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Revue de presse du 06/12/2014

Saturday 6 December 2014 at 00:23

Dans Vues d’ailleurs, un oeil sur le nouveau gouvernement ukrainien, alors qu’un document très complet sur les conséquences des sanctions contre la Russie se trouve en Géopolitique, mais aussi de l’agitation en Europe, Séguéla, Snowden et Sapir… Bonne lecture.

Source: http://www.les-crises.fr/revue-de-presse-du-06122014/


[Énoooorme] BHL, petit télégraphiste de François Hollande et des officiels ukrainiens… (Mis à jour !)

Saturday 6 December 2014 at 00:10

Je le remets complété, il est trop beau…

Pinchuk, le Mistral et les Juifs d’Ukraine

Version corrigée de l’allocution prononcée le 18 novembre 2014 à Kiev par Bernard-Henri Lévy, à l’occasion de la remise à Viktor Pinchuk de la Metropolitan Andrey Sheptytsky Medal of Honor Award.

« Monsieur le Grand Rabbin, Messieurs les archevêques et métropolites, Messieurs les Présidents, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur l’ambassadeur de France, chers amis.

Je suis heureux, permettez-moi d’en dire un mot pour commencer, d’avoir l’occasion de rendre hommage au Métropolite Andrey Sheptytsky sous le signe de qui vous avez placé votre soirée.

Le Métropolite Andrey Sheptytsky, je ne vous apprends rien, fut le primat de l’Eglise uniate d’Ukraine pendant les années de la seconde guerre mondiale et reste, à ce titre, une figure extrêmement controversée.

C’est l’un de ces Ukrainiens que leur nationalisme, ainsi que leur anticommunisme, ont égarés dans ces années terribles.

Et il y a, en particulier, cette Lettre pastorale du 1er juillet 1941 que retiennent toujours les adversaires de sa mémoire quand ils veulent rappeler qu’il eut des indulgences pour l’Allemagne.

[Je cite, il écrit à Hitler :  "Votre Excellence ! En tant que chef de l'église catholique grecque Ukrainienne, je transmets à Votre Excellence mes félicitations les plus sincères au sujet de la maîtrise de la capitale de l'Ukraine, de la ville à la coupole dorée, sur le Dniepr - Kiev ! [...] Nous voyons en Vous le chef de guerre de l’invincible incomparable et glorieuse armée Allemande. Le fait que votre objectif à vous, le führer du Grand Reich Allemand, soit la destruction et l’élimination du bolchevisme, fait que, dans cette marche, Votre Excellence se voit offrir la gratitude de toute la chrétienté. L’église ukrainienne gréco-catholique connait la valeur du puissant mouvement du peuple Allemand sous Vos ordres. [...] Je vais prier le Dieu afin qu’il vous apporte la bénédiction de la victoire, qui sera la garantie d’une paix durable pour Votre Excellence, l’Armée Allemande et le Peuple Allemand.”. Mais il est vrai aussi qu’il a défendu les Juifs comme le dit BHL..]

Mais, en même temps, c’est incontestablement l’une des rares voix à avoir osé s’élever, dans les mêmes années, contre la persécution et l’extermination des juifs.

Il a écrit à Hitler et à Himmler pour les adjurer d’épargner les Juifs de Galicie.

[Et il bénit ici la division SS Galicie en 1943 :

]

Il a donné, en novembre 1942, une autre lettre pastorale, intitulée « Tu ne tueras point », où il interdit à ses ouailles, sous peine d’excommunication, de prêter le moindre concours au meurtre de masse qui commence de se dérouler sous leurs yeux.

Il a invité les moines et moniales de la région à cacher des Juifs.

Il en a, lui-même, à Lviv, tant dans les caves de la cathédrale Saint George qu’en face, dans ses propres appartements privés, caché et sauvé 150, en majorité des enfants, et aussi une dizaine de rabbins.

Il y a eu des polémiques disant qu’il avait tenté, ce faisant, de les convertir. Mais non. C’est inexact. Il les a cachés dans des églises, bien sûr. Il leur a donné des faux noms chrétiens et des faux certificats de baptême. Il lui est arrivé de les déguiser. Mais je ne crois pas qu’il y ait un cas d’enfant qu’il a sauvé et qui, après la guerre, s’est retrouvé chrétien. Et vous avez, d’ailleurs, une autre lettre pastorale que j’ai également lue avant de venir et où il met très clairement en garde contre la tentation de « profiter » de la situation pour, en effet, convertir.

Bref, le Métropolite Andrey Sheptytsky fut un sauveur de juifs.

Nous avons des tas de témoignages, dont celui du rabbin David Kahane, qui disent qu’il a pris, pour cela, tous les risques, à commencer par le risque d’emprisonnement et de mort.

Et je ne parle même pas de ce que nous savons aujourd’hui, à travers les archives de la Chancellerie du Vatican, de ses relations avec Pie XII et des messages qu’il lui adresse tout au long de la guerre et où il le supplie de prendre la mesure du caractère « diabolique » du nazisme.

Ce que Jan Karski fut à Roosevelt, le Métropolite Andrey Sheptytsky le fut au Pape Pie XII.

Et ce n’est pas un hasard si l’Anti-Defamation League lui a remis, l’an dernier, à titre posthume, sous l’impulsion d’Abraham Foxman, son prestigieux « Jan Karski Courage to Care Award ».

Je sais que, quand Yad Vachem a eu à examiner son cas et à se prononcer sur son élévation ou non au rang de « Juste parmi les nations », la réponse n’a pas été la même. Mais bon. La discussion n’est pas close. La Commission de Yad Vashem a souvent eu à s’y reprendre à plusieurs fois et à juger en appel.

[Peut-être parce qu'il avait des pin's pas très sympas ?]

Là, je ne désespère pas que ce soit le cas.

Le dossier du Métropolite Andrey Sheptytsky est plutôt moins compliqué que celui, par exemple, d’un Oskar Schindler.

[BHL SAIT !]

Et j’ai bien l’intention, si vous me le permettez, de faire modestement campagne pour que le Métropolite Sheptytsky rejoigne, non seulement Schindler, mais les deux mille et quelques Ukrainiens qui ont déjà été, dans les dernières années, sacrés « Justes parmi les Nations ».

Je voudrais, deuxièmement, faire un grand bond dans le temps qui nous amène jusqu’aujourd’hui – et je voudrais rendre hommage au rôle des Juifs d’Ukraine, individus et associations, dans la révolution du Maïdan.

[Je pense que présenté comme ça, c'est une bonne idée, et que ça permettra évidement de lutter contre antisémitisme local...]

Là non plus, cela n’allait pas forcément de soi.

Car il y a eu toute l’incroyable propagande qui a essayé, pendant ces semaines de révolte et de répression, de faire croire que les révolutionnaires du Maïdan étaient, dans leur grande majorité, des nazis.

Tantôt c’était l’ancien président Ianoukovitch qui, dans le temps même où il allait puiser dans le stock de l’antisémitisme le plus éculé en expliquant que c’est l’Internationale Juive qui tirait les ficelles de l’insurrection, traitait le Maïdan de fasciste.

Tantôt c’était Vladimir Poutine en personne, oui, le même Vladimir Poutine qui s’apprêtait à réhabiliter, comme on vient de le voir ces jours derniers, le pacte germano soviétique et qui venait nous raconter que c’est en face, c’est-à-dire ici, à Kiev, que grondait la contre-révolution bandériste et antisémite.

[Qui a vu des bandéristes en Galicie ?]

Et il est d’ailleurs exact – comment l’ignorer ? – qu’il y a ça dans la mémoire ukrainienne : un antisémitisme de masse et ancien ; une Shoah par balles dont le Père français Desbois voue sa vie à retrouver les traces ; il est vrai, oui, qu’il y a ce monstrueux passif entre les Juifs d’Ukraine et l’Ukraine.

Mais enfin le résultat, soixante-dix ans après, est là.

[Voir ce billet pour le "passif".]

Sur cet espace de toutes les libertés que fut le Maïdan, sur ce théâtre où toutes les paroles, les plus sages comme les plus délirantes, avaient la possibilité de s’exprimer, il y a un délire que l’on n’a pas entendu et c’est le délire antisémite.

[Primo c'est assez vrai ; mais bon, comme il n'y a presque plus de Juifs en Ukraine (1 pour 1 000 habitants), ça limite l'anitsémitisme... Pour les Bandéristes, les nouveaux Juifs, ce sont les Russes...

Mais secundo, on a quand même entendu  la "poétesse" Diana Kamliouk intervenir sur Maïdan, ici le 5 décembre 2013 - devant le drapeau de l'UE... :

Traduction (ça rime en Ukrainien) :

"Échos des photos jaunies
Lune éloignée des jours passés
Querelles exécrables "pour" et "contre"
Réflexions des youpins bien nourris."

"Il est plus pratique de pleurer le savon juif (sous-entendu - le savon fait dans des camps de concentration à partir des corps humains)
Que le monde en détourne les yeux.
Chefs et soldats
Ont été jugés à Nuremberg par des clowns."

"Que l'on ne vous écrase pas exactement comme le Maïdan "orange" en 2004, que vous réussissiez cette année, que vous réussissiez tout de suite sans vous laisser distraire par des supplications des youpins! Dans vos veines coule le sang ukrainien de l'homme blanc!" (vers 6')

Et elle est ensuite applaudie...

Autres sources ici et . (ça a étrangement choqué les Russes....)

(Vincent Parlier, si tu veux nous faire une vidéo, ce serait génial...)]

Les Juifs l’ont bien compris qui – je peux en témoigner, car j’y étais – se sont massivement portés, avec leurs frères tatares, russes, cosaques, arméniens, ukrainiens en général, au-devant de l’insurrection citoyenne dont ce Maïdan fut l’agora.

Josef Zissels, qui est ici et que je salue, a eu des propos forts pendant ces journées.

L’ensemble des associations juives ukrainiennes – celles qui sont là ce soir et d’autres qui n’y sont pas – ont rédigé une lettre ouverte au Président de la Fédération de Russie dont j’ai, le 6 mars 2014, publié la version française dans ma revue, la Règle du Jeu, et où l’on adjurait « Vladimir Vladimirovitch » d’entendre que les juifs étaient assez grands pour « protéger » leurs « droits » et qu’ils avaient fait clairement le choix d’une « coopération avec le gouvernement et la société civile d’une Ukraine souveraine, démocratique et unie ».

Et le fait est que quelque chose de cette inguérissable blessure que fut la participation de la société civile ukrainienne à la Shoah a commencé de se refermer pendant ces journées.

Vous avez, dans les situations de ce genre, deux attitudes possibles, deux paradigmes.

D’un côté la « compétition des victimes » qui dit, en gros : « il n’y a pas assez de place, dans un cœur, pour deux fidélités ; pas assez de place dans une âme pour deux mémoires ; et, entre les Ukrainiens massacrés par Staline et les Juifs massacrés par Hitler et ses supplétifs ukrainiens, il faut choisir ».

De l’autre la « solidarité des ébranlés » telle que l’a définie le grand philosophe tchèque Jan Patocka et qui désigne, au contraire, une sorte de fraternité spontanée des victimes dont les mémoires, loin de rivaliser, se renforcent : « c’est quand vous avez la Shoah au cœur, que vous voyez le Goulag ; c’est quand vous avez l’oreille assez fine pour entendre la clameur antisémite que vous êtes également sensible au glapissement raciste ou génocidaire en général ; c’est parce que rien ne vous échappe du martyre du peuple juif que vous vous souvenez de celui de la nation ukrainienne – et inversement ».

Les Juifs d’Ukraine ont pris le parti de Patocka.

Les Juifs d’Ukraine ont joué, plus que jamais, la « solidarité des ébranlés ».

Les Juifs d’Ukraine – c’est leur noblesse – ont choisi de se souvenir que les Ukrainiens étaient surreprésentés dans cette Armée Rouge qui a contribué à la chute du nazisme.

Ils ont choisi de ne pas oublier que le bataillon qui libéra Auschwitz s’appelait le « Premier Front ukrainien ».

Etre juif en Ukraine, c’est accepter de penser ensemble l’Holodomor et Babi Yar.

Et cela aussi, je voulais le dire et le répéter ici.

Et puis je veux rendre hommage enfin à un Juif en particulier, un Juif d’Ukraine singulièrement : celui-là même que vous avez choisi d’honorer en lui remettant votre « Metropolitan Andrey Sheptytsky Medal of Honor Award » et qui est là, ce soir, face à moi.

Ce juif s’appelle Victor Pinchuk.

[3 milliards de $ de fortune, 2e d'Ukraine... Ca fait quand même 20 fois celle de BHL...]

C’est la première fois que je le rencontre.

Mais nous avons nombre d’amis communs et, en les interrogeant ces jours derniers, je crois m’être fait une idée un peu plus précise de qui il est.

Victor Pinchuk est d’abord, bien sûr, un patriote ukrainienc’est-à-dire, dans ma terminologie (et, je pense, sans le connaître, que c’est aussi la sienne), un Européen convaincu, un Européen conséquent, un militant sans états d’âme de l’intégration de son pays à l’UE.

Victor Pinchuk est aussi ce que l’on appelle un oligarque – mais attention ! un oligarque d’un genre particulier ! un oligarque philanthrope ! un oligarque qui croit qu’il doit plus qu’on ne lui doit, qu’il a plus de devoirs qu’il n’a de droits ! un oligarque qui pense que son premier devoir est de rendre à l’Ukraine un peu de ce qu’elle lui a donné, autrement dit de sa fortune ! Je ne sais pas si Viktor Pinchuk a officiellement rejoint, ou non, le « Giving Pledge » qui est ce mouvement lancé, depuis les Etats-Unis, par Warren Buffet, Bill Gates, Richard Branson, Nicolas Berggruen, d’autres, et qui invite les milliardaires de la planète à donner la moitié de leur argent à des œuvres philanthropiques. Mais, d’après ce que je sais, il se situe clairement dans leur lignée. Et il est d’ailleurs, avec le président Poroshenko, l’un des rares milliardaires ukrainiens à être restés, me semble-t-il, à Kiev au moment du Maïdan et à y avoir organisé, en pleine révolution, à quelques centaines de mètres du champ de bataille, une grande exposition honorant un artiste qu’il défend, que je défends aussi et qui s’appelle Jan Fabre.

Mais ce qui m’intéresse, ce soir, ce qui vous intéresse aussi puisque c’est à ce titre que vous avez chois de l’honorer, c’est qu’il est surtout un grand juif.

Qu’est-ce que c’est, un grand juif ?

Le mot peut étonner mais je crois, vraiment, qu’il y a des grands et des moins grands juifs et je crois que ce qui fait le « grand juif » ce sont trois traits qui, tous trois, se retrouvent en Victor Pinchuk.

C’est d’’abord cet « Ahavat Israël », cet « amour du peuple juif », oui, juste cet « amour », ou cette « amitié », ou cette « bienveillance », dont Gershom Scholem regrettait, dans une polémique célèbre, qu’ils fissent si tragiquement défaut, au moment du procès Eichmann, à sa collègue Hannah Arendt : nombreux sont les juifs qui, parvenus au faîte de la puissance, de la gloire ou de la reconnaissance dans le monde de la gentilité tournent le dos à cet « Ahavat Israël », l’oublient – je ne crois pas que ce soit le cas de Victor Pinchuk .

C’est ensuite le rapport à la mémoire et, en particulier, à la mémoire souffrante, douloureuse, de la persécution : Viktor Pinchuk, là aussi, se distingue de tant de juifs amnésiques ou, de nouveau, oublieux que nous voyons autour de nous – ne fut-il pas le partenaire de Steven Spielberg pour la production de Spell your name, le seul film réalisé, à ce jour, sur le massacre de Babi Yar ? et, presque plus important encore, n’est-il pas l’un des sponsors de Holocaust by bullets, la Fondation créée par Patrick Desbois pour retrouver, déterrer, bref nommer et célébrer les morts sans nom et sans nombre de la Shoah par balles ?

Et puis je crois enfin qu’un grand juif c’est un juif d’affirmation. Il y a les juifs de négation qui vivent leur judaïsme dans le secret ou dans la honte. Il y a tous ces juifs « sartriens » qui pensent, comme Jean-Paul Sartre, que le judaïsme n’est rien qu’un effet de regard des antisémites ou qui, comme Heine dans un mot resté tristement célèbre, s’exclament « le judaïsme ? je ne le souhaite pas à mon pire ennemi ; injures et douleurs voilà tout ce qu’il rapporte ». Eh bien Victor Pinchuk pense le contraire. Il vit son judaïsme, sinon dans la gloire, du moins dans la positivité d’une franche et claire affirmation. Il aide les œuvres juives d’Ukraine. Il restaure les lieux de culte d’Ukraine. Et, quand il invite ses amis Tony Blair ou Chelsea Clinton à visiter son pays, où les emmène-t-il ? A la synagogue de Dnipropetrovsk pour l’un. Dans une synagogue de Kiev pour l’autre. J’aime cela. J’aime cette assomption sereine, souveraine, par un juif, de son judaïsme. Car cela aussi est d’un grand juif. C’est, très précisément, le propre de ce que j’appelle un juif d’affirmation.

Un mot encore.

Je suis Français.

Et je sais que la plupart de ceux qui sont ici ne peuvent, en écoutant un Français parler de l’Ukraine, s’empêcher d’avoir à l’esprit l’affaire qui, en ce moment même, empoisonne les relations entre nos deux pays et qui est l’affaire des porte-hélicoptères Mistral.

Eh bien ne me posez pas la question car je vous apporte la réponse.

Je suis, vous le savez peut-être, de ceux qui font campagne, en France, pour que ces porte-hélicoptères ne soient pas livrés.

Mais ce que vous ne savez sans doute pas c’est qu’il y a beaucoup de Français, probablement une majorité, qui ont la même opinion que moi et trouvent que livrer des navires de guerre à la Russie alors même qu’elle livre aux Ukrainiens une guerre où la diplomatie française a clairement choisi son camp serait, au mieux, inconséquent et, au pire, scandaleux.

Et ce que vous ne savez pas non plus c’est qu’au nombre de ces nombreux Français il y a le Président de la République en personne, François Hollande, qui est en Australie mais avec qui j’ai eu, sachant que vous risquiez de m’en parler, un contact ce matin et qui m’a explicitement dit, en m’autorisant à vous le rapporter, que la France tenait bon (ce sont ses mots : « tenir bon ») et que les marins russes qui sont, depuis quelques semaines, dans le port français où mouille le premier de ces Mistral et qui doivent, en principe, aux termes du contrat, se familiariser avec lui et en prendre possession, se voient, depuis hier, lundi, interdits d’accès à bord.

Il y a une polémique, en France, à ce sujet.

Le Président français a des opposants qui le pressent d’«honorer la signature de la France ».

Mais je pense qu’il ne cédera pas.

Je suppose qu’il réfléchit, en ce moment même, aux diverses options qui s’offrent à lui et qui lui permettraient de sortir de cette situation moralement et stratégiquement intenable sans pénaliser les ouvriers des chantiers navals français.

Il y a la solution « canadienne » qu’a proposée notre ami Berel, ici présent.

Il y a la solution que j’ai proposée et qui serait de vendre le navire à l’Ukraine moyennant un prêt de longue durée et à intérêt privilégié que lui consentirait l’Union Européenne.

[Au fouuuuuuuuuuuuuuuu. Il cherche la rupture des relations diplomatiques avec la Russie ?]

Il y a l’idée du vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel qui serait de le vendre à l’Union européenne elle-même : ne serait-ce pas le meilleur moyen de voir prendre forme, pour la première fois, cette fameuse défense commune dont on parle depuis si longtemps mais qui est, pour l’instant, lettre morte ?

Il y aurait même une formule – j’y pense à l’instant – où l’on verrait les « oligarques » ukrainiens se cotiser pour l’acheter: c’est un beau bateau, vous savez ! et le prix, un milliard, n’étant, à leur échelle, pas si faramineux que ça, il n’est pas exclu qu’ils fassent une bonne affaire !

[Ils vont faire quoi d'un porte hélicoptères ??? Au fouuuuuuuuuuuuuuuu]

Mais la seule hypothèse qui me semble exclue c’est que la France livre ce Mistral, comme ça, comme si de rien n’était, à un Poutine qui serait bien capable de l’acheminer aussi sec en face de Marioupol ou Odessa !

Je tenais à vous le dire.

Un autre mot, encore.

Je sais aussi que cet hommage au Métropolite Andrey Sheptytsky, à Victor Pinchuk et aux juifs d’Ukraine en général, je le prononce en un moment très particulier, et très particulièrement dramatique, de l’histoire de votre pays.

