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[Reprise] GEAB N°87 : Europe 2020 – Communauté ou empire ?

Tuesday 7 October 2014 at 00:20

Je partage avec vous aujourd’hui l’introduction du “GlobalEurope Anticipation Bulletin”, qui est pour moi de loin une des meilleures sources d’information sur la Crise…

Cet intitulé est inspiré du titre du premier livre de Franck Biancheri (inédit) rédigé en 1992 et dans lequel l’auteur montrait que les principes fondateurs du projet européen conçu à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (soit une communauté de pays se donnant les moyens de bâtir ensemble une paix durable et un continent prospère) pouvaient, si l’on n’y prenait garde, se retrouver marginalisés et les réflexes bien connus d’Europe-empire (colonisation européenne, Napoléon, Hitler,…) reprendre le dessus. En l’occurrence, Franck Biancheri estimait que ce qui devait permettre au projet de construction européenne de rester sur la voie de la communauté, c’était sa démocratisation.

Quelques années plus tard, avec le Traité de Maastricht qui rebaptisait la Communauté européenne en « Union européenne », Franck Biancheri, avec sa méfiance des « unions » de toutes natures, avaient estimé que ce choix n’était pas de très bon augure. Vingt-trois ans plus tard, rien n’a avancé sur le front de la démocratisation de l’Europe et la crise fournit le contexte propice au déraillement complet du projet de communauté. Nous allons montrer quels indicateurs permettent de dire que cette tendance (qui a toujours été là bien sûr, mais était encadrée dans une mécanique de garde-fous relativement efficace) est en train de resurgir. Mais nous nous refuserons à en faire encore une vraie anticipation, préférant mettre également l’accent sur les autres indicateurs, ceux qui permettent encore d’espérer un retournement de tendance (1).

Si nous parlons de « retournement de tendance », c’est que, après avoir passé près d’une année à voir une Europe à la « croisée des chemins » (2), nous estimons que cette rentrée marque son engagement sur la mauvaise voie, celle qui emmène vers le « scenario tragique » décrit par Franck Biancheri dans son ouvrage visionnaire « Crise mondiale : En route vers le monde d’après » publié en 2010 (3), dans lequel il mettait en avant les atouts considérables de l’Europe face à la crise et son potentiel de participation à l’émergence d’un « monde d’après » souhaitable ; mais aussi le risque majeur pesant sur l’Europe et les Européens dont les élites dirigeantes, non démocratiques (à Bruxelles) ou non européennes (dans les capitales), s’avèrent incapables de s’appuyer sur la crise pour parachever ce projet positif de construction européenne, toujours inabouti (4).

Comme nos fidèles lecteurs le savent, nous avons analysé la crise ukrainienne comme une opération dirigée par les États-Unis, et mise en œuvre par une poignée d’affidés bien placés dans les circuits décisionnels européens, dans le but, pour résumer, de sceller le destin de l’Europe à celui d’un camp occidental, emmené par les Américains. Cette opération a été menée comme une blitzkrieg dans une absence totale de capacité de réaction de la part du camp européen qui s’est brutalement retrouvé quasiment en guerre contre la Russie sans avoir compris pourquoi. Lorsque les Européens se sont réveillés de ce premier choc, une autre bataille, assez difficile à suivre, a eu lieu parmi les classes dirigeantes, entre les États européens et au sein des opinions publiques, entre les « anti-russes » et les « pro-russes », ou plutôt entre les « pro-américains » et les « anti-américains », mais en fait surtout entre les idéologues de l’Occident et les défenseurs de l’indépendance du continent européen.

Dans les deux derniers numéros du GEAB, nous avons mis l’accent sur le fait que les « conditions d’un sursaut » étaient réunies, relevant les indicateurs d’une reprise en main européenne des affaires. Mais l’été est passé par là, avec la perte de vigilance qui caractérise cette période de l’année. Et la rentrée nous fait découvrir un paysage a priori assez désolant, notamment sur trois points : le nouveau remaniement gouvernemental français, le projet de Commission de Juncker, et la grand-messe de l’OTAN à Newport. Nous tenterons une lecture de ces trois événements de rentrée. Puis nous passerons en revue d’autres thèmes importants de la rentrée (Irak, élections générales au Brésil, remaniement gouvernemental au Japon) que nous lirons à l’aune de la grande reconfiguration géopolitique globale, sachant que nous nous attachons désormais à repérer les indicateurs de précipitation d’une bipolarisation du monde – ou ceux de progrès dans l’émergence du monde multipolaire. Nous verrons ainsi que ce n’est pas seulement l’Europe qui risque de glisser vers la tentation de l’empire.

L’Europe joue son rôle dans cet accouchement pénible du monde de demain, mais il est certain que l’augmentation du risque de bipolarisation globale nourrit et est nourrie par la résurgence d’une idéologie de puissance (Europe-empire) au sein de ses élites (5).

L’hypothèse que nous faisons est que l’explosion de l’UE (6) peut donner lieu à deux types de réaction :

Dans les deux cas, nous estimons que le politique est en train de faire son retour en Europe. Mais selon que c’est le premier ou le second scenario qui se met en place, ce politique n’aura bien entendu vraiment pas les mêmes caractéristiques.

Ces deux camps s’affrontent actuellement dans les couloirs décisionnels de l’UE, tant au niveau national qu’au niveau européen. Nous estimons que la piste de l’Europe-empire est en train de prendre le dessus mais ne désespérons pas encore de voir l’Europe-communauté gagner in fine.

Explosion de l’UE : referendum écossais, intégration ratée des pays d’Europe de l’Est

Oui l’UE explose. Nous avons déjà abondamment décrit les remises en question de nombreuses politiques par les États membres, en particulier la libre-circulation des biens et des personnes de l’espace Schengen (7) ; ou encore le projet de sortie de l’UE du Royaume-Uni, puissance structurante de l’UE depuis sa naissance en 1992.

Referendum écossais : Il nous faut désormais ajouter à cette liste le probable éclatement du Royaume-Uni causé par le referendum écossais. Nous avions pris le risque d’anticiper une victoire du oui il y a de nombreux mois déjà. Aujourd’hui, nous faisons une anticipation complémentaire : que le oui gagne ou non, de toute façon, ce referendum transforme le Royaume Uni. Londres avait dû espérer qu’une victoire retentissante du non renforcerait la cohésion de l’Union du Royaume. Mais, avec une certitude de résultat extrêmement serré, Cameron a déjà dû faire de telles concessions aux Écossais (8) que les autres membres de l’Union (Pays de Galle, Irlande du Nord) sont déjà sur les starting-blocks pour obtenir les mêmes avancées en matière d’autonomie (9).

Cela dit, en cohérence avec le principe de l’anticipation politique selon lequel les grandes tendances ne doivent pas être bloquées mais exploitées, nous estimons que le Royaume-Uni aurait tout à gagner à une évolution vers une structure fédérale. Nous avons souvent répété que les pays centralisés ne sont plus adaptés aux enjeux du monde du XXIe siècle.

Sans compter que les Anglais sont opportuns et savent rebondir. Pour preuve, le retournement de leur place financière vers les sukuks et le yuan (10), qui sauve la City. Une fédéralisation du Royaume-Uni donnerait à ses élites une belle occasion de montrer comment elles sont capables de tirer parti d’un tel coup du sort.

Quoiqu’il en soit une fédéralisation du Royaume-Uni change considérablement la donne pour l’UE.

Intégration ratée des pays de l’Est : L’UE est menacée de délitement également sur son front oriental.

Aujourd’hui en effet, l’UE en crise apparaît de moins en moins attractive pour les pays de l’Est et certains, sans remettre en question leur appartenance européenne, commencent à regarder avec intérêt ce qu’il se passe du côté du précédent envahisseur, la Russie. La Hongrie de Victor Orban est la plus avancée sur cette voie et l’on ferait bien de regarder plus en détail les idées de ce politique qui n’a rien d’un dictateur, même s’il a tout d’un homme fort, soucieux de l’indépendance de son pays… Mais, dans l’Europe de ces dernières années, regarder vers l’Est est passible de haute trahison.

D’autres, face à l’évidente faiblesse politique européenne, notamment en matière de politique de sécurité et de défense, ont entrepris par exemple de réfléchir entre eux à un système de défense qui leur soit propre. C’est ainsi que le groupe de Visegrad (d’ailleurs composé entre autres de la Hongrie, mais aussi de la Slovaquie qui a récemment déclaré ne pas vouloir de troupes étrangères sur son sol (11)), depuis plusieurs années, travaille à mettre en place un système de défense et de sécurité qui, d’une certaine manière, les autonomise (12). Nous sommes là clairement sur une conséquence directe de l’incapacité de l’UE à avoir pu proposer le moindre projet d’Europe de la Défense susceptible de rassurer les pays des confins de l’Europe.

La Bulgarie quant à elle exprime désormais son souhait de pouvoir coopérer avec la Russie dans le cadre de la construction du gazoduc de contournement de l’Ukraine qu’est la ligne South-Stream. Mais depuis la crise ukrainienne, Bruxelles lui interdit de construire son tronçon (13). Pourtant, la Bulgarie a un double intérêt à cette construction : d’une part, cela lui garantit son approvisionnement en énergie ; et d’autre part, cela lui ajoute une source non-négligeable de financement grâce au prélèvement d’un droit de péage sur le gaz russe.

Les taux de participation des pays de l’Est de l’Europe aux dernières élections européennes sont un indicateur clair du degré de ratage de l’intégration de ces pays. L’intégration s’est faite trop vite sur des considérations purement mercantiles et non politiques, ces pays ont souvent mélangé l’objectif d’intégration à l’UE avec celui d’intégration à l’OTAN ; quant à l’union économique, ils l’ont souvent vécue, à juste titre, comme une invasion d’entreprises occidentales ayant détruit leur économie locale.

Si la crise ukrainienne fournit peut-être l’occasion de mettre en place une Europe de la Défense dont il resterait à espérer qu’elle se fasse en concertation et non en opposition avec la Russie, tout échec sur ce point nous projette sur une perspective de défection de certains de ces pays à l’horizon 2020, ce qui serait encore un bel échec de cette UE qui n’a eu de cesse que d’élargir l’Europe en rejetant tout projet d’approfondissement de l’intégration, notamment politique et démocratique.


Notes :

(1) C’est ainsi que, contrairement à notre habitude, nous ne faisons pas un choix de scenario. Libre à nos lecteurs de se faire une idée par eux-mêmes.

(2) Une expression qui est souvent revenue dans les lignes du GEAB, en 2013 surtout.

(3) Et qui mérite une réédition à mi-chemin de la période anticipée (2010-2020), réédition à laquelle l’éditeur, Anticipolis, a accepté de se prêter. La relecture de cet ouvrage à la lumière des événements dramatiques qui dominent l’actualité en 2014 n’incite pas à l’optimisme.

(4) En fait, la construction européenne est à l’arrêt à peu près complet depuis le Traité de Maastricht : l’union économique réalisée, le seul projet d’avenir qui ait vu le jour depuis, c’est l’union monétaire dont la mise en place imposait de poursuivre le travail vers la gouvernance économique, l’union fiscale, l’union politique et la démocratisation. Mais nous nous sommes arrêtés au milieu du gué… et la crue arrive.

(5) Les parallèles historiques sont faciles. Parallèle avec l’Union soviétique : des puissances occidentales qui ne sont plus les meilleures dans la course économique mondiale et qui, telles l’URSS dans les années 50, préfèrent monter un mur entre elles et cette concurrence jugée déloyale ; mais aussi parallèle avec la montée du nazisme : un système économico-politique capitaliste dont les excès créent un rejet profond et qui peu à peu développe une idéologie de puissance justifiant la concentration de pouvoir et d’argent caractéristique de leur fonctionnement. De même que l’idéologie nazie était en effet bien partagée dans tous les circuits de pouvoir européens et pas seulement en Allemagne, l’idéologie de puissance véhiculée par les États-Unis séduit de nombreux Européens proches ou à l’intérieur des cercles de pouvoir, en particulier à Bruxelles (mais pas seulement). Après tout, ce genre d’idéologie a été européenne avant d’être américaine et les personnes qui la portent estiment que les État-Unis ne sont qu’une extension de l’Europe et que les deux doivent s’unir indissolublement pour faire échec à l’émergence de la Chine, en particulier, qui les effraie plus que tout. C’est ainsi qu’on peut suspecter certains technocrates européens de voir dans la signature d’un Traité de libre-échange avec les États-Unis un élargissement naturel de l’Europe aux États-Unis… vers une Europe des Rocheuses aux Balkans !

(6) Dans plusieurs numéros antérieurs du GEAB, nous avons anticipé cette explosion de l’UE, tout en montrant que l’UE n’était pas l’Europe, qu’elle était une forme d’organisation, née du Traité de Maastricht, qui avait échoué, et que l’on pouvait saluer positivement la naissance de l’Euroland dans la fin de l’UE. Cette émergence d’un projet européen alternatif à l’UE s’est mise en route dans le cadre de la gestion de la crise de l’Euro qui a en effet accéléré la structuration d’une gouvernance de la zone Euro. Mais si une crise de l’Euro renforçait naturellement la zone Euro, une crise géopolitique comme celle générée par la crise euro-russe renforce l’UE… et tous ses défauts.

