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La guerre secrète multinationale de la CIA en Syrie et le chaos islamiste, par Maxime Chaix

Saturday 14 November 2015 at 01:04

Je ressors du coup cette longue mais très importante analyse pour comprendre ce que l’on vit…

Source : maximechaix.info, le 3 novembre 2015.

(Source : DeDefensa.org, 4 novembre 2015)

Le mythe de l’« inaction » militaire occidentale contre le régime syrien

Ces derniers mois, le secrétaire à la Défense Ashton Carter et le général Lloyd Austin – qui dirige les opérations du Pentagone au Moyen-Orient et en Asie centrale –, ont tous deux reconnu l’échec du programme de formation de rebelles « modérés » pour lutter contre Daech en Syrie. Monsieur Carter a d’abord affirmé devant le Congrès des États-Unis que seulement 60 combattants avaient été formés dans le cadre de cette opération, lancée en 2014 et budgétée à hauteur de 500 millions de dollars ; (1) puis le général Austin a estimé que seuls « 4 ou 5 » hommes entraînés par les militaires états-uniens étaient alors actifs sur le terrain. (2) À la suite d’un ultime revers, ce programme d’entraînement a été « suspendu » puis « réduit » en octobre 2015. (3) La presse internationale est donc unanime sur l’échec de cette politique. Néanmoins, il est possible que les chiffres ridicules avancés par le Pentagone aient eu un impact majeur sur l’opinion publique mondiale, que cet effet soit recherché ou non. En d’autres termes, ils ont certainement contribué à renforcer le mythe de l’« inaction » militaire des États-Unis et de leurs alliés occidentaux pour renverser Bachar el-Assad. (4)

Or, bien que les puissances de l’OTAN et leurs alliés n’aient pas lancé de guerre ouverte contre ce régime, je vais analyser l’implication massiveillégale et clandestine de la CIA dans la déstabilisation de la Syrie, cette politique profonde ayant mobilisé différents services spéciaux moyen-orientaux et occidentaux. (5) Aujourd’hui, nous n’avons aucune idée précise de l’ampleur de cette intervention de l’Agence dans cette guerre civile. Cependant, d’après un article du Washington Post publié en juin 2015, la CIA a mené depuis 2013 contre le régime el-Assad « l’une [de ses] plus grandes opérations clandestines », dont le financement annuel avoisine le milliard de dollars. (6) D’après ce journal, cette intervention secrète – qui aurait notamment permis de former 10 000 rebelles –, s’inscrit dans un « plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie », c’est-à-dire les trois États notoirement connus pour soutenir les factions extrémistes en Syrie. (7) Bien qu’il ait officiellement démarré à l’automne 2013, (8) nous verrons que l’engagement de la CIA dans ce pays avait été lancé en janvier 2012, et qu’il trouve ses origines profondes en 2011, dans le contexte trouble de la guerre de l’OTAN en Libye. (9) Ainsi, je décrirai ce qui s’apparente à une guerre secrète multinationale contre le régime syrien, les opérations de la CIA et de ses alliés étant distinctes du programme lancé en 2014 par le Pentagone afin de former des combattants pour lutter contre Daech. (10)

L’objectif de cet article n’est pas de défendre le régime el-Assad et ses soutiens étrangers, qui partagent une lourde responsabilité dans cette guerre civile meurtrière. (11) Néanmoins, je souhaite démontrer que les principales puissances occidentales – essentiellement les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France –, en sont militairement coresponsables du fait de leurs politiques profondes en Syrie. (12) Le but de cet article n’est pas non plus d’établir une vérité historique encore impossible à déterminer. En effet, j’étudierai essentiellement des opérations clandestines, qui sont protégées par le secret-défense et qui ne sont en principe pas revendiquées par les États qui en sont à l’origine. Or, ces actions confidentielles font parfois l’objet de fuites dans la presse, ou de confirmations officielles plutôt rares et bien souvent imprécises. Ainsi, en me basant sur des informations recoupées, je tenterai de démontrer que l’« inaction » militaire occidentale contre le régime syrien est un mythe entretenu par les médias (13) et les États clandestinement engagés dans ce conflit. Ce mythe déresponsabilise ces gouvernements, puisqu’il leur permet de nier, de déformer ou de minimiser l’ampleur de leurs interventions secrètes dans cette guerre civile (14) – notamment en rejetant la faute de l’essor de Daech et d’al-Qaïda en Syrie sur leurs alliés turcs et pétromonarchiques. Du fait du caractère confidentiel de leurs opérations, mon article relèvera de la « Politique profonde », telle que définie par l’auteur et ancien diplomatePeter Dale Scott : l’étude de « l’ensemble des pratiques et des dispositions politiques, intentionnelles ou non, qui sont habituellement refoulées dans le discours public plus qu’elles ne sont admises. » (15)

Malgré sa clandestinité et la confusion qui en résulte, je tenterai de démontrer en quoi cet engagement massif de la CIA et de services spéciaux alliés dans la déstabilisation de la Syrie pourrait être considéré comme une guerre secrète de grande ampleur, à l’image des politiques profondes de l’Agence au Nicaragua et en Afghanistan dans les années 1980. Et j’expliquerai en quoi cette intervention de la CIA et de ses partenaires a favorisé la montée en puissance de réseaux islamistes que l’Occident est censé combattre, parmi lesquels Daech et le Front al-Nosra, c’est-à-dire la branche syrienne d’al-Qaïda. Mais avant de développer ces arguments, analysons pourquoi le rôle des États-Unis et de leurs alliés occidentaux dans la guerre en Syrie est refoulé, déformé ou minimisé – donc globalement incompris.

Derrière l’« inaction » occidentale, une guerre secrète à grande échelle

Le 21 août 2013, la Ghouta de Damas est frappée par une attaque chimique faisant des centaines de morts, la « ligne rouge » décrétée par le Président Obama en 2012 étant tragiquement franchie. Affirmant détenir des preuves de la culpabilité du régime de Bachar el-Assad, Obama annonce une intervention militaire « punitive » et « limitée », qui aurait en fait été planifiée par son état-major pour être une « frappe monstrueuse ». (16) L’année suivante, une étude du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) montrera que les tirs de roquettes chimiques provenaient d’une zone contrôlée par les rebelles. (17) Cette même année, le grand reporter Seymour Hersh relayera les accusations d’un haut responsable du Renseignement états-unien, qui affirma sous couvert d’anonymat que les services spéciaux turcs, via le Front al-Nosra, auraient perpétré cette attaque chimique pour susciter une intervention militaire directe des États-Unis et de leurs alliés contre le régime el-Assad. (18)

Malgré le franchissement de sa « ligne rouge », le Président Obama décida au dernier moment  de demander l’approbation du Congrès pour lancer ces frappes, (19) ce vote ayant été repoussé puis annulé du fait de l’initiative russe de désarmement chimique. En analysant ce revirement, le spécialiste de la Syrie Fabrice Balanche expliqua que l’opposition frontale de la Russie à cette intervention aurait incité Washington à renoncer à attaquer directement le régime el-Assad. (20) Seymour Hersh affirma quant à lui qu’Obama fût dissuadé par son état-major de déclencher les hostilités, ces généraux craignant un embrasement généralisé du Moyen-Orient en cas d’intervention. (21) Quelles qu’en soient les raisons, ce recul présidentiel a renforcé de facto la perception erronée du rôle de l’Occident dans le conflit syrien, puisque les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne ne sont pas intervenus directement, c’est-à-direouvertement, dans cette guerre civile.

Or, quelques jours après le revirement d’Obama annoncé le 31 août 2013, le Washington Post rapporta que les services spéciaux des États-Unis « commençaient » à armer les rebelles en Syrie, ce qui était en fait le cas depuis janvier 2012. (22) Néanmoins, les déclarations contradictoires sur la nature « létale » ou « non-létale » du soutien accordé aux rebelles « modérés » se succèderont, semant le trouble dans l’opinion publique et les médias. (23) Quoi qu’il en soit, l’option de l’intervention militaire directe fut abandonnée au profit de l’intensification d’une guerre secrète multinationale, qui trouve ses origines en 2011. (24)

Depuis cette année-là, Washington et ses partenaires occidentaux ont pu dissimuler l’ampleur réelle de leur engagement clandestin dans ce qui est devenu l’échiquier géopolitique syrien. J’ai détecté trois principales raisons expliquant pourquoi cette guerre secrète de la CIA et de ses alliés contre le régime el-Assad est incomprise, refoulée ou ignorée.

1. La clandestinité, donc la confidentialité

Coordonnées depuis des États limitrophes (Jordanie et Turquie), (25) et impliquant de nombreux pays hostiles à Bachar el-Assad, (26) les activités de la CIA visant la Syrie sont peu et mal documentées. Le fait qu’elles soient classifiées empêche les dirigeants états-uniens d’en exposer les détails, comme l’avait rapporté le Guardian en 2014. (27) Leur caractère clandestin est donc une source majeure de confusion, puisque les médias manquent d’informations et les responsables à Washington en parlent peu, et de façon imprécise ou trompeuse. (28) Il en va de même en France et en Grande-Bretagne. (29)

Des sources autorisées, dont Hillary Clinton, ont affirmé que le Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en 2012, (30) passant sous silence les trafics d’armes clandestins de la CIA lancés en janvier de cette année-là avec le Qatar, la Turquie, l’Arabie saoudite et le MI6 britannique. (31) Comme nous le verrons, ces opérations illégales de l’Agence se sont intensifiées en 2013, et elles ont approvisionné « presque exclusivement » des factions jihadistes. (32) Plus récemment, le sénateur John McCain a confirmé que la CIA était active en Syrie, mais il n’a donné aucun détail sur ces opérations. (33) D’autres sources gouvernementales de haut niveau, comme le Vice-président Joe Biden ou l’ancien chef d’états-majors interarmées Martin Dempsey, (34) ont désigné leurs alliés moyen-orientaux comme les financeurs des extrémistes sur le territoire syrien, omettant le fait que la guerre secrète de la CIA dans ce pays a impliqué jusqu’à présent (35) ces mêmes partenaires. Enfin, l’une des principales sources de confusion a été le Président Obama lui-même, puisqu’il a publiquement mis en doute l’efficacité des politiques de la CIA visant à soutenir clandestinement les insurrections – donnant ainsi la fausse impression de ne pas avoir lancé de guerre secrète contre el-Assad en Syrie. (36)

Il s’avère également que, depuis 2012, la plupart des articles de presse ont décrit une intervention limitée et inefficace de l’Agence. (37) Or, tout en alimentant cette notion d’« inefficacité », le Washington Post a révélé en juin 2015 que le coût annuel des opérations de la CIA en Syrie s’élevait à environ un milliard de dollars depuis 2013, et qu’au moins 10 000 rebelles auraient été formés par l’Agence. (38) En septembre 2014, des journalistes de McClatchyDC.com estimaient qu’environ 40 000 combattants étaient alors soutenus par les États-Unis et leurs alliés, en se basant notamment sur des informations du principal commandant de l’Armée Syrienne Libre (ASL). (39) Toujours d’après leWashington Postce programme clandestin de la CIA est cofinancé par un nombre indéterminé de milliards de dollars supplémentaires fournis par ses alliés turcs, saoudiens et qataris, qui soutiennent notoirement des groupes jihadistes sur le terrain. (40) Ces informations, que nous étudierons en détail, ne peuvent que bouleverser notre perception de l’engagement des États-Unis et de leurs partenaires dans la guerre en Syrie, et c’est le principal objectif de cet article.

2. Les rebelles « modérés » 

Autre source majeure de confusion : il ne peut être remis en question que la CIA et des services spéciaux occidentaux ont clandestinement armé et soutenu l’opposition décrite comme « modérée » depuis 2011, en coopérant avec leurs alliés moyen-orientaux. (41) Avant d’analyser cette notion controversée de « modération », affirmons d’emblée que l’engagement clandestin de la CIA et de ses alliés dans ce pays n’est pas le seul facteur de la montée en puissance des groupes extrémistes dans cette guerre civile. En effet, le principal expert du terrorisme au sein de la « CIA privée » (42) Stratfor écrivait dès janvier 2013 que,

« [d]ans le paysage chaotique de l’opposition syrienne, la convergence des objectifs et l’efficacité au combat des jihadistes ont fait en sorte que ces groupes attirent un grand nombre de nouvelles recrues. Mais ce ne fut pas le seul facteur de la radicalisation des rebelles syriens. Tout d’abord, la guerre – et en particulier un conflit brutal et interminable –, tend à radicaliser les combattants qui y sont impliqués. Songez à Stalingrad, aux luttes de la guerre froide en Amérique centrale, ou aux épurations ethniques dans les Balkans à la suite de la dissolution de la Yougoslavie ; ce degré d’adversité et de souffrance transforme des personnes neutres en extrémistes. En Syrie, nous avons observé de nombreux musulmans laïcs devenir des jihadistes intransigeants. Ensuite, le manque d’espoir pour une intervention occidentale a supprimé tout élan en faveur d’un ancrage laïc de l’opposition. » (43)

L’auteur de cet article ajouta néanmoins que, « [l]orsque ces facteurs idéologiques furent associés à l’introduction [massive] d’argent et d’armements pour soutenir des groupes jihadistes en Syrie l’année dernière [, c’est-à-dire en 2012], la croissance de ces milices s’est dramatiquement accélérée. Aujourd’hui, ces dernières ne sont pas seulement un acteur majeur sur le champ de bataille, mais elles sont également une force qu’il va falloir prendre en compte à l’avenir. » (44) Cette analyse, sur laquelle nous reviendrons, montrait dès janvier 2013 que les factions extrémistes allaient poser problème sur le long terme, comme en Afghanistan depuis les années 1980. Par ailleurs, elle décrivait déjà une guerre secrète multinationale en Syrie, qui alliait « Washington et Riyad » avec « des États européens » et « des puissances régionales telles que la Turquie, la Jordanie, le Qatar et les Émirats Arabes Unis  ». (45) Cependant, les principales puissances occidentales ont toujours affirmé soutenir des rebelles « modérés », et non des milices jihadistes.

Or, en observant deux précédents historiques, la « modération » des groupes armés durant les guerres secrètes de la CIA a été systématiquement invoquée par les autorités et les médias grand public. Le 4 mai 1983, alors qu’il abordait la question du soutien des Contras au Nicaragua, le « Président Reagan déclara (…) que [c]es groupes d’insurgés recevant de l’aide clandestine de la part de [la CIA] étaient des “combattants de la liberté” s’opposant à un gouvernement qui avait trahi ses principes révolutionnaires ». (46) À l’époque, cette expression « combattants de la liberté » était aussi utilisée par la presse et par l’administration Reagan pour décrire les moudjahidines soutenus par l’Agence en Afghanistan. (47) Or, ces derniers et leur réseau de soutien – le Maktab al-Khadamat (MAK) géré par Abdullah Azzam et Oussama ben Laden –, deviendront les talibans et al-Qaïda dans les années 1990. (48) Par ailleurs, les Contras commettront de nombreuses exactions dans la guerre secrète de la CIA au Nicaragua. (49) Aujourd’hui, les médias et les gouvernements occidentaux continuent d’affirmer que les rebelles soutenus par l’Agence et ses alliés en Syrie sont des « modérés ». Or, la prédominance de factions jihadistes dans l’opposition armée ne fait plus aucun doute.

Allant plus loin dans ce raisonnement, de nombreux experts ont affirmé que la distinction entre les « extrémistes » et les « modérés » dans le conflit syrien n’existait plus. En septembre 2014, l’ancien représentant au Congrès Dennis Kucinich avait rédigé cette analyse percutante pour critiquer le programme de formation du Pentagone aujourd’hui interrompu :

« Écrivant sur la connexion entre l’Arabie saoudite et l’État Islamique (EI), l’historien [et ancien officier du MI6] Alastair Crooke a récemment décrit les insurgés “modérés” en Syrie comme étant “plus rares que la licorne des légendes”. Les “modérés” ont conclu un pacte de non-agression avec l’EI. Les “modérés” ont capturé [James Foley,] un journaliste états-unien [,] et l’ont vendu à l’EI, qui l’a décapité. L’Arabie saoudite qui, avec le Qatar, a financé les jihadistes en Syrie, propose désormais de “former” les rebelles. Le Congrès est prié d’avaler cette recette douteuse : les sponsors des jihadistes radicaux vont former des jihadistes “modérés”. (…) Les soi-disant “rebelles” sont des mercenaires qui viennent de plus de 20 pays. Ils s’organisent et se réorganisent constamment en nouveaux groupes, qui offrent leur allégeance à quiconque les paye ou leur fournit des armes – et ce à tout moment. » (50)

Récemment, le grand reporter et spécialiste du Moyen-Orient Richard Labévière a écrit que l’ASL « n’existe plus que sur le papier », expliquant que les rebelles « modérés » avaient été absorbés par le Front al-Nosra. (51) Peu après le lancement de l’intervention russe en Syrie, le célèbre journaliste d’investigation Gareth Porter a affirmé que l’opposition modérée – en tant que force offensive menaçant le régime el-Assad –, n’était qu’un mythe, s’étonnant que les médias continuent de présenter les rebelles appuyés par l’Agence comme des « modérés ». (52)

Or, après les premières frappes russes, le sénateur John McCain a déclaré que l’« Armée Syrienne Libre ou des groupes (…) armés et entraînés par la CIA » avaient été ciblés ; (53) en France, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a critiqué la Russie pour avoir frappé « des résistants », (54) malgré de sérieux doutes sur la modération des combattants actuellement soutenus par les États-Unis et leurs partenaires dans ce conflit. Par exemple, l’expert Alain Rodier a déclaré au Figaro qu’il était « tout à fait exact de dire que les Russes frappent à 80 % des mouvements autres que Daech. Il faut uniquement rajouter que la plupart dépendent d’al-Qaïda, vous savez, cette organisation à la base des attentats du 11 septembre 2001, de 2004 à Madrid et de 2005 à Londres… » (55)

Ainsi, cette distinction entre les « modérés » et les « extrémistes » est de plus en plus discutable, n’étant pas claire depuis le début de ce conflit. En effet, selon le Washington Post, de nombreux combattants « modérés » et affiliés à l’Armée Syrienne Libre (ASL) ont rejoint les rangs du Front al-Nosra ou de Daech après avoir été armés et/ou entraînés par des forces spéciales et des services secrets occidentaux, initialement en Libye. (56) En outre, certains des principaux commandants rebelles soutenus par les États-Unis ont affirmé transmettre des armes à ces deux organisations extrémistes, ou entretenir de bons rapports avec celles-ci. (57) D’après Charles Lister, un expert de la Brookings Institution pourtant hostile au régime de Bachar el-Assad, (58) « [l]a grande majorité de l’insurrection syrienne s’est étroitement coordonnée avec al-Qaïda depuis le milieu de l’année 2012 – ce qui a eu un impact considérable sur le terrain ». (59)

À cette époque, en juillet 2012, le prince Bandar était nommé à la tête des services spéciaux saoudiens, ce qui avait été analysé par la plupart des experts comme un signe de durcissement de la politique syrienne de l’Arabie saoudite. (60) Surnommé Bandar Bush du fait de sa proximité avec la dynastie présidentielle du même nom, il était ambassadeur à Washington à l’époque des attaques du 11-Septembre. Depuis plusieurs années, cet homme intimement lié à la CIA (61) est accusé par l’ancien sénateur de Floride d’avoir soutenu certains des pirates de l’air désignés coupables de ces attentats. (62) Jusqu’à ce qu’il soit poussé vers la sortie en avril 2014, le Guardian souligna que « Bandar avait dirigé les efforts saoudiens visant à mieux coordonner les livraisons d’armes aux rebelles combattant el-Assad en Syrie. Néanmoins, il a été critiqué pour avoir soutenu des groupes islamistes extrémistes, risquant ainsi le même “retour de bâton” que celui des combattants saoudiens d’Oussama ben Laden rentrant au pays après le jihad contre les Soviétiques en Afghanistan dans les années 1980 – une guerre sainte qui avait été autorisée officiellement. » (63)

En août 2012, quelques semaines après la nomination du prince Bandar à la tête des services saoudiens, Reuters révélait que le Président Obama avait signé un décret classifié autorisant une intervention clandestine prétendument « non-létale » de la CIA en Syrie. (64) Or, plusieurs sources convergentes ont indiqué que des opérations d’approvisionnement en armes avaient été lancées dès janvier 2012 par le général David Petraeus, (65) qui dirigeait alors la CIA. Aujourd’hui « à la retraite » dans un fonds d’investissement de Wall Street (KKR), ce dernier a publiquement exhorté l’administration Obama de soutenir des transfuges d’al-Qaïda pour combattre Daech. (66) À l’évidence, l’Agence et ses partenaires ont mené des politiques particulièrement troubles en Syrie, qui ont considérablement aggravé ce conflit.

En 2014, un parlementaire états-unien avait déclaré sous couvert d’anonymat que la CIA était « bien consciente que de nombreuses armes fournies [par l’Agence] avaient terminé dans de mauvaises mains. » (67) En octobre 2015, l’éminent expert de la Syrie Joshua Landis affirma qu’« entre 60 et 80 % des armes que les États-Unis ont introduites [dans ce pays] sont allées à al-Qaïda et les groupes qui lui sont affiliés ». (68) Or, cette politique clandestine et multinationale de soutien à l’insurrection s’est poursuivie jusqu’à présent, et elle n’a cessé de s’intensifier. La comparant à la guerre secrète de la CIA en Afghanistan, l’éditorialiste Michel Colomès a écrit que les « Américains et [les] Français, depuis l’entrée de la Russie dans la guerre syrienne, fournissent des armes à des islamistes réputés fréquentables. Ils ont la mémoire courte. » (69)

D’après le Washington Post, le député au Congrès Adam Schiff a indiqué en novembre 2014 avoir été « troublé par (…) l’exaspération des factions prétendument modérées vis-à-vis des frappes états-uniennes contre des positions d’al-Nosra, suggérant que les milices soutenues par les États-Unis considèrent cette organisation affiliée à al-Qaïda comme un allié contre le Président syrien Bachar el-Assad, et non comme un adversaire ». (70) Il a également déclaré être au courant que l’« opposition modérée se liguait avec al-Nosra ». (71) Ainsi, des sources parlementaires confirment que les États-Unis et leurs alliés ont consciemment soutenu des factions pas aussi « modérées » qu’elles nous ont été décrites par les médias, mais aussi par les dirigeants ayant imposé le renversement de Bachar el-Assad comme une priorité stratégique. (72)

3. La multinationalité et le « déni plausible »

Le caractère multinational des opérations anti-Assad a aussi été une source majeure de confusion. Tout d’abord, bien que de nombreux services occidentaux et moyen-orientaux aient été conjointement impliqués dans ce conflit, il reste difficile de penser cette guerre secrète sous un angle multinational. En effet, les médias et les spécialistes ont eu tendance à dissocier les politiques syriennes des différents États clandestinement engagés dans la déstabilisation de la Syrie. Il est vrai que le renoncement des États-Unis à intervenir directement a suscité de vives tensions diplomatiques avec la Turquie et l’Arabie saoudite. (73) Par ailleurs, l’hostilité du roi Abdallah à l’égard des Frères musulmans a engendré des dissensions majeures entre, d’un côté, le royaume saoudien et, de l’autre, le Qatar et la Turquie – ces tensions s’étant atténuées après l’intronisation du roi Salmane en janvier 2015. (74)

Du fait de ces divergences, les politiques syriennes des États hostiles au régime el-Assad ont été trop peu analysées sous leur angle multinational. Plus exactement, les opérations occidentales ont été dissociées de celles des pays moyen-orientaux. Or, les services spéciaux de ces différents États ont mené jusqu’à présent des actions communes et coordonnées, dans l’opacité abyssale de la classification. En janvier 2012, la CIA et le MI6 ont lancé des opérations clandestines d’approvisionnement en armes des rebelles entre la Libye, la Turquie et la Syrie, avec de l’aide et des financements turcs, saoudiens et qataris. (75) Comme nous l’avons souligné précédemment, il s’est avéré que ces armements ont été livrés « presque exclusivement » à des factions jihadistes, selon le parlementaire britannique Lord Ashdown. (76) D’après le grand reporter Seymour Hersh, « [l]’implication du MI6 a permis à la CIA de se soustraire à la loi en classant sa mission comme une opération de liaison. » (77) Les actions de l’Agence en Syrie sont-elles mieux contrôlées aujourd’hui ? La question reste ouverte, mais la doctrine du « déni plausible » traditionnellement mise en œuvre par la CIA pourrait être un élément de réponse. (78)

En commentant la complexe affaire de Benghazi, un ancien expert du contre-espionnage à la CIA nommé Kevin Shipp souligna que, « dans les opérations de trafic d’armes que l’Agence souhaite pouvoir démentir, elle implique en général une tierce partie. “Le mode opératoire de la CIA nécessite un ‘intermédiaire’, donc on obtient du Qatar [qu’il] achemine les armes tout en lui facilitant le transport. Ainsi, la tierce partie sera tenue pour responsable [si l’opération est divulguée]”. » (79) Même si ce mode opératoire tend à brouiller les pistes, le rôle central de la CIA dans cette guerre secrète multinationale ne fait plus de doute. En octobre 2015, le New York Times expliqua que

« [l]es missiles antichars TOW de fabrication américaine ont fait leur apparition dans la région en 2013, à travers un programme clandestin [de la CIA] mené par les États-Unis, l’Arabie saoudite et d’autres alliés. Celui-ci vise à aider des groupes d’insurgés “sélectionnés” par l’Agence à combattre le gouvernement syrien. Ces armes sont livrées sur le terrain par des alliés des Américains, mais les États-Unis approuvent leur destination [– des autorisations qui sont en fait “implicites”, comme nous le verrons]. (…) Des commandants rebelles ont éclaté de rire lorsqu’on les a questionnés sur la livraison de 500 TOW en provenance d’Arabie saoudite, déclarant qu’il s’agissait d’un nombre ridicule comparé à ce qui est réellement disponible. En 2013, l’Arabie saoudite a commandé [à Washington] plus de 13 000 [TOW]. » (80)

Sans surprise, cet article limite le soutien états-unien à des rebelles « modérés », et le rôle de l’Agence dans les opérations de guérilla n’y est même pas évoqué. Or, l’Arabie saoudite, avec le Qatar et la Turquie, sont généralement accusés de soutenir al-Qaïda en Syrie, et nous verrons que la CIA coordonne ses opérations avec ces mêmes partenaires depuis deux centres de commandement situés sur les territoires turcs et jordaniens. Dans le cadre de ce programme multinational, des missiles antichars de fabrication états-unienne ont été livrés à al-Qaïda par des partenaires étrangers de la CIA. En effet, selon le journaliste Gareth Porter, « [l]a campagne d’Idleb [au printemps 2015] a été une conséquence directe d’une décision politique de l’Arabie saoudite et du Qatar – approuvée par les États-Unis –, de soutenir la création de l’“Armée de la Conquête” et de lui fournir du nouveau matériel militaire, qui fut un facteur crucial dans cette campagne : le missile antichars TOW. » (81) Il faut alors souligner que l’« Armée de la Conquête » est une coalition de milices majoritairement islamistes, dont l’une des principales forces est le Front al-Nosra, qui est la branche syrienne d’al-Qaïda. (82)

À la suite de l’entrée en guerre de la Russie, un ancien conseiller du Pentagone a confirmé au Washington Post que le recours à des partenaires étrangers impliquait le « déni plausible », ce qui permet de couvrir les opérations de la CIA en Syrie : « Fabriqués par Raytheon, les missiles [TOW] proviennent principalement des stocks du gouvernement saoudien, qui en avait acheté 13,795 en 2013 (…) Puisque les accords de vente nécessitent que l’acheteur informe les États-Unis de leur destination finale, l’approbation [de Washington] est implicite, selon Shahbandar, un ancien conseiller du Pentagone. D’après lui, aucune décision n’est requise de la part de l’administration Obama pour que ce programme puisse continuer. “II n’y a pas besoin d’un feu vert américain. Un feu orange est suffisant”. “Il s’agit d’un [programme] clandestin et il peut techniquement être démenti, mais c’est le propre des guerres par procuration.” » (83) Ainsi, la doctrine du « déni plausible », qui implique des tierces parties sur lesquelles on peut rejeter la faute, semble expliquer pourquoi le rôle de la CIA et de ses alliés occidentaux dans cette guerre secrète est refoulé, déformé ou minimisé.

Récemment, cette application de la doctrine du « déni plausible » par l’Agence dans cette guerre civile a été confirmée par l’expert britannique Nafeez Ahmed : « Les États-Unis ont fui leur responsabilité dans [le conflit syrien] en ayant recours à la plus traditionnelle des opérations de maquillage des faits : rendre leurs dénégations plausibles en rejetant la faute sur les autres. Depuis 2012, le programme d’approbation des rebelles, géré clandestinement par la CIA, est mis en œuvre en dehors de la Syrie, dans des pays partenaires comme l’Arabie saoudite, le Qatar, la Jordanie et la Turquie. Bien que les membres de la CIA et de l’armée américaine supervisent le programme, ils se fondent principalement sur les “renseignements” des pays alliés pour “l’approbation” des rebelles. » (84) Dans un contexte aussi trouble et opaque, l’engagement de l’Agence et de ses alliés occidentaux est officiellement limité au soutien de rebelles « modérés », alors que leurs partenaires moyen-orientaux sont continuellement accusés d’appuyer les extrémistes sur le terrain. Or, ces différents services spéciaux collaborent étroitement afin de combattre le régime de Bachar el-Assad. Le fait que si peu de journalistes et d’experts aient souligné ce paradoxe me semble pour le moins alarmant.