Et je n’ignore pas, personne ne peut ignorer, qu’à l’heure où je vous parle, des milliers de soldats russes sont à la manœuvre dans le Donbass – et je n’ignore pas non plus que, venus en soutien des chiens de guerre de Donetsk et de Lougansk, ou des mercenaires cosaques ou tchétchènes qui se trouvaient déjà là, ils sont en train de faire de cette région de l’Ukraine une sorte de petite Sparte où l’on ne respecte que la force, où l’on ne prône que la violence et où il n’est pas jusqu’à la rhétorique de la « défense des russophones opprimés » qui a cédé la place à un discours nettement plus offensif : je lisais tout à l’heure un article de notre ami Adrian Karatnycky rapportant une déclaration du leader de la République populaire de Donetsk, Aleksandr Zakharchenko – « mon armée, dit en substance ce bandit, est désormais en positon, non seulement de se défendre, mais d’attaquer »…

Face à cela, face à ce changement de discours et, peut-être, d’échelle, je sais que les mots et les belles déclarations ne suffisent plus.

Face à ce qu’il faut bien appeler un nouvel état d’urgence et de péril extrême, je sais que votre pays a besoin d’un soutien beaucoup plus actif que les bonnes paroles diplomatiques.

Mais je tiens à vous dire que nous sommes très nombreux, là aussi, à être de cet avis et que je ne désespère pas que nous soyons, très vite, une vraie majorité à comprendre que c’est ici, à Kiev, que l’Europe joue sa survie et qu’il faut absolument vous aider, donc, à mener et gagner cette bataille.

Vous savez, je suppose, que deux courageux sénateurs américains ont passé, en Commission, un Ukrainian Freedom Support Act qui, s’il est finalement voté, permettra la livraison à l’Ukraine des systèmes de communication cryptée, des drones, des batteries anti-tanks et anti-aériennes, voire des armes de précision qui font si cruellement défaut à son armée.

Eh bien, voyez-vous, j’étais aux États-Unis toutes ces dernières semaines et mon petit doigt me dit que cette loi sera votée dès janvier ou février prochain.

Mon petit doigt me dit aussi qu’il y aura d’autres pays, à commencer par le mien, qui suivront le mouvement et qui, peut-être, qui sait ? le précéderont.

Et j’ai la conviction que vous êtes, là aussi, moins seuls qu’on ne le dit, que Monsieur Poutine ne le croit et que vous ne le pensez probablement vous-même.

En tout cas, je m’y emploie.

Modestement, avec mes moyens limités, mais je m’y emploie.

Ne serait-ce que tout à l’heure, avant de vous retrouver, j’ai rencontré des responsables de la défense nationale de l’Ukraine qui m’ont expliqué la nature de leurs besoins – et j’ai bien l’intention, une fois rentré, de me faire l’écho de ces besoins.

[À l'évidence ce type veut plutôt qu'on finisse par déclarer la guerre à la Russie...]

Et puis encore un dernier, tout dernier mot.

J’ai évoqué, en commençant, la campagne de propagande venue du Kremlin et qui essaie, depuis presque un an, de nous présenter le Maïdan comme un repaire d’antisémites enragés contre lesquels il conviendrait de ressortir l’artillerie lourde des campagnes antifascistes d’autrefois.

Or ce qui me navre c’est que beaucoup de juifs russes semblent être tombés dans le piège et avoir avalé le bobard.

Ce qui, non seulement me navre, mais me met en colère c’est que Poutine ait osé embrigader les juifs de Moscou dans cette campagne fratricide et insensée.

On ne fait pas cela.

On ne joue pas avec ces mots ni avec cette mémoire.

On ne recrée pas la guerre des juifs pour servir des intérêts politiciens médiocres et à court terme.

Et je crois qu’à cela aussi, à cette instrumentalisation indécente et odieuse, il faut trouver le moyen de s’opposer.

Les juifs russes qui, comme le grand rabbin Berel Lazar, tressent des couronnes à Poutine sont-ils les nouveaux idiots utiles du Kremlin ? Sont-ils désinformés ? Otages ? Ont-ils un pistolet sur la tempe ou croient-ils, vraiment, à ce qu’ils disent?

[Ben il ne les voit pas les Juifs russes ????]

[Et il travaille pour l'Association pour le développement de l'Antisémitisme en Russie ou quoi ? Mais réfléchit-il comment les Russes non-Juifs vont prendre ce discours ?]

En tout cas, c’est intolérable.

Cette situation, personnellement, me brise le cœur.

Et je voudrais, ne serait-ce que pour en avoir le cœur net, vous présenter une suggestion.

Organisons une rencontre unitaire des juifs d’Ukraine et de Russie.

Posons, lors de cette rencontre, tous les problèmes sur la table.

Levons, s’il y en a, les principaux malentendus que la propagande a créés.

Et réparons, s’il est brisé, ce lien de vie entre juifs dont Flavius Josèphe, l’auteur de La guerre des juifs, disait qu’il ne fallait jamais laisser les tyrans y toucher et le corrompre.

Je vous dis cela du fond de mon amour pour le judaïsme d’Ukraine qui a tant souffert et qui relève la tête.

Je vous le dis avec tout le respect que je dois à ce judaïsme russe qui sort, lui aussi, d’une interminable nuit et qu’il serait si triste de voir retomber sous la coupe d’un Vladimir Poutine – ah Sharansky ! Yossef Begun, Ida Nudel, Jossef Mendelevitch et Alexandre Lerner, Vladimir Brailowski ! tous ces noms pour lesquels je me suis, avec d’autres Français, tant battu dans ma jeunesse ! tous ces refuzniks, ces refusés de visa qui étaient aussi des hommes du grand refus, des hommes de fer et de résistance, des modèles d’insoumission et de courage !

Tous ces indomptés, il est insupportable, oui, de voir un minable officier du FSB leur faire à nouveau plier l’échine !

A ceux d’entre eux qui ne sont plus de ce monde, nous devons de sauver leurs enfants et leurs héritiers du piège qui se ferme, à nouveau, sur eux.

C’est pour eux, pour eux tous, les morts et les vivants, que j’appelle ici de mes vœux ce grand rassemblement des juifs libres des deux pays, l’Ukraine et la Russie.

Il pourra, ce rassemblement, se tenir à Jérusalem, à Paris ou ailleurs.

Il pourrait se faire à l’initiative de Monsieur le Grand Rabbin de Kiev et d’Ukraine, Yaakov Dov Bleich, ici présent.

Monsieur Victor Pinchuk pourrait en être, dans le droit fil de ce judaïsme d’affirmation et de combat que j’ai décrit, le facilitateur et même l’artisan.

Je ne suis sûr que d’une chose : le fait que cela ait lieu représenterait, à soi seul, une défaite pour Poutine et une victoire, à Moscou comme à Kiev, pour les valeurs de vérité et de liberté.

Je vous remercie. »

Source : Larègledujeu, 25/11/2014

P.S. Faites-nous gagner du temps : tout commentaire à connotation antisémite sera comme toujours supprimé. N’en écrivez-pas, ou signalez-les nous (bouton alerter) – merci…

EDIT : il récidive dans Nice Matin :

« L’Europe se conduit de manière minable face à la Russie »

Pourquoi le sort de l’Europe se joue-t-il, selon vous, en UKraine?

Parce que le projet de Poutine n’est pas de prendre l’Ukraine mais de se venger de l’Europe en la déconstruisant. Il tient l’Europe pour responsable du démantèlement de l’Union soviétique. Et, pour se venger, il s’appuie sur toutes les forces qui, à l’intérieur de nos pays, s’opposent à l’Union européenne.

Qui sont ses « alliés » dans les pays européens?

Les partis d’extrême droite, populistes, xénophobes, comme le Front national en France. Des néonazis comme Soral ou Dieudonné.

L’attitude de Poutine n’est-elle pas aussi une réaction à un certain mépris de l’Europe et l’Otan à l’égard de la Russie depuis 1991?

Quel mépris? L’Otan a refusé les demandes d’intégration de la Géorgie et de l’Ukraine par égard pour Moscou. Obama a fait, depuis 2008, une quantité de gestes en direction de Poutine : réduction équilibrée des forces, intégration dans les organisations internationales… L’idée de l’humiliation de la Russie est un mythe aussi absurde que celui, toutes proportions gardées, de l’Allemagne humiliée des années 30. Je comprends qu’il fallait ménager la Russie après la chute du mur de Berlin pour lui permettre d’entrer dans un grand ensemble, y compris peut-être de libre-échange, avec l’Europe. Mais aujourd’hui, alors que la Russie se réveille avec des projets belliqueux, l’Europe se conduit de manière minable.

[Quand on se sent humilié, c'est qu'on a été humilié - point final...]

Que devrait faire l’Europe?

Organiser symboliquement un sommet de la commission européenne à Kiev. Livrer des armes à l’Ukraine en quantité bien plus grande. Mettre en place un grand plan de développement de l’Ukraine en s’appuyant sur le Fonds monétaire international, la BIRD, le FMI et la BCE.

N’est-ce pas la situation même de l’Ukraine, État tampon dont une partie est tournée vers la Russie et l’autre vers l’Europe, qui génère ce conflit?

L’Alsace-Lorraine, la Wallonie, le Haut-Adige… sont des régions tampons!!! Mais le propre des chefs d’État raisonnables c’est d’éviter que les tampons deviennent des punching-balls!

François Hollande a suspendu la livraison des frégates. Faut-il aller plus loin?

La suspension, c’est parfait. Si la situation change, il les livrera. Mais, pour l’instant, comment voulez-vous qu’on livre un navire de guerre porte-hélicoptères qui pourrait demain aller mouiller devant Marioupol ou Odessa? Les Mistral, ce ne sont pas des paquebots de croisière!

Source : Nice Matin, 29/11/2014

 

Source: http://www.les-crises.fr/enoooorme-bhl-petit-telegraphiste-de-francois-hollande-et-des-officiels-ukrainiens/


“Nous avons la force, la volonté et le courage de protéger notre liberté”, par Vladimir Poutine (+ médias)

Friday 5 December 2014 at 10:50

Un autre regard…

Vladimir Poutine : Discours présidentiel à l’Assemblée fédérale (4 décembre 2014)

Première partie du discours : politique extérieure - Kremlin, Moscou, 4 décembre 2014

 

LE PRÉSIDENT DE LA RUSSIE VLADIMIR POUTINE : Chers membres du Conseil de la Fédération, Députés de la Douma, Citoyens de Russie !

Le discours d’aujourd’hui sera consacré, bien entendu, à la situation et aux conditions actuelles du monde dans lequel nous vivons, ainsi qu’aux défis auxquels nous sommes confrontés. Mais je tiens tout d’abord à vous remercier tous pour le soutien, l’unité et la solidarité dont vous avez fait preuve au cours des récents événements historiques et cruciaux qui vont sérieusement influencer l’avenir de notre pays.

Cette année, nous avons été confrontés à des épreuves auxquelles seule une nation unie et mature et un État véritablement souverain et fort peuvent résister. La Russie a prouvé qu’elle peut protéger ses compatriotes et défendre l’honneur, la vérité et la justice.

La Russie a pu accomplir cela grâce à ses citoyens, grâce à votre travail et aux résultats que nous avons obtenus ensemble, et grâce à notre profonde compréhension de l’essence et de l’importance des intérêts nationaux. Nous avons pris conscience de l’indivisibilité et de l’intégrité de la longue histoire millénaire de notre patrie. Nous sommes venus à croire en nous-mêmes, à croire que nous pouvions faire beaucoup de choses et atteindre tous nos objectifs.

Aujourd’hui, nous ne pouvons bien évidemment pas ne pas évoquer les événements historiques qui ont eu lieu cette année. Comme vous le savez, un référendum a été organisé en Crimée en mars, dans lequel les habitants de la péninsule ont clairement exprimé leur désir de rejoindre la Russie. Après cela, le Parlement de Crimée – il convient de souligner que c’était un parlement tout à fait légitime, qui avait été élu en 2010 – a adopté une résolution d’indépendance. Et enfin, nous avons assisté à la réunification historique de la Crimée et de Sébastopol avec la Russie.

Ce fut un événement d’une importance particulière pour notre pays et notre peuple, parce que la Crimée est une terre où vivent nos compatriotes, et que son territoire est d’une importance stratégique pour la Russie car c’est là que se trouvent les racines spirituelles de la Nation russe, diverse mais solidement unie, et de l’État russe centralisé. C’est en Crimée, dans l’ancienne ville de Chersonèse ou Korsun, comme  les anciens chroniqueurs russes appelaient, que le Grand Prince Vladimir a été baptisé avant d’apporter le christianisme au Rus.

En plus de la similitude ethnique, de la langue commune, des éléments communs de leur culture matérielle, d’un territoire commun – même si ses frontières n’étaient pas tracées et stables –, d’échanges économiques émergents et d’un gouvernement naissant, le christianisme fut une puissante force unificatrice spirituelle qui a contribué à impliquer dans la création de la Nation russe et de l’État russe les diverses tribus et alliances tribales du vaste monde slave oriental. C’est grâce à cette unité spirituelle que nos ancêtres, pour la première fois et pour toujours, se considérèrent comme une nation unie. Tout cela nous amène à affirmer que la Crimée, l’ancienne Korsun ou Chersonèse, et Sébastopol, ont une importance civilisationnelle et même sacrée inestimable pour la Russie, comme le Mont du Temple à Jérusalem pour les adeptes de l’Islam et du Judaïsme.

Et c’est ainsi que nous les considèrerons toujours.

Chers amis,

Aujourd’hui, il est impossible de ne pas revenir sur notre point de vue au sujet des développements en Ukraine et de la façon dont nous avons l’intention de travailler avec nos partenaires à travers le monde.

Il est bien connu que la Russie a non seulement soutenu l’Ukraine et d’autres républiques frères de l’ancienne Union soviétique dans leurs aspirations à la souveraineté, mais qu’elle a aussi grandement facilité ce processus dans les années 1990. Depuis lors, notre position n’a pas changé.

Chaque nation a le droit souverain et inaliénable de déterminer sa propre voie de développement, de choisir ses alliés, son régime politique et la forme d’organisation de sa société, de créer une économie et d’assurer sa sécurité.La Russie a toujours respecté ces droits et les respectera toujours. Ils s’appliquent pleinement à l’Ukraine et au peuple ukrainien frère.

Il est vrai que nous avons condamné le coup d’État et la prise violente du pouvoir à Kiev en février dernier. Les développements auxquels nous assistons actuellement en Ukraine et la tragédie qui se déroule dans le sud-est du pays confirment pleinement la justesse de notre position.

Comment tout cela a-t-il commencé ? Je vais devoir vous rappeler ce qui s’est alors passé. Il est difficile de croire que tout a commencé avec la décision technique par le président Ianoukovitch de reporter la signature de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne. Ne vous méprenez pas sur ce point, il n’a pas refusé de signer le document, mais il a seulement reporté la finalisation de cet accord en vue d’y faire quelques ajustements. Comme vous le savez, cette décision a été prise en pleine conformité avec le mandat constitutionnel d’un chef d’Etat tout à fait légitime et internationalement reconnu.

Dans un tel contexte, il n’était pas question pour nous de soutenir le coup de force, la violence et les meurtres. Il suffit de considérer les événements sanglants à Odessa, où des gens ont été brûlés vifs. Comment les tentatives ultérieures de répression des populations du sud de l’Ukraine, qui s’opposent à ce carnage, pourraient-elles être soutenues ? Je répète qu’il nous était absolument impossible de cautionner ces développements. Qui plus est, ils ont été suivis par des déclarations hypocrites sur la protection du droit international et des droits humains. C’est du cynisme à l’état pur. Je crois fermement que le temps viendra où le peuple ukrainien fera une juste évaluation de ces événements.

Comment le dialogue sur cette question a-t-il commencé entre la Russie et ses partenaires américains et européens ?Je mentionne nos amis américains à dessein, car ils influencent continuellement les relations de la Russie avec ses voisins, ouvertement ou en coulisses. Parfois, nous ne savons pas même avec qui parler : avec les gouvernements de certains pays ou directement avec leurs mécènes et sponsors américains ?

Comme je l’ai mentionné, dans le cas de l’accord d’association UE-Ukraine, il n’y eut absolument pas de dialogue.On nous a dit que ce n’était pas notre affaire, ou, pour le dire simplement, on nous a dit « où » aller.
Tous les arguments rappelant que la Russie et l’Ukraine sont des membres de la zone de libre-échange de la CEI,que nous avons historiquement établi une coopération profonde dans l’industrie et l’agriculture, et que nous partageons essentiellement la même infrastructure – personne ne voulait entendre ces arguments, et encore moins en tenir compte.

Notre réponse a été de dire : très bien, si vous ne voulez pas avoir de dialogue avec nous, nous allons devoir protéger nos intérêts légitimes unilatéralement et nous ne paierons pas pour ce que nous considérons comme une politique erronée.

Quel a donc été le résultat de tout cela ? L’accord entre l’Ukraine et l’Union européenne a été signé et ratifié, mais la mise en œuvre des dispositions concernant le commerce et l’économie a été reportée jusqu’à la fin de l’année prochaine. Cela ne prouve-t-il pas que c’est nous qui avions raison ?

Il faut aussi poser la question des raisons pour lesquelles tout cela a été fait en Ukraine. Quel était le but du coup d’État contre le gouvernement ? Pourquoi tirer et continuer à tirer et à tuer des gens ? De fait, l’économie, la finance et le secteur social ont été détruits et le pays a été ravagé et ruiné.

Ce dont l’Ukraine a besoin actuellement est d’une aide économique pour mener des réformes, pas de politique de bas étage et de promesses pompeuses mais vides. Toutefois, nos collègues occidentaux ne semblent pas désireux de fournir une telle assistance, tandis que les autorités de Kiev ne sont pas prêtes à relever les défis auxquels leurs citoyens sont confrontés.

A ce propos, la Russie a déjà apporté une contribution énorme en aide à l’Ukraine. Permettez-moi de rappeler que les banques russes ont déjà investi 25 milliards de dollars en Ukraine. L’année dernière, le ministère russe des Finances a accordé un prêt de 3 milliards de dollars. Gazprom a encore fourni 5,5 milliards de dollars à l’Ukraine et a même offert un rabais qui n’était pas prévu, en exigeant du pays qu’il ne rembourse que 4,5 milliards. Additionnez le tout et vous obtenez de 32,5 à 33,5 milliards de dollars récemment fournis.

Bien sûr, nous avons le droit de poser des questions. Pour quelles raisons cette tragédie a-t-elle été menée en Ukraine? N’était-il pas possible de régler toutes les questions, même les questions litigieuses, par le dialogue, dans un cadre légal et légitime ?

Mais maintenant, on nous dit qu’il s’agissait de mesures politiques équilibrées et compétentes auxquelles nous devrions nous soumettre sans discussion et les yeux bandés.

Cela n’arrivera jamais.

Si pour certains pays européens, la fierté nationale est un concept oublié depuis longtemps et que la souveraineté est trop de luxe, pour la Russie, une véritable souveraineté est absolument nécessaire pour la survie.

Principalement, nous devrions prendre conscience de cela en tant que nation. Je tiens à souligner ceci : soit nous restons une nation souveraine, soit nous nous dissolvons sans laisser de trace et perdons notre identité. Bien sûr,d’autres pays doivent comprendre cela aussi. Tous les acteurs de la vie internationale doivent être conscients de cela.Et ils devraient utiliser cette compréhension pour renforcer le rôle et l’importance du droit international, dont nous avons tellement parlé ces derniers temps, plutôt que d’en plier les normes en fonction d’intérêts stratégiques tiers contraires aux principes fondamentaux du droit et au bon sens, considérant tout le monde comme des gens peu instruits qui ne savent ni lire ni écrire.

Il est impératif de respecter les intérêts légitimes de tous les participants au dialogue international. Alors seulement, non pas avec des mitraillettes, des missiles ou des avions de combat, mais précisément avec la primauté du droit pourrons-nous efficacement protéger le monde d’un conflit sanglant. Alors seulement, il n’y aura pas besoin d’essayer d’effrayer quiconque avec la menace d’un isolement imaginaire et trompeur, ou de sanctions qui sont, bien sûr, dommageables, mais dommageables pour tout le monde, y compris ceux qui les initient.

En parlant des sanctions, elles ne sont pas seulement une réaction impulsive de la part des États-Unis ou de leurs alliés à notre position concernant le coup d’Etat ou les événements en Ukraine, ou même au soi-disant « printemps de Crimée ». Je suis sûr que si ces événements ne s’étaient pas produits – je tiens à le souligner spécialement pour vous, politiciens, présents dans cet auditorium –, même si rien de tout cela ne s’était passé, ils auraient trouvé une autre excuse pour tenter d’endiguer les capacités croissantes de la Russie, de nuire à notre pays d’une quelconque manière, ou d’en tirer quelque avantage ou profit.

La politique d’endiguement n’a pas été inventée hier. Elle a été menée contre notre pays depuis de nombreuses années, toujours, depuis des décennies, sinon des siècles. En bref, chaque fois que quelqu’un pense que la Russie est devenue trop forte ou indépendante, ces mesures sont immédiatement déployées contre elle.

Cependant, parler à la Russie d’une position de force est un exercice futile, même quand elle est confrontée à des difficultés internes, comme ce fut le cas dans les années 1990 et au début des années 2000.

