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Privatisation : la tactique Atlantiste pour attaquer la Russie

Tuesday 23 February 2016 at 02:15

Source : CounterPunch, le 08/02/2016

Par PAUL CRAIG ROBERTS – MICHAEL HUDSON
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Il y a deux ans, des officiels russes discutaient de plans d’action pour privatiser un groupe d’entreprises nationales dirigées par le producteur de pétrole Rosneft, la banque VTB, Aeroflot, et Russian Railways. L’objectif de départ était de moderniser la gestion de ces sociétés, et aussi d’inciter les oligarques à commencer à ramener leurs capitaux expatriés depuis deux décennies pour les investir dans l’économie russe. La participation étrangère était sollicitée dans les cas où le transfert de technologie et les techniques de gestion pouvaient aider l’économie.

Toutefois, les perspectives économiques russes se sont détériorées, à mesure que les États-Unis poussaient les gouvernements de l’Ouest à imposer des sanctions économiques contre la Russie et que les prix du pétrole baissaient. Cela a rendu l’économie russe moins attractive pour les investisseurs étrangers. Dès lors la vente de ces sociétés aujourd’hui rapporterait des montants bien inférieurs à ce qu’ils auraient pu représenter en 2014.

Entre-temps, la combinaison d’une hausse du déficit budgétaire intérieur et du déficit de la balance des paiements a donné aux défenseurs de la privatisation un argument pour pousser davantage aux ventes. Le défaut dans leur logique est leur hypothèse néolibérale selon laquelle la Russie ne peut pas seulement monétiser son déficit, mais a besoin pour survivre de liquider plus d’éléments majeurs de son patrimoine. Nous mettons en garde la Russie d’être assez crédule pour accepter ce dangereux argument néolibéral. La privatisation n’aidera pas à la ré-industrialisation de l’économie russe, mais aggravera sa transformation en une économie rentière dont les profits seront extraits au bénéfice de propriétaires étrangers.

Pour s’en assurer, le président Poutine a mis en place le 1er février un ensemble de modalités dont le but est d’empêcher les nouvelles privatisations d’être aussi désastreuses que les ventes réalisées sous l’ère Eltsine. Cette fois les biens ne seront pas vendus en dessous du prix du marché, mais devront refléter la réelle valeur potentielle. Les firmes vendues resteront sous la juridiction russe, et ne seront pas gérées par des propriétaires étrangers. Les étrangers ont été invités à participer, mais les sociétés devront rester soumises aux lois et réglementations russes, y compris les restrictions concernant le maintien de leurs capitaux en Russie.

De plus, les firmes destinées à être privatisées ne peuvent être achetées grâce à un emprunt auprès d’une banque publique nationale. L’objectif est d’obtenir de “l’argent comptant” des rachats – idéalement de devises étrangères détenues par des oligarques de Londres et d’ailleurs.
Poutine a judicieusement écarté de la vente la plus grande banque de Russie, Sperbank, qui détient la plupart des comptes épargne de la nation. Les activités bancaires doivent évidemment rester largement un service public, et cela parce que la capacité de création monétaire par le crédit est un monopole naturel et de caractère intrinsèquement public.
Malgré ces protections ajoutées par le président Poutine, il y a de sérieuses raisons de ne pas poursuivre avec ces privatisations récemment annoncées. Ces raisons vont au-delà du fait qu’elles seraient vendues en période de récession économique résultant des sanctions économiques de l’Ouest et de la chute du prix du pétrole.

Le prétexte cité par les officiels russes pour vendre ces sociétés à l’heure actuelle est le financement du déficit du budget intérieur. Ce prétexte montre que la Russie ne s’est toujours pas remise du désastreux mythe de l’Ouest atlantiste selon lequel la Russie doit dépendre des banques étrangères et des porteurs d’obligations pour créer de l’argent, comme si la banque centrale russe n’était pas capable de monétiser elle-même son déficit budgétaire.

La monétisation des déficits budgétaires est précisément ce que le gouvernement des États-Unis a fait, et ce que les banques centrales de l’Ouest ont fait dans l’ère post-Seconde Guerre mondiale. La monétisation de la dette est une pratique courante à l’Ouest. Les gouvernements peuvent aider à relancer l’économie en imprimant de la monnaie au lieu d’endetter leur pays auprès de créanciers privés qui drainent les fonds du secteur public via le paiement des intérêts aux créanciers privés.
Il n’y a pas de raison valable de recueillir des fonds de banques privées pour fournir au gouvernement de l’argent lorsqu’une banque centrale peut créer le même argent sans avoir à payer les intérêts de prêts.

Néanmoins, il a été inculqué aux économistes russes la croyance occidentale selon laquelle seules les banques commerciales devraient créer de l’argent et que les gouvernements devraient vendre des obligations portant intérêt dans le but de recueillir des fonds. La fausse croyance selon laquelle seules les banques privées devraient créer de l’argent via des prêts mène le gouvernement russe sur le même chemin qui a conduit l’Euro-zone dans une impasse économique.

En privatisant la création monétaire par le crédit, l’Europe a fait passer la planification économique des mains des gouvernements démocratiquement élus vers celles du secteur bancaire.
La Russie n’a pas besoin d’accepter cette philosophie économique pro-rentière qui saigne un pays de ses revenus publics. Les néolibéraux l’ont promu non pas pour aider la Russie, mais pour mettre la Russie à genoux.

Essentiellement, ces russes alliés de l’Ouest – “intégrationnistes atlantistes” – qui veulent que la Russie sacrifie sa souveraineté pour l’intégration dans l’empire occidental utilisent les sciences économiques néolibérales pour prendre au piège Poutine et ouvrir une brèche dans le contrôle qu’a la Russie sur sa propre économie, rétabli par Poutine après les années Eltsine où la Russie était pillée par les intérêts étrangers.

Malgré quelques succès dans la réduction du pouvoir des oligarques résultant des privatisations d’Eltsine, le gouvernement russe a besoin de conserver les entreprises nationales comme pouvoir économique compensateur. La raison pour laquelle les gouvernements gèrent les réseaux de chemins de fer et les autres infrastructures fondamentales est de baisser le coût de la vie et celui de faire des affaires. Le but poursuivi par les propriétaires privés, au contraire, est d’augmenter les prix aussi haut qu’ils le peuvent. Cela est appelé “appropriation de la rente”. Les propriétaires privés dressent des postes de péage pour élever les coûts des services d’infrastructure qui ont été privatisés. Ceci est l’opposé de ce que les économistes classiques entendent par “libre marché”.

Il est question d’un marché qui a été conclu avec les oligarques. Les oligarques deviendront actionnaires dans des sociétés publiques avec l’argent des précédentes privatisations qu’ils ont caché à l’étranger, et obtiendront une autre “affaire du siècle” lorsque l’économie russe aura suffisamment récupéré pour permettre que d’autres gains excessifs soient faits.
Le problème est que plus le pouvoir économique passe du gouvernement au contrôle du secteur privé, moins le gouvernement a de pouvoir compensateur face aux intérêts privés. Sous cet angle, aucune privatisation ne devrait être permise à l’heure actuelle.

Des étrangers devraient encore moins être autorisés à acquérir des biens nationaux russes. Afin de recevoir un unique paiement en monnaie étrangère, le gouvernement russe remettra aux étrangers des sources de revenus futurs qui peuvent, et qui vont, être extraites de Russie et envoyées à l’étranger. Ce “rapatriement” des dividendes se produira même si la gestion et le contrôle restent géographiquement en Russie.

Vendre des biens publics en échange d’un paiement unique est ce que le gouvernement de la ville de Chicago a fait lorsqu’il a vendu contre un paiement unique les 75 ans de source de revenus de ses parcmètres. Le gouvernement de Chicago a obtenu de l’argent pour l’équivalent d’une année en abandonnant 75 ans de revenus. En sacrifiant les revenus publics, le gouvernement de Chicago empêchait les biens immobiliers et le patrimoine privé d’être taxés et permettait par la même occasion aux banques d’investissement de Wall Street de se faire une fortune.

Cela suscitât également un tollé public contre ce cadeau. Les nouveaux acheteurs augmentèrent brusquement les tarifs des stationnements de rue et poursuivirent le gouvernement de Chicago en dommages et intérêts lorsque la ville ferma les rues lors de parades publiques et pendant les vacances, en ce que cela “interférait” avec la rente d’exploitation des parcmètres. Au lieu d’aider Chicago, cela aida à pousser la ville vers la banqueroute. Il ne faut pas s’étonner que les atlantistes aimeraient voir la Russie subir le même sort.

Utiliser la privatisation pour couvrir à court terme un problème de budget crée un plus grand problème à long terme. Les profits des sociétés russes s’écouleraient en dehors du pays, réduisant le taux de change du rouble. Si les profits sont payés en rouble, les roubles pourraient être dopés par le marché de change étranger et échangés contre des dollars. Cela déprécierait le taux de change du rouble et augmenterait la valeur d’échange du dollar. En effet, autoriser les étrangers à acquérir les biens nationaux russes aide les étrangers à spéculer contre le rouble russe.

Bien sûr, les nouveaux propriétaires russes des biens privatisés pourraient aussi envoyer leurs profits à l’étranger. Mais au moins le gouvernement russe réalise que les propriétaires soumis à la juridiction russe sont plus facilement réglementés que ne le sont les propriétaires qui sont capables de contrôler les sociétés depuis l’étranger et de garder leurs fonds de roulement à Londres ou dans d’autres centres bancaires étrangers (tous soumis au levier diplomatique américain et aux sanctions de la nouvelle guerre froide).

A la racine de la discussion sur la privatisation devrait se trouver la question de ce qu’est l’argent et de la raison pour laquelle il devrait être créé par des banques privées plutôt que par des banques centrales. Le gouvernement russe devrait financer le déficit de son budget grâce à la banque centrale qui créerait l’argent nécessaire, tout comme les USA et le Royaume-Uni le font. Il n’est pas nécessaire au gouvernement russe d’abandonner pour toujours des sources de revenus futures simplement pour couvrir le déficit d’une année. Ceci est le chemin qui conduit à l’appauvrissement et à la perte d’indépendance économique et politique.