(7) Par exemple : Deutsche Welle, 22/10/2012

(8) Source : DailyAdvance, 14/09/2014

(9) Source : BBC, 09/09/2014

(10) Source : Forbes, 14/09/2014

(11) Source : Reuters, 04/06/2014

(12) Source : Premier Ministre polonais, 14/10/2013

(13) Source : Financial Times, 25/08/2014


Abonnement : pour ceux qui en ont les moyens, en particulier en entreprise, je ne peux que vous recommander l’abonnement à cette excellente revue de prospective sur la Crise, qui avait annoncé dès 2006 la crise actuelle.

Je rappelle que LEAP ne reçoit aucune subvention ni publique, ni privée, ni européenne, ni nationale et que ses ressources proviennent uniquement des abonnements au GEAB.

Europe 2020 – Communauté ou empire ?

Source: http://www.les-crises.fr/geab-87/


[Vidéo] Comme quoi, en Allemagne, il y a de l’information sur le terrorisme…

Monday 6 October 2014 at 04:30

Après avoir brillamment parlé du rôle néfaste des médias en Ukraine (après avoir finement parlé de la situation en mars), l’émission de la ZDF (le France 2 allemand) a traité du terrorisme – décapant…

Source: http://www.les-crises.fr/n-allemagne-il-y-a-de-l-information-sur-le-terrorisme/


Discours à l’ONU de la Présidente du Brésil Dilma Rousseff

Monday 6 October 2014 at 02:43

Comme je ne connais pas les résultats au moment ou je lance le billet, je reprends simplement le discours de la présidente du Brésil à l’ONU – il n’y a pas que les USA et la Russie dans la monde :)

Lisez surtout, si vous êtes pressé, à la fin, le second discours de l’année dernière, sur les libertés individuelles…

Discours de la Présidente de la République du Brésil, Dilma Rousseff, à l’ouverture du Débat Général du Sommet de la 69e Assemblée Générale des Nations Unies (ONU) en 2014

(on note l’intérêt que représentait ce discours pour les télévisions – elle passait en effet juste avant Obama…)

New York, États-Unis, 24 Septembre 2014.

Monsieur l’Ambassadeur Sam Kutesa, Président de la 69ème Assemblée générale des Nations Unies.

Monsieur Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.

Excellences, Mesdames et Messieurs les Chefs d’État et de gouvernement,

Mesdames et Messieurs,

Pour le Brésil – qui a l’honneur et le privilège d’ouvrir ce débat – c’est une grande satisfaction de voir un enfant de l’Afrique à la présidence de cette session de l’Assemblée générale. Nous avons, nous brésiliens, des liens historiques, culturels et d’amitié avec le continent africain, dont la contribution a été, et est toujours, décisive pour la construction de l’identité nationale de notre pays.

Monsieur le Président,

J’ouvre ce Débat Général à la veille des élections qui choisiront, au Brésil, le Président de la République, les gouvernements des États et une grande partie des représentants de notre Pouvoir législatif. Ces élections sont la célébration d’une démocratie que nous avons conquise il y a près de trente ans, après deux décennies de gouvernements dictatoriaux. Avec cette démocratie, nous avons aussi beaucoup avancé dans la stabilisation économique du pays.

Au cours des douze dernières années, en particulier, nous avons pu ajouter à ces réalisations la construction d’une société d’inclusion sociale basée sur l’égalité des chances.

La grande transformation dans laquelle nous sommes engagés a produit une économie moderne et une société plus équitable. Elle a demandé, dans le même temps, une forte participation populaire, le respect des droits de l’homme et une vision durable de notre développement.

Elle a exigé, enfin, sur la scène internationale, une action marquée par le multilatéralisme, le respect du droit international, la poursuite de la paix et la pratique de la solidarité.

Monsieur le Président,

Il y a quelques jours, la FAO a déclaré que le Brésil était sorti de la carte de la faim.

Ce changement est le résultat d’une politique économique qui a créé 21 millions d’emplois, qui a réévalué le salaire minimum, augmentant le pouvoir d’achat de 71% au cours des 12 dernières années. Avec cela, nous avons réduit les inégalités.

Depuis 2003, trente-six millions de brésiliens sont sortis de la pauvreté; dans mon seul gouvernement, ils ont été 22 millions. Les politiques sociales et de transfert de revenus, réunies dans le programme Brasil Sem Miséria (Brésil Sans Misère NDT) ont également contribué à ce résultat.

Dans le domaine de la santé, nous avons réussi à atteindre l’objectif de réduction de la mortalité infantile avant la date établie par les Objectifs du Millénaire.

Nous avons universalisé l’accès à l’enseignement primaire, et nous poursuivons le même objectif pour l’école secondaire. Nous nous sommes engagés à accroître sa qualité, à améliorer ses programmes et à valoriser ses enseignants.

L’enseignement technique a progressé avec la création de centaines de nouvelles écoles et, au cours des quatre dernières années, avec la formation et la qualification technique et professionnelle de 8 millions de jeunes.

Le développement de l’enseignement supérieur a été sans précédent: nous avons créé de nouvelles universités publiques, et plus de 3 millions d’étudiants ont obtenu des bourses pour y étudier, ou des financements pour leur assurer l’accès aux universités privées.

La discrimination positive a permis l’afflux massif des étudiants pauvres, des noirs et des Indiens vers les universités.

Enfin, les défis de la construction d’une société axée sur la connaissance ont donné lieu à la création d’un programme, Science sans Frontières, par lequel plus de 100.000 étudiants du cycle supérieur sont envoyés dans les meilleures universités mondiales.

À l’initiative de la présidence, le Congrès a adopté une loi qui destine 75% des redevances du pétrole et 50% du Fond Social du pré-sal (1) à l’éducation, et 25% à la santé.

Nous allons transformer ces ressources limitées et non renouvelables – comme le pétrole et le gaz – en des éléments pérennes: l’éducation, le savoir scientifique et technologique, l’innovation. Ce sera notre passeport pour l’avenir.

Monsieur le Président,

Nous n’avons pas négligé la solidité financière et la stabilité monétaire, et nous avons protégé le Brésil de la volatilité financière extérieure.

Ainsi, nous avons su donner des réponses à la grande crise économique mondiale qui a éclaté en 2008, à la crise du système financier international, qui a débuté après la faillite de Lehman Brothers, et qui s’est transformée ensuite dans de nombreux pays en une crise de la dette souveraine.

Nous avons résisté aux pires conséquences de cette crise: le chômage, la baisse des salaires, la perte des droits sociaux et la paralysie des investissements.

Nous avons continué à distribuer le revenu, en stimulant la croissance et l’emploi, tout en maintenant les investissements dans les infrastructures.

Le Brésil est passé de la 13ème à la 7ème plus grande économie mondiale et le revenu par habitant a plus que triplé. L’inégalité a diminué.

Si, en 2002, plus de la moitié des brésiliens étaient pauvres, ou très pauvres, 3 brésiliens sur 4 appartiennent aujourd’hui à la classe moyenne et supérieure.

Pendant la crise, quand le monde entier licenciait des centaines de millions de travailleurs, le Brésil a généré 12 millions d’emplois formels.

En outre, nous sommes devenus une des principales destinations pour les investissements étrangers.

Nous avons repris les investissements dans les infrastructures dans un partenariat solide avec le secteur privé.

Toutes ces avancées se produisent dans un environnement fiscal solide. La dette nette est passée de 60% à 35% du produit intérieur brut.

La dette extérieure brute relative au PIB a diminué, quant à elle, de 42% à 14%.

Les réserves internationales ont été multipliées par 10, nous plaçant, ainsi, dans la position de créancier international.

Le taux annuel d’inflation s’est également stabilisé dans les limites de la variation fixée par les objectifs du pays.

Monsieur le Président,

Bien que nous ayons réussi à résister aux conséquences les plus néfastes de la crise globale, elle nous a aussi durement frappé au cours des dernières années.

Cela est dû à la persistance, dans toutes les régions du monde, de difficultés économiques considérables qui ont un impact négatif sur notre croissance.

Je répète ce que j’ai dit l’an dernier à l’ouverture de l’Assemblée Générale. Il est essentiel et urgent de redonner son dynamisme à l’économie mondiale. Celle-ci doit fonctionner comme un moyen d’inciter à la croissance, au commerce international et à la réduction des inégalités entre les pays, et non comme un facteur de réduction du rythme de la croissance économique et de la répartition du revenu social.

En ce qui concerne le commerce international, il est impératif que tous s’engagent dans un programme de travail afin de conclure le cycle de Doha.

Il est impérieux aussi, Monsieur le Président, de mettre fin au hiatus entre l’importance croissante des pays en développement dans l’économie mondiale et leur faible participation dans les processus de prise de décisions des institutions financières internationales, comme le FMI et la Banque mondiale. Le retard pris dans l’intensification du pouvoir de vote des pays en développement dans ces institutions est inacceptable. Ces dernières, en agissant ainsi, prennent le risque de perdre leur légitimité et leur efficacité.

Monsieur le Président,

C’est avec une grande satisfaction que le Brésil a accueilli le VIème Sommet des BRICS. Nous avons reçu les dirigeants de la Chine, de l’Inde, de la Russie et de l’Afrique du Sud lors d’une réunion fraternelle et fructueuse qui a montré d’importantes perspectives pour l’avenir.

Nous avons signé des accords pour la mise en place de la Nouvelle Banque de Développement et de sa réserve d’arrangement de devises.

La Banque répondra aux besoins de financement de l’infrastructure des pays des BRICS et des pays en développement.

La réserve d’arrangement de devises protégera les pays des BRICS de la volatilité financière.

L’apport pour chacun de ses instruments sera de 100 milliards de dollars.

Monsieur le Président,

La génération actuelle des dirigeants du monde – notre génération – a été également appelée à faire face à des défis importants pour la paix, pour la sécurité collective et pour l’environnement. À ce jour, nous n’avons pas été capables de régler de vieux litiges, ni de prévenir de nouvelles menaces.

L’usage de la force n’est pas en mesure d’éliminer les causes profondes des conflits. Cela est clair dans la persistance de la question palestinienne; le massacre systématique du peuple syrien; la tragique désintégration nationale de l’Irak; la grave insécurité en Libye; les conflits dans le Sahel et dans des affrontements en Ukraine. À chaque intervention militaire, nous ne cheminons pas vers la paix, mais nous assistons, invariablement, à l’intensification de ces conflits.

Il s’agit d’une multiplication tragique du nombre de victimes civiles et des tragédies humanitaires. Nous ne pouvons pas accepter que ces manifestations de barbarie se multiplient, en blessant nos valeurs éthiques, morales et de civilisation.

Nous ne pouvons pas être indifférents à la propagation du virus Ebola en Afrique de l’Ouest. À cet égard, nous appuyons la proposition du Secrétaire général d’établir la Mission des Nations Unies pour une Réponse Urgente à l’Ebola. Le Brésil sera entièrement solidaire de cette action.

Monsieur le Président,

Le Conseil de Sécurité a rencontré des difficultés pour promouvoir un règlement pacifique de ces conflits. Afin de surmonter ces impasses, une véritable réforme du Conseil de Sécurité sera nécessaire, dans un processus que l’on attend depuis trop longtemps.

Les 70 ans de l’Organisation des Nations Unies, en 2015, devrait être l’occasion propice à l’évolution que cette situation exige. Je suis sûre que vous comprenez tous les risques graves provoqués par la paralysie et par l’inaction du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Un Conseil plus représentatif et plus légitime pourra être aussi plus efficace. Je tiens à rappeler que nous ne pouvons pas rester indifférents à la crise israélo-palestinienne, surtout après les événements tragiques de la Bande de Gaza. Nous condamnons l’usage disproportionné de la force, dont les principales victimes sont la population civile, les femmes et les enfants.

Ce conflit doit être résolu, et non administré de manière précaire, comme il l’est actuellement. Des négociations effectives entre les parties doivent aboutir à la solution de deux États – Israël et la Palestine – vivant côte à côte, en sécurité, dans des frontières internationalement reconnues.

Au milieu de tant de situations de conflit, l’Amérique latine et les Caraïbes cherchent à résoudre le principal problème qui nous a marqué pendant des siècles – les inégalités sociales. L’ancrage démocratique se renforce dans la recherche d’une croissance économique plus juste et durable, marquée par l’inclusion sociale. Les efforts d’intégration progressent, par le biais du Mercosur, de l’UNASUR et de la CELAC.

Monsieur le Président,

Le changement climatique est aujourd’hui un défi majeur. Nous avons besoin, pour le vaincre, d’un sens de l’urgence, de courage politique, et nous devons comprendre que chacun doit contribuer selon les principes de l’équité et des responsabilités communes, même si celles-ci sont différenciées.

Le Sommet sur le Climat, convoqué ici opportunément par le Secrétaire Général, renforce les négociations au titre de la Convention-cadre.

Le gouvernement brésilien va lutter pour que que ces négociations aboutissent à un nouvel accord équilibré, équitable et efficace. Le Brésil a fait sa part pour lutter contre le changement climatique.