Nous nous souvenons bien de l’identité et de procédés de ceux qui, presque ouvertement, ont à l’époque soutenu le séparatisme et même le terrorisme pur et simple en Russie, et ont désigné des meurtriers, dont les mains étaient tachées de sang, comme des « rebelles », et ont organisé des réceptions de haut niveau pour eux.Ces « rebelles » se sont encore manifestés en Tchétchénie. Je suis sûr que les gens sur place, les forces de l’ordre locales, s’en occuperont de la manière appropriée. Ils œuvrent en ce moment même à stopper un autre raid de terroristes et à les éliminer. Donnons-leur tout notre soutien.

Permettez-moi de le répéter, nous nous souvenons des réceptions de haut niveau organisées pour des terroristes présentés comme des combattants pour la liberté et la démocratie. Nous avons alors réalisé que plus nous cédions du terrain, plus nos adversaires devenaient impudents et leur comportement se faisait de plus en plus cynique et agressif.


Malgré notre ouverture sans précédent alors, et notre volonté de coopérer sur tous les points, même sur les questions les plus sensibles, malgré le fait que nous considérions – et vous êtes tous conscients de cela, vous en avez tous le souvenir – nos anciens adversaires comme des amis proches et même des alliés, le soutien occidental au séparatisme en Russie, incluant un soutien informationnel, politique et financier, en plus du soutien des services spéciaux, était absolument évident et ne laissait aucun doute sur le fait qu’ils seraient heureux de laisser la Russie suivre le scénario yougoslave de désintégration et de démantèlement, avec toutes les retombées tragiques que cela entraînerait pour le peuple russe.


Cela n’a pas fonctionné. Nous n’avons pas permis que cela se produise.


Tout comme cela n’a pas fonctionné pour Hitler avec ses idées de haine des peuples, qui a entrepris de détruire la Russie et de nous repousser au-delà de l’Oural. Tout le monde devrait se rappeler comment cela a fini.

L’année prochaine, nous allons marquer le 70e anniversaire de la Victoire dans la Grande Guerre patriotique. Notre armée a écrasé l’ennemi et a libéré l’Europe. Cependant, nous ne devons pas oublier les défaites amères en 1941 et 1942 afin de ne pas répéter les erreurs à l’avenir.

Dans ce contexte, je vais aborder une question de sécurité internationale. Il y a beaucoup de questions liées à ce sujet. Elles incluent notamment la lutte contre le terrorisme. Nous assistons encore à ses manifestations, et bien sûr,nous participerons aux efforts conjoints pour lutter contre le terrorisme sur le plan international. Bien sûr, nous allons travailler ensemble pour faire face à d’autres défis, tels que la propagation des maladies infectieuses.

Cependant, à ce propos, j’aimerais parler de la question la plus grave et la plus sensible question : la sécurité internationale. Depuis 2002, après que les États-Unis se soient unilatéralement retirés du Traité ABM, qui était une pierre angulaire absolue de la sécurité internationale, un équilibre stratégique des forces et de la stabilité, les États-Unis ont travaillé sans relâche à la création d’un système global de défense antimissile, y compris en Europe. Ceci constitue une menace non seulement pour la sécurité de la Russie, mais pour le monde dans son ensemble –précisément en raison de la perturbation possible de l’équilibre stratégique des forces.

Je considère que ce projet est également mauvais pour les États-Unis, car il crée une dangereuse illusion d’invulnérabilité. Il renforce la tension vers des décisions qui sont souvent, comme nous pouvons le constater,irréfléchies et unilatérales, et amène des risques supplémentaires.

Nous avons beaucoup parlé de cela. Je ne vais pas entrer dans les détails maintenant. Je dirai seulement ceci – peut-être que je me répète : nous n’avons nullement l’intention de nous engager dans une course aux armements coûteuse, mais en même temps, nous allons garantir de manière fiable et efficace la défense de notre pays dans ces nouvelles conditions. Il n’y a absolument aucun doute à ce sujet. Cela sera fait. La Russie a à la fois la capacité et les solutions innovantes pour cela.

Personne ne pourra jamais parvenir à une supériorité militaire sur la Russie. Nous avons une armée moderne et prête au combat. Comme on dit actuellement, une armée courtoise, mais redoutable. Nous avons la force, la volonté et le courage de protéger notre liberté.

Nous allons protéger la diversité du monde. Nous dirons la vérité aux peuples à l’étranger, de sorte que tout le monde puisse voir l’image réelle et non déformée et fausse de la Russie. Nous allons promouvoir activement les affaires et les échanges humanitaires, ainsi que les relations scientifiques, éducatives et culturelles. Nous le ferons même si certains gouvernements tentent de créer un nouveau rideau de fer autour de la Russie.

Nous n’entrerons jamais dans la voie de l’auto-isolement, de la xénophobie, de la suspicion et de la recherche d’ennemis.

Ce sont là des manifestations de faiblesse, alors que nous sommes forts et confiants.

Notre objectif est d’avoir autant de partenaires égaux que possible, à la fois dans l’Ouest et à l’Est. Nous allons étendre notre présence dans ces régions où l’intégration est à la hausse, où la politique n’est pas mélangée avec l’économie (et vice versa), et où les obstacles au commerce, à l’échange de technologie et de l’investissement et à la libre circulation des personnes sont levés.

En aucun cas, nous n’allons limiter nos relations avec l’Europe ou l’Amérique. Dans le même temps, nous allons restaurer et étendre nos liens traditionnels avec l’Amérique du Sud. Nous allons poursuivre notre coopération avec l’Afrique et le Moyen-Orient.

Nous voyons à quelle vitesse l’Asie-Pacifique s’est développé au cours des dernières décennies. En tant que puissance du Pacifique, la Russie tirera pleinement parti de de potentiel énorme.

Tout le monde connaît les dirigeants et les « locomotives » du développement économique mondial. Beaucoup d’entre eux sont nos amis sincères et des partenaires stratégiques.

L’Union économique eurasienne va commencer à être pleinement opérationnelle le 1er janvier 2015. J’aimerais vous rappeler ses principes fondamentaux. Les principes majeurs sont l’égalité, le pragmatisme et le respect mutuel, ainsi que la préservation de l’identité nationale et de la souveraineté de l’État de tous les pays membres. Je suis convaincu qu’une coopération étroite sera une puissante source de développement pour tous les membres de l’Union économique eurasienne.

Pour conclure cette partie de mon discours, j’aimerais dire encore une fois que nos priorités sont d’avoir des familles saines et une nation saine, ce sont les valeurs traditionnelles que nous avons héritées de nos ancêtres, combinées avec un accent sur l’avenir, la stabilité comme une condition essentielle du développement et du progrès, le respect des autres nations et États, et la sécurité garantie de la Russie et la protection de ses intérêts légitimes.

[… Suit alors une partie plus économique...]

Discours original (russe) : http://kremlin.ru/news/47173
Traduction en anglais : http://eng.news.kremlin.ru/news/23341
Version française : http://www.sayed7asan.blogspot.fr

N.B. Si une erreur importante de traduction a été faite, signalez le moi…

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Maintenant que vous avez le texte, vous apprécierez le travail des journalistes dans le compte rendu…

 

Le Figaro : La charge de Poutine contre l’Occident

VIDÉO – Dans un discours virulent, le président russe a fustigé les «ennemis» de Moscou, entérinant la fracture grandissante avec l’Union européenne et les États-Unis.

Jusque dans les dernières heures et la nuit précédant l’événement, le président russe a corrigé des pans entiers de son discours, prérédigé par ses conseillers, modifiant lui-même des paragraphes. Et c’est un Vladimir Poutine mordant, parfois fiévreux, qui s’est finalement adressé jeudi à la nation, depuis la salle des fêtes du Kremlin, dans un exercice annuel destiné à rappeler à ses compatriotes, jusqu’au fin fond des campagnes, la solennité et la puissance du pouvoir russe. Pour les assurer surtout que l’Occident, cet ennemi diffus du Kremlin, doté de «valeurs» étrangères, ne fera jamais plier la Russie. C’est cette entité vague, plus encore que le régime de Kiev, dirigé par des «sponsors américains», qui constitue désormais aux yeux de Vladimir Poutine la principale menace pour les intérêts russes. Officiellement, Moscou n’a pas l’intention de «rompre» avec l’Union européenne et les États-Unis. Mais il était acquis, après une heure de discours, que les partenaires d’autrefois sont engagés dans une crise profonde et durable.

La Crimée est sacrée

Certes, les autorités ukrainiennes ont agi avec «cynisme», elles ont «fusillé, tué des gens» ; les responsables du «coup d’État» de Kiev ont fait «brûler vifs» leurs opposants, comme à Odessa. Néanmoins, le président russe a relégué les autorités de Kiev à un rôle subalterne, préférant s’attaquer à leurs «parrains» occidentaux. «Même sans la Crimée et l’Ukraine, les États-Unis et leurs alliés auraient inventé autre chose pour freiner les opportunités de la Russie. Et cette manière de faire ne date pas d’hier», a accusé Vladimir Poutine. «Aujourd’hui, ils essayent de toutes leurs forces de nous persuader qu’il existe une politique équilibrée à laquelle nous devons obéir sans réfléchir et de manière aveugle. Mais ce ne sera pas le cas», a-t-il ajouté. La Russie possède une «armée moderne, redoutable, prête au combat» interdisant à ses ennemis d’espérer acquérir la «suprématie militaire», a ajouté le chef du Kremlin, filant les métaphores historiques: tout comme elle a repoussé les nazis, elle a empêché l’Occident de «nous entraîner dans un scénario yougoslave de démantèlement». «Hitler s’apprêtait à anéantir la Russie et à nous repousser jusqu’à l’Oural. Tout le monde doit se souvenir comment ce genre de choses se termine», a-t-il menacé.

Négociations laborieuses

Ce faisant, Vladimir Poutine n’a eu aucun mot pour les négociations laborieuses en vue de parvenir à une trêve dans le Donbass, semblant même se désintéresser du confit ukrainien. «La tragédie qui a lieu là-bas conforte totalement la justesse de notre position», a simplement déclaré le président russe, ajoutant que Moscou avait financièrement aidé son voisin, à hauteur de 33 milliards de dollars. «En appelant les parties au dialogue, nous avons fait en Ukraine ce que nous avions à faire», a précisé au Figaro le vice-président de la Douma, Sergueï Neverov. Ces déclarations n’empêchent pas le Parlement de préparer une réunion à huis clos destinée à discuter l’octroi d’un statut officiel aux soldats russes ayant combattu dans le Donbass et à indemniser leurs familles. Par ailleurs, un général russe a participé aux négociations d’une trêve, annoncée jeudi soir. En comparaison, le chef du Kremlin s’est largement étendu sur «l’union historique» de la Crimée avec la Russie, qu’il a assimilée à un événement «sacré», comparant même certains lieux de la presqu’île à des lieux sacrés de Jérusalem. Directement face à lui, assis aux côtés des principaux dirigeants du gouvernement, le patriarche Kirill buvait ses paroles.

Les partis qualifiés d’opposition à la Douma ont également salué les propos présidentiels. «Nous allons construire un État fort, indépendant et souverain», s’est félicité le chef du parti Russie juste, Sergueï Mironov. Au même moment, à Bâle, le secrétaire d’État américain, John Kerry, appelait la Russie à ne pas «s’isoler par ses propres actions»…

Source : Le Figaro

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Le Monde : Poutine, virulent, s’en prend à un Occident qui veut « freiner » la Russie

Inintimidable. Vladimir Poutine, le président de la Russie, a prononcé un discours annuel particulièrement acerbe à l’égard des pays occidentaux, jeudi 4 décembre, devant les chambres réunies du Parlement russe. Il défendait devant elles le bilan d’une année marquée par plusieurs crises qui ont renforcé l’isolement de la Russie sur la scène internationale, de la guerre en Ukraine, à une crise économique provoquée de concert par les sanctions occidentales et de la chute des prix du pétrole. Un fossé que le président russe a un peu plus creusé, jeudi, en s’en prenant directement aux Occidentaux.

Evoquant la crise ukrainienne, Vladimir Poutine a martelé que les événements illustraient la justesse de la politique russe, et accusé l’Occident de cynisme dans son approche de la crise. Il a défendu l’annexion en mars par la Russie de la presqu’île de Crimée, qui faisait partie de l’Ukraine depuis les années 1950, du temps de l’Union soviétique. « Pour la Russie, la Crimée a un sens civilisationnel et sacré (…) enfin a eu lieu la réunification historique de la Crimée et de Sébastopol avec la Russie ».

Au sujet des sanctions en vigueur, après les événements en Ukraine, il a défié les Occidentaux, estimant que « les sanctions n’étaient pas qu’une réaction nerveuse des Etats-Unis ou de leurs alliés ». « Même sans cela [la Crimée, l'Ukraine] ils auraient inventé autre chose pour freiner les possibilités croissantes de la Russie. » « Cette manière de faire ne date pas d’hier », a-t-il ajouté.

« Cela fait des décennies, des siècles. En fait, à chaque fois que quelqu’un estime que la Russie est trop forte, indépendante, ces mécanismes (de freinage de la Russie) se mettent en place ».

Répétant que la position russie est « juste », Vladimir Poutine a encore ajouté :

« Il ne fait aucun doute qu’ils auraient aimé voir à l’oeuvre chez nous le scénario yougoslave d’un effondrement et d’un démembrement avec toutes les tragiques conséquences que cela aurait eu pour les peuples de Russie. Cela ne s’est pas produit. Nous ne l’avons pas permis. »

Il a également critiqué les Etats-Unis, qui « cherchent à influencer, en coulisses ou directement, nos relations avec nos voisins »« Parfois, on ne sait pas à qui il vaut mieux parler, avec les gouvernements ou directement avec leurs protecteurs ou leurs sponsors américains », a-t-il ironisé.

Le président russe a cependant affirmé qu’il ne voulait pas jouer l’isolement, assurant que la Russie ne cesserait pas sa coopération avec l’Europe et les Etats-Unis et qu’elle resterait ouverte aux investissements étrangers.

« Nous ne suivrons jamais la voie de l’isolement, de la xénophobie, de la suspicion et de la recherche d’ennemis. Tout cela, ce sont des manifestations de faiblesse tandis que nous sommes forts et que nous avons confiance en nous. »

« Nous n’avons ni le dessein ni le souhait de voir la Russie s’isoler par ses propres actions », a déclaré, pour sa part, le secrétaire d’Etat américain John Kerry devant l’OSCE à Bâle à propos de la situation en Ukraine, ajoutant que les Etats-Unis « ne cherchent pas la confrontation ».

Source : Le Monde

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Poutine étrille l’Europe dans son discours annuel

Vladimir Poutine a prononcé aujourd’hui son grand discours annuel. L’occasion pour le président russe de remettre en avant la grandeur de son pays et de critiquer les interventions européennes en Crimée. Pour lui, il s’agit d’un “prétexte”. 

Les Américains ont leur discours sur l’état de l’Union. Les Russes ont leur discours sur l’état de la Fédération. Dans les deux cas, il s’agit pour le président de faire un bilan de l’année passée, de présenter ses ambitions et son programme pour l’année à venir. Au Kremlin, chaque année, cette apparition rassemble plusieurs centaines de parlementaires, de ministres et de chefs religieux.

Après son départ discret du sommet du G20 en Australie, le mois dernier, Vladimir Poutine voulait visiblement reprendre une figure d’autorité. Plus question de se montrer isolé sur la scène internationale à cause du conflit en Ukraine. Cette fois, pendant plus d’une heure, son discours était beaucoup plus nationaliste.

Les Occidentaux veulent “freiner la Russie”, qui est une ”nation saine”, ”capable de défendre militairement ses compatriotes”, a dit le chef du Kremlin. Pour lui, les interventions occidentales en Ukraine ne sont qu’un “prétexte pour punir la Russie”. 

Source : France Inter

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Poutine accuse les ennemis de la Russie de vouloir sa perte

Le papier, dont je ne reprends que la fin, est plus intéressant et complet (c’est du Reuters, pas de l’AFP) – mais reste très orienté…

L’économie, le grand danger de Poutine

La stabilité de l’économie, dont le cours du rouble est un indicateur, est sans doute cruciale pour Vladimir Poutine, arrivé au pouvoir il y a quatorze ans après la crise financière de 1998 qui avait fait fondre la devise russe et avait dilapidé l’épargne des ménages russes.

Sa popularité du reste doit largement au souvenir du chaos des années 1990 et à la comparaison avec la stabilité qu’il a su faire revenir. Mais le rouble a cédé près du tiers de sa valeur depuis le début de l’année, la chute des cours pétroliers pèse grandement sur les finances publiques et les banques et compagnies russes éprouvent des difficultés à se financer en dollars pour rembourser leurs dettes extérieures.

“Le plus grand danger pour le président, c’est l’économie, sous la double pression des sanctions et de la chute des cours du pétrole”, souligne le politologue Kirill Rogov dans le quotidien d’affaires Vedomosti.

Les annonces de Vladimir Poutine n’ont pas convaincu les économistes. “C’est de la vieille école, un truc de la Guerre froide”, a réagi l’analyste Tim Ash, de la Standard Bank.

Sergueï Aleksachenko, ancien vice-gouverneur de la Banque centrale, ne voit dans le discours de Poutine “rien à débattre ni rien à attendre”. “Tout va continuer en l’état, et cela lui convient”, ajoute-t-il. (Eric Faye et Henri-Pierre André pour le service français)

(Avec Reuters)

Source : Challenges

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FRI : «Une forte tonalité Guerre froide» dans le discours de Poutine

Le président russe Vladimir Poutine a prononcé, jeudi 4 décembre, son discours annuel devant les parlementaires des deux chambres. Cette année, il revêt un costume particulier, eut égard à la crise en Ukraine et l’isolement de Moscou sur la scène internationale. Jean-Sylvestre Mongrenier, docteur en géopolitique, professeur agrégé d’Histoire-Géographie et chercheur à l’Institut français de géopolitique, analyse pour RFI le discours du président russe.

RFI : Le président russe a averti ses concitoyens : des temps difficiles sont à venir sur le plan économique. L’allocution prononcée mardi était un discours de justification de cette situation économique mais également un discours politique de fermeté vis-à-vis de l’Europe, qu’il juge responsable de cette situation. Finalement, y a-t-il quelque chose de nouveau dans l’allocution prononcée par le président russe ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Non, il n’y a rien de nouveau dans ce discours du président russe. Cette allocution s’inscrit dans le prolongement des discours prononcés par Vladimir Poutine ces dernières semaines et ces derniers mois, notamment le discours du Valdaï et celui prononcé devant le Sénat russe, après le rattachement manu militari de la Crimée à la Russie. C’est un discours qui a une forte tonalité Guerre froide d’opposition à l’Occident.

Vladimir Poutine s’est engagé à ce que d’ici quatre ans, la croissance russe soit supérieure à celle de n’importe quel autre pays. Quand il dit ça, est-il lui-même convaincu de ce qu’il avance ?

Je doute qu’il le soit. Cet engagement est vraiment rhétorique. Il traduit une volonté de mobiliser l’opinion publique russe. Les sanctions prises par les Occidentaux, en réaction à la politique ukrainienne de Vladimir Poutine, ont des conséquences sur l’économie russe.

De surcroît, il y a une chute des prix du pétrole. Aujourd’hui, le baril est aux alentours de 60 dollars alors que tous les calculs budgétaires russes sont fondés sur un baril à 100 dollars. Il y a donc forcément des conséquences qui sont importantes pour un pays qui n’a pas fait les réformes nécessaires pendant les années 2000, au moment où il y avait des rentrées importantes, au moment où il y avait une croissance économique forte.

Le discours de Vladimir Poutine traduit une volonté de reposer un objectif mais c’est très volontariste et finalement, très artificiel. Ce n’est pas articulé sur les réalités, les perspectives.

Que signifie le fait que le président russe ait demandé à la Banque centrale de mettre fin à la spéculation sur le rouble ?

Cela ne signifie pas grand-chose. La Banque centrale a renoncé à intervenir parce qu’elle était en train de dépenser une bonne partie de ses réserves de change dans le soutien du cours du rouble vis-à-vis de l’euro et du dollar. Ces dernières semaines, la décision qui a été prise, c’est de laisser flotter le rouble.

Je pense que cela nous confirme le côté très tchékiste de Vladimir Poutine. Cela donne le sentiment que pour lui, l’économie est une simple annexe de la politique et qu’il suffit d’ordonner pour que les réalités économiques et monétaires se plient, résonnent dans les termes d’une économie de commande.

[NdR. : La Tchéka est la première police politique de l'URSS, ancêtre du KGB. LaTchéka a duré de 1917 à 1922, et fut ensuite renommée Guépéou.] [Poutine est donc un clown à moitié dingue, CQFD]

Concernant la crise en Ukraine, le président russe fait savoir que ce n’est qu’un prétexte pour imposer des sanctions à son pays. « Les Occidentaux, dit-il, souhaitaient depuis longtemps freiner la marche de la Russie. » Ce discours a-t-il une visée uniquement intérieure ou s’adresse-il aussi aux pays européens et à Barack Obama ?

