encore que la RSFSR. De même, les Ossètes du Sud cherchaient à se rapprocher des Ossètes du Nord, qui eux aussi étaient sur le territoire de la RSFSR. Cependant, c’est bien la guerre civile Géorgienne et l’émergence dans ce pays d’un puissant courant ethno-nationaliste, refusant de prendre en compte la diversité des populations, a radicalisé la situation. L’Ossétie du Sud comme l’Abkhazie se sont séparées de fait de la Géorgie à ce moment, ce qui a donné lieu à une situation tendue, avec une multiplication d’incidents militaires. La Russie a apporté un soutien modéré aux deux régions sécessionnistes dans la période où la Géorgie était dirigé par Shevarnadze. La situation va cependant évoluer à partir de 2002/2004 quand au renforcement de la Russie répond un raidissement de la position géorgienne.

La situation était devenue d’autant plus dangereuse que les Etats-Unis, engagés dans une politique de forte présence au Caucase dans une logique de confrontation avec la Russie, et ce dès la fin des années 1990, ont encouragé les autorités géorgiennes à ne pas chercher de compromis[1]. Les administrations américaines Clinton et Bush ont délibérément encouragé des regroupements de pays tel le GUAM[2] dans une logique d’affrontement avec la Russie. L’aide américaine à la Géorgie a pris une dimension d’aide militaire à partir de 2003 quand Washington a cherché systématiquement des alliés à son intervention en Irak. Les flux financiers issus de cette aide sont rapidement devenus importants et la Géorgie, qui est pourtant un pays fort peu peuplé, entretenait ainsi juste avant le conflit de l’été 2008 l’un des plus gros contingents non-américains en Irak. Cette aide militaire avait aussi pour fonction de crédibiliser la posture du Président Saakashvili qui, dès son arrivée au pouvoir en 2004 n’avait pas fait mystère de sa volonté de récupérer, y compris par la force, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud[3]. La fragilité du système politique géorgien, et du Président Saakashvili lui-même, ne pouvait qu’accentuer les risques. Reconnaissant la dangerosité de la situation, l’ONU avait entériné le principe d’une force de maintien de la paix, composée de soldats russes et géorgiens. L’OSCE maintenait une mission d’observation sur place. On peut ainsi parler pour cette guerre de la chronique d’un désastre annoncé.

 Le piège de l’ethno-nationalisme, fossoyeur des Nations

Mais, il faut revenir sur le phénomène de l’ethno-nationalisme qui se trouve à l’origine de ces guerres civiles, que ce soit en Géorgie ou en Ukraine. Comment, alors, définir un groupe ethnique ? S’opposent ici les tenants entre une vision essentiellement subjective de l’ethnicité et les partisans d’une vision dite « objective »[4]. Il est cependant relativement facile de montrer que ce ne sont pas des faits « objectifs » qui amènent à la constitution d’une Ethnie ou d’un Peuple mais bien des principes politiques. Ceci a été montré par un grand anthropologue, Maurice Godelier, dans son étude sur les Baruya[5]. Il insiste sur l’origine historique des clans et des ethnies. La définition ethnique n’est pas la solution à la constitution de la société :« L’ethnie constitue un cadre général d’organisation de la société, le domaine des principes, mais la mise en acte de ces principes se fait dans une forme sociale qu’on reproduit et qui vous reproduit, qui est la forme tribale »[6]. La distinction entre « tribu » et « ethnie » est essentielle si l’on veut comprendre comment se constituent les peuples. Avec la tribu nous sommes de plein pied dans des formes politiques d’organisations de la société.

Il faut cependant faire une distinction nécessaire entre l’imaginaire et le symbolique pour ce qui est la constitution historique de ce corps social. Dans le domaine du symbolique, il apparaît l’importance de la part du corps dans la constitution de ce sujet social et plus récemment sur la distinction entre les choses que l’on vend, les choses que l’on donne et celles qu’il ne faut ni vendre ni donner mais transmettre. On retrouve ici l’importance des règles, qu’elles soient explicites ou implicites, et qu’elles soient ou non adossées à un tabou. Si les règles symboliques, du fait de l’importance qui leur est conférée, ont bien un effet objectif (nul ne peut s’abstraire sans conséquences des liens familiaux particuliers ni rompre un tabou) leur origine est purement sociale (établir une domination ou organiser des formes de coopération). Le processus d’autonomisation par rapport aux conditions d’émergence et de production est bien de l’ordre du réel, et la situation crée par l’existence d’un mode symbolique en surplomb du monde réel constitue bien une contrainte pour la totalité des acteurs. Pourtant, cela n’empêche pas qu’historiquement, ce qui prime est le processus d’engendrement et de production de ces mêmes règles sociales. La vie en société est donc en réalité antérieure à la construction de l’ethnie. L’ethnie est une construction sociale[7] et non une réalité biologique, et il s’agit parfois d’un mythe discursif utilisé pour séparer une population d’une autre. De ce point de vue, l’ethno-nationalisme qu’il soit géorgien ou qu’il soit ukrainien aboutit à dresser des populations, qui pourtant habitent sur le même territoire, les unes contres autres alors qu’un pacte politique, tel qu’il s’incarne dans une Constitution, permettrait de trouver des médiations assurant une vie commune. Et, ici, on mesure à quel point l’ethno-nationalisme s’avère la fin de la Nation.

 Une défaite américaine ?

Cette guerre a été l’un des événements significatifs de l’évolution du rapport des forces à l’échelle mondiale qui caractérise l’émergence du véritable XXIe siècle politique après la période de transition des années 1992 à 2003. Cette crise a vu la Russie émerger comme un acteur central sur sa périphérie. En effet, l’agression géorgienne, symbolisée par le bombardement sauvage de la ville de Tskhinvali, bombardement qui fait écho aux bombardements que l’on connaît dans le Donbass, a provoqué l’intervention militaire de la Russie. La victoire militaire des forces russes contres les forces géorgiennes, si elle était pleinement prévisible, s’est déroulée de telle manière qu’elle a considérablement ébranlé l’architecture diplomatique et politique de la région. Plus que la Géorgie, ce sont les Etats-Unis qui émergent comme le perdant de cette crise en s’étant avérés incapables soit de la prévenir soit de protéger leur allié local.

Le fait que cette situation soit survenue dix années après la terrible crise financière qui avait frappé en août 1998 la Russie, et simultanément avec une dégradation très sensible de la crise financière américaine, n’est pas seulement symbolique (la crise de Lehmann Brothers surviendra dès le début du mois de septembre 2008). Ceci traduit les effets des évolutions que l’on a connues entre 1998 et aujourd’hui, en Russie et dans le reste du monde. Ainsi, à peine les médias commençaient-ils à reléguer au second plan la crise caucasienne (avec le voyage à Moscou du Président Nicolas Sarkozy de début septembre) que commençait à Wall Street la « Folle semaine » qui vit le gouvernement américain être dans l’obligation de mettre sous tutelle, voire de nationaliser, une partie de son système financier pour éviter un effondrement total. Cette crise est donc symptomatique. Elle est issue des tendances aventuristes de la politique américaine dans les régions de l’ex-URSS et de leurs impacts sur les pays qui ont cherché à s’allier à Washington. En effet, cette guerre aurait pu et aurait dû être évitée, en particulier si la politique américaine dans la région avait fait preuve de plus de sens des responsabilités. Cette guerre s’inscrit aussi dans une succession de crises marquant les effets de la politique américaine en Europe, qui va de la reconnaissance unilatérale de l’indépendance du Kosovo à la décision de déployer un système de missiles anti-missiles en Pologne et République tchèque qui ne peut qu’être perçu comme une agression par la Russie.

Elle a été manipulée pour tenter de ressusciter le climat de la « Guerre Froide » et en ce sens a conduit à une guerre des propagandes dont les effets sont très négatifs. La pratique systématique par une partie des médias européens et américains, à l’initiative des gouvernements, du discours du « double standard » ou de la morale instrumentalisée, a contribué à affaiblir encore plus les principes du Droit international.

Cette crise a aussi posé le problème de l’attitude politique de l’Union Européenne et même de sa simple capacité à avoir une position cohérente avec ses intérêts. De ce point de vue, on peut considérer qu’elle a anticipé sur les positions de l’UE par rapport à la crise ukrainienne. Elle soulève des interrogations importantes quant à la cohérence de la politique internationale française. La Guerre d’Ossétie du Sud apparaît bien comme un événement, en apparence limité, mais qui traduit et impulse des transformations importantes que ce soit dans les rapports de force ou dans les représentations des acteurs.