Nous nous sommes engagés, à la Conférence de Copenhague de 2009, à une réduction volontaire de 36% à 39% de nos émissions de gaz d’ici à 2020. Entre 2010 et 2013, nous avons cessé de rejeter dans l’atmosphère 650 millions de tonnes de dioxyde de carbone en moyenne par an. Nous avons atteint, pendant toutes ces années, les quatre plus faibles taux de déforestation de notre histoire. Au cours des 10 dernières années, nous avons réduit la déforestation de 79%, sans pour autant renoncer au développement économique ni à l’inclusion sociale.

Nous avons montré qu’il est possible de mener de front la croissance, l’inclusion sociale, la conservation et la protection. Une telle conquête est le résultat de cet engagement – ferme et continu – du gouvernement, de la société, des agents des secteurs public et privé. Nous attendons que les pays développés – qui ont l’obligation, non seulement juridique, mais aussi politique et moral, de diriger par l’exemple, démontrent sans ambiguïté et concrètement leur engagement à lutter contre ce mal qui nous afflige tous.

Lors du sommet Rio +20 (2012 NDT), nous avons eu la grande satisfaction de définir un nouvel agenda, basé sur des Objectifs de Développement Durable, applicables à la fois aux pays développés comme à ceux en développement.

Il sera fondamental de définir des moyens de mise en œuvre qui correspondent à l’ampleur des difficultés que nous nous sommes engagés à vaincre. Nous devons être ambitieux en termes de financement, de coopération, de construction de capacités nationales et de transfert de technologie, en particulier vers les pays les moins avancés.

Je souligne, dans ce contexte, la nécessité d’établir un mécanisme pour le développement, pour le transfert et la diffusion de technologies propres et durables.

Monsieur le Président,

A côté du développement durable et de la paix, l’ordre international que nous cherchons à construire repose sur des valeurs. Parmi elles se détachent en évidence la lutte contre toutes les formes de discrimination et d’exclusion.

Nous avons un engagement clair vis-à-vis de la valorisation des femmes dans le monde du travail, dans les professions libérales, les entreprises, les activités politiques, et dans l’accès à l’éducation, entre autres domaines. Mon gouvernement lutte sans relâche contre la violence envers les femmes sous toutes ses formes. Nous considérons le 21ème siècle comme le siècle des femmes.

De même, la promotion de l’égalité raciale, au Brésil, est une manière de réparer la souffrance endurée par les africains-brésiliens – qui représentent aujourd’hui plus de la moitié de notre population – durant plusieurs siècles d’esclavage.

Nous leur devons un inestimable et permanent héritage de richesses et de valeurs culturelles, religieuses et humaines. Pour nous, le métissage est un motif de fierté.

Le racisme, plus qu’un crime odieux, est une tache que nous n’hésitons pas à combattre, à punir et à éradiquer. Le même engagement que nous avons pris dans le combat contre la violence envers les femmes et les noirs, les afro-Brésiliens, nous le menons également contre l’homophobie. La Cour suprême de notre pays a reconnu l’union stable entre les personnes du même sexe, leur assurant tous les droits civils qui en découlent.

Nous croyons fermement à la dignité de chaque être humain et à l’universalité de ses droits fondamentaux. Ceux-ci doivent être protégés de toute discrimination et de toute politisation, à l’échelle nationale et internationale.

Une autre valeur fondamentale est le respect de la chose publique et la lutte implacable contre la corruption.

L’histoire montre qu’il n’y a qu’une seule façon correcte et efficace de lutter contre la corruption: la fin de l’impunité avec le renforcement des institutions qui contrôlent, qui enquêtent et qui punissent les actes de corruption, le blanchiment d’argent et autres délits financiers.

C’est une responsabilité de chaque gouvernement. Une responsabilité que nous assumons en renforçant nos institutions.

Nous avons construit le Portail Gouvernemental de la Transparence qui garantit au citoyen l’accès à toutes les dépenses publiques dans les 24 heures.

Nous avons approuvé la Loi sur l’Accès à l’Information qui permet au citoyen d’accéder à toutes les informations sur le gouvernement, exceptées celles qui sont liées à la souveraineté du pays.

Nous avons renforcé et donné leur autonomie aux organismes d’enquête et aussi à celui qui effectue un contrôle interne du gouvernement.

Nous avons créé des lois qui punissent la fois celui qui est corrompu, comme celui qui corrompt. Le renforcement de ces institutions est essentiel à l’amélioration d’une gouvernance ouverte et démocratique.

La réélection récente du Brésil au Comité exécutif du «Partenariat pour le Gouvernement Transparent» (2) nous permettra également de contribuer à rendre les gouvernements plus transparents sur la scène mondiale.

Monsieur le Président,

Il est essentiel de prendre des mesures pour protéger efficacement les droits de l’homme, tant dans le monde réel que dans le monde virtuel, comme le préconise la résolution de cette Assemblée sur la vie privée à l’ère numérique.

Le Brésil et l’Allemagne ont mené cette importante discussion en 2013 et nous souhaitons l’approfondir lors de cette session. Le rapport de la Haute-Commissaire aux droits de l’homme servira de base à cette évaluation. En Septembre 2013, j’ai proposé ici, dans la discussion générale, la création d’un cadre civil pour la gouvernance et l’utilisation d’Internet, sur la base des principes de la liberté d’expression, de la protection de la vie privée, de la neutralité du net et de la diversité culturelle.

Je note avec satisfaction que la communauté internationale s’est mobilisée depuis lors pour améliorer l’architecture actuelle de la gouvernance de l’Internet. Une étape importante dans ce processus a été la réalisation, à l’initiative du Brésil, de la Réunion Mondiale Multi-sectorielle sur l’Avenir de la Gouvernance de l’Internet – le NET mundial – à São Paulo, en avril de cette année.

L’événement a réuni des représentants de diverses régions du monde et de différents secteurs. On y a discuté des principes à suivre et des actions à entreprendre pour garantir que l’Internet continue d’évoluer de façon ouverte, démocratique, libre, multilatérale et multi-sectorielle.

Monsieur le Président,

Les États membres et les Nations Unies ont aujourd’hui devant eux des défis de grande ampleur. Ceux-ci doivent être les priorités de cette session de l’Assemblée générale. L’année 2015 se distingue comme un véritable tournant.

Je suis sûre que nous ne nous soustrairons pas à cette tâche de remplir, avec courage et avec clarté, nos hautes responsabilités dans la construction d’un ordre international fondé sur la promotion de la paix, du développement durable, ainsi que sur la réduction de la pauvreté et de l’inégalité.

Le Brésil est prêt et totalement déterminé à y apporter sa contribution.

Merci.

(1) Créé en 2010, le Fonds Social est un fonds souverain destiné à recevoir la partie des ressources du pré-sal qui revient au gouvernement fédéral à titre de redevances et de participations spéciales. Selon la loi, le Fonds social doit être une épargne pour le gouvernement, qui aidera à financer le développement du pays quand l’argent du pétrole diminuera, et contribuera à réduire les effets d’un «déferlement» possible de dollars dans le pays suite à l’exportation du pétrole du pré-sal.

Pré-sal: énormes réserves de pétrole et de gaz profondément enfouies (à environ 6.000 mètres, sous une couche de sel, d’où son nom) au large des côtes des États de São Paulo, d’Espirito Santo et de Rio de Janeiro. Ces réserves sont difficiles et coûteuses à exploiter, mais elles placent le Brésil au 6ème rang des pays détenteurs potentiel de pétrole.

(2) Le Partenariat pour un gouvernement transparent (anglais: Open Government Partnership) est un organisme international visant à promouvoir un gouvernement ouvert, par une augmentation de la participation civique, la lutte contre la corruption et la mise en œuvre des nouvelles technologies afin d’offrir un service plus efficace et plus responsable

Source (Planalto – Palais de la Présidence – Brasilia) : http://www2.planalto.gov.br/acompanhe-o-planalto/discursos/discursos-da-presidenta/discurso-da-presidenta-da-republica-dilma-rousseff-na-abertura-do-debate-de-alto-nivel-da-69a-assembleia-geral-das-nacoes-unidas-onu

Traduit par Lucien pour Si le Brésil m’était traduit…

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Discours de la Présidente de la République du Brésil, Dilma Rousseff, à l’ouverture du Débat Général du Sommet de la 68e Assemblée Générale des Nations Unies (ONU) en 2013

Ambassadeur John Ashe, Président de la 68e Assemblée Générale des Nations Unies,

Monsieur Ban Ki-moon, Secrétaire Général des Nations Unies,

Excellentissimes Chefs d’État et de Gouvernement,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-comme introduction d’exprimer ma satisfaction à la vue d’un illustre représentant d’Antigua et Barbuda – pays faisant partie de l’espace des Caraïbes si cher au Brésil et dans notre région – participer aux travaux de cette cession de l’Assemblée Générale.

Vous pouvez compter Excellence sur l’appui permanent de mon gouvernement.

Permettez-moi aussi, en préambule de mon intervention, d’exprimer le dégout du gouvernement et du peuple brésilien pour l’attentat terroriste qui s’est produit à Nairobi. J’exprime nos condoléances et notre solidarité aux familles des victimes, au peuple et au gouvernement du Kenya.

Le terrorisme, où qu’il advienne et d’où qu’il vienne, ne méritera jamais que notre condamnation sans équivoques et notre ferme détermination à le combattre. Jamais nous ne transigerons avec la barbarie.

Monsieur le Président,

Je veux porter à l’attention des délégations une question que je considère de majeure importance et gravité. De récentes révélations concernant les activités d’un réseau d’espionnage électronique global ont provoqué et écœuré tous les secteurs de l’opinion publique mondiale.

Au Brésil, la situation fut encore plus sérieuse, nous avons été ciblés par cette intrusion. Les données personnelles des citoyens ont fait l’objet d’interception sans discrimination.

Des informations relatives aux entreprises – et souvent, de grande valeur économiques et stratégiques – ont été la cible de cet espionnage. De même, des représentants de la diplomatie brésilienne, dont la Mission Permanente aux Nations Unies et la propre Présidence de la République ont vu leurs communications interceptées.

S’immiscer de cette manière dans la vie des autres pays est une atteinte au Droit International et un affront aux principes qui régissent les relations entre ces pays, surtout entre nations amies.

Jamais une souveraineté ne devrait pouvoir se renforcer au détriment d’une autre. Jamais le droit à la sécurité des citoyens d’un pays ne peut être garanti par le biais d’une violation des droits humains et civils fondamentaux de citoyens d’autres nations.

Pire encore lorsque des entreprises privées justifient cet espionnage. Aucun argument ne justifie l’interception illégale d’informations et de données destinée à protéger les nations contre le terrorisme.

Le Brésil, monsieur le président est capable de se protéger. Il rejette, combat et ne sert pas d’abri aux groupes terroristes. Nous sommes un pays démocratique, entouré de pays démocratiques, pacifiques et respectueux du Droit International. Nous vivons en paix avec nos voisins depuis plus de 140 ans.

Comme tant d’autres latino-américains, j’ai lutté contre l’arbitraire et la censure et je ne peux cesser de défendre de manière intransigeante le droit à la vie privée des individus et à la souveraineté de mon pays.

Sans lui – le droit à la vie privée – il n’y a pas de véritable liberté d’expression et d’opinion et, par conséquent pas de réelle démocratie. Le non-respect de la souveraineté, brise les liens d’union possibles entre les nations.

Nous sommes, monsieur le président, face à un cas important de violation des droits de l’homme et des libertés civiles ; l’intrusion et la rétention d’informations secrètes relatives à des activités d’entreprise et, surtout, d’un manque de respect à la souveraineté nationale de mon pays.

Nous avons fait savoir au gouvernement des États-Unis notre désapprobation, et exigé des explications, des excuses et la garantie que de telles pratiques ne se reproduiraient plus.

Les gouvernements et les sociétés amies, qui veulent consolider une alliance effective et stratégique, comme c’est notre cas, ne peuvent permettre que des actions illégales, soutenues, se produisent comme si cela était courant. Elles sont inadmissibles.

Le Brésil, monsieur le président, redoublera ses efforts pour se doter d’une législation, de technologies et de mécanismes afin de nous protéger d’interceptions illégales de communication et de données.

Mon gouvernement fera tout son possible pour défendre les droits humains de tous les brésiliens et de tous les citoyens du monde et protéger le fruit de l’ingéniosité de nos travailleurs et de nos entreprises.

Cependant, le problème, va bien au-delà de la relation bilatérale entre deux pays. Il affecte toute la communauté internationale et en exige une réponse. Les technologies de télécommunication et de l’information ne peuvent servir de nouveau champ de bataille entre les états.

C’est le moment de créer les conditions pour éviter que l’espace cybernétique soit instrumentalisé comme une arme de guerre, par le biais de l’espionnage, du sabotage, ou des attaques contre les systèmes et infrastructures d’autres nations.

L’ONU doit définir un rôle de leader dans l’effort de régulation comportemental des États face à ces technologies et à l’importance de l’internet, de ce réseau sociale, pour la construction de la démocratie mondiale.