Vladimir Poutine s’adresse aussi aux Occidentaux en général. Il est dans une logique de confrontation. Il y a une volonté de la Russie de se placer au centre du jeu international, là où les dirigeants occidentaux considèrent la Russie comme un acteur secondaire, centré soit sur des problématiques domestiques, soit sur l’Asie-Pacifique.

Du côté du président russe et des cercles de pouvoir autour de lui, il y a une volonté de revanche. Il y a une volonté de poser la Russie au centre du jeu international. Et Vladimir Poutine y parvient d’une certaine manière, à travers son pouvoir de nuisance.

Il y a aussi tout le contexte obsidional. Tout le monde en voudrait en permanence à la Russie, il y aurait un gigantesque complot au niveau planétaire pour essayer d’abaisser ce pays, alors même que toute la politique russe menée par les Occidentaux dans l’après-Guerre froide a consisté à essayer d’arrimer la Russie, de la faire entrer dans une espèce d’ensemble « panoccidental ».

Même après la guerre de la Russie contre la Géorgie en 2008, on a vu le président américain Barack Obama pratiquer une politique de relance des relations russo-américaines qui n’a pas porté ses fruits, tout simplement parce que Vladimir Poutine a sa propre vision des choses, sa propre hiérarchie des priorités. Il veut poser la Russie comme puissance entre un ensemble américano-occidental d’un côté, et de l’autre côté, toute cette Chine émergente ou plutôt émergée.

Comment analysez-vous le double langage du président russe quand il dit qu’il ne veut pas rompre avec les Etats-Unis et l’Europe ?

Il y a quand même la prise en compte d’un minimum de réalité. D’un côté, Vladimir Poutine peut tenir une rhétorique centrée sur l’économie de commande, faire comme si la Russie était une gigantesque économie isolée, fonctionnant en elle-même et pour elle-même.

Mais en même temps, le fait est que 70% des exportations de la Russie, c’est du pétrole et du gaz, très largement à destination de l’Union européenne. C’est beaucoup plus que les volumes actuels et à venir à destination de la Chine. Ces exportations représentent la moitié des ressources fiscales de l’Etat russe et pratiquement le 1/5e du PIB.

Economiquement, une politique d’isolement ne peut qu’entraîner des effets pervers, négatifs. Donc Vladimir Poutine cherche une sorte de point d’équilibre entre réaffirmation de puissance d’un côté et de l’autre, la prise en compte du nerf de la guerre, c’est-à-dire, finalement, des ressources financières qui sont indispensables au fonctionnement de l’Etat russe et au financement de la politique de puissance qu’il veut mener.

Vladimir Poutine est-il de plus en plus suivi aujourd’hui par la population russe ?

Qu’en sait-on finalement? On regarde quelques sondages sur la popularité du président russe, mais est-ce qu’il y a encore, aujourd’hui, une véritable société civile russe avec des acteurs pleinement indépendants ? Il semble qu’il y ait une approbation d’une manière assez automatique, mais cela tient plus de l’acclamation que d’un consensus en profondeur avec toutes les conséquences économiques de sa politique.

Dans la durée, on peut penser que ce consensus pourrait se révéler finalement assez artificiel. Mais on est obligé d’extrapoler à partir de données qui sont très fragmentaires, très parcellaires. Quand on répète que Vladimir Poutine est soutenu par son peuple, quelque part, on reproduit sa propagande.

[donc personne ne le soutient, CQFD] [Géopoliticien le gars soi-disant...]

Source : RFI

Source: http://www.les-crises.fr/nous-avons-la-force-la-volonte-et-le-courage-de-proteger-notre-liberte-par-vladimir-poutine/


« Parachèverons-nous l’Ordre Mondial par le chaos ou la réflexion ? » par Henry Kissinger

Friday 5 December 2014 at 04:41

Superbe interview réalisée par Juliane von Mittelstaed et Erich Follath pour le journal allemand Spiegel.

Cette bonne vielle crapule de Kissinger – tel un Talleyrand – a juste raison depuis le 1er jour - relire son interview de début mars ici. Mais qu’importe, quand l’intégrisme et la bêtise gouvernent ?

Henry Kissinger est le plus fameux et le plus controversé des secrétaires d’état qu’aient jamais eu les États-Unis. Dans une interview, il commente son dernier livre dans lequel il analyse les crises de notre temps, de la Syrie à l’Ukraine, ainsi que les limites de la puissance américaine. Il affirme s’être conformé à ses convictions lors de la guerre du Vietnam.

Henri Kissinger fait plus jeune que ses 91 ans. Il est concentré, affable, mais aussi sur ses gardes, sur la défensive à tout instant pour éviter les questions embarrassantes. Ce n’est, bien sûr, pas une surprise. Alors que son intelligence est communément respectée, son héritage politique est controversé. Au fil des années, on a tenté de le juger pour crimes de guerre à plusieurs reprises.

De 1969 à 1977, Kissinger a servi sous la présidence de Richard Nixon et de Gerald Ford, d’abord en tant que Conseiller à la Sécurité Nationale, puis comme secrétaire d’état. Postes auxquels il partagea la responsabilité des bombardements au napalm au Vietnam, au Cambodge et au Laos, qui ont tué et mutilé des dizaines de milliers de civils. Kissinger a aussi soutenu le putsch contre Salvador Allende au Chili, et il est accusé d’avoir eu connaissance des complots meurtriers de la CIA. Des documents déclassifiés il y a quelques semaines révèlent qu’il avait établi des plans secrets pour des frappes aériennes contre Cuba. Cette idée fut abandonnée dès l’élection du démocrate Jimmy Carter en 1976.

Néanmoins, Kissinger reste un homme dont la présence est souvent la bienvenue à la Maison Blanche, où il donne encore jusqu’à ce jour des conseils aux présidents et secrétaires d’états.

Rien dans les années de jeunesse de Kissinger ne laissait présager de son ascension fulgurante dans la politique américaine. Né Heinz Alfred Kissinger dans la ville allemande de Fürt en 1923, sa famille juive émigra aux États-Unis en 1938. Après la Seconde Guerre Mondiale il revint en Allemagne pour participer à la recherche d’anciens membres de la Gestapo. Plus tard il étudia les sciences politiques et devint professeur à Harvard à l’âge de 40 ans.

Kissinger a publié récemment son 17e livre, une œuvre dont l’entreprise est tout sauf modeste et qui porte le titre « l’Ordre Mondial ». Pendant que nous préparions avec lui son interview il nous demanda que l’Ordre Mondial en soit le sujet. Malgré ses racines germaniques et le fait qu’il lise chaque semaine Der Spiegel sur son iPad, Kissinger préfère s’exprimer en anglais. Au bout des 90 minutes passées ensemble à New York, Kissinger nous dit qu’il risquait sa tête pour tout ce qu’il avait raconté. Mais bien sûr un homme tel que lui sait précisément ce qu’il veut et ne veut pas dire.

SPIEGEL : Dr Kissinger, lorsque nous regardons le monde aujourd’hui, il semble plus désordonné que jamais – avec des guerres, des catastrophes et du chaos de toute part. L’est-il vraiment plus qu’avant ?

Kissinger : Il semble qu’il le soit. Le chaos nous menace de par la propagation des armes de destruction massive et du terrorisme transfrontalier. Il y a aujourd’hui un phénomène de non-gouvernance territoriale et nous avons vu, par exemple, qu’en Libye un territoire non gouverné peut avoir une grande incidence sur le désordre du monde. L’état en tant que tel est attaqué, pas dans toutes les parties du monde, mais dans de nombreuses parts. Mais en même temps, et cela semble être un paradoxe, c’est la première fois que l’on peut parler d’ordre mondial.

SPIEGEL : Qu’entendez-vous par là ?

Kissinger : Pour la plus grande partie de l’histoire jusqu’à un temps récent, l’ordre mondial était un ordre régional. C’est la première fois que différentes parties du monde peuvent interagir avec chaque partie du monde. Cela rend nécessaire un nouvel ordre pour le monde globalisé. Mais il n’y a pas de règles universellement acceptées. Il y a le point de vue chinois, la conception islamique, la vision occidentale et, dans une certaine mesure, le point de vue russe. Et ils ne sont pas vraiment toujours compatibles.

SPIEGEL : Dans votre nouveau livre, vous faites souvent référence au traité de paix de Westphalie de 1648 comme modèle pour l’ordre mondial, suite à la guerre de Trente Ans. Pourquoi un traité datant de plus de 350 ans devrait-il être encore pertinent aujourd’hui ?

Kissinger : La paix de Westphalie a été conclue après que près d’un quart de la population d’Europe centrale eut péri à cause des guerres, de la maladie et de la faim. Le traité a été fondé sur la nécessité de parvenir à un arrangement avec l’autre, pas sur une sorte de moralité supérieure. Les nations indépendantes ont décidé de ne pas intervenir dans les affaires des autres États. Ils ont créé un équilibre des forces qui nous manque aujourd’hui.

SPIEGEL : Avons-nous besoin d’une nouvelle guerre de Trente Ans pour créer un nouvel ordre mondial ?

Kissinger : Eh bien, c’est une très bonne question. Crée-t-on un ordre mondial par le chaos ou par la réflexion ? On pourrait penser que la prolifération des armes nucléaires, les dangers du changement climatique et le terrorisme seraient suffisants pour établir la base d’un programme commun. Donc, je souhaiterais que nous puissions être assez sages pour ne pas subir une guerre de Trente Ans.

SPIEGEL : Prenons un exemple concret : comment l’Occident devrait-il réagir à l’annexion de la Crimée par la Russie ? Craignez-vous que cela signifie que les frontières ne seront plus intangibles à l’avenir ?

Kissinger : La Crimée est un symptôme, pas une cause. De plus, la Crimée est un cas particulier. L’Ukraine a longtemps fait partie de la Russie. On ne peut pas accepter le principe que n’importe quel pays puisse changer les frontières et prendre une province à un autre pays. Mais si l’Occident est honnête avec lui-même, il doit admettre qu’il a commis des erreurs de son côté. L’annexion de la Crimée n’est pas une étape d’une conquête globale. Ce n’est pas Hitler entrant en Tchécoslovaquie.

SPEIGEL : De quoi s’agissait-il alors ?

Kissinger : Il faut se poser à soi-même cette question : Poutine a dépensé des dizaines de milliards de dollars pour les jeux Olympiques de Sotchi. Le thème des jeux était que la Russie est un état progressiste ancré à l’Occident par sa culture, et de ce fait on peut présumer qu’elle veut en faire partie. Donc, cela n’a aucun sens qu’une semaine après la clôture des jeux, Poutine veuille s’emparer de la Crimée et commencer une guerre contre l’Ukraine. Donc il faut se demander pourquoi c’est arrivé.

SPIEGEL : Ce que vous êtes en train de dire, c’est que l’Occident a au minimum une part de responsabilité dans cette escalade ?

Kissinger : Oui, c’est ce que je dis. L’Europe et l’Amérique n’ont pas compris l’impact de ces événements, qu’il s’agisse des négociations sur les relations économiques entre l’Ukraine et l’Union Européenne ou des manifestations à Kiev. Tous ces événements, et leur impact, auraient dû faire l’objet d’un dialogue avec la Russie. Ce qui ne signifie pas que la réponse de la Russie était appropriée.

SPIEGEL : Il semble que vous soyez très compréhensif vis-à-vis de Poutine. Mais ne fait-il pas exactement ce contre quoi vous nous mettez en garde : créer le chaos dans l’est de l’Ukraine et menacer sa souveraineté ?

Kissinger : Certainement. Mais l’Ukraine a toujours eu une signification particulière pour la Russie. C’était une erreur que de ne pas s’en rendre compte.

SPIEGEL : Les relations entre l’Occident et la Russie sont plus tendues aujourd’hui qu’elles ne l’ont été depuis des dizaines d’années. Devrions-nous nous inquiéter de la perspective possible d’une nouvelle guerre froide ?

Kissinger : C’est clairement un danger et nous ne devrions pas l’ignorer. Je pense que la reprise de la guerre froide serait une tragédie historique. Si un conflit est évitable, sur une base tenant compte de la morale et de la sécurité, on devrait essayer de l’éviter.

SPIEGEL : Mais l’annexion de la Crimée par la Russie n’a-t-elle pas forcé l’UE et les États-Unis à réagir en imposant des sanctions ?

Kissinger : D’abord, l’Ouest ne pouvait pas accepter l’annexion ; certaines mesures étaient nécessaires. Mais personne à l’Ouest n’a proposé de programme concret pour restaurer la Crimée. Personne ne souhaite se battre à l’est de l’Ukraine. C’est un fait. On pourrait dire que nous n’avons pas à accepter cela et que nous ne traitons pas la Crimée comme territoire russe au regard des lois internationales – tout comme nous avons continué à traiter les états baltes comme indépendants pendant la période soviétique.

SPIEGEL : Ne serait-il pas mieux d’arrêter les sanctions, même sans aucune concession des Russes ?

Kissinger : Non, mais j’ai quelques problèmes avec les sanctions. Lorsque nous parlons d’une économie globale et qu’ensuite nous usons de sanctions à l’intérieur de l’économie globale, on induit la tentation pour les grands pays, qui pensent à leur avenir, d’essayer de se protéger contre des sanctions potentielles, et ce faisant, ils créeront une économie globale mercantiliste. Et j’ai un problème particulier avec cette idée de sanctions personnelles. Et je vais vous dire pourquoi. Nous publions une liste de personnes qui sont sanctionnées. Ensuite, quand le temps viendra de lever les sanctions, qu’allons-nous dire ? « Les quatre personnes suivantes sont maintenant libres de toute sanction, et les quatre autres non. » Pourquoi ces quatre-là ? Je pense que l’on doit toujours réfléchir, lorsque l’on commence quelque chose, à ce que l’on cherche à faire et comment cela devrait finir. Comment cela finit-il ?

SPIEGEL : Cela ne s’applique-t-il pas également à Poutine qui s’est isolé tout seul ? Est-ce plutôt un signe de force de sa part, ou au contraire de faiblesse ?

Kissinger : Je pense qu’il s’agit d’un signe de faiblesse stratégique, qu’il chercher à faire passer pour de la force tactique.

SPIEGEL : Qu’est-ce que cela implique lorsque l’on traite avec lui ?

Kissinger : Il faut garder à l’esprit que la Russie joue un rôle important sur la scène internationale, et qu’elle est donc utile dans la résolution de toutes sortes de conflits, comme nous l’a démontré l’accord sur la prolifération nucléaire avec l’Iran, ou avec la Syrie. Cette capacité de résolution doit avoir priorité sur toute escalade tactique d’un conflit donné. D’un côté il est important que l’Ukraine reste un état indépendant et qu’elle ait le droit de choisir ses alliances économiques et commerciales. Mais d’un autre côté je ne pense pas qu’il y ait un loi naturelle impliquant que chaque État doive avoir le droit d’intégrer l’OTAN pour être un allié. Vous savez comme moi que l’OTAN ne votera jamais l’entrée de l’Ukraine à l’unanimité.

SPIEGEL : Mais on ne peut pas dire aux Ukrainiens qu’ils ne sont pas libres de choisir leur avenir.

Kissinger : Pourquoi pas ?

[NB : c'est amusant, quand l'UE a refusé la demande d'adhésion du Maroc en 1987, personne n'a dit qu'on l'empêchait de choisir son avenir...]

2e partie : La guerre contre l’ÉI a le large soutien de l’opinion publique

SPIEGEL : Vous parlez comme une superpuissance qui est habituée à ce que les choses se fassent à sa manière.

Kissinger : Non, les États-Unis ne peuvent pas imposer leur volonté, et ils ne devraient pas essayer. Ce serait même une erreur de croire qu’ils en ont le pouvoir. Mais en ce qui concerne l’OTAN, les États-Unis compteront comme une voix dans une décision fondée sur l’unanimité. C’est également l’avis de la chancelière allemande.

SPIEGEL : L’Amérique est très polarisée. Le niveau d’agressivité dans le débat public est extrêmement élevé. La superpuissance est-elle encore capable ne serait-ce que de gouverner ?

Kissinger : Je suis inquiet de ces dissensions nationales. Lorsque je travaillais à Washington, le combat politique était rude. Mais il y avait bien plus de coopération et de contacts entre les opposants des deux grands partis.

SPIEGEL : Aux dernières élections, le président Obama a également perdu la majorité au Sénat.

Kissinger : Techniquement exact. Mais en même temps, le président est plus libre de se battre pour ce qui lui semble juste. De la même manière que l’a fait Harry Truman entre 1946 et 1948, quand il a mis en place le Plan Marshall après avoir perdu la majorité au Congrès.

SPIEGEL : La prochaine campagne présidentielle va bientôt démarrer. Hillary Clinton ferait-elle une bonne candidate ?

Kissinger : Je considère Hillary comme une amie, et je pense que c’est une personne forte. Donc oui, je pense qu’elle peut être candidate. D’une manière générale, je pense qu’il est préférable pour le pays qu’il y ait une alternance. Et je pense que nous, les Républicains, devons avoir un bon candidat.

SPIEGEL : Dans votre livre, vous écrivez que l’ordre international « doit être cultivé, et non imposé ». Que voulez-vous dire par là ?

Kissinger : Cela signifie que les Américains que nous sommes seront un acteur majeur grâce à la vertus de nos forces et de nos valeurs. On devient une superpuissance en étant fort mais aussi en étant sage et en ayant une vision à long terme. Mais aucun état n’est assez fort ou assez sage pour créer un ordre mondial tout seul.

SPIEGEL : La politique étrangère américaine est-elle sage et résolue en ce moment ?

Kissinger : En Amérique, nous croyons que nous pouvons changer le monde non seulement par notre puissance d’attraction, mais aussi par notre puissance militaire. Ce n’est pas le cas de l’Europe.

SPIEGEL : L’opinion publique américaine est très réticente à l’engagement militaire et aimerait que l’on se concentre plus sur les affaires intérieures. Obama lui-même parle d’une « nation qui se construit de l’intérieur. »

Kissinger : Si vous regardez les cinq guerres auxquelles l’Amérique a participé depuis la Seconde Guerre mondiale, elles ont toutes obtenu un large soutien populaire. La guerre actuelle contre l’État Islamique a un large soutien populaire. La question est de savoir ce qui se passe à mesure que la guerre persiste. Être très clair sur ce que l’on attend de cette guerre est essentiel.

SPIEGEL : L’objectif le plus important ne devrait-il pas être la protection des populations civiles qui souffrent en Irak et en Syrie ?

Kissinger : Premièrement, je ne pense pas que la crise syrienne puisse être définie comme ayant d’un côté un dictateur sans pitié et d’un autre une population impuissante et que cette population sera plus démocrate si vous renversez le dictateur.

SPIEGEL : Mais les civils souffrent, peu importe la définition donnée aux événements.

Kissinger : Oui, ils souffrent, et méritent compassion et assistance humanitaire. Laissez-moi juste vous dire ce qu’il se passe selon moi. C’est pour une part, un conflit multiethnique. C’est pour une autre part une rébellion contre les vieilles structures du Moyen-Orient. Et, pour une autre part encore, c’est une sorte de rébellion contre le gouvernement. Maintenant, si on souhaite régler tous ces problèmes, si on est prêt à faire les sacrifices qu’implique la résolution de ces problèmes et si on pense que l’on peut imaginer quelque chose qui va permettre de mener à bien cette opération, alors on peut dire « nous allons appliquer notre droit d’ingérence. » Mais cela signifie prendre des mesures militaires et s’empresser d’en assumer les conséquences. Regardez la Libye. Il est indéniable que le renversement de Mouammar Kadhafi était moralement justifié, mais nous n’avons pas eu la volonté d’en combler le vide consécutif. En conséquence de quoi, nous sommes en présence aujourd’hui de milices qui s’affrontent. Vous obtenez un territoire non dirigé politiquement et une réserve d’armes pour l’Afrique.

SPIEGEL : Mais nous sommes en présence d’une situation tout aussi insupportable en Syrie. L’état se délite et des organisations terroristes gouvernent une grande partie du pays. N’était-ce pas immoral de ne pas intervenir pour éviter un chaos qui représente à présent également une menace ?

Kissinger : Dans ma vie, j’ai quasiment toujours été pour une politique extérieure active. Mais vous devez savoir avec qui vous coopérez. Vous avez besoin de partenaires fiables, et je n’en vois aucun dans ce conflit.

SPIEGEL : Comme pour la Guerre du Vietnam. Vous arrive-t-il de regretter la politique agressive que vous avez menée là-bas ?

Kissinger : Vous aimeriez que je vous réponde ‘oui’.

SPIEGEL : Bien sûr. Vous en avez assez peu parlé dans votre vie.