La globalisation a été inventée comme un outil de l’empire américain. La Russie devrait se protéger contre la globalisation, et non s’y ouvrir. La privatisation est le moyen pour diminuer la souveraineté économique et maximiser les profits en augmentant les prix.
Tout comme les ONG financées par l’Occident qui officient en Russie sont la cinquième colonne qui opère contre les intérêts nationaux russes, les économistes néolibéraux de Russie font de même, qu’ils le réalisent ou non. La Russie n’échappera pas aux manipulations de l’Occident tant que son économie ne sera pas hermétique aux tentatives occidentales de reformatage de l’économie russe dans l’intérêt de Washington et non dans celui de la Russie.

Source : CounterPunch, le 08/02/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/privatisation-la-tactique-atlantiste-pour-attaquer-la-russie/


« Terrorisme, une focalisation excessive » par Pascal Boniface

Tuesday 23 February 2016 at 01:20

Source : La Croix, Pascal Boniface, 15-02-2016

Pour Pascal Boniface, directeur de l’Iris (1), la menace terroriste ne saurait constituer le seul horizon de la réflexion stratégique et de l’action politique. Car il existe bien d’autres causes de mortalité qui doivent aussi nous préoccuper.

La menace terroriste est devenue le centre de l’horizon médiatique, politique et stratégique français. Pourrait-il en être autrement ? Les attentats des 7 et 9 janvier 2015 et ses 15 morts, le plus grand nombre de victimes du terrorisme depuis cinquante ans sur le territoire français, avaient frappé la nation au plus profond. Elle avait fait face avec près de quatre millions de citoyens manifestant leur refus de céder à la peur. Mais le 13 novembre, c’est 130 personnes qui perdirent la vie du fait d’attentats. Une escalade dans l’horreur, et dans les réactions qui ont suivi.

C’est devenu le sujet numéro un pour les médias qui ont vu leur nombre de téléspectateurs, auditeurs et lecteurs fortement augmenter et pour les responsables politiques qui doivent répondre à une demande de protection et de sécurité du public.

Dans l’ensemble, les Français ont réagi avec une très grande dignité à ces drames. Mais ils sont anxieux et ont besoin d’être rassurés.

Ne pas tomber dans le piège qui nous est tendu

On peut cependant se demander si, malgré l’intérêt marqué du public, on ne parle pas trop du terrorisme ? Et si, ce faisant, on ne tombe pas dans le piège qui nous est tendu ? Dès 1962, Raymond Aron écrivait que « les effets psychologiques du terrorisme étaient hors de proportion avec les résultats purement physiques ». C’est encore plus vrai à l’heure des chaînes d’informations permanentes parce que c’est exactement ce que recherchent ceux qui ont frappé et veulent encore le faire : marquer les esprits et prendre le leadership sur l’agenda. Ne risque-t-on pas alors de susciter un effet de galvanisation chez les terroristes, qui vont crier victoire au vu de l’ampleur des réactions qu’ils suscitent ? Cela leur permet de consolider leurs recrutements. Ne crée-t-on pas un effet d’imitation ou d’entraînement pour des esprits faibles qui pourraient, par mimétisme, essayer à leur tour de tenter de commettre un attentat ? Ne risque-t-on pas de nourrir un climat anxiogène qui pèse sur le moral de la nation et l’activité économique, à vivre dans l’angoisse de nouvelles frappes qui peuvent survenir à tout moment ? Et du coup de donner une victoire symbolique aux terroristes qui seront parvenus à marquer les esprits ?

La vigilance, pas la panique

Il ne s’agit pas de ne pas prendre en compte la menace. C’est indispensable. Mais faut-il en faire à ce point un élément du débat public ? Ne pourrait-on pas agir avant et en parler moins ? Par ailleurs, à trop se focaliser sur le terrorisme, n’oublie-t-on pas de réfléchir aux grandes évolutions mondiales, à la place de la France dans le monde, à ses marges de manœuvres qui ne peuvent se résumer à la lutte contre le terrorisme ?

Il y a d’autres facteurs de mortalité qui ne suscitent pas la même mobilisation. Il y a 130 personnes par jour qui meurent à cause de l’alcool. L’an dernier, 412 personnes sont mortes de froid dans la rue et 3 500 autres ont été victimes de la route, certes par accident, mais en grande partie par la délinquance routière. Chaque année, 150 personnes meurent de violences conjugales. Deux enfants meurent chaque jour sous les coups de leurs parents. Ces morts ne suscitent pas la même mobilisation.

Sans doute parce que ces morts ne sont pas le fait d’une action politique volontaire qui veut s’attaquer aux bases de notre société. Il y a une acceptation sociale beaucoup plus grande pour ces types de violence qui pourtant font chaque année, et depuis des décennies, beaucoup plus de victimes.

Les terroristes peuvent frapper en tous lieux et à tout moment. Il faut non pas s’y résigner mais s’y préparer, vivre avec ce risque comme nous vivons avec d’autres (maladies, accidents, etc.) en étant vigilants mais pas paniqués.

J’habite et travaille dans le 11e arrondissement de Paris, où ont eu lieu les attentats de novembre. J’ai plus peur pour mes enfants s’ils doivent faire de longs trajets de voiture que s’ils partent boire un verre dans le quartier.

Pour horribles qu’ils soient, ces attentats ne menacent notre société que si nous cédons à la peur. Il est contre-productif de se focaliser de façon excessive sur ce défi stratégique, au risque d’occulter tous les autres. Cela reviendrait à céder au spectaculaire et à l’irrationnel et ne pas voir le structurel et le rationnel.

 (1) Institut de relations internationales et stratégiques.

 Pascal Boniface

Source : La Croix, Pascal Boniface, 15-02-2016

Source: http://www.les-crises.fr/terrorisme-une-focalisation-excessive-par-pascal-boniface/


Revue de presse internationale du 21/02/2016

Monday 22 February 2016 at 10:55

Cette semaine notamment, plusieurs articles en traduction, des problèmes d’eau, des banques peut-être prises les mains dans la poudre, le Traité Transatlantique lu d’Allemagne, et même un peu de cinéma sous le thème Médiathèque ! Merci à nos contributeurs.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-internationale-du-21022016/


Le FMI suggère de ne pas trop payer les réfugiés en Europe

Monday 22 February 2016 at 03:01

Source : EurActiv, Cécile Barbière, 2O-01-2016

Le Fonds monétaire international suggère de ne pas accorder le salaire minimum aux réfugiés. L’organisation souligne également l’effet positif des dépenses pour les réfugiés sur le PIB européen.

Le FMI se penche dans un rapport publié le 20 janvier sur le défi économique posé par l’afflux de réfugiés en Europe. Un pensum au sein duquel il recommande un traitement différencié des réfugiés et des ressortissants des pays de l’UE.

Cette vaste migration, alimentée à la fois par la crise syrienne, mais aussi par les conflits en Afghanistan en Iraq et en Érythrée, inquiète en Europe, où la question de l’intégration économique, mais surtout sociale et culturelle a pris un tournant inquiétant depuis les événements de Cologne.

Entre janvier et octobre 2015, 995 000 réfugiés qui ont déposé une demande d’asile en Europe. Pour faire face à ce défi, le ministre allemand des Finance, Wolfgang Schauble, a récemment mentionné l’idée de la mise en œuvre d’une taxe sur l’essence en Europe, destinée à financer ce vaste chantier social.

Emploi fondamental

Mais selon le FMI, l’intégration économique des réfugiés dans leurs pays d’accueil passe avant tout pour l’emploi. Pour accélérer leur intégration, le FMI recommande la mise en œuvre « des dérogations temporaires et limitées au salaire minimum pour les réfugiés ». La proposition du FMI tend à corriger le déséquilibre initial qui existe entre les immigrants et les ressortissants du pays d’accueil sur le marché du travail.

Les immigrants ont généralement des taux d’emploi et des salaires inférieurs à la population du pays d’accueil. Une vérité qui est variable en fonction du niveau d’éducation et du niveau de langue, mais qui se vérifie globalement.

En Allemagne, où le FMI a mené une étude sur l’intégration des étrangers sur le marché du travail, les migrants gagnent en général 20 % de moins qu’un allemand à travail et compétence égale. Cette différence grimpe à 30 % sans maitrise de la langue allemande. Et en 2013, le taux de chômage des immigrants était deux fois plus élevé que celui des Allemands.

Flexibilité

La flexibilité sur le salaire minimum existe déjà dans certains pays, comme en Allemagne. En effet, les réfugiés peuvent y être assimilés aux chômeurs de longue durée, qui peuvent être temporairement exclus du salaire minimum pour les six premiers mois d’emploi.

Autre avantage d’une telle mesure, « diminuer le ressentiment possible » des citoyens du pays qui risquerait de percevoir les réfugiés comme des concurrents directs sur le marché du travail plutôt tendu en Europe.

Une crainte plutôt illégitime selon l’organisation, qui souligne qu’une très large majorité d’études a régulièrement pointé du doigt l’impact très faible des vagues migratoires sur les marchés de l’emploi.

Impact positif évident des dépenses pour les réfugiés

Les projections du FMI, si elles restent incertaines, pointent de manière plus générale un impact économique positif même à court terme. L’augmentation de dépenses publiques en faveur des réfugiés devrait « augmenter la demande intérieur et le PIB » souligne le rapport.

En effet, l’argent donné aux réfugiés est immédiatement dépensé, ce qui a un impact positif sur la demande. Selon le FMI, les dépenses en faveur des réfugiés dans les pays européens devraient augmenter de 0,05 point de PIB en 2015, et de 0,1 point en 2016 par rapport aux dépenses enregistrées en 2014.

Mais les disparités sont nombreuses entre les différents pays. La France, où le nombre de demandeurs d’asile en 2015 a augmenté de 22% selon l’Office française de protection des réfugiés et apatrides, le coût de prise en charge des réfugiés resterait plutôt stable. Il ne progresse que de 0,01 point de PIB entre 2014 et 2016.

À l’inverse, certains pays voient ces coûts exploser. Sans surprise, la part du PIB allemand consacré à la prise en charge des réfugiés pourrait passer de 0,08 à 0,35% entre 2014 et 2016. En Suède, le coût bondirait de 0,3% du PIB en 2014 à 1% en 2016.

Pour étayer ses projections, le FMI a tablé sur une arrivée de réfugiés égale à 800 000 personnes par an entre 2015 et 2017. Cette population devrait pouvoir travailler dans le pays d’accueil au bout de deux ans en moyenne.

Pourtant, l’effet à court terme de l’arrivée des réfugiés sur le PIB européen devrait être positif, souligne le FMI. La croissance du PIB pourrait ainsi gagner 0,05% en 2015, et 0,13% en 2017.

