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De quoi Charlie est-il le nom ?, par Faysal Riad

Saturday 7 February 2015 at 01:22

Par Faysal Riad

Retour sur un slogan, une caricature et une antonomase

Les tenants du slogan « Je suis Charlie » affirment qu’il s’agit simplement d’un « Oui à la liberté d’expression, non au terrorisme ». Un truc très légitime en somme. Si ce n’était que ça, je l’approuverais, je le crierais sans problème. Mais voilà, pourquoi exprimer de tels principes par ces mots ?

Premier problème : ce slogan occulte les autres morts de ces derniers jours (qui n’étaient pas tous engagés dans les combats de Charlie hebdo) dont les familles, pour certains, ne tiennent peut-être pas à être incorporés au mouvement tel qu’il s’est constitué. D’eux, tout le monde semble se taper.

Deuxième problème : même s’ils ne méritaient évidemment pas de mourir, et que ces morts sont déplorables et choquantes, certains des journalistes et caricaturistes de Charlie [avaient tendance à faire preuve d'islamophobie]. Pas seulement irréligieux, anticléricaux et amateurs de blasphème. Cela, que nous l’aimions ou le détestions, c’était leur droit. Droit qui a été violemment et tragiquement nié par des malades, mais qu’aujourd’hui, dans le débat public, évidemment et heureusement, personne ne remet en cause sérieusement [1].

Puisque [ils avaient tendance à faire preuve d'islamophobie], il n’est pas anodin, aujourd’hui, de choisir pour défendre la liberté d’expression, d’honorer la mémoire de ce journal-là : ce serait choisir, pour critiquer la peine de mort par exemple, non pas seulement de mettre en cause la manière honteuse dont on a exécuté un Pierre Laval, mais d’aller jusqu’à honorer sa mémoire en poussant tous les opposants à la peine de mort à assumer un « Je suis Laval » qui, espère-t-on, les répugnerait.

Je suis opposé à la peine de mort mais je ne pourrais jamais écrire « Je suis Laval ». Je suis pour la liberté d’expression et contre le meurtre mais je ne pourrais jamais écrire « Je suis Charlie ».

Antonomase

[L’antonomase consiste à employer un nom propre pour signifier un nom commun - ex : Un don Juan ou... un Charlie]

Moi aussi je suis un Charlie

Un dessin a retenu mon attention : celui qu’Uderzo a fait pour rendre hommage à Charlie. Tout le monde a remarqué les fameuses babouches du terroriste qu’Asterix cogne virilement. Des babouches, alors que les terroristes français portent plus souvent des Nike Air, validant l’idée, qu’on retrouvait fréquemment dans les dessins publiés dans Charlie, par la synecdoque évidente babouches = arabe, que terroriste = arabe, et que donc, tous ces gens qui défilent pour Charlie aux côtés de politiciens colonialistes officiellement anti-arabes (pour certains clairement opposés à la liberté d’expression et réprimant durement les journalistes), le font directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, contre les Arabes, considérés entièrement comme des terroristes potentiels. Ou du moins le font-ils malgré cela.

De nombreuses images le corroborent, dont celles de l’enfant qui avoue, avant de se corriger, qu’elle est venue là pour manifester contre « les Ar… les terroristes ». Pourquoi s’en étonner ? Qu’est-ce qui pourrait aujourd’hui autant mobiliser ? Quelle est la passion française actuellement ? Quel est l’ouvrage qui a eu le plus de succès récemment ? Que raconte l’essayiste le plus populaire de France ? Et que raconte le romancier le plus médiatisé de la France actuelle ? Et que raconte le plus célèbre et le plus récent des recrutés à l’Académie française ?

Mais ce qui a le plus retenu mon attention dans le dessin d’Uderzo, que je vois comme une sorte d’image grossie de l’inconscient des Charlie, qui à nous arabes non-vendus au PS et aux partis de gouvernement, saute aux yeux, et fait que même lorsque nous défendons la liberté d’expression et sommes horrifiés par les attentats, nous ne pouvons accepter l’hommage rendu à des gens que nous sommes désolés de voir assassinés, mais dont nous ne pouvons pas non plus oublier les injures, c’est ce qu’on appelle en rhétorique l’antonomase.

Antonomase : figure de style dans laquelle un nom propre est utilisé comme nom commun.

Car Uderzo ne fait pas dire à Asterix « Moi aussi je suis Charlie », mais « Moi aussi je suis un Charlie ».

Un Charlie ?

Mais qu’est-ce donc qu’un Charlie ?

Pourquoi un substantif ?

Comment ne pas entendre, dans cette formulation quelque peu bizarre, comme si quelque chose devait absolument sortir, surtout dans ce cas où l’on voit clairement le héros gaulois cogner ce qui apparaît dans l’image comme étant simplement « un porteur de babouches », l’antonomase classique, « un Charlie » contre « un Rachid », ou « un Mohammed » ?

Dès lors le « Je suis un Charlie » signifie bien « Je suis un Français », un « blanc » plutôt. Oui : « je suis un blanc », ce qui n’a rien de honteux en soi naturellement, mais quand c’est un blanc cognant joyeusement sur un porteur de babouches, assimilé implicitement à un envahisseur (par analogie avec les habituelles sandales romaines que viennent ici remplacer les babouches), alors « Je suis un Charlie » signifie : « je suis blanc et j’emmerde les bougnoules ».

Notes

[1] Surtout lorsqu’on voit tous ces Français mobilisés aux côtés de leur président, des autres présidents du monde et des CRS.

Source : Les Mots Sont Importants, 13/01/2015

Source: http://www.les-crises.fr/de-quoi-charlie-est-il-le-nom-par-faysal-riad/


L’Otan va se renforcer à l’Est

Friday 6 February 2015 at 06:00

On a drôlement bien fait d’élargir l’OTAN à l’Est quand même…

Mais bon, ils veulent la guerre, ils l’auront…

L’Otan va décider jeudi de renforcer sa présence sur son flanc Est en approuvant la création d’une nouvelle force de 5 000 hommes et de six “centres de commandement”, en réponse à “l’agression” de la Russie en Ukraine, a indiqué le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg.

“Nous avons d’importantes décisions à prendre. Des décisions relatives à la manière dont nous pouvons renforcer notre défense collective”, a déclaré Jens Stoltenberg en arrivant à une réunion des ministres de la Défense des pays membres de l’Otan à Bruxelles.

Lors de leur sommet au Pays de Galles en septembre, les chefs d’Etat et de gouvernement avaient décidé de muscler leurs moyens de défense après l’annexion de la Crimée par la Russie, suivie par son intervention dans l’est de l’Ukraine.

La réunion des ministres de la Défense jeudi vise à concrétiser cet engagement. ”C’est une réponse aux actions agressives de la Russie, qui a violé la loi internationale et annexé la Crimée”, a souligné Jens Stoltenberg. ”Nous allons décider de la taille et de la composition de la nouvelle force, dite ‘fer de lance’ (spearhead en anglais), et nous assurer qu’elle pourra être déployée en quelques jours”, a-t-il expliqué. Elle devrait être composée de “5 000 hommes” lorsqu’elle sera déclarée opérationnelle en 2016.

Les ministres devraient également approuver la création de “six centres de commandements” en Europe orientale, où l’inquiétude vis-à-vis de Moscou est réelle. Ils devraient voir le jour dans les trois pays baltes, en Pologne, en Roumanie et en Bulgarie.

Source : le Figaro, 5/2/2015

Source: http://www.les-crises.fr/l-otan-va-se-renforcer-a-lest/


Le scandale des nouveaux droits de vote à la BCE

Friday 6 February 2015 at 05:40

Je n’ai pas fait de billet pour l’arrivée le 1er janvier de la Lituanie en tant que 19e victime de l’euro.

J’avais cependant omis une conséquence importante : au vu des traités, il y a désormais trop de membres (sic.) pour chacun ait un droit de vote à chaque fois.

On a donc mis en place une rotation des votes, qui fonctionne ainsi, selon la FAQ du site de la BCE :

Pourquoi une rotation des droits de vote est-elle nécessaire ?

Ce système permettra au Conseil des gouverneurs de conserver sa capacité décisionnelle malgré l’augmentation progressive du nombre de pays participant à la zone euro, et donc du nombre de membres du Conseil des gouverneurs. Conformément aux traités de l’Union européenne, le système de rotation doit être mis en œuvre dès que le nombre de gouverneurs dépasse dix-huit, ce qui s’est produit le 1er janvier 2015 avec l’adhésion de la Lituanie à la zone euro.

Quels sont, chaque mois, les gouverneurs disposant d’un droit de vote et ceux ne votant pas ?

Les pays de la zone euro sont répartis en plusieurs groupes en fonction de la taille de leur économie et de leur secteur financier. Un classement sera établi pour déterminer à quel groupe chaque gouverneur de banque centrale nationale appartient. Les gouverneurs des pays classés de un à cinq (actuellement l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas) se partagent quatre droits de vote. Les autres pays (quatorze après l’adhésion de la Lituanie le 1er janvier 2015) disposent de onze droits de vote. Les gouverneurs votent à tour de rôle selon une rotation mensuelle.

Avant le 1er janvier 2015, le principe « un membre, une voix » était en vigueur. Avec le système de rotation, il y a trois catégories de membres du Conseil des gouverneurs. Cela a-t-il une incidence sur les débats entre les membres du Conseil et sur la prise de décisions ?

L’ensemble des membres du Conseil des gouverneurs assistent à ses réunions et peuvent s’exprimer. Les délibérations se déroulent donc selon des modalités inchangées. Dans la mesure où le Conseil des gouverneurs adopte la plupart de ses décisions par consensus, dans un esprit de coopération, le processus de décision n’a pas non plus été modifié. Bien évidemment, le principe « un membre, une voix » s’applique à ceux disposant du droit de vote à ce moment-là.

Les membres du directoire conservent-ils un droit de vote permanent ?

Oui, les membres du directoire de la BCE disposent d’un droit de vote permanent.

J’adore ce gros complexe :

Peut-on comparer le nouveau système régissant les droits de vote avec le système en place, par exemple, au sein de la Réserve fédérale américaine ?

Le Comité fédéral de l’open market (Federal Open Market Committee, FOMC) de la Réserve fédérale utilise un système très proche de celui de la BCE. Le FOMC compte douze membres disposant du droit de vote, dont sept font partie du Board of Governors et ont un droit de vote permanent, comme les membres du directoire de la BCE au sein du Conseil des gouverneurs. Le président de la Banque fédérale de réserve de New York vote systématiquement, les présidents des Banques de Chicago et Cleveland une année sur deux et les neuf présidents des autres Banques de réserve régionales votent une année sur trois. La rotation aux États-Unis s’opère annuellement, alors qu’elle se fera chaque mois au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE.

OUIIIIIIII ça y est, hmmm, on fait comme la FED !!!!

Bon, ils ont apparemment du mal à comprendre que le Michigan n’est pas aux USA la même choque que la Grèce dans l’UE, mais bon, à ce stade, on ne peut rien faire…

Notez que finalement, le groupe 1 des grands pays vote 4 fois sur 5 (soit 80 % du temps) et le second 11 fois sur 14, (soit 79 % du temps, mais ça baissera à la prochaine adhésion). au final, pas de grande différence, si ce n’est la répartition des non votes.

Voilà ce que ça donne (cliquez pour agrandir) :

Pas mal non ???

Allez, on zoome, rapport à la grosse décision d’hier qui a fermé les vannes à la Grèce :

L’histoire retiendra que si tous étaient là, la France l’Irlande et Chypre n’ont pas voté, pas plus que… la Grèce !

Et comme vous le voyez, dans le groupe 2, on ne vote pas 3 mois de suite !!!

(dire que j’étais déjà stupéfait que ce soit “1 pays 1 voix” avant, genre Chypre compte autant que l’Allemagne – tu m’étonnes que c’est promis à un bel avenir une gestion pareille entre États différents)

Et vous notez que l’Allemagne vote jusqu’en mai, le hasard fait bien les choses…

MAIS, pire que tout, on se retrouve avec 4 États privés de droit de vote chaque mois, MAIS, JAMAIS les membres du Directoire de la BCE ne le sont ! Dragui et Coeuré voteront tout le temps, eux !!!