Kissinger : J’ai passé toute ma vie à étudier toutes ces choses et j’ai écrit un livre sur le Vietnam intitulé ‘Ending Vietnam War’ (Pour en finir avec la Guerre du Vietnam, inédit en français), ainsi que de nombreux chapitres dans mes mémoires sur le Vietnam. Il faut vous souvenir que l’administration dans laquelle j’ai servi a hérité de la guerre du Vietnam, 500 000 soldats américains étaient déjà déployés là-bas par l’administration Johnson. L’administration Nixon, elle, retira progressivement ces troupes, et les troupes de combat au sol ont été retirées en 1971. Je ne peux que dire que mes collègues et moi même avons agi sur la base d’une réflexion circonspecte. En ce qui concerne les directives stratégiques, il s’agissait de ce que j’ai pu élaborer de mieux et j’ai agi au mieux de mes convictions.

SPIEGEL : Il y a une phrase dans votre livre, en dernière page, qui peut être comprise comme une sorte d’autocritique. Vous écrivez que vous pensiez autrefois être en mesure d’expliquer l’Histoire mais qu’aujourd’hui vous êtes plus modeste quand il s’agit de porter un jugement sur des événements historiques.

Kissinger : J’ai appris, au fil de mes écrits, que l’Histoire doit être découverte et non affirmée. C’est une compréhension que l’on acquiert au fil des ans. Ce n’est pas forcément une autocritique. Ce que je voulais dire c’est que l’on ne doit pas penser que l’Histoire peut être façonnée uniquement par la volonté. C’est aussi pour cela que je suis contre le concept d’intervention quand on n’en mesure pas toutes les implications.

SPIEGEL : En 2003, vous étiez en faveur d’un renversement de Saddam Hussein. A cette époque aussi les conséquences de cette intervention étaient incertaines.

Kissinger : Je vais vous dire ce que je pensais à l’époque. Je pensais qu’après l’attaque qu’ils avaient subie, il était important que les États-Unis revendiquent leur position. L’ONU avait admis que des violations majeures avaient été commises. Je pensais donc que renverser Saddam était un objectif légitime. Je pensais qu’il était irréaliste d’essayer d’apporter la démocratie au moyen de l’occupation militaire.

SPIEGEL : Pourquoi êtes-vous si sûr que c’est irréaliste ?

Kissinger : À moins que vous ne soyez disposés à le faire pendant des décennies et que vous soyez sûr que votre peuple va vous soutenir. Mais c’est probablement au-delà des ressources de n’importe quel pays.

SPIEGEL : C’est pour cette raison que le président Obama combat le terrorisme par les airs, au moyen de drones et d’avions militaires au Pakistan et au Yémen et désormais en Syrie et Irak également. Que pensez-vous de cette stratégie ?

Kissinger : Je suis favorable aux attaques contre des territoires depuis lesquels des attaques terroristes sont menées. Je ne me suis jamais exprimé publiquement sur l’utilisation des drones. Ils menacent davantage les civils que leur équivalent employé pendant la guerre du Vietnam, mais c’est du même acabit.

SPIEGEL : Dans votre livre, vous déclarez que pour entrer en guerre l’Amérique doit prendre ses décisions en se basant sur ce qui pourra être la « meilleure combinaison en termes de sécurité et de morale ». Que voulez-vous dire par là ?

Kissinger : Non, cela dépend de la situation. Quel est notre intérêt précis en Syrie ? Est-ce seulement l’humanitaire ? Est-ce de la stratégie ? Bien sûr on voudrait toujours agir le plus moralement possible, mais en pleine guerre civile vous ne pouvez pas ignorer les réalités, et c’est ensuite que viendra l’heure des jugements.

SPIEGEL : Ce qui signifie que pour un temps défini, pour de raisons réalistes, nous pourrions être du côté de Bachar el-Assad pour combattre l’État Islamique ?

Kissinger : Eh bien, non. Nous ne pourrions jamais combattre aux côtés d’Assad. Ce serait remettre en cause tout ce que nous avons fait et affirmé pendant des années. Mais honnêtement, je pense que nous aurions dû avoir un dialogue avec la Russie et nous aurions dû nous demander quelle issue nous souhaitions en Syrie et formuler une stratégie ensemble. Nous avons eu tort d’avoir demandé d’emblée le départ d’Assad – bien que ce soit un objectif souhaitable à long terme. Maintenant que nous sommes enfermés dans ce conflit avec la Russie, un accord sur le programme nucléaire iranien est devenu plus difficile.

SPIEGEL : Êtes-vous favorable à ce que l’Europe et l’Allemagne en particulier aient un rôle plus affirmé ?

Kissinger : Oui, certainement. Il y a un siècle, l’Europe avait quasiment le monopole de l’ordre mondial. Aujourd’hui le danger est qu’elle ne s’occupe plus que d’elle-même. L’Allemagne est le pays européen le plus important et, oui, elle devrait être plus active. J’ai vraiment la plus haute estime pour Madame Merkel, et je pense qu’elle est la bonne personne pour amener l’Allemagne à endosser ce rôle. D’ailleurs, j’ai rencontré et entretenu des relations amicales avec tous les chanceliers allemands.

SPIEGEL : Oh, même avec Willy Brandt ?

Kissinger : Je tiens Willy Brandt en très haute estime.

SPIEGEL : Cela nous surprend un peu ici car il y a quelques mois, une conversation entre vous et Nixon a été dévoilée, dans laquelle vous traitiez Brandt de « dangereux idiot ».

Kissinger : Vous savez, ces phrases prises hors contexte ne reflètent pas la réalité. Voilà deux personnes qui à la fin d’une journée épuisante se disent des choses qui reflètent l’humeur du moment, et cela était probablement à propos d’une divergence d’opinion sur un sujet dont je ne me rappelle même plus. Nous avions quelques doutes sur l’Ostpolitik de Brandt au début, mais nous avons travaillé étroitement avec lui par la suite. Demandez à Egon Bahr, il vous le dira : sans l’administration Nixon, l’Ostpolitik de Brandt n’aurait jamais atteint ses objectifs, en particulier sur la question berlinoise.

SPIEGEL : En Allemagne, vous êtes un politicien très controversé. Quand l’Université de Bonn a voulu créer une chaire à votre nom, les étudiants ont protesté. Avez-vous été déçu, ou même irrité ?

Kissinger : J’apprécie le geste, c’est un honneur. Je n’ai rien réclamé, et je ne l’ai appris qu’après sa création. Je ne veux pas faire partie de la discussion, c’est entièrement la décision des autorités allemandes. Je pense que l’Allemagne devrait le faire pour elle-même ou ne pas le faire pour ses propres raisons.

SPIEGEL : M. Kissinger, nous vous remercions pour cette interview.

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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Les “vieux sages” se rebiffent, par Philippe Grasset 11/11/2014

Il est vrai que surnommer Kissinger “vieux sage” a de quoi hérisser le poil de certains, – “vieille crapule”, cela lui va tellement mieux ; il n’est pas faux que faire de Gorbatchev un “vieux sage“ peut aussi choquer ceux qui le surnommeraient plutôt “vieux naïf”, sinon “vieux traître”, – pour avoir fait exploser l’empire soviétique au profit de l’Occident via Eltsine et sa bouteille de vodka. Pourtant, nous nous en tenons là, c’est-à-dire à leur expérience, à leur maîtrise de la diplomatie d’État, à leur connaissance des réalités politiques, à la nécessité de ne pas s’en conter à soi-même ; “vieille crapule” et “vieux traître”, si l’on veut, mais des caractères, c’est-à-dire une connaissance indubitable et une expérience à mesure de ce dont ils parlent avec la volonté de nourrir leur jugement de cette connaissance et de cette expérience … Car ils parlent de l’Ukraine, de la Russie, et surtout du traitement que le bloc BAO applique à la Russie.

• Kissinger, c’est la dernière intervention en date. Habile, la “vieille crapule” de 91 ans a choisi le Spiegel pour développer son point de vue, confiant dans le fait que 99% des habitués de la High Society de Georgetown n’en sauront rien, puisque pour eux les contours du monde connu et civilisé s’arrêtent au Potomac et à House of Cards. Quant à la politique duSpiegel, truffé de journalistes régulièrement stipendié par la CIA, SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel) compris, elle est de ne pas faire savoir à sa main droite ce que sa main gauche va écrire ; c’est “bordel-sur-le-Potomac” transféré à “bordel-sur-la-Spree” … Dans tous les cas, pour le contenu des déclarations de Kissinger, à en croire RT le 10 novembre 2014

«Former US Secretary of State Henry Kissinger has given a chilling assessment of a new geopolitical situation taking shape amid the Ukrainian crisis, warning of a possible new Cold War and calling the West’s approach to the crisis a “fatal mistake.” The 91-year-old diplomat characterized the tense relations as exhibiting the danger of “another Cold War.” “This danger does exist and we can’t ignore it,” Kissinger said. He warned that ignoring this danger any further may result in a “tragedy,” he told Germany’s Der Spiegel.

»If the West wants to be “honest,” it should recognize, that it made a “mistake,” he said of the course of action the US and the EU adopted in the Ukrainian conflict. Europe and the US did not understand the “significance of events” that started with the Ukraine-EU economic negotiations that initially brought about the demonstrations in Kiev last year. Those tensions should have served as a starting point to include Russia in the discussion, he believes. “At the same time, I do not want to say that the Russian response was proportionate,” the Cold War veteran added, saying that Ukraine has always had a “special significance” for Russia and failure to understand that “was a fatal mistake.”

»Calling the sanctions against Moscow “counterproductive,” the diplomat said that they set a dangerous precedent. Such actions, he believes, may result in other big states trying to take “protective measures” and strictly regulate their own markets in future. When introducing some sanctions or publishing lists of people whose accounts were frozen one should wonder “what will happen next?” the former Secretary of State said rhetorically, because when something begins you cannot lose sight of where it is going to end.»

• Puisque nous sommes dans RT, office de propagande monstrueuse comme chacun sait, poursuivons le cœur léger. Nous savons qu’il nous reste Libération, BHL et Anne Applebaum pour nous ressourcer et renaître à la vertu de la Vérité-BAO/Système. Il s’agit du texte concernant l’allocution de Mikhaïl Gorbatchev, 82 ans, au symposium solennel tenu à Berlin pour saluer le quart de siècle de la Chute du Mur. Notre petit doigt nous a confié que les officiels allemands étaient furieux après le discours de Gorbatchev, – du style “mais ce n’est pas du tout ce que nous voulions qu’ils disent”… Ainsi les vieilles lunes elles-mêmes échappent-elles au contrôle du Système, au nom des libertés sociétales qui assurent les “aujourd’hui-qui-chantent” de la postmodernité. Puisqu’il y a le “mariage pour tous”, l’affirmation des féministes et ainsi de suite, il était inévitable, et bienvenu après tout, que le troisième âge s’émancipât et nous ressortît quelques vieilles et bonnes vérités de situation des temps jadis. (RT, le 8 novembre 2014.)

«Western policies toward Russia championed by Washington have led to the current crisis, and if the confrontation continues, Europe will be weakened and become irrelevant, former Soviet leader Mikhail Gorbachev warns. Speaking to a forum in Berlin amid the celebration of the 25th anniversary of the fall of the Berlin Wall, he called on western leaders to de-escalate tensions and meet Russia halfway to mend the current rift.

»After the Cold War ended, the leaders of the western world were intoxicated with euphoria of triumph, and they adopted anti-Russian policies that eventually led to the current crisis, Gorbachev said. “Taking advantage of Russia’s weakening and a lack of a counterweight, they claimed monopoly leadership and domination in the world. And they refused to heed the word of caution from many of those present here,” he said. “The events of the past months are consequences of short-sighted policies of seeking to impose one’s will and fait accompli while ignoring the interests of one’s partners.”

»Gorbachev gave a list of examples of those policies, including the expansion of NATO and the development of an anti-ballistic missile system, military interventions in Yugoslavia and Iraq, the west-backed secession of Kosovo, the crisis in Syria and others. The Ukrainian crisis is a “blister turning into a bleeding, festering wound,” he said.

»Europe is the one suffering most from the situation, Gorbachev said. “Instead of becoming a leader of change in a global world Europe has turned into an arena of political upheaval, of competition for the spheres of influence, and finally of military conflict. The consequence inevitably is Europe’s weakening at a time when other centers of power and influence are gaining momentum. If this continues, Europe will lose a strong voice in world affairs and gradually become irrelevant,” he said.

»What needs to be done is for the west to tone down its anti-Russian rhetoric and seek points of convergence, Gorbachev said. He added that his own experience in the 1980s showed that much worse and seemingly hopeless conflicts can be resolved, granted there is the political will and a right setting of priorities. He assured the forum that the Russian leadership was willing to do its part, as evidenced by President Vladimir Putin’s keynote speech at the Valdai Forum.“Despite the harshness of his criticism of the West and the United States in particular, I see in his speech a desire to find a way to lower tensions, and ultimately to build a new basis for partnership,” Gorbachev said.»

On ajoutera, pour le fun et pour l’ironie de l’histoire, la remarque de Kissinger selon laquelle l’Allemagne ne joue pas le rôle de première puissance européenne (merci pour la France, mais à juste titre) qu’elle devrait tenir, – c’est-à-dire en nuançant son opposition à la Russie pour pouvoir amorcer le rapprochement nécessaire entre cette puissance et l’Union européenne. Le propos est succulent, de la part d’une “vieille crapule” qui sait mieux que personne dans quels liens d’allégeance les USA tiennent une Allemagne transie de trouille à l’idée de la moindre déviance de la ligne transatlantique. Une grande puissance européenne de la sorte, on peut s’en passer malgré l’effet qu’elle produit dans les salons parisiens du temps courant… Quant à Gorbatchev, son attaque directe contre le système, ou plutôt le non-système de sécurité européen, entre l’OTAN et la PESC de l’UE qui ne cessent de favoriser l’expansionnisme antagoniste du bloc BAO (Bloc Americano-Occidental), rappelle la nostalgie qu’il a de sa proposition d’une sécurité basée sur le concept de “la maison commune européenne”, revivifiée par la proposition russe de Medvedev d’octobre 2008 d’une sécurité collective européenne, qui n’intéressa personne dans le bloc BAO, – sauf Sarko, pendant un gros mois. Le bon sens est largement exprimé depuis un quart de siècle entre ces deux propositions russes et tout ce que fait le bloc BAO est de le traîner en ridicule en opérationnalisant ses pitreries ukrainiennes. (Gorbatchev : «Over the longer term, the system of European security must be reformed, because the enlargement of NATO and the current EU common defense policy have failed to produce positive results, Gorbachev said. This would likely require an overhaul of the OSCE, which in its current format is not up to the task, he said, while proposals to that effect have been voiced by policymakers both in the EU and in Russia, but they had been “filed away in the archives.”»)

Il faut dire que les interventions de Kissinger et de Gorbatchev, en général accueillies par un silence glacial dont la presse-Système a le secret, sont de la sorte à figurer dans un courant de communication qui menace constamment de rupture lanarrative du bloc BAO. On parle bien d’une “rupture”, et non pas de nuances, ou de corrections, dans la mesure où ces deux hommes, reconnus chacun à leur façon et chacun avec leurs qualités et leurs défauts comme des autorités dans le domaine de la politique diplomatique et stratégique, proposent un discours fondé sur un constat similaire caractérisant le courant de communication en question, qui est l’exact contraire du credo du bloc BAO : la responsabilité originelle de la crise toute entière ne peut être imputée qu’au bloc BAO. Cette convergence des deux discours de représentants des deux blocs du temps de la Guerre froide constitue une grave menace du point de vue du système de la communication. Il est difficile avec Kissinger et Gorbatchev de parler de “propagande”, aussi bien que d’une crédulité née de l’absence d’expérience. Ainsi, les seules armes sont-elles le silence glacé, marque du repli cadenassé et verrouillé dans l’imaginaire de la narrative, ou le persiflage du type Petit Journal de Canal+ qui produit un effet instantané de une à deux minutes amené à se dissoudre rapidement dans les secondes qui suivent. Le problème de la narrative d’aujourd’hui, face aux deux “vieux sages” de circonstance, c’est qu’elle n’a rien de sérieux à leur opposer dans la catégorie où ils évoluent. Aucun acteur sérieux de la Guerre froide ne peut leur opposer une réplique indiscutable développant une logique qui entérinerait absolument la narrative en cours. Même un Brzezinski développe un discours ambigu, mêlant d’incroyables emportements pro-Kiev bien dans sa nature de Polonais d’origine, qui portent souvent sur des observations tactiques, et des raisonnements qui retrouvent la logique stratégique de la Guerre froide et une appréciation de la situation qui n’est pas si éloignée de celles des Kissinger et Gorbatchev. (Voir, notamment, notre texte du 3 mai 2014 sur des interventions écrites de Brzezinski.)

Cette absence totale de caution historique de la narrative du bloc BAO, – et pour cause, – constitue un terrible handicap pour cette démarche, en proclamant, derrière les affirmations officielles et les développements-Pravda de la presse-Système, continuellement comme une basse continu : “le roi est nu”. La fragilité, aujourd’hui, est du côté du Système, face aux vieillards chargés d’expérience du temps de la Guerre froide.

Source : dedefensa – Mis en ligne le 11 novembre 2014 à 12H32

Source: http://www.les-crises.fr/paracheverons-nous-lordre-mondial-par-le-chaos-ou-la-reflexion-par-henry-kissinger/


[Reprise] L’OTAN souhaite vivement une intervention de la Russie en Ukraine orientale, par Willy Wimmer

Friday 5 December 2014 at 02:11

Par Willy Wimmer, ancien secrétaire d’Etat au ministère de la Défense fédérale allemande.

Ces derniers jours, il est flagrant de constater comment les médias d’Etat allemands restent à la traîne des événements. Chaque soir, l’arsenal des opinions médiatiques est moralisateur, ennuyeux, toujours politiquement correct. Si l’on regarde au-delà des frontières de son propre pays, il existe un secret de polichinelle. Soit les négociations avec l’Iran sur la question nucléaire, prévues de se terminer entre les 18 et 24 novembre, réussissent à désamorcer les conflits régionaux, soit nous devons nous résigner – malgré nous – à voir apparaître la mèche allumée du prochain grand conflit global.

Il y a des développements que nous préférerions et d’autres, à quelques heures de vol de chez nous, semblant éventuellement pouvoir limiter le conflit. La rencontre des pays riverains de l’Asie-Pacifique dans la capitale chinoise de Pékin nous a clairement montré qu’une limitation des dégâts serait possible.
Soit on donne une chance à la raison et au respect du fléau de la guerre, soit on laisse mûrir les choses pour les «résoudre» par les armes. Depuis des décennies, le monde ne s’est plus trouvé dans une situation aussi dramatique et qui pourrait se poursuivre jusqu’à la fin de l’année 2014.

Nous autres Européens, ainsi ceux qui se rangent du côté de l’«Occident», ne devraient pas oublier la situation morale, économique, financière et politique présente à la fin de la guerre froide et de la réunification allemande. Et aujourd’hui? On ne peut que constater qu’il y a rarement eu, au cours de l’histoire, une meilleure situation pour lutter contre la misère dans le monde – et nous l’avons gâchée. L’Occident a jeté par dessus bord, uniquement par sa propre faute, l’excellente situation de départ de jadis avec laquelle il aurait pu faire face aux plus grands défis. Pourquoi? Parce que nous nous retrouvions, pour de multiples raisons, dans une union avec une puissance qui, depuis plus d’une décennie, se débat littéralement de tous les côtés en violant sciemment toutes les règles en vigueur pouvant nous assurer la possibilité de construire un monde plus pacifique. Nous étions à ses trousses. Aujourd’hui, il ne nous reste plus qu’à prier que le conflit en Ukraine orientale n’empire pas avant la fête de Noël.

Ce n’était pas un avantage pour la Fédération de Russie de devenir, à la fin de la guerre froide et de l’Union soviétique, une «plume dans le vent». Ainsi elle a longtemps manqué comme élément de «co-ancrage» pour un ordre de stabilité européen. Les décideurs à Moscou comme ceux à Bonn et à Berlin ne purent que constater la manière avec laquelle Washington détruisait tout ce qui se présentait à lui. L’Occident – nous inclus – ne fut pas capable de développer des données constructives après avoir réussi à résoudre une confrontation dans une des grandes régions du monde. Et maintenant? Nous avons été ébahis en voyant que la Fédération de Russie réapparait sur la scène internationale à la suite des guerres violant le droit international menées contre Belgrade, Bagdad, Damas et Tripolis à l’aide de nouveaux procédés américains clairement dirigés contre la Russie.

Actuellement, tout semble indiquer que l’Occident, dominé par les Etats-Unis, ne sait pas comment se comporter ni face au mutisme russe ni face au retour de la Fédération de Russie en tant que puissance globale. L’Union européenne s’aligne naturellement sur l’Amérique, exactement comme la nouvelle «cheffe de la diplomatie européenne» nous l’a signalé.