Là encore, les effets les plus visibles sont à relever dans les pays où la concentration du nombre de réfugiés est la plus importante. L’Autriche pourrait gagner 0,5% de PIB, la Suède 0,4% et l’Allemagne 0,3%.

À moyen terme, les effets de la vague de réfugiés sur la croissance européenne sont plus marqués. Le FMI estime 0,25% de PIB en plus au niveau de l’Union européenne, tandis qu’Allemagne, Autriche et Suède bénéficieraient d’un impact allant variant de 0,5% et 1,1%.

Ce article est également disponible en en_GB.

CONTEXTE

Des dizaine de milliers de réfugiés en provenance du Moyen-orient et d’Afrique empruntent la routes des Balkans pour rejoindre l’Europe, tandis que d’autre traversent la Méditerranée pour rejoindre les côtes italiennes.

Face à la plus importante crise migratoire depuis la seconde guerre mondiale, l’Union européenne peine à présenter un front uni.

En mai 2015, une proposition de la Commission européenne, qui souhaitait appliquer le principe de solidarité, pour que les demandeurs d’asile des pays les plus touchés par l’arrivée de migrants soient redirigés vers d’autres États membres, a été rejetée par les États membres.

Source : EurActiv, Cécile Barbière, 2O-01-2016

Source: http://www.les-crises.fr/le-fmi-suggere-de-ne-pas-trop-payer-les-refugies-en-europe/


Revue de presse du 21/02/2016

Sunday 21 February 2016 at 04:10

Avec cette semaine grâce à nos contributeurs, un peu de sciences, pas mal de bonne Réflexion, beaucoup côté médias et Conseil d’Etat – autrement dit des soucis quant à nos libertés et nos “démocraties”, peut-être un moustique bouc-émissaire, et quelques nouvelles de ce microcosme bien de chez nous… Bonne lecture.

Source: https://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-21022016/


1916: la bataille de Verdun, symbole de la guerre

Sunday 21 February 2016 at 01:50

Source : Christophe Barbier, pour L’Express, le 13 janvier 2016.

Bataille de Verdun: Français et Allemands se disputent quelques kilomètres, entre février et novembre 1916, au prix de 750000 tués ou blessés environ.

Bataille de Verdun: Français et Allemands se disputent quelques kilomètres, entre février et novembre 1916, au prix de 750000 tués ou blessés environ.

Si la bataille de la Somme fut aussi importante et plus meurtrière, c’est le combat livré pour défendre Verdun qui entre dans l’Histoire, jusqu’à devenir la métaphore même de la guerre. Ces trois cents jours d’enfer dominent le mitan d’un premier conflit mondial dont L’Express poursuit le récit.

La bataille de Verdun aurait pu s’appeler la bataille de Belfort. Et les noms de Douaumont, de Vaux ou du bois des Caures être remplacés, dans la mémoire nationale, par ceux de Cravanche, Châtenois-les-Forges et du mont Salbert. En effet, le commandement allemand hésite longuement, à la fin de 1915, entre ces deux cibles qui possèdent la même caractéristique: pour des raisons symboliques (la rive droite de la Meuse à Verdun, la résistance de Denfert-Rochereau à Belfort) autant que tactiques, la France ne peut se permettre de les perdre. Dans son fameux mémorandum de Noël, remis au Kaiser, Erich von Falkenhayn, le généralissime allemand, ne cite ni l’un ni l’autre, mais évoque ces “objectifs pour la conservation desquels le commandement français est obligé d’employer jusqu’à son dernier homme”. Formulée ex post par un militaire cherchant à minorer son échec, et fort contestée depuis, la thèse demeure intéressante: à Verdun, il s’agit de “saigner la France”, d’ouvrir sur son flanc une plaie béante par laquelle tant de vies s’écouleront que la reddition tricolore sera inévitable. Au grand quartier général de Chantilly, Joseph Joffre ne croit pas à cette stratégie, persuadé que Verdun est une diversion avant une attaque majeure ailleurs, et déterminé à ne pas se distraire de son ambition principale pour 1916: l’offensive franco-britannique majeure prévue dans la Somme au début de l’été.

En dix mois, 70 des 95 divisions françaises sont envoyées sur le front de Verdunvia la route, partant de Bar-le-Duc, qui sera baptisée "Voie sacrée" par Maurice Barrès.

En dix mois, 70 des 95 divisions françaises sont envoyées sur le front de Verdunvia la route, partant de Bar-le-Duc, qui sera baptisée “Voie sacrée” par Maurice Barrès.

Il lui faut pourtant vite reconnaître, dès que les canons écrabouillent sous les obus les alentours de Verdun, le 21 février, qu’il va se jouer là un épisode majeur du conflit. Verdun, c’est “la guerre dans la guerre”, comme le dit Paul Valéry. Verdun, c’est aussi la “métaphore de la guerre”, selon l’expression de Jean-Yves Le Naour, auteur d’une indispensable somme consacrée à 14-18 (1). Verdun, c’est encore le modèle de l'”hyperbataille”, concept forgé par un autre historien, François Cochet, et qui mêle l’ampleur matérielle d’une attaque à ses ravages humains. Verdun, c’est enfin la mémoire collective, française d’abord, puis universelle après l’apparition, main dans la main sur le site, en septembre 1984, de François Mitterrand et de Helmut Kohl. Verdun, vu depuis 2016, résume 14-18; vu depuis 1916, Verdun résume l’enfer.

Dix mois de combats à Verdun, moins de vingt-quatre heures à Austerlitz

François Cochet le note dans La Grande Guerre (Perrin): 11824 référencements sont consacrés à Verdun dans le fonds bibliographique Gallica… Suprématie frappée du sceau du symbole, et néanmoins injuste, car la bataille de la Somme, la même année, est tout aussi importante et plus meurtrière. Verdun, c’est un front d’à peine 20 kilomètres, mais sur ces arpents, six obus tombent pour chaque mètre carré de terre entre février et décembre – sanglant labourage. A ce roulement meurtrier s’oppose la rotation des effectifs, qui en dix mois fait passer par ces lignes 70 divisions sur les 95 de l’armée française, afin d’y engager des troupes toujours fraîches, grâce à la fameuse “noria” de camions qui emprunte la “Voie sacrée” célébrée ensuite par Maurice Barrès. La première caractéristique d’une hyperbataille est sa durée: dix mois pour Verdun, la moitié pour la Somme, quand Austerlitz ou Waterloo se conclurent en moins de vingt-quatre heures. La seule hyperbataille courte en 1916 est celle du Jutland, parce qu’elle est navale: 103 bâtiments allemands commandés par l’amiral Scheer affrontent, le 31 mai, les 151 unités de la flotte britannique de l’amiral Jellicoe. Mais la brièveté n’empêche pas la violence (2551 tués côté Reich, 6094 côté Royaume-Uni) et crée l’incertitude, car on ne sait pas vraiment qui sort vainqueur de ce choc. L’hyperbataille, c’est d’abord une affaire de matériel: le jour du déclenchement de Verdun, les Allemands ont amassé 3 millions d’obus face à leur cible – contre 15000 en stock dans les lignes françaises. La France disposait en 1915 de 1100 canons sur les 25 kilomètres de front pour l’offensive de Champagne, l’Allemagne en aligne 1500 sur 10 kilomètres à Verdun. Et dans la Somme, les Alliés mettent en batterie, du 24 au 28 juin, un canon tous les 18 mètres, pour jeter en quatre jours 2 millions d’obus sur les troupes du Kaiser.

Verdun en ruines (photo non datée). Le 21 février, aux premières heures de la bataille, 1300 obusiers allemands pilonnent le front en vue de prendre la ville.

Verdun en ruines (photo non datée). Le 21 février, aux premières heures de la bataille, 1300 obusiers allemands pilonnent le front en vue de prendre la ville.

Mais, autant les Français n’ont guère anticipé l’attaque allemande à Verdun, autant les Allemands se préparent dans la Somme, en bâtissant les Stollen, abris de béton enfouis jusqu’à 10 mètres sous la surface, d’où ils sortent avec leurs mitrailleuses, sourds mais aptes au combat, pour faucher des tommies qui s’avancent au pas, benêts, pensant que toute vie a été effacée devant eux. L’hyperbataille, c’est la quantité de matériels, qu’illustre une fameuse “liste de courses” de Ferdinand Foch, avant la Somme, où l’on trouve 2,5 millions de grenades ou encore 3200 téléphones avec leurs 13200 kilomètres de câbles; mais c’est aussi la “qualité”, c’est-à-dire l’innovation. En 1916, les airs deviennent un champ de bataille décisif: le 29 janvier, les zeppelins, volant très haut, gagnent sans encombre Paris pour y jeter des bombes; aux premiers jours de Verdun, les chasseurs allemands se relaient pour que les avions ennemis ne puissent venir repérer les batteries qui tonnent et guider la riposte d’artillerie. La France se met vite à la hauteur, avec des avions plus légers, qui volent à 162 kilomètres/heure et dont les mitrailleuses tirent entre les pales des hélices – dans la Somme, le ciel est totalement franco-britannique. Le progrès est aussi au sol, avec l’apparition côté allemand du terrifiant Flammenwerfer, un lance-flammes qui grille à 15 mètres des soldats attendant, baïonnette au canon, l’assaut de leur tranchée, et, côté britannique, le surgissement stupéfiant, le 15 septembre à l’aube, des premiers chars d’assaut. Armés de canons quand ils sont dits “mâles” et de mitrailleuses dans leur version “femelle”, 36 chars de 30 tonnes chacun ont été acheminés de nuit pour créer la surprise. Elle est complète, qui amène les commentateurs à évoquer des “châteaux roulants” ou le retour des éléphants d’Hannibal. Mais les chars sont trop peu nombreux pour emporter seuls la victoire, leurs chenilles se bloquent parfois et le “marmitage” ennemi, alors, les détruit.

“Verdun, une bataille politique”

L’hyperbataille demeure donc une affaire d’hommes, tels les chasseurs du lieutenant-colonel Driant, massacrés le 21 février en défendant le bois des Caures: ils reçoivent trois obus par seconde de 7 heures à 16 heures, qui tuent 75% d’entre eux, mais les 350 survivants stoppent 10000 fantassins allemands pendant deux jours. Il y a aussi les soldats qui montent sur leur dos de quoi installer un téléphérique sur l’Isonzo, théâtre de nombreux combats entre Italiens et Austro-hongrois. Il y a enfin tous ceux qui servent de chair à canon, broyés par les obus en “défensive” ou hachés par les mitrailleuses lors des offensives.