Pour cette raison le Brésil fera des propositions afin d’établir un point de référence civil multilatéral en relation à l’administration et l’utilisation de l’internet et des moyens garantissant une effective protection de transport des données.

Nous avons besoin d’établir pour ce réseau mondial des mécanismes multilatéraux capables de garantir des principes comme :

  1. La liberté d’expression, l’intimité des individus et le respect des droits de l’homme.
  2. L’administration démocratique, multilatérale et ouverte, exercée de manière transparente, pour stimuler la création collective et la participation de la société, des gouvernements et du secteur privé.
  3. De l’universalisme assurant le développement social et humain ainsi que la construction de sociétés ouvertes au partenariat et non discriminantes.
  4. De la diversité culturelle, sans imposition de croyances, coutumes ou valeurs.
  5. De la neutralité du réseau, qui se bornera à respecter les critères techniques et étiques, rendant inadmissibles des restrictions d’ordre politiques, commerciales, religieuses ou de quel qu’autre nature.

L’approbation du potentiel intégral de l’internet passe donc, ainsi, par une régulation responsable garantissant dans le même temps la liberté d’expression, la sécurité et le respect des droits de l’homme.

Monsieur le président, mesdames et messieurs,

Le thème de cette Assemblée Générale me parait idéal pour définir l’ordre du jour en relation au développement post-2015. Le combat contre la pauvreté, la faim et les inégalités constitue le plus grand défi de notre temps.

C’est pour cela, que le Brésil a choisi un modèle économique avec inclusion sociale, stabilisant la création d’emplois, le renforcement de l’agriculture familiale, l’élargissement des crédits, la valorisation des salaires la construction d’un vaste réseau de protection social, particulièrement par le biais de notre programme Bolsa Familia.

Au-delà de ces conquêtes passées, nous avons arraché à l’extrême pauvreté, avec le Plan Brésil sans Misère, 22 millions de brésiliens, en seulement deux ans. Nous avons réduit la mortalité infantile de forme drastique. Un récent rapport de l’UNICEF démontre que le Brésil est un pays pionnier dans la chute de cet indicateur (pauvreté) sur le plan mondial.

Les enfants sont une priorité pour le Brésil. Cela se traduit dans un engagement envers l’éducation. Nous sommes le pays qui a investi le plus dans le secteur public éducationnel, selon dernier rapport de l’OCDE. Aujourd’hui nous réservons par loi, 75% des royalties du pétrole pour l’éducation et 25% pour la santé.

Monsieur le Président,

Dans le débat sur l’agenda de développement post-2015 nous devons considérer comme axes les résultats de RIO+20.

Le grand pas que nous avons fait à Rio de Janeiro fut de placer la pauvreté au centre de l’agenda du développement durable. La pauvreté monsieur le président, n’est pas un problème exclusif des pays en développement, et la protection de l’environnement ne peut être un objectif que lorsque la pauvreté est éradiquée.

Le sens de l’agenda post-2015 est basé sur la construction d’un monde dans lequel il soit possible de croitre, inclure, conserver et protéger.

En favorisant, monsieur le président, l’ascension sociale et l’extinction de l’extrême pauvreté, comme nous le faisons, nous créons un immense contingent de citoyens aux conditions de vie meilleures, possédant un plus accès à l’information et conscient de ses droits. Un citoyen avec de nouvelles espérances, de nouveaux désirs et de nouvelles exigences.

Les manifestations de juin, qui ont eu lieu dans mon pays, sont indissociables de notre processus de construction démocratique et de changement social. Mon gouvernement ne les a pas réprimées, au contraire, il a entendu et compris les voix de la rue. Nous avons entendu et compris parce que nous venons des rues.

Nous avons été formés par le quotidien des grandes luttes du Brésil. La rue est notre socle, notre base. Les manifestants ne demandaient pas un retour au passé. Mais ils exigeaient une progression ver un futur plus juste, ainsi que plus de participation et plus de conquêtes sociales.

Dans ce Brésil, cette la décade fut celle qui a noté la plus grande réduction d’inégalités de ces cinquante dernières années. Ce fut la décade où nous avons créé un système de protection sociale qui nous a pratiquement permis aujourd’hui d’éradiquer la pauvreté.

Nous savons que la démocratie crée plus de désirs de démocratie. L’inclusion sociale provoque une demande de plus d’inclusion sociale. La qualité de vie réveille des désirs de plus de qualité de vie. Pour nous, toutes les avancées conquises ne sont qu’un début.

Notre stratégie de développement exige plus, comme le veulent tous les brésiliens et les brésiliennes. Pour cela, il ne suffit pas d’entendre, il est nécessaire de faire. Transformer cette extraordinaire énergie des manifestations en réalisations pour tous.

Pour cela j’ai lancé cinq grands projets : le pacte pour le combat de la corruption et de la réforme politique ; le pacte de la mobilité urbaine, pour améliore les transports publics et pour une réforme urbaine ; le pacte de l’éducation, notre grand passeport pour le futur, avec l’aide des royalties et des fonds sociaux du pétrole ; le pacte pour la santé, lequel prévoit l’envoi de médecins pour recevoir et sauver la vie des brésiliens qui vivent dans des lieux isolés et pauvres du pays ; et le pacte pour la responsabilité fiscale, pour garantir la viabilité de cette nouvelle étape.

Mesdames et messieurs,

Passée la phase la plus critique de la crise, la situation de l’économie mondiale continue à se montrer fragile, avec des niveaux de chômage inacceptables. Les données de l’OIT indiquent l’existence de 200 millions de chômeurs dans le monde.

Ce phénomène affecte les populations des pays développés ou non. Le moment est donc choisi pour renforcer les tendances de croissance de l’économie mondiale qui donnent semble-t-il des signes de récupération.

Les pays émergents ne peuvent à eux seuls garantir la reprise de la croissance globale. Plus que jamais, il faut coordonner une action pour réduire le chômage et rétablir le dynamisme du commerce international. Nous sommes tous dans la même barque.

Mon pays récupère sa croissance en dépit de l’impact de la crise internationale de ces dernières années.

Nous comptons sur trois éléments importants : L’engagement de politiques macroéconomiques solides, la maintenance de politiques prospères sociales et inclusives et l’adoption de moyens pour augmenter notre productivité et la compétitivité des nations.

Nous avons comme engagement la stabilité avec le contrôle de l’inflation, avec les meilleures dépenses publiques possibles et la maintenance d’une fiscalité raisonnée.

Et puis, monsieur le président nous continuons d’appuyer la réforme du Fond monétaire international. Les administrateurs du Fond devraient s’interroger se pencher sur le poids des pays émergents et en développement dans l’économie mondiale. L’attente dans ce contexte réduit d’autant son efficacité.

Mesdames et messieurs, monsieur le président,

L’année 2015 marquera le soixante-dixième anniversaire des Nations Unies et le 10e du sommet mondial de 2005. Ce sera l’occasion pour réaliser l’urgente réforme que nous demandons depuis cette date.

Il est indispensable d’éviter la déroute collective représentée par le fait d’arriver en 2015 sans un Conseil de Sécurité capable d’exercer pleinement ses responsabilités dans le monde actuel. La représentation limitée du CS face aux défis du XXIe siècle est préoccupante.

Un exemple en est la grande difficulté rencontrée pour offrir une solution au conflit syrien et la paralysie au niveau du traitement de la question israélo-palestinienne. Sur ces importants sujets la polarisation récurrente des membres permanents crée un immobilisme dangereux.

Il est urgent de doter le CS de qui soient à la fois indépendantes et constructives. Seule l’augmentation du nombre des membres permanents ou non et l’inclusion de pays en développement dans chaque catégorie permettra d’assainir l’actuel déficit de représentativité et légitimité du Conseil.

Monsieur le président,

Ce débat général offre l’opportunité pour réitérer les principes fondamentaux qui orientent la politique extérieure de mon pays et notre position sur des sujets brulants de réalisme et sur l’actualité internationale.

Nous sommes positionnés pour la défense d’un monde multilatéral, régie par le Droit International, pour la priorité de solutions pacifiques des conflits et pour la recherche d’un ordre solidaire et juste sur le plan économique et social.

La crise syrienne nous afflige et provoque l’indignation. Deux ans et demi de mort et de destruction ont déjà causé le plus grand désastre humanitaire de ce siècle. Le Brésil qui compte une importante communauté de descendants syriens, est profondément concerné par ce drame.

Il faut empêcher la mort des innocents, des enfants, des hommes, des femmes et des vieillards. Il faut faire taire les armes – conventionnelles ou chimiques qu’elles soient du gouvernement ou des rebelles. Il n’y aura aucune issue par le biais des armes. La seule solution passe par la négociation, le dialogue et les accords.

La décision de la Syrie d’accéder à la Convention sur la Prohibition des Armes Chimiques fut très importante, comme son application immédiate. Cette mesure est décisive pour dépasser ce conflit et contribuer à la naissance d’un monde libre de ces armes. Leur utilisation, je le répète, est odieuse et inadmissible quelle que soit la situation.

C’est pour cela que nous soutenons l’accord obtenu entre les USA et la Russie pour l’élimination des armes chimiques syriennes. Il appartient au gouvernement syrien de l’honorer intégralement, de bonne-foi dans un esprit de coopération.

Quelles que soient les hypothèses, nous rejetons toute intervention unilatérale qui contrarierait le Droit International, sans autorisation du Conseil de Sécurité. Cela ne ferait qu’aggraver l’instabilité politique de la région et augmenterait la souffrance humaine.

De même une paix durable entre Israël et la Palestine est plus urgente que jamais compte tenu des transformations dont le Moyen Orient est l’objet. L’heure est venue pour s’occuper des légitimes aspirations des palestiniens pour un État indépendant et souverain. L’heure est également venue pour transformer en réalité l’ample consensus international favorable à une solution de deux États. Les négociations actuelles entre israéliens et palestiniens doivent entrainer des solutions pratiques et significatives pour arriver à un accord.

Monsieur le président, mesdames et messieurs, ,

L’histoire du XXe siècle prouve que l’abandon du multilatéralisme est le prélude à des guerres ne laissant comme trace que misère humaine et dévastation. Elle nous démontre également ce que la promotion du multilatéralisme permet de récolter sur le plan de l’éthique, de la politique et des institutions.

Ainsi je renouvelle mon appel au profit d’une ample et vigoureuse conjonction de volontés politiques, en vue de soutenir et réhabiliter le système multilatéral, dont le pilier central se trouve aux Nations Unies.

À sa naissance étaient réunies les espérances que l’humanité pourrait passer le stade des blessures infligées par la seconde guerre mondiale.

Il serait possible alors de reconstruire, de ces dégâts et de cette boucherie, un nouveau monde de liberté, de solidarité et de prospérité.

Nous avons tous comme tâche de ne jamais laisser périr cette espérance si généreuse et si féconde.

Merci beaucoup, mesdames et messieurs.

Traduction – Alain Conny sur son blog

Source: http://www.les-crises.fr/discours-a-lonu-de-la-presidente-du-bresil-dilma-rousseff/


Critiques en Allemagne après l’annonce d’un rachat d’actifs par la BCE

Monday 6 October 2014 at 00:10

Reprise AFP.

Encore parfait ces Allemands (sur ce point… !) face à ce nouveau scandale…

Plusieurs voix critiques, dont celle du président de la Bundesbank, se sont élevées en Allemagne dimanche après la décision de la BCE d’ouvrir encore plus la vanne des liquidités en zone euro en lançant un programme de rachats d’actifs.

Le dirigeant de la banque centrale allemande, Jens Weidmann, a jugé dans l’hebdomadaire Focus que la Banque centrale européenne (BCE) achetait des actifs “de faible qualité”. Ce faisant, “les risques en matière de crédit pris par les banques privés vont être transférés vers la banque centrale et donc vers les contribuables, sans compensation adéquate“, selon le banquier central.

Le président de la BCE, Mario Draghi, a annoncé jeudi le rachat d’ABS dès le quatrième trimestre 2014, ainsi que d’obligations sécurisées à partir de mi-octobre, et ce pendant au moins deux ans.

De son côté, le ministre bavarois des Finances, Markus Söder, a également critiqué cette décision. “Nous craignons de plus en plus que la BCE devienne ainsi une ‘bad bank’”, a-t-il dit dans le quotidien régional “Münchner Merkur” à paraître lundi. Pour ce responsable conservateur, l’automne “sera chaud” et il attend du gouvernement d’Angela Merkel qu’il s’oppose à ces mesures.

Le président des Caisses d’épargne allemandes, Georg Fahrenschon, a souligné que la BCE créait un cercle viscieux avec sa politique monétaire actuelle, basée sur des taux très bas. “Avec des taux bas, il est plus facile pour les pays européens en crise de contracter de nouvelles dettes, plutôt que de se confronter aux problèmes et de mettre en place des réformes”, a-t-il estimé dans le quotidien régional “Magdeburger Volkstimme”.

L’achat prochain d’ABS par la BCE est controversé. Ces produits financiers complexes avaient été rendus en partie responsables de la crise financière de 2008. Leur mécanisme est similaire à celui des “subprimes” (titres adossés à des prêts immobiliers) américains.