 Notes

[1] S. Milne, « This is a tale of US expansion not Russian aggression », The Guardian, 14 Août 2008, http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2008/aug/14/russia.georgia

[2] Pour Géorgie-Ukraine-Azerbaidjan-Moldavie.

[3] L’ancien Ministre de la défense géorgien en 2004-2006, Irakli Okrouachvili a indiqué qu’un plan de reconquête militaire de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud existait ainsi dès 2005. Voir Nouvelobs.com, « Le président Saakachvili préparait son offensive dès 2005 », 15 septembre 2009, http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/europe/20080914.OBS1245/le_president_saakachvili_preparait_son_offensive_des_20.html

[4] Simard J-J., « Autour de l’idée de nation. Appropriation symbolique, appropriation matérielle », in Nation, souveraineté et droits, Actes du IVe Colloque Interdisciplinaire de la Société de philosophie du Québec, Bellarmin, Montréal, 1980.

[5] Godelier M., « Ethnie-tribu-nation chez les Baruya de Nouvelle-Guinée», in Journal de la Société des océanistes, N°81, Tome 41, 1985. pp. 159-168. Idem, La production des grands hommes : pouvoir et domination masculine chez les Baruya de Nouvelle-Guinée, Paris, Fayard, 1982.

[6] Godelier M., « Ethnie-tribu-nation chez les Baruya de Nouvelle-Guinée», op.cit., p. 163.

[7] Isajiw W.W., « Definition of Ethnicity » in Goldstein J.E. et R. Bienvenue (edit.), Ethicity and Ethnic relations in Canada, Butterworths, Toronto, 1980, pp. 1-11.


Source : Russeurope, Jacques Sapir,  8-O8-2015

 

La guerre d’Ossétie de 2008 – les causes (II)

 Source : Russeurope, Jacques Sapir, 8-08-2015

Qui a piégé qui?

La crise Osséto-Géorgienne a suscité divers commentaires quant à ses causes dans la presse française, pour la plupart faisant porter la responsabilité directe ou indirecte de la crise sur la Russie. Bernard Dreano a soutenu l’idée que les autorités Géorgiennes seraient tombées dans un piège que Moscou leur aurait tendu[1], en faisant croire que la Russie était sur le point d’abandonner l’Ossétie du Sud. Inversement, mais pour aboutir à une conclusion mettant elle aussi la Russie en cause, Bernard Henri-Lévy, à la suite de son très médiatique voyage en Géorgie, a repris la thèse que ce pays aurait déclenché les hostilités pour préempter une attaque russe et que 150 chars russes auraient déjà été présents en Ossétie du Sud[2]. Cette thèse est celle du gouvernement Géorgien, qui a affirmé que son action du 7 août fut une réaction à une entrée massive de l’armée russe via le tunnel de Roki[3]. Notons que ceci fut cependant démenti dès le 7 août par le gouvernement américain qui signalait qu’il n’y avait aucun transfert de troupes de la Russie vers l’Ossétie du Sud[4]. Les nombreuses différences entre la réalité des faits et les déclarations de Henri-Lévy ont d’ailleurs été soulignées par des enquêtes indépendantes[5]. On retrouve ici les mensonges qui ont été proférés six années plus tard sur l’Ukraine.

La thèse Géorgienne, reprise par Bernard Henri-Lévy, a l’intérêt pour les partisans de Tbilissi de réconcilier la constatation indiscutable par tous les observateurs internationaux de ce que l’attaque a été le fait de l’Armée Géorgienne et le droit international. Si ce dernier ne reconnaît pas la légitimité d’une attaque préventive, il admet celle de l’attaque préemptive, qui implique cependant que l’on ait démontré que l’adversaire avait déployé ses unités militaires dans une posture ne laissant aucun doute quant à son intention d’attaquer de manière imminente.

Les deux thèses les plus largement diffusées dans la presse française font donc porter la responsabilité du conflit à la Russie, soit directement en affirmant que ce pays se préparait à envahir la Géorgie et que les troupes géorgiennes ont donc attaqué dans un cadre assimilable à de la légitime défense, soit indirectement en induisant délibérément les autorités géorgiennes en erreur pour les pousser à commettre une attaque légitimant la riposte russe.

En fait, on dispose désormais de bien assez d’éléments pour tenter de débrouiller le vrai du faux. On présente ici un certain nombre d’éléments qui permettent de réfuter ces deux thèses, mais qui montrent aussi qu’il y a bien des questions encore non résolues concernant cette crise.

1. Les manœuvres et les postures.

Le conflit n’a pas éclaté comme l’orage dans un ciel serein dans la nuit du 7 au 8 août 2008. Que ce soit du côté géorgien comme du côté russe s’étaient déroulés des exercices militaires importants qui avaient pour fonction d’envoyer des messages politiques. Les manœuvres précisaient des postures. Ainsi, durant la phase préparatoire aux hostilités qui court de fin juin à début août, deux exercices militaires majeurs ont pris place, en Géorgie comme en Russie. En Géorgie s’est tenu sous commandement américain l’exercice Immediate Response 2008 (IR-08) combinant des forces américaines (US Army et US Marine Corps), de la Géorgie, de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie et de l’Ukraine. Cet exercice s’est déroulé du 15 au 25 juillet et semble avoir considérablement accru la confiance du président Saakashvili dans ses forces armées. À la fin de l’exercice, le nombre des militaires américains (appartenant au US Marine Corps) présents au sein des troupes géorgiennes en tant qu’instructeurs étaient de 117[6].

L’exercice IR-2008 a pris une tournure politique particulière à la suite du sommet de l’OTAN de Bucarest d’avril 2008. On se souvient que la Géorgie avait à cette occasion, cherché à faire valider le principe de son adhésion à l’OTAN. La question était pendante depuis que, à la fin octobre 2004, le Conseil de l’Atlantique Nord avait approuvé le programme Individual Partnership Action Plan qui ouvrait la possibilité d’une accession de la Géorgie au Membership Action Plan (ou MAP), programme qui constitue la phase préparatoire à une adhésion. Mais, durant le sommet de Bucarest, plusieurs pays de l’OTAN, la France, l’Allemagne et l’Italie, se sont opposés à ce que la Géorgie puisse bénéficier du MAP. La déclaration finale du sommet a constitué de ce point de vue un exemple remarquable d’hypocrisie diplomatique puisque si la Géorgie (et l’Ukraine) étaient exclues du bénéfice du MAP, le Président George W. Bush pouvait affirmer sans être démenti que ces deux pays « avaient vocation à entrer dans l’OTAN ». Dans ce contexte, l’exercice Immediate Response 2008 avec l’engagement des forces américaines en Géorgie même qu’il impliquait ne pouvait pas ne pas passer au yeux des autorités géorgiennes comme un engagement moral des Etats-Unis, voire de l’OTAN, à les soutenir.

Dans le même temps, les troupes russes stationnées au Caucase du Nord (la 58e Armée) ont mené, en présence d’observateurs internationaux, l’exercice Kavkaz-2 qui a impliqué des déploiements de force importants. Le thème de cet exercice était le déploiement rapide de troupes à haute efficacité opérationnelles pour assurer la protection d’une région menacée par une intervention extérieure. On ne pouvait plus clairement indiquer aux autorités Géorgiennes la volonté du gouvernement russe d’intervenir en cas d’attaque contre l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud. Cet exercice s’est inscrit dans une suite de manœuvres similaires, dont certaines ont eu lieu en Asie Centrale et dans la Province Maritime d’Extrême-orient de la Russie. Le déroulement de cet exercice, qui a pris fin le 1er août 2008 a souligné le très haut degré de disponibilité des troupes opérationnelles russes, comme l’ont signalé les observateurs de l’OTAN présents. Cet exercice venait à la suite d’autres manœuvres, en particulier navales, qui avaient eu lieu au mois de juin et qui indiquaient elles aussi que la Russie se préparait à venir au secours de l’Abkhazie le cas échéant.