Au contraire, les médias et les spécialistes ont eu tendance à différencier les actions clandestines des États du Moyen-Orient de celles des puissances occidentales. Or, nous avons vu que, dès janvier 2013, la société privée de renseignement Stratfor décrivait une guerre secrète multinationale en Syrie, qui alliait « Washington et Riyad » avec « des États européens » et « des puissances régionales telles que la Turquie, la Jordanie, le Qatar et les Émirats Arabes Unis  ». (85) Et les opérations multinationales de la CIA se sont intensifiées à partir de 2013, (86) malgré le scepticisme affiché par le Président Obama sur l’efficacité des politiques de soutien clandestin aux insurrections. (87)

Par conséquent, j’ai développé une vision plus inclusive et globale des ingérences anti-Assad, qui ont été organisées dans les arcanes confidentiels et mal contrôlés des services spéciaux. (88)  Au vu des informations disponibles, j’ai pu déterminer que le gouvernement des États-Unis et ses partenaires avaient bel et bien lancé, dès 2011, (89) une guerre secrète multinationale en Syrie. Étant illégale et clandestine, cette intervention de l’Agence et de ses alliés est mal comprise et insuffisamment documentée. Par ailleurs, des obstacles juridiques et moraux pourraient expliquer la discrétion de Washington et de ses partenaires sur ces opérations, et notamment la sous-traitance de celles-ci aux services turcs, qataris et saoudiens – qui montrent moins de scrupules à soutenir directement des milices islamistes. (90) Ainsi, la spectaculaire montée en puissance de Daech et d’al-Qaïda dans le conflit syrien semble avoir été grandement encouragée par cette politique clandestine et multinationale, bien que l’extension correspondante du chaos islamiste ait été anticipée dès 2012 par le Renseignement militaire du Pentagone (DIA). (91)

Une guerre secrète multinationale coordonnée depuis la Jordanie et la Turquie

En août dernier, j’ai étudié les révélations du général Michael Flynn sur Al-Jazeera, en soulignant qu’elles n’avaient pas été relayées par les médias français. (92) Ancien directeur de la DIA, le général Flynn a confirmé qu’en 2012, la Maison Blanche savait que le « noyau dur » de la rébellion en Syrie était extrémiste, et que le soutien multinational à ces groupes pourrait engendrer l’émergence d’un « État Islamique » entre l’Irak et ce pays. (93) Or, le général Flynn n’a pas démenti les accusations du journaliste d’Al-Jazeera, qui affirma à plusieurs reprises durant son interview qu’en 2012, «les États-Unis aidaient [la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite] à coordonner les transferts d’armes vers [des] groupes (…) salafistes, les Frères musulmans [et] al-Qaïda en Irak » afin de déstabiliser la Syrie. (94) Il semble même avoir confirmé ces allégations, qui se basaient sur un rapport déclassifié de la DIA. (95) Sollicité durant l’écriture de cet article, le général Flynn n’a pas répondu à mes demandes de clarification.

Pour contextualiser cette interview, j’avais reproduit un argument clé de Nafeez Mosaddeq Ahmed, selon lequel « la CIA a été directement impliquée dans la gestion de ces réseaux d’approvisionnement rebelles. (…) [D]es responsables américains du renseignement militaire (96) [ont] supervis[é] la fourniture d’armes et l’aide des États du Golfe et de la Turquie [aux rebelles en Syrie], à partir des mêmes centres de commandement opérationnel dans le Sud de la Turquie et en Jordanie, qui continuent d’être coordonnés conjointement par les services de renseignement occidentaux et arabes. » (97) Bien que Nafeez Ahmed soit un spécialiste mondialement reconnu, un ami m’a fait remarquer que cet argument était insuffisamment documenté. Or, dans un article plus récent, le Dr. Ahmed a cité Charles Lister, un expert de la prestigieuse Brookings Institution. En mai dernier, cet analyste confirma que les États-Unis dirigent des opérations de guérilla depuis deux centres de commandement multinationaux en Turquie et en Jordanie. Et d’après cette source crédible, à partir du printemps 2015, les services spéciaux états-uniens ont appuyé directement des forces islamistes :

« En public, la ligne officielle consiste à dire que la stratégie de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie ne finance pas directement le Front al-Nosra, bien que cette coalition géopolitique ait conscience que ce groupe bénéficiera du soutien apporté à des factions islamistes rebelles.

En privé, de nombreux commandants de la rébellion en charge de l’opération (…) menée à Idleb [au printemps 2015] ont déclaré à Charles Lister, [un expert de la] Brookings Institution, “que la salle d’opérations dirigée par les États-Unis au sud de la Turquie, qui coordonne les approvisionnements d’aide létale et non-létale à des groupes d’opposition sélectionnés [par la CIA], a servi à faciliter [l’]engagement [des islamistes] dans cette opération à partir de début avril [2015]. Ces dernières semaines, ce centre de commandement, ainsi qu’un autre en Jordanie, qui couvre le Sud de la Syrie, semblent avoir considérablement intensifié leur aide et leurs transferts de renseignements à des groupes jugés non extrémistes [par la CIA]”.

En d’autres termes, la branche officielle d’al-Qaïda en Syrie, et une autre milice étroitement liée à [cette nébuleuse terroriste], faisaient partie des factions “modérées” et “triées sur le volet” qui ont reçu des armes et du soutien de la part d’États du Golfe et de la Turquie, sous la supervision de personnel des renseignements militaires états-uniens sur le terrain. » (98)

Sollicité durant l’écriture de cette analyse, Nafeez Ahmed m’a indiqué que l’expression « personnel des renseignements militaires » des États-Unis désignait des officiers de la CIA collaborant avec le JSOC, le commandement des opérations spéciales du Pentagone. Ainsi, l’Agence et ses partenaires états-uniens et étrangers ont « facilité » au printemps 2015 les offensives des factions « islamistes » dans la province d’Idleb.

Nafeez Ahmed et Charles Lister désignent en fait l’Armée de la Conquête, une coalition de groupes jihadistes créée et soutenue par le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie au premier trimestre 2015. (99) Cette milice allie le Front al-Nosra et le groupe Ahrar al-Sham, une force rebelle salafiste fréquemment décrite comme « modérée ». (100) Précédemment, nous avons souligné que cette coalition extrémiste recevait, essentiellement par l’entremise de l’Arabie saoudite, des missiles TOW de fabrication états-unienne – dans le cadre d’un programme clandestin de la CIA. Il semblerait donc que ces livraisons d’armes aient été coordonnées depuis ces « salles d’opérations » en Turquie et en Jordanie. Dans son article, Nafeez Ahmed a rapporté d’autres révélations alarmantes de Charles Lister sur ces politiques profondes : (101)

« “Bien que ces centres d’opérations multinationaux aient d’abord demandé que les bénéficiaires des aides militaires cessent leur coordination directe avec des groupes tels que le Front al-Nosra”, écrivit Lister, “les dynamiques récentes à Idleb nous amènent à un constat différent. En effet, non seulement ces livraisons d’armes à des groupes soi-disant ‘triés sur le volet’ se sont multipliées, mais ces centres de commandement ont spécifiquement encouragé une plus étroite collaboration avec des islamistes commandant les opérations sur le front” [, les missiles TOW étant un élément essentiel de ces offensives (102)]. »

Contacté durant l’écriture de cet article, Charles Lister n’a pas répondu à mes sollicitations, sachant que je lui avais demandé la localisation de ces centres de commandement multinationaux. Néanmoins, la base opérationnelle de la CIA en Jordanie est située à Amman, selon différentes sources de la presse grand public, dont le New York Times. (103) À ma connaissance, l’existence de ce centre de commandement – plus connu sous l’acronyme MOC, pour Military Operations Center –, avait été révélée en décembre 2013. (104)

De plus, nous savons depuis juillet 2012 qu’une autre salle d’opérations multinationale avait été mise en place dans la ville d’Adana, au sud de la Turquie. (105)  Par la suite, deux autres centres de ce type ont été créés à Istanbul puis à Ankara. (106) Or, sachant que Monsieur Lister a fait référence à une « salle d’opérations dirigée par les États-Unis au sud de la Turquie », il est possible que ce « centre névralgique » soit celui d’Adana – ville qui abrite également une base aérienne de l’OTAN. Par ailleurs, bien que la CIA soit officiellement en charge de superviser les opérations clandestines des États-Unis en Syrie, des forces spéciales et des services secrets occidentaux participent à ce conflit de l’ombre, en étroite collaboration avec leurs homologues turcs, qataris, saoudiens, jordaniens et israéliens – voire avec d’autres agences. (107) Depuis 2013, cet engagement profond de la CIA et de ses alliés dans la guerre civile en Syrie s’est considérablement intensifié, et nous commençons tout juste à en mesurer l’ampleur. (108)

En Syrie, « l’une des plus grandes opérations clandestines » de la CIA

Contrairement au mythe de l’« inaction » occidentale contre le régime de Bachar el-Assad, la CIA a été massivement impliquée en Syrie, dans le cadre d’une intervention clandestine subventionnée par des budgets classifiés, mais également étrangers. Or, ces financements extérieurs et les milliards de dollars qu’ils mobilisent ne sont pas supervisés par le Congrès US, cette institution n’ayant pas le pouvoir d’exercer son contrôle sur des politiques ou des budgets étrangers. (109) Selon le Washington Post, ce programme de la CIA a été cofinancé par le gouvernement des États-Unis à hauteur d’environ un milliard de dollars par an depuis 2013 ; et cette politique s’est inscrite jusqu’à présent dans un « effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie », officiellement pour soutenir une coalition « modérée » depuis la Jordanie. (110)

Or, comme l’avons vu précédemment, de telles opérations sont également coordonnées par la CIA depuis le Sud de la Turquie, et elles impliquent actuellement les milices extrémistes de l’Armée de la Conquête. Le Washington Post n’a pas fait le lien avec ces actions dans le Nord de la Syrie, mais il a confirmé le caractère multinational de l’intervention de la CIA. Essentiellement, le volume de dépenses avancé par ce journal tend à confirmer une véritable guerre secrète, qui implique notamment « la gestion d’un vaste réseau logistique utilisé pour déplacer des combattants, des munitions et des armes à travers [la Syrie]. » Voici donc un extrait de cet important article :

« Récemment, la Commission de la Chambre des Représentants sur le Renseignement a voté à l’unanimité pour supprimer jusqu’à 20 % des fonds classifiés alimentant un programme [secret] de la CIA, que certains hauts responsables états-uniens ont décrit comme l’une des plus grandes opérations clandestines de l’Agence, dotée d’un budget avoisinant le milliard de dollars par an. (…) Le coût de ce programme de la CIA n’avait pas été dévoilé auparavant ; et ces chiffres nous montrent à quel point l’attention et les ressources de l’Agence ont été redirigées vers la Syrie. Financées à hauteur d’un milliard de dollars [par an], les opérations liées à ce pays représentent un dollar sur quinze dans le budget général de la CIA, à en juger par les niveaux de dépenses révélés dans des documents obtenus par le Washington Post grâce à l’ancien consultant des renseignements états-uniens Edward Snowden. (…)

La CIA a refusé de commenter ce programme et son budget. Mais des hauts responsables états-uniens ont défendu l’ampleur de ces dépenses, déclarant que cet argent finançait bien plus que des salaires et des armes, et qu’il entrait dans le cadre d’un plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie pour soutenir une coalition de milices regroupées sous le nom de “Front du Sud” de l’Armée Syrienne Libre.

La majorité de cet argent dépensé par la CIA est dédiée au fonctionnement de camps d’entraînements secrets en Jordanie, à la collecte de renseignements pour soutenir les opérations des milices appuyées par l’Agence, ainsi qu’à la gestion d’un vaste réseau logistique utilisé pour déplacer des combattants, des munitions et des armes à travers ce pays. » (111)

Comme je l’ai indiqué précédemment, les articles de presse et les déclarations publiques sur l’implication de la CIA en Syrie en ont presque systématiquement minimisé l’ampleur. (112) Or, cet engagement a été récemment décrit par leWashington Post comme l’une des priorités budgétaires de l’Agence. Et comme l’a révélé cet article, un nombre indéterminé de milliards de dollars provenant de « l’Arabie saoudite, [du] Qatar et [de] la Turquie » cofinancent ce programme. Il est néanmoins surprenant que le Post ait attribué ces budgets au seul soutien d’« une coalition de milices regroupées sous le nom de “Front du Sud” de l’Armée Syrienne Libre », tout en évoquant un « un vaste réseau logistique utilisé pour déplacer des combattants, des munitions et des armes à travers [la Syrie] ». (113) Par ailleurs, cet article n’évoque pas le centre de commandement de la CIA basé au sud de la Turquie, dont nous avons étudié les opérations récentes impliquant al-Qaïda. Contactés durant l’écriture de cette analyse, les deux journalistes à l’origine de ces révélations du Washington Post n’ont pas répondu à mes demandes.

Néanmoins, leurs informations nous confirment l’existence d’une opération clandestine de grande ampleur, qui implique les trois États notoirement connus pour soutenir les groupes extrémistes dans ce conflit. Loin de nous permettre d’en tirer des conclusions définitives, ces révélations soulèvent des questions dérangeantes sur les politiques profondes de la CIA et de ses alliés en Syrie, en particulier si l’on prend en compte la doctrine du « déni plausible » étudiée précédemment.

Les précédents afghans et nicaraguayens

Récemment, la collaboration du MI6 avec des groupes jihadistes en Syrie a été reconnue par la justice britannique. (114) Dans l’Hexagone, deux députés de l’opposition ont dénoncé le rôle trouble des services spéciaux français dans ce conflit, l’un d’entre eux ayant même déclaré que « la France soutient al-Qaïda en Syrie ». (115) En janvier 2012, « trois mois et demi après que l’administration [Obama] eut annoncé pour la première fois une “aide non-létale” à l’opposition [en Syrie], la CIA commença à faciliter des livraisons aéroportées d’armements à la rébellion. En mars 2013, 160 vols étaient recensés et “environ 3,500 tonnes d’équipement militaire” avaient été livrés aux rebelles. La CIA aida les “gouvernements arabes à acheter ces armes”, et “enquêta sur les commandants rebelles et leurs groupes afin de déterminer lesquels devaient recevoir ces armements lorsqu’ils arrivaient à destination.” » (116)

Or, quelques mois après ces révélations, le parlementaire britannique Lord Ashdown dénonça le fait que ces armements livrés « avec l’aide » de la CIA étaient destinés à des jihadistes en Syrie. D’après lui, « “[ces rebelles] n’ont pas besoin d’armes. Il n’a pas été démenti que 3 500 tonnes d’armes avaient été livrées depuis la Croatie avec l’aide de la CIA. Financés par les Qataris, financés par les Saoudiens, [ces armements] sont allés presque exclusivement vers les groupes les plus extrémistes”, déclara l’ancien haut représentant international en Bosnie lors d’un débat [parlementaire]. » (117)

Ainsi, à partir de l’année 2012, nous pouvions déjà parler d’une intervention clandestine multinationale à grande échelle – sur le modèle de l’Afghanistan dans les années 1980. En janvier 2013, le principal expert en terrorisme de la « CIA privée » Stratfor déclara que « le niveau d’ingérence extérieure en Syrie [était] comparable à celui observé contre l’URSS et ses alliés communistes à la suite de l’intervention soviétique en Afghanistan. Les soutiens étrangers [– désignés comme étant “les États-Unis, la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et des États européens” –,] fournissent non seulement des entraînements, des renseignements et de l’aide, mais également des armes – des armes exogènes qui rendent évidents ces approvisionnements extérieurs. Par ailleurs, il est intéressant de constater que deux des principaux soutiens externes en Syrie sont Washington et Riyad, bien qu’ils soient alliés dans ce pays avec des puissances régionales telles que la Turquie, la Jordanie, le Qatar et les Émirats Arabes Unis, plutôt qu’avec le Pakistan [– en référence à la guerre secrète de la CIA, de l’ISI pakistanaise et du GID saoudien en Afghanistan dans les années 1980]. » (118)

Ainsi, dès le début de l’année 2013, l’une des principales firmes mondiales de renseignement privé comparait cet ensemble d’actions clandestines en Syrie à la guerre secrète menée par la CIA en Afghanistan dans les années 1980. Or, ces opérations se sont intensifiées cette même année 2013, lorsque la Maison Blanche a révélé à la presse le lancement d’un programme de soutien « létal » à l’insurrection, et ce malgré les mises en garde des juristes de la présidence. En effet, selon The New Republic,

« l’administration Obama envisagea d’armer et d’entraîner des rebelles syriens [officiellement en 2013]. (119) À cette époque, les conseillers juridiques de la Maison Blanche incitèrent le Président Obama à agir discrètement, car cette politique pouvait potentiellement violer le Droit international. Bien qu’Obama en appelait fréquemment au départ de Bachar el-Assad, les États-Unis n’étaient pas en guerre contre la Syrie. El-Assad était encore le leader souverain de ce pays, et aider les rebelles reviendrait à soutenir une insurrection. Ces juristes mirent en garde [l’administration Obama] sur le fait que cette intervention s’apparenterait à la politique de soutien des Contras menée sous la présidence Reagan dans les années 1980 – une [intervention] que la Cour Internationale de Justice qualifia de “violation [des] obligations internationales [des États-Unis,] en vertu des normes coutumières du Droit international imposant de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures d’un autre État.” Par conséquent, Obama a discrètement œuvré via la CIAqui collaborait avec des alliés du Golfe tels que le Qatar et l’Arabie saoudite. » (120)

Cette discrétion de l’administration Obama tend à expliquer la confusion qui règne autour de cette guerre secrète, qui est donc illégale par essence. À l’image des opérations de la CIA au Nicaragua, en Afghanistan et dans bien d’autres pays, la vérité historique sur ces interventions clandestines sera difficile à établir. (121) À l’heure actuelle, l’ampleur et la nature de l’engagement de l’Agence et de ses partenaires en Syrie restent impossibles à déterminer. Cette confusion a été alimentée par les innombrables déclarations trompeuses des États-Unis et de leurs alliés occidentaux sur les aides accordées à l’insurrection, qui se limitaient officiellement à un soutien « non-létal » de l’insurrection – du moins jusqu’à l’automne 2013 et le revirement inattendu du Président Obama. Quoi qu’il en soit, cette guerre secrète multinationale reste une guerre à part entière – déstabilisante, insidieuse, ultraviolente et meurtrière. De ce fait, les gouvernements occidentaux qui l’ont alimentée ne peuvent continuer de fuir leur coresponsabilité dans ce drame, en accablant aussi bien leurs ennemis syriens, russes et iraniens que leurs alliés turcs et pétromonarchiques. (122)

La diplomatie doit et peut triompher des politiques profondes

À travers les informations analysées dans cet article, j’ai tenté de démonter la persistance et l’intensification, depuis 2011, d’une guerre secrète multinationale en Syrie. Cette intervention clandestine a impliqué des États occidentaux et moyen-orientaux, ces derniers appuyant ostensiblement des milices jihadistes. (123) D’après différentes sources, cette guerre secrète de la CIA a été coordonnée jusqu’à présent depuis deux centres de commandement dirigés par les États-Unis, et elle pourrait être la principale raison de l’intervention russe. (124) Par ailleurs, comme nous l’avons démontré, la « modération » des principales forces soutenues par les puissances occidentales et leurs partenaires en Syrie est une notion de plus en plus discutable. Quoi qu’il en soit, ces politiques profondes ont alimenté décisivement un chaos islamiste qui s’est imposé comme l’une des premières menaces globales. (125) Dans ce contexte périlleux, sachant que la Russie tente d’enrayer militairement ce processus, il faut impérativement éviter que les Syriens ne subissent un état de guerre permanent, à l’instar des Afghans depuis le lancement de la guerre secrète de la CIA en 1978. (126) En Occident, d’anciens militaires de haut rang, comme le général Vincent Desportes ou le général Michael Flynn, ont décrit l’intervention russe en Syrie comme une démarche qu’il fallait soutenir pour contrer le péril islamiste. (127)

Par conséquent, il est indispensable d’expliquer à l’opinion publique qu’aujourd’hui, les puissances occidentales et leurs alliés soutiennent en priorité l’Armée de la Conquête – une coalition extrémiste coagulée autour d’al-Qaïda. Et il nous faut comprendre que la démarche russe, certes non dénuée d’intérêts, vise avant tout à empêcher la destruction complète de l’État syrien et le chaos islamiste encouragé par les politiques profondes de la CIA et de ses alliés. En particulier, il faut nous libérer du manichéisme imposé par les médias et saisir enfin toute la complexité de la situation tragique que subit le peuple syrien. En effet, bien que Bachar el-Assad, soutenu dès le début de cette guerre civile par Moscou et Téhéran, partage une lourde responsabilité dans ce drame humain, le dénoncer comme étant la seule et unique cause des exodes massifs et des centaines de milliers de morts engendrés par ce conflit brutal est une dangereuse illusion. (128) D’après l’ancien ambassadeur belge en Syrie Philippe Jottard,

« [o]n compte quatre à cinq millions de réfugiés installés dans les pays limitrophes de la Syrie. Ceux d’entre eux qui prennent la route de l’Europe proviennent pour une part, mais pas seulement, de Turquie après qu’ils aient été chassés de chez eux par les combats. L’opposition en rend responsable les bombardements aériens menés par l’armée sur les zones rebelles alors que, selon Bachar el-Assad, les Occidentaux sont seuls responsables de la crise des migrants en raison de leur soutien au “terrorisme”. Quant aux déplacés internes qui constituent la moitié de la population restée au pays (soit huit millions et demi de déplacés), ils se sont réfugiés dans les zones gouvernementales devant l’avance des groupes rebelles. Ceci n’en fait pas nécessairement des partisans de Bachar el-Assad, mais à choisir ils préfèrent la sécurité fournie par l’armée régulière. Environ 60% de la population totale se trouvent encore dans les territoires sous contrôle du régime. Les revers récents subis par les forces loyalistes affaiblies par plus de quatre ans de guerre en dépit de l’aide fournie par leurs alliés russes, iraniens, chiites irakiens et libanais font craindre non pas leur effondrement, mais que des avancées majeures des rebelles terrifient la population et lancent une partie de celle-ci sur les routes de l’exil. » (129)

La réalité syrienne est donc bien plus complexe que ne l’affirment les promoteurs intransigeants d’un renversement de Bachar el-Assad, alors que les politiques profondes de la CIA et de ses alliés appuient al-Qaïda en Syrie. À la suite des premières frappes russes contre cette organisation, les gouvernements des États-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne ont cosigné une déclaration commune avec le Qatar, la Turquie et l’Arabie saoudite. (130) Or, nous avons vu que ces trois États sont à l’origine de la création de l’Armée de la Conquête en Syrie – une politique discrètement approuvée et soutenue par Washington. (131) Comme nous l’avons indiqué, il s’agit d’une coalition de milices liées ou affiliées à al-Qaïda, qui constituait depuis le printemps dernier la principale menace contre le régime el-Assad. (132) Essentiellement, le fait que ce communiqué associe les quatre premières puissances occidentales avec les trois États unanimement désignés comme les soutiens d’al-Qaïda en Syrie a choqué bien peu d’observateurs, alors que les États-Unis et leurs alliés sont censés être en guerre globale contre cette organisation depuis le 11-Septembre. Ainsi, il ne semble pas illégitime de se demander pourquoi ces gouvernements n’ont-ils pas appelé Moscou à frapper al-Qaïda dans leur déclaration commune. Si l’on considère que la CIA mène une guerre secrète multinationale qui renforce la branche syrienne de cette nébuleuse terroriste, la réponse est sans équivoque.

Dans ce contexte, entre le chaos islamiste et la dictature, plusieurs millions de Syriens ont fait leur choix, sans nécessairement être des partisans de Bachar el-Assad. Ne pas prendre en compte cette réalité et amplifier la guerre secrète en Syrie reviendrait certes à combattre un régime criminel, mais surtout à favoriser la prise de Damas par des forces islamistes d’une puissance et d’une dangerosité sans précédent. Désignant Daech comme « l’ennemi numéro un », l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine a rappelé « qu’au moment de combattre Hitler, il [avait] fallu s’allier avec Staline ». (133) Il faut donc espérer que les dirigeants occidentaux fassent preuve de la même sagesse, et qu’ils comprennent qu’intensifier leur engagement clandestin en Syrie pour faire échec aux Russes et aux Iraniens serait une grave erreur. (134) Alors que les principaux acteurs de ce conflit se réunissent à Vienne, et que l’Arabie saoudite a accepté pour la première fois que l’Iran participe aux négociations, la diplomatie doit et peut triompher des politiques profondes. (135)

Maxime Chaix   http://maximechaix.info

Notes

1. « Les États-Unis n’entraînent qu’une soixantaine de rebelles syriens », LeMonde.fr avec AFP et Reuters, 08 juillet 2015. Bien que ses auteurs n’en aient probablement pas eu l’intention, le titre de cet article donne l’impression que les États-Unis n’ont formé qu’une soixantaine de rebelles pour combattre en Syrie. Nul doute que les innombrables articles publiés à travers le monde sur le fiasco de cette opération du Pentagone ont renforcé cette perception erronée. Or, je démontrerai que l’engagement clandestin de la CIA et de ses partenaires en Syrie a été à la fois massif, trouble et illégal, et qu’il pourrait s’apparenter à une véritable guerre secrète multinationale.

2. « Seulement “4 ou 5” rebelles formés par les Américains combattent », LeProgres.fr avec AFP, 16 septembre 2015. Ce titre est encore plus trompeur que le précédent. Détail intéressant : en fin d’article, on peut lire que « [l]a CIA anime parallèlement un programme clandestin d’entraînement de rebelles en Syrie ». Dans la plupart des récits médiatiques sur l’échec de cette opération du Pentagone, soit le vaste programme clandestin de la CIA n’est pas mentionné, soit il est brièvement évoqué, comme s’il s’agissait d’un détail insignifiant dans la guerre civile syrienne.

3. « Syrie: le Pentagone réduit son programme d’entraînement de rebelles », BFMTV.com avec AFP, 9 octobre 2015 : « Les États-Unis ne vont plus essayer d’entraîner des groupes syriens anti-État islamique mais se concentrer sur la fourniture d’équipement et d’armes à des chefs de groupes rebelles triés sur le volet, selon un responsable américain du ministère de la Défense. »

4. Armin Arefi, « Les forces en présence sur le territoire syrien », LePoint.fr, 17 septembre 2015. Dans cet article, la CIA et les services spéciaux occidentaux ne sont pas même évoqués parmi « les forces en présence sur le territoire syrien ». Nous verrons que de nombreuses autres sources refoulent ou minimisent cette intervention clandestine multinationale de la CIA, dont des médias importants et des hauts responsables à Washington.

5. Par « alliés moyen-orientaux » de la CIA, je fais essentiellement référence à l’Arabie saoudite, au Qatar, à la Turquie et à la Jordanie. Comme je le montrerai, ces deux derniers pays abritent chacun un centre de commandement des opérations multinationales de l’Agence, également appelé « salle d’opérations » (« operations room »). Et nous verrons que l’Arabie saoudite et le Qatar, avec la Turquie, ont été les principaux soutiens financiers et militaires des factions extrémistes en Syrie. Le Mossad est également actif dans cette guerre secrète multinationale, mais son rôle est plus discret que celui de la CIA et de ses partenaires. Il semblerait notamment que les services israéliens aient joué un rôle crucial dans les activités de collecte de renseignements de l’Agence en Syrie (Joseph Fitsanakis, « US spy agencies turn to Israel, Turkey, for help in Syria war », IntelNews.org, 24 juillet 2012). En revanche, l’armée israélienne a joué un rôle nettement plus visible dans ce conflit, à l’instar de l’armée turque. Voir notamment Robert Parry, « Should US Ally with Al Qaeda in Syria? », ConsortiumNews.com, 1er octobre 2015 : « [Branche syrienne d’]al-Qaïda, le Front al-Nosra a également bénéficié d’une alliance de facto avec Israël, qui a soigné des combattants d’al-Nosra pour les renvoyer ensuite combattre dans la zone du plateau du Golan. Israël a également mené des frappes aériennes en Syrie afin de soutenir les avancées d’al-Nosra, tuant notamment des conseillers du Hezbollah ou de l’Iran qui aidaient le gouvernement syrien. »

Par « alliés occidentaux » de la CIA, je désigne principalement les services spéciaux français et britanniques. Avec l’Agence, ils ont joué un rôle actif dans la déstabilisation de la Syrie, notamment dans la formation des rebelles (Julian Borger et Nick Hopkins, « West training Syrian rebels in Jordan », TheGuardian.co.uk, 8 mars 2013). Néanmoins, d’autres pays européens pourraient être impliqués dans ces opérations (Tolga Tanış, « There are 50 senior agents in Turkey, ex-spy says », HurriyetDailyNews.com, 16 septembre 2012). Dans la « salle d’opérations » multinationale basée en Jordanie, des officiers de services spéciaux et d’armées de près de 14 pays ont été recensés par un journal émirati à la fin de l’année 2013 (Phil Sands et Suha Maayeh, « Syrian rebels get arms and advice through secret command centre in Amman », TheNational.ae, 28 décembre 2013).

Enfin, par « services spéciaux », je ne signifie pas uniquement des services secrets, tels que la CIA ou le MIT, mais également des forces spéciales ou d’autres éléments militaires qui sont clandestinement impliqués dans cette guerre secrète. C’est le cas du JSOC, qui est le commandement des opérations spéciales du Pentagone (David S. Cloud et Raja Abdulrahim, « Update: U.S. training Syrian rebels; White House ‘stepped up assistance’ », LATimes.com, 21 juin 2013). Les forces spéciales britanniques et françaises sont également engagées dans cette guerre secrète (Borger et Hopkins, « West training Syrian rebels in Jordan »).

6. Greg Miller et Karen DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut », WashingtonPost.com, 12 juin 2015. Remarque importante : dans l’immense majorité des récits sur l’intervention de la CIA en Syrie, l’action de l’Agence est décrite comme « inefficace » et d’ampleur limitée (Voir par exemple Ben Hubbard, « Warily, Jordan Assists Rebels in Syrian War », NYTimes.com, 10 avril 2014). Or, l’importance de cet article duWashington Post réside dans le fait que, contrairement à ce qui était unanimement affirmé dans la presse, cet engagement de la CIA en Syrie n’est pas « limité » mais massif, et qu’il entre dans le cadre « d’un plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie » – c’est-à-dire les trois États notoirement connus pour soutenir les factions extrémistes en Syrie (cf. la note suivante).

7. Ibidem (accentuation ajoutée). Sur la création et le soutien, par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, d’une coalition de groupes islamistes comprenant al-Qaïda comme l’une de ses principales forces, voir Luc Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas », Liberation.fr, 14 mai 2015 ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS », CSPAN.org, 20 septembre 2014 : « Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire Daech] ?”Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” » ; Éric Leser, « Sans la Turquie, Daech n’existerait pas », Slate.fr, 2 août 2015 ; « Le Qatar : “valet des Américains” ou “club Med des terroristes” ? », entretien avec Fabrice Balanche, Challenge.fr, 15 janvier 2015 : « [L]e Qatar a financé le Front Al-Nosra (ou Nosra) jusqu’à la scission intervenue en avril 2013. L’organisation, rattachée à Al-Qaïda, est pourtant inscrite sur la liste terroriste des États-Unis depuis le 20 novembre 2012 et la déclaration d’Hillary Clinton. Après la scission en avril 2013 – autrement dit la séparation entre Nosra dirigé par le syrien Al-Joulani et l’État islamique (EI) conduit par l’irakien al-Baghdadi – le Qatar a choisi de soutenir l’EI contrairement à l’Arabie Saoudite qui continue de financer Nosra. Néanmoins, la réalité est bien plus complexe encore. Si l’EI est une organisation soudée et structurée, les groupes de Nosra, bien qu’ils prêtent tous allégeance, semblent bien plus autonomes. Ainsi, le Qatar peut être également amené à financer un groupe de combattants se revendiquant de Nosra pour un intérêt particulier. De même, il existe différents clans en Arabie Saoudite, qui est loin d’être un royaume monolithique. Ces familles soutiennent aussi bien Nosra que l’EI » (accentuation ajoutée) ; etc.