Comme je dis déjà ?

Ah oui, ÉNORME !!!

Source: http://www.les-crises.fr/le-scandale-des-nouveaux-droits-de-vote-a-la-bce/


Alexis Tsipras se retrouve au pied du “mur de l’argent”, par Romaric Godin

Friday 6 February 2015 at 05:00

Excellent article du non moins excellent Romaric Godin de la Tribune (un vrai journaliste, lui…)

L’ultimatum de la Banque centrale européenne (BCE) remet la pression sur le gouvernement grec et consacre son rôle politique dans la crise grecque. Mais le jeu est très serré et très risqué, pour tous.

Le 21 juillet 1926 au matin, le président du Conseil français Edouard Herriot, qui vient de former un gouvernement, reçoit une lettre d’Emile Moreau, gouverneur de la Banque de France qui est alors une institution privée et indépendante. Cette lettre enjoint au président du conseil de réclamer un vote explicite du parlement pour augmenter le plafond des avances accordées par la Banque au gouvernement. Faute de quoi, la Banque cessera immédiatement ses paiements pour le compte du Trésor. La France sera alors immédiatement en faillite.

Aussitôt connue, cette lettre provoque un vent de panique chez les épargnants qui, craignant un impôt forcé sur les dépôts, se ruent aux guichets. Le franc s’effondre, il faut 235 francs pour une livre sterling (contre 25 avant la guerre et 179 un mois avant). Tous savent combien la majorité du gouvernement est fragile. En fin de journée, Edouard Herriot se présente devant la Chambre et est renversé par 290 voix contre 237. Pour sortir de l’Assemblée, il doit attendre que la police disperse la foule hostile qui entoure le Palais Bourbon. Le Cartel des gauches, élu deux ans plus tôt, a péri définitivement sous les coups d’une simple lettre d’un gouverneur de la Banque de France. Quelques jours plus tard, Raymond Poincaré, l’idole des marchés, battu en 1924, revient aux affaires.

Un souvenir de 1926…

On ignore si Mario Draghi connaît cet épisode de l’histoire de France qui a donné naissance à une expression, le “mur de l’argent”. Mais les similitudes avec la situation de ce mois de février 2015 sont frappantes. Le « Cartel des gauches » avait en effet remporté – du moins en sièges sinon en voix – les élections de 1924 sur un programme qui n’est pas sans rappeler – toutes choses étant égales par ailleurs – celui d’Alexis Tsipras : rétablir l’équilibre budgétaire par l’application rigoureuse de l’impôt sur le revenu – voté en 1914 mais encore appliqué sans convictions – et renforcer les lois sociales, notamment sur le temps de travail, le respect du droit syndical et les assurances sociales.

D’emblée, ce programme déplut aux puissances économiques françaises et aux banques américaines qui font alors la pluie et le beau temps sur le marché des changes. A l’instar du programme de Syriza qui déplaît aujourd’hui aux marchés. Pendant deux ans, la pression exercée sur les gouvernements du Cartel va en réalité les empêcher d’agir réellement et aggraver les dissensions internes entre socialistes, radicaux et républicains modérés. Jusqu’à ce que, le 21 juillet 1926, la Banque centrale porte l’estocade pour le compte des milieux d’affaires par un simple ultimatum qui n’est pas sans rappeler celui du 4 février 2015.

La BCE, acteur politique

Comme en 1926, ce 4 février 2015, le mythe de l’indépendance de la BCE a volé en éclat. La BCE, en tant que seule vraie institution « fédérale » de la zone euro, se considère comme le garant d’un ordre économique qu’elle veut défendre, semble-t-il, à tout prix. Ceci est logique : la BCE est la seule force capable, via les banques grecques, d’exercer une véritable pression sur Athènes. Rappelons en effet que les traités ne prévoient rien qui ressemble à une expulsion d’un mauvais élève budgétaire de la zone euro, même en cas de défaut sur la dette.

En revanche, si la Grèce se retrouve dans l’impossibilité pratique de disposer d’assez de liquidités, elle devra de facto sortir. Le geste politique est d’autant plus éclatant que la BCE fonde sa décision de mercredi sur une simple interprétation, sur une croyance, celle qu’aucun « programme » n’est susceptible de voir le jour. A priori, une institution indépendante aurait dû attendre de constater un échec des négociations. La partie se joue donc au niveau politique entre Athènes et Francfort. Comme entre Matignon et la Banque en 1926.

De quel jeu parle-t-on ?

De quelle partie s’agit-il ? Il s’agit d’intimider le plus possible l’autre joueur pour le faire « craquer » et accepter de céder sur l’essentiel. La question centrale de ce jeu, c’est évidemment de savoir jusqu’où l’autre est prêt à aller. En réalité, le véritable enjeu qui n’est jamais évoqué directement par les parties prenantes, c’est le Grexit. Chacun fait le pari que l’autre ne le veut pas.

Là où la partie est un peu vicieuse, c’est que pour faire craquer l’autre, on avance vers le Grexit pour tenter de lui faire croire que l’on est prêt à tenter ce saut. D’où une stratégie de la tension permanente… Tout ceci se fait évidemment très diplomatiquement, jamais explicitement. La question reste de savoir si ce jeu de dupes peut mal tourner ou non.

Le coup grec et la réplique de la BCE

Ainsi, vendredi, la Grèce avait pris l’initiative en « tuant » la troïka. Elle mettait une pression certaine sur la BCE qui a conditionné le soutien à la Grèce à un accord avec la troïka. Dès lors, le choix pour Mario Draghi était soit d’accepter le fait accompli et d’engager des négociations, mais alors sur la base grecque et acceptant la mort d’une troïka dont elle fait partie, soit de répondre au coup de force par un autre coup de force, celui de menacer de couper les vivres à Athènes. C’est cette dernière voie qu’elle a emprunté. L’équilibre est donc rétabli.

Un jeu de bluff

Certes, si on y regarde de près, les deux joueurs, tout en durcissant leur jeu, laissent des portes ouvertes à un accord, à un « match nul » par accord mutuel, comme il en existe aux échecs. Athènes a ainsi fait des propositions lundi et la BCE n’a pas coupé le robinet puisqu’elle a maintenu jusqu’au 28 février l’accès du système financier grec au programme d’accès à la liquidité d’urgence (ELA). Mais si les ponts ne sont pas coupés, à chaque fois qu’un joueur tente un coup de bluff, on se rapproche d’une fin que ni l’un, ni l’autre ne souhaite officiellement : que la table soit renversée. La BCE menace désormais clairement Athènes d’un Grexit, comme Athènes a menacé d’un défaut unilatéral vendredi.

La situation grecque

Après la décision de la BCE, la balle est dans le camp d’Alexis Tsipras. La question est de savoir si, comme le disait le ministre des Finances Yanis Varoufakis, « le gouvernement Syriza ne se comportera pas comme le gouvernement irlandais en 2010. » Autrement dit, s’il cédera comme Dublin voici 4 ans ou comme Edouard Herriot en juillet 1926. Mais la situation du nouveau Premier ministre grec semble plus forte. Il vient d’être élu, 70 % des Grecs le soutiennent et il dispose d’une majorité parlementaire qui semble solide et unie sur la question européenne. Cette force lui donne des obligations : celle de ne pas faiblir. S’il le faisait, il perdrait la confiance d’une partie de son électorat et sans doute de son allié de droite et d’une partie de son propre parti. S’il cède trop, il pourrait certes s’allier avec les « pro-européens », mais il sanctionnerait alors sa conversion en nouveau George Papandréou et celle de Syriza en nouveau Pasok. Le parti communiste et les néo-nazis pourront se frotter les mains. Compte tenu de ses forces intérieures, Alexis Tsipras ne peut guère faiblir. Mais s’il joue le durcissement, le gouvernement grec devra désormais préparer concrètement les esprits au Grexit – sans en parler ouvertement pour ne pas couper les ponts – pour faire croire qu’il ne bluffe pas. Au risque de se laisser emmener plus loin qu’il ne voudrait…

La situation de la BCE

La BCE est-elle mieux lotie ? Pour le moment, oui. Mais à mesure que la date du 28 février s’approchera et le risque du Grexit se précisera, la pression deviendra de plus en plus forte sur Mario Draghi dont on voit mal comment il pourrait accepter la responsabilité d’une rupture de l’irréversibilité de l’euro. La position de force de la BCE n’est que temporaire. Et Athènes pourrait être tentée de jouer la montre pour réduire les exigences de Francfort qui, du coup, sortirait perdante de l’affaire, surtout si elle doit accepter une renégociation de la dette et une remise en cause de l’austérité. Mario Draghi devra aussi prendre garde à ne pas apparaître comme le bourreau de la démocratie, mais il ne pourra pas non plus donner l’impression d’avoir trop reculé après s’être montré ferme. La crédibilité de la BCE est en permanence sous l’œil des marchés.

Le jeu est donc plus équilibré qu’en 1926. Il est aussi plus confus. Les deux parties recherchent sans doute un compromis, mais à leur avantage. Et la marge de manœuvre des deux acteurs est fort limitée. Un « Happy End » n’est pas certain dans ce jeu grec.

Source : La Tribune, 5/2/2015

Source: http://www.les-crises.fr/alexis-tsipras-se-retrouve-au-pied-du-mur-de-largent/


[Reprise] L’enfance misérable des frères Kouachi

Friday 6 February 2015 at 03:54

Pas trop lu dans la presse…

Je rappelle que les-crises.fr condamne sans équivoque tout acte terroriste (des faibles ou des forts) et ne cherche en rien à excuser le terrorisme, mais simplement à en comprendre les sources réelles (qui ne sont pas que 3 sourates du Coran) pour mieux le combattre.

Rue d'Aubervilliers, Paris

Quelle était l’enfance de Chérif et Saïd Kouachi, les deux hommes qui ont assassiné les journalistes et les policiers à Charlie Hebdo ? Une enfance misérable, de père absent et de mère prostituée, dans un immeuble populaire du 19e arrondissement de Paris. Evelyne les a connus, elle témoigne. Un document exclusif de Reporterre.

Elle en rêvait, de son logement social. Elle pose donc meubles, enfants, mari, dans un F4 du 156 rue d’Aubervilliers, à Paris. Avec son CAP de comptabilité, Evelyne s’en va chaque matin travailler tout près de la cité, en plein 19e arrondissement. Nous sommes dans les années 1980. La mixité sociale n’est encore qu’une théorie, un concept.

« Ici, nous vivions entre pauvres. Et encore, la plupart des gens, une fois passées quelques années, partaient ailleurs. Le quartier craignait vraiment. Nous avons décidé de rester pour changer notre environnement nous-mêmes, nous les locataires du 156. Nous voulions sauver notre quartier. »

Un enfant comme les autres

Alors, Evelyne crée des associations. L’une d’elles, Jeunes et locataires, voit le jour dans les années 1990. Son but est de sortir les enfants, de leur faire découvrir autre chose « que le ghetto ». Son association est une des rares à traverser le temps, elle existe pendant plus de dix ans. Elle parvient à dégoter quelques subventions, alors elle prend la main des gamins du quartier et les emmène ailleurs. Un goûter dans un parc, une sortie dans un beau quartier de Paris, et même un jour : Eurodisney.

On la prévient, dans la bande des enfants, l’un est particulièrement coquin, voire turbulent. Il s’appelle Chérif. Il se balade toujours avec son grand frère Saïd, plus discret. À croire que le plus petit est l’aîné. Saïd pleurniche tout le temps, et suit toujours son cadet. Evelyne surveille le cadet « comme du lait sur le feu ».