Ces informations auraient du conduire les autorités Géorgiennes a une appréciation plus réaliste et de la disponibilité des forces russe à réagir en cas de reprise des combats soit en Abkhazie soit en Ossétie du Sud et de leurs capacités militaires en cas d’opération contre l’Ossétie du Sud. La question posée est donc de savoir si les Etats-Unis, qui avaient des observateurs à ces manœuvres, ont transmis ces informations (et s’ils ne l’ont pas fait, pourquoi ?) et si elles ont été discutées au sein de la chaîne de commandement Géorgienne. La posture prise par les forces russes était au début d’août 2008 contradictoire avec l’idée que Moscou se préparait à abandonner l’Ossétie du Sud. Ainsi, de même qu’ils auraient du avertir les autorités géorgiennes du message envoyé par les autorités russes à travers les manœuvres Kavkaz-2, les Etats-Unis auraient dû dissiper toutes les illusions géorgiennes quant au degré de leur soutien à une possible initiative militaire, à la suite de l’exercice IR-2008. Pour n’avoir fait ni l’un ni l’autre, ou du moins avoir laissé planer assez de doutes, et avoir laissé subsister assez de zones d’ombre, les Etats-Unis portent une responsabilité directe dans la mise en place d’une désastreuse séquence de décisions du côté géorgien.

2. Les avertissements russes : de l’implicite à l’explicite

Si le déroulement des manœuvres russes de fin juillet 2008 relève de l’avertissement implicite, et de la logique de dissuasion, confronté à la montée des tensions sur la ligne de démarcation entre l’Ossétie du Sud et la Géorgie, Moscou a adopté une attitude beaucoup plus explicite dans les jours qui précédèrent immédiatement le déclenchement du conflit.

À partir du 31 juillet 2008, les incidents se multiplient en effet entre les forces du gouvernement Ossète et les forces géorgiennes. Des véhicules géorgiens sont victimes de l’explosion d’une bombe sur une route à proximité immédiate de la ligne de démarcation et des miliciens Ossètes sont tués par des snipers géorgiens qui utilisent des armes occidentales (le « fusil de sniper » de 12,7-mm). La succession des incidents ne fait aucun doute, et la responsabilité des deux parties est clairement engagée, même si le but de certaines actions ne semble pas immédiatement politique ou militaire[7]. Dans les quelques jours avant le début des combats (du 2 au 6 août 2008) les autorités russes ont prévenu à plusieurs reprises les autorités Géorgiennes de leur volonté de renforcer les forces de maintien de la paix en raison de la multiplication des incidents sur la ligne de cessez le feu que l’on vient d’évoquer. Les autorités géorgiennes ont protesté contre ce qu’elles ont appelé un renforcement indu de ces forces. Ceci témoigne de ce qu’elles étaient au courant et avaient pris note de la grande réactivité de la partie russe à la dégradation de la situation locale. Le 5 août, l’ambassadeur russe à Tbilissi, Youri Popov, a prévenu officiellement les autorités géorgiennes que la Russie interviendrait en cas de conflit[8]. La position russe avait donc été réaffirmée sans ambiguïtés deux jours avant le début des hostilités. Le 6 août, la presse russe donne un écho particulièrement important à la déclaration de plusieurs responsables d’Ossétie du Sud qui annoncent le risque imminent d’une attaque géorgienne. Rien ne vient donc soutenir la thèse que les autorités russes se seraient préparées à abandonner l’Ossétie du Sud à son sort et auraient pris leur parti d’une opération militaire géorgienne.

La combinaison de la démonstration faite durant les manœuvres de fin juillet et de ces éléments rend très peu crédible l’hypothèse d’une « piège » politique tendu par les autorités russes aux autorités géorgiennes. Si Moscou avait tenté de « piéger » Tbilissi, l’exercice Kavkaz-2 aurait été bien moins explicite, bien moins démonstratif et les autorités russes beaucoup plus passives entre le 2 et le 6 août.

 3. La vacuité de la thèse de l’attaque pré-emptive.

Le renforcement des troupes russes déployées sous mandat ONU en Ossétie du Sud à la veille de l’attaque géorgienne a été limité (environ 350 hommes). Il ne saurait justifier la thèse défendue par Tbilissi qui assimile son action à une attaque préemptive, rendue nécessaire par une menace imminente pesant sur la Géorgie. Les affirmations de BHL sur les « 150 chars russes » ayant traversé le tunnel de Roki le 6 ou le 7 août, qui reprennent le discours des autorités géorgiennes du 7 août (affirmations par ailleurs démenties par l’OSCE et les Etats-Unis), sont incohérentes avec le reste des événements. En effet, si les autorités russes avaient décidé de déployer une telle force ce ne sont pas seulement des chars qui auraient transité (150 chars représentent au moins 4 bataillons – à 33 chars chaque- soit plus que l’effectif en chars d’un régiment blindé) mais l’équivalent d’une large fraction d’une Division Blindée (avec outre cet hypothétique gros régiment de chars, au moins un régiment d’infanterie mécanisé, des moyens d’artillerie et de défense anti-aérienne).

Contrairement à ce qu’affirme BHL et ce que croient des personnes ne connaissant pas la chose militaire, on ne déplace pas des chars comme des jouets. On déplace des unités militaires, qui ont un Tableau des Effectifs et des Equipements connu. Si l’on veut avoir 150 chars dans un point donné, on transfère les unités dont la somme des équipements aboutit à ce nombre. Compte tenu des moyens de soutien aux unités blindées cela fait une force considérable, représentant environ les 2/3 d’une Division Blindée. Même si l’on estime qu’il s’agit de 150 véhicules blindés et non de 150 chars (les déclaration de BHL et des géorgiens ne sont pas toujours très précises)[9], on est quand même en présence de l’équivalent d’au moins un régiment blindé ou mécanisé, soit une unité importante disposant d’équipements et de forces d’appui non négligeables.

Dès la nuit du 7 au 8 août, les forces géorgiennes auraient donc du être confrontées à des moyens de feu puissants de la part de ces très hypothétiques troupes russes, ce qui n’est pas le cas. Les chars russes ne sont arrivés dans les faubourgs nord de Tskhinvali que dans la matinée du 9 août. Les avions géorgiens n’ont pas été pris à partie par une défense anti-aérienne dans la journée du 8 (les films de la télévision russe montrent des Su-25 Géorgiens opérant à basse altitude sans opposition). Un régiment de chars russes a des moyens anti-aériens (missiles et canons à tir rapide) conséquents…L’artillerie géorgienne aurait été immédiatement prise à partie par les moyens d’artillerie russes (tirs de contrebatterie). Ceci ne se produit qu’à partir de la journée du 9 août.

Le déroulement des opérations militaires par la suite est contradictoire avec la thèse géorgienne. Si l’Armée Russe avait été déployée en nombre et posture justifiant une attaque préemptive, les combats du 8 auraient été bien plus violents. Par ailleurs, si réellement l’Armée Russe avait pris position en Ossétie du Sud avec l’intention d’attaquer la Géorgie dans les jours suivants, la seule attitude rationnelle aurait été pour l’Armée Géorgienne de constituer des lignes de défense échelonnées entre l’Ossétie du Sud et les objectifs stratégiques potentiels en Géorgie, afin de tenter de « casser » l’attaque russe tout en faisant la démonstration à l’opinion internationale de son statut de défenseur. Compte tenu du rapport des forces, si l’Armée Russe avait réellement déployé des moyens en Ossétie du Sud qui auraient été susceptibles de menacer directement et immédiatement (deux conditions à remplir pour se prévaloir d’une attaque préemptive) la Géorgie, alors attaquer ces forces était totalement suicidaire de la part des forces géorgiennes.

La pénible réalité qu’il faut bien constater est que les autorités géorgiennes ont eu recours à un subterfuge grossier pour camoufler leur responsabilité dans le déclenchement du conflit et ses conséquences ultérieures. Il est ici significatif que la Secrétaire d’Etat Américaine Mme Condoleeza Rice a admis publiquement que c’était les forces géorgiennes qui avaient lancé le 7 août une opération militaire « majeure » sur Tskhinvali et les autres régions de l’Ossétie du Sud[10].