8. Selon Vox.com et d’autres sources, l’« ordre secret » d’armer les rebelles a été approuvé en avril 2013, mais l’approvisionnement en armes et les entraînements se seraient concrétisés en septembre 2013, après qu’Obama eut repoussé l’intervention militaire directe en Syrie (Max Fisher et Johnny Harris, « Syria’s war: a 5-minute history », Vox.com, 14 octobre 2015). En septembre 2013, le Washington Post avait rapporté que les États-Unis commençaient à armer les rebelles, sans évoquer l’« ordre secret » d’Obama rapporté par Vox.com (Ernesto Londoño et Greg Miller, « CIA begins weapons delivery to Syrian rebels », WashingtonPost.com, 11 septembre 2013). En réalité, la CIA et le MI6 ont clandestinement armé les rebelles en Syrie depuis au moins janvier 2012, mais essentiellement via la logistique et les financements du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie saoudite (Adam Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government », FAIR.org, 20 septembre 2015).

9. Souad Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them », WashingtonPost.com, 18 août 2014) : « Au cours de nombreux entretiens menés ces deux derniers mois [avec des membres de l’État Islamique et du Front al-Nosra], ils ont décrit comment l’effondrement sécuritaire durant le Printemps arabe les a aidés à recruter, à se regrouper et à utiliser en leur faveur la stratégie occidentale – c’est-à-dire le soutien et l’entraînement de groupes afin de combattre des dictateurs. “Des Britanniques et des Américains nous avaient [également] entraînés durant le Printemps arabe en Libye”, d’après un homme surnommé Abou Saleh, qui a accepté d’être interrogé si son identité restait secrète. [Ce dernier], qui est originaire d’une ville proche de Benghazi, affirma qu’un groupe de Libyens et lui-même avaient bénéficié dans leur pays d’entraînements et de soutien de la part de membres des forces [spéciales] et des services de renseignement français, britanniques et états-uniens – avant de rejoindre le Front al-Nosra ou l’État Islamique [en Syrie]. Interrogées pour cet article, des sources militaires arabes et occidentales ont confirmé les affirmations d’Abou Saleh, selon lesquelles des rebelles en Libye avaient bénéficié d’“entraînements” et d’“équipements” durant la guerre contre le régime de Kadhafi » (accentuation ajoutée).

10. Pour illustrer la confusion qui règne sur les politiques profondes de la CIA en Syrie, y compris chez les spécialistes, j’ai détecté une erreur factuelle dans un article du grand reporter Régis Le Sommier. Dans cette analyse, qui est pourtant d’une grande pertinence, il est écrit que « la CIA devait entraîner 15 000 rebelles “modérés” [sic]. Ils ne sont en fin de compte que 60, regroupés dans la Division 30. » (Régis Le Sommier, « Pourquoi Daech est là pour durer », ParisMatch.com, 11 septembre 2015). En réalité, le Pentagone, et non la CIA, avait été chargé par le Congrès en 2014 de former 15 000 combattants sur 3 ans pour lutter contre Daech (« Des soldats américains entraîneront des rebelles syriens », TDG.ch, 16 janvier 2015). D’après l’important article duWashington Post cité précédemment, l’Agence aurait formé non pas 60 mais 10 000 combattants pour lutter contre le régime de Bachar el-Assad (Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut »). Cette erreur factuelle de la part d’un journaliste aussi compétent me semble être symptomatique de la confusion qui règne autour du rôle de la CIA en Syrie.

11. Depuis le début du conflit, les forces loyalistes de Bachar el-Assad ont commis des exactions massives contre la population civile. Ces actes sont aussi inhumains qu’indéfendables. Or, ils le sont tout autant que les politiques étrangères occidentales ayant généré plusieurs millions de morts et de blessés rien qu’en Irak, en Afghanistan et au Pakistan depuis un quart de siècle. Voir Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Les victimes ignorées des guerres de l’Occident : 4 millions de morts en Afghanistan, au Pakistan et en Irak depuis 1990 », VoltaireNet.org, 11 avril 2015. Allons plus loin dans ce raisonnement. Selon l’intellectuel Andre Vltchek, « “[d]epuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le colonialisme et le néocolonialisme occidentaux ont causé la mort de 50 à 55 millions de personnes” (…). À celles-ci, “mortes en conséquence directe de guerres déclenchées par l’Occident, de coups d’État militaires pro-occidentaux et d’autres conflits du même acabit”, s’ajoutent “des centaines de millions de victimes indirectes qui ont péri de la misère, en silence”. » (Nic Ulmi, « Noam Chomsky raconte “l’Occident terroriste” », LeTemps.ch, 12 juin 2015 [accentuation ajoutée]). Il me semblerait utile que les détracteurs les plus intransigeants de Bachar el-Assad – qui s’émeuvent à juste titre des exactions commises par le régime syrien –, en prennent conscience et fassent preuve de la même indignation à l’égard des politiques étrangères occidentales décrites dans cette note.

12. Comme je l’ai expliqué dans la première note, je tenterai de démontrer que l’engagement clandestin de la CIA et de ses partenaires occidentaux et moyen-orientaux en Syrie a été à la fois massif, trouble et illégal, et qu’il pourrait s’apparenter à une véritable guerre secrète multinationale. Ainsi, le caractère confidentiel de ces opérations explique pourquoi cette coresponsabilité est refoulée, incomprise ou minimisée en Occident.

13. Aux États-Unis, l’ONG FAIR – qui lutte contre la désinformation médiatique –, a souligné que « les activités clandestines pourtant bien documentées [de la CIA] en Syrie avaient été fréquemment ignorées lorsque les médias traitaient de l’approche “non-interventionniste” de l’administration Obama dans ce conflit (…) [U]n article duNew York Times (…) et un autre “article explicatif” de la guerre civile syrienne publié par Vox ont fait encore pire : ils n’ont pas seulement omis le fait que la CIA avait armé, entraîné et financé des rebelles depuis [janvier] 2012, mais ils ont lourdement sous-entendu qu’elle ne l’avait jamais fait. » (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government », [accentuation ajoutée]). En vérité, les services spéciaux occidentaux ont entraîné des rebelles en Libye dès 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda (Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them »).

14. Certains faiseurs d’opinion, comme Bernard Kouchner, nient toute coresponsabilité occidentale dans le drame syrien. Voir Maxime Chaix, « Non, Bernard Kouchner, Bachar el-Assad n’a pas “assassiné 230 000, 250 000 Syriens” », MaximeChaix.info, 13 octobre 2015. En général, les dirigeants politiques français ont admis avoir soutenu la rébellion « modérée et démocratique », comme François Hollande l’avait affirmé au journal Le Monde en août 2014 (« François Hollande confirme avoir livré des armes aux rebelles », LeMonde.fr, 20 août 2014). Or, deux députés français de premier plan ont accusé le gouvernement d’avoir clandestinement soutenu des rebelles pas aussi « modérés » qu’ils nous ont été présentés – l’un d’entre eux ayant même affirmé que « la France soutient al-Qaïda en Syrie ». Voir Maxime Chaix, « Selon le député Claude Goasguen, “la France soutient al-Qaïda en Syrie” », MaximeChaix.info, 1er juillet 2015. Dans ses mémoires, Hillary Clinton a affirmé que le Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en Syrie. Voir « I Wanted to Arm Syrian Rebels, but Obama Refused », Haartez.com, 6 juin 2014. Par conséquent, sachant que la CIA a été étroitement impliquée dans des opérations multinationales de trafic d’armes en faveur des rebelles, et ce depuis au moins janvier 2012, soit Hillary Clinton ment et protège Barack Obama, soit ce dernier ne maîtrise pas ses services spéciaux (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government »).

15. Je précise que mon ami et mentor intellectuel Peter Dale Scott – dont je suis le principal traducteur francophone –, n’a pas relu cette analyse avant sa publication. Par conséquent, les arguments défendus dans cet article n’engagent que moi. Pour lire une intéressante définition de la « Politique profonde » et des différents concepts développés par Peter Dale Scott, je vous recommande cet article – que j’ai récemment complété et actualisé : Bruno Paul, « La politique profonde et l’État profond », MaximeChaix.info, 29 juillet 2015.

16. Seymour M. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats », VoltaireNet.org (traduction : Institut Tunisien des Relations Internationales), 12 avril 2014 : « Au lendemain de l’attaque du 21 août [2013], Obama a ordonné au Pentagone de dresser une liste objectifs à bombarder. Au début, a déclaré l’ancien responsable du Renseignement, “la Maison-Blanche a rejeté 35 listes de cibles fournies par les chefs d’état-major sous prétexte que c’était insuffisamment ‘douloureux’ pour le régime d’Assad.” Les objectifs initiaux incluaient uniquement des sites militaires et aucune infrastructure civile. Sous pression de la Maison-Blanche, le plan d’attaque US a évolué vers une “frappe monstrueuse” : deux flottes de bombardiers B-52 ont été transférées vers des bases aériennes proches de la Syrie, et des sous-marins et des navires équipés de missiles Tomahawk ont été déployés. “Chaque jour, la liste de cibles s’allongeait”, m’a affirmé l’ancien responsable du Renseignement » (accentuation ajoutée).

Remarque importante : Seymour Hersh est un grand reporter mondialement renommé, qui est considéré commel’un des meilleurs journalistes aux États-Unis. Son analyse, et le rapport du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) cité dans la note suivante, mettent sérieusement en doute la responsabilité du régime el-Assad dans les attaques chimiques de la Ghouta. En 2014, Franz-Olivier Giesberg avait déploré que l’article de Seymour Hersh et le rapport du MIT n’avaient quasiment pas été repris dans la presse (Franz-Olivier Giesberg, « FOG : Ayons le courage de le dire… », LePoint.fr, 26 juin 2014).

17. Armin Arefi, « Attaque chimique en Syrie : le rapport qui dérange », LePoint.fr, 19 février 2014 : « Une étude du prestigieux MIT affirme que le massacre chimique d’août 2013 a été perpétré depuis une zone rebelle, contredisant les affirmations occidentales » (accentuation ajoutée).

18. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats » : « Pendant des mois, il y avait eu une vive inquiétude parmi les dirigeants militaires et la communauté du renseignement sur le rôle joué dans la guerre par des voisins de la Syrie, en particulier la Turquie. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan était connu pour son soutien au Front Al-Nosra, une faction djihadiste de l’opposition rebelle, ainsi qu’à d’autres groupes rebelles islamistes. “Nous savions qu’il y en avait certains dans le gouvernement turc”, m’a dit un ancien haut responsable du renseignement états-unien qui a toujours accès aux dossiers, “qui ont cru qu’ils pouvaient choper Assad par les couilles en l’impliquant dans un attentat au gaz sarin à intérieur de la Syrie – et forcer Obama à réagir”. (…) Tandis que des bribes d’information et autres données étaient recueillies sur les attaques du 21 août, la communauté du Renseignement a vu des preuves venir étayer ses soupçons. “Nous savons désormais qu’il s’agissait d’une opération clandestine planifiée par les gens d’Erdoğan pour pousser Obama à franchir la ligne rouge”, a dit l’ancien responsable du Renseignement » (accentuation ajoutée).

19. Ibidem : « À fin août, le président avait donné aux chefs d’état-major une date limite pour le lancement des opérations. “L’heure H devait être au plus tard lundi matin [2 septembre], un assaut massif pour neutraliser Assad” a dit l’ex-responsable du Renseignement. Ce fut donc une surprise pour beaucoup quand, lors d’un discours à la Maison-Blanche dans le Jardin des roses, le 31 août, Obama déclara que l’attaque était repoussée, et qu’il se retournait vers le Congrès pour la soumettre à un vote » (accentuation ajoutée).

20. « Les enseignements de la guerre en Syrie », Reforme.net, 26 août 2015 : « “En 2011, les Occidentaux ont péché par leur assurance, attisée par leur succès initial en Libye, après l’intervention qui a abouti à la mort du colonel Kadhafi, [selon Fabrice Balanche]. Ce succès couronnait vingt années d’hégémonie occidentale sur le monde, depuis l’effondrement de l’URSS. Mais depuis le camouflet qu’a constitué pour eux l’intervention armée en Libye, les Russes ont décidé de défendre leurs intérêts de manière plus agressive, notamment au moyen de leur droit de veto à l’ONU. Et si les Occidentaux, États-Unis en tête, décident d’intervenir sans aval du Conseil de sécurité, le Kremlin a fait savoir qu’il ne resterait pas les bras croisés.” Selon le chercheur, c’est ce qui s’est passé, en septembre 2013, quand la flotte américaine s’est approchée des côtes syriennes, peu après les révélations de l’utilisation d’armes chimiques par Damas. En face, la Russie avait installé des batteries de DCA. Les Américains finirent par s’éloigner, mais l’affrontement direct fut évité de peu » (accentuation ajoutée).

21. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats » : « Ce sont les chefs d’état-major qui ont conduit Obama à changer de cap. L’explication officielle de la Maison-Blanche pour la volte-face – telle que racontée par les médias – était que le président (…) a soudainement décidé de demander l’approbation de la frappe à un Congrès profondément divisé avec lequel il était en conflit depuis des années. L’ancien responsable du département de la Défense m’a dit que la Maison-Blanche [aurait] fourni une explication différente aux membres de la direction civile du Pentagone : la frappe avait été annulée suite à des analyses selon lesquelles, en cas [d’attaque états-unienne], “le Proche-Orient [s’embraserait]”. »

22. Londoño et Miller, « CIA begins weapons delivery to Syrian rebels ». En réalité, la CIA et le MI6 ont clandestinement armé les rebelles en Syrie depuis au moins janvier 2012, mais essentiellement via la logistique et les financements du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie saoudite (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government »).

23. Je recommande vivement aux lecteurs anglophones l’analyse suivante de Joel Veldkamp, un étudiant du Centre des Études sur le Moyen-Orient de l’Université de Chicago. Résumant l’un de ses travaux universitaires, son article expose la succession de mensonges politiques et de déformations médiatiques sur l’engagement soi-disant « limité » des États-Unis en Syrie. Il montre comment la communication trompeuse de l’administration Obama a dissimulé, depuis 2012, des politiques profondes de guerre secrète dans ce pays. Enfin, je tiens à préciser que cet article a été publié sur le site de Joshua Landis, un professeur de l’Université d’Oklahoma qui est considéré comme l’un des principaux experts de la Syrie. Joel Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees », JoshuaLandis.com, 14 août 2015.

24. D’après le Washington Post, les forces spéciales et les services secrets occidentaux ont entraîné des rebelles en Libyeen 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda. Voir Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them ». Ces informations semblent corroborer les révélations précoces de l’ancien officier de la CIA Philip Giraldi. En effet, en décembre 2011, ce dernier expliquait que des « [a]vions non immatriculés de l’OTAN [étaient] en train de se poser dans des bases militaires turques proches d’Alexandrette, vers la frontière syrienne, livrant des armes pillées dans les arsenaux de feu Mouammar Kadhafi. Ces avions acheminaient aussi des miliciens du Conseil National de Transition libyen ayant de l’expérience dans la mobilisation de volontaires locaux contre des soldats entraînés – un savoir-faire qu’ils ont acquis en combattant l’armée de Kadhafi. Alexandrette est également le siège de l’Armée Syrienne Libre, la branche armée du Conseil National Syrien. Des instructeurs des forces spéciales françaises et britanniques sont sur le terrain pour aider les rebelles syriens, tandis que la CIA et les forces spéciales états-uniennes fournissent des équipements de communication et des renseignements pour soutenir la cause des rebelles, permettant à ces combattants d’éviter les concentrations de soldats syriens » (accentuation ajoutée). Voir Philip Giraldi, « NATO vs. Syria », TheAmericanConservative.com, 19 décembre 2011.

25. Au sujet des centres de commandement multinationaux des opérations de la CIA en Turquie et en Jordanie, voir notamment Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant » : « [L]es responsables américains du renseignement militaire [ont] supervis[é] la fourniture d’armes et l’aide des États du Golfe et de la Turquie, à partir des mêmes centres de commandement opérationnel dans le Sud de la Turquie et en Jordanie, qui continuent d’être coordonnés conjointement par les services de renseignement occidentaux et arabes (…) » (accentuation ajoutée). D’autres sources analysant les activités de ces centres de commandement seront exposées dans cette analyse.

26. Concernant les « nombreux pays hostiles à Bachar el-Assad », voir la note 5.

27. Trevor Timm, « If you thought the Isis war couldn’t get any worse, just wait for more of the CIA », TheGuardian.co.uk, 17 novembre 2014 : « [L]es informations sur les armes qui étaient déjà clandestinement acheminées en Syrie ont été dissimulées à la majeure partie du Congrès. John Kerry refusa de répondre aux questions sur les activités de le CIA en Syrie lorsqu’il fut interrogé par la Commission sénatoriale des Affaires étrangères, bien que des informations sur l’implication de l’Agence [dans ce pays] aient fait les gros titres pendant des années. “Je déteste dire cela”, déclara-t-il, “mais je ne peux ni confirmer ni démentir tout ce qui a été écrit à ce sujet, et je ne peux parler de toutpossible programme” » (accentuation ajoutée).

28. Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees ». Encore une fois, je recommande vivement cette analyse aux lecteurs anglophones. Pour compléter cette réflexion et mon propre article, l’analyse suivante est tout aussi importante : Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».

29. En général, les dirigeants politiques français ont admis avoir soutenu la rébellion « modérée et démocratique », comme François Hollande l’avait affirmé au journal Le Monde en août 2014 (« François Hollande confirme avoir livré des armes aux rebelles »). Or, deux députés français de premier plan ont accusé le gouvernement d’avoir clandestinement soutenu des rebelles pas aussi « modérés » qu’ils nous ont été présentés – l’un d’entre eux ayant même affirmé que « la France soutient al-Qaïda en Syrie ». Voir Chaix, « Selon le député Claude Goasguen, “la France soutient al-Qaïda en Syrie” »). Concernant la Grande-Bretagne, nous verrons que le soutien clandestin du MI6 en faveur de réseaux jihadistes en Libye et en Syrie a été discrètement reconnu par la justice.

30. Comme nous l’avons vu, Hillary Clinton a affirmé que le Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en Syrie. Voir « I Wanted to Arm Syrian Rebels, but Obama Refused ». Par conséquent, sachant que la CIA a été étroitement impliquée dans des opérations multinationales de trafic d’armes en faveur des rebelles, et ce depuis au moins janvier 2012, soit Hillary Clinton ment et protège Barack Obama, soit ce dernier ne maîtrise pas ses services spéciaux (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government »).

31. Pour des détails sur ces opérations, voir C.J. Chivers et Eric Schmitt, « Arms Airlift to Syria Rebels Expands, With Aid From C.I.A. », NYTimes.com, 24 mars 2013. Au moment où cet article fut publié, les livraisons d’armes aux rebelles étaient en train de s’intensifier, d’après le New York Times. Seymour Hersh a également révélé un rôle actif du MI6 britannique dans ces opérations, ce qui aurait permis à la CIA d’échapper à la supervision du Congrès (Hersh, « La ligne rouge et celle des rats »). Je reviendrai sur ce point crucial.

32. Robert Winnett, « Syria: 3,500 tons of weapons already sent to rebels, says Lord Ashdown », Telegraph.co.uk, 1erjuillet 2013. Cet article rapporte les propos alarmants du parlementaire britannique Lord Ashdown : « “[Les rebelles en Syrie] n’ont pas besoin d’armes. Il n’a pas été démenti que 3 500 tonnes d’armes avaient été livrées depuis la Croatie avec l’aide de la CIA. Financés par les Qataris, financés par les Saoudiens, [ces armements] sont allés presque exclusivement vers les groupes les plus extrémistes”, déclara l’ancien haut représentant international en Bosnie lors d’un débat [parlementaire] » (accentuation ajoutée).

33. « Syrie : les Russes ont frappé les rebelles formés par la CIA (sénateur McCain) », LOrientLeJour.com avec AFP, 1eroctobre 2015.

34. Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant » : [L]a revendication de Joe Biden [selon laquelle] “nous ne pouvions pas convaincre nos collègues [turcs, qataris et saoudiens] de cesser [d’]approvisionner” [les islamistes] dissimule le fait que la CIA a été directement impliquée dans la gestion de ces réseaux d’approvisionnement rebelles. » ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS », CSPAN.org, 20 septembre 2014 : « Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire de Daech] ?” Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” Sénateur Graham : “Oui, mais est-ce qu’ils en embrassent la cause ? Ils (…) ont financé [Daech] car l’Armée Syrienne Libre ne pouvait pas combattre Assad, ils essayaient de battre Assad, et je pense qu’ils ont réalisé à quel point ces méthodes étaient folles. » Sans surprise, le sénateur Graham n’a pas dit un mot sur l’implication de la CIA et de ses partenaires occidentaux dans cette stratégie de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar.

35. Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant ». Si l’on en croit la Brookings Institution, en avril 2015, « [l]a branche officielle d’al-Qaïda en Syrie, et une autre milice étroitement liée à [cette nébuleuse terroriste], faisaient partie des milices “modérées” et “triées sur le volet” [par la CIA] qui reçoivent des armes et du soutien de la part d’États du Golfe et de la Turquie, sous la supervision de personnel des [services spéciaux] états-uniens sur le terrain » (accentuation ajoutée). Nous reviendrons en détail sur cette analyse.

36. Timm, « If you thought the Isis war couldn’t get any worse, just wait for more of the CIA » : « Le plus choquant est peut-être de savoir que Barack Obama a lui-même lu l’étude de la CIA, et qu’il a conscience qu’armer les rebelles en Syrie – ou n’importe où ailleurs – était une idée incroyablement dangereuse. Parlant visiblement de cette étude, Obama déclara à David Remnick du New Yorker [en 2014] : “Très tôt dans ce processus, j’ai en fait demandé à la CIA d’analyser des exemples de réussites dans le financement et l’approvisionnement en armes des insurrections. Et ils n’ont pas réussi à m’en donner beaucoup.” » Cette posture « non-interventionniste » d’Obama a été récemment exagérée par certains médias. Voir Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».

37. Voir par exemple Adam Entous, « Covert CIA Mission to Arm Syrian Rebels Goes Awry », WSJ.com, 26 janvier 2015 : « Des hauts responsables [états-uniens] défendent la décision de maintenir un réseau d’approvisionnement en armes réduit [sic] et étroitement contrôlé [sic], citant leur préoccupation que des armements pourraient tomber entre de mauvaises mains. (…) En dépit des contrôles, des armes ont néanmoins basculé du mauvais côté. » Comme nous l’avons vu, et comme je le monterai en apportant d’autres sources, cet argument du « réseau d’approvisionnement en armes réduit et étroitement contrôlé » est grossièrement mensonger. Voir notamment Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees » ; Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».

38. Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut ». Bien que ce programme soit décrit comme « inefficace » par des parlementaires interrogés dans cet article, les journalistes citent pourtant des hauts responsables anonymes vantant les réussites de cette opération multinationale – tout en prenant soin de la limiter au soutien d’une milice « modérée » au sud de la Syrie. Nous allons voir que la réalité est bien plus complexe.

39. Roy Gutman et Mousab Alhamadee, « Tense relations between U.S. and anti-Assad Syrian rebels », McClatchyDC.com, 5 septembre 2014.

40. Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut ». Sur la création et le soutien, par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, d’une coalition de groupes islamistes comprenant al-Qaïda comme l’une de ses principales forces, voire Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas » ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS » : Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire Daech] ?” Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” » ; etc.

41. D’après le Washington Post, les forces spéciales et les services secrets occidentaux ont entraîné des rebelles en Libyeen 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda. Voir Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them ». Ces informations semblent corroborer les révélations précoces de l’ancien officier de la CIA Philip Giraldi (cf. note 24).

42. Adèle Smith, « Wikileaks dévoile les secrets de la “CIA privée” », LeFigaro.fr, 27 février 2012.

43. Scott Stewart, « The Consequences of Intervening in Syria », Stratfor.com, 31 janvier 2013 (accentuation ajoutée).

44. Ibidem (accentuation ajoutée).

45. Ibidem.

46. Steven R. Weisman, « PRESIDENT CALLS NICARAGUA REBELS FREEDOM FIGHTERS; News session transcript, page D22 », New York Times, 5 mai 1983 (accentuation ajoutée).

47. Peter Dale Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial : 50 ans d’ambitions secrètes des États-Unis (Éditions Demi-Lune, Paris, 2010), p.174 : « Dans les années 1980, les Soviétiques se sont heurtés dès le départ à l’opposition des moudjahidines (appelés “combattants de la liberté” à Washington et “terroristes” à Moscou), qui furent armés, financés et entraînés dès 1978 – peut-être même plus tôt – par les services secrets combinés du Pakistan, de l’Arabie saoudite et la CIA » (accentuation ajoutée).

48. Ibidem, pp.167-93 (chapitre 6).

49. Gilles Bataillon, «Contras et reContras nicaraguayens (1982-1993) : réflexions sur l’action armée et la constitution d’acteurs politico-militaires», Cultures & Conflits (en ligne), hiver 1993 : « La multiplication des opérations armées [des Contras] sur l’ensemble du territoire à partir de 1982, les attaques systématiques des coopératives sandinistes, les exécutions sommaires de représentants et de responsables locaux du pouvoir sandiniste, ne visent pas seulement à affaiblir l’adversaire et à l’installer dans une position défensive. Elles visent tout autant à démontrer la matérialité du conflit ami/ennemi sur l’ensemble du territoire et à détruire, moins des objectifs économiques vitaux pour l’économie du pays (du moins de 1982 à 1985), que tout ce qui peut symboliser l’avènement d’un “monde nouveau”. Ainsi les groupes qui, venant des camps d’entraînement honduriens ou costariciens, cheminent jusqu’au centre du pays et y multiplient les coups de main contre les coopératives sandinistes, les postes militaires, les activistes du Front, cherchent tout autant à accréditer l’idée d’une guerre généralisée à l’ensemble du territoire qu’à mener des opérations en fonction de plans de bataille strictement militaires. De même leurs exactions sanglantes contre des coopérateurs, des activistes souvent adolescents, des femmes et parfois même des enfants ne s’inscrivent nullement au registre d’une quelconque efficacité guerrière, mais sont à mettre au compte de la volonté de multiplier les mises en scène du conflit ami/ennemi et son caractère inexpiable. »

50. Dennis Kucinich, « Le Congrès US autorise le soutien des “rebelles” », DeDefensa.org, 19 septembre 2014 (accentuation ajoutée).

51. Richard Labévière, « Diplomatie française : improvisations, revirements et amateurisme… », ProchetMoyen-orient.ch, 28 septembre 2015 : « Les yeux toujours rivés sur le baromètre intérieur, François Hollande demande instamment à Laurent Fabius d’organiser à Paris, le 8 septembre dernier, une conférence internationale pour venir en aide aux Chrétiens et autres minorités d’Orient. Celui-ci s’exécute à reculons, toujours partisan d’armer l’opposition syrienne “laïque et modérée” pour en finir avec Bachar, c’est-à-dire “les bons p’tits gars de Nosra”, comme il l’affirmait en décembre 2012 lors d’un voyage au Maroc. Rappelons que Jabhat al-Nosra, c’est tout simplement Al-Qaïda en Syrie, qui achète et absorbe, depuis plusieurs années, les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) qui n’existe plus que sur le papier. Rien appris, rien oublié ! Laurent Fabius persiste et signe. Cette conférence est un fiasco absolu. »

52. Gareth Porter, « Obama won’t admit the real targets of Russian airstrikes », MiddleEastEye.net, 16 octobre 2015. Pour les lecteurs anglophones, cet article est à lire intégralement. En effet, son auteur réussit à expliquer que les États-Unis soutiennent des jihadistes via leurs alliés moyen-orientaux, mais sans l’affirmer directement. On peut le déduire rien qu’en lisant le titre de son analyse (« Obama n’admettra pas les vraies cibles des frappes aériennes russes »). Du grand journalisme, argumenté, subtil, et documenté.

53. « Syrie : les Russes ont frappé les rebelles formés par la CIA (sénateur McCain) », LOrientLeJour.com avec AFP, 1eroctobre 2015.

54. Ryad Ouslimani et Philippe Corbé, « Syrie : les Russes “ont frappé pour une bonne part des résistants”, selon Laurent Fabius », RTL.fr, 1er octobre 2015. Au lendemain des attentats de janvier 2014, je m’étais offusqué de la politique étrangère de la France en Syrie, et notamment des prises de position scandaleuses de Laurent Fabius quant au « bon boulot » d’al-Qaïda en Syrie (Voir Maxime Chaix, « Al-Qaïda : terroriste en France, alliée en Syrie », DeDefensa.org, 10 janvier 2014).

55. « Syrie : qui se cache derrière les rebelles », entretien avec Alain Rodier, Figaro.fr/Vox, 13 octobre 2015 (accentuation ajoutée). Ancien officier supérieur des services français, Alain Rodier est un expert du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), dont je recommande le site et les analyses.

56. Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them » (cf. note 9).

57. Steven Chovanec, « Why We Must Not Arm Even One More Syrian Rebel », LevantReport.com, 16 juillet 2015 : « En avril [2014], le leader du Front Révolutionnaire Syrien “modéré” et soutenu par les États-Unis a reconnu qu’al-Qaïda n’était  “pas [son] problème”, et que ses combattants menaient des opérations conjointes avec al-Nosra. “Si les gens qui nous soutiennent nous disent d’envoyer des armes à un autre groupe, nous les envoyons. Il y a un mois, [le Front al-Nosra,] nous [a] demandé d’envoyer des armes à Yabroud, donc nous avons envoyé beaucoup d’armes là-bas (…).” Le colonel Okaidi (…) est l’un des principaux commandants rebelles “modérés” à être soutenu par les États-Unis, et il est l’un des premiers bénéficiaires de l’aide occidentale. Dans une vidéo, qui a été authentifiée par [l’expert de la Syrie] Joshua Landis (…), [Okaidi] a déclaré lors d’une interview : “Ma relation avec les frères de l’EIIL [Daech] est bonne… Je communique tous les jours avec les frères de l’EIIL… Notre relation est bonne, elle est même fraternelle.” » Remarque importante : ne les ayant pas reproduites, j’ai néanmoins vérifié les sources de Monsieur Chovanec avant de traduire ces informations alarmantes.

58. Charles Lister, « The West is walking into the abyss on Syria », Brookings.edu, 28 septembre 2015. Dans cet article, Monsieur Lister souligne le récent fiasco du Pentagone dans l’entraînement des rebelles contre Daech, mais sans évoquer le programme de la CIA – ce qui donne l’impression que l’Agence et ses alliés ne sont pas intervenus dans ce conflit ; puis il attribue la responsabilité de la montée en puissance des factions jihadistes à Bachar el-Assad. Une ou plusieurs sources prouvant ses accusations auraient été appréciables.

59. Charles Lister, « Are Syrian Islamists moving to counterbalance Al-Qaeda? Will it last? », Brookings.edu, 23 mars 2015 (accentuation ajoutée). En écrivant cela, il souligne néanmoins qu’« en public »,  ce fait est « rarement reconnu explicitement ».