Le rachat d’ABS est une des mesures de la BCE destinée à fluidifier le crédit et donc à soutenir l’activité, alors que la zone est engluée dans une croissance très faible et des menaces de déflation.

Source : Boursorama

Le président de la Bundesbank Jens Weidmann

Source: http://www.les-crises.fr/critiques-en-allemagne-apres-lannonce-dun-rachat-dactifs-par-la-bce/


[Reprise] Décès de la géostratégie française par Richard Labévière

Sunday 5 October 2014 at 03:30

Richard LABÉVIÈRE est un journaliste et essayiste français qui a travaillé à RFI avant d’en être licencié en août 2008. Il est actuellement rédacteur en chef de Défense, la revue de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

Que pensez-vous de l’éventuel retour des wahhabites ? Vous avez rédigé un article sur l’État islamique et le renseignement américain… Pourriez-vous nous expliquer de quoi il retourne ?

Richard Labévière. L’usage de l’islamisme politique radical et de l’islamisme armé est une vieille histoire qui commence avec la signature du Pacte de Quincy entre le Président Roosevelt qui rentre de la Conférence de Yalta en 1945 et le roi Ibn Séoud. Il s’agit du premier accord « pétrole contre la sécurité »… Comme ça les Américains avaient le feu vert pour exploiter la plus grande réserve d’hydrocarbures du monde contre le f ait qu’ils protégeraient la politique de la dynastie séoudienne y compris sa diplomatie en direction de la plupart de pays arabo-musulmans dans leur volonté d’hégémonie du monde arabo-musulman.

Donc les Américains ont commencé effectivement par soutenir la monarchie saoudienne et l’idéologie wahhabite… A la clé de cette posture l’utilisation, dès le milieu des années 50, de la confrérie égyptienne des Frères musulmans financés par l’Arabie Saoudite. Mais à l’instant où Nasser rompt avec les Etats-Unis sur l’affaire du barrage d’Assouan, et se tourne vers l’URSS (et il soutient peu ou prou le nationalisme arabe), les services américains vont beaucoup utiliser les Frères musulmans. Et les Frères Musulmans seront choyés par les administrations successives démocrates et républicaines, et pour une bonne raison ! Parce que là où vous avez les Frères Musulmans, vous n’avez pas de syndicat ni parti communiste ! Pas de parti nationaliste ! Et les gens font l’aller-retour entre la mosquée et le Mac Donald ! Donc les Frères Musulmans sont les vecteurs de libéralisme économique, versus Washington ! On l’a vu avec le déclenchement des révolutions arabes : une thèse de l’effondrement du régime autoritaire qui était jusqu’à maintenant soutenue par les Etats-Unis et dont, pensaient les Américains, l’alternative sera justement les Frères Musulmans.

Malheureusement, les Frères Musulmans au pouvoir en Egypte et en Tunisie n’ont pas su gérer l’économie, et, un an après l’arrivée au pouvoir de Morsi en Egypte, il y avait 3O Millions d’Egyptiens dans la rue !

Il fallait autre chose ! Et l’administration américaine qui réellement a tourné la page d’Al-Qaïda et de Ben-Laden, exécute ce dernier au Pakistan, en mai 2011, pour éviter une convergence entre ces malmenées révolutions arabes et la mouvance Al-Qaïda pour essayer de tourner cette page d’Al-Qaïda. Les relations de Ben-Laden avaient été beaucoup utilisées contre l’Armée soviétique en Afghanistan…Et après la fin de la Guerre Froide les services américains avaient continué à instrumentaliser cette nébuleuse Al-Qaïda un peu partout dans le monde : en Tchétchénie, en Bosnie, en Afghanistan, en Chine…

A un moment donné l’administration Obama veut tourner la page. Et c’est pour ça qu’ils vont essayer de siphonner le djihadisme global pour favoriser la formation des djihadistes locaux prétendant à gérer les territoires ou constituer des Etats. Et c’est comme ça que durant l’hiver 2012-2013 les services américains vont favoriser l’émergence de DAISH, de l’Etat Islamique de l’Iraq et du Levant qui va prendre Môssoul le 9 juin dernier.

Et donc les services américains avaient signalé à plusieurs reprises qu’il fallait soutenir ces djihadistes locaux contre les djihadistes globaux d’Al-Qaïda pour en finir avec Al-Qaïda !

Malheureusement, nouvelle déconvenue américaine : des djihadistes locaux vont s’avérer absolument ingérables… Et ils se mettent à menacer l’ensemble de la région ! En juin dernier ils se sont constitués en Califat. Donc la signification politique du Califat, c’est qu’ils prétendent avoir un droit de regard sur la gestion de la communauté musulmane comme la Mecque ou Médine. Et là on a un raidissement des monarchies wahhabites qui prennent peur ! Et c’est seulement à ce moment-là que l’administration américaine envisage les bombardements sur les djihadistes dans le Kurdistan, en Iraq, voire en Syrie…

Donc là on assiste à un fabuleux retournement et à un nouveau revers de l’improvisation politique et diplomatique au Proche-Orient qui dure depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale ! Tout ça nous ramène à une très vieille histoire qui est le financement et le soutien logistique de ces mouvements islamiques de sunnisme radical financés par l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Emirats et le Koweït et avec l’aval des services pakistanais, de l’Afghanistan sans parler de la bienveillance des services américains qui se sont toujours trompés sur cette mouvance qui a toujours créé des effets néfastes aussi bien pour les intérêts arabes qu’américains sinon russes pour tout la région du Proche et Moyen Orient !

Et la France là-dedans ? Y a-t-il quelque chose à craindre pour la France ?

Richard Labévière. Malheureusement pour mon pays, la décadence a commencé avec le deuxième mandat de Chirac et la résolution 2539 en septembre 2004 où la France a eu son sursaut gaullien, à l’occasion du discours du 14 février 2003 au Conseil de Sécurité condamnant la deuxième Guerre d’Iraq. Les Américains nous ont fait payer très cher ce geste dans toutes les enceintes internationales et dans tous les hauts-lieux de l’économie importants ! Et on a fini par prêter allégeance aux Etats-Unis avec cette résolution dont l’effet était absolument désastreux ! Il s’agissait du retrait syrien du Liban avec le résultat que l’on connaît et le désarmement du Hezbollah… Cela a été inséré dans un cadre plus large : à savoir une Conférence Globale pour traiter l’épicentre de ces crises…

Malheureusement, quand vous tronçonnez le Proche et Moyen Orient, vous donnez raison à l’agenda américano-israélien… Chirac a commencé à le faire. Sarkozy s’est totalement aligné. La politique et la diplomatie françaises étaient beaucoup par trop pro-arabes et qu’il fallait rééquilibrer à la faveur de l’Etat d’Israël. Sarkozy a réintégré la France au commandement intégré de l’OTAN… Et on pensait qu’avec François Hollande les choses seraient un peu différentes et qu’on reviendrait à une certaine vision gaulliste. Malheureusement, il n’en a rien été ! Et François Hollande avec Laurent Fabius ont fait pire que Nicolas Sarkozy dans l’alignement sur la position américano-israélienne ! Maintenant on peut considérer que pratiquement il n’y a plus de diplomatie française pour le monde arabe ! La France prend systématiquement parti pour Israël ! On l’a vu lors de la dernière opération de Gaza.

Elle prend aussi systématiquement parti contre l’Iran et contre la négociation américano-iranienne. Lorsque Barak Obama a déclenché les bombardements sur la Syrie à propos des armements chimiques dont on sait aujourd’hui qu’ils étaient aussi utilisés par l’Alliance sunnite, la France n’a pas réagi ! Ainsi on voit que l’on a une politique française qui s’appuie principalement sur l’Arabie Saoudite maintenant dans le monde arabe… Pourquoi ? Espérant peut-être signer des contrats importants avec l’Arabie Saoudite. Cela me semble une vision politique de courte vue et cela finira par un isolement diplomatique de la France, sinon la fin de la diplomatie française dans le monde arabe au Proche et Moyen-Orient !

Interview de Richard LABÉVIÈRE par Alexandre Artamonov

Source : Le Grand Soir

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Voici le texte évoqué :

Coalition improbable contre l’État islamique…

« La meilleure des réponses militaires à opposer à l’Etat islamique consistait à retourner contre lui ses propres armes : enlèvements, assassinats ciblés et déplacements de population. Et pour donner le moins de publicité en martyrologie à ces jihadistes qui en raffolent, il s’agissait surtout de mener ces opérations de manière la plus opaque et la plus clandestine possible », explique un officier supérieur des forces spéciales françaises. En organisant une conférence internationale à Paris et en déchaînant tous les tam-tams médiatiques, les présidents français et américains ont fait exactement ce qu’il ne fallait pas faire en s’exposant, par avance, aux mêmes contreperformances de la désastreuse « guerre contre la terreur » de George W. Bush.

Pire, cette nouvelle mobilisation d’affichage ne manquera pas d’apparaître aux yeux du monde arabo-musulman comme une nouvelle croisade occidentale. Cette « coalition » risque aussi de ressouder l’Etat islamique (Daesh) qui fait déjà redonner les trompettes anti-impérialistes, anti-croisés, etc. En dernière instance, cette opération vise peut-être moins l’éradication des méchants barbus – si longtemps choyés par l’Oncle Sam -, que la stabilité des frontières issues des accords Sykes-Picot (1) , sinon l’avenir des intérêts américano-saoudiens scellés par le Pacte du Quincy (2) toujours en vigueur…

Une première incohérence saute aux yeux : aucun des grands pays de la région n’est partie prenante, sans parler de la Russie et de la Chine. Pourtant principal membre de l’OTAN du Moyen-Orient, la Turquie n’a même pas rejoint la coalition et pour cause ! Elle finance et arme depuis l’été 2011 les principaux groupes jihadistes engagés contre Damas… et elle va continuer à le faire ! La Syrie justement, pourtant en première ligne contre Daesh – mais dont les pays occidentaux ont juré la fin -, n’a pas été invitée de même que l’Iran avec lequel sont pourtant engagées des négociations sur un dossier nucléaire qui concerne l’ensemble de la région. Intelligent ! Israël, évidemment ne peut apparaître au grand jour, alors que ses services spéciaux n’ont cessé d’attiser la montée de l’islamisme radical à Gaza, en Egypte, en Syrie et ailleurs afin de mieux fragmenter ses Etats voisins. Du côté européen, ce n’est guère plus brillant : les Allemands livrent aux Kurdes des armes et des saucisses, les Britanniques cherchent à éradiquer d’abord les indépendantistes écossais, tandis que les autres regardent ailleurs, continuant à pousser leurs PME dans la région…

Seul François Hollande, qui voulait et veut toujours apparemment « punir » la Syrie est présent à l’appel. Déjà engagée sur deux fronts importants en Afrique (Mali/Sahel et Centrafrique), la France ne pourra aligner que quelques Rafale et Mirage 2000 dans un contexte où les réductions budgétaires successives de son budget de défense ont failli provoquer la démission de ses quatre chefs d’état-major. Mais le plus surprenant est de voir Paris prendre aujourd’hui le contrepied du sursaut gaullien qui lui avait fait refusé la guerre d’Irak du printemps 2003, c’est-à-dire refuser des coalitions militaires qui n’ont pas reçu l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies. Ainsi Paris fragilise non seulement son siège de membre permanent au Conseil de sécurité mais apparaît clairement comme le supplétif de Washington dont la stratégie reste pour le moins fumeuse. En son temps Tony Blair passait pour le caniche de George Bush alors qu’on se demande aujourd’hui quels intérêts Paris peut sérieusement poursuivre dans cette galère improbable…

Sur un plan strictement opérationnel, les militaires savent parfaitement que des opérations aériennes ne suffiront pas à neutraliser un Etat islamique désormais en immersion dans les différentes populations civiles d’un immense territoire. « A un moment ou un autre, il faudra aller au sol », souligne un officier général français qui se demande qui pourra bien faire le boulot ; « la nouvelle armée irakienne est en carton-pâte, les milices recrutées se débanderont dès qu’il n’y aura plus d’argent, tandis que les soldats occidentaux – quels qu’ils soient -, ne sont pas prêts à mourir pour Bagdad, Erbil ou Mossoul… » Reste les Iraniens et les Syriens qui sentent le pâté…

Mais le plus cocasse de cette étrange coalition concerne les pays du Golfe – Arabie saoudite en tête -, qui vont continuer à soutenir les jihadistes tout en jurant la main sur le cœur qu’ils font le contraire. Et ils peuvent difficilement faire autrement au risque de voir ces méchants barbus – qu’ils arment et financent depuis des décennies avec la bienveillance de Washington -, se précipiter sur leurs monarchies corrompues, essoufflées et grotesques. On attend du reste avec impatience que les grands dignitaires sunnites de la mosquée d’Al-Azhar se prononcent sur le caractère licite, sinon positif de la « coalition ». Gageons qu’on peut attendre longtemps.