 4. Les incohérences du discours et de l’attitude géorgienne.

La thèse du « piège » politique tendu par la Russie à la Géorgie peut alors être évoquée. Les autorités russes auraient ainsi laissé les forces Ossètes provoquer les troupes géorgiennes tout en laissant entendre au gouvernement de Tbilissi que la Russie se désintéressait du devenir de l’Ossétie du sud. Pour être moins contraire à la réalité des faits, cette thèse soulève alors une autre question, au-delà de la démonstration faite plus haut que rien dans le comportement russe ne vient accréditer cette thèse. Si le plan des autorités de Tbilissi avait été uniquement de reprendre le contrôle de l’Ossétie du Sud en tablant sur une passivité, voire une connivence de la Russie, pourquoi les forces géorgiennes ont-elles tiré sans sommation et délibérément sur les troupes russes sous mandat ONU dès le 7 août ?

Les faits sont ici très clairs. À 11h40 le 7 août, soit environ 30 minutes après que le Président Géorgien ait fait informer le général russe en charge des forces du Maintien de la Paix qu’il entendait user de la force pour « instaurer l’ordre constitutionnel » à Tskhinvali, une grenade tuait 2 soldats russes dans un des postes d’observation[11]. Dans la nuit du 7 août dès le début du bombardement systématique de Tskhinvali et des environs (les premiers tirs sont enregistrés vers 23h30 et les forces russes de Maintien de la Paix seront prises à partie dès 23h40), une des casernes abritant les soldats russes de la force de Maintien de la Paix est délibérément prise pour cible par l’artillerie Géorgienne. Ce tir provoquera 10 morts du côté russe, portant ainsi à 13 le nombre des victimes dues aux tirs Géorgiens si on inclut un autre soldat tué dans la nuit. Ce tir est délibérément provocateur et ne peut que conduire à une réaction russe. Les autorités géorgiennes ne peuvent l’ignorer. La logique eut voulu d’éviter de prendre à partie ces troupes si on pensait qu’elles pouvaient rester passives. Ceci contredit à nouveau l’hypothèse que les autorités Géorgiennes auraient pris leur décision en escomptant une passivité de la Russie, dans le cadre d’un « piège » qui leur aurait été tendu.

La violence de l’attaque initiale était, elle aussi, volontairement provocatrice vis-à-vis de la Russie, comme le montrent les dommages subis par la population civile dans l’agglomération de Tskhinvali. On renvoie ici au cliché haute résolution de la région présenté dans l’annexe 1. Cette photo satellitaire de bonne résolution ne prend en compte que les dommages « verticaux » (ceux causés par l’artillerie et les lance-roquettes de 122-mm) et les bâtiments brûlés. Les dommages causés par des tirs « horizontaux » (canons de chars ou de BMP-1 et 2, tirs de mitrailleuses) n’apparaissent pas. On constate deux lignes de dommages, qui correspondent à l’évidence à deux axes de tir de l’artillerie géorgienne, l’un orienté Sud-Ouest/Nord-Est et l’autre Sud/Nord.

La photo permet d’évaluer les dégâts. Il semble que des villages au Nord-Est de Tskhinvali, et dont la population était Géorgienne ou mixte Osséto-Géorgienne, furent aussi touchés à ce moment. Il est possible (et probable) que certaines des destructions sur les villages les plus au nord de Tskhinvali soient le résultat ou de combats dans la journée du 9 août ou des représailles exercées par des forces Ossètes après le 11 août. Cependant, on constate très clairement sur la photo que les villages à population géorgienne qui sont hors de la ligne de tir initiale de l’artillerie géorgienne (Dzartsemi et Kheiti) sont beaucoup moins touchés que le reste. Il faut donc retenir comme possible l’hypothèse qu’une bonne partie des dommages relevés avant le 19 août (date du cliché) dans des villages à population géorgienne et imputés aux milices Ossètes soit le résultat du tir des forces géorgiennes dans la nuit du 7 au 8 août.

Nous savons, de plus, que les troupes géorgiennes n’ont pénétré qu’aux deux tiers de Tskhinvali soit à la hauteur de 42°14’ Nord en coordonnées standard. La forme des dégâts à Tskhinvali, leur répartition géographique, confirment plusieurs points :

 
  • L’agglomération a subi un bombardement délibéré et massif de la part de l’artillerie géorgienne.
  • Ce bombardement ne correspond pas aux combats les plus violents, car une partie importante des destructions est située au nord de la ligne d’avance la plus importante des troupes géorgiennes. Ces destructions sont donc l’effet d’un bombardement délibéré sur des objectifs civils et une population sans défense. Ceci les qualifie indiscutablement en crimes de guerre.
  • Les tirs géorgiens semblent avoir répondu à deux objectifs, d’une part détruire un certain nombre de bâtiments clés pour désorganiser le commandement Ossète, et d’autre part provoquer délibérément de fortes pertes civiles afin de provoquer un exode massif de la population. On ne peut donc ici parler d’erreur de tir ou, pour user de l’affreux euphémisme utilisé d’habitude en ce cas de « dommage collatéral ». L’attaque de la population civile faisait partie de la stratégie géorgienne et soulève donc la possibilité d’une accusation en nettoyage ethnique.

Je rappelle que tous les témoignages dont nous disposons concordent sur le point que la majorité des destructions correspond à la nuit du 7 au 8 août lors du bombardement initial, où 5% d’une ville de 30 000 habitants auraient été détruits. Le sud de Tskhinvali, si l’on en croit la télévision russe a été durement touché dans les combats du 8 et du 9, mais les dommages, causés par des tirs horizontaux, ne sont pas visibles sur la photo satellitaire. Il y a eu d’autres bombardements le 8 et le 9 août, mais ils semblent avoir été moins violents que l’attaque initiale. Notons que les observateurs militaires de l’OSCE ont signalé ces faits comme le rapporte désormais le journal Der Spiegel Allemand. Ils ont signalé la possibilité que les Géorgiens aient commis des crimes de guerre lors de l’attaque de Tskhinvali[12]. On cite des cas où les forces géorgiennes s’approchant de la ville ou entrant dans celle-ci auraient mitraillé les civils.

Compte tenu du nombre de bâtiments touchés, du fait que le bombardement a eu lieu de nuit, et de l’effet de surprise, il est très probable que le chiffre des victimes ait été très élevé, et supérieur à 1000 pour cette seule attaque. Un bombardement de cette ampleur, combiné à l’attaque délibérée sur les forces russes présentes sous mandat ONU, ne pouvait pas ne pas provoquer une forte réponse de la part des autorités russes. Si les explications jusqu’ici avancées, celle de Bernard Dreano sur un « piège » politique russe ou celle de BHL et des autorités géorgiennes sur une attaque préventive face à une forte pénétration mécanisée des forces russes ne résistent pas à l’examen des faits[13], on doit tenter de comprendre ce qui s’est passé.

 5. La nature « semi-féodale » de l’armée géorgienne.

Toute analyse des causes du conflit doit d’abord souligner la nature hétérogène et « semi-féodale » de l’armée géorgienne et de la chaîne de commandement militaire. Cette situation est pour partie l’héritage de la guerre civile de 1992-1993 et pour partie le résultat paradoxal des programmes de modernisation de l’armée géorgienne mis en œuvre avec le soutient des Etats-Unis.

L’origine de ces programmes remonte à l’adhésion de la Géorgie au programme « Partenariat pour la Paix » de l’OTAN (Partnership for Peace) en mars 1994. Ceci a établi une base légale pour le développement d’une coopération militaire entre la Géorgie et les Etats-Unis qui s’est concrétisé par le Georgia Train and Equip Program (GTEP) qui se met en place à partir du 29 avril 2002. Avant même le GTEP, les Etats-Unis, qui avaient soutenu la mise en place du groupe GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaijan et Moldavie) comme moyen de favoriser une influence occidentale, avaient joué les intermédiaires pour des livraisons d’armes de l’Ukraine à la Géorgie. Il ne s’agissait cependant que de matériels ex-soviétiques[14]. Dans le cadre du GTEP, les Etats-Unis on développé un programme particulier en direction de la police et des douanes, le Georgia Border Security and Law Enforcement Program (GBSLEP). L’influence américaine s’est donc faite sentir nettement au-delà des forces armées. Le GTEP incluait non seulement l’entraînement et la formation des cadres et personnels de l’armée géorgienne, mais aussi une aide financière et technique ainsi que des livraisons d’armes, soit directement soit indirectement comme lors de la cession par la Grèce d’une vedette lance-missiles de type La Combattante-II devenue la Dioskura dans la marine géorgienne.