60. Voir par exemple Joseph Fitsanakis, « Analysis: Bandar’s return affirms hawkish turn in Saudi foreign policy », IntelNews.org, 26 juillet 2012 : « Bandar “veut voir l’Arabie saoudite gonfler ses muscles, en particulier si les Américains sont avec lui [au Moyen-Orient]”, selon [un spécialiste du Woodrow Wilson Center nommé] Ottaway. Et il y a des chances qu’ils le seront, au vu des contacts étroits du prince Bandar au sein de la communauté du Renseignement états-unien. Le commentateur saoudien Jamal Khashoggi a déclaré que le style de Bandar est “plutôt agressif, aux antipodes de celui des diplomates saoudiens, qui sont habituellement prudents ; et il sera libre de faire ce qu’il estime nécessaire”, en particulier dans le cas de la Syrie » (accentuation ajoutée).

61. Ibidem : « La rumeur veut que, durant le premier mandat de George W. Bush, George Tenet – qui était alors directeur de la CIA –, se serait saoulé dans la grandiose maison de Bandar à Washington. Il serait alors tombé tout habillé dans la piscine, avant d’être secouru par l’un des serviteurs de Bandar. Si cette histoire est vraie, elle indique un degré d’intimité plutôt dérangeant dans la relation du prince avec l’establishment de politique étrangère des États-Unis, sur lequel l’Arabie saoudite va sans aucun doute s’appuyer dans les prochaines années » ; voir Peter Dale Scott,L’État profond américain : la finance, le pétrole et la guerre perpétuelle (Éditions Demi-Lune, Plogastel-Saint-Germain, 2015), p.159 : « [I]l est compréhensible que George Tenet, le directeur de la CIA sous George W. Bush, ait suivi le précédent de [William] Casey [, le directeur de l’Agence sous Reagan,] en rencontrant une fois par mois environ le prince Bandar, l’ambassadeur d’Arabie saoudite aux États-Unis – mais sans révéler le contenu de leurs discussions aux officiers de la CIA chargés des questions saoudiennes » (accentuation ajoutée). Voir aussi la note précédente.

62. J’ai utilisé l’expression « désignés coupables » car – près d’une quinzaine d’années après les attentats du 11-Septembre –, la perspective d’un procès régulier et équitable des accusés du 11-Septembre illégalement détenus à Guantanamo continue de s’éloigner. N’en déplaise aux esprits conformistes, la vérité sur ces attaques est donc loin d’être établie. Voir par exemple : « La moitié des prisonniers de Guantanamo resteront enfermés “indéfiniment” », LeMonde.fr avec AFP, 1er septembre 2015. Voir également Bob Graham ; « Il faut rouvrir l’enquête du 11-Septembre! », HuffingtonPost.fr, 9 novembre 2012 ; concernant les accusations sur le rôle présumé du prince Bandar et de l’Arabie saoudite dans le 11-Septembre, voir Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Mille et un 11 septembre », MiddleEastEye.net, 15 septembre 2015 : « [L]es États-Unis savaient que le prince Bandar était lié aux attentats du 11 septembre, selon des fuites dans la presse au sujet des célèbres 28 pages classifiées du rapport de l’enquête du Congrès publié en 2002. Dans son livre Intelligence Matters (2004), le sénateur Bob Graham, vice-président de la commission d’enquête, évoque une note top-secrète de la CIA concernant deux pirates de l’air du 11 septembre, Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, qui conclut qu’il y avait “des preuves irréfutables qu’il existe un soutien pour ces terroristes au sein du gouvernement saoudien”. »

63. Ian Black, « End of an era as Prince Bandar departs Saudi intelligence post », TheGuardian.co.uk, 16 avril 2014.

64. Joseph Fitsanakis, « Obama authorizes CIA to conduct ‘non-lethal covert action’ in Syria », IntelNews.org, 3 août 2012.

65. Pour des détails sur ces opérations, voir Chivers et Schmitt, « Arms Airlift to Syria Rebels Expands, With Aid From C.I.A. ». Au moment où cet article fut publié, les livraisons d’armes aux rebelles étaient en train de s’intensifier, d’après le New York Times. Seymour Hersh a également révélé un rôle actif du MI6 britannique dans ces opérations, ce qui aurait permis à la CIA d’échapper à la supervision du Congrès (Hersh, « La ligne rouge et celle des rats »). Je reviendrai sur ce point crucial.

66. A.F., « L’ancien patron de la CIA propose d’enrôler des combattants d’Al-Qaïda contre Daech », LeJDD.fr avec AFP, 2 septembre 2015.

67. Timm, « If you thought the Isis war couldn’t get any worse, just wait for more of the CIA » (accentuation ajoutée).

68. Ken Dilanian (The Associated Press), « Officials: CIA-backed Syrian rebels under Russian blitz », MilitaryTimes.com, 10 octobre 2015 (accentuation ajoutée).

69. Michel Colomès, « Arrêtons de jouer les “bons” contre les “méchants” islamistes », LePoint.fr, 22 octobre 2015 : « On dit souvent que l’histoire bégaie. Obama et Hollande viennent d’en donner un exemple stupéfiant : pris de court le 30 septembre par la décision de Poutine de bombarder tous les ennemis de Bachar el-Assad, sans distinction d’appartenance, ils ont réagi en envoyant des armes à tous les groupes d’opposition au régime syrien, catalogués ou non comme islamistes. Du moment qu’ils combattent Daesh » (accentuation ajoutée).

70. Greg Miller et Karen DeYoung, « U.S. weighs expanded CIA training, arming of Syrian allies struggling against Assad », WashingtonPost.com, 14 novembre 2014 (accentuation ajoutée).

71. Ibidem.

72. Sur son blog, l’ancien ministre des Affaires étrangères Alain Juppé a publié une analyse qui – bien qu’elle déforme le rôle de l’Occident dans le conflit syrien –, a le mérite de souligner que la chute de Bachar el-Assad était bel et bien unobjectif stratégique des puissances occidentales. Voir Alain Juppé, « Notre fiasco syrien », Al1Jup.com, 24 octobre 2015.

73. Black, « End of an era as Prince Bandar departs Saudi intelligence post » : « Le départ de Bandar n’est pas vraiment une surprise. Dans un contexte de tensions sans précédent dans les relations entre Riyad et Washington, il y avait eu des signes indiquant qu’il était tombé en disgrâce et qu’il avait déjà été marginalisé sur la question syrienne (…) “L’approche de Bandar était très ‘tout noir ou tout blanc’”, selon un observateur bien informé. “Et il semble avoir trop promis au roi [Abdallah] en prédisant avec autant de confiance le départ d’el-Assad.” » Concernant les relations épineuses entre Ankara et Washington sur la question de la « ligne rouge » d’Obama, lire l’article de Seymour Hersh, « La ligne rouge et celle des rats ».

74. À la suite de l’intronisation du roi Salmane en Arabie saoudite, ce dernier s’est mis d’accord avec la Turquie et le Qatar pour unifier leurs efforts en Syrie et ainsi créer l’Armée de la Conquête. Voir Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas ». Selon le journaliste d’investigation Gareth Porter, cette décision politique de mettre en place l’Armée de la Conquête a été « approuvée par les États-Unis ». Voir Porter, « Obama won’t admit the real targets of Russian airstrikes ».

75. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats » : « L’ampleur de la coopération des États-Unis avec la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar dans le soutien à l’opposition rebelle en Syrie est encore à découvrir. L’administration Obama n’a jamais admis publiquement son rôle dans la création de ce que la CIA appelle une “ligne de rat” (…) [ou une “enfléchure”, traduction littérale de l’expression “rat line”, c’est-à-dire] une route clandestine vers la Syrie. La “ligne de rat”, autorisée au début de 2012, a été utilisée pour acheminer à l’opposition des armes et des munitions en provenance de la Libye via le Sud de la Turquie et à travers la frontière syrienne. (…) L’opération n’avait pas été divulguée au moment de sa mise en place aux commissions de Renseignement et dirigeants du Congrès, en violation des lois en vigueur depuis les années 1970. L’implication du MI6 a permis à la CIA de se soustraire à la loi en classant sa mission comme une opération de liaison » (accentuation ajoutée).

76. Ibidem : « Beaucoup de ceux en Syrie qui ont finalement reçu les armes étaient djihadistes, certains affiliés à al-Qaïda. » ; Voir également Winnett, « Syria: 3,500 tons of weapons already sent to rebels, says Lord Ashdown ». Cet article rapporte les propos alarmants du parlementaire britannique Lord Ashdown : « “[Les rebelles en Syrie] n’ont pas besoin d’armes. Il n’a pas été démenti que 3 500 tonnes d’armes avaient été livrées depuis la Croatie avec l’aide de la CIA. Financés par les Qataris, financés par les Saoudiens, [ces armements] sont allés presque exclusivement vers les groupes les plus extrémistes”, déclara l’ancien haut représentant international en Bosnie lors d’un débat [parlementaire] » (accentuation ajoutée).

77. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats » : « L’opération n’avait pas été divulguée au moment de sa mise en place aux commissions de Renseignement et dirigeants du Congrès, en violation des lois en vigueur depuis les années 1970.L’implication du MI6 a permis à la CIA de se soustraire à la loi en classant sa mission comme une opération de liaison. L’ancien responsable du Renseignement m’a expliqué que pendant des années il y a eu une exception reconnue dans la loi qui permet à la CIA de ne pas déclarer ses activités de liaison au Congrès. (Toutes les opérations secrètes de la CIA proposées doivent être décrites dans un document écrit et soumis à l’approbation des hauts dirigeants du Congrès) » (accentuation ajoutée).

78. Maurice Lemoine, « Loi du silence à la CIA », Le Monde Diplomatique, octobre 2009, p.26 : « Depuis sa création par le président Harry Truman, en 1947, les annales de la CIA regorgent de forfaits. Au moment de sa conception, rappelle Tim Weiner, journaliste au New York Times, le brigadier général John Magruder avait tracé la ligne : “Les opérations de renseignement clandestin impliquent d’enfreindre constamment toutes les règles. (…) Pas plus le Pentagone que le département d’État ne [peuvent] prendre le risque de couvrir de telles missions. Un nouveau service d’action clandestine [doit] donc s’en charger.” Allen Dulles, croisé de la guerre froide qui dirigera l’Agence, comme on appelle la CIA, de 1953 à 1961, affina la doctrine : “L’assassinat politique fait partie de notre panoplie (…) si le président l’autorise.Dans ce cas, nous devons tout faire pour préserver un “déni plausible” ; si la CIA est mise en cause dans un homicide à l’étranger, elle doit protéger le président en lui permettant de prétendre tout ignorer de l’opération » (accentuation ajoutée).

79. Jerome R. Corsi, « Generals Conclude Obama Backed Al-Qaida », 19 janvier 2015, WND.com (accentuation ajoutée). Remarque : WND.com est un site qui n’est pas nécessairement fiable. Néanmoins, le raisonnement de Kevin Shipp – en sa qualité d’ancien expert de la CIA –, me semble pertinent. Et comme nous le verrons, il est corroboré par d’autres sources.

80. Anne Barnard et Karam Shoumali, « U.S. Weaponry Is Turning Syria Into Proxy War With Russia », NYTimes.com, 12 octobre 2015 (accentuation ajoutée).

81. Porter, « Obama won’t admit the real targets of Russian airstrikes » (accentuation ajoutée).

82. Sur la création et le soutien, par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, d’une coalition de groupes islamistes comprenant al-Qaïda comme l’une de ses principales forces, voire Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas ».

83. Liz Sly, « Did U.S. weapons supplied to Syrian rebels draw Russia into the conflict? », WashingtonPost.com, 11 octobre 2015 (accentuation ajoutée).

84. Nafeez Mosaddeq Ahmed, « La guerre contre l’État islamique : un nouvel épisode de guerre froide », MiddleEastEye.com, 13 octobre 2015 (accentuation ajoutée).

85. Stewart, « The Consequences of Intervening in Syria ».

86. Voir la note 8. Observation complémentaire : 2013 est l’année de démarrage du programme clandestin et multinational de livraison des missiles antichars TOW à l’insurrection. Voir Barnard et Shoumali, « U.S. Weaponry Is Turning Syria Into Proxy War With Russia ».

87. Timm, « If you thought the Isis war couldn’t get any worse, just wait for more of the CIA » : « Le plus choquant est peut-être de savoir que Barack Obama a lui-même lu l’étude de la CIA, et qu’il a conscience qu’armer les rebelles en Syrie – ou n’importe où ailleurs – était une idée incroyablement dangereuse. Parlant visiblement de cette étude, Obama déclara à David Remnick du New Yorker [en 2014] : “Très tôt dans ce processus, j’ai en fait demandé à la CIA d’analyser des exemples de réussites dans le financement et l’approvisionnement en armes des insurrections. Et ils n’ont pas réussi à m’en donner beaucoup.” » Cette posture « non-interventionniste » d’Obama a été récemment exagérée par certains médias. Voir Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».

88. Cette coopération inter-agences n’empêche pas des désaccords majeurs entre les gouvernements, notamment du fait de l’hostilité saoudienne aux Frères musulmans soutenus par la Turquie et le Qatar. Elle n’exclut pas non plus des politiques ou des opérations unilatérales, comme celles de la Turquie et d’Israël (Parry, « Should US Ally with Al Qaeda in Syria? »). Néanmoins, malgré des divergences politiques ou tactiques, le butstratégique des principaux acteurs de cette guerre secrète a été de renverser le régime de Bachar el-Assad. Or, la Russie, l’Iran et le Hezbollah se sont opposé à cet objectif commun, qui a été indirectement confirmé par Alain Juppé (cf. note 72). Enfin, de nombreuses sources confirment un rôle central de la CIA dans cette intervention clandestine, bien que nous ne puissions encore déterminer l’ampleur et la nature de cet engagement.

89. D’après le Washington Post, les forces spéciales et les services secrets occidentaux ont entraîné des rebelles en Libyeen 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda. Voir Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them ». Ces informations semblent corroborer les révélations précoces de l’ancien officier de la CIA Philip Giraldi (cf. note 24).

90. David Ignatius, « Foreign nations’ proxy war in Syria creates chaos », WashingtonPost.com, 2 octobre 2014 : « “Cette salle d’opérations était le chaos”, selon un membre d’un service de renseignement arabe. Il affirma avoir mis en garde un officier qatari, qui lui répondit : “J’enverrai des armes à al-Qaïda si cela pourra contribuer” à renverser el-Assad. Cette détermination à faire tomber [ce dernier] par tous les moyens possibles et imaginables s’est avérée dangereuse. “Au fil du temps, les factions islamistes sont devenues de plus en plus fortes et imposantes, et l’ASL de plus en plus faible”, d’après cette source. L’engagement saoudien fut mené jusqu’à la fin de l’année 2013 par le prince Bandar ben Sultan, qui était alors le chef des services secrets saoudiens. Bandar était enthousiaste mais indiscipliné, ce qui a alimenté le chaos. » Dans cet article, David Ignatius minimise le rôle de la CIA et de ses alliés occidentaux dans le conflit syrien, et il attribue la responsabilité de ce chaos islamiste à la Turquie et aux pétromonarchies du Golfe.

91. Maxime Chaix, « La bannière étoilée derrière le drapeau noir », MaximeChaix.info, 20 août 2015 (articleinitialement publié sur DeDefensa.org).

92. Ibidem. Quelques semaines après la parution de mon article sur ce sujet, le grand reporter Régis Le Sommier a parlé de ces aveux du général Flynn dans son intéressante analyse citée précédemment (Voir Le Sommier, « Pourquoi Daech est là pour durer »). Dans cet article, Monsieur Le Sommier fait l’analogie entre le soutien des moudjahidines en Afghanistan dans les années 1980 et la guerre secrète actuelle en Syrie.

93. Ibidem.

94. Dans le contexte de cette interview, le présentateur d’Al-Jazeera parlait d’une politique commune des États-Unis et de leurs alliés pétromonarchiques, turcs et occidentaux, qui était citée plusieurs fois dans un document secret de la DIA transmis à l’administration Obama en 2012 – dont le général Flynn confirma la pertinence et l’authenticité. En d’autres termes, la montée en puissance de Daech et du Front al-Nosra dans le conflit syrien   semble être, en partie, la conséquence directe d’une guerre secrète multinationale, qui visait à renverser le régime el-Assad. Et le général Flynn déclara avoir tenté de dissuader l’administration Obama de poursuivre cette politique profonde. Voir Chaix, « La bannière étoilée derrière le drapeau noir ».

95. D’après le général Flynn, l’administration Obama aurait ignoré les mises en garde répétées de la DIA, prenant la « décision délibérée de faire ce qu’ils font ». Quiconque n’a pas conscience de l’implication clandestine des États-Unis dans ce conflit ne peut comprendre cette phrase. Or, sachant que le général Flynn est l’ancien chef de la DIA, « ce qu’ils font » semble faire référence au soutien clandestin et multinational de l’insurrection en Syrie par la CIA et ses partenaires – la politique d’Obama dans ce pays étant qualifiée par Michael Flynn de « très, très troublante ». Voir Chaix, « La bannière étoilée derrière le drapeau noir ».

96. Sollicité durant l’écriture de cette analyse, Nafeez Ahmed m’a indiqué que l’expression « responsables américains du renseignement militaire » désignait des officiers de la CIA collaborant avec le JSOC, le commandement des opérations spéciales du Pentagone.

97. Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant » : Joe Biden a même admis que ce financement était allé à al-Qaïda en Irak, qui a élargi ses opérations en Syrie en vertu de la stratégie secrète anti-Assad – avant de se métamorphoser en Daech (…) Mais la revendication de Joe Biden [selon laquelle] “nous ne pouvions pas convaincre nos collègues [turcs, qataris et saoudiens] de cesser de les approvisionner” dissimule le fait que la CIA a été directement impliquée dans la gestion de ces réseaux d’approvisionnement rebelles. »

98. Ibidem. NB : Sachant que j’avais traduit ce passage avant la parution en français de cet article de Nafeez Ahmed, j’ai reproduis ma propre traduction dans la présente analyse.

99. Cette coalition a été créée après l’intronisation du roi Salmane, c’est-à-dire à partir de janvier 2015. Voir Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas ». Selon le journaliste Gareth Porter, « [l]a campagne d’Idleb [au printemps 2015] a été une conséquence directe d’une décision politique de l’Arabie saoudite et du Qatar – approuvée par les États-Unis –, de soutenir la création de l’“Armée de la Conquête” et de lui fournir du nouveau matériel militaire, qui fut un facteur crucial dans cette campagne : le missile antichar TOW. » (Porter, « Obama won’t admit the real targets of Russian airstrikes »).

100. Robert S. Ford, l’ancien ambassadeur des États-Unis à Damas, a récemment défendu la nécessité d’établir un « dialogue » avec les salafistes d’Ahrar al-Sham, dont il a fait explicitement l’apologie. Voir Robert S. Ford et Ali El Yassir, « Yes, Talk with Syria’s Ahrar al-Sham », MEI.edu, 15 juillet 2015.

101. Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant » (NB : Même remarque que dans la note 98 concernant la traduction originale de cet article, que j’ai remplacée par la mienne dans la présente analyse.) Charles Lister nous offre une hypothèse intéressante pour expliquer les raisons de ce soutien direct,par les services spéciaux états-uniens et leurs partenaires, de factions islamistes liées ou affiliées à al-Qaïda : « L’explication la plus plausible pour une telle [politique profonde] est la pression exercée par la nouvelle alliance régionale nouée entre la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar. Par ailleurs, les États-Unis cherchent à prouver leur alignement continuel avec leurs alliés traditionnels du golfe Persique, dans le plus vaste contexte de leur rapprochement avec l’Iran.” » Néanmoins, contrairement à Monsieur Lister, ce soutien direct et multinational ne me semble pas être une nouveauté, comme j’ai tenté de le démontrer dans cet article.

102. Voir note 99.

103. Hubbard, « Warily, Jordan Assists Rebels in Syrian War » : « Lorsque les rebelles veulent retourner combattre en Syrie, les services secrets jordaniens leur donnent des créneaux spécifiques pour franchir sa frontière. Lorsqu[’ils] ont besoin d’armes, ils les demandent à une “salle d’opérations” à Amman où opèrent des agents de la Jordanie, de l’Arabie saoudite et des États-Unis. Ce centre coordonne également un programme de la CIA visant à entraîner des rebelles, qui fut autorisé par le Président Obama au mois d’avril [2013]. »

104. Sands et Maayeh, « Syrian rebels get arms and advice through secret command centre in Amman ». Cf. note 5.

105. « Obama signs secret order to aid Syria rebels », AlJazeera.com, 18 novembre 2013 : « Une source gouvernementale états-unienne a admis que, en vertu d’un ordre présidentiel, les États-Unis collaboraient avec un centre de commandement secret géré par la Turquie et ses alliés. La semaine dernière, Reuters a rapporté que la Turquie, ainsi que l’Arabie saoudite et le Qatar, avaient établi une base secrète près de la frontière syrienne afin d’offrir un soutien vital (…) aux opposants à Bachar el-Assad. Ce “centre névralgique” est basé à Adana, une ville du Sud de la Turquie située à environ 100 km de la frontière syrienne, qui abrite également İncirlik, une base aérienne US où les services secrets et l’armée des États-Unis maintiennent une importante présence. » ; Voir également Fitsanakis, « Obama authorizes CIA to conduct ‘non-lethal covert action’ in Syria » : « L’article de Reuters confirme des informations indiquant que le “centre névralgique” des opérations de la CIA dans et autour de la Syrie est situé dans à Adana, au sud de la Turquie – une ville qui abrite également İncirlik, une base aérienne de l’OTAN dirigée par les États-Unis. »

106. Ignatius, « Foreign nations’ proxy war in Syria creates chaos » : « Les efforts extérieurs visant à armer et entraîner les rebelles syriens commencèrent il y a plus de 2 ans à Istanbul, où un “centre d’opérations militaires” fut créé, d’abord dans un hôtel près de l’aéroport. (…) Espérant s’assurer le contrôle du front du Nord, la Turquie créa un nouveau centre d’opérations à Ankara, qui est connu sous l’acronyme “MOM”, ses initiales turques. »

107. Voir la note 5.

108. Voir notamment Hubbard, « Warily, Jordan Assists Rebels in Syrian War » : « Lorsque les rebelles ont besoin d’armes, ils les demandent à une “salle d’opérations” à Amman où opèrent des agents de la Jordanie, de l’Arabie saoudite et des États-Unis. Ce centre coordonne également un programme de la CIA visant à entraîner des rebelles, qui fut autorisé par le Président Obama au mois d’avril [2013]. Il était censé former 380 combattants et leur fournir des fusils d’assaut, des munitions et des armes antichars, afin qu’ils puissent retourner en Syrie pour entraîner leurs collègues.Mais des responsables et des leaders rebelles ont affirmé que le programme est en réalité bien plus restreint » (accentuation ajoutée). Comme dans l’immense majorité des analyses sur ce sujet, cet article minimise de façon suspecte l’ampleur de ce programme. Or, entre juin et octobre 2015, la presse a révélé que la CIA s’était engagée depuis 2013 dans 1) la fourniture massive de missiles TOW à l’insurrection ; 2) un « effort » de plusieurs milliards de dollars de la Turquie et des pays du Golfe complétant le milliard annuel de l’Agence pour ses opérations multinationales coordonnées en Jordanie ; 3) la formation d’au moins 10 000 combattants. Ces révélations confirment que l’ampleur réelle de la guerre secrète de la CIA en Syrie a été dissimulée par les autorités, notamment grâce à des articles de presse trompeurs comme celui qui est analysé dans cette note.

109. Comme nous l’avons vu précédemment (note 77), la CIA peut échapper à la supervision du Congrès des États-Unis grâce à la classification d’opérations de liaison impliquant des partenaires étrangers. Du fait de leur aspect multinational, nous ne connaissons pas clairement le cadre des opérations de la CIA en Syrie. Néanmoins, puisqu’il s’agit de budgets étrangers, le Congrès ne peut pas contrôler le « plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie » révélé par le Washington Post dans son article de juin 2015 (Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut »).

110. Chovanec, « Why We Must Not Arm Even One More Syrian Rebel » : « Actuellement, [l]e label [“modéré”] est appliqué au Front du Sud, qui est salué comme la nouvelle force modérée que les États-Unis peuvent soutenir moralement [et matériellement]. Néanmoins, cette milice est financée et appuyée par le Military Operations Center(MOC) à Amman, qui regroupe des agents des États-Unis, de la Jordanie, de l’Arabie saoudite, des Émirats Arabes Unis et d’autres gouvernements anti-Assad. Et selon l’expert de la Syrie Aron Lund, l’“adoption d’arguments fournis par le MOC” sur la modération des membres de cette alliance est probablement “plus opportuniste que sincère”. »

111. Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut ».

112. Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees ». Voir également la note 108.

113. Selon l’universitaire Joel Veldkamp, « [l]’ampleur de l’aide matérielle qui aurait été livrée à l’opposition armée en Syrie par les États-Unis et leurs alliés (…) ridiculise tout ce qui a été décrit dans les déclarations publiques du gouvernement [US]. En février 2014, The National, un journal d’Abou Dhabi, a rapporté que les États du Golfe – avec l’aide logistique des services secrets états-uniens –, avaient livré pour 1,2 milliard de dollars en armes et en équipements aux rebelles en Syrie rien que depuis juillet 2013 : “Ce chiffre devrait atteindre 2 milliards, puisque l’Arabie saoudite, qui d’après les rebelles supervise ces financements, compte injecter entre 400 et 800 millions de dollars supplémentaires au cours des prochains mois.” De tels chiffres doivent être accueillis avec prudence, mais l’ampleur de l’insurrection en Syrie donne de la crédibilité à ces sommes » (Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees » [accentuation ajoutée]). Ces financements – qui ne se limitent pas au Sud de la Syrie –, sont-ils inclus dans le « plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie » révélé par le Washington Post ?

114. Richard Norton-Taylor, « Terror trial collapses after fears of deep embarrassment to security services », TheGuardian.co.uk, 1er juin 2015 : « Les poursuites judiciaires contre un citoyen suédois accusé d’activités terroristes en Syrie ont été abandonnées à Old Bailey [, c’est-à-dire à la Haute Cour criminelle,] du fait que les agences britanniques de renseignement et de sécurité auraient été profondément embarrassées si le procès avait continué, révèle le Guardian. Les avocats de l’accusé ont démontré que les services spéciaux britanniques soutenaient les mêmes groupes d’opposition que lui, et qu’ils avaient pris part à une opération clandestine de fourniture d’armes et d’aide non-létale à ces factions (…) [L’accusé] avait combattu au sein du Front al-Nosra, un “groupe interdit qui est considéré comme étant al-Qaïda en Syrie”. Il avait été photographié se tenant au-dessus de plusieurs cadavres avec son doigt pointé vers le ciel”. Pour prouver le soutien du MI6 à des groupes extrémistes en Syrie, la défense s’est notamment basée sur l’article de Seymour Hersh, « La ligne rouge et celle des rats ».

115. Chaix, « Selon le député Claude Goasguen, “la France soutient al-Qaïda en Syrie” ». Voir également la note 14.

116. Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees ».

117. Winnett, « Syria: 3,500 tons of weapons already sent to rebels, says Lord Ashdown ».

118. Stewart, « The Consequences of Intervening in Syria ».

119. Comme nous l’avons vu, Hillary Clinton a affirmé que le Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en Syrie. Voir « I Wanted to Arm Syrian Rebels, but Obama Refused ». Or, selon Madame Clinton, ce refus date de 2012, c’est-à-dire lorsqu’elle était secrétaire d’État. Néanmoins, la journaliste qui a écrit cet article de New Republic affirme qu’Obama a envisagé d’armer les rebelles en 2013.

120. Jessica Schulberg, « Obama’s Going to Arm the Syrian Rebels? He’s Already Been Doing It Covertly for Over a Year », NewRepublic.com, 11 septembre 2014.

121. Concernant les politiques profondes de l’affaire Iran-Contra, voir la première partie de l’article de Peter Dale Scott, « Le réseau gouvernemental occulte liant l’assassinat de JFK, le Watergate, l’Irangate et le 11-Septembre », VoltaireNet.org, 7 mai 2015.

122. Arefi, « Les forces en présence sur le territoire syrien ». Nous avons vu que, dans cet article, la CIA et les services spéciaux occidentaux ne sont pas même évoqués parmi « les forces en présence sur le territoire syrien ». Or, j’ai souligné que de nombreuses autres sources refoulent ou minimisent cette intervention clandestine multinationale de la CIA, dont des médias importants et des hauts responsables politiques.

123. Sur la création et le soutien, par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, d’une coalition de groupes islamistes comprenant al-Qaïda comme l’une de ses principales forces, voire Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas » ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS » : « Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire Daech] ?” Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” » ; Leser, « Sans la Turquie, Daech n’existerait pas » ; « Le Qatar : “valet des Américains” ou “club Med des terroristes” ? » ; etc.

124. Sly, « Did U.S. weapons supplied to Syrian rebels draw Russia into the conflict? » : « Les missiles antichars états-uniens fournis au rebelles syriens ont une grande influence dans la conduite de cette guerre – ce qui était inattendu. De ce fait, ce conflit ressemble à une guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie, bien que le Président Obama ait exprimé le souhait d’éviter cette issue. (…) “L’un des principaux facteurs dans le calcul de la Russie a été la prise de conscience que le régime el-Assad était en train de s’affaiblir militairement, et qu’il risquait de perdre du terrain au nord-ouest de la Syria. Les missiles TOW ont joué un rôle démesuré dans cela”, d’après Oubai Shahbandar, un consultant basé à Dubaï qui a travaillé avec l’opposition syrienne [et le Pentagone].” Voir également Adam Entous, « U.S. Sees Russian Drive Against CIA-Backed Rebels in Syria », WSJ.com, 5 octobre 2015 : « La Russie a ciblé des groupes rebelles syriens soutenus par la CIA dans une série de frappes aériennes menées depuis plusieurs jours, ce qui a conduit les États-Unis à conclure qu’il s’agit d’une démarche intentionnelle de la part de Moscou, d’après des hauts responsables états-uniens. »

125. Fred Kaplan, « Une alliance avec la Russie et l’Iran contre Daech est devenue inévitable », Slate.fr, 29 septembre 2015 : « Dans son discours aux Nations unies, Obama a tenté de jouer sur les deux tableaux. Il a rejeté l’idée que combattre le terrorisme pourrait avoir pour effet de soutenir des “tyrans comme Bachar el-Assad, qui a largué des bombes pour massacrer des enfants innocents” au motif que “l’alternative est probablement pire”. C’est pour cette idée qu’avec d’autres, bon gré mal gré, il vient d’accepter. Obama et certains de ses alliés pensent que Daech est pire qu’Assad; et si l’écrasement de Daech implique le départ d’Assad à long terme (afin de priver les djihadistes d’un de leurs principaux cris de ralliement), il est probablement souhaitable de le soutenir à court terme –pour éviter un effondrement de la Syrie. »

126. Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial, p.174 : « Dans les années 1980, les Soviétiques se sont heurtés dès le départ à l’opposition des moudjahidines (appelés “combattants de la liberté” à Washington et “terroristes” à Moscou), qui furent armés, financés et entraînés dès 1978 – peut-être même plus tôt – par les services secrets combinés du Pakistan, de l’Arabie saoudite et la CIA » (accentuation ajoutée).