Toute personne, telle Mme Mogherini, déclarant déjà dans sa première prise de position en public, qu’à l’avenir la politique de l’UE face à Moscou serait définie de commun accord avec l’OTAN, illustre clairement le peu de liberté d’expression qu’elle exige.

Mme Mogherini ne cache pas que les sanctions nous ayant été octroyées par Washington – et dont nous portons le fardeau principal – n’auront aucune influence sur le gouvernement russe. Mais pourquoi, sommes-nous néanmoins soumis à ces sanctions, pourquoi les avons-nous mises en vigueur?

L’Occident ne réussit plus à faire avaler ses sanctions aux populations étonnées et de plus en plus méfiantes. Veut-on nous faire croire qu’avec cette tentative d’influencer Moscou et Kiev, l’Occident a pris des mesures stabilisantes? Certainement pas, car tout le monde sait à quel point ces sanctions sont un procédé partial envers Moscou, allant dans la même direction que le procédé occidental utilisé pour le coup d’Etat de Kiev. Pour utiliser une image propre au domaine militaire, on pourrait dire que les sanctions sont utilisées dans le même but qu’on engage des divisions de blindés supplémentaires pour assurer son offensive contre à un pays pacifique – la Fédération de Russie.

On n’avait nul besoin des appels téléphoniques rendus publics de la secrétaire d’Etat américaine Mme Nuland pour comprendre la stratégie générale de l’Occident en Ukraine. L’Occident n’avait rien à redire contre le président Ianoukovitch et le festival des oligarques en Ukraine tant qu’il paraissait prêt à signer les accords de libre-échange avec l’Union européenne. Ces dernières semaines, de nouveaux et d’anciens commissaires européens ont expliqué à quel point la politique européenne était erronée dans ce contexte. Partout que du gâchis.

Dans la nuit ayant suivi les meurtres de Kiev, on a – avec l’accord des hommes occidentaux de l’ombre – mis le feu aux régions de l’Ukraine occidentale choisies comme point de départ pour s’attaquer à la Russie ensuite. On n’a pas été assez vigilants en décidant de se servir des forces relevant, dans cette région, de la peste médiévale: anciens et nouveaux nazis. C’est vraiment étonnant et honteux de voir ceux qui se taisent à Kiev comme chez nous et ceux qui minimisent l’engagement de formations militaires avec un tel passé à la frontière de la Russie. C’est effarant de voir quelles personnalités gardent le silence.

Pourtant, nos gouvernements doivent savoir une chose: on ne peut cautionner tous ceux qui continuent à croire à leurs paroles et aux médias sous leur coupe au sujet de leurs informations sur la région d’Ukraine orientale.

Source et traduction : Horizons et débats, 25/11/2014

Source: http://www.les-crises.fr/l-otan-souhaite-vivement-une-intervention-de-la-russie-en-ukraine-orientale-par-willy-wimmer/


[Reprise] Comment les rebelles ont-ils fait pour vaincre des forces de Kiev largement supérieures ?

Friday 5 December 2014 at 00:01

Ukraine/Novorossia : Comment les rebelles ont-ils fait pour vaincre des forces de Kiev largement supérieures ?

 

L’auteur anonyme de cette mini-série de trois articles est un blogueur américain (pseudonyme Shellback) qui se présente comme un ancien militaire, expert pour l’OTAN du désarmement à l’époque de Brejnev. Il n’estime pas que la Guerre froide fut une chose rigolote au point que nous devrions essayer de la recommencer. Il répond à trois questions sur ce conflit.

I. D’où viennent les armes ?

Au moment où l’ampleur des pertes ukrainienne commence à être connue – Porochenko admet que l’Ukraine a perdu les trois-quarts de son matériel militaire – les Occidentaux, trompés par la propagande de leurs propres médias, s’imaginent que la Russie a approvisionné les séparatistes en armes et en munitions. S’il est probable que du matériel a franchi la frontière, il existe une autre source d’approvisionnement inconnue de la plupart des Occidentaux.

Ce que la plupart des commentateurs ne veulent pas comprendre à l’Ouest, c’est que l’URSS se préparait à recommencer la Deuxième Guerre mondiale, avec des armées immenses composées de millions de conscrits et de réservistes. Or, des millions de soldats ont besoin d’immenses quantités d’armes et de munitions. Celles-ci doivent être déjà en place au moment de la mobilisation. Par conséquent, on trouvait des dépôts d’armement dans toute la partie occidentale de l’URSS. La plupart de ces sites étaient présentés comme le quartier général d’une division, squelettique en temps de paix, mais destinée à recevoir un flot de réservistes qui y trouverait, le moment venu, tout le nécessaire pour partir au combat.

Les Soviétiques divisaient leurs unités militaires en trois catégories. Autant que je puisse m’en rappeler au bout de trente ans, la Cat. I correspondait aux unités entièrement équipées et prêtes au combat ; dans la Cat. II, elles se composaient d’une partie du personnel, mais de la totalité de l’équipement ; et la Cat III était le niveau minimum. L’idée était que les unités de Cat. I étaient prêtes à démarrer immédiatement (lorsque le Mur est tombé, on m’a dit que les unités d’Allemagne de l’Est étaient prêtes à partir sous 48 heures, ce qui, entre parenthèses, montre qu’elles n’avaient pas l’intention de déclencher l’offensive. Comme il en était de même du côté de l’OTAN, cela explique probablement pourquoi nous sommes toujours là !). Les unités de Cat. II disposaient d’un délai d’une semaine environ, et la dernière de quelques mois.

Toute la tactique militaire soviétique était basée sur des vagues d’attaques (échelons) successives, recherchant les points faibles pour « renforcer le succès ». Ainsi, par exemple, les unités de la Cat. I d’Allemagne de l’Est ou de Pologne, recevaient un soutien d’unités de la Cat. II, positionnées à l’arrière, en Biélorussie ou en Ukraine, et ainsi de suite. Leurs propres unités de soutien se trouvaient positionnées à leur tour dans la République soviétique de Russie, et ainsi de suite.

Lorsque tout cela a pris fin, tout ce système est parti à vau-l’eau. La Russie a repris à son compte le matériel des pays du Pacte de Varsovie, et l’Ukraine, par exemple, a nationalisé ce qui se trouvait sur son territoire. À propos des unités de Cat. I postées en première ligne, la Russie était responsable de l’équipement et de son transfert en Russie. Quant au personnel, les conscrits sont rentrés à la maison et les soldats des différentes nationalités sont repartis chez eux. En bref, d’un jour à l’autre, une division blindée prête au combat s’est transformée en un tas d’équipements destinés à être rapidement rapatriés en Russie par un personnel en sous-effectif. Je ne pense pas qu’il y ait eu des unités de Cat. I en Biélorussie ou en Ukraine. Je crois me rappeler qu’il n’y avait là que des unités de Cat. II. Ces transferts ont été réalisés assez rapidement, et le système soigneusement élaboré a été détruit. J’ai l’habitude d’expliquer ce qui s’est passé par l’analogie suivante : les Russes avaient le fer de la lance et l’Ukraine et la Biélorussie la hampe. L’un et l’autre inemployables sans l’autre partie. Mais les gigantesques dépôts d’équipements nécessaires pour transformer les unités de Cat. II en Cat. I sont restés en Ukraine (ou en Biélorussie).

Pendant des années, la Russie a prétendu que les sites sur son territoire abritaient des divisions réelles. À l’époque, j’étais en contact permanent avec nos forces en Europe et des inspecteurs chargés de l’application du Traité de Vienne, mais la seule chose que trouvaient ces inspecteurs, lorsqu’ils débarquaient sur le site d’une prétendue division de fusiliers mécanisés ou division blindée, c’était des champs entiers de blindés mal entretenus, des officiers et pas de troupes. Nous imaginions à l’époque que le secret que les Russes cherchaient à garder était qu’ils n’avaient pas de soldats : « Ouais, en fait, ils sont sur le terrain, à l’entraînement ! » « C’est ça ! sans officiers et sans blindés ? » Mais comme le traité ne concernait que les équipements, et que les Russes coopéraient totalement là-dessus, ce n’était pas un problème. Entre parenthèses, l’entraînement était impossible. Je me souviens d’une femme russe me disant que son frère commandait une compagnie où il y avait deux soldats ! L’expression technique utilisée était « unités vides ».

Et puis, brutalement, un été (j’ai oublié l’année ; au cours des deux années séparant les deux guerres en Tchétchénie), nous avons reçu un flot de notifications (selon les règles du Traité) qui disaient toutes : « Supprimez de la liste la division mécanisée X., et remplacez-la par la Base d’approvisionnement n. Y, au même endroit. » Lorsque cela a été terminé, il y avait un nombre bien inférieur de divisions (transformées peu à peu en groupe de brigade indépendant) et de nombreuses bases d’approvisionnement. Après réflexion, nous avons pensé que l’idée de base d’approvisionnement était une tentative pour créer des emplois plutôt que de payer des retraites à des officiers en surnombre. Dans les réunions, à l’époque, les militaires russes nous disaient tout le temps qu’ils ne pouvaient pas payer les retraites et le logement des centaines de milliers d’officiers en surnombre. Les autres degrés de la hiérarchie étaient plus faciles à réduire, bien entendu. Les conscrits, il suffisait de les renvoyer chez eux plus tôt. Ces changements étaient la preuve que le vieux système soviétique avait disparu pour toujours.

Les choses ont commencé à changer ensuite. Je me souviens parfaitement de l’un des inspecteurs revenant très excité de l’inspection d’une brigade à Bouïnaksk, en 98 ou 99. Là-bas, ils avaient enfin trouvé une unité avec tout le matériel nécessaire, les hommes et, plus significatif encore, un officier pour commander tout cela. Plus personne ne prétendait qu’une poignée d’officiers fatigués, un champ de matériel, par un coup de baguette magique, se remplirait un jour de conscrits pour devenir une authentique division. Ce processus a dû commencer dans le Caucase du Nord, et est l’une des nombreuses raisons des meilleures performances des Russes dans la seconde guerre de Tchétchénie.

À la fin du processus, l’Armée russe : 1) disposait des commencements d’une structure rationnelle ; 2) avait abandonné l’utopie d’une gigantesque armée formée de nombreuses divisions, avec des problèmes momentanés de main-d’œuvre ; 3) des pseudo-divisions, disposant de stocks d’armes mal gardés par des officiers démotivés, se transformaient en quelque chose de plus sûr et de plus approprié, et le processus d’élimination d’armements obsolètes et dangereux pouvait commencer. Avec un gouvernement stable et de l’argent, beaucoup d’améliorations ont été apportées depuis 2000.

Rien de tout cela ne s’est produit pour les forces armées ukrainiennes (UAF). Il n’est pas difficile d’imaginer que le territoire ukrainien était couvert d’armureries mal gardées et de « formations vides ». Un officiel russe a récemment confirmé cela en affirmant :

« Lorsque l’URSS s’est effondrée, le territoire ukrainien était rempli de millions de fusils, de mines, de postes d’artillerie et d’autres armes. La zone où se déroulent les combats, où Kiev mène aujourd’hui ses opérations punitives, n’est pas une exception. Il y avait là des armureries dont les milices se sont emparées. »

On dit qu’à Slaviansk, en particulier, il y en avait une particulièrement importante dans une ancienne mine.

En bref, l’UAF est dans l’état où étaient les forces russes dans les années quatre-vingt-dix, plus une quinzaine d’années supplémentaires d’abandon. La plupart de ces équipements abîmés ne sont plus en état de marche. Mais si vous cannibalisez 100 chars pour en obtenir 10 en état de marche, c’est mieux que rien. Ici, nous devons nous rappeler que le Donbass est un pays de mécaniciens, de techniciens, d’artificiers, etc., sans parler qu’il compte plein de types qui ont servi en Afghanistan. La plupart des armes utilisées en Ukraine datent de l’époque de la guerre en Afghanistan. Le lance-roquettes multiple BM-21 « Grad », l’arme la plus puissante entre les mains des rebelles, et responsable de destructions effrayantes, par exemple, est en service depuis les années soixante. Les deux caractéristiques du matériel soviétique : facile d’emploi et très très rouillé. On a même vu des types remettre en marche un T-34 qui avait passé au moins 50 ans posé sur un plot en béton sous la pluie et la neige : toutes les caractéristiques évoquées plus haut illustrées d’un seul coup ! [1]

L’autre détail que nous avons appris au moment de l’effondrement est que, à la différence de l’Occident, où les arsenaux sont éclairés à gogo, ceinturés de clôtures barbelées, gardées par des patrouilles armées, etc., qui les rendent très visibles, mais très bien protégées, le style soviétique était d’avoir des sites beaucoup plus discrets, dans des lieux à l’écart, et de se fier davantage au silence pour les sécuriser. Une ancienne mine, comme il y en a beaucoup au Donbass, est l’idéal. Étant donné que le quartier-général de l’Armée soviétique était à Moscou, il est très possible que le gouvernement ukrainien n’ait même pas eu connaissance de la localisation de beaucoup de ces dépôts. L’un des services rendus par Moscou aux rebelles peut avoir été de leur indiquer où chercher.

À partir de là, je n’ai aucune difficulté à imaginer les rebelles pillant un dépôt pour s’emparer d’armes et de munitions. Ils ont le personnel pour les reconditionner et de nombreux vétérans de l’ex-Armée soviétique pour les faire fonctionner. À cela, on peut ajouter le matériel capturé sur leurs positions après la fuite des conscrits ukrainiens, et certains éléments achetés officiellement ou sous le manteau.

Finalement, tout ce dont ils pouvaient avoir besoin de la part de Moscou, c’était une certaine forme de commandement, des équipements de contrôle et du renseignement.

Le problème de l’Ukraine aujourd’hui, est qu’elle dispose des restes rouillés pendant deux décennies de ce qui était supposé à l’origine être la ligne de soutien des éléments les meilleurs et les mieux préparés, mais jamais une force valant pour elle-même. Et, pendant ces années-là, Kiev a vendu le meilleur à l’étranger (la Géorgie s’est approvisionnée auprès de l’Ukraine) et a laissé pourrir ce qui restait. Ainsi, les rebelles et les forces de Kiev sont bien mieux équipés que ce qui aurait été normalement le cas lors d’une révolte de la périphérie contre le centre. Les uns et les autres apprennent sur le terrain, mais les rebelles sont bien plus motivés, tandis que Kiev peut disposer d’un stock d’armement bien plus important.

Mais les rebelles s’améliorent bien plus vite que l’on s’y attendait, et ont un bon stock d’armes et de munitions. C’est l’une des raisons pour lesquelles beaucoup se sont imaginés à l’Ouest qu’ils étaient aidés par les Russes.

II. Les rebelles ont-ils eu des armes secrètes ?

Deux armes décisives dans cette guerre ont donné la victoire aux séparatistes : les missiles anti-aériens portatifs et le lance-roquettes multiple Grad (« grêle »). Au commencement du conflit, Kiev disposait de la supériorité aérienne totale. Peu d’hélicoptères et d’aéronefs, mais les seuls disponibles sur le terrain. En face, les rebelles disposaient de stocks de Sam-7, des lance-missiles portatifs. Comme beaucoup d’armes soviétiques, depuis sa mise en service dans les années soixante-dix, il avait été modifié et modernisé par étapes, et produit en grande quantité. Il est guidé par infra-rouge et mis en œuvre à l’épaule. Il est plus efficace contre les aéronefs attaquant le lanceur de face, c’est-à-dire lorsque l’aéronef se situe dans un angle de tir fermé. Selon le Kiev Post, Kiev aurait perdu dix hélicoptères et neuf avions. Le chiffre est probablement supérieur, mais l’essentiel est que ce système d’arme a réellement anéanti la supériorité aérienne du régime de Kiev. Soit ils ont détruit les avions, soit ils les ont obligés à voler à une altitude ou à une vitesse supérieure et, par conséquent, à être moins efficaces. Ces armes ont transformé la guerre en combat au sol.

Mais la véritable destruction des forces de Kiev, évoquée plus haut, a été réalisée avec les lance-roquettes Grad. Autre système d’arme ancien, le Grad est un camion dont la plateforme supporte 40 tubes lance-roquettes de 122 mm. L’arme n’est pas d’une grande précision – c’est ce qu’on appelle une « arme de zone » – mais le fait que les quarante roquettes peuvent être tirées en vingt secondes signifie qu’avec à peine quelques coups, on peut balancer une quantité effrayante d’explosifs en quelques instants. On trouve de très nombreuses vidéos de tirs de Grad sur Internet, et qui montrent l’efficacité des tirs, en particulier dans les « chaudrons » (ou « котёл » en russe). La majorité des rebelles, comme je l’ai déjà dit, sont des gars qui connaissent le terrain : les routes secondaires, où conduit ce sentier forestier, où se trouve cette colline et comment y arriver sans se faire voir. Les forces de Kiev ne connaissent pas la zone, possèdent des cartes notoirement inutiles (certains informations parlent de cartes des années vingt), et ne disposent pas d’informations.

Parce qu’elles s’appuient sur leur matériel lourd, elles restent cantonnés sur les axes principaux. Leur encadrement est ouvertement incompétent, les troupes sont composées soit de conscrits peu motivés, sous-entraînés, enrôlés de force, soit d’unités de « volontaires » motivés et débordants d’enthousiasme, gonflés aux jeux de guerre vidéos, qui se lancent sur les routes et se retrouvent pris au piège. Dans tous les cas, les forces d’éclairage des rebelles ont facilement repéré leurs positions et désigné les cibles. Quelques coups de réglage, une centaine de roquettes ou plus… C’est ce qui s’est produit à de nombreuses reprises. Le tout accomplit par de petites unités (comme le fameux groupe « Motorola ») et quelques Grad positionnés dans un rayon de vingt kilomètres.

III. Pourquoi ce retournement spectaculaire de situation ?

« P’tits gars contre gros costauds »

Beaucoup, à l’Ouest, se demandent comment les rebelles du Donbass ont bien pu battre les forces ukrainiennes sans une aide considérable de la Russie. Mais c’est oublier que la chose s’est déjà produite de nombreuses fois. Des « petits gars » ont souvent battu de « gros costauds ». Les Vietnamiens ont battu les Américains, les Israéliens ont battu les Arabes en 1948. Mais l’exemple le plus valable pour nous, c’est d’observer comment les Finlandais ont battu les Soviétiques pendant la « Guerre d’hiver ».

En 1939, les Soviétiques franchirent la frontière finlandaise sur toute son étendue. Les Forces armées finlandaises, réduites et peu mécanisées, étaient déterminées et connaissaient le terrain sur lequel elles combattaient. Elles étaient chez elles, après tout. L’Armée rouge était nombreuse, lourdement mécanisée pour les standards de l’époque, mais mal commandée. Staline venait d’éliminer ou d’emprisonner ses meilleurs officiers dans les Grandes Purges.

Qu’est-ce que firent les Finlandais ? Ils auraient pu se rendre ; mais ils étaient Finlandais, et peu disposés à cela. Ils devaient se battre sur deux fronts. Le premier était situé au sud, en Carélie. Là, ils comprirent qu’il ne pouvait y avoir de retraite. Ils construisirent la « ligne Mannerheim » et y installèrent tout l’armement lourd dont ils pouvaient disposer. Un mot finlandais défini leur tactique : « sisu », qui pourrait se traduire en français par « cran », « en avoir dans le ventre » ou « pas question de se rendre ». Un film illustre cette attitude, Talvisota (1989).

Mais les Soviétiques franchirent aussi la frontière nord. On raconte qu’ils avaient reçu en dotation des dictionnaires russo-suédois en vue de leur arrivée de l’autre côté du pays. Là, les Finlandais ne pouvaient pas concentrer leurs armes lourdes et leurs troupes, mais ils ne pouvaient pas non plus se permettre d’être battus.

En Finlandais, le mot « motti » signifie « bûche ». La tactique des Finlandais consista à « tronçonner » les envahisseurs. Le terrain était parsemé de forêts et de lacs gelés, terrifiants pour les conscrits russes [2], ukrainiens et biélorusses, mais un terrain de jeu familier pour les Finlandais. Ils tracèrent des pistes de ski parallèles aux routes utilisées par les Soviétiques. Ils « tronçonnèrent » les colonnes soviétiques avec des abattis (des arbres abattus en travers des routes formaient des obstacles infranchissables). Les groupes de soldats isolés se retrouvèrent pris dans un cauchemar hostile et glacé, avec pour seules ressources ce qu’ils avaient emporté comme nourriture, carburant et munition. Deux soldats se rapprochent pour allumer une cigarette : l’un d’entre eux est abattu par un sniper invisible. Une cuisine roulante est éclairée pour distribuer de la nourriture chaude : un sniper invisible abat le cuistot, un autre détruit la cuisinière. Des troupes soviétiques font une reconnaissance dans la forêt. Elles ne voient rien. Au retour, un sniper invisible abat l’officier. Des divisions soviétiques disparaissent. On ne retrouve que des véhicules détruits et des cadavres gelés. La tactique fonctionne : une force d’infanterie légère réduite, mobile, connaissant le terrain, triomphe de forces beaucoup plus puissantes. La tâche ne fut pas facile, les combats furent acharnés à certains endroits, mais, globalement, cinq ou six divisions soviétiques disparurent purement et simplement (lire A Frozen Hell, de William R. Trotter). À l’époque, bien entendu, la plupart des « experts militaires » parièrent sur les Soviétiques : plus de chars, plus d’avions, plus de troupes, etc. Comme aujourd’hui la plupart des « experts militaires » ont probablement prédit la victoire de Kiev sur les rebelles.