« J’adorais cet enfant. Il suffisait qu’on le cajole, qu’on le prenne dans les bras pour qu’il se calme. Moi, je l’ai trouvé touchant, ébahi comme tous les autres par la bande à Mickey. » Un enfant comme les autres, qui croit en la magie de Disney, et qui se calme dès qu’on l’apaise. « On les emmenait au cinéma, Chérif adorait y aller. »

Rue d'Aubervilliers à Paris

Mère en détresse

Sa mère n’a pas d’argent pour payer la cantine, et elle n’est pas du genre à demander de l’aide. Evelyne qui aide tout le monde à faire ses papiers, ne l’a jamais vue dans son bureau. On ne sait rien du père, et peut-être même les enfants ont-ils des pères différents. Ils ont toujours vécu ici, nés en 1980 et 1982. Deux des cinq enfants ont déjà été placés ailleurs par les services sociaux, quand Evelyne suit Cherif et Saïd.

Quelques mois après la sortie à Eurodisney, Chérif rentre de l’école comme chaque midi. Accompagné comme toujours de son grand frère, il découvre ce midi-là, en plein milieu de l’appartement, sa maman morte. Morte de quoi ? Elle aurait avalé trop de médicaments. Pour beaucoup, il s’agit d’un suicide.

Finalement, tout le monde connaissait le quotidien de cette mère célibataire. Et les langues des habitants du quartier finissent par se délier. Elle ne parvenait plus à subvenir aux besoins de ses cinq enfants, elle avait fini par faire le trottoir pour arrondir les fins de mois. Elle serait morte, selon la gardienne qui était la seule qui lui parlait, enceinte d’un sixième enfant.

Les enfants sont orphelins, Saïd a douze ans, Chérif a dix ans. Ils quitteront le 156, pour passer leur adolescence, en Corrèze, dans un établissement de la Fondation Claude Pompidou.

“On aurait dû aider cette maman”

Evelyne l’a reconnu sur sa télé mercredi 7 janvier. « J’ai appelé mon gendre, qui lui aussi a grandi dans le quartier. Il m’a bien confirmé. J’ai pleuré. Je me suis dit que je suis responsable. J’aurais dû aider cette maman. On n’aurait jamais dû emmener les enfants à Eurodisney, avec cet argent-là, on aurait dû aider cette maman. Chérif avait une dizaine d’années, pas plus. Finalement, à n’avoir rien vu, nous avons tué cette mère et avons été incapables de sauver ses enfants. »

Evelyne est inconsolable devant sa télévision. « Chérif était un enfant comme les autres. Mais il n’aura pas reçu d’amour… Il a trouvé dans le fanatisme religieux, la famille qu’il n’a jamais eue. Ils ont su lui monter la tête. En même temps, c’est facile de s’en prendre à des gamins aussi isolés et fragiles. Personne n’était là pour le remettre dans le droit chemin. »

“S’il avait eu une enfance heureuse, serait-il devenu terroriste ?”

Evelyne tient pour responsable la politique de la Ville. « Le but était de parquer là les pauvres. Et personne ne s’en occupait. Les assistantes sociales démissionnaient une à une. Elles avaient trop de boulot par chez nous, elles préféraient se faire muter ailleurs. Alors chaque mois, on avait une nouvelle personne qui reprenait notre dossier, et au final, on n’avançait pas. »

Rue d'Aubervilliers, à Paris

Evelyne en veut aussi beaucoup au manque d’encadrement des enfants. « Il n’était pas rare que l’on voit des enfants de cinq-six ans traîner devant l’immeuble à minuit. Chérif lui, était comme abandonné. Je me souviens d’un jour durant lequel nous organisions un goûter. Nous n’avions pas de local, alors nous allions dans les caves. Je suis remontée chercher des gobelets, et là, j’ai vu un gardien demander à Chérif, qui était tout maigrelet, de se mettre à genoux pour demander pardon, parce qu’il avait fait une bêtise. Comme il n’avait pas de papa, et une maman absente, il était un peu le souffre-douleur. Enfin, je ne voudrais pas que vous pensiez que je le défends. Mais je veux dire, s’il avait eu une enfance heureuse, serait-il devenu un terroriste ? »

Elle raconte aussi, pour expliquer le contexte de désarroi, l’histoire d’un autre jeune, habitué de la brigade des mineurs, qu’elle faisait dormir chez elle, parce qu’il était battu par sa maman. Un jour, il fugue, les premières nuits, il dort sur le toit. Evelyne finit par le ramasser, lui faire passer une nuit dans le lit de son fils. Le matin, elle le dépose à la police. C’est un habitué, quatre fois qu’il vient. La première fois, à cause d’une brûlure au troisième degré causé par un fer à repasser. Evelyne se met en colère : « Combien de fois devrai-je vous l’amener avant que vous le retiriez de sa mère ? »

Mais le policier veut d’abord savoir comment l’enfant a vécu pendant ces huit jours d’errance. Il comprend tout, quand l’enfant parle d’un monsieur. « Les enfants étaient tellement laissés à l’abandon que le 156 était devenu un repère de pédophiles. Ils passaient le soir, les gamins étaient livrés à eux-mêmes sur le parking. Les parents ne les cherchaient pas… »

“Nous étions entourés de violence”

Evelyne en a marre : « Nous avions quatre centres sociaux dont La maison des copains de La Villette, Action fraternelle, ou encore Espace 19, mais les éducateurs, salariés, n’étaient pas plus âgés que les délinquants et leur donnaient rendez-vous dans les cafés à fumer des clopes et boire des verres. Moi, j’appliquais la méthode bénévole de la ’maman’ et je n’ai jamais eu de problème avec ces jeunes. Sont-ils totalement responsables de ce qu’ils deviennent ? Délinquants, drogués, et pour les frères Kouachi, ces monstres incompréhensibles ? »

Marise (prénom modifié) se pose la même question. À l’époque, elle aussi habite le quartier. Militante, elle multiplie les associations pour venir en aide aux quartiers difficiles. « J’ai vécu de bons moments. Mais avant les années 90, et la prise de conscience que la mixité sociale était indispensable, nous ne parlions pas de ça lors de nos réunions politiques. (NDLR : Marise a d’abord été militante au PC, puis au PS). La société délaisse les pauvres, les met en colère, les rend violents, puis parfois haineux. »

« Les seuls qui acceptaient de vivre au 156 étaient les sans-abris. Nous étions entourés de violence. » Evelyne renchérit. « Je me souviens de ces gamins dont le père était toujours saoûl, et s’endormait avant que les enfants ne rentrent de l’école. Il fermait à clef, les enfants dormaient dans les escaliers. Nous faisions des signalements, mais même les professeurs ne disaient rien… C’est une société entière qu’il faut condamner d’avoir laissé grandir des enfants dans une telle misère. »

Rue d'Aubervilliers, à Paris

“Terreau fertile”

Evelyne, chrétienne qui pense qu’il faut savoir rire de tout, savait que doucement l’islam gagnait dans le quartier. « Je voyais de plus en plus de femmes porter le voile, puis avoir des propos de moins en moins laïcs. » Marise acquiesce : « Au début, dans les années 90, un des pratiquants de la mosquée de la rue de Tanger faisait partie du Conseil de Quartier. On l’aimait beaucoup, il était très laïc, très ouvert. Nous faisions nos réunions dans la mosquée. Je trouvais cela formidable. Puis notre ami, un jour nous a dit qu’il quittait la mosquée, qu’il ne se retrouvait plus dans les paroles de l’imam. Dès lors, la porte de la mosquée nous est restée à jamais fermée, et nous voyions le changement dans le comportement. Les salafistes ont petit à petit pris possession des lieux, jusqu’à l’arrestation de la cellule des Buttes Chaumont. »

Marise pense que l’intégrisme ne peut prendre racine que sur ce genre de terreau fertile où la précarité et l’abandon ont pris la place normalement nécessaire de l’intégration. « Mais je suis optimiste, depuis l’avènement de la mixité sociale, les choses vont mieux. Je reste persuadée que la mixité était la bonne solution. En revanche, ces enfants nés dans le triple abandon, d’une société, parfois de racines, et encore pire d’éducation, n’ont pas pu apprendre les limites, pas pu s’intégrer… Et ils ont trouvé refuge dans la délinquance, la violence, la prison, et parfois dans l’intégrisme religieux. Il reste cependant de nombreuses structures à créer pour prévenir, intégrer, encadrer. Tenez, pour l’intégration, moi j’aime beaucoup animer l’atelier tricot au Centre Social Riquet mais je dis aux femmes d’arrêter de parler une langue entre elles que je ne comprends pas, j’ai l’impression qu’elles parlent de moi. Ça les fait rire. Mais finalement, parler le même langage quand on est ensemble, c’est plus simple non ? »

Pour Marise, « nous sommes responsables de ne pas avoir offert une jeunesse équilibrée à ces mômes, en n’ayant jamais vu la souffrance de leur mère, leur désarroi d’orphelins… Mais ce n’est pas une excuse pour tuer les autres et ne pas avoir le recul face à l’absurdité du fanatisme… »

Evelyne, elle, qui a pris sa retraite et vit maintenant dans la région Centre, concède : « Je ne devrais pas le dire, vous allez me prendre pour une folle, mais quelque part, moi ces gamins-là, je les plains… »

Source : Reporterre, le 15/01/2015

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-lenfance-miserable-des-freres-kouachi/


L’inégalité et l’islamophobie créent les conditions du djihadisme, par Said Bouamama

Friday 6 February 2015 at 01:22

L’occultation politique et médiatique des causes, des conséquences et des enjeux

11 janvier 2015 par Said Bouamama

L’attentat contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo marquera notre histoire contemporaine. Il reste à savoir dans quel sens et avec quelles conséquences. Dans le contexte actuel de « guerre contre le terrorisme » (guerre extérieure) et de racisme et d’islamophobie d’Etat, les artisans de cet acte ont, consciemment ou non [1] accéléré un processus de stigmatisation et d’isolement de la composante musulmane, réelle ou supposée, des classes populaires.

Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. »

 L’occultation totale des causes

Ne pas prendre en compte les causalités profondes et immédiates, isoler les conséquences du contexte qui les fait émerger et ne pas inscrire un événement aussi violent dans la généalogie des facteurs qui l’ont rendu possible condamne, au mieux, à la tétanie, au pire, à une logique de guerre civile. Aujourd’hui, personne dans les médias n’aborde les causes réelles ou potentielles. Pourquoi est-il possible qu’un tel attentat se produise à Paris aujourd’hui ? Comme le souligne Sophie Wahnich, il existe « un usage fasciste des émotions politiques de la foule » dont le seul antidote est le « nouage possible des émotions et de la raison » [2]. Ce que nous vivons aujourd’hui est ce cantonnement des discours médiatiques et politiques dominants à la seule émotion, en occultant totalement l’analyse réelle et concrète. Toute tentative d’analyse réelle de la situation, telle qu’elle est, ou toute analyse tentant de proposer une autre explication que celle fournie par les médias et la classe politique, devient une apologie de l’attentat.

Regard sur le ventre fécond de la bête immonde

Regardons donc du côté des causes et d’abord de celles qui relèvent désormais de la longue durée et de la dimension internationale. La France est une des puissances les plus en guerre sur la planète. De l’Irak à la Syrie, en passant par la Libye et l’Afghanistan pour le pétrole, du Mali à la Centrafrique, en passant par le Congo pour les minerais stratégiques, les soldats français contribuent à semer la mort et le désastre aux quatre coins de la planète.

La fin des équilibres mondiaux issus de la seconde guerre mondiale avec la disparition de l’URSS, couplée à une mondialisation capitaliste centrée sur la baisse des coûts pour maximiser les profits et à la nouvelle concurrence des pays émergents, font de la maîtrise des matières premières la cause principale des ingérences, interventions et guerres contemporaines. Voici comment le sociologue Thierry Brugvin résume la place des guerres dans le monde contemporain :

« La conclusion de la guerre froide a précipité la fin d’une régulation des conflits au niveau mondial. Entre 1990 et 2001 le nombre de conflits interétatiques a explosé : 57 conflits majeurs sur 45 territoires distincts. […] Officiellement, le départ pour la guerre contre une nation adverse est toujours légitimé par des mobiles vertueux : défense de la liberté, démocratie, justice… Dans les faits, les guerres permettent de contrôler économiquement un pays, mais aussi de faire en sorte que les entrepreneurs privés d’une nation puissent accaparer les matières premières (pétrole, uranium, minerais, etc.) ou les ressources humaines d’un pays. » [3]

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le discours de légitimation des guerres s’est construit essentiellement sur le « danger islamiste » contribuant au développement d’une islamophobie à grande échelle au sein des principales puissances occidentales, que les rapports officiels eux-mêmes sont contraints de constater. [4] Dans le même temps, ces guerres produisent une solide « haine de l’occident » dans les peuples victimes de ces agressions militaires. [5] Les guerres menées par l’occident sont une des principales matrices de la bête immonde.