Côté "boche", 337 000 soldats sont tués ou blessés à Verdun.

Côté “boche”, 337 000 soldats sont tués ou blessés à Verdun.

Au cours du bloodiest day, le 1er juillet, les Britanniques perdent, selon les sources, entre 40000 et 60000 hommes, tués ou blessés, dont 30000 tombés en six minutes! Pour François Cochet, même si les calculs s’entrechoquent dans les grimoires comme les soldats sur le terrain, on peut estimer à 1312856 les hommes mis hors de combat dans la Somme. Quant à Verdun, les chiffres s’élèvent à près de 750000… Ces soldats ne tombent pas sans raison: des chefs les envoient se battre dans la boue. Jean-Yves Le Naour a ainsi raison d’intituler l’un de ses chapitres “Verdun, une bataille politique”. Tout au long de l’année 1916, le conflit dégénère entre la Chambre et le GQG, c’est-à-dire entre les parlementaires (mais aussi l’exécutif) et le généralissime Joffre. On le voit dès le 1er janvier, quand le président de la République, Raymond Poincaré, veut aller visiter la place de Verdun, qu’on lui dit “stratégique”: Joffre l’en dissuade. Une fois la bataille enclenchée, Poincaré se rend à six reprises, dans l’année, sur les arrières du champ de bataille. Perdre Verdun serait, dit-on à Paris, une “catastrophe parlementaire”, c’est-à-dire que le gouvernement, dirigé par Aristide Briand, n’y survivrait pas – et que peut-être le régime lui-même serait mis à bas pour que les militaires commandent vraiment… Verdun, c’est donc le nouveau Valmy dans les discours, mais dans les couloirs du pouvoir, le prétexte à toutes les manigances. On joue Castelnau contre Joffre, Nivelle contre Pétain…

Tous les jours, Georges Clemenceau lâche ses coups dans son journal, L’Homme enchaîné. Le 16 juin commence le “comité secret”, des séances parlementaires à huis clos, mais Briand retourne la situation et le quotidien Excelsior, à sa Une du 10 juillet, le représente foulant une peau de tigre… Néanmoins, il a compris qu’il ne pourrait durer vraiment qu’en sacrifiant Joffre. Dès le 14 février, le rapport du sénateur Charles Humbert accable l’homme de Chantilly: “Ce pays va à sa perte si on ne change pas les hommes.” Le général Gallieni, sauveur de Paris nommé ministre de la Guerre, s’use en affrontements avec Chantilly, et finit par remettre en Conseil des ministres, le 7 mars, une note accablante que nul ou presque ne veut prendre en main et dont Briand niera longtemps l’existence. Malade de la vessie – en fait, atteint d’un cancer de la prostate qui l’emporte le 27 mai -, Gallieni démissionne le 10 mars. “Moi, du moins, j’ai essayé d’être ministre de la Guerre”, plaide-t-il. Et Briand réplique, cynique: “Veni, vidi, vessie…” Pendant ce temps, les poilus tombent par milliers… Ce que Gallieni ni Clemenceau n’ont décroché, le sang va l’obtenir: la tête de Joffre. Même si le fort de Douaumont est repris le 24octobre, même si la bataille de Verdun est jugée officiellement gagnée le 19 décembre, trop de vies ont été perdues pour trop peu de gains: le retour aux lignes du début de 1916 dans la Meuse, une dizaine de kilomètres de progression dans la Somme.

Dans les rangs français, Verdun a fait 362 000 victimes.

Dans les rangs français, Verdun a fait 362 000 victimes.

Le 3 décembre, Briand propose à Joffre d’être nommé maréchal de France et installé à Paris en un commandement suprême chargé de coordonner les visées du gouvernement et celles des armées. Le généralissime accepte, mais constate vite qu’on lui refuse l’état-major promis, qu’il n’a pas même de bureau au ministère et doit s’installer dans une pièce vide de l’Ecole militaire… dont il paie le chauffage! Raymond Poincaré lui remet son bâton de maréchal à la sauvette, sans cérémonie, et indique ainsi sa véritable affectation à celui qui semblait indéboulonnable un an plus tôt: la retraite…

Pourtant, 1916 aurait pu être l’année de la paix

La politique est tout aussi retorse loin de France. Même si le courageux Broussilov attaque les troupes de Vienne le 4 juin, pour fixer l’ennemi sur place avant l’offensive de la Somme, la Russie n’envoie que 50000 soldats à l’Ouest, sur les 400000 réclamés. De même, quand la Roumanie attaque la Hongrie, le 28 août, les Alliés ne tiennent aucun de leurs engagements: l’armée d’Orient n’avance pas, pas plus que les Russes, pour aider Bucarest. Quand la Bulgarie pénètre en Roumanie, la situation se retourne et les Austro-Hongrois prennent Bucarest le 6 décembre… Pourtant, 1916 aurait pu être l’année de la paix. Pas tant celle rêvée par les militants pacifistes de la conférence de Kienthal, en Suisse, où apparaissent “à titre personnel” trois députés français, que celle proposée subitement, le 12 décembre, par le chancelier allemand Bethmann-Hollweg. Las! En cette offre imprécise Français et Britanniques voient un piège: l’Allemagne veut juste reprendre son souffle après une année terrible. Même les Etats-Unis, qui ont tenté depuis plusieurs mois de faire cesser les hostilités, se résignent, conscients que la guerre sous-marine, bientôt relancée par Berlin, les contraindra à entrer en guerre dès qu’un navire américain sera frappé. Le conflit durait depuis dix-sept mois quand 1916 s’est ouverte, il va en durer encore vingt-deux quand 1916 se clôt. L’Allemagne n’a pas saigné la France à Verdun, pas plus que le “On les aura!” lancé le 10 avril, dans une note à ses troupes, par le général Pétain, n’a été vraiment couronné de succès. Le 21 novembre 1916, Aristide Briand demande le recensement de la classe 18, en vue de son appel anticipé sous les drapeaux. Le massacre continue…

(1) 1916. L’enfer, par Jean-Yves Le Naour. Perrin, 376p., 23€.



LA BATAILLE DE VERDUN : NOUVELLE VIDEO !


Ce que fut, il y a 40 ans, la bataille de Verdun. A l’occasion du 40ème anniversaire de la bataille de Verdun, rétrospective en images des assauts militaires à Verdun et à Douaumont en 1916. Commentaires sur des images d’illustration des différents sites, de la visite des lieux par les survivants du conflit et des cimetières de soldats. Extrait du discours du Président COTY lors de la cérémonie commémorative.

Première Guerre Mondiale : 1916, L’enfer de Verdun – Documentaire complet

Source: http://www.les-crises.fr/1916-la-bataille-de-verdun-symbole-de-la-guerre/


Chirac, Bush et l’Apocalypse, par Eric Mandonnet

Sunday 21 February 2016 at 01:00

Source : L’Express, Eric Mandonnet, 26-02-2009

 En 2003, le président français comprit, par un coup de fil de son homologue américain, ce qui poussait ce dernier à vouloir faire la guerre à l’Irak.

Directeur de la rédaction du Journal du dimanche entre 1999 et 2005, Jean-Claude Maurice rencontre à une dizaine de reprises, en tête à tête, Jacques Chirac, alors chef de l’Etat. Et notamment en 2003, avant la guerre que les Etats-Unis s’apprêtent à déclencher en Irak et à laquelle le président français s’opposera. Dans Si vous le répétez, je démentirai, à paraître le 5 mars, il raconte. Extraits.

[…] Jacques Chirac l’a appris, le mois précédent, de la bouche même de Bush Jr. Une révélation reçue d’abord avec étonnement, puis, renseignement pris, avec effroi. Lors de cette conversation téléphonique visant à convaincre son homologue français de se joindre à la coalition, George Bush Jr. a utilisé un argument singulier, affirmant que… “Gog et Magog sont à l’oeuvre au Proche-Orient” et que “les prophéties bibliques sont sur le point de s’accomplir”. Sur le moment, Jacques Chirac, stupéfait, ne réagit pas. Il sait Bush religieux, mais il a du mal à comprendre que le président de la première puissance du monde soit à ce point fondu des Ecritures qu’il batte le rappel des duettistes Gog et Magog pour justifier son combat! Chirac s’en ouvre à ses conseillers, d’abord portés à sourire. Il les charge de l’éclairer plus précisément sur Gog et Magog.

Un jour plus tard, George Bush récidive, prononçant ces deux noms mystérieux lors d’une conférence de presse sur “l’axe du mal”. L’Elysée consulte d’urgence un spécialiste. Pas en France, mais en Suisse, pour éviter d’éventuelles fuites. C’est Thomas Römer, professeur de théologie à l’université de Lausanne, qui est mis à contribution. Son rapport a de quoi glacer le sang. Gog, prince de Magog, c’est l’apocalypse. Ce personnage apparaît dans la Genèse, et surtout dans deux des plus obscurs chapitres du Livre d’Ezéchiel, prophétie d’une armée mondiale livrant la bataille finale à Israël. Un conflit voulu par Dieu qui doit, terrassant Gog et Magog, anéantir à jamais les ennemis du peuple élu avant que naisse un monde nouveau.

Pour un esprit français, l’évocation de Gog et Magog pouvait prêter à rire. Chirac, lui, ne rit pas. Cette parabole d’une apocalypse annoncée pour réaliser une prophétie l’inquiète et le tourmente. Il s’interroge aussi sur l’inculture religieuse à l’heure où les soubassements religieux sont beaucoup plus déterminants qu’on ne veut le croire dans les décisions politiques et militaires. […]

Jacques Chirac dès lors ne s’y trompe pas. Le président américain a sommairement décrypté les Ecritures: une armée mondiale islamiste fondamentaliste menace le monde occidental qui soutient Israël. Les attentats du 11 septembre contre les tours de Manhattan en sont la preuve. […] “Ils vont mettre la région à feu et à sang. Ils ne comprennent rien à rien et sont d’une inculture crasse en ce qui concerne un Orient déjà compliqué. Demandez-leur de vous citer le nom d’un poète arabe. C’est tout juste si pour eux l’affrontement entre chiites et sunnites ne renvoie pas à la finale d’un Super Bowl du Moyen-Orient!” Et d’énumérer tout ce qui va se passer. “Vous verrez: ils vont mener une guerre de Pandore, la gagner rapidement, mais le plus dur alors commencera. Sunnites et chiites vont se déchirer. Après l’invasion, une guerre civile fera plus de victimes civiles que les combats de la guerre éclair. Al-Qaeda trouvera en Irak un terrain de manoeuvre qui lui est jusqu’ici interdit. Dans un an, il faudra envoyer des renforts. Et dans trois ans, quand 3000 GI seront morts, ils n’auront le choix qu’entre le retrait et l’envoi de nouvelles troupes.”