Or, c’est à peu près la même chose qui s’est passé dans l’Est de l’Ukraine. Le mot employé là-bas est « chaudron » (« котёл » en russe). La différence principale est que vous ne pouvez pas créer des « motti » dans une zone de plaine, seulement des « котёл ». Mais la technique est à peu près la même. Collées aux routes, mal commandées, de lourdes unités mécanisées s’avancent trop loin, et se retrouvent coupées de leurs bases. Parfois, elles peuvent rompre l’encerclement, mais la situation s’aggrave si elles restent immobiles : chaque jour, elles disposent d’un peu moins de nourriture, de carburant, de munitions et d’eau. Leur choix est simple : la mort ou la reddition. En Ukraine, les choses se sont passées en été. Au moins les Ukrainiens ne sont pas morts gelés comme des milliers de Soviétiques dans les « motti ».

Et voilà comment les « p’tits gars » (mais qui ont dû être drôlement courageux et déterminés) peuvent battre les « gros costauds ». Nous avons vu la même chose en Irak ou en Afghanistan, d’ailleurs. La différence est que les insurgés afghans ou irakiens sont empêchés par la maîtrise de l’air des Américains de se concentrer pour former des « motti » ou des « котёл ». Une autre ressemblance, et de taille, entre l’Ukraine, la Finlande, le Vietnam, l’Afghanistan et Israël en 1948, note James Clapper, directeur du NIA (USA), est que les attaquants n’ont pas prévu « la volonté de combattre » de l’adversaire. En juin, Porochenko déclarait que toute l’affaire serait traitée rapidement : « En heures, pas en semaines ! » Mohammed Ali, grand stratège militaire, le disait : « Lorsque vous n’avez pas la force d’attaquer frontalement, voletez comme un papillon et piquez comme une guêpe. » Et découpez-les en « motti » si vous en avez l’occasion !

Notes

[1] Il suffit de visionner quelques vidéos pour constater la rusticité et l’ancienneté du matériel employé : pas ou peu d’électronique dans les nombreux blindés des années soixante, voire cinquante ; tout à fait à la portée d’un mécano ou d’un vétéran débrouillard. – NdT.

[2] Souvent originaires du Sud de l’URSS, car Staline doutait de la loyauté des conscrits de la zone frontalière – NdT.

Source : Russia Insider

Source: http://www.les-crises.fr/comment-les-rebelles-ont-ils-fait-pour-vaincre-des-forces-de-kiev-largement-superieures/


[Reprise] La Russie qu’ils ont perdue, par Dimitri Sokolov-Mitrich

Thursday 4 December 2014 at 00:10

Reprise d’un excellent billet traduit par Dedefensa

La Russie qu’ils ont perdue

Nous avons trouvé ce texte du journaliste russe Dimitri Sokolov-Mitrich, dans Pravoslavia.ru (site russe donnant des versions anglaises de certains de ses textes), le 14 septembre 2014, puis repris sur d’autres sites, toujours en anglais, tel que Slavyangrad.org, le 24 septembre 2014. Nous avons décidé d’en réaliser une traduction et une adaptation française pour lui donner la plus grande diffusion possible, parce qu’il nous a paru complètement exemplaire d’une évolution russe assez générale, entre la chute du communisme et la crise ukrainienne. L’article de Sokolov-Mitrich montre bien que l’auteur était au départ un de ces “libéraux-occidentalistes” complètement acquis à la cause américaniste et du bloc BAO, ou disons intoxiqué par elle. (L’article mérite lui-même d’autres commentaires que cette simple présentation. Nous nous y emploierons.)

dedefensa.org, 22/11/2014

La Russie qu’ils ont perdue

Nous étions, somme toute, tombés amoureux fou de l’Amérique. Je me rappelle clairement la passion amoureuse que nous portions à l’Amérique. Quand nous approchions l’âge d’homme, au début des années 1990, la plupart de mes amis n’avait pas le moindre doute à propos des liens qui nous unissaient à la civilisation occidentale. Et ces liens étaient bienheureux, comment aurait-il pu en être autrement ?

Contrairement à nos grand’parents, et même à nos pères, nous ne voyions pas du tout “la plus grande catastrophe géopolitique du vingtième siècle” comme une catastrophe. Pour nous, elle marquait le début d’une ère nouvelle et magnifique. Enfin, nous nous étions échappés de notre cocon soviétique pour plonger dans ce grand et formidable monde du réel. Enfin, nous allions pouvoir assouvir notre appétit de sensations multiples et excitantes. Nous pensions que nous n’étions peut-être pas nés au bon endroit, mais que nous étions certainement nés au meilleur moment possible. C’est inconcevable aujourd’hui mais même l’Église, libérée de la surveillance et du contrôle du communisme, se trouvait dans le même espace sémantique que celui où triomphaient les valeurs occidentales. La célébration du millénaire du Baptême de la Russie et le premier concert des Scorpions chantant Les vents du changement étaient de même nature.

Les guerres en Irak et en Yougoslavie se déroulèrent sans qu’on y prêtât grande attention. Et ce n’était pas parce que nous étions jeunes et indifférents. Moi-même, par exemple, je faisais mes premières armes au journal du Komsomol, dans le département des nouvelles étrangères. Je surveillais les dépêches en anglais pleines des noms de Izetbegovic, Mladic, Karadzic, mais pour une raison quelconque je ne considérais pas cela comme de la moindre importance et signification. Cela arrivait quelque part, loin de chez nous. Et, bien entendu, pour moi la guerre des Balkans n’impliquait aucune implication occidentale. Quel rapport avec l’Amérique ? Aucun.

Dans les années 1990, nous votions pour le parti Yabloko, nous manifestions devant le Parlement pour la démocratie, nous regardions la nouvelle station de télévision NTV et écoutions la station de radio Echos de Moscou. Dans nos premiers écrits de journaliste, nous ne manquions pas une occasion de nous référer au “monde civilisé” et croyions profondément que c’était réellement la civilisation. Au milieu des années 1990, nous nous aperçûmes qu’apparaissaient dans nos rangs des “eurosceptiques” mais ils étaient considérés comme de ces distraits à l’image du professeur Jacques Paganel de Jules Verne. J’ai passé une année entière dans un dortoir d’étudiants avec Pierre le communiste et Arséni le monarchiste. Mes amis des autres dortoirs me voyaient les quitter le soir avec ces mots pleins d’empathie : “Vas-y, retourne à ton asile de dingues”.

Le premier coup sérieux porté à notre enthousiasme pro-occidental vint avec le Kosovo. Ce fut un choc. Brusquement, nos lunettes colorées de rose nous tombèrent du nez. Les bombardements de Belgrade devinrent pour ma génération ce que l’attaque du World Trade Center fut pour les Américains. Notre conscience entama un tournant à 180 degrés ; de la même façon que l’avion transportant le Premier ministre d’alors Eugene Primakov en route vers les USA, au-dessus de l’Atlantique, reçut l’ordre de son passager de rebrousser chemin vers la Russie à la nouvelle de cet acte d’agression de l’Amérique.

A cette époque, il n’y avait pas la moindre propagande anti-occidentale dans nos médias. Notre chaîne NTV nous expliquait, jour après jour, que les bombardements d’une très grande ville européenne était certes un peu … bon, excessif, mais après tout Milosevic était répugnant au-delà de tout ce que le monde avait connu et nous n’avions qu’à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Le programme satirique Poupées présentait la chose comme une querelle dans un immeuble où un voisin saoul torturait la “citoyenne Kosovo” et où personne ne pouvait rien faire pour elle sinon son petit ami, – il avait l’allure avantageuse et le visage de Bill Clinton. Nous acceptions la chose mais, d’ores et déjà, n’y croyions plus guère. Ce n’était plus vraiment drôle. Nous avions commencé à comprendre que le conflit en Yougoslavie était le précurseur des choses à venir.

Le deuxième conflit irakien, l’Afghanistan, la partition finale du Kosovo, le “printemps arabe”, la Libye, la Syrie, furent peut-être des surprises mais nullement des chocs. Toutes nos illusions s’en étaient allées ; nous savions désormais plus ou moins avec quelle sorte de puissants nous partagions notre planète. Pourtant, malgré tout cela, nous gardions notre orientation pro-occidentale. Le mythe d’une Europe bienveillante, à côté d’une Amérique devenue mauvaise, persistait. Le choc du Kosovo perdait peu à peu de sa force et notre position de compromis devenait : certes, bien sûr, nous ne pouvons nous tenir complètement coude à coude avec ces joueurs, mais nous pouvons jouer le grand jeu de la politique et de la civilisation avec eux. Après tout, avec qui d’autres pouvions-nous le faire ?

Même la parade des révolutions multicolores nous apparut comme quelque chose d’une assez mineure importance. Mais sont venus alors Euromaidan et la guerre civile qui a suivi : une démonstration d’une clarté aveuglante que, hors de toutes règles et procédures, avec un “processus démocratique” saupoudré avec légèreté sur le territoire ennemi, nous sommes désormais face à quelque chose qui n’a plus rien à voir avec un quelconque avatar géopolitique mais, d’une façon bien différente, qui est constitué par de très réels systèmes de destruction massive. Il s’agit désormais du seul type d’armement qui peut être utilisé contre une nation qui possède un bouclier nucléaire. C’est aussi simple que ceci : quand vous pressez un bouton et envoyez une fusée vers un autre continent, vous recevrez en riposte les mêmes fusées puissantes. Mais quand vous déployez une chaîne de réaction de chaos successifs sur le territoire de votre ennemi, vous n’avez pas à justifier ni à prouver quoi que ce soit. Agression ? Quelle agression ? C’est un processus naturellement démocratique ! Une volonté naturelle d’un peuple d’être libre !

Nous voyons du sang répandu et des crimes de guerre commis par des soldats ; nous voyons des corps de femmes et d’enfants. Nous voyons une nation entière en train de revenir aux années 1940, alors que le monde occidental, que nous aimions passionnément lorsque nous étions si jeunes, nous déclare simplement que nous imaginons des choses. La génération qui produisit Jim Morrison, Mark Knopfler et les pittoresques Beatles, la génération Woodstock et ses hippies âgés et passés de mode qui ont chanté Can’t Buy Me Love un millier de fois, ne voit pas ces choses. La génération allemande du baby boom d’après-guerre, qui a baissé la tête pour recevoir l’absolution et se faire pardonner les pêchés de ses pères, ne voit pas ces choses.

Le choc est bien plus fort qu’avec le Kosovo. Pour moi et les nombreux milliers de trentenaires avancés qui vinrent au monde avec l’American Dream dans la tête, le mythe du “monde civilisé” s’en est allé pour toujours. Mes oreille résonnent de ces horreurs. Le monde civilisé n’existe plus désormais. Il ne s’agit pas d’un simple moment de mélancolie ou d’une quelconque amertume jalouse mais d’un temps de très sérieux danger. L’humanité qui a perdu ses valeurs morales est en train de se transformer en une productrice de bande de prédateurs et la possibilité d’une grande guerre est juste une question de temps.

Il y a vingt ans, nous n’avons pas été vaincu, nous avons été soumis. Nous n’avons pas perdu une guerre ; nous avons été défait dans le sens culturel du terme. Nous voulions simplement devenir comme EUX. Le rock and roll a joué un bien plus grand rôle dans cette défaite que les têtes nucléaires. Hollywood s’est avéré bien plus puissant que toutes les menaces et tous les ultimatums du monde. Le vrombissement des Harley Davidson fut bien plus efficace que le tonnerre des avions de combat durant la Guerre froide.

Amérique, combien tu peux être stupide ! Si tu avais attendu vingt ans, nous serions devenus tiens pour toujours. Il aurait suffi de vingt années de plus à ce régime et nos politiciens t’auraient donné nos armes nucléaires comme un présent d’allégeance et t’auraient longuement serré la main en signe de gratitude pour l’avoir accepté. Quelle bénédiction ce fut que tu te sois révélée si stupide, Amérique !

Tu n’as aucune idée de qui nous sommes ! Il y a juste deux ans, on disait que nous étions sur le point de nous précipiter pour investir le Kremlin en hurlant. Depuis lors et à cause de toi, Amérique, il n’y a plus grand monde dans les manifestations dans les jardins publics. Tu as dit et pensé des choses complètement absurdes et tu as obtenu comme résultat d’empiler erreur après erreur. Il fut un temps où tu étais le plus séduisant de tous les pays, Amérique. Après la Première Guerre mondiale, tu t’es imposée comme moralement supérieure à l’Europe, et après la Seconde Guerre comme la plus grande puissance. Bien sûr, il y eut Hiroshima, le Vietnam, le Ku Klux Klan et un ensemble de vilaines casseroles de ce genre, comme tous les empires. Mais l’un dans l’autre, tous ces déchets n’avaient pas atteint ta masse critique, celle où le vin tourne au vinaigre. Tu montrais au monde entier comment l’on devait vivre avec un but : d’une façon constructive, avec le sens de la création et la liberté. Tu as accompli des miracles dans des pays comme l’Allemagne de l’Ouest, le Japon, la Corée du Sud, Singapour. Mais depuis cela, tu as changé. Pour quelque raison que j’ignore, tu n’écris plus des chansons que le monde entier reprend en refrain. Tu as gaspillé ta principale richesse, – la moralité, qui est tombé à un si bas niveau, – ce qui ne se restaure pas aisément.

Tu es doucement en train de mourir, Amérique. Et si tu crois que je m’en réjouis, tu te trompes. Les grands bouleversements d’une ère historique sont toujours accompagnés de torrents de sang et je n’aime pas le sans répandu. Nous, qui avons subi les affres de la perte d’un empire, nous pourrions t’expliquer ce qu’il en coûte de mal agir. Mais nous ne le ferons pas. C’est à toi d’expérimenter la chose.

Dimitri Sokolov-Mitrich

Source et traduction : dedefensa.org

Source: http://www.les-crises.fr/la-russie-qu-ils-ont-perdue/


[Reprise] Ukraine, nouveau Rideau de Fer, par Diana Johnstone

Thursday 4 December 2014 at 00:01

Diana JOHNSTONE – 10 juin 2014

Ukraine un nouveau rideau de fer
Les dirigeants de l’OTAN sont actuellement en train de se livrer à une mascarade en Europe qui vise à ériger un nouveau rideau de fer entre la Russie et l’Occident.

Avec une étonnante unanimité, les dirigeants de l’OTAN feignent d’être surpris par des événements qu’ils avaient planifiés des mois à l’avance. Des événements qu’ils ont délibérément déclenchés sont présentés comme une « agression russe » soudaine, imprévue et injustifiée. Les États-Unis et l’Union européenne se sont lancés dans une provocation agressive en Ukraine dont ils savaient qu’elle forcerait la Russie à réagir de manière défensive, d’une façon ou d’une autre.

Ils ne pouvaient pas savoir exactement comment le président russe Vladimir Poutine réagirait lorsqu’il verrait que les États-Unis étaient en train de manipuler les conflits politiques en Ukraine pour installer un gouvernement pro-occidental décidé à rejoindre l’OTAN. Il ne s’agissait pas d’une simple question de « sphère d’influence » dans le « voisinage immédiat » de la Russie, mais d’une question de vie ou de mort pour la marine russe, ainsi que d’une grave menace à sa sécurité nationale sur ses frontières.

Un piège a ainsi été tendu à Poutine. Quoi qu’il fasse, il serait perdant. Soit il ne réagirait pas assez, et trahirait les intérêts nationaux fondamentaux de la Russie, en permettant à l’OTAN de positionner ses forces hostiles dans une position d’attaque idéale.

Soit il réagirait de manière excessive, en envoyant des forces russes envahir l’Ukraine. L’Occident y était préparé, prêt à hurler que Poutine était « le nouvel Hitler », sur le point d’envahir une pauvre Europe sans défense qui ne pouvait être sauvée (une fois de plus) que par ces généreux Américains.

En réalité, la réponse défensive russe était une solution intermédiaire très raisonnable. Grâce au fait que l’écrasante majorité des habitants de la Crimée se sentait Russe, ayant été des citoyens russes jusqu’à ce que Khrouchtchev attribue de façon frivole ce territoire à l’Ukraine en 1954, une solution pacifique et démocratique fut trouvée. Les Criméens ont voté pour leur retour à la Russie lors d’un référendum qui était parfaitement légal selon le droit international, mais en violation de la Constitution de l’Ukraine, laquelle était alors en lambeaux, ayant juste été violée par le renversement du président dûment élu du pays, Victor Ianoukovitch, renversement facilité par des milices violentes. Le changement de statut de la Crimée a été obtenu sans effusion de sang, par les urnes.

Néanmoins, les cris d’indignation de l’Ouest furent tout aussi hystériques et agressifs que si Poutine avait réagi de façon excessive et soumis Ukraine à une campagne de bombardement à l’américaine, ou avait carrément envahi le pays – chose qu’on attendait peut-être de sa part.

Le Secrétaire d’État américain John Kerry a dirigé le chœur d’indignation des bien-pensants en accusant la Russie de choses dont son propre gouvernement est coutumier. « On ne peut pas envahir un autre pays sous un prétexte bidon pour faire valoir ses intérêts. Il s’agit d’un acte d’agression sous des prétextes montés de toutes pièces », pontifia Kerry. « C’est vraiment un comportement du 19e siècle au 21e siècle ». Au lieu de rire face à cette hypocrisie, les médias, politiciens et commentateurs américains ont repris avec zèle le thème de l’agression expansionniste inacceptable de Poutine. Les Européens, obéissants, leur ont faiblement fait écho.

Tout avait été planifié à Yalta

En septembre 2013, l’un des plus riches oligarques de l’Ukraine, Viktor Pinchuk, finança une conférence stratégique d’élites sur l’avenir de l’Ukraine qui s’est déroulée dans le même Palais à Yalta, en Crimée, où Roosevelt, Staline et Churchill s’étaient réunis pour décider de l’avenir de l’Europe en 1945. Parmi les médias spécialisés qui rendaient compte de cette conférence, largement ignorée par les médias de masse, The Economist, écrivit de cette « démonstration de diplomatie féroce » que : « L’avenir de l’Ukraine, un pays de 48 millions d’habitants, et de l’Europe se décidait en temps réel. » Parmi les participants se trouvaient Bill et Hillary Clinton, l’ancien chef de la CIA le général David Petraeus, l’ancien secrétaire américain au Trésor, Lawrence Summers, l’ancien président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, le ministre suédois des Affaires étrangères Carl Bildt, Shimon Peres, Tony Blair, Gerhard Schröder, Dominique Strauss-Kahn, Mario Monti, le président lituanien Dalia Grybauskaite, l’influent ministre des Affaires étrangères polonais, Radek Sikorski. Tant le président Viktor Ianoukovitch, renversé cinq mois plus tard, que son successeur récemment élu Petro Porochenko étaient présents. L’ancien secrétaire à l’énergie américain, Bill Richardson était là pour parler de la révolution du gaz de schiste que les États-Unis espèrent utiliser pour remplacer les réserves de gaz naturel de la Russie et ainsi affaiblir cette dernière. Le centre de la discussion portait sur « l’Accord de libre-échange approfondi et complet » (ALEAC) entre l’Ukraine et l’Union européenne, et la perspective de l’intégration de l’Ukraine à l’Occident. Le ton général était euphorique devant la perspective de briser les liens de l’Ukraine avec la Russie en faveur de l’Occident.

Une conspiration contre la Russie ? Pas du tout. Contrairement à Bilderberg, les délibérations ici n’étaient pas tenues secrètes. Face à plus d’une dizaine de personnalités américaines de haut niveau et un large échantillon de l’élite politique européenne se trouvait un conseiller de Poutine nommé Sergueï Glaziev, qui a clairement explicité la position de la Russie.

Glazyev a introduit une dose de réalisme politique et économique dans la conférence. Forbes a rendu compte à l’époque de la « différence frappante » entre les points de vue russes et occidentaux « non pas sur l’opportunité de l’intégration de l’Ukraine avec l’UE, mais plutôt sur son impact probable. » Contrairement à l’euphorie de l’Ouest, le point de vue russe était fondé sur des « critiques économiques très précises et pointues » sur l’impact de l’accord sur l’économie de l’Ukraine, en notant que l’Ukraine souffrait d’un énorme déficit extérieur, financé par des emprunts à l’étranger, et que l’augmentation substantielle d’importations de l’Occident qui résulterait de l’accord ne pouvait que faire gonfler le déficit. L’Ukraine « soit se retrouvera en cessation de paiements, soit devra être renflouée par un important plan de sauvetage ».