On estime que pour 2002, soit l’année de démarrage du programme, l’aide directe et indirecte dans le cadre des deux programmes GTEP et GBSLEP a été équivalente à 50% du budget militaire de la Géorgie, qui à l’époque était il est vrai squelettique. Au total, en 2002 et 2003, ces deux programmes ont représenté une injection de 64 millions de Dollars US dans les forces armées et de sécurité de la Géorgie, soit un doublement des sommes qui étaient inclues dans le budget géorgien pour ces forces et cette période.

L’ampleur des programmes d’aide militaire américains s’est brutalement accrue quand la Géorgie a accepté de soutenir les Etats-Unis dans l’invasion de l’Irak[15]. Le GTEP a été remplacé en 2005 par le Georgia Security and Stability Operations Program (GSSOP) qui a inclus des transferts financiers significatifs. Ainsi le budget militaire de la Géorgie est passé de 18 millions de Dollars par an en 2002 à 879 millions en 2007.

 

La somme de 879 millions de Dollars ne correspond pas au total des dépenses militaires pour 2007 mais uniquement aux dépenses financées sur le budget de l’État géorgien. L’accès à l’aide financière américaine, ainsi que le transfert gratuit d’équipements, de carburants et la prise en charge des dépenses d’entraînement et de garnison des troupes géorgiennes hors du pays a représenté une part considérable des dépenses réelles. Ces dernières ont été estimées par différentes sources à 3 milliards de Dollars US[16], soit 29% du budget. L’aide américaine s’est donc traduite par une injection massive de fonds dans un pays qui reste extrêmement pauvre, avec un PIB par habitant calculé à moins de 2400 dollars US par an.

L’armée géorgienne s’est alors clivée en une fraction soutenue et encadrée par les instructeurs US, et dont la solde est considérable dans les conditions locales (elle peut dépasser les 2000 Dollars par mois pour certaines unités ce qui correspond à une véritable fortune dans la Géorgie actuelle), et le reste des forces armées qui est toujours mal soldé, mal équipé et peu entraîné. Le haut commandement et une partie de la classe politique (le Ministre de la défense, le Chef d’état-major, le Président..) ont pris l’habitude de « patronner » des unités. Ils en tirent une certaine légitimité, mais aussi une garantie pour leur avenir politique dans un pays où les institutions politiques sont peu stabilisées et qui a connu, il y a quelques années, une guerre civile. Pour les soldats et les officiers de ces unités « patronnées », le patronage est une garantie que le flux d’argent et d’équipement ne va pas se tarir, et que leurs chances de promotion sont bien plus grandes que dans les autres unités. Le patronage assure aussi la possibilité de faire nommer dans l’unité privilégiée des membres de sa famille et de sa parentèle et donc d’étendre la liste des bénéficiaires de la « rente militaire ». C’est d’ailleurs un phénomène que l’on constate à nouveau en Ukraine, au sein des forces armées de Kiev. Si l’on accepte l’évaluation totale des dépenses militaires de la Géorgie à 3 milliards de Dollars, compte tenu du montant des dépenses figurant au budget, on aurait un flux de transfert supérieur à 2,1 milliards de Dollars (soit plus de 20% du PIB). La part monétaire directe (les soldes et subventions) et indirecte (les achats faits en Géorgie sur la base des crédits des programmes d’assistance) de ce flux pourrait atteindre 12% à 14% du PIB, bénéficiant directement à une fraction très réduite de la population.

Ceci aboutit à des forces armées qui dans certains cas sont plus fidèles à des hommes qu’à des institutions. La chaîne de commandement est ainsi fragmentée. Ceci aboutit aussi à de grandes différences dans l’efficacité des unités, la motivation et la fidélité des troupes.

Outre les transferts issus de l’aide militaire américaine la principale source de financement extérieur du pays résidait dans le rapatriement des revenus des géorgiens travaillant en Russie. On y estime à 600 000 le nombre d’immigrés géorgiens, ce qui est un nombre considérable quant on sait que la population en Géorgie ne dépasse pas en 2007 4,4 millions. Les chiffres de ces rapatriements diffèrent suivant les statistiques de la Banque Centrale de Russie (qui les estime à 665 millions de Dollars) et ceux des statistiques de la Banque Centrale de Géorgie (545 millions de Dollars). Cependant, la fraude fiscale peut induire des sous-déclarations aux autorités géorgiennes, ce qui expliquerait la différence entre les 2 chiffres. Quant on sait qu’une partie des rapatriements de revenus ne se fait pas en monnaie mais en biens (le migrant achète en Russie des biens de consommation qu’il rapatrie en Géorgie lors d’un séjour dans sa famille et revend alors sur place[17]), le montant des transferts en provenance de Russie pourrait s’établir à près d’un milliard de Dollars, soit environ 10% du PIB.

Il s’agit d’un montant non négligeable. Il est cependant probablement mieux réparti dans la population que les flux issus de l’aide militaire, qui sont beaucoup plus concentrés et par là plus susceptibles d’engendrer des effets rapides d’enrichissement à l’échelle des individus ou des familles. Cette nature « semi-féodale » de l’armée Géorgienne s’accompagne de ce que l’on peut interpréter comme une « euphorie militaire » de l’économie et de la société. En effet l’injection massive de moyens financiers à travers les programmes d’aide militaire permet de comprendre une anomalie des données économiques du Pays. En 2007, les importations de la Géorgie ont atteint 5,2 milliards de Dollars soit pratiquement 50% du PIB. Les exportations restant à 1,2 milliards, on atteint un déficit commercial de 39% du PIB, qui n’est clairement pas supportable à moyen terme.

Le pays, depuis l’arrivée au pouvoir du Président Saakashvili en 2004, est clairement sous perfusion économique et financière du fait de l’aide militaire américaine. La forte accélération de l’accroissement des budgets militaires en témoigne. Les phénomènes de rente liés à la capture des flux financiers liés aux programmes d’aide militaire jouent un rôle important dans la structuration sociale et politique du pays.

 6. Les déterminants internes du choix de la guerre par la Géorgie.

Dans ce contexte, une hypothèse crédible et soutenue par plusieurs sources est que des responsables géorgiens ont tenté une opération militaire sur Tskhinvali essentiellement pour en retirer un bénéfice politique contre le Président Saakashvili, dont la dernière élection a été fortement contestée en raison d’irrégularités évidentes, qui avaient d’ailleurs provoqué de violentes manifestations de la part des partis d’opposition. Le Président Saakashvili a cherché à construire sa légitimité depuis sa prise du pouvoir lors de la « Révolution des Roses » de 2004 sur sa capacité à restaurer l’unité nationale. Si ses efforts face aux tendances centrifuges en Adjarie ont été couronnés de succès, il est allé d’échecs en échecs en ce qui concerne l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud dont les populations se sentent bien plus radicalement étrangères à la Géorgie. L’incapacité de Saakashvili à concrétiser ses promesses nationalistes est venue s’ajouter à l’insatisfaction générale qu’engendre une politique économique qui n’a eu que peu d’effets positifs pour la population. Le PIB de la Géorgie n’atteignait encore que 65% de son niveau de 1990 en 2007. Même si l’on tient compte de la baisse de la population Géorgienne (liée à une très forte émigration) le PIB par tête en 2007 ne dépasse pas les 80% de son niveau de 1990. Au sein même de son parti et de son gouvernement, Saakashvili a été confronté à une contestation forte, en particulier depuis les élections de début 2008 qui ont montré la fragilité de sa position. On peut penser que certains responsables gouvernementaux ont tenté de supplanter le Président comme chef politique en préemptant à leur profit son programme de reconquête de l’Abkhazie et de l’Ossétie. La nature fragmentée et rentière des forces armées, ce que l’on a appelé leur nature « semi-féodale », a certainement été ici un élément favorisant de telles initiatives.

On peut penser que Saakashvili, prenant connaissance dans les premiers jours d’août de ces projets et en mesurant le danger qu’ils faisaient peser sur son avenir politique, aurait été obligé de se lancer dans une surenchère sur la question de l’Ossétie du Sud pour ne pas perdre la face et son pouvoir. Ceci pourrait alors expliquer le discours extrêmement agressif du Président Saakashvili du 7 août que l’on a déjà évoqué et dont on a signalé qu’il était pleinement contradictoire avec la thèse d’une opération Géorgienne volontairement limitée à l’Ossétie du Sud, décidée en se fondant sur une passivité ou une connivence de la Russie. L’ancien Ministre de la Défense de Géorgie Irakli Okrouachvili, qui fut en poste de 2004 à 2006 et qui s’est enfuit de son pays à la suite d’un conflit avec le Président Saakashvili, a révélé publiquement qu’un plan de contrôle militaire de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie avait été préparé en 2005 par les autorités géorgiennes[18]. La date de rédaction de ce plan correspond à la montée en puissance de l’aide américaine. Cependant, ce plan n’avait pas retenu à l’époque le soutien des autorités américaines qui, selon l’ancien Ministre de la Défense, avaient alors explicitement déconseillé aux autorités géorgiennes une aventure militaire.