Dans la volonté de contrôle des richesses pétro-gazières, le Proche et le Moyen-Orient sont un enjeu géostratégique central. Les stratégies des puissances occidentales en général et françaises en particulier, se déploient sur deux axes : le renforcement d’Israël comme base et pivot du contrôle de la région, et le soutien aux pétromonarchies réactionnaires du golfe.

Le soutien indéfectible à l’Etat d’Israël est ainsi une constante de la politique française ne connaissant pas d’alternance, de Sarkozy à Hollande. Cet État peut assassiner en toute impunité sur une grande échelle. Quels que soient l’ampleur et les moyens des massacres, le gérant local des intérêts occidentaux n’est jamais véritablement et durablement inquiété. François Hollande déclare ainsi lors de son voyage officiel en Israël en 2013 : « je resterai toujours un ami d’Israël ». [6]

Et, là aussi, le discours médiatique et politique de légitimation d’un tel soutien se construit sur la base d’une présentation du Hamas palestinien mais également (à travers des imprécisions verbales récurrentes) de la résistance palestinienne dans son ensemble, de la population palestinienne dans son ensemble et de ses soutiens politiques internationaux, comme porteurs d’un danger « islamiste ». La logique « du deux poids, deux mesures » s’impose une nouvelle fois à partir d’une approche islamophobe portée par les plus hauts sommets de l’État et relayée par la grande majorité des médias et des acteurs politiques. Tel est le second profil du ventre de la bête immonde.

Ces facteurs internationaux se conjuguent à des facteurs internes à la société française. Nous avons déjà souligné, plus haut, l’islamophobie d’État, propulsée par la loi sur le foulard en 2004 et entretenue depuis régulièrement (discours sur les révoltes des quartiers populaires en 2005, loi sur le niqab, « débat » sur l’identité nationale, circulaire Chatel et exclusion des mères voilées des sorties scolaires, harcèlement des lycéennes en jupes longues, interdiction des manifestations de soutien au peuple palestinien, etc.).

Il faut maintenant souligner que ce climat islamophobe n’a été confronté à aucune réponse par les forces politiques se réclamant des classes populaires. Plus grave, un consensus très large s’est fait jour à plusieurs reprises, au prétexte de défendre la « laïcité » ou de ne pas frayer avec « ceux qui défendent le Hamas ». De l’extrême-droite à une partie importante de l’extrême gauche, les mêmes arguments ont été avancés, les mêmes clivages ont été construits, les mêmes conséquences ont été produites.

Le résultat n’est rien d’autre que l’enracinement encore plus profond des islamalgames, l’approfondissement d’un clivage au sein des classes populaires, la fragilisation encore plus grande des digues antiracistes déjà fragilisées, et des violences concrètes ou symboliques exercées contre les musulmans et les musulmanes. Ce résultat peut se décrire, comme le propose Raphaël Liogier, comme la diffusion, dans une partie importante de la société, du « mythe de l’islamisation » débouchant sur la tendance à constituer une « obsession collective ». [7]

La tendance à la production d’une « obsession collective » s’est de surcroît encore approfondie avec le traitement médiatique récent des cas Zemmour et Houellebecq. Après lui avoir offert de multiples tribunes, Eric Zemmour est renvoyé d’I-télé pour avoir proposé la « déportation des musulmans français ». Dans le contexte d’obsession collective que nous avons évoquée, cela lui permet de se poser en victime. Quant à l’écrivain, il est défendu par de nombreux journalistes au prétexte de ne pas confondre fiction et réalité. Dans les deux cas cependant, il reste un approfondissement de « l’obsession collective » d’une part, et le sentiment d’être insulté en permanence une nouvelle fois, d’autre part. Tel est le troisième profil du ventre de la bête immonde.

Ce facteur interne d’une islamophobie banalisée a des effets décuplés dans le contexte de fragilisation économique, sociale et politique générale des classes populaires aujourd’hui. La paupérisation et la précarisation massive sont devenues insoutenables dans les quartiers populaires. Il en découle des rapports sociaux marqués par une violence grandissante contre soi et contre les proches. A cela, se combinent le déclassement d’une part importante des classes moyennes, ainsi que la peur du déclassement pour ceux chez qui tout va encore bien mais qui ne sont pas « bien nés ». Ceux-là, se sentant en danger, disposent alors d’une cible consensuelle déjà toute désignée médiatiquement et politiquement comme légitime : le musulman ou la musulmane.

La fragilisation touche encore plus fortement la composante issue de l’immigration des classes populaires, qui est confrontée aux discriminations racistes systémiques (angle absolument mort des discours des organisations politiques se réclamant des classes populaires), celles-ci produisant des trajectoires de marginalisation (dans la formation, dans l’emploi, dans la recherche du logement, dans le rapport à la police et aux contrôles au faciès, etc.). [8]

L’approfondissement du clivage entre deux composantes des classes populaires dans une logique de « diviser ceux qui devraient être unis (les différentes composantes des classes populaires) et d’unir ceux qui devraient être divisés (les classes sociales aux intérêts divergents) » est le quatrième profil du ventre de la bête immonde.

De quoi accouche un tel ventre ?

Une telle matrice est à l’évidence propice à l’émergence de trajectoires nihilistes se traduisant par la tuerie à Charlie Hebdo. Extrêmement minoritaires, ces trajectoires sont une production de notre système social et des inégalités et discriminations massives qui le caractérisent.

Mais ce qu’ont révélé les réactions à l’attentat est tout autant important et, quantitativement, bien plus répandu que l’option nihiliste (pour le moment ?). Sans pouvoir être exhaustifs, rappelons quelques éléments de ces derniers jours. Du côté des discours, nous avons eu Marine Le Pen exigeant un débat national contre le « fondamentalisme islamique », le bloc identitaire déclarant la nécessité de « remettre en cause l’immigration massive et l’islamisation » pour lutter contre le « djihadisme », le journaliste Yvan Rioufol du Figaro sommant Rokhaya Diallo de se désolidariser sur RTL, Jeannette Bougrab accusant « ceux qui ont traité Charlie Hebdo d’islamophobe » d’être les coupables de l’attentat, sans compter toutes les déclarations parlant « de guerre déclarée ». A ces propos, se joignent des passages à l’acte de ces derniers jours : une Femen se filme en train de brûler et de piétiner le Coran, des coups de feu sont tirés contre la mosquée d’Albi, des tags racistes sont peints sur les mosquée de Bayonne et Poitiers, des grenades sont lancées contre une autre au Mans, des coups de feu sont tirés contre une salle de prière à Port la Nouvelle, une autre salle de prière est incendiée à Aix les Bains, une tête de sanglier et des viscères sont accrochés devant une salle de prière à Corte en Corse, un restaurant-snack-kebab est l’objet d’une explosion à Villefranche sur Saône, un automobiliste est la cible de coups de feu dans le Vaucluse, un lycéen d’origine maghrébine de 17 ans est molesté lors d’une minute de silence à Bourgoin-Jallieu en Isère, etc. Ces propos et actes montrent l’ampleur des dégâts d’ores et déjà causés par les dernières décennies de banalisation islamophobe. Ils font aussi partie de la bête immonde.

La bête immonde se trouve également dans l’absence criante d’indignation face aux victimes innombrables des guerres impérialistes de ces dernières décennies. Réagissant à propos du 11 septembre, la philosophe Judith Butler s’interroge sur l’indignation inégale. Elle souligne que l’indignation justifiée pour les victimes du 11 septembre s’accompagne d’une indifférence pour les victimes des guerres menées par les USA : « Comment se fait-il qu’on ne nous donne pas les noms des morts de cette guerre, y compris ceux que les USA ont tués, ceux dont on n’aura jamais une image, un nom, une histoire, jamais le moindre fragment de témoignage sur leur vie, quelque chose à voir, à toucher, à savoir ? ». [9]

Cette indignation inégale est à la base du processus de production d’un clivage bien réel au sein des classes populaires. Et c’est ce clivage qui est porteur de tous les dangers, notamment en période de construction de « l’union nationale », comme aujourd’hui.

L’union nationale qu’ils rêvent de construire, c’est « toutes et tous ensemble contre ceux qui ne sont pas des nôtres, contre celles et ceux qui ne montrent pas patte blanche ».

Une formidable instrumentalisation politique

Mais le scandale que nous vivons aujourd’hui ne s’arrête pas là. C’est avec un cynisme consommé que des instrumentalisations de la situation, et de la panique qu’elle suscite, se déploient à longueur de journée.

* Renforcement sécuritaire et atteintes aux libertés démocratiques

Certains, comme Dupont Aignan, réclament « plus de souplesse aux forces de l’ordre » alors qu’une nouvelle « loi antiterroriste » a déjà été votée l’automne dernier. Et, en écho, Thierry Mariani fait référence au Patriot Act états-unien (dont la conséquence a été de graves atteintes aux libertés individuelles sous prétexte de lutte contre le terrorisme) : « Les Etats-Unis ont su réagir après le 11 Septembre. On a dénoncé le Patriot Act, mais, depuis, ils n’ont pas eu d’attentat à part Boston ». [10]

Instrumentaliser la peur et l’émotion pour renforcer des lois et mesures liberticides, telle est la première manipulation qui est aujourd’hui testée pour mesurer le champ des possibles en matière de régression démocratique. D’ores et déjà, certaines revendications légitimes et urgentes sont rendues inaudibles par la surenchère sécuritaire qui tente de profiter de la situation : il sera par exemple beaucoup plus difficile de mener le combat contre le contrôle au faciès, et les humiliations quotidiennes qu’il produit continueront à s’exercer dans l’indifférence générale.

* L’unité nationale

La construction active et déterminée de l’unité nationale est la seconde instrumentalisation majeure en cours. Elle permet de mettre en sourdine l’ensemble des revendications qui entravent le processus de dérégulation généralisé. La ficelle a beau être grosse, elle est efficace dans un climat de peur généralisé, que l’ensemble des médias produisent quotidiennement. Dans certaines villes, l’unité nationale est déjà étendue au Front National qui a participé aux rassemblements de soutien à Charlie Hebdo. Dati et Fillon s’indignent déjà de « l’exclusion » de Marine Le Pen de l’unité nationale. C’est cette « unité nationale » qui fait le plus de dégâts politiquement aussi, car elle détruit les rares repères positifs qui pouvaient exister auparavant en termes d’alliances possibles et d’identités politiques.

* L’injonction à se justifier

Une autre instrumentalisation se trouve dans l’injonction permanente des musulmans réels ou supposés à se justifier pour des actes qu’ils n’ont pas commis, et/ou à se démarquer des auteurs de l’attentat.

Cette mise en accusation permanente est humiliante. Il n’est venu à l’idée de personne d’exiger de tous les chrétiens réels ou supposés une condamnation lorsque le Norvégien Anders Behring Breivik a assassiné 77 personnes en juillet 2011 en se revendiquant de l’islamophobie et du nationalisme blanc.

Derrière cette injonction, se trouve la logique posant l’islam comme étant par essence incompatible avec la République. De cette logique découle l’idée de mettre les musulmans, réels ou supposés, sous surveillance non seulement des policiers, mais également des médias, des profs, des voisins, etc.

* Être Charlie ? Qui peut être Charlie ? Qui veut être Charlie ?

Le slogan « nous sommes tous Charlie » est enfin la dernière instrumentalisation en déploiement ces jours-ci. Si l’attentat contre Charlie Hebdo est condamnable, il est hors de question cependant d’oublier le rôle qu’a joué cet hebdomadaire dans la constitution du climat islamophobe d’aujourd’hui.

Il est également hors de question d’oublier les odes à Bush que ses pages accueillaient alors que celui-ci impulsait cette fameuse « guerre contre le terrorisme » en Afghanistan puis en Irak. [...]