Source : L’Express, Eric Mandonnet, 26-02-2009

Source: http://www.les-crises.fr/chirac-bush-et-lapocalypse-par-eric-mandonnet/


L’acte révolutionnaire de dire la vérité (John Pilger)

Sunday 21 February 2016 at 00:50

Source :  LEPARTAGE 13 OCTOBRE 2015

John Pilger est un journaliste de nationalité Australienne, né à Sydney le 9 Octobre 1939, parti vivre au Royaume-Uni depuis 1962. Il est aujourd’hui basé à Londres et travaille comme correspondant pour nombre de journaux, comme The Guardian ou le New Statesman.

Il a reçu deux fois le prix de meilleur journaliste de l’année au Royaume-Uni (Britain’s Journalist of the Year Award). Ses documentaires, diffusés dans le monde entier, ont reçu de multiples récompenses au Royaume-Uni et dans d’autres pays.

John Pilger est membre, à l’instar de Vandana Shiva et de Noam Chomsky, de l’IOPS (International Organization for a Participatory Society), une organisation internationale et non-gouvernementale créée (mais encore en phase de création) dans le but de soutenir l’activisme en faveur d’un monde meilleur, prônant des valeurs ou des principes comme l’autogestion, l’équité et la justice, la solidarité, l’anarchie et l’écologie.

Article initialement publié le 30 septembre 2015, en anglais, sur le site officiel de John Pilger, à cette adresse.


George Orwell a écrit qu’à « une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire ».

Nous vivons une sombre époque, dans laquelle la propagande de la supercherie affecte nos vies à tous. Comme si la réalité politique avait été privatisée, et l’illusion légitimée. L’ère de l’information est une ère médiatique. Nous avons une politique médiatique ; une censure médiatique ; une guerre médiatique ; des représailles médiatiques ; une diversion médiatique — une chaîne de production surréaliste de clichés et d’idées fausses.

Notre merveilleuse technologie est devenue notre amie autant que notre ennemie. A chaque fois que nous allumons un ordinateur ou prenons en main un appareil électronique — les chapelets de ce siècle — nous sommes soumis à un contrôle : à la surveillance de nos habitudes et de nos routines, et aux mensonges et à la manipulation.

Edward Bernays, qui inventa l’expression « relations publiques », un euphémisme pour « propagande », a prédit cela il y a plus de 80 ans, en qualifiant ce phénomène de « gouvernement invisible ».

Il a écrit que « ceux qui manipulent cet élément invisible de [la démocratie moderne] constituent un gouvernement invisible représentant la véritable force dirigeante de notre pays… Nous sommes gouvernés, nos esprits sont façonnés, nos goûts créés, nos idées suggérées, en grande partie par des gens dont nous n’avons jamais entendu parler… »

Le but de ce gouvernement invisible est de prendre possession de nous: de notre conscience politique, de notre perception du monde, de notre aptitude à penser indépendamment, de notre aptitude à séparer le vrai du faux.

Il s’agit d’une forme de fascisme, un mot que nous avons raison d’utiliser prudemment, préférant l’associer aux troubles du passé. Mais un fascisme moderne insidieux est aujourd’hui le principal danger. Comme dans les années 1930, d’énormes mensonges sont délivrés avec la régularité d’un métronome. Les musulmans sont mauvais. Les fanatiques saoudiens sont bons. Les fanatiques d’ISIS sont mauvais. La Russie est toujours mauvaise. La Chine commence à le devenir. Bombarder la Syrie est bon. Les banques corrompues sont bonnes. La dette corrompue est bonne. La pauvreté est bonne. La guerre est normale.

Ceux qui remettent en cause ces vérités officielles, cet extrémisme, sont jugés comme fous — jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’ils ne l’étaient pas. La BBC fournit ce type de service gratuitement. Ne pas se soumettre c’est se voir qualifier de « radical » — peu importe ce que cela signifie.

La véritable dissidence devient exotique; et pourtant les dissidents n’ont jamais été aussi importants. Le livre que je lance ce soir, « Le dossier WikiLeaks », est un antidote au fascisme qui ne dit jamais son nom. C’est un livre révolutionnaire, tout comme WikiLeaks est révolutionnaire — dans la même veine que ce dont parlait Orwell dans la citation que j’ai utilisée au début de ce texte. Car il explique que nous n’avons pas à accepter ces mensonges quotidiens. Nous n’avons pas à rester silencieux. Ou, comme l’a autrefois chanté Bob Marley : « Emancipate yourself from mental slavery » (« Emancipez-vous de l’esclavage mental »).

Dans l’introduction, Julian Assange explique que ce n’est jamais suffisant de divulguer les secrets des grands pouvoirs: qu’il est crucial de les comprendre, ainsi que de les replacer dans le contexte actuel, et de les intégrer à la mémoire historique.

Tel est l’accomplissement remarquable de cette anthologie, qui se réapproprie notre mémoire. Elle connecte les raisons et les crimes qui ont entraîné tant de bouleversements humains, du Vietnam et de l’Amérique Centrale, jusqu’au Moyen-Orient et à l’Europe de l’Est, toujours au sein de la matrice d’un pouvoir vorace, celui des États-Unis.

Il y a actuellement une tentative États-unienne et européenne de destruction du gouvernement Syrien. Le premier ministre David Cameron semble en être particulièrement désireux. C’est ce même David Cameron dont je me souviens comme d’ un homme mielleux lorsqu’il était en charge des relations publiques pour les requins financiers d’une chaîne de télévision privée britannique (Carlton Communication).

Cameron, Obama et le toujours plus obséquieux François Hollande veulent détruire la dernière autorité multiculturelle restante en Syrie, une action qui ouvrira certainement la voie aux fanatiques d’ISIS.

C’est, bien sûr, totalement démentiel, et l’immense mensonge qui justifie cette démence c’est que cela serait pour soutenir les Syriens qui se sont soulevés contre Bashar el-Assad lors du printemps arabe. Comme le révèlent les dossiers WikiLeaks, la destruction de la Syrie est un vieux projet des impérialistes cyniques qui date d’avant les soulèvements du printemps arabe contre Assad.

Pour les dirigeants du monde, à Washington et en Europe, le véritable crime de la Syrie n’est pas la nature oppressive de son gouvernement, mais son indépendance du pouvoir États-unien et Israélien — tout comme le véritable crime de l’Iran est son indépendance, et ainsi de suite pour la Russie, et la Chine. Dans un monde détenu par les États-Unis, l’indépendance est intolérable.

Ce livre révèle ces vérités, l’une après l’autre. La vérité sur une guerre contre le terrorisme qui fut toujours une guerre du terrorisme ; la vérité sur Guantanamo, la vérité sur l’Irak, l’Afghanistan, et l’Amérique Latine.

De telles vérités n’ont jamais été aussi nécessaires. A quelques honorables exceptions près, ceux des médias, soi-disant payés pour s’en tenir aux faits, sont maintenant absorbés dans un système de propagande qui ne relève plus du journalisme, mais de l’anti-journalisme. C’est aussi vrai des libéraux et des respectables que de Murdoch. A moins d’être prêt à surveiller et déconstruire chacune de leurs spécieuses affirmations, les prétendues « actualités » sont devenues irregardables et illisibles.

En lisant les dossiers WikiLeaks, je me suis souvenu des mots du défunt Howard Zinn, qui faisait souvent référence à « un pouvoir que les gouvernements ne peuvent supprimer ». Cela décrit WikiLeaks, et cela décrit les véritables lanceurs d’alertes qui partagent leur courage.

Sur le plan personnel, je connais les gens de WikiLeaks depuis déjà quelques temps. Qu’ils aient accompli ce qu’ils ont accompli dans des circonstances ne relevant pas de leur choix est une source d’admiration constante. Leur sauvetage d’Edward Snowden en est un bon exemple. Tout comme lui, ils sont héroïques : rien de moins.

Le chapitre de Sarah Harrison, « Indexer l’Empire », décrit comment ses camarades et elle ont mis en place une véritable bibliothèque publique de la diplomatie US. Il y a plus de 2 millions de documents maintenant accessibles à tous. « Notre ouvrage », écrit-elle, « est dédié à un objectif : que l’histoire appartienne à tout le monde. » Lire ces mots est exaltant, et cela témoigne de son propre courage.

Depuis le confinement d’une pièce de l’ambassade équatorienne à Londres, le courage de Julian Assange est une réponse éloquente aux lâches qui l’ont traîné dans la boue et au pouvoir sans scrupules qui cherche à prendre sa revanche contre lui, et qui mène une guerre contre la démocratie.

Rien de tout cela n’a dissuadé Julian et ses camarades de WikiLeaks : pas le moins du monde. Et ce n’est pas rien.

John Pilger


Traduction: Nicolas Casaux

Édition & Révision: Héléna Delaunay


Source: http://www.les-crises.fr/lacte-revolutionnaire-de-dire-la-verite-john-pilger/


Daesh a déjà utilisé des armes chimiques, selon la CIA

Saturday 20 February 2016 at 01:00

Source : Direct Matin, AFP, 12-02-2016

Daesh a déjà utilisé à plusieurs reprises des armes chimiques sur le champ de bataille et peut fabriquer des petites quantités de chlorine et de gaz moutarde, déclare le directeur de la CIA John Brennan à la chaîne CBS.

“Il y a un certain nombre de fois où Daesh a utilisé des armes chimiques sur le champ de bataille”, a-t-il dit selon des extraits d’une interview diffusés jeudi par la chaîne. “La CIA pense que Daesh a la capacité de fabriquer des petites quantités de chlorine et de gaz moutarde”, a-t-il également indiqué.

Interrogé sur la capacité des jihadistes à exporter ces agents chimiques pour une utilisation hors d’Irak ou de Syrie, M. Brennan a répondu qu’il était possible que cela arrive.”C’est pour cela qu’il est si important de couper les diverses routes de transport et de contrebande que (les jihadistes) ont utilisé”, a-t-il souligné.Mardi, le coordonnateur du renseignement américain James Clapper avait affirmé Daesh avait “utilisé des produits chimiques toxiques en Irak et en Syrie, y compris” le gaz moutarde.