En l’occurrence, Godot se sera non seulement définitivement égaré dans le désert des Tartares mais il pourra toujours guider les pas des 700 jihadistes d’origine française qui, un jour ou l’autre, regagneront le pays. Alors ce ne seront ni les services turcs, ni la « grande coalition » contre l’Etat islamique qui viendront en appui de la France éternelle…

Par Richard Labévière Date de parution : 19/9/2014

(1) Les accords (secrets) Sykes-Picot ont été signés le 16 mai 1916, entre la France et la Grande-Bretagne (avec l’aval des Russes et des Italiens), prévoyant le partage du Proche-Orient à la fin de la Première Guerre mondiale en zones d’influence française et britannique, dans le but de contrer les revendications ottomanes.

(2) Le Pacte du Quincy a été signé le 14 février 1945 sur le croiseur USS Quincy entre le roi Ibn Séoud, fondateur du royaume d’Arabie saoudite et le président américain Franklin Roosevelt, de retour de la conférence de Yalta. Ce premier accord « pétrole contre sécurité » était prévue pour une durée de 60 ans. Il a été reconduit pour une même période en 2005 par le président George W. Bush.

Source: http://www.les-crises.fr/deces-de-la-geostrategie-francaise/


[Reprise] La démocratie au XXIe siècle par Joseph Stiglitz

Sunday 5 October 2014 at 01:30

Par Joseph E. Stiglitz, Professeur à Columbia University, le 02 septembre 2014

Le dernier livre de Thomas Piketty soulève des questions fondamentales sur la théorie économique et sur l’avenir du capitalisme.

NEW YORK – L’accueil fait aux USA et dans d’autres pays avancés au récent livre de Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, traduit une préoccupation croissante face à la croissance des inégalités. Ce livre donne encore plus de valeur aux éléments de plus en plus nombreux qui montrent que la montée des inégalités de revenus et des patrimoines bénéficie à une petite minorité au sommet de la pyramide.

Piketty jette également un regard neuf sur les quelques 30 ans qui ont suivi la Grande dépression et la Deuxième Guerre mondiale. Peut-être en raison de la cohésion sociale inhabituelle que peuvent susciter des événements cataclysmiques, il considère cette période comme une anomalie historique de croissance économique rapide durant laquelle la prospérité était partagée au bénéfice de tous, notamment des plus défavorisés.

Il éclaire autrement les idées de « réformes » vendues par Reagan et Thatcher dans les années 1980 en tant qu’accélérateurs de croissance qui devaient profiter à tous. Leurs réformes ont été suivies par davantage d’instabilité et une croissance plus faible qui a bénéficié seulement aux plus riches.

L’analyse de Piketty soulève des questions fondamentales à la fois sur la théorie économique et sur l’avenir du capitalisme. Elle met en évidence une importante hausse du rapport capital/production. La théorie standard associe une telle hausse à une chute des revenus du capital et une hausse des salaires. Mais aujourd’hui les salaires baissent, mais pas les revenus du capital. Aux USA par exemple, au cours des 4 dernières décennies le salaire moyen a baissé de 7%.

Bulle immobilière

L’explication la plus évidente est que l’augmentation du capital mesuré ne correspond pas à une augmentation du capital productif – et les données semblent en accord avec cette interprétation. Une grande partie de l’augmentation du capital tient à une hausse des prix dans l’immobilier. Avant la crise financière de 2008, il est apparu une bulle immobilière dans de nombreux pays ; et même aujourd’hui la « correction » n’est peut-être pas encore achevée. Cette hausse des prix est peut-être aussi  la conséquence d’une concurrence entre les riches pour des biens de prestige – une maison en bordure de plage ou un appartement sur la 5e avenue à New-York.

Il arrive aussi qu’une hausse du capital financier mesuré corresponde simplement à un déplacement du capital « non mesuré » au capital mesuré – un déplacement qui peut traduire en réalité une dégradation de l’économie. Si le pouvoir des monopoles s’accentue ou si des firmes (les banques par exemple) mettent au point des méthodes plus efficaces pour exploiter les clients ordinaires, cela se traduira par une hausse des profits, et après capitalisation, par une hausse du capital financier.

Quand cela se produit, il est évident que le bien-être général et l’efficacité économique diminuent, alors que l’on mesure officiellement une augmentation du capital. Cela tient à la non prise en compte de la diminution correspondante de la valeur du capital humain – le patrimoine des travailleurs.

Par ailleurs, si les banques parviennent à utiliser leur influence politique pour socialiser leurs pertes et conserver une part de plus en plus grande de leurs gains mal acquis, le capital mesuré du secteur financier augmente. De la même manière, si les entreprises réussissent à convaincre l’État de verser un prix exorbitant pour leurs produits (c’est le cas des grands laboratoires pharmaceutiques) ou si elles peuvent obtenir les richesses d’un pays à un prix inférieur à celui du marché (c’est le cas des compagnies minières), le capital financier mesuré augmente, tandis que la diminution du patrimoine des citoyens ordinaires reste invisible.

Système politique défaillant

Ce que nous observons – une stagnation des salaires et une montée des inégalités accompagnées d’une augmentation du capital – ne traduit pas le fonctionnement normal d’une économie de marché, mais ce que j’appelle un succédané de capitalisme (l’ersatz capitalisme). Le problème ne tient peut-être pas à la manière dont les marchés fonctionnent ou devraient fonctionner, mais à notre système politique qui ne parvient pas à rendre les marchés concurrentiels et a conçu des règles qui encouragent les dysfonctionnements des marchés, permettant ainsi aux entreprises et aux riches d’exploiter autrui (ce que malheureusement ils font).

Certes, les marchés n’opèrent pas dans le vide. Il faut une règlementation, et elle doit provenir d’un processus politique. Trop d’inégalité économique dans un pays comme les USA (et de plus en plus dans ceux qui suivent leur modèle économique) produit des inégalités politiques. Dans un tel système, les chances de progrès économique et de mobilité sociale deviennent inégales elles aussi.

Les prévisions de Piketty quant au creusement encore plus marqué des inégalités ne reflètent pas les lois inexorables de l’économie. Des changements simples – une fiscalité plus importante sur les bénéfices du capital et sur les successions, des mesures pour faciliter l’accès à l’éducation, une application rigoureuse des lois anti-trust, une réforme de la gouvernance des entreprises qui limite les revenus des dirigeants et une règlementation financière qui empêche les banques d’exploiter le reste de la société – réduiraient sensiblement les inégalités.

Avec une législation appropriée, nous pourrions peut-être même restaurer la croissance économique rapide et partagée qui caractérisait les sociétés de classe moyenne au milieu du XXe siècle. La principale question à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui n’est pas celle du capital au XXIe siècle, mais celle de la démocratie au XXIe siècle.

Joseph Stiglitz est prix Nobel d’économie et professeur à l’université de Columbia à New-York. Écrit en collaboration avec Bruce Greenfield, son dernier livre s’intitule Creating a Learning Society: A New Approach to Growth, Development, and Social Progress (Comment créer une société de la connaissance : une nouvelle approche de la croissance, du développement et du progrès social).


Source : lesechos.fr

Joseph Stiglitz

Source: http://www.les-crises.fr/reprise-la-democratie-au-xxie-siecle-par-joseph-stiglitz/


Revue de presse internationale du 5/10/2014

Sunday 5 October 2014 at 00:15

Interrogations sur l’Allemagne, la pseudo-fin de la crise financière, les USA et les fonds vautours, la crise ukrainienne, et pour couronner le tout (pour l’occident) la veine de la Russie…

Source: http://www.les-crises.fr/rdpi-du-05-10-2014/


[Ça va mieux en le disant] “Je me bats depuis longtemps pour une vision libérale de l’économie”, par François Rebsamen

Saturday 4 October 2014 at 02:45

Le scandale du jour, détaillé ici : L’interview “libérale” de François Rebsamen retirée juste après sa publication

“MARCHE ARRIÈRE TOUTE – C’est l’histoire d’une interview de François Rebsamen, un entretien à un magazine bourguignon, Le Miroir, qui aurait certainement apporté son lot de polémiques : le ministre du Travail y présente sa “vision libérale de l’économie”, tance la retenue du Parti socialiste sur ce sujet et glisse quelques amabilités à Jean-Christophe Cambadélis et Michel Sapin. Mais l’interview a été dépubliée quelques minutes après sa mise en ligne, à la demande du ministre. [...]

Sur Twitter, l’attachée de presse du ministre est formelle : “Ce n’était pas une interview”. Contactée par Le Lab, elle précise :

Nous avons accepté un reportage sur la vie d’un ministre, où il habite, etc. Ce n’était pas destiné à être publié sous la forme d’une interview, c’était une discussion à bâtons rompus. Quand ils sont partis, je leur ai demandé de m’envoyer les citations, de m’envoyer l’article pour la version papier et ils étaient d’accord. Entre-temps, ils l’ont publié sans me prévenir. Il n’y a pas eu de relecture, or je n’accepte jamais une interview sans relecture.

Une condition très fréquente avec les responsables politiques, ministres de surcroît. L’attachée de presse assure par ailleurs que s’il s’était véritablement exprimé dans le cadre d’une interview formelle, “en tant que ministre du Travail”, il aurait “précisé” un certain nombre de choses. “Parfois, on dit des choses et quand on les relit, on s’aperçoit que ce n’était pas exactement ce qu’on voulait dire”, détaille-t-elle.

“C’est une histoire de fous”, explique pourtant l’auteur de l’article, Jérémie Lorand, au Monde :

J’ai bien précisé que c’était une interview. J’ai même tout enregistré. Nous connaissons bien François Rebsamen puisqu’il était maire de Dijon, nous n’avons jamais fait relire nos interviews.

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Cette interview, démentie par le ministre, mais confirmée par le journaliste, est donc désormais un élément important du débat démocratique.

Je décide donc de la publier, grâce au cache de Google. N’hésitez pas à la reprendre sur vos blogs pour qu’elle ne disparaisse pas.

Je ne commente pas…

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Pour l’opposition, il porte le nom de “ministre du chômage”. s’est enfin installé de manière définitive dans les locaux historiques du ministère du Travail au 127 rue de Grenelle à Paris. Proche, très proche du Président de la République, il a accepté un poste clé du gouvernement de , sans doute l’un des plus difficiles aussi.

Symboliquement pendu durant tout l’été par les du spectacle, il a fait une rentrée fracassante en septembre en s’attaquant aux “fraudeurs” de Pôle emploi. Désormais il revendique sa ligne libérale et reste intimement persuadé qu’il pourra être celui qui relancera durablement la croissance en France.

Quelques mois après son arrivée, nous sommes allés le rencontrer il y a quelques jours dans son ministère, à Paris.

François Rebsamen bonjour. Depuis un mois, vous avez rejoint le siège historique du ministère du Travail, celui de la Rue de Grenelle. C’est là qu’ont été signés les fameux Accords de mai 68. C’est là que sont passés Pierre Bérégovoy et Martine Aubry. Une force pour étouffer la grogne ?

Pour la gauche, ce ministère est historique. Alors nous ne pouvons avoir qu’en référence ces grands ministres qui sont passés par là : Jean-Michel Jeanneney, en mai 68, Jean Auroux, qui a signé les accords du même nom, Pierre Bérégovoy, qui était un ami ou encore Martine Aubry, qui a marqué le monde du Travail avec la réforme des 35 heures. Lors de la passation avec Michel Sapin [l'ancien ministre du Travail, NDLR], j’ai souligné la beauté de ce ministère. Je n’en mesurais pas encore la difficulté.

Justement, considérez-vous aussi qu’il s’agit du pire ministère du gouvernement ?

C’est surtout le ministère qui, tout au long du XXème siècle, a permis de former, d’organiser, de codifier le monde du travail, de protéger les travailleurs. C’est du ministère du Travail qu’émanent les grandes avancées sociales : Les Accords de Matignon en 1936, les seuils sociaux et la création des comités d’entreprise en 1945, sous le Général de Gaulle, la lutte contre le travail des enfants, contre le travail de nuit…

Désormais, nous sommes dans une autre phase : du ministère des avancées sociales, nous devenons ministère du dialogue social et des grandes protections collectives, nous devons désormais enregistrer des avancées sur les protections individuelles. C’est encore plus complexe. Il faut lutter contre le travail dissimulé, le travail illégal… C’est une forme d’esclavagisme humain et j’ai demandé aux inspecteurs du travail d’être plus vigilants sur cette question.

Il est très grave de voir des socialistes siffler un ministre lorsqu’il dit qu’il aime l’entreprise

Lorsque vous êtes arrivé au ministère, François Hollande promettait d’inverser la courbe du chômage, désormais, vous refusez de commenter les chiffres mensuels. Pourquoi ce changement de communication ?

Tout simplement parce que ce n’est pas le bon référentiel. Malgré l’amitié que je porte à Michel [Sapin], il s’est totalement trompé. On ne juge pas le chômage mois par mois, mais sur des périodes plus longues : un trimestre, un semestre. Il s’est mis des boulets aux pieds et les a laissés à son successeur.