127. « Le général Flynn passe à l’Est », DeDefensa.org, 6 octobre 2015 : « [À] l’audition de ce que nous dit Flynn, on comprend nombre des observations qu’on vient de faire. L’ancien directeur de la DIA expose une position de quasi-complet soutien à la décision russe d’intervenir en Syrie. Il le fait en mettant en évidence des arguments qui sont complètement ignorés à Washington (…) : essentiellement, que la Russie est une grande puissance, qu’il est normal qu’elle ait sa politique extérieure et ses intérêts de sécurité nationale propre, que son intervention répond au fait qu’une “ligne rouge” a été franchie dans la situation en Syrie sous la forme de l’entraînement, de l’équipement et du déploiement d’un très fort contingent de terroristes venus des communautés musulmanes russes, essentiellement tchétchènes (…). Une telle compréhension et une telle prise en compte des arguments russes est extrêmement rare à Washington, surtout chez un militaire ayant occupé un poste comme celui de directeur de la DIA jusqu’en août 2014, c’est-à-dire un temps où la Russie était devenu l’“ennemi mondial n°1” du tout-Washington. » ; « Vincent Desportes : “La Russie est un allié objectif de la sécurité des Français” », FranceInter.fr, 29 octobre 2015.

128. Certains faiseurs d’opinion, comme Bernard Kouchner, nient toute coresponsabilité occidentale dans le drame syrien. Voir Chaix, « Non, Bernard Kouchner, Bachar el-Assad n’a pas “assassiné 230 000, 250 000 Syriens” ».

129. Philippe Jottard, « Syrie : “Il est trop commode de dénoncer uniquement la ‘monstruosité’ de Bachar el-Assad ou la barbarie de l’EI” », LeVif.be, 24 septembre 2015. Sans donner de chiffres précis, l’expert de la Syrie Fabrice Balanche a affirmé que « la grande majorité [des déplacés internes] vit dans les zones gouvernementales, comme le reconnaît l’office des Nations unies pour les affaires humanitaires (Ocha). Celle-ci est jugée plus sûre : les déplacés viennent y chercher à la fois la sécurité et un accès plus facile à l’aide humanitaire. » (Jean-Dominique Merchet, « Réfugiés : “Assad rééquilibre la population à son profit” », entretien avec Fabrice Balanche, LOpinion.fr, 15 octobre 2015).

130. « Syrie : Déclaration conjointe sur les actions militaires récentes de la Fédération de Russie (02.10.15) », Diplomatie.gouv.org, 2 octobre 2015 : « Nous, gouvernements de France, d’Allemagne, du Qatar, d’Arabie saoudite, de Turquie, du Royaume-Uni et des États-Unis d’Amérique faisons la déclaration suivante à la suite des récentes offensives militaires de la Fédération de Russie en Syrie : Nous exprimons notre vive inquiétude devant le renforcement de l’engagement militaire russe en Syrie et, en particulier les frappes de l’armée de l’air russe sur Hama et Homs hier qui ont tué des civils et ne visaient pas Daech. Ces opérations militaires constituent une nouvelle escalade et ne feront qu’attiser l’extrémisme et la radicalisation. Nous demandons instamment à la Fédération de Russie de mettre immédiatement fin à ses attaques contre l’opposition et la population civile syriennes et de concentrer ses efforts sur le combat contre Daech. »

131. Porter, « Obama won’t admit the real targets of Russian airstrikes ».

132. Ibidem : « Cette victoire [de l’Armée de la Conquête] à Idleb [au printemps 2015] fut généralement décrite comme le plus important bouleversement dans le conflit syrien depuis au moins deux ans, et le défi le plus sérieux pour le régime el-Assad depuis le début de la guerre. »

133. Marc de Boni, « Védrine veut s’allier à Assad contre Daech, comme il a fallu s’allier avec Staline” », LeFigaro.fr, 28 septembre 2015 : « L’ancien ministre des Affaires étrangères plaide pour un rétablissement des rapports avec Moscou, et donc d’un dialogue avec le régime de Bachar el-Assad en vue de contenir l’État islamique. »

134. Alors que je finalise cet article, les États-Unis et l’Arabie saoudite annoncent qu’ils vont intensifier leur soutien militaire en faveur de la rébellion « modérée ». Voir Louisa Loveluck, « US and Saudis vow to step up war on Assad in defiance of Russia », Telegraph.co.uk, 25 octobre 2015.

135. Une touche d’espoir pour conclure cette analyse : « Réunion internationale à Vienne sur la Syrie, Téhéran invité pour la première fois », NouvelObs.com avec AFP, 29 octobre 2015.

Source: http://www.les-crises.fr/maxime-chaix-la-guerre-secrete-multinationale-de-la-cia-en-syrie-et-le-chaos-islamiste/


[11/09/2001] Terrorisme, l’arme des puissants, par Noam Chomsky

Saturday 14 November 2015 at 00:10

11/09/2001 : une première réaction, par Noam Chomsky [rédigée le 12/09/2001]

Ces attaques terroristes sont des atrocités majeures. Il est possible qu’elles n’aient pas atteint le niveau de beaucoup d’autres, telles le bombardement par Clinton du Soudan, sans aucun prétexte crédible, détruisant la moitié de son industrie pharmaceutique et tuant une quantité inconnue de personnes (inconnue, puisque les Etats-Unis ont bloqué une enquête de l’ONU, et que personne ne veut la poursuivre). Sans parler d’autres drames bien plus graves qui viennent facilement à l’esprit. Mais aucun doute : ce qui vient de se passer est un crime atroce. Les premières victimes, comme d’habitude, ont été des travailleurs et des travailleuses : portiers, secrétaires, pompiers, etc. Cela annonce sans doute une tempête infernale contre les Palestiniens et autres peuples pauvres et opprimés. Et il en résultera aussi probablement des contrôles de sécurité serrés, avec beaucoup de ramifications envisageables pour saper les libertés publiques y compris au niveau international.

Ces événements révèlent dramatiquement la folie du projet de « défense anti-missile ». Cela était évident depuis le départ, et a été souligné à maintes reprises par les analystes en stratégie : si quiconque veut causer d’immenses dommages aux Etats-Unis, il est hautement improbable qu’il lance une attaque de missiles, garantissant ainsi sa destruction immédiate. Il y a une infinité de moyens plus simples et à peu près impossibles à contrer. Mais les événements de ce jour vont, selon toute probabilité, être exploités pour augmenter la pression en vue de développer ces systèmes et les mettre en place. Le prétexte de « Défense Nationale » est le cache-sexe de plans de militarisation de l’espace, et avec une bonne communication, même les arguments les plus creux auront un certain poids auprès d’un public effrayé.

En bref, ce crime est un cadeau à la droite extrême, ceux qui espèrent préserver leurs possessions par la force. Cela, même en laissant de côté les réactions prévisibles des Etats-Unis, et ce qu’elles déclencheront : possiblement d’autres attaques similaires à celle-ci, ou pires. Les perspectives sont encore plus sinistres aujourd’hui qu’elles semblaient l’être avant ces dernières atrocités.

Comment réagir ? Nous avons le choix. Nous pouvons exprimer notre horreur, elle est justifiée ; nous pouvons chercher à comprendre ce qui a pu engendrer ces crimes, ce qui implique de faire un effort pour se mettre dans la peau de ceux qui l’ont vraisemblablement commis. Si nous faisons ce dernier choix, nous ne pouvons faire mieux, me semble-t-il, que d’écouter les mots de Robert Fisk, dont la connaissance directe et en profondeur des affaires de la région est inégalée après de nombreuses années de remarquables reportages. En décrivant « la terrifiante cruauté d’un peuple écrasé et humilié », il écrit : « Ceci n’est pas la guerre de la démocratie contre la terreur, comme le monde sera prié de le croire ces prochains jours. C’est aussi l’histoire de missiles américains explosant dans des maisons palestiniennes, et d’hélicoptères américains lançant des missiles contre une ambulance libanaise en 1996, et d’obus américains s’écrasant sur un village du nom de Qana, et l’histoire de milices Libanaises payées et habillées par l’allié de l’Amérique (Israël) frappant et violant et assassinant tout sur leur passage dans des camps de réfugiés ». Et beaucoup plus encore. Je le répète, nous avons le choix : nous pouvons essayer de comprendre, ou le refuser et contribuer ainsi à rendre vraisemblable que bien pire nous attend.

© Noam Chomsky, source : www.noam-chomsky.fr

Terrorisme, l’arme des puissants, par Noam Chomsky [le 18/10/2001]

Il nous faut partir de deux postulats. D’abord que les événements du 11 septembre 2001 constituent une atrocité épouvantable, probablement la perte de vies humaines instantanée la plus importante de l’histoire, guerres mises à part. Le second postulat est que notre objectif devrait être de réduire le risque de récidive de tels attentats, que nous en soyons les victimes ou que ce soit quelqu’un d’autre qui les subisse. Si vous n’acceptez pas ces deux points de départ, ce qui va suivre ne vous concerne pas. Si vous les acceptez, bien d’autres questions surgissent.

Commençons par la situation en Afghanistan. Il y aurait en Afghanistan plusieurs millions de personnes menacées de famine. C’était déjà vrai avant les attentats ; elles survivaient grâce à l’aide internationale. Le 16 septembre, les Etats-Unis exigèrent pourtant du Pakistan l’arrêt des convois de camions qui acheminaient de la nourriture et d’autres produits de première nécessité à la population afghane. Cette décision n’a guère provoqué de réaction en Occident. Le retrait de certains personnels humanitaires a rendu l’assistance plus problématique encore. Une semaine après le début des bombardements, les Nations unies estimaient que l’approche de l’hiver rendrait impossibles les acheminements, déjà ramenés à la portion congrue par les raids de l’aviation américaine.

Quand des organisations humanitaires civiles ou religieuses et le rapporteur de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ont demandé un arrêt des bombardements, cette information n’a même pas été rapportée par le New York Times ; le Boston Globe y a consacré une ligne, mais dans le corps d’un article traitant d’autre chose, la situation au Cachemire. En octobre dernier, la civilisation occidentale s’était ainsi résignée au risque de voir mourir des centaines de milliers d’Afghans. Au même moment, le chef de ladite civilisation faisait savoir qu’il ne daignerait répondre ni aux propositions afghanes de négociation sur la question de la livraison de M. Oussama Ben Laden ni à l’exigence d’une preuve permettant de fonder une éventuelle décision d’extradition. Seule serait acceptée une capitulation sans condition.

Mais revenons au 11 septembre. Nul crime, rien, ne fut plus meurtrier dans l’histoire – ou alors sur une durée plus longue. Au demeurant, les armes ont, cette fois, visé une cible inhabituelle : les Etats-Unis. L’analogie souvent évoquée avec Pearl Harbor est inappropriée. En 1941, l’armée nippone a bombardé des bases militaires dans deux colonies dont les Etats-Unis s’étaient emparés dans des conditions peu recommandables ; les Japonais ne se sont pas attaqués au territoire américain lui-même.

Depuis près de deux cents ans, nous, Américains, nous avons expulsé ou exterminé des populations indigènes, c’est-à-dire des millions de personnes, conquis la moitié du Mexique, saccagé les régions des Caraïbes et d’Amérique centrale, envahi Haïti et les Philippines – tuant 100 000 Philippins à cette occasion. Puis, après la seconde guerre mondiale, nous avons étendu notre emprise sur le monde de la manière qu’on connaît. Mais, presque toujours, c’était nous qui tuions, et le combat se déroulait en dehors de notre territoire national.

Or on le constate dès qu’on est interrogé, par exemple, sur l’Armée républicaine irlandaise (IRA) et le terrorisme : les questions des journalistes sont fort différentes selon qu’ils exercent sur une rive ou l’autre de la mer d’Irlande. En général, la planète apparaît sous un autre jour selon qu’on tient depuis longtemps le fouet ou selon qu’on en a subi les coups pendant des siècles. Peut-être est-ce pour cela au fond que le reste du monde, tout en se montrant uniformément horrifié par le sort des victimes du 11 septembre, n’a pas réagi de la même manière que nous aux attentats de New York et de Washington.

Pour comprendre les événements du 11 septembre, il faut distinguer d’une part les exécutants du crime, d’autre part le réservoir de compréhension dont ce crime a bénéficié, y compris chez ceux qui s’y opposaient. Les exécutants ? En supposant qu’il s’agisse du réseau Ben Laden, nul n’en sait davantage sur la genèse de ce groupe fondamentaliste que la CIA et ses associés : ils l’ont encouragé à sa naissance. M. Zbigniew Brzezinski, directeur pour la sécurité nationale de l’administration Carter, s’est félicité du « piège » tendu aux Soviétiques dès 1978 et consistant, au moyen d’attaques des moudjahidins (organisés, armés et entraînés par la CIA) contre le régime de Kaboul, à attirer ces Soviétiques sur le territoire afghan à la fin de l’année suivante (1).

Ce n’est qu’après 1990 et l’installation de bases américaines permanentes en Arabie saoudite, sur une terre sacrée pour l’islam, que ces combattants se sont retournés contre les Etats-Unis.

APPUI À DES RÉGIMES BRUTAUX
Si l’on veut maintenant expliquer le réservoir de sympathie dont disposent les réseaux Ben Laden, y compris au sein des couches dirigeantes des pays du Sud, il faut partir de la colère que provoque le soutien des Etats-Unis à toutes sortes de régimes autoritaires ou dictatoriaux, il faut se souvenir de la politique américaine qui a détruit la société irakienne tout en consolidant le régime de M. Saddam Hussein, il faut ne pas oublier le soutien de Washington à l’occupation israélienne de territoires palestiniens depuis 1967.

Au moment où les éditoriaux du New York Times suggèrent qu’« ils » nous détestent parce que nous défendons le capitalisme, la démocratie, les droits individuels, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le Wall Street Journal, mieux informé, explique après avoir interrogé des banquiers et des cadres supérieurs non occidentaux qu’ils « nous » détestent parce que nous avons entravé la démocratie et le développement économique. Et appuyé des régimes brutaux, voire terroristes.

Dans les cercles dirigeants de l’Occident, la guerre contre le terrorisme a été présentée à l’égal d’une « lutte menée contre un cancer disséminé par des barbares ». Mais ces mots et cette priorité ne datent pas d’aujourd’hui. Il y a vingt ans, le président Ronald Reagan et son secrétaire d’Etat, M. Alexander Haig, les énonçaient déjà. Et, pour mener ce combat contre les adversaires dépravés de la civilisation, le gouvernement américain mit alors en place un réseau terroriste international d’une ampleur sans précédent. Si ce réseau entreprit des atrocités sans nombre d’un bout à l’autre de la planète, il réserva l’essentiel de ses efforts à l’Amérique latine.

Un cas, celui du Nicaragua, n’est pas discutable : il a en effet été tranché par la Cour internationale de justice de La Haye et par les Nations unies. Interrogez-vous pour savoir combien de fois ce précédent indiscutable d’une action terroriste à laquelle un Etat de droit a voulu répondre avec les moyens du droit a été évoqué par les commentateurs dominants. Il s’agissait pourtant d’un précédent encore plus extrême que les attentats du 11 septembre : la guerre de l’administration Reagan contre le Nicaragua provoqua 57 000 victimes, dont 29 000 morts, et la ruine d’un pays, peut-être de manière irréversible.

A l’époque, le Nicaragua avait réagi. Non pas en faisant exploser des bombes à Washington, mais en saisissant la Cour de justice internationale. Elle trancha, le 27 juin 1986, dans le sens des autorités de Managua, condamnant l’« emploi illégal de la force » par les Etats-Unis (qui avaient miné les ports du Nicaragua) et mandant Washington de mettre fin au crime, sans oublier de payer des dommages et intérêts importants. Les Etats-Unis répliquèrent qu’ils ne se plieraient pas au jugement et qu’ils ne reconnaîtraient plus la juridiction de la Cour.

Le Nicaragua demanda alors au Conseil de sécurité des Nations unies l’adoption d’une résolution réclamant que tous les Etats respectent le droit international. Nul n’était cité en particulier, mais chacun avait compris. Les Etats-Unis opposèrent leur veto à cette résolution. A ce jour, ils sont ainsi le seul Etat qui ait été à la fois condamné par la Cour de justice internationale et qui se soit opposé à une résolution réclamant… le respect du droit international. Puis le Nicaragua se tourna vers l’Assemblée générale des Nations unies. La résolution qu’il proposa ne rencontra que trois oppositions : les Etats-Unis, Israël et El Salvador. L’année suivante, le Nicaragua réclama le vote de la même résolution. Cette fois, seul Israël soutint la cause de l’administration Reagan. A ce stade, le Nicaragua ne disposait plus d’aucun moyen de droit. Tous avaient échoué dans un monde régi par la force. Ce précédent ne fait aucun doute. Combien de fois en avons-nous parlé à l’université, dans les journaux ?

Cette histoire révèle plusieurs choses. D’abord, que le terrorisme, cela marche. La violence aussi. Ensuite, qu’on a tort de penser que le terrorisme serait l’instrument des faibles. Comme la plupart des armes meurtrières, le terrorisme est surtout l’arme des puissants. Quand on prétend le contraire, c’est uniquement parce que les puissants contrôlent également les appareils idéologiques et culturels qui permettent que leur terreur passe pour autre chose que de la terreur.

L’un des moyens les plus courants dont ils disposent pour parvenir à un tel résultat est de faire disparaître la mémoire des événements dérangeants ; ainsi plus personne ne s’en souvient. Au demeurant, le pouvoir de la propagande et des doctrines américaines est tel qu’il s’impose y compris à ses victimes. Allez en Argentine et vous devrez rappeler ce que je viens d’évoquer : « Ah, oui, mais nous avions oublié ! »

Le Nicaragua, Haïti et le Guatemala sont les trois pays les plus pauvres d’Amérique latine. Ils comptent aussi au nombre de ceux dans lesquels les Etats-Unis sont intervenus militairement. La coïncidence n’est pas forcément accidentelle. Or tout cela eut lieu dans un climat idéologique marqué par les proclamations enthousiastes des intellectuels occidentaux. Il y a quelques années, l’autocongratulation faisait fureur : fin de l’histoire, nouvel ordre mondial, Etat de droit, ingérence humanitaire, etc. C’était monnaie courante alors même que nous laissions se commettre un chapelet de tueries. Pis, nous y contribuions de façon active. Mais qui en parlait ? L’un des exploits de la civilisation occidentale, c’est peut-être de rendre possible ce genre d’inconséquences dans une société libre. Un Etat totalitaire ne dispose pas de ce don-là.

Qu’est-ce que le terrorisme ? Dans les manuels militaires américains, on définit comme terreur l’utilisation calculée, à des fins politiques ou religieuses, de la violence, de la menace de violence, de l’intimidation, de la coercition ou de la peur. Le problème d’une telle définition, c’est qu’elle recouvre assez exactement ce que les Etats-Unis ont appelé la guerre de basse intensité, en revendiquant ce genre de pratique. D’ailleurs, en décembre 1987, quand l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution contre le terrorisme, un pays s’est abstenu, le Honduras, et deux autres s’y sont opposés, les Etats-Unis et Israël. Pourquoi l’ont-ils fait ? En raison d’un paragraphe de la résolution qui indiquait qu’il ne s’agissait pas de remettre en cause le droit des peuples à lutter contre un régime colonialiste ou contre une occupation militaire.

Or, à l’époque, l’Afrique du Sud était alliée des Etats-Unis. Outre des attaques contre ses voisins (Namibie, Angola, etc.), lesquelles ont provoqué la mort de centaines de milliers de personnes et occasionné des destructions estimées à 60 milliards de dollars, le régime d’apartheid de Pretoria affrontait à l’intérieur une force qualifiée de « terroriste », l’African National Congress (ANC). Quant à Israël, il occupait illégalement certains territoires palestiniens depuis 1967, d’autres au Liban depuis 1978, guerroyant dans le sud de ce pays contre une force qualifiée par lui et par les Etats-Unis de « terroriste », le Hezbollah. Dans les analyses habituelles du terrorisme, ce genre d’information ou de rappel n’est pas courant. Pour que les analyses et les articles de presse soient jugés respectables, il vaut mieux en effet qu’ils se situent du bon côté, c’est-à-dire celui des bras les mieux armés.

Dans les années 1990, c’est en Colombie que les pires atteintes aux droits humains ont été observées. Ce pays a été le principal destinataire de l’aide militaire américaine, à l’exception d’Israël et de l’Egypte, qui constituent des cas à part. Jusqu’en 1999, derrière ces pays, la première place revenait à la Turquie, à qui les Etats-Unis ont livré une quantité croissante d’armes depuis 1984. Pourquoi à partir de cette année-là ? Non pas que ce pays membre de l’OTAN devait faire face à l’Union soviétique, déjà en voie de désintégration à l’époque, mais afin qu’il puisse conduire la guerre terroriste qu’il venait d’entreprendre contre les Kurdes.

En 1997, l’aide militaire américaine à la Turquie a dépassé celle que ce pays avait obtenue pendant la totalité de la période 1950-1983, celle de la guerre froide. Résultats des opérations militaires : 2 à 3 millions de réfugiés, des dizaines de milliers de victimes, 350 villes et villages détruits. A mesure que la répression s’intensifiait, les Etats-Unis continuaient de fournir près de 80 % des armes employées par les militaires turcs, accélérant même le rythme de leurs livraisons. La tendance fut renversée en 1999. La terreur militaire, naturellement qualifiée de « contre-terreur » par les autorités d’Ankara, avait alors atteint ses objectifs. C’est presque toujours le cas quand la terreur est employée par ses principaux utilisateurs, les puissances en place.

Avec la Turquie, les Etats-Unis n’eurent pas affaire à une ingrate. Washington lui avait livré des F-16 pour bombarder sa propre population, Ankara les utilisa en 1999 pour bombarder la Serbie. Puis, quelques jours après le 11 septembre dernier, le premier ministre turc, M. Bülent Ecevit, faisait savoir que son pays participerait avec enthousiasme à la coalition américaine contre le réseau Ben Laden. Il expliqua à cette occasion que la Turquie avait contracté une dette de gratitude à l’égard des Etats-Unis, laquelle remontait à sa propre « guerre antiterroriste » et au soutien inégalé que Washington y avait alors apporté.

RÉDUIRE LE NIVEAU DE TERREUR
Certes, d’autres pays avaient soutenu la guerre d’Ankara contre les Kurdes, mais aucun avec autant de zèle et d’efficacité que les Etats-Unis. Ce soutien bénéficia du silence ou – le mot est peut-être plus juste – de la servilité des classes éduquées américaines. Car elles n’ignoraient pas ce qui se passait. Les Etats-Unis sont un pays libre après tout ; les rapports des organisations humanitaires sur la situation au Kurdistan appartenaient au domaine public. A l’époque, nous avons donc choisi de contribuer aux atrocités.

L’actuelle coalition contre le terrorisme comporte d’autres recrues de choix. Le Christian Science Monitor, sans doute l’un des meilleurs journaux pour ce qui concerne le traitement de l’actualité internationale, a ainsi confié que certains peuples qui n’aimaient guère les Etats-Unis commençaient à les respecter davantage, particulièrement heureux de les voir conduire une guerre contre le terrorisme. Le journaliste, pourtant spécialiste de l’Afrique, citait comme principal exemple de ce retournement le cas de l’Algérie. Il devait donc savoir que l’Algérie conduit une guerre terroriste contre son propre peuple. La Russie, qui mène une guerre terroriste en Tchétchénie, et la Chine, auteur d’atrocités contre ceux qu’elle qualifie de sécessionnistes musulmans, ont également rallié la cause américaine.

Soit, mais que faire dans la situation présente ? Un radical aussi extrémiste que le pape suggère qu’on recherche les coupables du crime du 11 septembre, puis qu’on les juge. Mais les Etats-Unis ne souhaitent pas avoir recours aux formes judiciaires normales, ils préfèrent ne présenter aucune preuve et ils s’opposent à l’existence d’une juridiction internationale. Mieux, quand Haïti réclame l’extradition de M. Emmanuel Constant, jugé responsable de la mort de milliers de personnes après le coup d’Etat qui a renversé le président Jean-Bertrand Aristide, le 30 septembre 1991, et présente des preuves de sa culpabilité, la demande n’a aucun effet à Washington. Elle n’est même pas l’objet d’un débat quelconque.

Lutter contre le terrorisme impose de réduire le niveau de la terreur, pas de l’accroître. Quand l’IRA commet un attentat à Londres, les Britanniques ne détruisent ni Boston, ville dans laquelle l’IRA compte de nombreux soutiens, ni Belfast. Ils cherchent les coupables, puis ils les jugent. Un moyen de réduire le niveau de terreur serait de cesser d’y contribuer soi-même. Puis de réfléchir aux orientations politiques qui ont créé un réservoir de soutien dont ont ensuite profité les commanditaires de l’attentat. Ces dernières semaines, la prise de conscience par l’opinion américaine de toutes sortes de réalités internationales, dont seules les élites soupçonnaient auparavant l’existence, constitue peut-être un pas dans cette direction.

© Noam Chomsky, source : www.noam-chomsky.fr


dessin cartoon 11 septembre 11 09

dessin cartoon 11 septembre 11 09

dessin cartoon 11 septembre 11 09

dessin cartoon 11 septembre 11 09

Source: http://www.les-crises.fr/11092001-terrorisme-larme-des-puissants-par-noam-chomsky/


Actu Portugal et Catalogne – 13 novembre

Friday 13 November 2015 at 03:18

Portugal : le gouvernement de droite est renversé

Source : La Tribune, Romaric Godin, 10-11-2015

Le premier ministre portugais, Pedro Passos Coelho, est renversé. (Crédits : HUGO CORREIA)

Par 123 voix contre 107, la motion de censure contre le gouvernement minoritaire de Pedro Passos Coelho a été adoptée par le parlement. Le leader socialiste Antonio Costa pourrait former le prochain gouvernement avec l’appui de la gauche radicale.

Sans surprise, le 20ème gouvernement portugais depuis l’instauration de la Constitution portugaise de 1976, a été renversé par l’Assemblée de la République, le parlement du pays, après onze jours d’existence. Après plus de huit heures de débat et malgré une panne sur le vote électronique, 123 députés ont approuvé la motion de défiance déposée par le principal parti d’opposition, le PS. Il fallait 116 voix, soit la majorité absolue pour renverser le gouvernement. Les trois partis de la gauche radicale, le Bloc de Gauche (BE), le Parti communiste (PCP) et le parti écologiste (PEV) ont joint leurs voix au PS. Même le seul député du parti animaliste PAN a voté contre le gouvernement. Pour la première fois depuis la Révolution des Oeillets en 1974, la gauche portugaise a donc réussi à s’unir sur un projet gouvernemental.

Menaces à droite

Le gouvernement minoritaire de droite confirmé le 30 octobre par le président de la République Anibal Cavaco Silva, n’aura donc pas survécu à l’alliance des partis de gauche pour changer de politique. Les menaces du premier ministre sortant n’y auront rien changé. Il aura pourtant mis en garde contre la remontée des taux d’intérêt. Le titre à 10 ans portugais est passé de 2,31 % le 4 octobre, jour des élections législatives, à 2,84 % ce mardi 10 novembre. Les marchés s’interrogent en effet sur la stabilité et les intentions du prochain gouvernement de gauche, ainsi que sur la réaction de l’Europe.

Accord à gauche

Mais ces menaces n’ont eu aucune prise sur les députés de gauche, qui étaient décidés à renverser le gouvernement après leur accord difficile trouvé ce week-end. Les partis de gauche se sont mis d’accord sur un programme minimum qui prévoit notamment de rééquilibrer les efforts fiscaux, de relever le salaire minimum et de terminer le gel des pensions. Mais le PS s’est engagé également à respecter le cadre budgétaire européen. Antonio Costa, qui pourrait être, en tant que leader du PS, le chef du prochain gouvernement, a promis que la gauche resterait « plurielle », mais il a aussi promis la stabilité. Normalement, le prochain gouvernement sera un gouvernement socialiste soutenu de l’extérieur par la gauche radicale.

Le choix du président

La balle revient désormais dans le camp du président de la République Anibal Cavaco Silva qui, le 30 octobre, avait refusé d’écouter Antonio Costa qui lui jurait qu’un accord était possible à gauche. Cet accord existe désormais et on voit mal comment il pourrait refuser de nommer le leader du PS au poste de chef du gouvernement. Mais Anibal Cavaco Silva avait, le 30 octobre, justifié son choix par un risque sur les « engagements internationaux » du Portugal, notamment sa participation à la zone euro. Le PCP est ouvertement hostile à l’euro et le BE très dubitatif. Sa marge de manœuvre est cependant très limitée dans la mesure où le parlement ne peut être dissout dans les six mois qui suivent et précèdent l’élection présidentielle prévue en janvier. Antonio Costa pourrait donc devenir premier ministre du 21ème gouvernement constitutionnel du Portugal bientôt.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 10-11-2015

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Chute du gouvernement au Portugal : risque du scénario grec

Source : Jacques Sapir, RT Français, 10-11-2015

Le Premier ministre portugais Pedro Passos Coelho pendant les débats au Parlement

 

Le gouvernement pro-austérité au Portugal devrait tomber sous la pression de la gauche, majoritaire au Parlement. En quoi cette situation rappelle-t-elle le scénario grec ? L’économiste Jacques Sapir s’explique pour RT France.

RT France : Qu’est-ce que la chute du gouvernement au Portugal pourrait changer pour le pays ?

Jacques Sapir : La chute du gouvernement du centre-droit était prévisible parce que le centre droit n’a plus de majorité au Parlement. Cette chute va entraîner une constitution du gouvernement de gauche qui va normalement commencer immédiatement le processus de renégociation sur sa dette. Il est clair que ce gouvernement de centre-gauche va se heurter aux institutions européennes et on voit qu’il y a désormais le risque d’un scénario à la grecque se produise au Portugal.

RT France : Est-ce que le nouveau gouvernement portugais pourrait faire face à l’UE et insister sur sa politique anti-austérité ?

Jacques Sapir : A l’évidence il y a un très gros problème dans la mesure où une partie du parti de gauche n’est pas en réalité disposé à aller jusqu’à une rupture avec les institutions européennes. Donc on ne peut pas exclure qu’il y ait aussi dans ce scénario à la grecque la même issue et que le gouvernement portugais finisse par capituler devant les exigences de l’Europe. Il faut comprendre que cette capitulation prendra un certain temps et de toutes les manières on voit en Grèce aujourd’hui que cette capitulation n’a rien réglé. Aujourd’hui, il y a à nouveau des problèmes importants entre le gouvernement grec et les institutions européennes, car ces dernières demandent au gouvernement de mettre en place des réformes que le gouvernement grec n’est simplement pas capable de réaliser. On comprend bien qu’il y a là un problème politique important, que ce problème politique venant s’ajouter au problème politique grec, puis au problème politique potentiel de l’Espagne et aux problèmes de la Grande Bretagne qui va tenir en 2016 un référendum sur son appartenance au sein de l’UE. L’ensemble de ces problèmes politiques créent un contexte très défavorable tant pour la zone euro que pour l’Union européenne.