Le plan géorgien de 2008 n’était pas la simple reprise de 2005 et, d’après ce que l’on peut savoir au début de septembre 2008, aurait alors reposé sur une série d’hypothèses. Supposant que les troupes russes de la 58e Armée ont reçu des permissions massives (ce qui est logique à la fin des grandes manœuvres et de plus quand elles correspondent au début des vacances), les dirigeants géorgiens tablent sur la lenteur de la réaction russe (aggravée par le fait que Vladimir Poutine sera à Beijing pour les Jeux Olympiques et due Dmitry Medvedev est en vacances à Sotchi) et non sur la passivité de la Russie. Ils estiment qu’il faudra au moins 3 jours à la 58e Armée pour commencer à réagir et sans doute 5 ou 6 pour qu’elle se déploie en Ossétie du Sud. Ils s’estiment alors capables d’occuper la majorité du territoire de l’Ossétie du Sud et de provoquer un tel flot de réfugiés vers le Nord que le tunnel de Roki en serait bloqué. La destruction du tunnel, ainsi que celle des ponts situés sur la route allant vers Java a aussi pu être planifiée pour tenter d’isoler l’Ossétie du Sud de renforts russes. Le déploiement des forces russes pourrait ainsi être considérablement retardé, ce qui permettrait aux autorités géorgiennes de mobiliser leurs soutiens politiques internationaux pour faire valider la nouvelle situation de fait et présenter une tardive réaction russe comme une « invasion » délibérée. Pour réussir, un tel scénario implique d’une part que les troupes géorgiennes puissent conquérir très vite Tskhinvali et les environs (d’où la nécessité de déployer des moyens considérables à l’échelle du pays et d’agir de manière très brutale) et d’autre part que la population Ossète soit prise de panique. Il faut donc délibérément provoquer de fortes pertes civiles afin d’induire le flot de réfugiés qui doit rendre le tunnel de Roki impraticable ou détruire ce dernier ainsi que la route qui descend vers Java.

Ce plan cependant est très fragile, et repose sur une succession de « si ». Que l’un vienne à manquer et le plan général s’effondre. L’analyse fournie dans la Jane’s Defence Weekly souligne les erreurs stratégiques commises par les Géorgiens.[19] Si les troupes russes sont plus réactives que ce que les Géorgiens ont prévu, et si l’avance dans Tskhinvali est plus longue que prévue, ou si le tunnel de Roki et la route de Java ne sont pas bloqués, alors les troupes géorgiennes sont prises « la main dans le sac ». Le nombre d’impondérables était très élevé.

On peut penser que le jeu politique interne en Géorgie, le choc des ambitions et des combinaisons politiques, ait conduit à une prise de risque bien excessive de la part des autorités géorgiennes. C’est ici que la confiance placée par le Président Saakashvili dans les forces spéciales géorgiennes entraînées par l’Armée Américaine a pu jouer. Saakashvili et les responsables militaires Géorgiens ont pu croire qu’ils pourraient effectivement isoler l’Ossétie du Sud en détruisant les voies d’accès depuis la Russie. Une prise de risque inconsidérée est ainsi probable et d’autant plus que la chaîne de commandement est fragmentée. Après tout, les dirigeants géorgiens ne seraient pas les premiers à avoir déclenché une guerre sur la base d’une évaluation stratégique erronée…On doit ajouter que les perfusions massives d’équipements et d’argent qui ont été consenties par les Etats-Unis au profit des forces armées et de sécurité de la Géorgie ne pouvaient que créer un sentiment de puissance très illusoire.

Il faut noter que Saakashvili a déclaré le 7 août a la télévision Géorgienne son intention de « mettre fin aux régimes criminels d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie »[20]. Cette déclaration est significative car elle indique la volonté du Président Géorgien de présenter son action comme globale et non comme une simple réaction à la multiplication d’incidents que l’on connaissait depuis le 1er août.

La déclaration du 7 août est irresponsable et incompréhensible si l’on se place du point de vue d’une opération limitée réalisée avec l’assentiment des autorités russes. Elle devient plus logique si l’on considère que Saakashvili est engagé dans une spirale de la surenchère pour des raisons de politique intérieure. La déclaration de Saakashvili, il faut le signaler, est postérieure à une déclaration officielle datant du 5 août, réaffirmant la volonté des autorités russes de garantir et défendre l’Ossétie du Sud[21]. Elle est aussi postérieure à des déclarations du même Saakashvili faites entre le 1er et le 4 août et où le Président géorgien appelle à mettre fin à la « guerre des snipers ». Saakashvili a visiblement changé radicalement de position entre le 4 et le 7 août, ce qui conforte l’hypothèse d’une décision d’attaque prise dans le cadre d’une logique de surenchère politique se développant au sein du gouvernement géorgien.

Il faut donc souligner que si le plan géorgien est bien celui que l’on vient d’indiquer et qui correspond a différents éléments d’information qui ont pu être recueillis entre fin août et début septembre 2008, alors nous retrouvons une cohérence aux actions militaires géorgiennes des 36 premières heures des combats. Ceci est vrai y compris pour l’attaque délibérée sur les troupes russes en position d’observateur, ainsi que le meurtrier bombardement de Tskhinvali et de ses environs, qui ne sont pas compréhensibles autrement.

 7. La responsabilité américaine.

Cependant, l’hypothèse présentée ci-dessus, si elle est cohérente avec l’état sociologique et politique de l’armée géorgienne soulève d’autres problèmes, et en particulier celui de l’attitude des États-Unis. Compte tenu de la présence des conseillers militaires intégrés dans les unités géorgiennes, Washington ne peut pas ignorer ce qui se prépare. D’ailleurs, la mission militaire israélienne (qui entraîne les Géorgiens à l’usage des drones) va se retirer le 6 août. Pourtant, les autorités américaines n’interviennent à aucun moment pour calmer le jeu, alors qu’elles disposent des rapports montrant l’état de disponibilité des forces russes (rapports envoyés par les observateurs qui ont assisté aux manœuvres Kavkaz-2 déjà évoquées) et qu’elles ne peuvent ignorer que les forces géorgiennes n’ont aucune chance face à la 58e Armée. En 2005, si nous en croyons l’ancien Ministre de la Défense de la Géorgie, les Etats-Unis s’étaient explicitement opposés à l’option militaire. Ceci prouve qu’ils en avaient les moyens, et ce à un moment où leur influence à Tbilissi était bien plus faible qu’elle ne l’était en 2008. Cet événement ne rend que plus surprenant le fait qu’une mise en garde analogue n’ait pas été formulée au début août 2008.

À défaut d’une mise en garde, les autorités américaines auraient pu et du retirer leurs conseillers militaires, intégrées au sein des unités géorgiennes. Elles n’en font rien, prenant ainsi la responsabilité que des officiers américains soient directement impliqués dans plusieurs violations du Droit International et dans des crimes de guerre et passent du statut d’instructeurs à celui de conseillers. Elles prennent aussi la responsabilité d’une situation telle que ces officiers puissent être fait prisonniers par les forces russes. De fait, il y a eu à la connaissance de l’auteur deux occasions où, le dimanche 10 août, des troupes russes ont été à deux doigts de capturer des officiers américains. Ils semblent que les officiers russes ont volontairement laissé partir l’unité géorgienne encerclée pour ne pas à avoir à gérer un problème politique quelque peu délicat…

Il faut ici ajouter que les 117 officiers américains présents dans les forces géorgiennes ne sont pas les seuls ressortissants étatsuniens présents sur le terrain. Les précédents en Irak et en Afghanistan montrent que les missions de formation et d’entraînement qui sont mises en place par les forces armées américaines impliquent très souvent la présence de sociétés privées (les « contractors ») auxquelles une partie du travail est sous-traité. La présence d’employés de ces sociétés au sein des unités géorgiennes est très probable. Les autorités russes ont fait mention de « mercenaires » qui auraient été blessés et capturés lors des combats du 9 août à Tskhinvali[22]. Ce point n’a plus refait surface depuis en raison des problèmes juridiques qu’il soulève. En effets, des ressortissants étatsuniens ou de tout autre pays employés par des sociétés de sécurité privées et combattant au sein des unités géorgiennes, même si ces dernières ont un contrat en bonne et due forme avec l’US Army ou les autorités géorgiennes, sont techniquement des mercenaires et pourraient être traités comme tels par les autorités russes. Si des ressortissants américains sont bien tombés entre les mains des forces russes, on peut parier qu’ils ont été discrètement expulsés dès que leur état de santé l’a rendu possible.