Je tente de renverser la compréhension des choses : le taux de chômage est différent du nombre d’inscrits et il permet les comparaisons internationales. Le taux de chômage en France métropolitaine est de 9,7% de la population active au sens du Bureau international du travail. C’est beaucoup, mais il y a déjà eu plus. Si on ne s’y attarde pas, les citoyens seront persuadés que nous avons un taux de chômage qui a explosé. Pour parler clair : je tente de m’enlever un boulet, assez plombant, en changeant de stratégie.

Vous vous êtes finalement réjoui que le chiffre de 150 000 emplois d’avenir ait été atteint fin septembre. Des emplois subventionnés, n’est-ce pas artificiel pour enrayer la hausse du chômage ?

Ce n’est absolument pas artificiel. C’est même le contraire. À la différence des emplois jeunes qui s’adressait à un public qualifié, les emplois d’avenir sont proposés aux jeunes des quartiers issus de la politique de la ville. Ils sont 80% à ne disposer d’aucun diplôme, à être très loin de l’emploi. Les acteurs de l’insertion demandaient du temps : le contrat peut donc durer trois ans et le taux de rupture est très faible, proche des 10%. En revanche, le taux de réussite est certain, car le contrat propose une formation. Ceux qui vont sortir du dispositif, à la fin du contrat, seront qualifiés pour décrocher un emploi. En quelque sorte, nous préparons une partie de la génération de décrocheurs à aller vers l’emploi lorsque la croissance reviendra.

Il y a tout de même 900 000 jeunes sans diplômes. Où trouver les marges de manœuvre ?

Nous faisons beaucoup de choses pour eux. De nombreux dispositifs existent. Parlons déjà de l’apprentissage. Dans les têtes, c’est une voie de garage alors qu’il faut le voir comme une voie d’excellence, qui permet la réussite. Les chefs d’entreprise adorent l’apprentissage, mais ne prennent personne en alternance. La prime qui avait été supprimée – c’était une erreur – est désormais doublée. Il n’y a donc plus d’excuse. À partir de l’année prochaine, nous allons développer la garantie jeune. Une procédure qui concernera les jeunes qui n’ont ni emploi ni stage, ni formation ni éducation, leur permettra de suivre un parcours d’insertion sociale. Il y a en aura 50 000 l’année prochaine.

Nous faisons donc feu de tout bois. Mais on ne remplace pas la croissance, il faut que la machine économique reparte. Ce qui crée l’emploi, c’est l’entreprise. Dès lors, nous pouvons préparer les jeunes, les former ou empêcher qu’ils sombrent.

[Note OB : Relire d'urgence l'excellent billet Les entreprises ne créent pas l’emploi, par Frédéric Lordon]
Ce que vous dites c’est que la pédagogie, que vous avez appelée de vos vœux lors de la première partie du quinquennat, n’est peut-être pas si simple ?

J’essaye d’être pédagogue. Nous sommes dans un pays qui a du mal à accepter les choses. Si nous voulons sauver le modèle social français, il doit être irréprochable : les droits et les devoirs de chacun doivent être bien définis. Les Français sont attachés à ce modèle social, mais il faut l’adapter. Ce sont ces adaptations que nous devons expliquer, détailler.

Mais cette pédagogie n’est-elle pas trop tardive ? Nous sommes déjà à mi-mandat.

Il n’est jamais trop tard pour faire les choses. Le parti socialiste est en pleine mue idéologique. Moi je l’ai effectuée depuis longtemps. Il faut donc l’expliquer. Il est très grave de voir des socialistes siffler un ministre lorsqu’il dit qu’il aime l’entreprise. Franchement, c’est quoi le socialisme ? Ce n’est pas la richesse pour chacun. Ah bon, certains socialistes doutent que ce soit l’entreprise qui crée des richesses ? L’entreprise, c’est des salariés.

Lors de la campagne des municipales, vous aviez affirmé qu’il ne fallait pas tout céder au Medef.

Alors le Medef c’est une chose. Ce n’est pas la vie des entreprises. J’ai trois niveaux d’interlocuteurs : le niveau interprofessionnel national, la posture, avecle Medef, la CGPME et les autres ; ensuite les branches et au bout les entreprises. Au niveau local, les entreprises et donc les salariés font vivre le territoire, le développe. Elles savent ce qu’on veut.

Lorsque je rencontre les branches, je leur rappelle que pendant dix ans, elles n’ont rien dit. C’est incroyable. Les entreprises ont perdu marges et compétitivité, sans rien dire. Et là, sous prétexte qu’il s’agit d’un gouvernement socialiste, elles viennent pleurer. Nous faisons un effort sans précédent pour redonner des marges aux entreprises : nous restituons 41 milliards d’euros, l’équivalent de deux points de PIB pour permettre l’investissement, la création d’emploi, l’apprentissage. En un mot nous demandons de préparer l’avenir.

N’y avait-il pas un parasitage avec un Arnaud Montebourg parfois virulent envers les chefs d’entreprises ?

Arnaud s’est investi dans sa mission. Il aime l’industrie, l’industrie lourde, l’industrie tricolore. Il préférait une entreprise allemande à une autre parce qu’elle était américaine. Arnaud Montebourg est un personnage complexe : il s’accrochait avec des patrons en arrivant puis les câlinait. Il a bien fait son boulot pour les entreprises en difficulté. Il s’est investi, mais avait une approche particulière. Un peu “olé olé” ! C’est un comédien, un avocat.

Mais ça, François Hollande le savait lorsqu’il a nommé Arnaud Montebourg dans le gouvernement…

Oui, tout à fait. Les gens peuvent ensuite se révéler. Et je ne parle pas de ceux qui ont truandé comme Thomas Thévenoud. On ne pouvait pas laisser passer ces gamineries.

Je ne suis pas là pour stigmatiser les chômeurs, encore moins pour casser les droits sociaux, mais pour rappeler les règles

Ces événements ont parasité la communication du gouvernement dont la première promesse était d’inverser la courbe du chômage en 2017. Y croyez-vous encore ?

Les entreprises continuent de créer de l’emploi, mais pas assez pour faire face à l’afflux de nouveaux entrants sur le marché du travail comme les jeunes et les femmes. J’ai rencontré le patronat allemand lundi 29 septembre, je me suis fait un petit plaisir. Ils voulaient donner des leçons, mais oublient plusieurs choses : l’Allemagne connaît une baisse de sa démographie et a donc de moins en moins de jeunes entrant sur le marché du travail, elle n’encourage pas non plus les femmes à travailler. Notre système de protection du chômage est fort et permet d’éviter la pauvreté. Le taux de pauvreté des chômeurs français, au sens du BIT, est de 38%. Chez nos voisins allemands, il est de 62%.

Pôle emploi dispose de plusieurs dispositifs pour protéger les demandeurs d’emploi. Il y a donc des personnes qui ne recherchent pas d’emploi et qui sont comptabilisées dans les chiffres. Il s’agit par exemple de personnes en situation de préretraite, qui sont dispensées de recherche. Au sens du BIT, ils ne sont plus demandeurs d’emploi.

La phrase que vous évoquez a en effet provoqué un tôlé, au sein même du parti socialiste. La regrettez-vous ?

Oui ce fut un véritable tollé médiatique. Politique aussi. Ce qui n’a pas empêché 60% de la population d’approuver ce message. Ils ont conscience qu’il faut adapter notre système social, par ailleurs très protecteur : en renforçant les contrôles, en assouplissant les seuils, la législation sur les 35 heures, en autorisant le travail le dimanche. Ils sont bien plus en avance que nous sur la nécessité d’un certain pragmatisme en politique.

Malheureusement, le parti socialiste, ou du moins son secrétariat national refuse toutes ces avancées. Il ne veut pas casser les tabous, se pose en garant de l’ordre social établi. Je ne suis pas là pour stigmatiser les chômeurs, encore moins pour casser les droits sociaux, mais pour rappeler les règles. Et c’est parfois dur. Je ne suis pas un ennemi de l’entreprise, je ne suis pas pour l’économie administrée ni pour les pays communistes. Je me bats depuis longtemps pour une vision libérale de l’économie, de la vie de l’entreprise. Avec des droits sociaux, avec une protection de l’individu.

Les citoyens des classes populaires se rendent bien compte que la droite ou la gauche ne sont pas prêtes à appliquer ces réformes alors ils se tournent vers les extrêmes. C’est ça que je veux éviter. Les socialistes ne vivent plus comme les gens : les élus ne connaissent pas le terrain. Ils ne savent pas comment la vie se déroule dans un HLM, dans le quartier de la Fontaine-d’Ouche, qui rassemble toutes les nationalités, dans sa diversité…

Selon vous les élus sont donc totalement déconnectés du terrain ?

Ils ne l’ont surtout pas connu. Il faut être maire, conseiller municipal conseiller général pour connaître cette réalité. Valls la connaît. A Évry, il l’a vécu. Moi aussi. Beaucoup d’élus n’ont pas fait de combat politique. Dans les quartiers, ils auraient rencontré des citoyens qui touchent le Smic, qui triment et qui peuvent en voir d’autres profiter du système. Ils se disent “pourquoi eux et pas moi” ? Pourquoi c’est comme ça ? Il faut être rigoureux et proche.

En sous-jacent vous semblez dire que ce qui peut marcher par exemple à Dijon, peut fonctionner partout.

Bien entendu. Le chômage a baissé de 8,7 à 8% à Dijon. Comment peut-il baisser dans notre ville et pas dans des endroits similaires ? Il faut se poser la question.

Je suis personnellement convaincu que les résultats seront plus rapides

On a vu que le Conseil Constitutionnel a censuré les allégements de cotisations salariales. Elles devaient concerner 5,2 millions de salariés et 2,2 millions de fonctionnaires. Le motif du Conseil : Méconnaissance du principe d’égalité. Est-ce le cas ?

Les 41 milliards d’euros que nous avons débloqués doivent permettre de redonner des marges de compétitivité aux entreprises. Nous voulions essentiellement les réserver au secteur concurrentiel, mais le Conseil Constitutionnel en a décidé autrement : du coup, cette possibilité sera donnée à toutes les entreprises. Cette mesure va finir par porter ses fruits, le Président en est persuadé. Peut-être que ceci nous fera perdre la prochaine élection Présidentielle mais nous pensons que ceci est une nécessité pour le bien du pays. Si la droite et l’extrême droite reviennent, les entreprises se débrouilleront pour garder leur compétitivité. Quand on fait une politique de l’offre, on est obligé d’être en accord avec l’entreprise.

Vous envisagez donc l’éventualité de perdre la Présidentielle ?

Je ne suis pas pessimiste. Je crois toujours en une victoire. S’il faut être le dernier auprès de François Hollande, je le serai, car la victoire j’y crois. Pour moi, François est le candidat idéal. Mais la réalité c’est qu’une politique de relance par l’offre est très longue à mettre en œuvre et à porter ses fruits.

Je suis personnellement convaincu que les résultats seront plus rapides : dès le premier semestre 2015 pour le CICE par exemple

La dernière réforme que vous avez lancée est celle des seuils sociaux. Pourquoi faut-il les réformer ?

Le nombre d’entreprises de 48 ou de 51 salariés varie du simple ou double, il y a bien une raison. Il faut donc envisager un assouplissement des seuils sociaux. J’ai demandé aux partenaires sociaux de travailler ensemble pour faciliter cette réforme. 66% des entreprises de dix et vingt salariés n’ont pas de délégué du personnel alors que c’est une obligation. Et dans le tiers des entreprises qui en ont un, c’est le patron qui le choisit. Moi, ça m’interpelle.

Il y a des lourdeurs invraisemblables, des réunions inutiles… Le droit doit être réel et pas formel. Le dossier est désormais sur la table des partenaires sociaux. J’espère qu’ils arriveront à un accord avant la fin de l’année. Dans le cas contraire, le gouvernement prendra ses responsabilités.

Le vent souffle dans le bon sens pour Dijon et sa communauté urbaine

Parlons un peu de Dijon. Vous avez transmis le flambeau à votre ami Alain Millot. Quel bilan tirez-vous de ces premiers mois ?

Il est patient, apaisant. C’est d’ailleurs ce que je lui ai dit lors du dernier conseil municipal. Je lui ai envoyé un message, ainsi qu’à Nathalie [Koenders, la première adjointe, NDLR] et Colette [Popard, adjointe au maire déléguée au logement, NDLR] : “Il est bien Alain, il est calme, il est pondéré, à l’écoute. Ça fait du bien au conseil; tout le contraire de moi, car je suis agacé par Vandriesse, Bourguignat, Bichot et je ne parle même pas de Cavin”.

Alain Millot a surtout porté une réforme que vous aviez insufflée au Sénat : le passage en communauté urbaine du Grand Dijon.

Je suis très content d’avoir réussi mon coup. Ce passage en communauté urbaine va changer la dotation globale de fonctionnement (DGF) : de 34 euros par personne, nous allons désormais en toucher 60. Soit une enveloppe supplémentaire de six millions par an. 36 millions sur un mandat. Une marche est lancée vers l’unification des territoires dans le respect des uns et des autres. Il n’y a que la ville de Talant, pour des raisons politiques qui ne lui ont pas vraiment réussi d’ailleurs, qui n’a pas voté favorablement cette modification.