RT France : Quelles similitudes pouvez-vous évoquer entre la situation en Grèce et au Portugal ?

Jacques Sapir : La principale ressemblance c’est que le Portugal comme la Grèce est un pays qui a terriblement souffert des politiques d’austérité qui ont été imposées au nom de l’euro par les institutions européennes. Mais les problèmes politiques ou sociaux qui sont soulevés au Portugal ne sont pas différents aux problèmes grecs. La seule véritable différence, c’est que la situation portugaise est peut-être non-désespérée, à la différence de la situation grecque. En effet, la dette portugaise reste sensiblement inférieure à celle de la Grèce. Mais si on regarde la situation politique, économique et sociale dans le pays, il est clair qu’on est en présence de cas de figure qui sont très similaires.

RT France : Le changement du gouvernement au Portugal peut-il changer quelque chose au niveau européen ? Est-ce que le pays peut sortir de la zone euro ?

Jacques Sapir : Ce n’est pas la possibilité la plus probable. Cependant, c’est toujours une possibilité ouverte dans la mesure où le pays rentre en conflit avec la Commission européenne et l’Eurogroupe. A partir de ce moment-là, il est clair que l’Eurogroupe refera le chantage qu’il a fait vis-à-vis de la Grèce jusqu’à la possible sortie de la zone euro. Même si les partis portugais ne souhaitent pas – ils l’ont dit – la sortie de la zone euro, on ne peut pas exclure néanmoins qu’il y ait une accumulation à la fois des maladresses et des conflits des deux côtés, on ne peut pas exclure qu’on aboutisse à la sortie de la zone euro. De toutes les manières, si on a cette situation de conflit entre le gouvernement portugais et l’Eurogroupe, il est évident qu’il y aura des conséquences importantes sur l’Espagne parce qu’on voit bien aujourd’hui que l’économie portugaise est largement intégrée dans l’économie espagnole et sauf s’il y a des troubles importants sur l’économie portugaise, cela aura nécessairement des conséquences sur l’économie espagnole.

RT France : Avec les déclarations du Premier ministre britannique David Cameron sur le référendum concernant sa sortie de l’UE, les crises que traverse l’UE avec la Grèce et le Portugal, est-ce que l’Union se trouve toujours dans une position de force ou risque-t-elle d’être déstabilisée ?

Jacques Sapir : La situation dans l’UE s’apparente en fait à la situation d’un bâtiment affecté par toute une série de petits tremblements de terre. Aucun de ces tremblements ne prend une allure catastrophique mais chacun de ces tremblements – la crise grecque, la crise portugaise, la possibilité d’une crise espagnole et l’éventuelle sortie de la Grande-Bretagne de l’UE – chacun de ces événements affaiblit un peu plus sa structure. Par ailleurs, on voit très bien qu’aujourd’hui l’UE n’est pas capable de gérer la question des migrants et des réfugiés, cela a aussi des conséquences sur la structure même de l’Union. On voit bien qu’il n’y a pas une crise qui pourrait emporter l’Union européenne, mais c’est bien l’addition globale de ces crises qui risque de provoquer une crise terminale ou une implosion de l’UE.

Source : Jacques Sapir, RT Français, 10-11-2015

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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Catalogne : le processus de sécession freiné par l’absence de gouvernement

Source : La Tribune, Romaric Godin, 10-11-2015

Artur Mas n’a pas obtenu sa reconduction par le parlement catalan. (Crédits : © Susana Vera / Reuters)

Le président de la Catalogne, Artur Mas, n’a pas été réélu par le parlement, faute de soutien de la gauche radicale sécessionniste de la CUP. Cette désunion bloque le processus indépendantiste pour le moment.

Le président de la Generalitat, Artur Mas, n’a pas réussi son pari. Après près de neuf heures de débat parlementaire, où il s’est défendu des accusations de corruption et où il a tenté de se présenter comme la garantie de la poursuite du processus indépendantiste, le chef de l’exécutif catalan n’a pas obtenu les 68 sièges de la majorité absolue des sièges pour être réélu. Seuls les 62 députés de la liste indépendantistes Junts Pel Sí dont il était le candidat ont voté pour lui. L’autre parti favorable à la sécession avec l’Espagne, la gauche radicale de la CUP, qui dispose de 10 sièges, a refusé de voter en faveur la candidature d’Artur Mas qui, pour elle, représente un politicien responsable de l’austérité et corrompu. « Artur Mas n’a pas expliqué hier ce que demande le pays : soulever les tapis qui couvre la corruption », a justifié le leader la CUP, Antonio Baños qui a poursuivi : « je vote non parce qu’un homme doit se sacrifier pour le peuple. » La Catalogne n’a donc pas de gouvernement.

Processus indépendantiste déjà au point mort

Au lendemain du vote par Junts Pel Sí et la CUP de la déclaration qui enjoignait le futur gouvernement catalan d’engager un processus de « déconnexion » avec l’Espagne, le parlement catalan a donc été incapable de désigner un chef de gouvernement. Dès lors, bien davantage que toute action du gouvernement espagnol, c’est bien cette incapacité des indépendantistes à se mettre d’accord qui rend la déclaration du 9 novembre inopérante. Ce mardi 10 novembre, le processus de séparation avec l’Espagne est bel et bien au point mort. Le gouvernement d’Artur Mas n’est qu’un gouvernement intérimaire, il doit gérer les affaires courantes. Comment pourrait-il engager, sans l’appui du parlement, la feuille de route tracée par la déclaration votée lundi ?

Les compromis de Junts Pel Sí

A qui la faute de ce blocage ? Difficile à dire. Junts Pel Sí a toujours été clair sur la candidature d’Artur Mas et défend celle-ci au nom d’un certain poids international du personnage. Le groupe a fait beaucoup de concessions à la CUP en donnant une couleur très « sociale » à la déclaration commune votée le 9 novembre en donnant la priorité à la sécurité énergétique et au logement pour les familles les plus fragiles. Histoire de s’assurer qu’un nouveau gouvernement Mas ne sera pas un gouvernement « de droite. »

Les arguments d’Artur Mas…

Mais cet attachement au président sortant de Junts Pel Sí manque aussi de prendre en compte une nouvelle réalité politique de la Catalogne : l’indépendantisme a pris un tournant nettement à gauche le 27 septembre avec la poussée de la CUP. Conséquence : dans le spectre politique indépendantiste, Artur Mas est assez marginalisé par son positionnement centriste. Ceci est d’autant plus problématique qu’une candidature moins « marquée » aurait permis de ramener dans le camp sécessionniste une partie de la liste de gauche Catalunya Sí Que Es Pot (CSQEP) qui rassemble les Communistes, les Verts et Podemos.

… et leurs faiblesses

Lors du débat de ce mardi, le leader de CSQEP au parlement, Lluis Rabell, pourtant un de ceux qui avait défendu le « oui » à l’indépendance lors de la consultation du 9 novembre, a eu beau jeu d’insister sur le positionnement à droite d’Artur Mas, sur son opinion favorable au traité de libre-échange transatlantique ou sur ses coupes budgétaires, pour justifier le refus de voter pour lui. Pourtant, CSQEP est une liste fragile où le vote unanime des députés contre la déclaration de lundi n’y a été obtenu qu’en faisant pression sur un député et ne fait pas l’unanimité. Bref, disposer d’un autre candidat pouvait ouvrir des possibilités nouvelles au camp indépendantiste en élargissant sa base et en désamorçant l’argument de la majorité relative des voix.

Les arguments de la CUP…

Du côté de la CUP, l’intransigeance envers la candidature d’Artur Mas se justifie par sa volonté de créer, avec un Etat nouveau, une société nouvelle, plus sociale et moins corrompue. Comment la construire avec un président entouré par les affaires de corruption et, qui, partant, donne, comme ce mardi, des arguments rêvés, aux unionistes et particulièrement au Parti des Citoyens (« Ciudananos ») qui entend « régénérer » l’Espagne et accuse Artur Mas de chercher à échapper à la justice par l’indépendance ? La CUP avait, du reste proposé de voter pour un candidat de compromis, même issu de la CDC. Et Antonio Baños n’a pas fermé la porte mardi en insistant sur l’existence d’une « majorité indépendantiste » et il a refusé toute confrontation avec Junts Pel Sí.

… et leurs faiblesses

 Mais il est certain que la CUP, en refusant de donner son vote au leader du parti le plus puissant du parlement, bloque un processus qu’elle a défendu pendant la campagne avec ferveur, celui de l’indépendance, pour des raisons personnelles. Elle pourrait poser des exigences programmatique (elle l’a fait) pour accepter de voter Artur Mas, mais ce refus ressemble davantage à une obsession qu’à un prise en compte de la réalité. Le processus vers l’indépendance doit durer 18 mois. Pendant ces 18 mois, Artur Mas sera dépendant du vote de la CUP. Et cette dernière est si peu sensible à la « couleur » politique du président de la Generalitat, qu’elle a accepté de voter pour une autre personnalité de la CDC, le parti centriste d’Artur Mas. Si la CUP est prêt à voter pour un candidat d’un parti tâché par les accusations de corruption, pourquoi centrer la critique sur Artur Mas ?

D’autant que ce dernier s’est beaucoup « social-démocratisé » avec son alliance avec la gauche républicaine d’ERC. La vieille CDC n’est plus que l’ombre d’elle-même. Mardi au parlement, Artur Mas a beaucoup critiqué les coupes budgétaires de Mariano Rajoy et il s’est présenté comme le défenseur des investissements dans les infrastructures et de la santé publique.

Le calcul risqué d’Artur Mas

Désormais, les deux partis disposent de deux mois pour se mettre d’accord. Si le 10 janvier prochain, aucun président de la Generalitat n’est élu, le parlement catalan sera dissout automatiquement et les Catalans seront rappelés aux urnes en mars. Et beaucoup à Junts Pel Sí commence à considérer que ce scénario est inévitable. Artur Mas pourrait alors tabler sur un affaiblissement de la CUP, jugée responsable de l’enlisement, pour assurer à Junts Pel Sí la majorité absolue qui lui a manqué le 27 septembre. C’est un calcul fort risqué, car cette incapacité à s’entendre risque d’affaiblir l’ensemble du camp indépendantiste en montrant que les partis sécessionnistes sont incapables de s’entendre sur des questions simples. Ce serait aussi prendre le risque de voir la puissance montante du parti des Citoyens se renforcer et bloquer la majorité à Junts Pel Sí.

Mariano Rajoy, en position de force

Celui qui, sans doute, se réjouit le plus de ce blocage est le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy. Ce dernier peut montrer aux Espagnols son engagement pour l’unité du pays, en lançant la plainte contre la déclaration catalane au Tribunal Constitutionnel (TC). Ce mardi 10 novembre, le Conseil d’Etat espagnol a approuvé cette plainte, qui devrait être déposée mercredi, en estimant que le texte votée par le parlement de Barcelone contrevenait à trois articles de la Constitution espagnole. Le TC devrait censurer cette déclaration, mais Madrid n’a rien d’autres à faire puisque, faute de gouvernement, cette déclaration reste lettre morte. Là aussi, Mariano Rajoy peut attendre mars et faire campagne alors sur le « chaos » indépendantiste pour empêcher toute majorité sécessionniste et annuler par les urnes le vote du 9 novembre.

La proposition de la CUP

Les indépendantistes en sont conscients. Antonio Baños, de la CUP, a proposé une réunion des 72 députés indépendantistes dans une assemblée qui voterait à bulletin secret sur un candidat commun. Artur Mas a accepté. Reste à savoir si la CUP se soumettra à ce vote sans rechigner. Si c’est le cas, le processus indépendantiste pourrait rapidement reprendre du rythme…

Source : La Tribune, Romaric Godin, 10-11-2015

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Le Tribunal constitutionnel espagnol défie le parlement catalan

Source : La Tribune, Romaric Godin, 12-11-2015

Le Tribunal Constitutionnel espagnol a suspendu la décision du parlement catalan (Crédits : JUAN MEDINA)

La haute juridiction espagnole suspend la déclaration du parlement catalan qui lançait le processus d’indépendance. Et 21 personnes seront mises en demeure d’appliquer cette décision. Mais le gouvernement catalan a déjà annoncé qu’elle poursuivrait la “déconnexion”.

Le Tribunal Constitutionnel espagnol (TC) n’a pas tardé. Vingt-quatre heures après la transmission par le gouvernement de son recours contre la motion du parlement catalan voté lundi 9 novembre et demandant le début d’un processus de sécession vis-à-vis de l’Espagne, le TC a suspendu cette déclaration, à l’unanimité.

Il n’y avait là aucune surprise, car cette motion était évidemment en infraction avec plusieurs articles de la constitution espagnole. Du reste, c’était même son but principal : sortir du dialogue de sourds juridique avec Madrid pour discuter réellement de la question de l’indépendance.

La déclaration indépendantiste contre la décision du TC

Ce but est loin d’être atteint. D’autant que le TC a ajouté que sa décision sera notifiée personnellement à 21 personnes – les membres du bureau du parlement catalan et du gouvernement catalan – et d’avertir ces dernières que, si elles cherchent « par quelque moyen que ce soit d’ignorer ou d’éluder » cette décision, elles s’exposent « à la suspension de leurs charges et à d’éventuelles poursuites, y compris pénales ».

Bref, c’est un défi à la majorité parlementaire catalane qui est mise en demeure par le TC et, partant par le gouvernement espagnol, qui sera chargé d’appliquer la décision du TC, d’appliquer ou non le point 6 de la déclaration votée lundi, laquelle proclamait que « les décisions du parlement catalan prendraient le pas sur les décisions des institutions de l’Etat espagnol, en particulier le TC. »

C’est le point où en est la situation. Le TC a, conformément à l’article 161 de la Constitution espagnole, rendue caduque le lancement du processus de « déconnexion » lancé par le parlement catalan. Si le gouvernement catalan s’estime encore lié par cette déclaration en application de son point 6, l’épreuve de force entre Madrid et Barcelone sera lancée, car, désormais, l’exécutif catalan sera en état de désobéissance vis-à-vis de la Constitution espagnole. Le gouvernement espagnol sera alors chargé de faire appliquer la décision du TC. Il pourra se contenter de faire appliquer les sanctions envers les 21 personnes mises en demeure par le TC, ou, plus globalement de lancer le fameux article 155 et de suspendre l’autonomie catalane et ses institutions.

Un TC qui laisse une chance à la Catalogne ?

On notera cependant, comme le souligne le quotidien madrilène “El Pais”, que le TC s’est voulu plus modéré que le gouvernement qui, dans son recours, demandait une suspension immédiate des responsables catalans. En clair, le TC laisse une chance à l’exécutif catalan d’abandonner le projet de sécession, autrement dit d’abandonner le principal point de son programme électoral.

C’est un peu comme si le TC avait déclaré : «Tirez les premiers, messieurs les Catalans.» Comme souvent dans ce genre de situation, on cherche souvent à faire porter la faute au premier qui franchit la ligne rouge. Une suspension immédiate aurait été vue comme une provocation par les Catalans. Le TC préfère que ces derniers « désobéissent » pour que le gouvernement madrilène se retrouve en position de devoir se « défendre »…

Barcelone décidée à désobéir

En attendant, la Generalitat, le gouvernement catalan, a d’ores et déjà annoncé qu’elle n’appliquerait pas la décision du TC et que le « processus » se poursuivra.

« La volonté politique est d’appliquer le mandat du parlement et la résolution approuvée lundi », a indiqué Neus Munté, vice-présidente du gouvernement catalan.

C’est une déclaration importante, parce qu’elle nie la légitimité du TC sur l’action d’un gouvernement catalan jusqu’ici soucieux de légalité.

 La Generalitat affirme ainsi qu’elle se considère liée par l’article 6 de la déclaration du parlement et nullement par le TC. La désobéissance a donc commencé. Ceci est conforme au programme des partis indépendantistes qui avaient annoncé leur volonté de placer leur légitimité démocratique au-dessus de la légalité espagnole.

Trouver un gouvernement en Catalogne reste difficile

Mais pour que chacun soit en ordre de bataille, il manque encore une pièce importante : un gouvernement catalan légitime. Artur Mas n’a pas été élu mardi par le parlement catalan en raison du refus de la gauche radicale indépendantiste, la CUP, de voter en sa faveur. Il a encore échoué jeudi 12 novembre.

Mercredi 11 novembre, des discussions se sont tenues au Palau de la Generalitat, le siège barcelonais du parlement catalan, entre Artur Mas et la CUP. Le président sortant a proposé de disposer de moins de pouvoir en tant que président en s’adjoignant trois vice-présidents de trois secteurs différents de la liste indépendantiste Junts Pel Sí : Neus Munté, centriste comme Artur Mas mais appréciée à la CUP, Oriol Junqueras, leader de la gauche républicaine, et Raul Romeva, tête de liste de Junts Pel Sí et figure de la gauche catalane. Il a aussi proposé de soumettre son gouvernement à une motion de confiance en juillet 2016 pour confirmer la poursuite du processus.

Mais rien n’y fait. Malgré des dissensions internes, la CUP a annoncé jeudi qu’elle ne votera toujours pas en faveur d’Artur Mas. “Un non qui ne ferme pas la porte“, a indiqué le leader du parti, Antonio Baños. La décision du TC et l’injonction envoyée à 21 personnalités dont Artur Mas, pourrait changer la donne. Mais il faudra sans doute encore beaucoup de concessions de la part du président sortant.

Le choc se prépare, tandis que l’Europe change de trottoir

Si Artur Mas est finalement élu, le nouveau gouvernement, appuyé par la majorité indépendantiste, pourra appliquer la désobéissance prévue par la déclaration de lundi. Tout sera alors mis en place pour le choc entre Madrid et Barcelone.

Quand ce choc se produira-t-il? Madrid attendra-t-elle un acte concret de la Generalitat ? C’est probable. Quelle forme prendra alors la réponse espagnole ? La prise de contrôle de la police catalane est-elle possible et souhaitable ou provoquera-t-elle l’escalade ?

La situation se tend singulièrement en Catalogne, alors que, plus que jamais, les regards européens s’en détournent.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 12-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/actu-portugal-et-catalogne-13-11/


Le chef de la marine chinoise affirme qu’un incident mineur peut déclencher la guerre en mer de Chine du Sud

Friday 13 November 2015 at 01:01

Y’a pas à dire, c’est rassurant sur la santé mentale des dirigeants américains…

Source : Reuters, le 30/10/2015

Le commandant des forces navales chinoises a dit à son homologue américain qu’un petit incident pourrait provoquer la guerre en mer de Chine méridionale si les États-Unis n’arrêtaient pas leurs “actes de provocation” dans les routes maritimes contestées, a déclaré la Marine chinoise vendredi.

L’amiral Wu Shengli a fait ces remarques à l’amiral John Richardson, chef des opérations navales, pendant une vidéoconférence jeudi dernier, selon une déclaration de la marine chinoise.

Les deux officiers ont tenu des discussions après qu’un navire militaire de la flotte U.S. ait navigué à une douzaine de milles nautiques d’une des îles artificielles de Beijing dans le très disputé archipel des Spratley, jeudi dernier.

La Chine a reproché à Washington cette patrouille, et considère cette présence dans la limite des eaux chinoises, pour laquelle la Chine a déjà protesté, comme le défi américain le plus significatif à propos des sept îles artificielles situées dans une des zones maritimes les plus fréquentées au monde.

“Si les États-Unis continuent ces sortes d’actes dangereux et provocants, cela pourrait bien mettre en situation d’urgence tant les forces maritimes qu’aériennes, et alors un incident même mineur peut être l’étincelle qui déclenchera la guerre”, a déclaré Wu.

“(J’)espère que les États-Unis voudront préserver la bonne entente entre les flottes chinoise et américaine – ce qui n’a pas été chose facile – et évitent que ce genre d’incident se reproduise”, a dit Wu.

Auparavant, un officiel américain avait rappelé que les cadres de la Marine s’étaient mis d’accord pour maintenir le dialogue et faire en sorte d’éviter les points de friction.

Les escales prévues par les navires américains et chinois, ainsi que les séjours en Chine d’officiers américains formateurs sont maintenus, a dit l’officiel.

“Aucun de ces projets n’est compromis, rien ne sera annulé”, a dit l’officiel.

RENCONTRES IMPREVUES

Tous les officiers ont accepté d’appliquer à cet incident le Protocole des Rencontres Imprévues en Mer (CUES).

“Ils ont convenu qu’il est très important que toutes les parties continuent d’utiliser la procédure d’agrément du CUES dans les opérations rapprochées, afin d’éviter les malentendus et toutes sortes de provocations pouvant survenir”, a dit l’officiel.

En effet, Wu a déclaré qu’il pensait que les marines chinoises et américaines avaient de nombreuses raisons de coopérer et pourraient “jouer un rôle positif dans le maintien de la paix et de la stabilité en mer de Chine du Sud”.

Un porte-parole de la marine américaine a souligné que la position de Washington sur la liberté de navigation des États-Unis signifiait “protéger les droits, la liberté et la légalité d’usage de l’espace maritime et aérien garantis à toutes les nations par le droit international”.

Des navires militaires chinois ont suivi le destroyer lance-missiles USS Lassen, alors qu’il évoluait dans les îles Spratley mardi dernier. La marine américaine est en manœuvre dans un domaine maritime rempli de navires chinois.

Alors que la marine américaine en Asie est réputée pour sa technologie embarquée depuis des décennies, l’atout de la Chine est plutôt la quantité, avec des douzaines de bâtiments et de navires garde-côtes déployés habituellement en mer de Chine du Sud, estime un expert de la sécurité.

La Chine a déjà protesté pour des faits similaires contre le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, Taiwan et Brunei dans la mer de Chine du Sud, dans laquelle transitent pour 5 milliards de dollars de commerce maritime chaque année.

La semaine prochaine, le président chinois Xi Jinping rendra visite au Vietnam et à Singapour, alors que le ministre de la Défense Chang Wanquan participera à une rencontre des ministres de la Défense du Sud-est asiatique en Malaisie. Le secrétaire à la Défense américain Ash Carter y est attendu également.

REVERS DE JUSTICE

D’autre part, la Chine a subi un revers légal jeudi dernier, quand un tribunal d’arbitrage hollandais a annoncé qu’il était habilité à recevoir des plaintes territoriales des Philippines contre Beijing en mer de Chine du Sud.

Le tribunal a dit que des auditions complémentaires pourraient être tenues afin de déterminer si les arguments des Philippines sont recevables. La Chine n’a pas participé à la procédure et en l’occurrence ne reconnaît pas l’autorité du tribunal.

Manille, en 2013, a déjà soumis le cas en cherchant quels étaient ses droits pour utiliser les eaux de la mer de Chine du Sud dans la zone d’exclusion économique des 200 milles (EEZ) selon la Convention des Nations Unies pour le Droit de la Mer (UNCLOS).

La Chine, qui pour la première fois fait face à la surveillance légale de ses affirmations dans la Mer de Chine méridionale, ne participerait ni n’accepterait de confier l’affaire à un tribunal d’arbitrage, a affirmé vendredi le vice ministre des Affaires étrangères Liu Zhenmin.

Liu a déclaré aux journalistes que l’affaire n’affecterait pas la souveraineté de la Chine sur ces eaux.

Le gouvernement philippin a fait bon accueil de la décision du tribunal.

Florin Hilbay, le Conseiller auprès du ministre de la Justice qui est l’avocat en chef dans cette affaire, a affirmé que la procédure représentait un “pas en avant significatif pour les Philippines dans la recherche d’une résolution pacifique et impartiale des conflits entre les parties et la clarification de leurs droits sous la Convention des Nations Unies pour le Droit de la Mer (UNCLOS)”.

(Rapporté par Ben Blanchard, Michael Martina et Wini Zhou à Pékin, Andrea Shalal, David Brunnstrom et Yegenah Torbati à Washington, Anthony Deutsch à Amsterdam et Manuel Mogato à Manille ; Ecrit par Dean Yates ; Edité par Paul Tait)

L’USS Lassen (DDG 82) transite en formation avec le ROKS Sokcho (PCC 778) pendant l’exercice militaire “Foal Eagle” de 2015, au large et à l’est de la Péninsule coréenne, le 12 mars 2015. Document photographique fournit par la Marine américaine.
REUTERS/U.S NAVY/MARTIN WRIGHT, 1ERE CLASSE SPECIALISTE DES COMMUNICATIONS DE MASSE/PHOTO PUBLIEE VIA REUTERS

Source: http://www.les-crises.fr/le-chef-de-la-marine-chinoise-affirme-quun-incident-mineur-peut-declencher-la-guerre-en-mer-de-chine-du-sud/


La privatisation des barrages, c’est la paix !

Friday 13 November 2015 at 00:15

C’est pour ce genre d’articles que c’est indispensable Médiapart :)

Source : Médiapart, Martine Orange, 03-11-2015

Le barrage et le lac de Roselend, en Savoie. © Nono vlf — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons.

Après les autoroutes, les barrages: le bradage du patrimoine public devrait se poursuivre. La direction européenne de la concurrence vient d’ouvrir une enquête pour position dominante d’EDF dans l’hydroélectricité. Le gouvernement semble tout disposé à y répondre en remettant la rente hydraulique au privé, sans réciprocité. Nos révélations.

C’est une lettre qui semble n’avoir jamais été reçue. La teneur du message est pourtant de celles auxquelles il est habituellement porté la plus grande attention. Le 22 octobre, la commissaire européenne chargée de la concurrence, Margrethe Vestager, a adressé à Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et responsable à ce titre des questions européennes, un courrier pour l’informer de l’ouverture d’une enquête sur les concessions hydrauliques accordées en France à EDF.

Pourtant, ni le ministère des affaires étrangères, premier destinataire de ce courrier, ni le ministère du développement durable, directement impliqué, ni le ministère des finances, ni même EDF, premier concerné, n’en accusent officiellement réception. Interrogés tour à tour, tous feignent l’ignorance ou disent ne pas être concernés. Car reconnaître l’existence de cette enquête européenne reviendrait à mettre le sujet dans le débat public et, encore plus, obligerait Paris à adopter – pour une fois – des positions claires tant en France que vis-à-vis de l’Europe. Mais le gouvernement a plutôt envie de poursuivre les négociations en coulisses, comme cela se pratique sur le dossier de l’énergie depuis quinze ans.

Difficile, il est vrai, d’annoncer en plein sommet sur le changement climatique que l’État s’apprête à renoncer à toute maîtrise sur la gestion collective d’un bien public comme l’eau, et à abandonner l’énergie renouvelable la moins chère et la plus rentable au privé. Encore plus inavouable de la part du gouvernement de reconnaître qu’il accepte de mettre à bas tout le système de péréquation tarifaire et de service public de l’électricité – système auquel nos dirigeants se disent, dans de grandes envolées d’estrades, si attachés.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Le courrier de Margrethe Vestager, accompagné d’un rapport de 69 pages sur les implications de l’enquête, est sans ambiguïté. « La commission considère que les mesures par lesquelles les autorités françaises ont attribué à EDF et maintenu à son bénéfice l’essentiel des concessions hydroélectriques en France sont incompatibles avec l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », informe la commissaire européenne. Afin de bien préciser sa pensée, la direction de la concurrence écrit dans l’introduction de son rapport que ces attributions créent « une inégalité des chances entre les opérateurs économiques dans l’accès aux ressources hydrauliques aux fins de la production d’électricité permettant à EDF de maintenir ou de renforcer sa position dominante en France sur les marchés de la fourniture d’électricité au détail ».

(Des extraits de cette lettre ont été blanchis pour des raisons de confidentialité)

Cette remise en cause est lourde de conséquences, non seulement pour EDF, mais pour l’ensemble du système électrique français. Car l’énergie hydroélectrique est une des pierres angulaires de ce système. Représentant un peu plus de 12 % de la production électrique en France, les barrages constituent la seule énergie stockable, disponible à tout moment, pour assurer la continuité sur le réseau face aux consommations de pointe et aux intermittences de production, devenues de plus en plus fréquentes avec l’émergence des autres énergies renouvelables (éolien et solaire). Ce sont aussi les barrages qui soutiennent la sûreté du parc nucléaire français, bâti au bord de l’eau, en fournissant l’eau nécessaire au refroidissement des centrales, et en prévenant le risque d’inondations de sites nucléaires.

Toutes ces données ne semblent pas prises en considération, la sécurité paraissant par définition acquise à la commission. « La procédure en cours, dans la mesure où elle vise à faire respecter les règles de concurrence, ne remet aucunement en cause l’application des règles assurant la sécurité approvisionnement, qui continuent à être applicables », nous a répondu le porte-parole de la direction de la concurrence. « Bien sûr, il y a des cahiers des charges qui peuvent poser des obligations de sécurité. Mais que valent-ils face à la perspective de gains rapides, de la vente d’électricité hydraulique quand le MW est le plus cher ? Cela fonctionne jusqu’au jour où  il y a un accident », remarque un spécialiste du réseau.

De toutes façons, la grande affaire pour la commission européenne, c’est l’entorse à la concurrence libre et non faussée sur le marché de l’énergie. La France possède le deuxième réseau hydroélectrique européen. Bâti pour l’essentiel au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il est totalement amorti. Il permet de produire l’énergie renouvelable la moins chère, entre 20 et 30 euros le mégawattheure, contre plus de 50 euros pour le nucléaire, au-delà de 80 euros pour l’éolien et le solaire. Selon la direction générale de l’énergie et du climat, les installations hydroélectriques dégagent un excédent brut d’exploitation de 2,5 milliards d’euros par an. Investissements et rémunération du capital déduits, le bénéfice s’élèverait à quelque 1,25 milliard d’euros par an.

De tels résultats suscitent bien des convoitises. Tous les privés en veulent leur part. Dès 2006, date de l’ouverture du marché français de l’énergie à la concurrence, les rivaux d’EDF ont demandé à bénéficier eux aussi des concessions hydrauliques, exploitées jusqu’alors à 80 % par EDF et 17 % par Engie (ex-GDF-Suez) dans le cadre de la nationalisation de l’électricité et de la loi sur l’eau. En 2012, l’association française indépendante de l’électricité et du gaz (Afieg), regroupant l’allemand E.ON, l’italien Enel, le suédois Vattenfall, le suisse Alpiq, s’est à nouveau manifestée pour réclamer d’avoir sa part dans les concessions hydrauliques. Depuis, certains membres semblent s’être beaucoup activés pour porter le dossier devant la commission européenne.