Il avait expliqué que c’était la première fois qu’un groupe extrémiste avait produit et utilisé un agent chimique dans une attaque, depuis l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, en 1995. Depuis le début du conflit syrien, les camps en présence ont été accusés à plusieurs reprises d’avoir eu recours à des armes chimiques. Mi-août, un responsable américain avait déjà indiqué, sous couvert de l’anonymat, que l’administration américaine jugeait “plausible” l’utilisation de gaz moutarde par le groupe Etat islamique.

Ces déclarations étaient survenues quelques jours après une attaque de Daesh le 11 août dans les environs de Makhmour, dans le nord de l’Irak, où l’utilisation d’armes chimiques par les jihadistes avait été alléguée par plusieurs sources.En octobre, le gouvernement du Kurdistan autonome irakien a indiqué que les tests sanguins chez des combattants peshmergas engagés dans l’épisode de Makhmour avaient bien montré la présence “des traces de gaz moutarde”.

Source : Direct Matin, AFP, 12-02-2016

Source: http://www.les-crises.fr/daesh-a-deja-utilise-des-armes-chimiques-selon-la-cia/


L’Euro contre la France, par Jacques Sapir

Friday 19 February 2016 at 15:59

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 15-02-2016

Notre pays avait approuvé, de très peu, lors du référendum du 20 septembre 1992 sur le traité sur l’Union européenne, dit aussi Traité de Maastricht, le principe de la monnaie unique. Cette dernière est entrée en service d’abord en 1999 (pour ce qui est des transactions bancaires), puis en janvier 2002, pour ce qui est de l’Euro fiduciaire. Cela fait donc aujourd’hui plus de 17 ans que nous vivons sous le régime de l’Euro, dont 14 années très concrètement. En fait, il faut même remonter au début des années 1990 car la volonté de « qualifier » la France pour la monnaie unique a pesé lourdement sur la politique économique et ce bien avant le 1er janvier 1999.

Il est temps aujourd’hui d’en tirer le bilan. Le discours en faveur de l’Euro prétend se fonder sur des bases scientifiques. Regardons donc ce qu’il en est. Mais, le discours officiel sur l’Euro prétend que ce dernier aurait amélioré la situation globale de la France. Vérifions donc aussi cette affirmation. Et surtout, posons nous la question des conséquences politiques de l’introduction de l’Euro sur la société française.

La « bonne nouvelle » des économistes et l’imposture

Des économistes avaient préparé, dans leurs travaux, la venue de la monnaie unique. Ils sont nombreux mais nous ne présenterons ici que les trois principales contributions, celles de Robert Mundell, de R. McKinnon et de Peter Kennen. Ces économistes, tels les trois rois mages des évangiles, sont donc venus porter la « bonne nouvelle », et leurs travaux ont eu une influence considérable sur les autres économistes, non pas tant en les convaincant de la nécessité d’une monnaie unique mais en les persuadant que la flexibilité du taux de change était désormais superflue. Pourtant, des travaux récents montrent le contraire. Il faut, alors revenir sur ces travaux théoriques pour tenter de discerner le vrai du faux.

La théorie des zones monétaires optimales (ou ZMO) fut énoncée par l’économiste Robert Mundell en 1961[1]. Deux ans plus tard, c’est R. McKinnon qui apporta sa pierre à l’édifice théorique des ZMO[2]. Dans son papier, il explique que plus l’ouverture d’une économie sur l’extérieur est importante et plus l’importance du taux de change s’en trouve réduite. En conséquence l’intérêt d’un ajustement par le taux de change est faible. Quant à Peter Kennen[3], il montrait que si l’économie d’un pays était diversifiée, cette diversification réduisait l’ampleur de ce que les économistes appellent des « chocs exogènes », et permettait à ce pays d’être lié à d’autres par un taux de change fixe. De ces travaux, on pouvait donc déduire qu’un pays a intérêt à se lier à d’autres par une monnaie unique sous réserve que le capital et le travail soient parfaitement flexibles (ce que montre Mundell), qu’il soit très ouvert sur le commerce international (McKinnon) et que son économie soit largement diversifiée (Kennen). De plus, les mouvements monétaires extrêmement importants qui s’étaient produits de 1975 à 1990 n’avaient pas induits de changements spectaculaires dans les balances commerciales. Certains économistes en avaient alors déduit que la sensibilité des exportations (et des importations) au prix de ces produits était en réalité faible dans l’économie moderne. S’était alors développée l’idée que le commerce international se jouait essentiellement sur la qualité des produits. Le fait qu’un économiste ait formulé cette hypothèse dans les années 1950[4] était alors perçu comme la vérification théorique d’un fait validé empiriquement.

D’autres économistes sont venus démontrer, du moins le croit-on, que des pays tireraient des avantages économiques importants d’une monnaie unique. Cette dernière était censée donner naissance à une augmentation très forte des flux commerciaux entre les pays de la zone monétaire ainsi constituée et donc faire croître la production. A l’origine on trouve des travaux tant théoriques qu’empiriques d’Andrew K. Rose[5]. Ces travaux, fondés sur un modèle de gravité[6], devaient donner naissance à ce que l’on a appelé « l’effet Rose » ainsi qu’à une littérature extrêmement favorable aux Unions Monétaires. Ces travaux décrivaient les monnaies nationales comme des « obstacles » au commerce international[7]. L’intégration monétaire devait provoquer une meilleure corrélation du cycle des affaires entre les pays[8], et l’intégration monétaire devait conduire à une accumulation des connaissances conduisant à une forte augmentation de la production et des échanges potentiels[9]. L’Union monétaire européenne, ce que l’on appelle l’UEM, allait créer – si ces travaux étaient validés par la réalité – les conditions de réussite de la « Zone Monétaire Optimale »[10], dans un mouvement qui semblait devoir être endogène[11]. D’où les déclarations de divers hommes politiques, aujourd’hui fameuses, affirmant que l’Euro allait conduire, de par sa seule existence, à une forte croissance pour les pays membres. Jacques Delors et Romano Prodi ont ainsi affirmé que l’Euro allait favoriser la croissance européenne de 1% à 1,5% par an et ce pour plusieurs années[12]. On sait aujourd’hui ce qu’il faut en penser…

Fausse et vraie science

Seulement, il y avait un hic. Ces travaux étaient fondés sur des visions fausses des processus économiques. D’autres recherches, basées sur des bases de données plus complètes, aboutissaient alors à une forte réduction de l’ampleur des effets positifs de l’Union Monétaire[13]. Les travaux initiaux de Rose et consorts furent ainsi fortement critiqués, en particulier sur la méthode économétrique utilisée[14], qui ne semblent pas être adaptés à l’analyse d’une zone à plusieurs pays. Une critique plus fondamentale fut que ces modèles ne prenaient pas en compte la persistance du commerce international[15] qui s’explique par différents phénomènes, dont les asymétries d’information. Enfin, ces modèles négligent l’existence de facteurs endogènes au développement du commerce, facteurs qui ne sont pas affectés par l’existence – ou la non-existence – d’une Union Monétaire.

Ces différents éléments ont ainsi conduit à une remise en cause fondamentale des résultats de A.K. Rose. Capitalisant sur près de vingt ans de recherches sur le commerce international et les modèles dit « de gravité »[16], Harry Kelejian (avec G. Tavlas et P. Petroulas) ont repris les diverses estimations des effets d’une union monétaire sur le commerce international des pays membres[17]. Les résultats sont dévastateurs. L’impact de l’Union Economique et Monétaire sur le commerce des pays membres est estimée à une croissance de 4,7% à 6,3% du total, soit très loin des estimations les plus pessimistes des travaux antérieurs qui plaçaient ces effets à un minimum de 20%, et ceci sans même évoquer les travaux initiaux de Rose qui les situaient entre 200% et 300%. En dix ans, on a donc assisté à une réduction tout d’abord de 10 à 1 (de 200% à 20%[18]) réduction qui est survenue rapidement, puis à une nouvelle réduction ramenant la taille de ces effets de 20% à une moyenne de 5% (un facteur de 4 à 1)[19]. Les effets de persistance du commerce international ont été largement sous-estimés, et inversement les effets positifs d’une union monétaire tout aussi largement surestimés, et ce à l’évidence pour des raisons politiques. On ne peut manquer de remarquer que les annonces les plus extravagantes sur les effets positifs de l’Union Économique et Monétaire (avec des chiffres d’accroissement du commerce intra-zone de l’ordre de 200%) ont été faites au moment même de l’introduction de l’Euro. Le mensonge était effectivement très gros… Ces annonces ont clairement servi de justification aux politiques et aux politiciens de l’époque.

Les mêmes arguments servent cependant aujourd’hui à accréditer l’idée qu’une dissolution de l’Euro serait une catastrophe, car on utilise toujours à des fins de propagande, les mêmes chiffres mais cette fois de manière inversée pour « prédire » un effondrement du commerce international des pays concernés et donc une chute du PIB dans le cas d’une sortie de l’Euro. Or, si l’effet sur le commerce international créé par une zone monétaire est faible, il faut en déduire qu’inversement l’effet des prix (ce que l’on appelle la « compétitivité coût ») est nettement plus important que ce qu’en dit le discours dominant[20]. Ceci redonne toute son importance aux dévaluations pour restaurer la compétitivité de certains pays.

L’impact de dépréciation ou d’appréciation du taux de change sur les flux commerciaux et les balances commerciales était connu. La rapidité du « rebond » de la Russie en 1999 et 2000 en particulier, à la suite d’une dévaluation massive, était l’un des principaux arguments allant dans le sens d’un effet positif d’une dépréciation de la monnaie. Les économistes du FMI ont réalisé une étude assez systématique sur une cinquantaine de pays et ont retenu 58 « cas » de dépréciations[21]. Ils ne trouvent aucun signe de la fameuse « déconnexion » tant citée entre les flux du commerce international et les taux de change, bien au contraire. L’étude montre qu’en standardisant les résultats, on obtient en moyenne pour une dépréciation du taux de change de 10% un gain de 1,5% du PIB pour le solde de la balance commerciale. L’internationalisation des « chaînes de valeur » a bien un effet modérateur sur ces gains[22]. Mais, le développement de ces chaînes de valeur est très progressif dans le temps et ne peut venir contrarier les effets positifs d’une forte dépréciation du taux de change[23].