Nous ne sommes PAS PLUS Charlie hier qu’aujourd’hui.

Les temps qui s’annoncent vont être difficiles et coûteux. Pour stopper l’escalade, nous devons mettre fin à la violence des dominants : nous devons nous battre pour stopper les guerres impérialistes en cours et abroger les lois racistes. Pour stopper l’escalade, nous devons développer tous les cadres et événements de solidarité destinés à empêcher la déferlante des propos ou actes racistes et notamment islamophobes. Pour stopper l’escalade, nous devons construire tous les espaces de solidarité économique et sociale possibles dans nos quartiers populaires, en toute autonomie vis-à-vis de tous ceux qui prônent l’union nationale comme perspective.

Plus que jamais, nous avons besoin de nous organiser, de serrer les rangs, de refuser la logique « divisant ceux qui devraient être unis et unissant ceux qui devraient être divisés ». Plus que jamais, nous devons désigner l’ennemi pour nous construire ensemble : l’ennemi, c’est tout ce qui nous divise.

Said Bouamama

Notes :

[1] Il est d’une part trop tôt pour le dire et, d’autre part, le résultat est le même.
[2] Sophie Wahnich, La révolution française, un événement de la raison sensible 1787-1799, Hachette, Paris, 2012, p. 19.
[3] Thierry Brugvin, Le pouvoir illégal des élites, Max Milo, Paris, 2014.
[4] Djacoba Liva Tehindrazanarivelo, Le racisme à l’égard des migrants en Europe, éditions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2009, p. 171.
[5] Jean Ziegler, La haine de l’Occident, Albin Michel, Paris, 2008.
[6] Le Monde, Hollande « ami d’Israël » reste ferme face à l’Iran, 17-11-2013.
[7] Raphaël Liogier, Le mythe de l’islamisation, essai sur une obsession collective, Le Seuil, Paris, 2012.
[8] Voir sur cet aspect mon dernier article sur mon blog, Les dégâts invisibilisés des discriminations inégalité sociales et des discriminations racistes et sexistes, https://bouamamas.wordpress.com/
[9] Judith Butler, cité dans, Mathias Delori, Ces morts que nous n’allons pas pleurer, http://blogs.mediapart.fr/blog/math…, consulté le 9 janvier 2015 à 18 h.
[10] Le Parisien du 8-01-2015
Source : Investig’Action

Said Bouamama est l’auteur de nombreux ouvrages dont”Figures de la libération africaine. De Kenyatta à Sankara”, 2014 ; Femmes des quartiers populaires, en résistance contre les discriminations, des femmes de Blanc-Mesnil, Le Temps des Cerises, 2013 ; Dictionnaire des dominations de sexe, de race, de classe, Édition Syllepse, 2012 ; Les discriminations racistes : une arme de division massive,L’Harmattan, 2010 ; Les classes et quartiers populaires. Paupérisation, ethnicisation et discrimination, Éditions du Cygne, 2009 ; L’affaire du foulard islamique : production d’un racisme respectable, Le Geai bleu, 2004 ; Dix ans de marche des beurs, chronique d’un mouvement avorté, Desclée de Brouwer, 1994.

L’inégalité et l’islamophobie créent les conditions du djihadisme

Saïd Bouamama. Sociologue et docteur en socioéconomie

le 15.01.15 | 10h00 5

Saïd Bouamama

Saïd Bouamama est un sociologue algérien établi depuis plusieurs années en France. Il est docteur en socioéconomie. Il développe une sociologie des dominations prenant pour objets les questions liées à l’immigration, comme la place des personnes issues de l’immigration dans la société française. Il est, par ailleurs, militant politique et associatif dans les luttes de l’immigration pour l’égalité réelle des droits en France. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : Les Discriminations racistes, une arme de division massive (2011), La Manipulation de l’identité nationale : Du bouc émissaire à l’ennemi de l’intérieur (2011) ou encore Femmes des quartiers populaires en résistance contre les discriminations (2013).

- Que pensez-vous du débat politique en France qui pointe du doigt la banlieue et l’immigration suite aux attentats de Paris ?

Le débat actuel est incompréhensible si on ne le restitue pas dans un contexte plus global. Le premier élément de ce contexte est une paupérisation et une précarisation massive des classes et quartiers populaires depuis quatre décennies. Les politiques ultralibérales ont fragilisé, de manière inédite jusqu’à aujourd’hui, ces classes et espaces de vie où les populations issues de l’immigration sont concentrées. Des taux de chômage atteignant, selon les chiffres officiels, plus de 40%, c’est-à-dire quatre fois plus que la moyenne nationale, caractérisent ces quartiers.

De surcroît, ces jeunes Français issus de l’immigration sont confrontés à des discriminations massives et systémiques. En 2008, selon une étude du Bureau international du travail (BIT), quatre sur cinq employeurs discriminent à l’embauche les candidats issus de groupes minoritaires, noirs ou d’origine maghrébine. Toute une partie de notre jeunesse est, de ce fait, dans une situation de désespérance sociale.

De plus, s’ajoute à cela des contrôles au faciès qui sont vécus comme de l’humiliation et de la hogra. Enfin, depuis les attentats du 11 Septembre, puis après la loi interdisant le port du foulard à l’école, les débats médiatiques et politiques se sont succédé pour stigmatiser les musulmans en les amalgamant fréquemment à l’intégrisme, au terrorisme, au djihadisme, etc. C’est ce que nous avons appelé les «islamalgames».

- En tant que sociologue, comment expliquez-vous le phénomène de radicalisation dans les quartiers populaires ?

C’est le contexte global, dont je viens de parler, qui débouche pour de nombreux jeunes sur une absence de projection dans l’avenir, sur un rapport sceptique au monde et sur une colère sourde. Cette colère explose parfois suite à des contrôles aux faciès, par exemple. Cette discrimination a provoqué plus d’une dizaine de morts en dix ans. Une extrême minorité de ces jeunes est tombée en proie à des prédicateurs de la haine, financés par l’Arabie Saoudite ou le Qatar, par ailleurs grands amis de l’Etat français.

Le phénomène de radicalisation, il faut le dire aussi, est renforcé par la participation de la France à toutes les guerres pour le pétrole et son soutien à l’Etat d’Israël, y compris lors des périodes de massacres de masses. L’interdiction, cet été, de plusieurs manifestations publiques de soutien à la Palestine a été vécue comme une injustice. D’ailleurs, la présence des assassins israéliens à la manifestation de dimanche dernier est également perçue par certains comme une provocation.

- Une semaine après les attaques contre Charlie Hebdo, quelle est votre évaluation des réactions politiques et médiatiques envers la communauté musulmane ?

Je disais souvent que la stigmatisation, sur une longue durée, des musulmans, réelle ou supposée, a produit une islamophobie. Elle est entretenue sur le plan médiatique par des propos polémiques de la part même de membres du gouvernement. Parler des conséquences de ce qui s’est passé, comme on le constate depuis une semaine, sans aborder les causes est une autre injustice qui se paye cher. A cause des discours médiatiques qui ont suivi les attentats, les actes islamophobes se sont multipliés.

On en compte une cinquantaine, qui vont de grenades lancées dans une mosquée à une tête de porc déposée devant une autre, à un jeune molesté lors d’une minute de silence, en passant par des graffitis injurieux et des insultes racistes. En réalité, c’est l’inégalité et l’islamophobie qui créent les conditions du djihadisme d’une minorité de jeunes. Le nier et ne pas prendre des mesures claires contre l’islamophobie alimentent ce processus.

- Pourquoi avez-vous déclaré que vous n’êtes pas Charlie ?

J’ai préféré dire «Je ne suis pas Charlie» pour dénoncer trois sortes d’instrumentalisation de cette affaire. D’abord, deux instrumentalisations du gouvernement français. Ce dernier a fait des choix économiques qui conduiront inévitablement les quartiers populaires à des explosions. Il profite de l’émotion liée aux assassinats atroces des journalistes de Charlie Hebdo pour justifier un futur Patriot Act, à la française, donnant de nouveaux droits aux policiers.

Ainsi, on peut craindre le pire quand on sait que le deuxième syndicat de policiers est ouvertement d’extrême droite. La lutte contre le terrorisme est prise comme prétexte pour introduire une restriction des libertés et des droits démocratiques pour tous, mais nous savons très bien qui sera pénalisé en premier lieu.

La seconde instrumentalisation de la part du gouvernement est celle du discours sur l’unité nationale. Cette unité n’est pas possible si les questions de la justice sociale, de la lutte contre les discriminations et du combat contre l’islamophobie ne sont pas posées. Le discours sur l’unité nationale vise à masquer et à rendre inaudibles ces questions. Au nom de cette unité nationale, il a été demandé de défiler avec Netanyahu et ceux qui ont refusé, ont été présentés comme idiots utiles ou complices des assassins.

La troisième instrumentalisation est médiatique et sociétale. Elle se trouve dans le slogan «Nous sommes Charlie». Cet hebdomadaire satirique développe depuis de nombreuses années des caricatures islamophobes et insultantes. C’est son droit inaliénable et il n’est pas question de le remettre en cause.

En revanche, il est impossible de demander à ceux qui se sont sentis insultés pendant de nombreuses années de se revendiquer de leur insulteur. La réaction spontanée — que les médias ont massivement occultée — a été la mise en circulation de multiples affichettes, pancartes et tags : «Je suis Ahmed», «Je suis contre l’islamophobie», «Je suis contre le sionisme», «Je suis musulman et contre les attentats», «Je suis contre le djihadisme», etc.

- Que devront faire les jeunes des quartiers populaires pour se défendre et se démarquer du terrorisme, tout en restant dignes ?

Il est urgent de donner un canal d’expression organisé aux jeunes des quartiers populaires. Faute de cela, ils deviendront les otages de la fausse alternative entre injonction à la soumission — se taire sur leurs revendications sociales, sur leur opposition aux guerres pour le pétrole, sur leur soutien à la cause palestinienne, etc., pour ne pas être amalgamés aux djihadistes — et se taire sur les djihadistes pour ne pas renforcer les stigmatisations des musulmans.

Tel est le piège qui est aujourd’hui tendu. Refuser cette alternative c’est s’auto-organiser, c’est s’allier avec les forces de la société française qui refusent la situation. C’est se donner les moyens d’une expression autonome pour dévoiler la réalité sociale et économique des quartiers populaires.

En réalité, il ne s’agit que d’une partie d’un combat mondial contre une mondialisation impérialiste et néocolonialiste provoquant guerres et misère ici et là. Nous ne voulons pas que nos enfants détruisent leur vie en allant faire des guerres injustes. Nous ne voulons pas qu’ils écoutent les sirènes de voyous inspirés de Doha ou de Riad. Nous ne voulons pas non plus qu’ils deviennent des indigènes de second collège dans leur propre pays.

Samir Ghezlaoui

Source : https://histoireetsociete.wordpress.com

Source: http://www.les-crises.fr/loccultation-politique-et-mediatique-des-causes-des-consequences-et-des-enjeux-par-said-bouamama/


Paris : une «pervenche» n’ayant pas respecté la minute de silence suspendue

Friday 6 February 2015 at 00:01

C’est rigolo, il me semblait que c’était encore un droit de l’Homme de ne pas s’associer à une minute de silence si l’on n’en avait pas envie….

Le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire.” [Roland Barthes, Leçon inaugurale au Collège de France, 1977]

A Paris, mais aussi à Lille, plusieurs agents municipaux ayant refusé de participer à l’hommage national rendu après les attentats contre Charlie Hebdo risquent la révocation.

Connue pour s’être radicalisée, cette contractuelle se présentait parfois avec un voile lors des rendez-vous avec sa hiérarchie. AFP

15 Janv. 2015, 14h32

Une agent de surveillance de Paris (ASP, les ex-«pervenche»), a été suspendue par la préfecture de police (PP) pour ne pas avoir respecté jeudi dernier la minute de silence en hommage aux victimes de Charlie Hebdo.Cette fonctionnaire, qui assume son refus, «va être traduite rapidement en conseil de discipline et risque la révocation».