Le cas n’aurait pas pris aussi mauvaise tournure si le gouvernement français n’avait pas adopté des positions volontairement floues, pratiquant depuis des années un double langage, promettant une chose à Paris, une autre à Bruxelles. « Le problème ne vient pas tant de la réglementation européenne que de la loi Sapin [de 1993, qui oblige la mise en concurrence et un appel d’offres lors des renégociations de concession - ndlr]. En changeant le statut d’EDF en 2006, en abandonnant le statut de service public, l’État s’est retrouvé dans l’obligation de lancer des appels d’offres lors du renouvellement des concessions hydroélectriques. La droite a enterré le problème. En 2011, il aurait été possible, lors la discussion de la directive européenne sur les concessions, d’exclure les barrages. Le gouvernement allemand, incité par des lobbies très actifs, y est parvenu. Mais le gouvernement français n’a rien fait. En arrivant au ministère, j’ai hérité de la patate chaude », raconte la députée Delphine Batho, ancienne ministre de l’écologie (de mai 2012 à juillet 2013).

À l’époque, Delphine Batho, considérant que ce capital hydraulique payé par les générations passées devait être conservé dans des mains publiques, a cherché des alternatives pour éviter de dilapider ce patrimoine. Elle ira jusqu’à proposer la renationalisation de la production hydroélectrique et la création d’un établissement public pour le gérer. Renationaliser, quel vilain mot ! L’idée est enterrée à toute vitesse par le gouvernement et Bercy, alors que les lobbies électriques européens se mettent en branle pour conjurer tout projet pouvant contrer leurs intérêts.

Sans réciprocité

Le gouvernement ira plus loin. Tandis que le ministre des finances d’alors, Pierre Moscovici, aujourd’hui commissaire européen aux affaires économiques et financières, négocie début 2013 avec la commission de nouveaux dépassements budgétaires français par rapport aux règles de Maastricht, un codicille est discrètement introduit lors de ces négociations. En contrepartie de la bienveillance de la commission européenne sur ses écarts budgétaires, l’État français propose de privatiser ses concessions hydrauliques. « Aucun autre État européen n’a accepté de renoncer à avoir la maîtrise de ses barrages », s’indignent alors plusieurs députés.

Venant en défense de la proposition gouvernementale, la Cour des comptes émet un opportun référé le 21 juin 2013. Elle y relève que l’État n’a pas respecté ses engagements de mise en concurrence des installations hydroélectriques. Ces manquements, insiste-t-elle, entraînent une perte de recettes budgétaires, estimées selon elle à 250 millions d’euros d’ici à 2016 et surtout à une captation de la rente hydroélectrique par les concessionnaires, en d’autres termes EDF.

Mais de quelle rente parle-t-on, interrogent dans un rapport parlementaire d’octobre 2013 sur les concessions hydrauliques les députés Marie-Noëlle Battistel (PS, suppléante de Didier Migaud, elle lui a succédé lorsque celui-ci a pris la présidence de la Cour des comptes) et Éric Straumann (LR). « Comment peut-on considérer que la rente hydroélectrique soit abandonnée au concessionnaire sortant dès lors que celui-ci est obligé, dans les tarifs réglementés de vente, de fournir l’électricité au coût de production ? La rente hydroélectrique profite en réalité au consommateur, directement concerné par la question du pouvoir d’achat… », écrivent alors les rapporteurs en réplique à l’analyse de la Cour des comptes, tout en rappelant que les collectivités, par le biais des redevances, et l’État, grâce aux dividendes d’EDF, sont directement intéressés aux résultats de l’entreprise publique et de sa gestion du parc hydraulique.

Dans leur rapport, les deux députés insistent aussi sur l’importance d’assurer la sécurité du système électrique, de gérer les usages de l’eau (de nombreuses usines et exploitations agricoles sont liées aux infrastructures hydrauliques), de préparer la transition du système énergétique français. Ils soulignent aussi les risques de dégradation des territoires, de suppression d’emplois, de délitement du modèle français. Dans leur recommandation, ils préconisent de confier la gestion du parc hydraulique à un exploitant unique sous la forme d’attribution, afin que l’État conserve la maîtrise de tout le système de l’eau. Le rapport fut adopté à l’unanimité par les membres de la commission des affaires économiques.

Le gouvernement est resté sourd à tous ces arguments. À l’occasion de la loi de transition énergétique, il a lancé la privatisation des barrages. Lors de la discussion sur le projet de loi, les députés de droite comme de gauche ont tenté de s’opposer à cette disposition et défendu le maintien d’un contrôle public du parc hydraulique. En vain. « C’est la raison pour laquelle je me suis abstenue lors du vote de la loi», dit Delphine Batho. L’alliance de circonstance entre une haute administration qui, par idéologie, réfute tout intérêt de l’État, des lobbies privés et des élus qui rêvent de conforter leur pouvoir en captant une partie de la manne des barrages a eu raison de toutes les résistances et objections.

Pour sauver les apparences, le gouvernement prévoit, dans le cadre de la loi sur la transition énergétique adoptée en juillet, une privatisation partielle et non totale. Il est prévu que les concessions des ouvrages hydrauliques soient remises en concurrence par le biais d’appels d’offres. Leur exploitation doit se faire par le biais de sociétés d’économie mixte, l’État ou les collectivités locales détenant au moins 34 % du capital, l’opérateur au moins 34 % aussi. Alors que les affaires liées à l’attribution des concessions d’eau dans les municipalités sont encore dans toutes les mémoires, on n’ose imaginer ce qu’il pourra advenir alors que les enjeux sur ces concessions hydrauliques se chiffrent en centaines de millions d’euros.

Mais il y avait un risque pour le gouvernement, que le nouveau système mette trop longtemps à se mettre en place. La mise en demeure de la direction européenne de la concurrence tombe à pic. Elle devrait permettre d’accélérer le processus et de remettre en cause des concessions qui n’auraient peut-être été renouvelées que dans dix ou quinze ans, voire plus, au motif que l’État se doit de répondre aux injonctions de Bruxelles.

Reste un problème, cependant, qu’il va bien falloir justifier tant au niveau européen qu’au niveau français. Comment expliquer que la France soit la seule à ouvrir ses barrages hydrauliques à la concurrence, alors que tous les autres États européens en conservent un contrôle étroit ? L’Allemagne a exclu ses barrages de la concurrence. Les concessions sont octroyées par les Länder pour une durée de 40 à 80 ans. Et la commune dispose d’un droit de veto sur tout nouvel exploitant. La Suède, dont un des opérateurs lorgne les barrages français, a mis ses barrages sous le régime de l’autorisation publique. En Norvège, les exploitations hydrauliques sont obligatoirement accordées à une structure publique pour une durée illimitée. En Autriche, les concessions sont accordées pour une durée de 60 à 80 ans. En Italie, les concessions attribuées à l’Enel, l’électricien historique, sont toutes maintenues au moins jusqu’en 2029. La Suisse, candidate aussi pour reprendre des barrages en France, ne relève pas du droit européen.

« Vos rapporteurs ont été soumis à la pression insistante d’opérateurs étrangers qui souhaitent pénétrer le marché français sans être menacés sur leur propre marché. Lorsque nous les avons interrogés, ils ont été bien en peine de répondre à nos questions sur la réciprocité. Aucun autre État membre n’est amené à mettre en concurrence un parc hydraulique conséquent dans les mêmes conditions que la France », rappelaient Marie-Noëlle Battistel et Éric Straumann dans leur rapport.

Pour l’instant, l’argument ne semble pas gêner la direction européenne de la concurrence. Celle-ci pourrait même aller encore plus loin. Selon des rumeurs persistantes, elle pourrait interdire à EDF de présenter sa candidature à tout appel d’offres sur les renouvellements de concession. Interrogé à ce sujet, le porte-parole de la commission n’a pas voulu répondre, indiquant que la question était prématurée.

Si ce n’est pas une mise à mort programmée du modèle français, cela y ressemble beaucoup. Le système intégré et unifié, mis en place après la Seconde Guerre mondiale, paraît condamné pour faire place à un système privatisé, morcelé, tel qu’il existait dans les années 1930 et qui se révéla incapable de mener à bien l’équipement du territoire. Les dispositifs prévus signent à terme la fin de la péréquation et des tarifs régulés. La gestion de la Compagnie nationale du Rhône, détenue à 51 % par des collectivités locales et 49 % par Engie, donne une illustration des nouvelles pratiques à venir. Si les collectivités locales touchent quelque 200 millions d’euros de redevances par an, les dizaines de millions de bénéfices restants vont aux actionnaires et aux dirigeants, en aucun cas aux consommateurs. Ce qui s’appelle partager la rente.

Quant à EDF, s’il se trouve privé de tout ou partie de sa production hydraulique, alors que dans le même temps, il lui faut gérer la réduction du nucléaire et le démantèlement de son parc, et que l’État ne cesse de lui imposer de nouvelles obligations, il ne peut que crouler sous les contraintes et être condamné à augmenter sans cesse les tarifs. Toute la charge va être reportée sur les consommateurs et les contribuables. C’est ce qui s’appelle sans doute les bénéfices de la concurrence libre et non faussée.

Source : Médiapart, Martine Orange, 03-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/la-privatisation-des-barrages-cest-la-paix/


“Mediapart et Arrêt sur images dans la tourmente”, par Acrimed

Friday 13 November 2015 at 00:01

Pensez à aussi soutenir ces sites indispensables au paysage de l’internet français  :)

Source : Acrimed, 6 novembre 2015

De lourds redressements fiscaux

Les instances judiciaires et l’administration fiscale ont donc tranché en la défaveur de Mediapart et d’Arrêt sur images, condamnant de facto les deux sites d’information à un lourd redressement fiscal : 4,1 millions d’euros pour Mediapart et 540 000 euros pour Arrêts sur images.

Ces sommes correspondent à un arriéré de TVA pour la période 2008-2014, durant laquelle les deux sites ont fait le choix de s’aligner sur la TVA de la presse classique, soit 2,1%, et non sur celle que la loi leur imposait (entre 19,6 et 20%).

Mediapart et Arrêt sur images seraient-ils donc de vulgaires fraudeurs, sortes de Jérôme Cahuzac de la presse en ligne ? C’est ce que d’aucuns semblent penser en exigeant des deux sites qu’ils s’acquittent de sommes qui mettent en péril leur santé, voire même leur survie.

Mais la vérité est bien différente : non seulement Mediapart et Arrêt sur images n’ont pas dissimulé leur « fraude », mais ils l’ont revendiquée, cherchant à la politiser, soutenus dans cette démarche par de nombreux autres titres regroupés dans le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne [1], qui a publié un communiqué dénonçant les décisions de l’administration fiscale.

Nulle dissimulation, mais bien une lutte contre une situation manifestement inéquitable : alors qu’ils étaient soumis au droit de la presse au même titre que la presse classique, les sites d’information étaient sujets à une TVA 10 fois plus élevée ! Une incohérence qui a finalement été admise par le législateur, avec une modification de la loi en 2014 et un alignement des taux de TVA.

Edwy Plenel affirme en outre que «  de 2008 à 2013, tous les interlocuteurs officiels de Mediapart, informés du taux de TVA que nous pratiquions, ont soutenu notre défense de l’égalité entre presse imprimée et presse numérique. Qu’ils soient à l’Élysée, à Matignon, au ministère de la Culture et de la Communication, au ministère des Finances et à celui du Budget, dans les cabinets ministériels comme dans les administrations concernées, ils appuyaient notre position, parallèlement soutenue par tous les syndicats professionnels, parmi lesquels au premier chef le SPIIL ».

Légalité vs légitimité ?

Était-il justifié de recourir à des moyens illégaux pour défendre une revendication légitime ? On peut en discourir à perte de vue : ce ne serait pas la première fois ni sans doute la dernière qu’une illégalité serait légitime. Ne pas payer la TVA en vigueur et se mettre de facto hors-la-loi dans l’attente et l’espoir que la loi change était-il le moyen le plus approprié ? Force est de constater que c’est aussi l’auto-réduction de la TVA qui a permis d’obtenir sa réduction légale, et ainsi de corriger une inégalité de traitement, d’autant plus flagrante au regard des dizaines de millions d’euros attribués dans la plus grande opacité aux « grands » titres de la presse écrite via le système des aides publiques à la presse. Mais force est de constater aussi que leur refus de se soumettre à une fiscalité discriminatoire – et reconnue comme telle par les pouvoirs publics – met aujourd’hui Mediapart et Arrêt sur images dans une situation périlleuse.

C’est pourquoi nous relayons les campagnes de soutien financier lancées par les deux titres, qui en appellent à leurs abonnés et plus généralement à leur lectorat pour les aider à traverser cette mauvaise passe – en attendant les résultats d’un éventuel jugement en appel. Il s’agit ainsi pour les deux sites de préserver un modèle garantissant leur indépendance : pas de publicité, pas de subventions, un capital qui n’est pas sous le contrôle d’actionnaires extérieurs.

C’est ce que rappelle Daniel Schneiderman dans son appel aux dons/abonnements : « Nous n’avons jamais dépendu que de nos abonnés, et de tous ceux qui, sans l’être, nous soutiennent. Nous y croyons plus que jamais : ce modèle est le seul qui garantisse une totale indépendance. Nous ne voulons dépendre ni des banques, ni des subventions, pour faire face à tous les impondérables qui pourraient survenir, pour investir quand nécessaire (prochainement, par exemple, dans du matériel pour vous proposer des émissions en Haute Définition). Bref, si nous changions de modèle économique, ce ne serait plus le même site ».

Il existe bien des différences entre, d’une part, Acrimed et, d’autre part, Mediapart (par exemple sur la critique des médias) et Arrêt sur images (par exemple sur le rapport aux médias dominants), et nous continuerons de défendre un projet politique de transformation des médias, qui ne peut se réduire à la création de médias privés indépendants, aussi utiles soient-ils.

Mais de toute évidence, et ce sans faire fi de nos divergences d’approche, voire de nos désaccords, l’urgence est à la défense de médias dont la disparition ou même l’affaiblissement serait un coup dur porté à l’indépendance journalistique et au pluralisme déjà bien rabougri du paysage médiatique. Une mauvaise nouvelle dont il est encore possible de se passer.

- L’appel d’Arrêts sur images
- L’appel de Mediapart

Acrimed

Source :   Acrimed, 6 novembre 2015

Source: http://www.les-crises.fr/mediapart-et-arret-sur-images-dans-la-tourmente-par-acrimed/


[Corruption institutionnalisée] Comment le Parlement US vend désormais directement ses votes…

Thursday 12 November 2015 at 01:24

C’est une des choses les plus incroyables que j’ai vues depuis que je tiens ce blog…

200 millions de $ versés directement aux élus pour acheter leur vote…

« Nous nous avançons vers un âge où il n’y aura plus de sénateur de l’Arkansas ou de député de la Caroline du Sud, mais des sénateurs de Wal-Mart et des représentants de la Bank of America ». Ainsi s’exprimait en janvier 2010 Melanie Sloan, directrice de l’association Citizens for Responsibility and Ethics. Il y avait en effet de quoi fulminer : le 21 de ce mois, la Cour Suprême des Etats-Unis venait de rendre un arrêt lourd de conséquences allégeant grandement les restrictions sur le financement des campagnes électorales. La décision n’avait pas été unanime, loin de là : passée par 5 voix contre 4, elle avait fait l’objet d’une furieuse dispute, et l’arrêt final n’avait d’ailleurs pas dissuadé Paul Stevens, tête de file de la minorité, à sortir de la réserve traditionnelle s’imposant dans ce cas, accusant la majorité d’activisme judiciaire, rien de moins. Il se fit plus précis, en arguant de l’absurdité, selon lui, de placer des corporations sur le même plan judiciaire que des personnes physiques. Barack Obama lui-même s’était ému de cet arrêt, sans que cette émotion ne se traduise véritablement en actes.

Le siège de la Cour Suprême à Washington

Coïncidence de calendrier, cet arrêt tombait alors qu’un autre évènement venait de frapper les esprits : le 19 janvier avait vu Scott Brown, un républicain, remporter le siège de sénateur du Massachussetts, laissé vacant par le décès de Ted Kennedy, sénateur démocrate, frère des défunts John F et Robert F., et figure historique de l’aile progressiste du parti Démocrate. La stupeur passée, la colère s’était emparée des progressistes américains, qui voyaient dans ce double  coup de tonnerre la fin d’une ère. Il semble aujourd’hui que les prédictions de Melanie Sloan soient en passe de se réaliser.

Un TPPI qui ne passe pas

On aurait tendance à l’oublier de ce côté-ci de l’Atlantique, mais le débat sur le TTIP (Trans-atlantic Trade and Investment Partnership, Partenariat Transatlantique pour l’Investissement et le Commerce, ex-TAFTA) n’est pas un long fleuve tranquille aux Etats-Unis. De fait, le pays se retrouve engagé dans deux négociations, le TTIP ayant un jumeau pour la zone Asie-Pacifique, le TPP. Négocié dans des conditions tout aussi opaques que celles de son versant Atlantique, le TPP n’en est pas moins soumis à l’aval du Congrès. (Eh oui, on a du mal à se figurer ces derniers temps qu’il existe encore des pays où les parlementaires ne conçoivent pas exclusivement leur rôle comme celui de simples figurants).

Une série de votes parlementaires au printemps et dans l’été 2015 a permis de mettre en lumière les conséquences fâcheuses de l’arrêt de 2010. Pour cela, il faudra entrer quelque peu dans les détails.

Deux dispositions devaient donner le départ officiel des négociations sur le TPP :

Par une petite filouterie concoctée entre le Congrès et la Maison-Blanche, les deux dispositions se retrouvaient mêlées au sein d’un même package. Le but ? Les Républicains en majorité favorables au projet de TPP avalisaient du même coup les mesures compensatoires, et les Démocrates circonspects se voyaient gratifiés d’un lot de consolation, un édulcorant pour aider à avaler la couleuvre libre-échangiste. Vous suivez toujours ?

A défaut d’être une formalité, le vote devait au moins emporter l’adhésion de la majorité sans trop de heurts. Las ! C’était sans compter sur une révolte du groupe Démocrate à la Chambre, qui, bien que minoritaire, avait réussi à faire capoter l’ensemble, par 316 voix (contre 126 en faveur du pack). Sans doute la capitulation était-elle trop grande pour nombre de Démocrates, allant jusqu’à faire basculer la (très) modérée Nancy Pelosi, whip démocrate à la Chambre, dans le camp du « non ». Un camouflet pour Barack Obama, qui s’était personnellement investi dans l’affaire, démarchant Pelosi jusqu’à la dernière minute.

La FTA est morte, vive la TPA

Décompte final du vote de la TPA

L’affaire ne pouvait évidemment pas en rester là. Le FTA fut rapidement ressuscité et rebaptisé TPA (Trade Promotion Authority), dépouillé cette fois-ci du TAA. Une procédure accélérée permit de voter sur ce nouvel avatar le 10 juillet 2015. Et cette fois-ci, pas de miracle : la TPA passa, mais de justesse, avec 219 voix pour, lorsqu’il en fallait 218 pour que la disposition entrât en vigueur.

Ce qui a particulièrement frappé les observateurs une fois la poussière retombée, ce n’est pas tant l’extrême justesse avec laquelle la TPA a pu passer que la débauche d’argent mobilisée par les différents lobbys à Washington pour faire basculer le vote. Qu’on en juge : selon Paola Casale, de l’université d’Otterbein (Ohio), s’appuyant sur les chiffres fournis par l’organisation Open Secret, ce ne seraient pas loin de 200 millions de dollars qui auraient été promis pour inciter députés et sénateurs à voter Oui.

Au marché des consciences

Bien entendu, nous ne parlons pas ici de sommes versées de la main à la main ; il s’agit de promesses de dons aux comités de campagne des différents parlementaires, lesquelles ne connaissent plus de plafond depuis l’arrêt de 2010. Il ne faut pas oublier que dans le contexte politique américain, l’argent est de plus en plus primordial : il suffira de rappeler ici que 6 milliards de dollars ont été dépensés lors de la campagne présidentielle de 2012, un record historique. Avec des élections tous les deux ans, députés et sénateurs se voient de plus en plus appelés à solliciter les donateurs à plein temps. Dans ce contexte, difficile de résister aux juteuses promesses des lobbies. Des refus répétés vous privent d’un soutien précieux, et condamnent de fait votre avenir politique.

Viendra l’objection : rien n’empêche d’autres lobbys d’abonder en sens inverse. A ce titre, comme en témoignent les chiffres fournis, aucune illusion n’est permise : c’est pot de terre contre pot de fer.

David vs Goliath (mais sans intervention divine)

Montant total des promesses de dons des lobbys, sur le site Open Secret

En face des 200 millions offerts pour le oui, à peine 23 millions pour le non. Une telle différence s’explique aisément lorsque l’on examine dans le détail la nature des donateurs.

Sans grande surprise, on trouvera dans le camp du « oui » de grandes compagnies d’assurances, des banques d’affaires et des fournisseurs de services financiers, compagnies pétrolières et énergétiques, cabinets d’avocats d’affaires, etc. Pour faire face à cette artillerie lourde, on trouvera surtout des syndicats d’enseignants ou de travailleurs, des associations de consommateurs ou des ONG. Il est bien évident que toute la bonne volonté de ces groupes n’est pas appelée à peser face à l’artillerie lourde de Wall Street.

Le plus gâté de tous a été le député Républicain John Boehner, qui a reçu 5,3 millions de dollars au total pour voter « oui » -ce qu’il a fait. Viennent ensuite les Républicains Kevin Mc Carthy et Paul Ryan, qui ont reçu chacun 2,4 millions de dollars pour voter dans le même sens, ce qu’ils ont fait également. Le Guardian dresse un tableau semblable pour les sénateurs, quoique les sommes soient sensiblement moindres.

Au regard d’une dépense aussi faramineuse, les résistances observées ici et là prennent l’allure de petits miracles. Ainsi, le député Démocrate Steny Hoyer avait reçu 1,6 million de dollars pour voter « oui » et « seulement » 282 710 dollars pour le « non » ; cela ne l’a pas empêché de rejeter le texte. De même pour les Démocrates Joe Crowley, Patrick Murphy et Richard Neal, lesquels ont refusé entre 1,1 et 1,3 million de dollars et ont rejeté le texte. Il y a également quelques « héros » chez les Républicains : les députés Mick Mulvaney, Andy Harris, Thomas Massie et Dana Rohrabacher s’étaient vu offrir entre 180 832 et 541 746 dollars pour approuver la TPA, et rien du tout s’ils la rejetaient. Cela ne les a nullement empêchés de voter « non ».

De tels exemples d’intégrité, s’ils sont tout à l’honneur des députés en question, ne doivent pas occulter le fait que ceux-ci sont condamnés à rester minoritaires. Les députés et sénateurs issus de terres fortement marquées politiquement disposent de davantage de marge de manœuvre que la plupart de leurs confrères, devant disputer âprement leur réélection tous les deux ans. Ceux-ci pourront-ils longtemps se permettre de rejeter les trente deniers d’argent de Wall Street, lorsque leur campagne en dépend ? Poser la question, c’est hélas y répondre. Et il ne s’agit nullement de dénoncer la corruption des hommes politiques ordinaires, mais de souligner le simple fait qu’aux Etats-Unis aujourd’hui, il est impossible de remporter une élection sans soutien financier accru. Avec les conséquences néfastes que cela impose. Et cela ne remonte pas seulement à 2010.

L’arrêt de la Cour Suprême n’a finalement fait que fragiliser un peu plus un système politique déjà à la dérive. Si les Etats-Unis veulent encore conserver le droit de qualifier leur fonctionnement interne de démocratique, il va leur falloir en repenser l’ensemble, avant que l’institutionnalisation de la corruption n’emporte tout.

————————–*** Notes ***

[1] Le Whip est à l’origine un chien de berger, chargé de maintenir la cohésion du troupeau en surveillant ceux qui s’en écartent. Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, il est l’équivalent d’un chef de groupe parlementaire.

Pour prolonger :

A propos de l’arrêt du 21 janvier 2010

Le site « Flush the TPP »

Une typologie de la corruption aux Etats-Unis, sur le blog « naked capitalism »

 

Cliquez ici pour aller vers le site Open Secrets donnant la nature des donateurs pour le vote du 10 juillet (communiqué de presse ici).

L’étalement des dons par trimestre (vert POUR, rouge CONTRE) :

Bilan : 200 M$ vs. 23 M$…

Qui a soutenu le projet : (avocats [qui ont versé à eux seuls plus que TOUS les opposants !], secteur bancaire et financier, armement, …)

Qui le combattait ? (enseignants, groupes féministes, syndicats, écolos… ça va plus vite à lire…)

Et voici le bilan par parlementaire – elle est pas belle la corruption légalisée et transparente quand même ?

Les parlementaires les plus arrosés par les POUR :

Les parlementaires les plus arrosés par les CONTRE :

Vous notez qu’ils sont à peu près tous démocrates, et que la plupart ont voté non…

On aura une pensée émue tout de même pour un système où la plupart des députés du parti du président votent contre un projet de libre-échange pour lequel il s’investit beaucoup…

Bon 200 M$, c’est toujours ça de pris, mais bon, c’est limite avec le renchérissement du coût de la vie…

Par chance, il y a d’autres votes, avec d’autres autorisations au Président de négocier… Comme le S995, en cours :

Et hop, 300 M$ de dollars en plus…

A ce propos (je suis tombé dessus par hasard, c’est trop beau), Obama a évidemment fait une déclaration officielle pour le lancement du processus législatif de cette dernière loi.

Je vous passe le blabla sur “le libre-échange c’est bien, surtout pour les travailleurs”, mais cette phrase est mythique :

“Nous devons nous assurer que ce soit nous, et pas d’autres pays comme la Chine, qui écrivions les règles de l’économie globalisée.”

Chapeau l’artiste !

Source: http://www.les-crises.fr/comment-le-parlement-us-vend-desormais-ses-votes/


Le vol 9268 ou le désordre dans le ciel et l’Égypte menacée, par Philippe Grasset

Thursday 12 November 2015 at 00:30

Il y a un truc qui me chiffonne, quand j’écoute les médias Mainstream.

  1. La Russie est (comme toujours) méchante, car elle bombarde les gentils terroristes d’Al Quaïda, armés par l’Occident, et ne s’attaque pas aux méchants terroristes de l’État islamique – même si elle dit qu’elle le fait, mais ce sont des menteurs les Russes ;
  2. En revanche, l’Occident défend la Démocratie, et les Stazunis, la Grande-Bretagne et la France (soit 60 % à l’aise des dépenses militaire du monde) bombardent durement le méchant État islamique depuis un an et demi – même si ça ne l’a hélas nullement empêchée de conquérir toujours plus de territoires…

Mais alors, c’est étrange, pourquoi les types de l’État islamique ont-ils détruit un avion russe moins de 2 mois après le début des frappes russes ????? Étrange non ? ;)

Par ailleurs j’ai également trouvé éloquent la manière assez insidieuse qui a été employée pour limiter la compassion envers les victimes russes.

Un exemple : L’état islamique a revendiqué immédiatement l’attentat – sachant que les experts indiquent qu’ils n’ont jamais menti à ce jour. Mais tout a été fait pour ne pas trop privilégier cette piste.

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Le vol 9628 ou le désordre dans le ciel et l’Égypte menacée

Source : dedefensa, 06-11-2015

Il y a une semaine, le vol 9628 de la compagnie MetroJet/Kogalymavia, qui transportait 224 passagers et hommes d’équipage tous de nationalité russe, a explosé en plein vol au-dessus du Sinaï. Les débris ont été retrouvés, identifiés, et idem pour les fameuses boîtes noires qui sont en cours de dépouillement ou qui sont entièrement dépouillées. Au départ, il y avait une sorte d’entente générale pour écarter l’hypothèse d’un tir de missile, d’envisager sans réelle conviction l’hypothèse d’une bombe, et de privilégier l’incident mécanique aux conséquences radicales et extraordinaires. Aujourd’hui, c’est la thèse de la bombe à bord qui émerge de plus en plus précisément, avec les Britanniques extrêmement actifs pour toutes sortes de raisons, mais notamment parce qu’il y a 20.000 de leurs nationaux en vacances à Charm El-Sheikh. Les Britanniques ont pris la décision peu ordinaire d’interrompre tous les vols prévus pour le retour normal de ces touristes, qui restent donc sur place, presque dans l’extraordinaire position d’être comme des “otages” ou des “prisonniers” d’on ne sait quoi. (DEBKAFiles, qui, dès le premier jour, a affirmé qu’il s’agissait d’une attaque terroriste, les désigne ce 5 novembre comme : « 20.000 Britons under siege »)

On a là-dessus une toute petite idée du désordre qui accompagne cet évènement, où chacun joue double, sinon triple jeu, tout cela correspondant à la complexité inouïe de la situation au Moyen-Orient, et la complexité à mesure, multiplié géométriquement par les esprits enfiévrés de narrative, des effets imprévus et inattendus des actions des principaux acteurs.

• … Mais restons-en à DEBKAFiles. Dès le premier jour, le 31 octobre, le site israélien a privilégié la thèse de l’attentat, accréditant de facto le “communiqué” de Daesh du 31 octobre dans l’après-midi, et continuant à insister sur la possibilité qu’il s’agisse d’une attaque par missile. Le 5 novembre encore, dans le texte cité, la possibilité d’une attaque par missile est explicitée par la référence à l’organisation terroriste opérant en Libye Ansar al Sharia, responsable de l’attaque de Benghazi qui coûta la vie à l’ambassadeur des USA. Ansar al Sharia disposerait de missiles de fabrication russe Buk (code-OTAN SA-11), de moyenne portée (entre 5 et 50 kilomètres), venus des arsenaux libyens du temps de Kadhafi. « Ce groupe terroriste ultra-violent a des liens opérationnels très étroits avec le groupe ISIS dans le Sinaï, et il est tout à fait possible qu’il ait transféré ce système de Libye dans le Sinaï… »

D’abord plutôt “satisfait” de cette attaque présentée comme une riposte efficace à l’activité russe en Syrie qui gêne les opérations israéliennes, DEBKAFiles a changé de ton le 5 novembre, pour se faire plus alarmiste pour un certain nombre pays, y compris Israël, ce qui pourrait refléter effectivement le sentiment des sources du renseignement israélien du site, et leur volonté de le faire savoir… « Alors que de plus en plus de gouvernements occidentaux se rapprochent de la thèse que le crash de l’avion russe a été causé par un engin explosif,  les sources contre-terroristes de DEBKAFiles répètent que l’on ne peut pas écarter la thèse d’un tir de missile. L’argument développé mercredi par Washington et Londres selon laquelle les organisations terroristes ne disposent pas de missiles capables d’atteindre et d’abattre de tels avions est simplement incorrecte. La possession par ISIS-Sinaï de systèmes de missiles sol-air avancés met non seulement en danger les avions dans l’espace aérien de la péninsule, mais aussi les avions volant au-dessus du Canal de Suez ainsi que sur des parties de l’Arabie saoudite, de Jordanie et d’Israël. »

• Le même texte considère d’un œil critique l’absence d’initiative de certains pays particulièrement concernés par la situation à Charm-Sinaï, notamment les Britanniques, qui se sont beaucoup agité et ont affirmé dès mardi leurs doutes quant à la possibilité d’un attentat, jusqu’à la décision de suspendre tout vol de ou vers Charm avec des nationaux britanniques à bord, – effectivement comme s’ils craignaient des tirs de missiles. En attendant, observe DEBKAFiles, ils n’ont préparé aucun plan pour les “20.000 vacanciers britanniques assiégés” à Charm El-Cheikh. Conclusion du site israélien : Jusqu’ici, les hésitations, changements de version, refus de commentaire, etc., des principaux pays concernés n’ont qu’un but : « …gagner du temps pour ne rien faire contre ISIS dans le Sinaï. Ni les USA, ni la Russie, ni la Grande-Bretagne, ne sont prêts à envoyer des forces dans la péninsule pour affronter directement les terroristes. »

Ces commentaires signalent qu’on est en train de passer de la seule affaire de la destruction en vol (accidentelle ou provoquée) d’un charter russe à celle de la sécurité sur le territoire du Sinaï, qui est un point très important d’affrontement avec le terrorisme, en plus des points classiques (Syrie, Irak, Afghanistan). Si on s’est tant attaché aux évolutions et précisions de DEBKAFiles, c’est parce que le site donne une bonne idée, vues ses connexions directes, de l’évolution des évaluations des services de sécurité israéliens. L’on a donc vu l’humeur passer d’une certaine “satisfaction” que la Russie, qui a pris un certain monopole du contrôle du ciel syrien, ressente un contrecoup de cette opération qui frustre les Israéliens en les privant d’une partie importante de leur liberté de manœuvre ; à une inquiétude affirmée pour la sécurité de l’espace aérien de la région (dont celui d’Israël) devant l’activité des groupes terroristes, sans doute équipés, pour certains dont DEBKAFiles, de systèmes d’armes avancés et dévastateurs, hérités soit des aventures catastrophiques des pays du bloc BAO (Libye), soit de l’incroyable tortuosité de la politique US multidirectionnelle et multi-contradictionnelle. Qui plus est, effectivement, l’affaire du vol 9628 montre, une fois de plus, l’impréparation des acteurs militaro-politiques extérieurs devant certaines actions ou certains théâtres de l’action des terroristes, alors qu’ils sont pour la plupart responsables de la constante aggravation de la situation et du renforcement des groupes terroristes toujours pour les mêmes raisons.