On constate ainsi que l’Euro fut vendu aux populations (et aux électeurs) sur la base de mensonges répétés, mensonges qui ont été enrobés dans un discours se donnant pour scientifique, mais qui ne l’était nullement. A chaque fois que l’on examine en profondeur un argument dit « scientifique » avancé pour défendre l’Euro on constate que soit les bases théoriques sont inexistantes, soit les résultats ont été obtenus par des manipulations des bases de données, soit qu’une comparaison avec la réalité détruit le dit argument, et parfois on assiste à ces trois effets réunis ! Ceci soulève un double problème de méthode. D’une part, on comprend bien qu’il y a eu manipulation, non pas tant des économistes concernés que des politiques qui se sont servis de leurs travaux. Ici, on voit que construit de cette manière, sur ce qu’il faut bien appeler un mensonge, l’Euro ne pouvait avoir de bases démocratiques. D’autre part, ceci implique une nécessaire méfiance envers des travaux économiques, mais qui ne doit pas tourner à la défiance. Qu’une monnaie unique ait des avantages potentiels pour les pays y participant est une évidence. Mais, ces avantages d’une part ne se concrétisent que si certaines conditions sont réunies et d’autre part ne sont pas nécessairement supérieurs aux désavantages, tout aussi évidents, qu’entraîne l’adoption de cette monnaie unique. Ce qui est frappant est que les économistes en faveur de l’Euro ont raisonné comme si les conditions permettant la matérialisation de ces avantages étaient nécessairement réunies et comme si les avantages potentiels de l’euro devaient toujours l’emporter sur les désavantages. C’est là que se situe la responsabilité de ces économistes.

Le coût économique de l’Euro pour la France

L’Euro a joué un mauvais tour à l’économie française. D’une part, liant la parité de sa monnaie à celle des autres pays européens, il l’a défavorisée (par rapport à l’Allemagne ou au Pays-Bas) alors même qu’il avantageait l’Allemagne qui, sans l’Euro, aurait eu à affronter une forte hausse de son taux de change. C’est ce qui explique largement le fort excédent commercial de ce pays. Mais, de plus, l’Euro s’appréciant par rapport au Dollar étatsuniens à partir de 2002, il a fait subir à l’économie française un fort choc de compétitivité vis-à-vis des pays extérieurs à la zone Euro. En France, les gouvernements successifs ont cependant choisi de maintenir une politique budgétaire fortement expansionniste pour compenser l’impact de l’Euro sur la croissance. Ceci a permis à la France de ne pas trop souffrir de la mise en place de l’Euro mais avec pour conséquence un envol de la dette publique. Et pourtant, en dépit de cela, l’économie française a néanmoins souffert.

La croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) qui était en moyenne supérieures à 2,5% à la fin des années 1990 baisse autour de 2% dans les années qui suivent l’entrée en vigueur de l’Euro puis, même en tenant compte de l’effet de la crise de 2008-2010, tombe vers 1%. Il est clair que l’Euro a placé l’économie française dans un contexte de très faible croissance. Or, la France, qui maintient des gains de productivité importants et qui se trouve dans une situation démographique plus expansive que ses voisins, à besoin d’un taux de croissance d’environ 1,4% pour créer des emplois.

Graphique 1

(La courbe rouge indique une moyenne mobile sur trois ans)

Source: INSEE

Si nous prenons maintenant la production de l’industrie, on constate que les efforts pour amener la France dans les critères de la Monnaie Unique ont coûté une dépression importante. Le niveau de janvier 1990 ne fut retrouvé qu’à l’été 1997. La croissance de la production industrielle de 1997 à l’été 2001 fut modérée, et largement due à des exonérations de prestations sociales accordées par le gouvernement. Ces exonérations passent de 6,3% du montant total en 1998 à 9% en 2002. Elles ne cesseront d’augmenter par la suite, preuve que la France connaît bien un problème de compétitivité, pour atteindre à la veille de la crise financière plus de 10% et près de 24 milliards d’euros. Or, la production industrielle n’évolue plus de 2002 à 2007. De fait, en juillet 2008, à la veille du déclenchement de la crise des « subprimes »[24], l’indice de la production industrielle n’a progressé que de 3 points (de 111,5 à 114,5) par rapport à 2001. Fortement affectée par la crise financière de 2008-2010, elle s’effondre de fin 2008 à l’été 2009 et n’a toujours pas retrouvé son niveau de 1990 à la fin de 2015.

Graphique 2

Evolution de la production industrielle et manufacturière depuis 1990

Source: INSEE

Nous avons là l’une des explications du chômage de masse qui sévit dans notre pays. Non seulement la faible croissance de l’économie et la stagnation de l’industrie entraînent un chômage important qui, si l’on calcule la somme des catégories « A », « B » et « D » de la DARES s’établit à 4,5 millions de personnes (et non pas aux seuls 3,5 millions de la catégorie « A », catégorie largement utilisée dans la presse), mais nous avons aussi l’une des explications des déficits budgétaires récurrents que notre pays connaît.

Graphique 3

Source: DARES

Les exemptions de cotisations, mais aussi les recettes manquantes du fait de la stagnation de la production, et la nécessité de constamment stimuler une économie qui sans cela sombrerait dans la récession, expliquent pourquoi les dépenses sont constamment supérieures aux recettes. Cette situation se justifie quand des événements extérieurs viennent perturber l’économie, ce qui fut le cas de la crise de 2008-2010. Mais, de 1999 à 2007, rien ne le justifiait. Rien, si ce n’est l’effet dépressif qu’exerçait l’Euro sur l’économie française. Les gouvernements successifs de cette période ont cherché à masquer l’impact récessif exercé par la monnaie unique par une stimulation budgétaire permanente. Nous en payons le prix en termes de dette publique aujourd’hui.

Cependant, un autre aspect de l’Euro se révèle si l’on y regarde bien. Le salaire moyen a continué d’augmenter en France. Mais, une moyenne n’a pas grand sens dès que la répartition des salaires est très inégale. Le salaire médian, c’est à dire le salaire qui correspond à ce que gagnent 50% des salariés, est resté stable depuis le début des années 2000. Cela signifie que la majorité des salariés ont vu leurs salaires stagner depuis près de 15 années, alors que les salaires d’une minorité, entre 10% et 15% de la population, ont eux fortement augmenté. Ces salaires correspondent aux professions liées à la financiarisation de la société, que ce soit directement (salaires et revenus des professions de la finance) ou indirectement (salaires des services liés à cette haute finance). On se rend compte, alors, que l’Euro n’a pas seulement exercé un effet récessif sur l’économie française ; il l’a aussi déformé. Cette déformation porte un nom : la financiarisation. Bien entendu, les tendances au développement de la financiarisation sont antérieures à l’Euro. Mais celui-ci a donné un coup d’accélérateur décisif à cette transformation. Il a établi la prééminence des banques (et des banquiers) dans la société française ; il a mis les logiques de la production au service de cette finance et de ces financiers. On comprend alors pourquoi tout ce beau monde des banques et des institutions financières se retrouve pour communier dans l’adoration de ce nouveau veau d’Or. Derrière les figures religieuses il y a des intérêts réels et concrets.

Le coût social de l’Euro

Dans les 17 ans qui nous séparent de l’introduction de l’Euro nous avons vu se développer la logique d’une économie où des sommes toujours plus importantes sont accaparées par un petit nombre d’individus au détriment des conditions d’existence du plus grand nombre. L’Euro pousse l’économie réelle à réduire sans cesse ses coûts. C’est l’Euro qui conduit les agriculteurs au suicide, en les forçant à travailler à pertes. C’est l’Euro qui organise l’abandon des campagnes et des territoires dits « périphériques ».

Mais un autre problème apparaît. Pour soit disant « sauver l’Euro », on met en œuvre des politiques qui ne font qu’aggraver les problèmes. Depuis le printemps 2011, sous l’effet des politiques d’austérité mises en œuvres par François Fillon, la courbe du chômage ne cesse d’augmenter. Ces politiques d’austérité, il faut le souligner, ont été décidées dans le cadre de la zone Euroet avec pour objectif le maintien de la France dans la zone Euro. Ce n’est pas par hasard si François Fillon a décidé de ces politiques, mais bien contraint et forcé par l’existence de la zone Euro. Cette dernière provoque alors un accroissement direct de 700 000 demandeurs d’emplois. Les effets de ces politiques se font sentir environ un an après l’élection de François Hollande. Mais, ce dernier ne revient nullement sur les mesures décidées par François Fillon. Il fait d’ailleurs voter, en septembre 2012, ce que l’on appelle le traité « Merkozy » (ou Merkel-Sarkozy) qui avait été négocié dans l’hiver 2011-2012. Cette continuité de la politique économique, mais cette fois sous un gouvernement se disant « de gauche », a provoqué une nouvelle hausse de 400 000 demandeurs d’emplois. Directement, c’est bien 1,1 millions de personnes qui se sont retrouvées dans les catégories « A », « B » et « D » du fait l’attachement fanatique de nos dirigeants à l’Euro. En réalité, on peut penser qu’une large part de l’accroissement de 2008 à 2010 aurait pu être évité, voire rapidement effacé, si la France n’avait pas fait partie de la zone Euro et si elle avait pu largement déprécier sa monnaie tant par rapport au Dollar que par rapport à ses partenaires commerciaux et en particulier l’Allemagne. La progression régulière du chiffre des demandeurs d’emplois constitue donc une pente néfaste sur laquelle la France est engagée depuis quatre années et demie. Cette progression est le fruit amer du consensus de fait qui existe entre la politique du centre-droit et celle de la « gauche », un consensus dont les effets sont aujourd’hui dramatiques sur les individus[25].

Ont voit ici surgir des problèmes immenses. L’inégalité croissante de la société met en cause indirectement la démocratie et ceci que la concentration d’une pouvoir monétaire et financier immense entre les mains de quelques uns, alors que le plus grand nombre en est exclu, leur donne la possibilité de truquer et de fausser le procès démocratique. Ce dernier repose sur l’hypothèse que la voix d’un banquier et celle d’un prolétaire, qu’il soit ouvrier, petit employé vivant dans les périphéries abandonnées de la société française, agriculteurs, voire fonctionnaire, pèsent du même poids. Mais le banquier peut rameuter des journalistes, des publicistes, des artistes qu’il entretient et qui ne vivent que des prébendes qu’il distribue, pour élaborer et diffuser une histoire qui semble lui donner raison. Et l’on voit, ici, que l’accumulation de la richesse entre les mains de quelques-uns met l’idée de démocratie en crise.