Les ASP, qui sont chargés de dresser des contraventions, dépendent du personnel de la ville de Paris mais sont mis à disposition de la Préfecture de police.

Jeudi dernier, une minute de silence avait été observée dans toute la France en hommage aux 12 morts lors de l’attentat commis contre Charlie Hebdo. Cette contractuelle, «connue pour être radicalisée, et qui se présentait assez souvent lors d’entretiens avec sa hiérarchie en portant le voile»,

Je ne savais pas que c’était interdit face à son employeur au travail

a ostensiblement refusé, devant ses collègues, d’observer l’hommage rendu par l’ensemble des fonctionnaires.

Je ne savais pas que c’était interdit – sauf en Corée du Nord, bien entendu…

«Une faute grave», précise un proche du dossier. Cette fonctionnaire faisait l’objet d’autres enquêtes internes pour des fautes répétées.

Trois agents municipaux de Lille risquent la radiation

Des mesures disciplinaires ont par ailleurs été prises à l’encontre de trois agents municipaux, des vacataires qui assurent la pause méridienne dans les écoles de la ville de Lille, a annoncé jeudi matin la maire Martine Aubry. Selon le quotidien La Voix du Nord, l’autre jeudi, lors de l’hommage national, ces derniers n’ont pas souhaité respecter la minute de silence demandée en hommage aux victimes de l’attentat perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo. Deux ont quitté la salle en clamant haut et fort qu’il était hors de question de le faire. Rappelés à l’ordre, ils risquent la radiation. Le troisième homme, lui, s’est fendu de remarques faisant, semble t-il, l’apologie du terrorisme. Une plainte a été déposée à son encontre.

Source : leparisien.fr

P.S. ce genre d’image a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux…

Source: http://www.les-crises.fr/paris-une-pervenche-nayant-pas-respecte-la-minute-de-silence-suspendue/


La BCE ferme ses guichets aux banques grecques

Thursday 5 February 2015 at 09:57

La grosse partie de poker menteur continue…

Le communiqué de la BCE, l’analyse Bloomberg (en anglais)

Ceci étant, je vois plein de réactions outrées, mais la décision de la BCE est fort logique : la Grèce a un gouvernement élu qui a indiqué qu’il ne voulait pas tenir tous les engagements pris précédemment, à commencer par rembourser la BCE ! Il n’y a pas de raison que la BCE ne protège pas ses intérêts (et ceux des autres pays) en arrêtant d’accepter du papier grec. Elle n’a pas à négocier, car ce n’est pas une instance politique, c’est au gouvernements de le faire.

Après, ou le gouvernement grec plie, ou il applique son programme et fait défaut (ce que j’espère, de toutes façon, il n’a guère de réel choix, sinon gagner du temps). Mais il ne peut rester indéfiniment dans l’entre-deux.

On devrait donc voir assez vite qui est la poule mouillée…

La BCE ferme ses guichets aux banques grecques

La décision couperet est tombée mercredi soir lors d ’une réunion du conseil des gouverneurs de la BCE , qui devait se prononcer sur la poursuite ou non d’un dispositif permettant aux banques grecques d’obtenir des liquidités de la BCE en présentant comme garanties des titres de l’Etat grec. « Cette suspension est en ligne avec les règles existantes de l’Eurosystème, du fait qu’il est actuellement pas possible de présumer que la revue du programme (de sauvetage de la Grèce, NDLR) aboutisse à un succès ».

En clair, la BCE met fin à une dérogation destinée à faciliter le refinancement de banques grecques et dépendant de l’existence d’un programme d’aide au pays. Or, cette condition saute de fait avec les déclarations d’Athènes voulant suspendre les liens avec la Troïka, dont la BCE fait partie avec le FMI et la Commission Européenne.

La décision de la BCE a une conséquence immédiate : à compter du 11 février prochain, les banques grecques ne pourront compter pour se refinancer que sur l’aide d’urgence en liquidités (ELA), prodiguée par la Banque Nationale Grecque. Cela s’était déjà produit en 2012, lorsqu’un défaut temporaire avait été constaté sur la dette grecque. Il faut s’attendre dans les jours à venir à ce que la banque centrale grecque doive fournir à de nombreux établissements bancaires du pays des liquidités, probablement à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Par ailleurs, la BCE précise que sa décision ne « change rien » aux statuts des banques grecques dans le cadre d’opérations de politique monétaire.

La visite, mercredi, du ministre des Finances grec Yánis Varoufákis à Francfort n’a donc pas modifié d’un iota l’attitude ferme de l’institution. Venu plaider en faveur de la nouvelle politique économique et sociale que son gouvernement veut mettre en place pour mettre fin à l’austérité, le ministre espérait en retour que l’institution francfortoise puisse dévier de sa ligne dure et accorder un répit à l’Etat, mais surtout aux banques grecques menacées d’asphyxie.

Il apparaît aussi que la BCE n’est pas prête à accorder à Athènes une rallonge financière, en laissant l’Etat émettre jusqu’à 25 milliards d’euros de dette à court terme -les T-Bills- au lieu du plafond de 15 milliards en vigueur jusqu’ici. Une demande du gouvernement Tsípras afin de pouvoir financer le train de vie de l’Etat.

La BCE refuse également tout ajournement de la dette d’Athènes envers elle, de l’ordre de 25 milliards d’euros. La BCE n’est pas, et de loin, le créancier, le plus important d’Athènes, mais c’est à elle que la Grèce doit rembourser dès cet été quelque 7 milliards d’euros d’obligations arrivant à échéance. Il y a bien 1,9 milliard d’intérêts sur cette dette qui vont être rétrocédés à l’Etat grec par les banques centrales de l’eurosystème, mais ils ne suffiront pas à couvrir la somme due en capital.

Dans ce contexte tendu, depuis l’arrivée de la gauche radicale au pouvoir, l’agence publique gérant les émissions de dette a vendu difficilement mercredi pour 812 millions d’euros d’obligations à six mois, au taux de 2,75 %. Les banques grecques qui ont souscrit ces titres craignaient de ne pouvoir présenter ces obligations au guichet de la BCE comme collatéral en échange de liquidités. La décision prise en soirée par la BCE a confirmé ces craintes.

Yánis Varoufákis est aujourd’hui à Berlin, où un rendez-vous crucial va se dérouler dans le bureau du ministre des Finances Wolfgang Schäuble. Plus que jamais, Athènes est plongé dans une course contre la montre pour ne pas précipiter ses banques et son économie dans la faillite

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/monde/europe/0204135297436-la-bce-ferme-ses-guichets-aux-banques-grecques-1090213.php?EfILCjdh7EDJeEQU.99

Source : Les Echos

Grèce : le coup de semonce, très politique, de la BCE

Le coup de semonce est tombé vers 22 heures mercredi 4 février. Il a été tiré de Francfort : la Banque centrale européenne (BCE) a mis la pression maximale sur le gouvernement grec en suspendant le régime de faveur qu’elle accordait jusqu’ici aux banques hellènes, ces dernières pouvant emprunter de l’argent auprès de l’institution monétaire avec des garanties inférieures à celles exigées habituellement.
En pratique, cela ne remet pas en question la capacité des banques grecques à disposer des liquidités, dont elles estiment avoir grand besoin en ce moment. Elles pourront en effet toujours se refinancer auprès de la BCE, mais à à un taux plus élevé, et avec un risque porté seulement par la banque de Grèce.

Lire aussi : Interrogations sur l’état de santé réel des banques grecques

  • La décision de la BCE est-elle une décision « politique » ?

C’est un message très clair, et sans ambiguïtés qui a été adressé par la BCE au gouvernement d’Alexis Tsipras : il s’agit de ramener ce dernier « à la raison ». En somme, la BCE dit à Athènes : il faut négocier, et vite, avec les Européens.

Mario Draghi, le président de la BCE, met ainsi Alexis Tsipras devant un choix cornélien : accepter, très vite, le chemin de négociation proposé – imposé – par les Européens, mais au prix d’un renoncement politique majeur, lui qui a fait toute sa campagne contre la troïka (Fonds monétaire international, Commission et Banque centrale européennes) et l’austérité ; ou prendre le risque de défaut, donc de « Grexit », de sortie de la zone euro.

Avec la décision de la BCE, il va falloir qu’Alexis Tsipras accélère la cadence, et entre sérieusement en négociation avec le reste de l’Eurogroupe (les pays de la zone euro), s’il veut éviter la faillite. Selon plusieurs sources, les Grecs pourraient se trouver à court de liquidités dès le mois de mars.

  • Que veulent obtenir les Européens d’Athènes ?

Pour les Européens, l’urgence est de boucler le deuxième plan d’aide à la Grèce (130 milliards d’euros), déclenché en 2012 et qui se termine le 28 février 2015. Si ce plan n’est pas bouclé « proprement », c’est-à-dire si Athènes refuse de valider le principe de quelques réformes supplémentaires, la Grèce ne recevra pas la dernière tranche de ce plan d’aide, soit environ 3,6 milliards d’euros d’aide.

Les créanciers de la Grèce partagent les mêmes lignes rouges : pas question d’accepter un effacement de la dette grecque. Et pas question de prêter de l’argent sans exiger une surveillance du remboursement de ces sommes – via la troïka ou un autre véhicule.

M. Hollande, chez qui M. Tsipras était venu chercher, mercredi, le soutien d’un chef d’État social-démocrate, est ainsi resté très prudent. Le chef de l’Etat français a certes d’abord insisté sur « le respect du vote du peuple grec : un vote clair et fort qui a sûrement voulu signifier que l’austérité – comme seule perspective et comme seule réalité – n’était plus supportable. » Mais il a ajouté qu’il y a « aussi le respect des règles européennes qui s’imposent à tous, à la France aussi – et ce n’est pas toujours simple. »

« Le calendrier est beaucoup plus serré que Syriza ne semble le penser, relève Krishna Guha, en charge de la politique des banques centrales à la banque d’investissement Evercore, dans une note rédigée mercredi soir, juste après la décision de la BCE. Le gouvernement grec pense qu’il peut se débrouiller seul jusqu’en juin, ce qui laisserait amplement le temps de négocier avec les autorités européennes […] À notre avis, la BCE tente de forcer la cadence de cette courbe d’apprentissage, en freinant le robinet des liquidités avant même que le deuxième plan d’aide s’achève. »

  • Quelle est aujourd’hui la stratégie du gouvernement grec ?

Le nouveau premier ministre grec, Alexis Tsipras a évolué, ces derniers jours, par rapport à ses premières prises de position radicales, dans la foulée de la victoire triomphale aux élections législatives de son parti de la gauche radicale Syriza, fin janvier. Idem pour son ministre des finances, Yanis Varoufakis.

Au gré de leur tournée des capitales européennes (Londres lundi 2 février, Rome mardi 3 février, Bruxelles, Francfort et Paris mercredi 4 février, Berlin jeudi 5 février), M. Tsipras et M. Varoufakis ont nettement infléchi leur discours. Plus question, par exemple, de demander un effacement de la dette grecque (320 milliards d’euros au total), ou de prendre des décisions unilatérales pour mettre fin, sans plus tarder, à l’austérité qui va de pair avec les mesures d’aide, ou en encore de réclamer la fin de la troïka. Leur message est maintenant plus « audible » : ils sont prêts à négocier, et à respecter les règles d’une Eurozone à 19 membres.

Lire aussi : Grèce : trois questions sur la renégociation de la dette

À l’issue de sa rencontre à Paris avec le président François Hollande, mercredi après midi, M. Tsipras a ainsi reconnu : « nous devons mener des réformes en Grèce pour que notre pays devienne crédible », a-t-il dit.

  • Quel est le scénario possible des prochaines semaines ?

Le plus simple, vu le temps imparti, serait de décider une « prolongation technique » du plan d’aide, de quatre ou cinq mois. Le temps de mettre les choses à plat. De redéfinir une trajectoire économique, soutenable, pour la Grèce : quelles réformes mettre en œuvre pour retrouver la croissance ? Quelle part de l’excédent budgétaire primaire allouer aux investissements, aux dépenses sociales, au remboursement de la dette, etc ? Les Européens l’ont dit plusieurs fois : ils sont prêts, de leur côté, à revoir la maturité et les taux des emprunts grecs.