Le journaliste de Forbes a conclu que « la position de la Russie est beaucoup plus proche de la vérité que les belles paroles émanant de Bruxelles et de Kiev. »

Quant à l’impact politique, Glazyev a souligné que la minorité russophone dans l’Est de l’Ukraine pourrait être incitée à diviser le pays en signe de protestation contre la rupture des liens avec la Russie, et que la Russie serait légalement en droit de les soutenir, selon le Times de Londres.

En bref, lors de la planification de l’intégration de l’Ukraine dans la sphère occidentale, les dirigeants occidentaux étaient parfaitement conscients que cette initiative entraînerait de sérieux problèmes avec les Ukrainiens russophones, et avec la Russie elle-même. Plutôt que de chercher à trouver un compromis, les dirigeants occidentaux ont décidé d’aller de l’avant et de condamner la Russie pour tout ce qui pouvait mal tourner. La première chose qui a mal tourné fut la reculade de M. Ianoukovitch devant la perspective d’un effondrement économique qui serait impliqué par l’accord commercial avec l’Union européenne. Il a repoussé la signature, dans l’espoir d’obtenir de meilleures conditions. Puisque rien de tout cela n’avait été expliqué clairement à la population ukrainienne, des protestations indignées s’ensuivirent, qui ont été rapidement exploitées par les États-Unis… contre la Russie.

L’Ukraine, comme pont… ou comme talon d’Achille

L’Ukraine, un terme qui signifie frontière, est un pays sans frontières historiques clairement définies qui a été étendu à la fois trop à l’Est et trop à l’Ouest. L’Union soviétique était responsable de cette situation, mais l’Union soviétique n’existe plus, et le résultat est un pays sans identité unifiée et qui pose problème pour lui-même et pour ses voisins.

Il a été étendu trop à l’Est, en intégrant un territoire qui pourrait tout aussi bien appartenir à la Russie, dans le cadre d’une politique générale visant à distinguer l’URSS de l’empire tsariste, par l’élargissement de l’Ukraine au détriment de sa composante russe et pour démontrer ainsi que l’Union soviétique était vraiment une union entre des républiques socialistes égales. Tant que toute l’Union soviétique était gérée par une direction communiste, ces frontières n’avaient pas trop d’importance.

Le territoire de l’Ukraine a été étendu trop à l’Ouest à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’Union soviétique victorieuse a déplacé la frontière de l’Ukraine pour y inclure les régions de l’Ouest, dominées par la ville diversement nommée Lviv, Lwow, Lemberg ou Lvov, selon qu’elle appartenait à la Lituanie, la Pologne, l’Empire des Habsbourg ou l’URSS, régions qui sont devenues un foyer de sentiments anti-russes. Cela fut sans doute conçu comme une mesure défensive, pour neutraliser des éléments hostiles, mais cela a créé cette nation fondamentalement divisée qui constitue aujourd’hui une mare d’eaux troubles parfaite pour des puissances hostiles qui veulent venir y pêcher.

L’article de Forbes précité soulignait que : « Au cours de la majeure partie des cinq dernières années, l’Ukraine jouait à un double jeu, en racontant à l’UE qu’elle était intéressée par la signature de l’ALEAC tout en racontant aux Russes qu’elle était intéressée à se joindre à l’union douanière ». Soit Ianoukovitch n’arrivait pas à se décider, soit il essayait d’obtenir le maximum de chaque côté, en faisant monter les enchères. Quoi qu’il en soit, il n’a jamais été « l’homme de Moscou », et sa chute doit beaucoup sans doute au fait qu’il a joué sur deux registres opposés, un jeu dangereux.

On peut néanmoins affirmer qu’il fallait quelque chose qui jusqu’à présent semblait faire totalement défaut en Ukraine : une direction reconnaissant la nature divisée du pays et œuvrant avec diplomatie pour trouver une solution capable de satisfaire les populations locales et leurs liens historiques avec l’Occident catholique et la Russie. En bref, l’Ukraine pourrait être un pont entre l’Orient et l’Occident – ce qui, d’ailleurs, était précisément la position russe. La position de la Russie n’a pas été de diviser l’Ukraine, encore moins de la conquérir, mais de faciliter son rôle de pont. Cela impliquerait un degré de fédéralisme, d’administration locale, qui, jusqu’ici, fait entièrement défaut dans ce pays, avec les gouverneurs locaux non pas élus mais nommés par le gouvernement central à Kiev. Une Ukraine fédérale pourrait à la fois développer des relations avec l’UE et maintenir ses relations économiques vitales (et rentables) avec la Russie.

Mais un tel arrangement nécessiterait que l’Occident soit prêt à coopérer avec la Russie. Les États-Unis ont ouvertement opposé leur veto à cette possibilité, préférant exploiter la crise afin de marquer au fer rouge la Russie comme étant « l’ennemi ».

Plan A et Plan B

La politique étatsunienne, déjà évidente lors de la réunion de septembre 2013 à Yalta, a été mise en œuvre sur le terrain par Victoria Nuland, ancienne conseillère de Dick Cheney, vice-ambassadrice à l’OTAN, porte-parole de Hillary Clinton et épouse du théoricien néo-conservateur Robert Kagan. Son rôle de premier plan dans les événements en Ukraine prouve que l’influence des néo-conservateurs au Département d’État, établie sous Bush II, a été maintenue par Obama, dont la seule contribution visible au changement de la politique étrangère a été la présence d’un homme d’origine africaine à la présidence, présence calculée pour démontrer au monde entier les vertus multiculturelles des États-Unis. Comme la plupart des présidents récents, Obama est là en tant que vendeur temporaire des politiques formulées et exécutées par d’autres.

Comme Victoria Nuland s’en est vantée à Washington, depuis la dissolution de l’Union soviétique en 1991, les États-Unis ont dépensé cinq milliards de dollars pour gagner de l’influence politique en Ukraine (c’est ce qu’on appelle « la promotion de la démocratie »). Cet investissement n’est pas « pour le pétrole », ni pour obtenir un avantage économique immédiat. Les principaux motifs en sont géopolitiques, parce que l’Ukraine est le talon d’Achille de la Russie, le territoire ayant le plus grand potentiel pour causer des ennuis à la Russie.

Ce qui a attiré l’attention du public sur le rôle de Victoria Nuland dans la crise ukrainienne fut son emploi d’un vilain mot, lorsqu’elle dit à l’ambassadeur des États-Unis, « Fuck the UE ». Mais l’agitation autour de son mauvais langage a voilé ses mauvaises intentions. La question était de savoir qui allait arracher le pouvoir des mains du président élu Viktor Ianoukovitch. Le choix de la chancelière allemande Angela Merkel portait sur l’ancien boxeur Vitaly Klitschko. La rebuffade grossière de Nuland signifiait que c’étaient les États-Unis, et non pas l’Allemagne ni l’Union européenne, qui allaient choisir le prochain chef, et ce ne serait pas Klitschko, mais « Yats ». Et en effet ce fut Yats, Arseni Iatseniouk, un technocrate de seconde zone soutenu par les États-Unis et connu pour son enthousiasme pour les politiques d’austérité du FMI et pour l’adhésion à l’OTAN, qui a obtenu le poste. Ce qui a abouti à la mise en place d’un gouvernement parrainé par les États-Unis, soutenu dans les rues par une milice fasciste avec peu de poids électoral mais beaucoup d’agressivité armée, qui a organisé l’élection du 25 mai, dont la zone russophone de l’est a été largement exclue.

Le plan A du putsch de Victoria Nuland était probablement d’installer, et rapidement, un gouvernement à Kiev qui adhérerait à l’OTAN, permettant ainsi aux États-Unis de prendre possession de la base navale de la mer Noire, à Sébastopol en Crimée, base indispensable pour la Russie. La réintégration de la Crimée à la Russie fut un mouvement défensif nécessaire de Poutine pour l’empêcher.

Mais la tactique de Nuland était en fait un stratagème pour gagner sur tous les tableaux. Si la Russie ne réussissait pas à se défendre, elle risquait de perdre la totalité de sa flotte sud – une catastrophe nationale absolue. D’autre part, si la Russie réagissait, ce qui était le plus probable, les États-Unis remportaient une victoire politique, ce qui était peut-être l’objectif principal de Nuland. Le mouvement totalement défensif de Poutine fut dépeint par les grands médias occidentaux, en écho aux dirigeants politiques, comme une manifestation gratuite de « l’expansionnisme russe », que la machine de propagande compara à Hitler s’emparant de la Tchécoslovaquie et la Pologne.

Ainsi, une provocation flagrante de l’Ouest, en exploitant la confusion politique ukrainienne contre une Russie fondamentalement sur la défensive, a réussi de manière surprenante à produire un changement total dans l’air du temps, changement artificiellement produit par les médias occidentaux. Soudain, on nous dit que « l’Occident épris de liberté » est confronté à la menace de « l’expansionnisme agressif russe ». Il y a trente ans, les dirigeants soviétiques ont cédé la boutique, en ayant l’illusion qu’un renoncement pacifique de leur part pourrait conduire à un partenariat amical avec l’Occident, et en particulier avec les États-Unis. Mais ceux qui aux États-Unis n’ont jamais voulu mettre fin à la guerre froide sont en train de prendre leur revanche. Peu importe le « communisme » ; si, au lieu de préconiser la dictature du prolétariat, le leader actuel de la Russie est tout simplement un peu vieux jeu, les médias occidentaux sauront en faire un monstre. Les États-Unis ont besoin d’un ennemi pour pouvoir en sauver le monde.

Le retour du racket de la “Protection”

Mais tout d’abord, les États-Unis ont besoin de l’ennemi russe pour « sauver l’Europe », ce qui est une autre manière de dire « afin de continuer à dominer l’Europe ». Les décideurs à Washington semblaient inquiets que la focalisation d’Obama sur l’Asie et la négligence de l’Europe pourraient affaiblir le contrôle des États-Unis sur ses alliés de l’OTAN. Les élections du 25 Mai au Parlement européen ont révélé une grande désaffection à l’égard de l’Union européenne. Cette désaffection, notamment en France, est liée à une prise de conscience croissante que l’UE, loin d’être une alternative potentielle aux États-Unis, est en réalité un mécanisme qui verrouille les pays européens dans une mondialisation définie par les États-Unis, les soumettant au déclin économique et à la politique étrangère étasunienne, y compris les guerres.

L’Ukraine n’est pas la seule entité qui a été trop étendue. L’UE aussi. Avec 28 membres de différentes langues, cultures, histoires et mentalités, l’UE n’est pas en mesure de s’entendre sur une politique étrangère autre que celle imposée par Washington. L’extension de l’UE aux anciens satellites d’Europe de l’Est a totalement détruit toute possibilité de consensus profond entre les pays de la Communauté économique d’origine : France, Allemagne, Italie et les pays du Benelux. La Pologne et les pays baltes voient l’adhésion à l’UE comme utile, mais leurs cœurs sont en Amérique – où beaucoup de leurs dirigeants les plus influents ont été éduqués et formés. Washington est en mesure d’exploiter l’anti-communisme, les sentiments anti-russes et même la nostalgie pro-nazie de l’Europe du nord-est pour lancer la fausse alarme « les Russes arrivent ! » afin de gêner le partenariat économique grandissant entre l’ancienne UE, notamment l’Allemagne, et la Russie.

La Russie n’est pas une menace. Mais pour les russophobes bruyants dans les Etats baltes, l’Ukraine occidentale et la Pologne, l’existence même de la Russie est une menace. Encouragée par les États-Unis et l’OTAN, cette hostilité endémique constitue la base politique pour un nouveau « rideau de fer » destiné à atteindre l’objectif énoncé en 1997 par Zbigniew Brzezinski dans Le grand échiquier : garder le continent eurasien divisé afin de perpétuer l’hégémonie mondiale des États-Unis. L’ancienne guerre froide a servi à cela, en cimentant la présence militaire des États-Unis et leur influence politique en Europe occidentale. Une nouvelle guerre froide peut empêcher l’influence américaine d’être diluée par de bonnes relations entre l’Europe occidentale et la Russie.

Obama est venu en Europe en brandissant la promesse de « protéger » l’Europe, en installant des troupes dans des régions aussi proches que possible de la Russie, tout en ordonnant en même temps à la Russie de retirer ses propres troupes, sur son propre territoire, encore plus loin de l’Ukraine troublée. Cela semble destiné à humilier Poutine et à le priver de soutien politique chez lui, au moment où des protestations s’amplifient dans l’Est de l’Ukraine contre le leader russe, où on lui reproche d’avoir abandonné les habitants de cette région aux tueurs envoyés par Kiev.

Pour resserrer l’emprise des États-Unis sur l’Europe, les États-Unis utilisent cette crise artificielle pour exiger que leurs alliés endettés dépensent encore plus pour la « défense », notamment par l’achat de systèmes d’armes américains. Bien que les États-Unis soient encore loin d’être en mesure de répondre aux besoins énergétiques de l’Europe avec leur gaz de schiste, cette perspective est saluée comme un substitut aux ventes de gaz naturel russe – stigmatisées comme un « moyen d’exercer une pression politique », pressions dont les hypothétiques ventes de gaz US seraient innocentes. Des pressions sont exercées sur la Bulgarie et même la Serbie pour bloquer la construction du gazoduc South Stream qui acheminera le gaz russe vers les Balkans et l’Europe du Sud.

Les Pions en Normandie

Aujourd’hui, le 6 Juin, le soixante-dixième anniversaire du débarquement donne lieu en Normandie à une gigantesque célébration de la domination américaine, avec Obama menant le bal du gratin des dirigeants européens. Les derniers des vieux soldats et aviateurs survivants présents sont comme les fantômes d’une ère plus innocente lorsque les États-Unis n’étaient qu’au début de leur nouvelle carrière de maîtres du monde. Les survivants sont réels, mais le reste n’est que mascarade. La télévision française est noyée dans les larmes de jeunes villageois en Normandie qui ont appris que les États-Unis étaient une sorte d’Ange Gardien qui a envoyé ses garçons mourir sur les plages de Normandie par pur amour pour la France. Cette image idéalisée du passé est implicitement projetée sur l’avenir. En soixante-dix ans, la guerre froide, la narration de la propagande dominante et surtout Hollywood ont convaincu les Français, et la plupart des gens en Occident, que le Jour-J fut le point tournant qui a gagné la Seconde Guerre mondiale et sauvé l’Europe de l’Allemagne nazie.

Vladimir Poutine est arrivé à la célébration, où il a été minutieusement ignoré par Obama, arbitre auto-proclamé de la vertu. Les Russes rendent hommage à l’opération Jour-J qui a libéré la France de l’occupation nazie, mais ils – et les historiens – savent ce que la majorité de l’Occident a oublié : que la Wehrmacht fut défaite de façon décisive non pas par le débarquement de Normandie, mais par l’Armée rouge. Si le gros des forces allemandes n’avait pas été enlisé dans une guerre déjà largement perdue sur le front de l’Est, personne ne célébrerait le jour J comme il l’est aujourd’hui.

On entend dire que Poutine est « le meilleur joueur d’échecs », qui a remporté la première partie de la crise ukrainienne. Il a sans doute fait de son mieux, dans une crise qu’on lui a imposé. Mais les États-Unis ont des rangs entiers de pions que Poutine n’a pas. Et il ne s’agit pas uniquement d’un jeu d’échecs, mais d’un jeu d’échecs combiné avec du poker associé à la roulette russe. Les États-Unis sont prêts à prendre des risques que les dirigeants russes plus prudents préfèrent éviter … aussi longtemps que possible.

Peut-être l’aspect le plus extraordinaire de la comédie actuelle est la servilité des « anciens » Européens. Ayant apparemment abandonné toute la sagesse européenne accumulée, apprise des guerres et des tragédies, et même inconscients de leurs propres intérêts, les dirigeants européens d’aujourd’hui montrent une obéissance qui suggère que la libération de 1945 était en fin de compte une conquête qui perdure.

Est-ce que la présence en Normandie d’un dirigeant russe à la recherche de la paix peut faire une différence ? Il suffirait que les médias de masse disent la vérité, et que l’Europe produise des dirigeants raisonnablement sages et courageux, pour que toute la machine de guerre factice perde de son éclat, et que la vérité commence à percer. Une Europe en paix est toujours possible, mais pour combien de temps encore ?

Diana Johnstone

 

Diana Johnstone, proche de Noam Chomsky, est l’auteure de La croisade des fous : Yougoslavie, première guerre de la mondialisation. Elle peut être contactée à diana.johnstone@wanadoo.fr

Traduction VD pour le Grand Soir sous le regard attentif de l’auteure

source: http://www.legrandsoir.info/ukraine-nouveau-rideau-de-fer.html

Source: http://www.les-crises.fr/ukraine-nouveau-rideau-de-fer/


Miscellanées du mercredi (Delamarche, Sapir, Béchade)

Wednesday 3 December 2014 at 09:08

I. Olivier Delamarche

Un grand classique : La minute d’Olivier Delamarche: “Ça va tellement bien aux USA, qu’ils attendent pour acheter cher”

Olivier Delamarche VS Pierre Sabatier VS Jean-François Robin (1/2): Le pétrole poursuit sa chute: une bonne nouvelle pour l’économie mondiale ? – 01/12

Olivier Delamarche VS Pierre Sabatier VS Jean-François Robin (2/2): “Black Friday” décevant aux États-Unis : quels impacts sur la reprise américaine ? – 01/12

II. Philippe Béchade

Bilan Hebdo: Philippe Béchade et Jean-Louis Cussac – 28/11

III. Jacques Sapir

La minute de Jacques Sapir : Un QE à l’américaine serait illégal en Europe !

Jacques Sapir VS Pierre Barral (1/2): Chute du prix du pétrole: Faut-il s’en rejouir ? – 02/12

Jacques Sapir VS Pierre Barral (2/2): Crise du pétrole: la Russie est-elle la seule grande perdante ? – 02/12

IV. Charles Sannat

Nicolas Doze: Les Experts (1/2) – Charles Sannat – 25/11

Nicolas Doze: Les Experts (2/2) – Charles Sannat – 25/11


Source: http://www.les-crises.fr/miscellanees-03-12-2014/


[Propagande de guerre] France Inter sur la Crimée

Wednesday 3 December 2014 at 04:31

(on appréciera le choix d’une photo avec des drapeaux communistes, alors qu’il en existe avec des milliers de russes en joie

Depuis mars dernier, à l’issue d’un référendum dénoncé par la communauté internationale, la presqu’île de Crimée a fait sécession de l’Ukraine. Ce qui était la “Côte d’Azur” de la Russie tsariste, puis de l’Union Soviétique, a quitté le giron de Kiev pour se placer sous celui de Moscou. En un éclair, les nouvelles autorités ont rayé tout ce qui pouvait rappeler l’appartenance à l’Ukraine : la région est passée à l’heure de Moscou, le rouble a remplacé la Hryvnia. Et seule prévaut désormais la langue russe sur les bâtiments officiels. Quant à la cohabitation entre la majorité russe et les minorités ukrainienne et tatare, paisible jusqu’alors, elle a dégénéré. Les haines attisées par la propagande de Moscou ont forcé une partie de la population à quitter la région. Ceux qui restent baissent la tête. Quant aux Tatars, ils redécouvrent l’angoisse de l’avenir. Les Européens comme les Américains ont imposé des sanctions à la Russie pour la punir de cette annexion. Mais l’histoire semble déjà avoir digéré cet épisode-là, en attendant le prochain : dans le Dombass cette fois, à l’Est de l’Ukraine où les armes russes se font entendre. 

Emission présentée par Pascal Dervieux

Un reportage de Julie Piétri et de Fabien Gosset (Prise de son)

Réalisation Anne Lhioreau assistée de Stéphane Cosme


(ré)écouter cette émission

Source : France Inter

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Commentaire d’un des lecteurs du blog qui a signalé cette émission :

Ca vaut vraiment le coup d’écouter cette émission, un modèle d’équilibre.

-1° temps: Présentation assez orientée je ne vous dit pas en faveur de qui, le titre se suffit à lui-même,

-2°temps: Interview par Julie Petri d’un dizaine de citoyens de Crimée, questions parfois orientées, mais pas trop, réponses qui semblent honnêtes et qui à 80 % affichent un soulagement et un espoir depuis “l’annexion”, une opposante déclarée, parle aussi assez librement me semble t’il. Si bien que l’on retient de cette émission 2 choses,
-ça a l’air d’aller un peu mieux en Crimée
-Tiens, France Inter fait un reportage honnête sur la question de la Crimée

3° temps: pour la synthèse, devinez qui arrive sur le plateau, Marie MENDRAS, et là c’est un florilège pour nous expliquer:

-Que les Criméens interviewvés ne savent pas de quoi ils parlent
-Que ça va très mal au DOMBASS (c’était pas la question, mais..)
-Que Poutine est très méchant et Poroschenko et yartsenuk trés gentils.

Hallucinant!…

Source: http://www.les-crises.fr/propagande-de-guerre-france-inter-sur-la-crimee/