• Un autre point de vue est dominé par le facteur de la concurrence entre la Russie et les pays du bloc BAO. Il est exposé dans un texte de Justin Raimondo, sur Antiwar.com, qui détaille les hypothèses et les louvoiements, notamment des USA et de UK, vis-à-vis de la version de la destruction du vol 9628. Raimondo cite diverses interventions, interprétations, etc., essentiellement du côté US, pour en arriver à la conclusion  qu’il s’agissait essentiellement de créer continuellement une situation qui soit le moins favorable à la Russie. Pour lui, si la partie USA-UK n’a pas immédiatement évoqué la thèse de l’attentat, c’est pour éviter un mouvement de sympathie de l’opinion publique en faveur des Russes. Il y a eu aussi les diverses théories plus complexes jusqu’aux plus rocambolesques, comme celle d’un “inside job” du FSB (l’attentat organisé par le FSB lui-même, pour obtenir cet effet de sympathie prorusse), qui a été aussitôt soutenue avec enthousiasme par l’exceptionnel sénateur McCain.

« According to numerous news reports, intercepts of “internal communications” of the Islamic State/ISIS group provided evidence that it wasn’t an accident but a terrorist act. Those intercepts must have been available to US and UK government sources early on, yet these same officials said they had no “direct evidence,” as Clapper put it, of terrorist involvement. Why is that? And furthermore: why the general unwillingness of Western governments and media to jump to their usual conclusion when any air disaster occurs, and attribute it to terrorism?

» The answer is simple: they didn’t want to arouse any sympathy for the Russians. Russia, as we all know, is The Enemy – considered even worse, in some circles, than the jihadists.  Indeed, there’s a whole section of opinion-makers devoted to the idea that  we must help Islamist crazies in Syria, including al-Qaeda’s affiliate, known as al-Nusra, precisely in order to stop the Evil Putin from extending Russian influence into the region.

» In a broader sense, the reluctance to acknowledge that this was indeed a terrorist act is rooted in a refusal to acknowledge the commonality of interests that exists between Putin’s Russia and the West. The downing of the Metrojet is just the latest atrocity carried out by the head-choppers against the Russian people: this includes not only the Beslan school massacre, in which over 700 children were taken hostage by Chechen Islamists, but also the five apartment bombings that took place in 1999. The real extent of Western hostility to Russia, and the unwillingness to realize that Russia has been a major terrorist target, is underscored by the shameful propaganda pushed by the late Alexander Litvinenko, and endorsed by Sen. John McCain, which claims that the bombings were an “inside job” carried out by the Russian FSB – a version of “trutherism” that, if uttered in the US in relation to the 9/11 attacks, is routinely (and rightly) dismissed as sheer crankery. But where the Russians are concerned it’s not only allowable, it’s the default. A particularly egregious example is Russophobic hack Michael D. Weiss, who, days before the downing of the Russian passenger plane, solemnly informed us that Putin was “sending jihadists to join ISIS.” Boy oh boy, talk about ingratitude! »

• D’une façon générale, les Russes restent extrêmement prudents, se retranchant derrière les procédures de l’enquête, dont l’appréciation officielle était jusqu’à ces derniers jours qu’elles peuvent durer plusieurs mois avant de donner leurs conclusions. Il n’empêche que Poutine vient de décider, sur la recommandation du chef du FSB, d’annuler les vols russes vers l’Égypte, sans qu’on sache précisément pour quelle durée ; par mesure de précaution, certes, mais une précaution qui en dit long dans le climat actuel. Même des partisans décidés de la Russie et de Poutine, comme le Saker-US, concluent d’une façon assez nette, après plusieurs jours de silence pour pouvoir mieux mesurer les éléments de cette affaire, que le vol 9628 a été victime d’un attentat. (Mais le Saker-US rejette absolument l’idée d’un missile sol-air, pour favoriser l’hypothèse d’une bombe posée à bord de l’avion, avec la complicité de l’un ou l’autre membre des services de sécurité égyptiens, ou la très mauvaise qualité de ces services en général.)

Quoi qu’il en soit, les Russes sont furieux vis-à-vis des Britanniques, qui disent avoir eu des indices sinon plus de la préparation d’une attaque avant la destruction du vol 9628. Leur argument est évident et ne porte nullement sur la véracité des indications, mais simplement sur ceci : “Si vous aviez des indices, vrais ou faux, pourquoi ne pas nous les avoir communiqués ?” … La réponse étant sans doute, simplement : “parce que vous êtes Russes”. La question qui se pose à propos de cet incident est de savoir si les Russes protestent pour la forme, pour avancer dans la guerre de communication avec le bloc BAO, ou bien s’ils croient encore qu’il existe une forme ou l’autre de possibilité de coopération sincère entre la Russie et le bloc BAO (ou, dans tous les cas, certains pays du bloc BAO, essentiellement les Anglo-Saxons). Si c’est la deuxième réponse, il faut alors déplorer chez eux un reste de naïveté dont ils devraient se débarrasser au plus vite.

• Mais, incontestablement, le pays le plus touché par l’attentat est l’Égypte, beaucoup plus que la Russie. Il est d’ailleurs raisonnable de penser que l’attitude des Russes, plutôt embarrassés entre leur prudence sinon le déni de certaines indications, et tout de même certaines mesures de précaution, vient pour beaucoup de leur volonté de ménager au maximum l’Égypte, d’éviter de mettre Sissi dans l’embarras en renforçant l’idée que ce pays n’a pas de système de contrôle de sécurité efficace. La Russie a misé gros sur ses relations stratégiques avec l’Égypte d’une part, et d’autre part elle pourrait calculer qu’à l’occasion de cet incident, au cours duquel le couple USA-UK n’a rien fait pour aider l’Égypte bien au contraire, ce pays devrait se rapprocher décisivement de l’axe Russie-Syrie-Iran-Irak dont il est déjà proche.

(Il ne nous semble pas que ce soit un gros risque de la part des Russes de réagir de façon si mesurée. Notre sentiment est que, pour l’opinion publique, la destruction du vol 9628 a plus à voir avec l’attaque terroriste constante dont la Russie est l’objet depuis plus d’une décennie qu’avec la présence russe en Syrie. Le Saker-US nous semble avoir raison lorsqu’il écrit : « As soon as the Russian military operation in Syria began, officials were asked whether this would not dramatically increase the risks of terrorist attacks against Russian.  Their answer was always the same one: “we already are under maximal threat, this does not make it worse“.  This is forgotten in the West, but Russia is still battling a terrorist insurgency in Dagestan.  Wahabi crazies are regularly arrested even in Moscow! » A notre sens, la réaction de l’opinion publique russe pourrait être contraire à celle que certains pourraient attendre : un durcissement vis-à-vis du terrorisme, une assimilation plus complète de l’intervention russe eh Syrie à la lutte contre le terrorisme qu’elle n’était faite jusqu’alors, – plutôt que comme un simple soutien à Assad.)

Finalement et outre de montrer une fois de plus le désordre général de la situation, et des situations au Moyen-Orient, la destruction du vol 9628 devrait surtout avoir pour effet de faire entrer l’Égypte de plain-pied dans le chaudron moyen-oriental autour de la Syrie, beaucoup plus qu’elle ne l’a fait jusqu’ici, avec des risques d’extension du désordre international et multinational au Sinaï lui-même. L’Égypte va être touchée de plein fouet par l’attaque, avec une réduction supplémentaire du tourisme étranger dans le pays qui constitue une grosse source de revenus. D’autre part, l’attaque met clairement en lumière la connexion entre le centre syrien de la crise d’une part, l’extension libyenne d’autre part, en rappelant le rôle que la Libye joue comme pourvoyeuse de désordre dite “de second rideau”, et l’Égypte coincée entre les deux. On y ajouterait même, cerise énorme sur le gâteau, l’Algérie sur l’aile occidentale de la Libye, qui est particulièrement “travaillée” par les divers groupes terroristes, de contrebande, de crime organisé en ce moment où le pouvoir politique se délite rapidement, et qui constitue actuellement la principale préoccupation interne de certains services de renseignement d’un possible embrasement à venir.

Dans ce cadre absolument menaçant, l’Égypte est pratiquement enfermée dans une position où les choix diminuent et où les urgences s’imposent. Notre appréciation est que l’Égypte ne pourra faire autrement que quitter son attitude passive et défensive, qu’elle devra nécessairement passer à l’offensive, éventuellement hors de son territoire strictement dit, sous peine de connaître des remous internes qui pourrait conduire à un basculement total du pays dans l’anarchie. C’est finalement une situation assez générale, lorsqu’on considère les évènements d’une façon intégrée. Le désordre grandit et s’étend à une telle rapidité, et l’incontrôlabilité de la situation à mesure, qu’il n’est plus possible, le plus souvent, de rester sur des positions défensives, selon une stratégie de la forteresse. Nous pensons qu’il va falloir  très vite accepter l’argument, de la part des Russes, que le principal motif de leur intervention en Syrie est bien un effort pour bloquer l’extension du terrorisme vers le Caucase, directement ou indirectement. L’implication de l’Égypte, si elle se fait, devrait avoir des effets collatéraux importants, notamment sur ses relations avec l’Arabie qui est son principal pourvoyeur de fonds, mais qui se trouve elle aussi dans une situation en constante aggravation interne avec notamment une réduction notable de ses revenus pétroliers et surtout avec le conflit avec le Yemen, avec actuellement une situation militaire inquiétante. (Selon les Iraniens, les attaques et incursions yéménites en territoire saoudiens se multiplient.)

Quoi qu’il en soit, si la destruction du vol 9628 est bien un attentat de Daesh contre la Russie pour riposter contre l’intervention russe en Syrie, ce n’est pas une affaire qu’on peut maintenir dans ce strict cadre. C’est une affaire, une crise dans la crise comme d’habitude, dont les conséquences vont largement dépasser ce seul antagonisme Russie-Daesh, et même le seul théâtre conflictuel de la Syrie. Là aussi, le phénomène de la tache d’huile va jouer à fond, contribuant à élargir encore le cercle maléfique du désordre, avec des acteurs qui, de plus en plus, et même ceux qui paraissent les plus raisonnables, n’ont plus rien à perdre dans un engagement de plus en plus décisif ; il ne s’agit certainement pas d’un embourbement comme certains le prévoit en se référant à un cas classique d’une époque disparue, mais au contraire d’un accroissement de la potentialité explosive de l’ensemble qui constitue l’arrière-plan constant de la situation nouvelle.

Source : dedefensa, 06-11-2015

Source: http://www.les-crises.fr/le-vol-9628-ou-le-desordre-dans-le-ciel-et-legypte-menacee-par-philippe-grasset/


Les racines du racisme aux États-Unis par Noam Chomsky

Thursday 12 November 2015 at 00:01

Source : George Yancy, Le grand soir, 20-08-2015

Noam CHOMSKY

J’ai réalisé une série d’interviews sur la thème de la race pour la revue The Stone. Je réalise cette huitième interview avec Noam Chomsky, linguiste, philosophe de la politique, et l’un des plus célèbres intellectuels au monde. Il a écrit de nombreux ouvrages, comme récemment, avec André Vltchek, « L’Occident terroriste – d’Hiroshima à la Guerre des drones ».

George Yancy

George Yancy : Lorsque je vois le titre de votre livre « L’Occident terroriste », me vient à l’esprit le fait que beaucoup de noirs aux États-Unis ont été pendant fort longtemps terrorisés par le racisme blanc. Cela va de la violence arbitraire jusqu’au lynchage de plus 3000 noirs (dont un certain nombre de femmes) dans la période qui va de 1882 à 1968. Du coup en 2003, lorsque des actes inhumains ont été commis dans la prison d’Abou Ghraib, je n’avais pas été surpris. Je me souviens que lorsque les photos sont apparues le président George W. Bush avait dit : « Cela ne représente pas les États-Unis que je connais ». Mais est-ce que ce ne sont pas les États-Unis que les noirs ont toujours connus ?

Noam Chomsky : Les États-Unis que les noirs ont toujours connus ne sont pas très jolis. Les premiers esclaves noirs ont été amenés aux colonies il y a 400 ans. Nous ne pouvons pas nous permettre d’oublier que pendant cette longue période les Afro-Américains, en dehors de quelques exceptions, n’ont eu que quelques décennies pour intégrer pleinement la société états-unienne.

Nous ne pouvons pas non plus nous permettre d’oublier que les abominables camps de travail esclavagistes du nouvel « Empire de la liberté » étaient une source de richesse essentielle pour la société américaine, avec ses privilèges, mais aussi pour l’Angleterre et le continent. La révolution industrielle avait comme ressource principale le coton, lequel était pour une bonne part produit dans les camps de travail esclavagistes des États-Unis.

Comme on le sait maintenant, ces derniers étaient très rentables. La productivité augmentait encore plus vite que dans l’industrie, grâce à la technologie du fouet et pistolet, l’efficace pratique de la torture, comme l’a montré Edward E. Baptist dans sa récente étude « The Half Has Never Been Told ». Le résultat ce n’est pas seulement la grande richesse accumulée par l’aristocratie des planteurs, mais ce sont aussi les manufactures états-uniennes et britanniques, le commerce, et les institutions du capitalisme d’État moderne.

Il est bien connu, il devrait être bien connu, que les États-Unis se sont développés en rejetant radicalement les principes d’ « économie saine » que prônaient les grands économistes à l’époque. Les derniers venus dans la course au développement connaissent bien ces principes aujourd’hui. Par contre les colonies américaines dès leur libération ont suivi le modèle de l’Angleterre : l’État intervint puissamment dans l’économie, notamment avec de hauts tarifs douaniers pour protéger l’industrie naissante, surtout le textile, puis plus tard pour l’acier, puis ensuite pour le reste de la même façon.

Il y avait aussi un « tarif virtuel ». En 1807 le président Jefferson a signé une loi interdisant l’importation d’esclaves. La Virginie, l’État de Jefferson, était le plus riche et le plus puissant des États. Cet État avait suffisamment d’esclaves. En fait, il commençait à produire cette précieuse marchandise pour les territoires esclavagistes en expansion au sud. Interdire l’importation de ces machines à récolter le coton représentait donc un avantage considérable pour l’économie de la Virginie. On le comprenait bien. Parlant au nom des importateurs d’esclaves, Charles Pinckney signalait : « La Virginie tire avantage de l’arrêt de l’importation. Ses esclaves prendront de la valeur, et elle en a plus que de besoin ». C’est comme ça que la Virginie est en effet devenue un grand exportateur d’esclaves vers la société esclavagiste en expansion.

Certains des propriétaires d’esclaves, comme Jefferson, mesuraient la grave entorse à la morale sur laquelle l’économie était alors basée. Jefferson redoutait la libération des esclaves, parce qu’ils avaient « 10 000 souvenirs » des crimes subis. La crainte que les victimes puissent se soulever et prendre leur revanche est fortement ancrée dans la culture états-unienne, et ce jusqu’à nos jours.

Le treizième amendement a formellement mis fin à l’esclavagisme, mais une décennie plus tard« l’esclavage sous un autre nom » est apparu. (« L’Esclavage sous un autre nom », « Slavery by Another Name », est le titre d’un livre important aussi, écrit par Douglas A. Blackmon [et dont est tiré un documentaire de 2012, ndt]).

La vie des noirs a été criminalisée par des codes excessivement répressifs qui les visaient particulièrement. Alors une forme d’esclavage encore plus rentable était disponible pour l’agrobusiness, les mines, l’acier – plus précieuses parce que l’État, et non plus les capitalistes, était responsable de maintien de la force de travail réduite en esclavage. Cela signifiait que les noirs étaient arrêtés sans raison valable, les prisonniers étaient mis au travail pour les intérêts du business. Ce système a offert une contribution majeure pour le rapide développement industriel de la fin du XIXème siècle.

Ce système est demeuré sans guère de changement jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. L’industrie de guerre a alors eu besoin de travailleurs libres. Nous avons eu ensuite quelques décennies de développement rapide, et relativement égalitaire, l’État jouant un rôle encore plus important qu’auparavant. Un homme noir pouvait obtenir un travail décent dans un industrie où il existaient des syndicats, acheter une maison ; il pouvait envoyer ses enfants faire des études supérieures, et quelques autres types d’opportunités nouvelles. Le mouvement des droits civils a apporté encore de nouvelles ouvertures, mais avec des limitations. Dans sa lutte contre le racisme du nord Martin Luther King a échoué, il n’a pas non plus pu développer un mouvement des pauvres.

La réaction néolibérale, commencée à la fin des années 1970, accentuée à partir de Reagan, a frappé les plus pauvres et les plus opprimés dans la société. Les grandes majorités ont aussi été touchées, elles ont subi une stagnation relative, voire un recul, cependant que la richesse se concentrait entre quelques mains. La lutte de Reagan contre la drogue, profondément raciste dans sa conception et dans son exécution, a donné un nouveau phénomène Jim Crow, expression de Michelle Alexander pour dépeindre la criminalisation de la vie sociale afro-américaine. C’est une évidence si on regarde les taux d’incarcération et leur impact dévastateur sur la société noire.

La réalité est bien sûr complexe, on ne peut pas présenter les choses trop simplement. Mais c’est malheureusement une première approche tout à fait juste de l’un des deux crimes fondateurs de la société états-unienne – l’autre étant l’extermination des nations indigènes et la destruction de leurs civilisations riches et sophistiquées.

George Yancy : Même si Jefferson avait saisi les turpitudes morales sur lesquelles l’esclavage était basé, dans ses « Notes sur l’État de Virginie », il dit que les noirs sont limités en terme d’imagination, et inférieurs aux blancs en terme de raisonnement. Il ajoute que les orangs-outans préfèrent les femmes noires que leurs propres femelles. Ces mythes, ainsi que les codes noirs postérieurs à la guerre de sécession, ont eu pour fonction de poursuivre l’oppression et le contrôle des noirs. Quels sont d’après vous les mythes et codes contemporains employés pour maintenir l’oppression et le contrôle des noirs aujourd’hui ?

Noam Chomsky : Hélas Jefferson était loin d’être isolé. Inutile de reparler du répugnant racisme qui existait dans des cercles éclairés jusqu’à tout récemment. Pour ce qu’il en est des « mythes et codes contemporains », je m’en remettrai aux voix, nombreuses et éloquentes, qui observent et font l’expérience de cet amer résidu d’un passé honteux.

Le mythe le plus écœurant c’est peut-être que rien de tout cela n’est arrivé. Le titre du livre d’Edward E. Baptist n’est on ne peut plus pertinent – les conséquences de tout cela sont peu connues, peu comprises.

Il existe aussi une variante assez courante de ce qui a été parfois appelé « l’ignorance volontaire » de ce qu’il n’est pas convenable de savoir : « Oui dans le passé de mauvaises choses sont arrivées, mais laissons tout cela derrière nous, et marchons vers un glorieux futur, partageant l’égalité des droits et des opportunités pour tous les citoyens ». Les choquantes statistiques quant à la vie des Afro-américains peuvent être comparées à d’autres résidus amers d’un passé honteux, des lamentations à propos de l’infériorité culturelle des noirs, ou pire, en oubliant comment nos richesses et nos privilèges sont dus dans une bonne mesure à des siècles de torture et de dégradation. Nous en sommes les bénéficiaires, alors qu’ils restent victimes. Ainsi de la compensation qui conviendrait, très partielle et désespérément inadéquate, elle reste entre le trou de la mémoire et l’anathème.

Jefferson, c’est à son crédit, au moins reconnaissait que l’esclavage, dans lequel il était impliqué, constituait « d’une part le despotisme le plus implacable, et d’autre part la soumission la plus dégradante ». Au Memorial Jefferson à Washington on peut lire ses mots : « Je frémis pour mon pays quand je pense que Dieu est juste et que sa justice ne peut pas dormir pour toujours ». Ces mots, nous devrions les garder à l’esprit, tout comme les réflexions de John Quincy Adams concernant le crime fondateur, et qui a duré des siècles, le sort de « cette malheureuse race des indigènes américains, exterminés de façon si impitoyable et avec une cruauté si perfide… parmi d’autres pêchés de ce pays, pour lesquels je crois que Dieu nous appliquera son jugement un jour ». Ce qui compte c’est notre jugement.

Tout cela a été effacé depuis si longtemps. On préfère en général éviter d’y penser.

George Yancy : Cette « ignorance volontaire » des vérités qui dérangent concernant la souffrance des Afro-américains peut également être employée pour parler du génocide des indigènes américains. C’est le taxonomiste suédois Carl von Linné au 18ème siècle qui a considéré que les indigènes américains étaient porteurs de certains traits, ils étaient ainsi « enclins à la colère », un mythe bien utile qui justifie le besoin pour les indigènes américains d’être « civilisés » par les blancs. Dans ce cas ce sont aussi des mythes. Comment l’ « amnésie » des États-Unis a contribué à des formes de racisme orientées seulement contre les indigènes américains à l’époque actuelle, et pour la poursuite de leur génocide ?

Noam Chomsky : Ce mythe si commode existait bien avant, et il est encore présent de nos jours. L’un des premiers mythes a été formellement créé juste après la Charte donnée à la colonie de la baie du Massachusetts par le roi d’Angleterre en 1629. Cette Charte stipulait que la conversion des Indiens au christianisme « est la fin principale de cette plantation ». Les colons ont aussitôt élaboré le Seau de la colonie, sur lequel on voit un Indien avec une lance pointée vers le bas en signe de paix, avec une parole qui émane de sa bouche sollicitant les colons : « Venez et aidez-nous ». C’est peut-être le premier cas d’ « intervention humanitaire » – et, curieusement, elle s’est achevée comme beaucoup d’autres.

Des années plus tard, Joseph Story, juge à la cour suprême méditait sur « la sagesse de la Providence » qui a fait disparaître les indigènes comme « des feuilles fanées à l’automne » alors que les colons les avaient « constamment respectés ». Inutile de dire, les colons qui n’avaient pas choisi de pratiquer l’ « ignorance volontaire » étaient beaucoup mieux renseignés. Et les plus informés, comme le général Henry Knox, le premier secrétaire à la Guerre des États-Unis, décrivait « l’extirpation totale de tous les Indiens dans les parties les plus peuplées de l’Union [par des moyens] plus destructifs pour les indigènes que les actes des conquistadors au Mexique et au Pérou ».

Know signalait ensuite qu’ « un historien, dans le futur, pourrait dépeindre sombrement cette destruction de la race humaine ». Peu d’historiens l’ont fait, très peu. C’est le cas de l’héroïque Helen Jackson, qui en 1880 a raconté de façon détaillée cette « triste expérience de confiance trahie, de traités violés et d’actes violents et inhumains qui fera rougir de honte ceux qui aiment ce pays ». Le livre de Jackson, si important, ne s’est guère vendu. On ne l’a guère prise en compte, ou bien on la contredisais. On préférait la version de Theodore Roosevelt, expliquant que « l’expansion des personnes de sang blanc, ou européen, durant les quatre derniers siècles… a apporté des bénéfices durables pour la plupart des gens qui habitaient là où l’expansion s’est produite », particulièrement pour ceux qui ont été extirpés ou expulsés, déclassés, miséreux.

Le poète national, Walt Whitman, illustre bien la perception générale lorsqu’il écrit : « Le nègre [« nigger »] comme l’Indien [« injun »] sera éliminé ; c’est la loi des races, de l’histoire… Des rats supérieurs arrivent, alors les rats inférieurs sont éliminés ». Ce n’est qu’en 1960 que l’ampleur de ces atrocités et leur description commencent à pénétrer l’université et, dans une certaine mesure, la conscience populaire, mais il reste encore fort à faire.

Ce n’est qu’un petit exemple de l’horrible histoire de l’anglosphère et de son impérialisme type colonie de peuplement, un type d’impérialisme qui mène assez naturellement à l’ « extirpation totale » de la population indigène – et à l’ « ignorance volontaire » de la part des bénéficiaires de ces crimes.

George Yancy : Votre réponse soulève la question de la colonisation comme forme d’occupation. James Baldwin dans son essai de 1966 « Reportage en territoire occupé » écrit : « Harlem est quadrillé par la police comme un territoire occupé ». Cette phrase me fait penser à Ferguson (Missouri). Certains des protestataires à Ferguson ont même fait la comparaison avec la bande de Gaza. Que pensez-vous de cette comparaison des occupations ?

Noam Chomsky : Toutes les comparaisons sont possibles. Lorsque je suis allé à Gaza il y a quelques années, ce qui m’est très vite revenu à l’esprit c’est mon expérience de la prison (pour désobéissance civile souvent) : la sensation, très étrange pour des gens ayant eu des vies privilégiées, d’être totalement sous le contrôle d’une autorité externe, arbitraire et, si tel est son souhait, cruelle. Mais les différences entre les deux cas sont, bien entendu, énormes.

D’une façon plus générale je suis assez sceptique quant à la valeur des comparaisons du genre que vous mentionnez. Il y aura bien sûr des points communs à beaucoup de cas d’autorité illégitime, de répression, de violence. Parfois elles éclairent, comme lorsque Michelle Alexander fait une analogie avec Jim Crow, dont je parlais plus haut. Parfois elles peuvent faire disparaître des différences importantes. Je ne vois franchement rien de plus à dire d’intéressant. Chaque comparaison doit être évaluée au cas par cas.

George Yancy : Ces différences sont grandes, je ne veux certainement pas toutes les citer. Dans l’après-11 septembre se crée une ambiance propice aux comparaisons. Certains pensent que les musulmans d’origine arabe ont pris aux Afro-américains leur place de paria aux États-Unis. Qu’en pensez-vous ?

Noam Chomsky : Le racisme anti-arabe et anti-musulman a une longue histoire, et il existe pas mal d’écrits à ce propos. Les études de Jack Shaheen sur les stéréotypes dans les médias télévisuels, par exemple. Et il ne fait aucun doute que c’est en augmentation ces dernières années. Rien que pour donner une exemple saisissant : l’un des films qui bat actuellement des records de spectateurs est décrit dans la section Art du New York Times de cette façon : « un film patriotique, familial ». Il s’agit d’un sniper qui affirme être lors de l’invasion états-unienne le champion des assassinats d’Irakiens. Il décrit fièrement ses cibles comme des « sauvages, méprisables, malfaisants… vraiment la seule façon de décrire ce que nous affrontions là-bas ». Il faisait précisément référence à son premier meurtre, une femme portant une grenade alors qu’elle se trouvait face à une attaque des forces états-uniennes.

Ce qui est important ce n’est pas seulement la mentalité du sniper, mais la réaction chez nous devant de tels exploits, lorsque nous envahissons et détruisons un pays étranger, distinguant difficilement un « raghead » d’un autre [« raghead », terme péjoratif pour parler d’une personne portant turban]. Cette perception remonte aux « Indiens sauvages et cruels » dont parle notre Déclaration d’Indépendance et à la sauvagerie diabolique de tous ceux qui se sont trouvés sur notre chemin depuis lors, particulièrement lorsqu’un élément « racial » peut être évoqué. Par exemple, Lyndon Johnson avertissait que si nous baissions notre garde nous nous trouverions à la merci de « n’importe quel nain jaune portant un petit couteau ». Cependant à l’intérieur des États-Unis bien qu’il y ait des incidents déplorables, le racisme anti-arabe et anti-musulman dans la société a été assez limité, je crois.

George Yancy : Dernièrement la réalité du racisme (anti-noir, anti-arabe, anti-juif, etc.) est très prégnante. Bien qu’il n’y ait pas de solution unique au racisme, dans ses différentes manifestations, que croyez-vous nécessaire pour en finir avec la haine raciale ?

Noam Chomsky : Il est facile de recourir aux réponses habituelles : éduquer, rechercher et régler ce qui se trouve aux origines de la maladie, s’assembler dans des entreprises communes – les luttes au travail ont été un exemple important –, etc. Les réponses sont justes et elles ont apporté beaucoup. Le racisme est loin d’être éradiqué, mais il n’est plus ce qu’il était il n’y a pas si longtemps, grâce à de tels efforts. C’est un long chemin, difficile. Pas de baguette magique, autant que je sache.

Noam Chomsky
George Yancy

27 mai 2015

Traduction (août 2015) : Numancia Martinez Poggi

Source : George Yancy, Le grand soir, 20-08-2015


Source: http://www.les-crises.fr/les-racines-du-racisme-aux-etats-unis-par-noam-chomsky/


Quand Philippe de Villiers déballe tout…

Wednesday 11 November 2015 at 02:30

Philippe de Villiers vient de sortir son livre « Le moment est venu de dire ce que j’ai vu », où, débarrassé de son statut d’homme politique, il parle sans filtre, sans volonté de plaire.

Je ne partage pas tout – en particulier les propos sur l’islam ou sur certaines valeurs -, mais le contenu sur la partie “vie politique” est d’une très grande pertinence, ce qui rejoint ce que j’ai pu constater moi-même…

Source: http://www.les-crises.fr/quand-philippe-de-villiers-deballe-tout/