Le problème, c’est que c’est au gouvernement grec de faire la démarche et de demander officiellement une prolongation du plan d’aide. C’est-à-dire accepter officiellement une prolongation de l’action de la troika, dont l’existence est liée au plan d’aide.

Cette perspective est très dure, politiquement, à faire accepter à un premier ministre tout nouvellement élu, qui a construit une partie de sa campagne sur la promesse de la fin de la troïka, et qui risque, s’il accepte le « diktat » de Francfort, d’être très vite complètement démonétisé chez lui.

« La plupart des concessions vont devoir être faites par le gouvernement Syriza, encore dans l’euphorie de la victoire électorale, et avec un mandat démocratique authentique », relève ainsi Krishna Guha, qui prévient : « Attachez vos ceintures, cela va secouer ! »
Source : Le Monde

La BCE suspend le régime de faveur dont bénéficiaient les banques grecques

Le ministre des finances grec s’est voulu rassurant. Dans la nuit du mercredi 4 au jeudi 5 février, Yanis Varoufakis a réagi à l’annonce faite quelques heures plus tôt par la Banque centrale européenne (BCE) de priver les banques grecques d’une de leurs sources de financement.
Cette décision n’a « pas de répercussions négatives » sur le secteur financier du pays qui reste « totalement protégé » grâce aux autres canaux de liquidités toujours disponibles, a-t-il affirmé dans un communiqué. A ses yeux, la mesure « met la pression sur l’Eurogroupe [la réunion des ministres de Finances de la zone euro] pour progresser rapidement vers la conclusion entre la Grèce et ses partenaires d’un accord qui bénéficie à chacun » sur l’avenirde la dette et des réformes économiques d’Athènes.
CRAINTES D’UNE ASPHYXIE FINANCIÈRE
L’institution monétaire de Francfort a suspendu le régime de faveur accordé jusqu’ici aux banques hellènes, qui leur permettait d’emprunter de l’argent auprès de la BCE avec des garanties inférieures à ce qu’elle exige habituellement. Motif invoqué par l’institution : « Il n’est pas possible à l’heure actuelle d’anticiper une issue positive » du programme d’aide internationaldont bénéficie la Grèce. Ce faisant, elle a accéléré les craintes d’une asphyxie financière du pays.Dans la pratique, la décision de la BCE signifie que les banques grecques, soumises par ailleurs à de forts mouvements de retrait de capitaux de la part de leurs clients, ne pourront plus compter sur les prêts de la BCE pour acheter de la dette grecque. Or ces banques sont peu ou prou le seul débouché d’Athènes, dont les titres ne trouvent pas d’autres preneurs.

Pour se financer, il reste théoriquement aux banques grecques l’option d’urgence, un mécanisme appelé ELA. Ce dernier permet aux banques centrales nationales, la Banque de Grèce en l’occurrence, de débloquer des fonds pour aider les établissements de crédit à surmonter une crise de liquidités.

LE MINISTRE DES FINANCES À BERLIN

Plus tôt dans la journée, Yanis Varoufakis, en déplacement à Francfort, avait évoqué des « discussions fructueuses » avec le président de l’institution monétaire, Mario Draghi. M. Varoufakis était venu lui demander d’aider la Grèce à « garder la tête hors de l’eau » en soutenant les banques grecques, le temps que la nouvelle équipe au pouvoir s’entende avec ses partenaires européens sur le sort du programme d’aide en vigueur.

Lire aussi : Entre Athènes et la BCE, « une partie de poker menteur »

« Le gouvernement élargit tous les jours le cercle de ses consultations avec ses partenaires et avec les institutions dont il fait partie », insiste le communiqué du ministère des finances. Et le texte d’ajouter qu’Athènes n’en reste pas moins « ferme dans ses objectifs d’appliquer le programme de salut social » et de relance, pour lequel il a été élu lors des législatives du 25 janvier qui ont donné la victoire au parti de gauche radicale, la Syriza.

L’annonce de la BCE est intervenue alors que M. Varoufakis et le nouveau premier ministre, Alexis Tsipras, font une tournée européenne pour tenter de renégocier la dette grecque. Le ministre des finances doit rencontrer jeudi à Berlin son homologue allemand Wolfgang Schaüble.

Lire aussi : Le gouvernement grec en tournée européenne pour rassurer ses partenaires

Mercredi, Alexis Tsipras avait rencontré François Hollande et plusieurs acteurs de la vie politique française, notamment le dirigeant du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier a d’ailleurs réclamé après l’annonce de la BCE une audience au chef de l’Etat français, afin de discuter de cet enjeu.

Source : Le Monde

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L’ultimatum de Francfort

5 février 2015

Par

La Banque Centrale Européenne vient de choisir son camp, et c’est – qui s’en étonnera – celui de l’Allemagne. Par la mesure qu’elle vient de prendre contre la Grèce, elle envoie un signal très clair au nouveau gouvernement : restez dans le cadre du plan d’aide décidé par la « Troïka ». Mais, elle vient de déclencher un processus qui peut aboutir à l’inverse de ce qu’elle recherche. Loin de faire céder le gouvernement grec, cette mesure pourrait le forcer à prendre des mesures radicales qui, à terme, provoqueraient une rupture définitive entre la Grèce et ses créanciers et conduiraient ce pays à sortir de l’Euro. Telle est la logique du jeu de « poulette » (chicken) que l’on a décrit dans la note précédente[1].

Les mesures de la BCE

La BCE a donc décidé le mercredi 4 février au soir de suspendre l’exception qu’elle consentait à la Grèce, le fait d’accepter temporairement les obligations d’Etat grecques en collatéral pour des prêts des banques grecques. Les raisons de cette exception étaient l’adhésion de la Grèce au plan d’aide élaboré par la Troïka, et dont les conséquences ont été si désastreuses, que ce soit pour les Grecs ou pour les finances de l’Etat. En soi, cette mesure n’est nullement décisive. Mais, il y a peu de doutes qu’elle provoque dans les jours qui viennent à Athènes une panique bancaire, ce que les économistes appellent un « bank run ». Les banques grecques auront désespérément besoin de liquidités. Elles pourront en demander à la BCE dans le cadre d’un programme d’aide urgent à la liquidité bancaire nommé ELA. Mais, ce programme est soumis aux règles de la Troïka et il n’a été renouvelé que jusqu’au 28 février.

Concrètement, cela équivaut à mettre un pistolet sur la tempe d’un gouvernement nouvellement élu pour exiger de lui qu’il renonce à des mesures approuvées par son électorat. On appréciera le sens aigu de la démocratie des dirigeants de la BCE et plus généralement des autorités européennes.

Les possibles réactions du gouvernement grec

Face à ce qu’il faut bien appeler un ultimatum le gouvernement grec peut se décider à capituler. Ce faisant, il se saborderait politiquement. Un sondage réalisé dimanche dernier montre que 70% des Grecs, soit en réalité bien plus que ceux qui ont voté SYRIZA le 25 janvier, soutiennent le gouvernement et le pensent capable de mener une véritable politique de survie pour le pays.

Le gouvernement Grec peut donc mettre en place des contre-mesures. Certaines sont techniques (fermeture momentanée des banques, limites aux retraits des particuliers). Mais d’autres sont plus politiques. En réalité, quand la BCE dit prêter aux banques grecques, cela veut dire qu’elle autorise la Banque Centrale de Grèce à le faire. L’organisation de la BCE n’a pas supprimé les différentes Banques Centrales des pays membres de la zone Euro. Elle les a mises en réseau et sous l’autorité de la BCE, opérant depuis Francfort. Le gouvernement grec peut donc décider de réquisitionner la Banque Centrale pour la contraindre de continuer à alimenter en liquidités (en Euro) les banques grecques. Mais, ce faisant, il viole les traités constituant l’Union Economique et Monétaire, c’est à dire la zone Euro. Il pourrait donc le faire constatant la menace que fait peser la BCE sur la Grèce, et prenant à témoin la population de ce fait inouï d’une instance technique s’immisçant dans les chois politiques d’un peuple souverain.

Les conséquences.

Une telle décision serait bien entendu lourde de conséquences. Ce serait au tour de la BCE d’être le dos au mur. Si elle acceptait la mesure de réquisition, elle reconnaitrait son impuissance et donnerait des idées d’indépendance aux autres pays. Ceci dans un cadre où elle a déjà pris acte de la fragmentation croissante de la zone Euro, comme en témoignait les mesures annoncées par Mario Draghi le 22 janvier, et que l’on a un peu hâtivement assimilées à un « quantitative easing ».

En fait, la pression allemande, directe et indirecte (par le biais de pays alliés à l’Allemagne comme la Finlande et l’Autriche) est aujourd’hui telle sur la BCE que l’on voit mal cette dernière accepter un possible fait accompli venant d’Athènes. Il faut le répéter, ce qui est en cause c’est la politique d’austérité de Mme Merkel et surtout son imposition à l’ensemble de l’Europe, condition nécessaire à ce que ne se mette pas en place une logique d’Union de Transfert au détriment de l’Allemagne. Cette dernière ne peut céder, ou alors elle verra sa crédibilité disparaître instantanément.

En cas de réquisition de la Banque Centrale de Grèce, réquisition qui pourrait alors survenir le 28 février ou le 1er mars, la Banque Centrale Européenne pourrait décider de ne plus accepter en circulation les euros « grecs ». Une telle mesure a déjà été temporairement appliquée à Chypre. Cela revient à expulser, ou à menacer de le faire, un pays de la zone Euro.

Une sortie de l’Euro?

En réalité, la Grèce est aujourd’hui dans une meilleure situation qu’elle ne l’était en 2010 pour envisager une sortie de l’Euro. A cette époque, le budget était gravement déséquilibré. Aujourd’hui, le budget est équilibré au niveau du solde primaire, ce qui revient à dire que si la Grèce n’avait aucune dette (et donc pas d’intérêts à rembourser) elle n’aurait nul besoin d’emprunter à nouveau, et bénéficierait même d’un excédent. La balance commerciale, elle, est légèrement déficitaire. Mais, compte tenu des élasticités-prix qui peuvent être calculées, si la Grèce dévaluait de 30% à 35%, elle accroîtrait ses exportations de manière significative et serait en excédent. Signalons d’ailleurs qu’une dévaluation de la monnaie grecque accroîtrait les ressources fiscales en monnaie locale, provenant des armateurs car ces derniers opèrent en dollars. Quant aux investissements directs dans ce pays, on imagine sans peine qu’avec un budget à l’équilibre, un solde commercial positif et un avantage compétitif très sérieux sur ses concurrents, ils ne tarderaient pas à affluer. Bien entendu, la Grèce ferait défaut sur sa dette dans le cas d’une sortie de l’Euro. Mais, n’ayant plus à emprunter, elle ne risque rien à se couper de ses créanciers. Au-contraire, ce sont ces derniers qui viendront à résipiscence, comme le montre l’histoire des- nombreux pays qui sont passés par un défaut sur la dette.

Une dévaluation de 30% à 35% redonnerait à l’économie non seulement sa compétitivité mais elle permettrait au gouvernement d’avoir des marges de manœuvres dans le domaine social, en même temps qu’il en aurait par le défaut de fait sur la dette.

La Grèce doit dont regarder résolument la possibilité de sortir de la zone Euro. Si une telle solution devait s’imposer, ce n’est pas elle, mais la Zone Euro elle-même, qui en subirait les conséquences. Elle doit dire aux autorités de la BCE et de l’Union Européenne que, s’il le faut, elle n’hésitera pas devant une telle solution.

De quoi s’agit-il ?

Il convient de ne pas se laisser abuser par la technicité, réelle ou imaginaire, des différentes mesures et contre-mesures qui ont été ou qui pourront être prises. Fondamentalement, la mesure prise par la BCE pose le problème de la souveraineté populaire dans un pays membre de la Zone Euro, c’est à dire le problème de la démocratie.

Nous sommes aujourd’hui confrontés au conflit inexpiable entre la légitimité technocratique et la légitimité démocratique.