Quoi qu’il en soit, le comportement de Washington est ici hautement irresponsable et la responsabilité des Etats-Unis dans le déclenchement de la crise engagé, au moins de manière indirecte. Vladimir Poutine a affirmé que le gouvernement américain aurait commandité l’attaque géorgienne pour favoriser l’élection de McCain. Honnêtement ceci semble à première vue peu crédible ; mais, force est de constater qu’il y a des points troublants dans l’attitude américaine. Il y a ici trop de zones d’ombre pour que l’on puisse balayer du revers de la main la pire des hypothèses, soit celle d’une manipulation délibérée des autorités géorgiennes par les Etats-Unis. A-t-on donc voulu tendre un piège aux Russes en espérant capitaliser sur la réaction anti-russe de certains pays pour faire avancer des dossiers comme celui de l’élargissement de l’OTAN ou le bouclier anti-missiles, voire effectivement pour relancer la candidature McCain ? Est-ce une simple suite d’incompétences dans l’administration US ? Officiellement, les autorités américaines ont nié une dégradation de la situation sur le terrain jusqu’au 7 août alors que la représentation militaire israélienne a commencé à réagir dès le 3 août. À l’heure actuelle, les deux hypothèses évoquées, celle impliquant la manipulation et celle impliquant une suite calamiteuse de catastrophiques erreurs de jugement, sont plausibles. Ce qui n’est pas plausible est la thèse d’une administration américaine qui n’aurait pas été au courant de ce qui se tramait. La réaction israélienne le montre.

 8. La position russe.

Il reste à évaluer ce que fut la position russe. Les avertissements à la Géorgie avaient été clairs fin juillet et début août. Dès la fin juin, les troupes de construction russes avaient achevé la remise en état de la ligne ferroviaire côtière reliant l’Abkhazie à la Russie, et permettant ainsi le déploiement rapide de matériel lourd russe en Abkhazie. Des manœuvres amphibies avaient été conduites par la marine russe de Mer Noire. La Russie avait donc donné des signes manifestes de son inquiétude quant à une possible dégradation de la situation soit en Abkhazie soit, fin juillet, en Ossétie du Sud. À la suite d’un incident survenu le 1er août et où 6 miliciens Ossètes avaient été tués, les autorités russes en Ossétie du Nord-Alanie ont commencé à préparer des convois d’aide humanitaire. À partir du 5 août des civils (essentiellement des enfants) ont été évacués des villages situés sur la ligne de cessez-le-feu. Enfin, le 6 août, un appel de plusieurs personnalités d’Ossétie du Sud indiquant la menace immédiate d’une attaque géorgienne a été publié dans des journaux russes.

Pour autant, on peut s’interroger sur le degré de surprise de la chaîne de commandement russe. La 58e Armée avait été maintenue dans un haut état d’alerte et de réactivité, et les permissions n’ont semble-t-il été octroyées qu’au compte-goutte à la fin des manœuvres Kavkaz-2. Elle semble avoir été mise en état d’alerte au 4 août 2008, ce qui explique la rapidité de sa réaction après l’attaque géorgienne. Ceci indique que les autorités russes suspectaient quelque chose, mais pas nécessairement le 7 août. Le fait est que Vladimir Poutine s’envole pour Beijing, afin d’assister à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, tandis que Dmitry Medvedev a rejoint la « datcha » présidentielle à Sotchi. On notera la ressemblance avec le coup d’Etat en Ukraine, qui se déroule, lui aussi, en plein Jeux Olympiques, et à un moment où l’on peut penser que les dirigeants russes ne seront pas psychologiquement réactifs. On remarque cependant que les deux dirigeants ont évité de se trouver simultanément hors de Russie. Par ailleurs la représentation locale de l’OSCE en Géorgie, si elle indiquait une montée des tensions, n’indiquait pas la possibilité d’un conflit armé à la date du 7 août[23].

Cependant, on a des indications quant au fait que les responsables russes soupçonnent à partir du 4 août la Géorgie de se préparer à une action militaire dans de brefs délais. Le renforcement des observateurs russes en Ossétie du Sud a été évoqué. Il répond à la multiplication des incidents et à la prise en compte d’une dangereuse montée des tensions, comme l’explosion d’une bombe en secteur géorgien ou des tirs de snipers venant de villages géorgiens et tuant plusieurs miliciens Ossètes, et déclenchant des tirs de représailles[24]. Moins noté est le fait, signalé par la presse russe le 6 août, que des « volontaires » d’Ossétie du Nord serait en train de se rendre en Ossétie du Sud. Il y a eu un mouvement de « troupes irrégulières » vers le sud dans la journée du 6. Ce mouvement n’a pas du dépasser le millier d’hommes. Cependant, ce mouvement a certainement masqué un autre déplacement. Il s’agit d’un groupe de 600 à 800 hommes (rien à voir avec les affabulations d’un BHL ou du gouvernement Géorgien sur plus d’une centaine de blindés), ce qui correspond probablement à un bataillon des forces spéciales de l’Armée Russe (ceux que l’on appelle les « SpetNaz » et techniquement, il s’agit probablement de « reydoviki »)[25].

Ces hommes étaient destinés à sécuriser le tunnel de Roki ainsi que les ponts au nord de Java et à renforcer les défenses de Tskhinvali. Ils seront engagés dans la bataille de Tskhinvali le 8 et le 9 août et c’est eux qui causeront les pertes les plus importantes aux unités blindées et mécanisées Géorgiennes tentant de prendre la ville. L’armée géorgienne disposait de 129 chars (67 T-62 et 62 T-54 et 55) ainsi que 213 véhicules blindés d’infanterie (des BMP et des BTR). Les documents disponibles montrent que les troupes russes ont détruit environ 60 chars à Tskhinvali et ses alentours immédiats et qu’elles ont capturé intact une centaine de blindés (essentiellement des BMP-1) quand les forces géorgiennes se sont débandées à partir du dimanche après-midi[26]. Certains clichés de chars géorgiens détruits dans Tskhinvali même témoignent de l’emploi d’un armement puissant (missile anti-chars)[27]. Ils vont aussi canaliser le flot des réfugiés Ossètes et assurer que la route descendant du tunnel de Roki est bien libre le 8 et le 9 pour permettre aux forces russes de venir au secours des Ossètes.

Ceci montre que la possibilité d‘une agression géorgienne a bien été prise en compte par les autorités russes, qui ont pris les mesures nécessaires pour pouvoir réagir de manière efficace le cas échéant. Cependant, les autorités russes semblent avoir été surprises par la violence de l’attaque initiale et par les fait que les observateurs russes, présents sous mandat ONU, aient été délibérément la cible des tirs géorgiens. On peut penser que les autorités russes, à partir du 5 août considèrent probable une attaque géorgienne, mais estiment que celle-ci sera limitée à la conquête de quelques crêtes et de collines, en réponse aux incidents que l’on a eu sur la ligne de cessez-le-feu. Les mesures prises par le commandement russe et les autorités d’Ossétie du Sud entre le 5 et l’après-midi du 7 août vont dans le sens de précautions face à de possibles dérapages, voire à une reprise des combats sur la ligne de cessez-le-feu, mais à un niveau de violence comparable à celui des combats de 2004. Ce n’est qu’à partir de l’après-midi du 7 août que le commandement russe semble prendre conscience que l’attaque géorgienne pourrait être plus ambitieuse. Les diplomates russes ont tenté, sans succès, de joindre le Président Géorgien dans la soirée du 7 août pour tenter d’éviter un embrasement généralisé. Selon la partie russe, le Président Géorgien serait resté injoignable durant les heures critiques allant de 19h00 le 7 août à 04h50 le 8 août[28]. Les autorités russes n’ont donc pas été surprises au sens stratégique du terme, car on voit qu’elles avaient mis en place toutes les dispositions nécessaires à la gestion d’une crise sérieuse. Elles ont cependant été surprises au sens tactique du terme par le degré de violence des Géorgiens. Celui-ci a déterminé en retour le degré de violence de la réponse russe, comme le montre la réaction de Vladimir Poutine, alors à Beijing, dans les heures qui suivent[29].