L’Euro et la crise politique

Mais, il faut ici aller plus loin et se poser la question de la compatibilité directe de l’Euro avec un système démocratique. L’Euro a imposé à la France de céder sa souveraineté monétaire à une institution non élue, la Banque Centrale Européenne. En fait, ce processus avait déjà commencé dans la période antérieur (de 1993 à 1999) avec l’établissement d’un statut d’indépendance de la Banque Centrale. Il faut cependant souligner que ce statut ne faisait sens qu’en raison de la mise en place à venir de l’Euro. De ce point de vue, il est clair que l’indépendance des Banques Centrales n’a pu se concrétiser dans un certain nombre de pays qu’en raison de l’engagement de ces pays dans le processus de mise en place de l’Euro. Mais, ce qu’implique ce premier abandon de souveraineté est encore plus important que cet abandon lui-même. Une fois que vous avez laissé à d’autres le choix de la politique monétaire, vous devez admettre que ces « autres » vont déterminer par leurs actions les règles budgétaires que vous devrez suivre.

En effet, une fois privé de sa liberté de faire varier les paramètres de la politique monétaire, le gouvernement perd l’un des principaux instruments de politique économique. Mais, il perd aussi en partie le contrôle de ses ressources fiscales, car les ressources fiscales sont étroitement liées au niveau d’activité économique ainsi qu’au taux d’inflation. En effet, les ressources fiscales sont des grandeurs nominales (et non des grandeurs réelles). Plus élevé est le taux d’inflation et plus grandes seront les ressources fiscales. Notons, enfin, qu’une partie du déficit public constitue bien une « dette » similaire à celle des agents privés qui empruntent pour pouvoir commencer une activité productive. Se pose alors la question de son rachat, en tout ou partie par la Banque Centrale. Mais, dans les règles de l’Union Economique et Monétaire, ceci est interdit. Ne pouvant donc plus ajuster la politique monétaire aux besoins de l’économie, le gouvernement découvre qu’il doit se plier à des règles strictes dans le domaine budgétaire et fiscal. Si un pouvoir extérieur fixe désormais la politique monétaire, il faudra à terme que le même pouvoir fixe les règles budgétaires et fiscales. C’est ce que le TSCG, ou traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance qui fut adopté en septembre 2012, a, de fait, institutionnalisé. Si le processus budgétaire échappe au contrôle du gouvernement il en va de même pour le processus fiscal. Or, le fondement de TOUTE démocratie réside dans le fait que la représentation du peuple, le Parlement, doit avoir – et lui seul – le dernier mot en matière de budget et d’impôt. Nous sommes donc revenus à un état de la situation d’avant 1789. Le lien entre le citoyen et le contribuable a été rompu.

Ceci aggrave la crise de la démocratie dans notre pays, une crise dont l’Euro est par ses conséquences tout comme son existence largement responsable. Elle se manifeste d’abord par une abstention importante lors des différents scrutins. Mais, elle se manifeste aussi par un repli vers différentes communautés et la montée de ce que l’on appelle le « communautarisme ». Les français, se sentant désormais de moins en moins citoyens, et ce d’autant plus que l’on a de cesse de galvauder ce mot dans des emplois qui sont autant de contre-sens, tendent à se replier sur ce qui semble leur offrir un semblant de protection : communautés religieuses, communautés d’origines…Mais, ce faisant ils se précipitent vers la guerre civile. Et c’est peut-être là la critique la plus radicale que l’on peut faire à l’Euro : celle de déchirer de manière décisive le tissu social et de dresser, à terme, les français les uns contre les autres. Ceci doit nous rappeler qu’il n’est dans la logique d’une monnaie d’autre avenir que celui décrit par Hobbes : la guerre de tous contre tous.

Si l’on prend donc en compte tous les aspects tant économiques, sociaux, fiscaux, mais aussi politiques, il est alors clair que l’Euro a eu, depuis maintenant près de 17 ans, un rôle extrêmement négatif. Retirant aux gouvernements le moyen d’agir, il accrédite l’idée de leur impuissance. De cela, nous n’avons visiblement pas fini de payer le prix.

 

Notes

[1] Mundell R., (1961), « A theory of optimum currency areas », in TheAmerican Economic Review, vol. 51, n°5,‎ 1961, pp. 657-665.

[2] McKinnon R.I., (1963), « Optimum Currency Area » in The American Economic Review, Vol. 53, No. 4 (Sep., 1963), pp. 717-725

[3] Kenen, P.B. (1969). “The Theory of Optimum Currency Areas: An Eclectic View, ” in Mundell R.A. et A.K. Swoboda (edits) Monetary Problems of the International Economy, Chicago, Ill., Chicago University Press.

[4] Machlup, F, “Elasticity Pessimism in International Trade.” In Economia Internazionale. Vol. 3, (Février 1950), pp. 118-141.

[5] Rose, A.K. (2000), « One money, one market: the effect of common currencies on trade », Economic Policy Vol. 30pp.7-45 et Rose, Andrew K., (2001), “Currency unions and trade: the effect is large,” Economic Policy Vol. 33, 449-461.

[6] Anderson, J., (1979), “The theoretical foundation for the gravity equation,”

American Economic Review Vol. 69, n°1/1979 106-116. Deardorff, A., (1998), “Determinants of bilateral trade: does gravity work in a neoclassical world?,” in J. Frankel (ed.), The regionalization of the world economy, University of Chicago Press, Chicago.

[7] Rose, A.K., Wincoop, E. van (2001), « National money as a barrier to international trade: the real case for currency union », American Economic Review, Vol. 91, n°2/2001, pp. 386-390.

[8] Rose, A.K. (2008), « EMU, trade and business cycle synchronization », Paper presented at the ECB conference on The Euro of Ten: Lessons and Challenges, Frankfurt, Germany, 13 et 14 novembre

[9] De Grauwe, P. (2003), Economics of Monetary Union, New York: Oxford University Press. Frankel, J.A., Rose A.K. (2002), « An estimate of the effect of currency unions on trade and output », Quarterly Journal of Economics, Vol. 108, n°441, pp. 1009-25.

[10] On consultera à ce sujet le mémoire de Master 2 écrit par l’un de mes étudiants, Laurentjoye T., (2013), La théorie des zones monétaires optimales à l’épreuve de la crise de la zone euro, Formation « Économie des Institutions », EHESS, Paris, septembre 2013.

[11] Frankel, J.A., Rose A.K. (1998), « The endogeneity of the optimum currency area criteria », Economic Journal, Vol.108, 449, pp.1009-1025. De Grauwe, P., Mongelli, F.P. (2005), «Endogeneities of optimum currency areas. What brings countries sharing a single currency closer together? », Working Paper Series, 468, European Central Bank, Francfort.

[12] Sapir J. (2012), Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris.

[13] Bun, M., Klaasen, F. (2007), « The euro effect on trade is not as large as commonly thought», Oxford bulletin of economics and statistics, Vol. 69: 473-496. Berger, H., Nitsch, V. (2008), « Zooming out: the trade effect of the euro in historical perspective », Journal of International money and finance, Vol. 27 (8): 1244-1260.

[14] Persson T. (2001), « Currency Unions and Trade : How Large is the Treatment Effect ? » in Economic Policy, n°33, pp. 435-448 ; Nitsch V. (2002), « Honey I Shrunk the Currency Union Effect on Trade », World Economy, Vol. 25, n° 4, pp. 457-474.

[15] Greenaway, D., Kneller, R. (2007), « Firm hetrogeneity, exporting and foreign direct investment », Economic Journal, 117, pp.134-161.

[16] Flam, H., Nordström, H. (2006), « Trade volume effects of the euro: aggregate and sector estimates », IIES Seminar Paper No. 746. Baldwin R. (2006) « The euro’s trade effects » ECB Working Papers, WP n°594, Francfort. Baldwin R. et al. (2008), « Study on the Impact of the Euro on Trade and Foreign Direct Investment », Economic Paper, European Commission, n° 321.

[17] Kelejian, H. & al. (2011), « In the neighbourhood : the trade effetcs of the euro in a spatial framework », Bank of Greece Working Papers, 136

[18] Du travail initial de A.K. Rose datant de 2000 mais réalisé en fait entre 1997 et 1999 « One money, one market: the effect of common currencies on trade », Economic Policy 30, op.cit., au travail de R. Glick et A.K. Rose, datant de 2002, « Does a Currency Union Affects Trade ? The Time Series Evidence », op. cit..

[19] Bun, M., Klaasen, F. (2007), « The euro effect on trade is not as large as commonly thought», Oxford bulletin of economics and statistics, op.cit., vont même jusqu’à estimer l’effet « positif » de l’UEM à 3%, ce qui le met largement dans l’intervalle d’erreurs de ce genre d’estimations.

[20] C’est d’ailleurs le sens d’une note rédigée par P. Artus, « C’est la compétitivité-coût qui devient la variable essentielle », Flash-Économie, Natixis, n°596, 30 août 2013.

[21] Leigh, D, W Lian, M Poplawski-Ribeiro et V Tsyrennikov (2015), “Exchange rates and trade flows: disconnected?”, Chapitre 3 in World Economic Outlook, IMF, Octobre 2015.

[22] Ahmed, S, M Appendino, and M Ruta, “Depreciations without Exports? Global Value Chains and the Exchange Rate Elasticity of Exports,” World Bank Policy Research Working Paper7390, World Bank, Washington DC, 2015.

[23] Voir Johnson, R C, and G Noguera, “Fragmentation and Trade in Value Added over Four Decades.” NBER Working Paper n°18186, Harvard, NBER, 2012 et Duval, R, K Cheng, K. Hwa Oh, R. Saraf, and D. Seneviratne, “Trade Integration and Business Cycle Synchronization: A Reappraisal with Focus on Asia,” IMF Working Paper n° 14/52, International Monetary Fund, Washington DC, 2014.

[24] Sapir J., « D’une crise l’autre », note publiée sur la carnet RussEurope le samedi 16 janvier 2016, http://russeurope.hypotheses.org/4640

[25] Voir, sur l’impact du chômage sur le nombre des suicides, : Dr Carlos Nordt, PhD, Ingeborg Warnke, PhD, Prof Erich Seifritz, MD PD, Wolfram Kawohl, MD, « Modelling suicide and unemployment: a longitudinal analysis covering 63 countries, 2000–11 », in The Lancet PsichatryVolume 2, No. 3, pp. 239–245, Mars 2015.

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 15-02-2016

Source: http://www.les-crises.fr/leuro-contre-la-france-par-jacques-sapir/