En cela, l’issue pour la Grèce nous concerne tous.

Voulons nous vivre libre ou acceptons-nous le joug ?


[1] Sapir J., « Grèce, un jeu complexe », note publiée sur RussEurope, le 3 février 2015, http://russeurope.hypotheses.org/3389

Source: http://www.les-crises.fr/grece-le-coup-de-semonce-tres-politique-de-la-bce/


[Parabole] Seriez-vous Minute ?

Thursday 5 February 2015 at 05:10

Hypothèses…

Le plan B

Ce 7 janvier, les terroristes découvrent en bas de Charlie Hebdo un cordon de protection.

Les terroristes, dépités, déclenchent alors leur plan B.

Il se rendent dans un autre arrondissement de Paris, au siège du journal “Minute”, qui a longtemps été proche du FN, et ayant tenu des propos islamophobes.

Vous savez, Minute, c’est le journal qui avait sorti cette Une de très mauvais gout en 2013 :

(Ils ont été condamnés à 10 000 € d’amende en 1ère instance, l’appel est en cours)

Notez que personne n’avait poursuivi Charb pour ce dessin (mais attention, LÀ, c’était évidemment de l’humour) :

Après avoir défoncé la porte, ils entrent et… C’est le carnage, 15 journalistes morts.

Alors de là, j’ai une question importante :

Si vous avez “été Charlie”, seriez-vous alors Minute, au nom de la liberté d’expression (et sans le moindre “ils l’ont un peu cherché quand même” bien entendu) ?

Le plan C

Fichtre, un autre cordon de protection autour de Minute. Le Plan C !

Direction le meeting de Marine Le Pen, planque à la sortie, et au moment où elle entre dans sa voiture : le carnage !

Alors, seriez-vous Le Pen ?

Seriez-vous allé manifester avec ce panneau comme vous l’avez fait pour Charlie?

Auriez-vous exigé une minute de silence dans les écoles en mémoire de la présidente du 1er parti de France aux Européennes ?

Conclusion

Alors, bien que condamnant ces meurtres ignobles, ça vous aurait gêné de défiler avec ça, ou d’afficher ça sur Facebook ?

Eh bien vous ressentez donc ce qu’ont ressenti pas mal de concitoyens musulmans…

Alors la prochaine fois, réfléchissez un peu, et défilez plutôt avec ça – ça marchera mieux pour avoir une union nationale dans le pays

Source: http://www.les-crises.fr/parabole-seriez-vous-minute/


[Reprise] L’imposture de la célébration de la “liberté d’expression” en Occident, par Glenn Greenwald

Thursday 5 February 2015 at 02:04

Par Glenn Greenwald (avocat et journaliste américain qui a révélé l’affaire Snowden)

Quarante-huit heures après la manifestation massive en faveur de la liberté d’expression, la France a ouvert une enquête pénale contre un comédien français controversé ayant commenté sur Facebook l’attaque de Charlie Hebdo. Ce matin, il a été arrêté pour ce motif sous l’accusation « d’apologie du terrorisme ». Ce comédien, Dieudonné (voir ci-dessus), qui s’est présenté récemment aux élections en France avec ce qu’il appelle un programme “antisioniste”, a vu son spectacle être interdit dans plusieurs villes de France par de nombreux membres du gouvernement, et a été poursuivi pénalement plusieurs fois pour avoir exprimé des idées proscrites dans ce pays.

Le point de vue, apparemment répréhensible, qu’il a posté sur Facebook, était le suivant : “ce soir, en ce qui me concerne, je me sens Charlie Coulibaly”. Les enquêteurs ont conclu que c’était dans le but de se moquer du slogan “Je suis Charlie” et d’exprimer un soutien à l’auteur des meurtres dans le supermarché à Paris (dont le nom de famille était “Coulibaly”). Exprimer cette opinion est évidemment un crime dans la République de la “Liberté” [NdT : en français dans le texte], si fière de ses intellectuels du 20e siècle (de Sartre à Genet, et de Foucault à Derrida) dont la marque de fabrique était de ne pas laisser les conventions ou l’orthodoxie en paix, aussi sacrées soient-elles.

Depuis cette magnifique marche pour la « liberté d’expression », on rapporte que la France aurait ouvert 54 enquêtes criminelles pour « apologie du terrorisme ». AP a déclaré ce matin que « la France avait ordonné à tous les procureurs de sévir contre les propos haineux, l’antisémitisme et la glorification du terrorisme ».

Aussi pernicieuse que soit cette arrestation, ainsi que la répression de certains discours, elle a une valeur essentielle : en fait, elle souligne l’arnaque totale qu’a été cette semaine de célébration de la liberté d’expression en Occident. Le jour précédent l’attaque de Charlie Hebdo, je m’étais, à tout hasard, documenté sur les nombreuses affaires qui dans les pays occidentaux, y compris les États-Unis, mettent en cause des musulmans ; ceux-ci subissant des poursuites pénales voire la prison pour leurs discours politiques. Aucun de nos audacieux experts en liberté d’expression de ces dernières semaines n’a eu le moindre mot de protestation pour ces cas, que ce soit avant, ou depuis, l’attaque de Charlie Hebdo. C’est parce que la « liberté d’expression », pour de nombreux occidentaux, signifie en fait : il est primordial que les idées que j’approuve soient protégées, et que le droit d’offenser les groupes que je n’aime pas soit conforté ; tout le reste peut être puni.

C’est sans doute vrai : les opinions et les déclarations de Dieudonné sont délétères, même si ses supporters et lui insistent sur le fait qu’il s’agit de « satire » pratiquée dans la bonne humeur. À cet égard, ils provoquent des controverses proches de celles des désormais-tant-aimées caricatures de Charlie Hebdo (un membre de la gauche française insiste sur le fait que les dessinateurs étaient plus dans la raillerie que dans le racisme ou la bigoterie, mais Olivier Cyran, un ancien rédacteur du magazine ayant démissionné en 2001, a écrit en 2013 une lettre percutante et bien documentée, accusant Charlie Hebdo d’être tombé, après le 11 septembre, dans une bigoterie antimusulmans totale et obsessionnelle.

En dépit des réelles menaces sur la liberté d’expression dues à cette arrestation, il est inconcevable qu’une quelconque personnalité des principaux médias occidentaux se mette à twitter “#JeSuisDieudonné” ou mette en ligne des photographies d’elle-même répétant son horrible geste rappelant celui des nazis en “solidarité” avec son droit à la liberté d’expression. Cela resterait vrai même s’il avait été assassiné pour ses idées et non “seulement” arrêté et poursuivi pour elles. C’est pour cela que les manifestations de la semaine dernières, en mémoire des dessinateurs de Charlie Hebdo (et bien au-delà du deuil lié à leur horrible et injuste assassinat), étaient plus proches d’une approbation de leurs messages antimusulmans que de la défense de la liberté d’expression qui fut invoquée par leurs soutiens ; au moins tout autant.

L’immense majorité des vibrants hommages en faveur de la “liberté d’expression” a été un peu plus qu’une tentative pour protéger et révérer un discours qui avilit les groupes défavorisés, tout en rendant hors de portée un discours du même genre sur les groupes favorisés, une escroquerie absolument déloyale transformée en un ambitieux fondement de la liberté. En réponse à mon article de lundi dernier comprenant des dessins anti-juifs (que j’avais écrit pour démontrer à quel point cette toute nouvelle adoration du discours offensif manquait d’authenticité et était hautement sélective), j’ai essuyé des commentaires sans fin, justifiant en quoi les textes antimusulmans étaient grands et nobles alors que les textes anti-juifs étaient affreusement brutaux et méchants (la différence la plus fréquente étant : “les juifs sont une race/une ethnie, et les musulmans non” – ce qui ne manquera pas de surprendre les juifs du monde entier : asiatiques, noirs, latinos, et blancs, autant que ceux pour qui être “musulman” fait partie de l’identité culturelle même s’ils ne prient pas cinq fois par jour). Comme d’habitude : on parle de liberté d’expression si cela concerne des idées que j’apprécie ou si cela attaque des groupes que je n’apprécie pas, mais la situation change si c’est moi qui suis offensé.

Pensez au crime “d’apologie du terrorisme” pour lequel Dieudonné a été arrêté. Est-ce que dire quelque chose de ce genre doit être vraiment considéré comme un crime – entraînant l’arrestation, des poursuites et l’emprisonnement de son auteur : les pays occidentaux comme la France ont déchaîné une telle violence dans les pays musulmans pendant si longtemps qu’il est justifié de provoquer des violences en France afin de les faire cesser ? Si vous voulez que les cas « d’apologie du terrorisme » comme celui-ci soient poursuivis pénalement (plutôt que rejetés socialement), que dire de ceux qui justifient, encouragent et glorifient l’invasion et la destruction de l’Irak, avec sa doctrine de « choc et de stupeur » signifiant l’intention de terroriser la population civile pour la soumettre, et les tactiques monstrueuses de Falloudjah ? Ou que dire des appels psychotiques d’un présentateur de Fox News, en parlant des musulmans radicaux, à « les tuer TOUS ». Pourquoi une de ces opinions serait permise et l’autre proscrite car criminelle – sinon parce que la force de la loi est utilisée pour contrôler le discours politique et qu’une forme de terrorisme (la violence dans le monde musulman) est commise par, plutôt que contre l’Occident ?

Pour ceux que cela intéresse, mon argument complet contre toute loi limitant « les propos haineux » et les autres tentatives de recours à la loi pour contrôler le discours politique est là. Cet essai a été écrit en particulier pour dénoncer la proposition d’une ministre française, Najat Vallaud-Belkacem, de forcer Twitter à collaborer avec le gouvernement français afin de supprimer les tweets que différents hauts fonctionnaires comme cette ministre (et de futurs ministres inconnus) considèrent comme « haineux ». La France est à peu près aussi légitime comme symbole de la liberté d’expression que Charlie Hebdo, qui a viré l’un de ses rédacteurs en 2009 pour une seule phrase prétendument antisémite au sein de la publication d’une orgie de contenu antimusulman (et non seulement anti-Islam). Les célébrations de cette semaine en France – et la brochette de dirigeants tyranniques qui s’y sont joints – avaient peu à voir avec la liberté d’expression et beaucoup avec la suppression des idées qui leur déplaisent, tout en vénérant les idées qu’ils préfèrent.

Le personnage le plus corrompu intellectuellement est peut-être, sans surprise, l’intellectuel public le plus célébré de France (et aisément le plus surévalué du monde), le philosophe Bernard-Henri Lévy. Il exige la répression judiciaire de toute opinion de près ou de loin anti-juive (il a demandé l’interdiction des spectacles de Dieudonné « je ne comprends pas pourquoi quiconque verrait le besoin d’un débat » et a soutenu le licenciement en 2009 d’un rédacteur de Charlie Hebdo pour propos haineux contre les juifs) tout en paradant de manière éhontée pendant toute la semaine passée comme le champion churchillien de la liberté d’expression lorsqu’il s’agit de dessins antimusulmans.

Mais ceci, inévitablement, est précisément le but et l’effet des lois qui criminalisent certaines idées et de ceux qui soutiennent de telles lois : codifier un système où les vues qu’ils apprécient sont sanctifiées et les groupes auxquels ils appartiennent sont protégés. Les opinions et les groupes qu’ils n’aiment pas – et eux seulement – sont les victimes désignées de l’oppression et de l’insulte.

L’arrestation de ce comédien français si peu de temps après l’extraordinaire marche dans Paris pour la liberté d’expression souligne ce point plus fortement que tout ce que j’aurais pu écrire sur le caractère sélectif et frauduleux de cette parade de la liberté d’expression. Cela montre aussi – encore une fois – pourquoi ceux qui veulent criminaliser les idées qu’ils désapprouvent le plus fortement sont au moins – au moins – aussi dangereux et tyranniques que les idées qu’ils ciblent.

Photo: Chesnot/Getty Images

Source : The Intercept, le 14/01/2015

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-limposture-de-la-celebration-de-la-liberte-dexpression-en-occident-par-glenn-greenwald/