La réaction russe, dans sa totalité, correspond cependant au scénario des manœuvres Kavkaz-2, y compris l’opération amphibie vers Poti, qui avait été testée lors de manœuvres navales de la fin juin 2008. On est alors ramené à la question déjà posée : ces différentes manœuvres ayant été accompagnée d’observateurs étrangers et en particuliers des pays de l’OTAN on comprend mal que les autorités géorgiennes n’aient pas été averties des risques qu’elles prenaient et on comprend tout aussi mal la « surprise » des pays occidentaux face à une réaction russe qui était entièrement prévisible en cas d’attaque géorgienne sur l’Ossétie du Sud ou l’Abkhazie.

Si « piège » il y eut, il ne vint pas de Moscou.

 Notes

[1] Bernard Dréano, « Le piège ossète » in Mouvementshttp://www.mouvements.info/spip.php?article314

[2] Bernard Henri-Lévy, « Choses vues dans la Géorgie en guerre », in Le Monde, 19 août 2008, http://www.lemonde.fr/europe/article/2008/08/19/choses-vues-dans-la-georgie-en-guerre-par-bernard-henri-levy_1085547_3214.html

[3] http://embassy.mfa.gov.ge/index.php?lang_id=ENG&sec_id=461&info . Voir aussi la déclaration du Président Saakashvili dans le Financial Times, « Russia deployed tanks before Georgia attacked », http://www.ft.com/cms/s/O/25ec7414-723c-11dda44a-0000779fdl8c.html

[4] AFP, 7 août 2008, http://afp.google.com/article/ALeqM5gi_jyRnqBYekXz2MyszBj6k_ZMtw

[5] Voir en particulier celle qui a été faite sur le site Rue89 : http://www.rue89.com/2008/08/22/bhl-na-pas-vu-toutes-ses-choses-vues-en-georgie

[6] Ou 123 pour d’autres sources. Ce chiffre n’inclut pas des civils de nationalité étatsunienne travaillant dans des sociétés de sécurité sous contrat des autorités américaines pour l’entraînement des troupes géorgiennes.

[7] Il existe en effet une lucrative activité de contrebande des hydrocarbures entre l’Ossétie du Sud et la Géorgie qui est source de nombreux règlements de compte.

[8] BBC « Russia vows to defend S. Ossetia », BBC News, 5 août 2008, http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/7543099.stm

La déclaration de Y. Popov est traduite in BBC Monitoring, voir « Talking through gritted teeth », Transitions on line, n°281, Section 1, Article 19821, 6 août 2008.

[9] Mais BHL dans son article dans Le Monde fait bien dire au Président géorgien « 150 chars pointés sur nos villes »…

[10] Mme Rice, qui attribue la décision géorgienne à une réponse à des violations du cessez-le-feu, a reconnu l’attaque géorgienne dans une déclaration faite le 18 septembre 2008 et que l’on peut consulter sur le site du Département d’État. Voir : Secretary Rice Addresses U.S.-Russia Relations At The German Marshall Fund , http://www.state.gov/secretary/rm/2008/09/109954.htm

[11] Voir l’article de la rédaction de Der Spiegel du 25 août 2008 qui confirme cette information,

« The Chronicle of a Caucasian Tragedy, Part 3 : a disastrous décision », consultable sur http://www.spiegel.de/international/world/0,1518,574812-3,00.html

[12] AFP, le 30 août 2008, via Le Figaro, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2008/08/30/01011-20080830FILWWW00465-l-osce-met-en-cause-la-georgie.php

Le texte du Spiegel donnant l’information peut être consulté à : http://www.spiegel.de/politik/ausland/0,1518,575396,00.html

L’OSCE a par la suite démenti avoir transmis ces informations « par source diplomatique », mais n’a pas contesté la véracité des faits. Cette combinaison de révélation et de démenti de forme est assez classique dans une organisation comme l’OSCE. Elle indique que les militaires européens détachés auprès de l’OSCE et déployés sur le terrain ont organisé des « fuites » afin de rendre publiques des informations que leurs gouvernements souhaitent ne pas voir diffusées. L’auteur de ce texte en a eu confirmation par des membres de la mission d’observation en Géorgie. Des fuites de ce type ont déjà été pratiquées dans d’autres cas, du Kosovo au Nagorno-Karabagh.

[13] Les observateurs de l’OSCE ont d’ailleurs officiellement démenti l’entrée de troupes mécanisées russes avant le 7 août.

[14] L’Ukraine a livré à la Géorgie la vedette lance-missiles Tbilissi et près de 80 chars T-72 entre 1999 et 2002.

[15] Au 7 août 2008, l’Armée Géorgienne avait déployé 2000 hommes en Irak, sous commandement américain.

[16] Le chiffre de 3 milliards est celui avancé par plusieurs experts occidentaux impliqués dans les programmes d’assistance militaire à la Géorgie. Des experts russes et géorgiens avancent un chiffre de 5 milliards de Dollars, qui semble peu crédible. Une excellente discussion des dimensions économiques de l’effort de guerre géorgien a été faite par L. Grigoriev et M. Salikhov dans Vremja Novostej, 22 août 2008. Ces deux experts de l’Institut de l’Energie et des Finances considèrent eux aussi que le chiffre de 5 milliards est exagéré.

[17] Ces pratiques sont connues et étudiées dans le cas des immigrés Tadjiques, Ouzbèques et Moldaves en Russie. On dispose d’éléments équivalents pour des migrants originaires du Maghreb (essentiellement de l’Algérie et du Maroc).

[18] Dépèche Reuters via Le Nouvel Observateur, « Le Président Saakashvili préparait son offensive dès 2005 », 15 septembre 2008, 16h11. Okrouachvili a obtenu en 2007 le statut de réfugié politique en France. http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/europe/20080914.OBS1245/le_president_saakachvili_preparait_son_offensive_des_20.html

[19] Richard Giragossian, “Georgian planning flaws led to campaign failure”, JDW, 15 août 2008.

[20] Je cite depuis le compte rendu de la BBC du 8 août 2008. http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/7546639.stm

[21] BBC « Russia vows to defend S. Ossetia », BBC News, 5 août 2008, op.cit.. http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/7543099.stm

[22] « B Gospitali Vladikavkaza Postupili Inostrannye Naemniki », [Des mercenaires étrangers admis dans les hôpitaux de Vladikavkaz] Lenta.Ru, 11 août 2008, consultable à : http://lenta.ru/news/2008/08/11/merc/

[23] Der Spiegel, « The Chronicle of a Caucasian Tragedy, Part 3 : a disastrous décision », article cité.

[24] L’arme qui tue les 6 miliciens Ossètes, compte tenu de la distance de tir, est presque certainement un fusil américain Mac Millan de 12,7-mm.

[25] Ce fait n’est pas, à la date du 29 septembre 2008, reconnu par les forces russes. Il correspond à une déduction de l’auteur à partir d’éléments documentaires en particulier visuels.

[26] Les chars géorgiens sont des modèles anciens, qui ne sont plus en service dans les forces russes. Il est ainsi assez facile de distinguer sur les photographies si le véhicule pouvait appartenir aux forces géorgiennes ou russes.

[27] Parmi les clichés que l’auteur a pu visionner on voit deux chars T-62 victimes d’une explosion à l’intérieur de la caisse si violent que la tourelle a été projetée à plus de 10 m du véhicule.

[28] Communication faite à l’auteur par un responsable du MID de Russie. Ceci correspond à la version russe. La partie géorgienne n’a ni confirmé ni infirmé cette information.

[29] AFP, 8 août 2008, « Putin vows retaliation for Georgian action in South Ossetia », http://www.afp.com/english/news/stories/newsmlmmd.9a925eb591bfe404730dee97a82c07ed861.htm

 Source : Russeurope, Jacques Sapir, 8-08-2015

Source: http://www.les-crises.fr/la-guerre-dossetie-de-2008-une-victoire-russe-iii-par-jacques-sapir/