À terme, les territoires défensifs, comme Asnières-lès-Dijon, vont disparaître et nous allons poursuivre notre communauté de destin. Avec comme objectif de devenir une métropole, au cœur d’un bassin de 380 000 habitants, qui va tirer le département vers le haut.

On attendait la sortie de votre livre sur le football pour la rentrée…

(Il pointe son bureau). Il est là. 80% de l’ouvrage était rédigé avant que je n’arrive au ministère du Travail, mais je n’ai pas eu le temps d’écrire la dernière partie, consacré à la coupe du monde de football de juin 2014. Mais il est bien là, dans un tiroir et sortira au moment de l’Euro 2016.

À l’origine je voulais écrire un livre sur mes “France-Brésil”, mais l’éditeur a jugé que je n’étais pas assez connu alors il s’agira toujours de football, mais à travers le prisme politique. Sur les réseaux sociaux, les internautes ont critiqué cette démarche, mais la vérité c’est que l’ouvrage était en partie écrit avant d’arriver ici.

Pour l’Euro 2016 donc. Et avec une équipe en résidence à Dijon ?

La France accueillera en effet la compétition et la ville a postulé pour accueillir une équipe. Le Président de la Fédération française de football, Noël Le Graët, m’a confirmé que nous avions de grandes chances d’être retenus. D’ici là nous aurons avancé sur la construction de la tribune et sur tant d’autres projets comme la Cité de la gastronomie, la rénovation du Musée des Beaux-Arts, du chauffage urbain, sur la classification des climats au patrimoine mondial de l’Unesco. Le vent souffle dans le bon sens pour Dijon et sa communauté urbaine.

, Le Miroir
P.S. Amitiés à Jérémie Lorand – reste bien dans ton journal régional, c’est un des derniers petits espace de liberté d’information pour un journaliste…

Source: http://www.les-crises.fr/je-me-bats-depuis-longtemps-pour-une-vision-liberale-de-leconomie-rebsamen/


La Russie et la Chine vont-elles retenir leur puissance de feu jusqu’à ce que la guerre soit le seul choix possible ? par Paul Craig Roberts

Saturday 4 October 2014 at 01:45

Un billet de Paul Craig Roberts… Je rappelle que cet économiste et journaliste paléoconservateur américain a été sous-secrétaire au Trésor dans l’administration Reagan (1981-1982), et est un des pères fondateurs des Reaganomics. Il a également été rédacteur en chef adjoint au Wall Street Journal. Sa vision décape, en général… Je n’adhère pas à toute, bien évidemment, mais elle permet à chacun d’aiguiser son esprit critique…

C’est toujours intéressant de voir un conservateur libéral américain de premier plan, anticommuniste primaire, tenir des propos de bons sens que nos belles âmes (néo-conservatrices) de gôche sont bien incapables de comprendre…

Le discours d’Obama aux Nations Unies du 24 septembre est la chose la plus absurde que j’ai entendue de toute ma vie. Il est absolument stupéfiant que le Président des États-Unis puisse se présenter devant le monde entier pour tenir des propos que tout un chacun sait être de fieffés mensonges, tout en faisant simultanément la démonstration des doubles standards de Washington et de sa conviction que, de par le caractère exceptionnel et indispensable des États-Unis, Washington seul dispose du droit de violer toutes les lois.

Il est encore plus stupéfiant qu’aucune personne présente ne se soit levée pour quitter l’assemblée.

En fait, les diplomates du monde entier sont restés assis et ont écouté les mensonges éhontés du pire terroriste mondial. Ils ont même applaudi pour montrer leur approbation.

Le reste du discours n’était que pure foutaise : « Nous sommes à la croisée des chemins », « jalons du progrès », « risques réduits de guerre entre puissances majeures », « des centaines de millions tirés hors de la pauvreté », et tandis qu’ebola ravage l’Afrique, « nous avons appris à soigner la maladie et dompter l’énergie du vent et du soleil ». Désormais nous sommes Dieu. Ce “nous” est constitué de ce “peuple exceptionnel” – les Américains. Personne d’autre ne compte. Il n’y a que “nous”.

Il est impossible de choisir la déclaration la plus absurde du discours d’Obama, ou le mensonge le plus révoltant. Serait-ce celui-ci ? « L’agression russe en Europe nous rappelle les jours où les grandes nations piétinaient les petites pour satisfaire leurs ambitions territoriales ».

Ou bien celui-là ? « Après le lancement de manifestations populaires et d’appels à réformes par le peuple d’Ukraine, leur président corrompu a pris la fuite. La Crimée a été annexée contre la volonté du gouvernement de Kiev. La Russie a déversé des armes dans l’est de l’Ukraine, alimentant un mouvement séparatiste violent et un conflit qui a fait des milliers de morts. Lorsqu’un avion de transport civil a été abattu à partir de territoires que ces milices contrôlaient, elles ont refusé l’accès au site du crash pendant des jours. Lorsque l’Ukraine a commencé à reprendre le contrôle de son territoire, la Russie a cessé de faire semblant de se contenter de soutenir les séparatistes et a fait franchir la frontière à ses troupes. »

Le monde entier sait que Washington a renversé le gouvernement ukrainien élu, que Washington refuse de divulguer ses photos satellite de la destruction de l’avion de ligne malaisien, que l’Ukraine refuse de divulguer les instructions de son contrôle aérien à l’avion, que Washington a empêché une véritable enquête sur sa destruction, que les experts européens présents sur place ont témoigné que les deux côtés du cockpit de l’appareil montraient des traces de mitraillage, signes que l’avion a été abattu par les jets ukrainiens qui le suivaient. De fait, il n’y a eu aucune explication des raisons pour lesquelles deux jets ukrainiens talonnaient un avion de ligne guidé par un centre de contrôle aérien ukrainien.

Le monde entier sait que si la Russie avait eu des ambitions territoriales, alors lorsque l’armée russe, lors de l’attaque de l’Ossétie du Sud, avait vaincu l’armée géorgienne, entraînée et équipée par les Américains, elle aurait gardé la Géorgie et l’aurait réintégrée à la Russie, où elle fut durant des siècles.

Notez que les bombardements et invasions de sept pays en treize ans par Washington sans déclaration de guerre ne constituent pas une agression. Il y a agression lorsque la Russie accepte le résultat du référendum des habitants de la Crimée qui ont voté à 97 % en faveur d’une réunification avec la Russie, dont la Crimée a fait partie pendant des siècles, avant que Krouchtchev ne la greffe à la République Socialiste Soviétique d’Ukraine en 1954, alors même qu’Ukraine et Russie ne formaient qu’un seul pays.

Et le monde entier sait que, comme l’a déclaré le leader séparatiste de la République de Donetsk, « Si des unités militaires russes combattaient avec nous, ce n’est pas la chute de Marioupol qui ferait la Une mais celle de Kiev et de Lviv. »

Quel est « le cancer de l’extrémisme violent » : l’EIIL, qui a décapité quatre journalistes, ou bien Washington, qui a bombardé sept pays au cours du XXIe siècle, assassinant des centaines de milliers de civils et causant des millions de réfugiés ?

Qui est le pire terroriste : l’EIIL, un groupe qui redessine les frontières artificielles créées par les colonialistes britanniques et français, ou bien Washington et sa doctrine Wolfowitz, à la base de la politique étrangère des États-Unis, qui proclame que l’objectif principal de Washington est l’hégémonie américaine sur le monde ?

L’ElIL est la création de Washington. L’ElIL est formé des djihadistes dont Washington s’est servi pour renverser Kadhafi en Libye puis a envoyé en Syrie pour renverser Assad. Si l’ElIL est une « nébuleuse de la mort », un « étendard du mal » avec lequel toute négociation est impossible, comme Obama le déclare, c’est une nébuleuse de la mort créée par le régime d’Obama lui-même. Si l’ElIL est la menace qu’Obama proclame, comment le régime qui a créé cette menace peut-il être crédible en menant la guerre contre elle ?

Obama n’a jamais évoqué dans son discours le problème majeur qu’affronte le monde. Ce problème est l’incapacité de Washington à accepter l’existence de puissances indépendantes telles que la Russie et la Chine. La doctrine néoconservatrice Wolfowitz impose aux États-Unis de maintenir son statut d’unique superpuissance. Cette tâche nécessite que Washington « empêche toute puissance hostile de dominer une région dont les ressources pourraient êtres suffisantes pour générer une puissance mondiale si elles étaient placées sous un contrôle unifié ». Une “puissance hostile” est n’importe quel pays qui a suffisamment de pouvoir ou d’influence pour être en mesure de limiter l’exercice de la puissance de Washington.

La doctrine Wolfowitz cible explicitement la Russie : « Notre objectif primordial est d’empêcher la ré-émergence d’un nouveau rival, aussi bien sur le territoire de l’ancienne Union soviétique qu’ailleurs. » Est défini comme « rival » tout pays capable de défendre ses intérêts ou ceux de ses alliés contre l’hégémonie de Washington.

Dans son discours, Obama a dit à la Russie et à la Chine qu’elles pouvaient faire partie de l’ordre mondial défini par Washington, à condition d’accepter l’hégémonie de Washington et de n’interférer en aucune manière avec son contrôle. Quand Obama déclare à la Russie que les États-Unis coopéreront avec elle « si la Russie change de cap », Obama entend par là que Moscou doit accepter la primauté des intérêts de Washington sur les siens propres.

Cette position est très clairement inflexible et irréaliste. Si Washington s’y tient, alors la guerre avec la Russie et la Chine en découlera.

Obama a dit à la Chine que Washington entendait continuer à être une puissance dans le Pacifique au sein de la sphère d’influence chinoise, « en soutenant la paix, la stabilité et la liberté des échanges commerciaux entre les nations » grâce à la construction de nouvelles bases militaires américaines, aériennes et navales, des Philippines au Vietnam, de sorte que Washington puisse contrôler les échanges de ressources dans le Sud de la Mer de Chine et isoler la Chine à loisir.

Pour autant que je puisse en juger, ni le gouvernement russe ni le gouvernement chinois n’ont pris la mesure de la menace que représente Washington. La volonté américaine d’hégémonie mondiale semble trop farfelue pour que les Russes et les Chinois la prennent au sérieux. Mais elle est bien réelle.

En refusant de prendre la menace au sérieux, la Russie et la Chine n’ont pas eu les réactions qui auraient été susceptibles de mettre fin à la menace sans recours à la guerre.

Par exemple, le gouvernement russe pourrait très probablement détruire l’OTAN en signifiant aux gouvernements européens qu’en réponse aux sanctions imposées par Washington et l’UE, la Russie ne vendrait pas de gaz naturel aux membres de l’OTAN. Au lieu d’utiliser ce pouvoir, la Russie a sottement laissé l’UE accumuler des stocks historiques de gaz naturel qui sont suffisants pour permettre aux habitations et à l’industrie de passer l’hiver prochain.

La Russie a-t-elle sacrifié ses intérêts nationaux pour l’argent ?

L’axe du pouvoir de Washington et de son hégémonie financière repose sur le rôle du dollar comme monnaie de réserve mondiale. La Russie et la Chine ont été lentes, voire négligentes du point de vue de la défense de leur souveraineté, à profiter des occasions d’affaiblir ce pilier du pouvoir de Washington. Par exemple, les palabres des BRICS sur l’abandon du système de paiement en dollars a davantage consisté en paroles qu’en actes. La Russie ne demande même pas aux états européens vassaux de Washington de payer leur gaz naturel en roubles.

On pourrait penser qu’un pays comme la Russie, qui subit cette hostilité extrême et cette diabolisation par l’Occident utiliserait au moins ses ventes de gaz pour soutenir sa propre monnaie plutôt que le dollar de Washington. Si le gouvernement russe continue à soutenir les économies de pays qui lui sont hostiles et à permettre aux populations d’Europe de ne pas geler cet hiver, est-ce que la Russie, en échange de cette extraordinaire aide financière à ses ennemis, ne devrait pas au moins soutenir sa propre monnaie en demandant des paiements en roubles ? Malheureusement pour la Russie, elle est infestée d’économistes néolibéraux formés par l’Occident, qui représentent les intérêts de l’Occident et non ceux de la Russie.

Quand l’Occident constate une aussi extraordinaire faiblesse de la part du gouvernement Russe, Obama peut aller à l’ONU et dire les mensonges les plus flagrants au sujet de la Russie sans aucune conséquence pour les États-Unis ou l’Europe. L’inaction russe alimente la diabolisation de la Russie. La Chine n’a pas mieux réussi que la Russie à exploiter cette occasion de déstabiliser Washington. Par exemple il est avéré, comme Dave Kranzler et moi l’avons plusieurs fois démontré, que la Réserve Fédérale utilise ses agents bancaires du COMEX (“bullionbanks”) pour faire chuter le cours de l’or et ainsi protéger la valeur du dollar du résultat des politiques de la Réserve Fédérale. La méthode consiste à faire vendre à découvert d’énormes quantités par ces banques durant les périodes où le volume de transaction est faible ou inexistant afin de faire baisser le cours de l’once [NdT: et provoquer une ruée bancaire sur le dollar].

La Chine ou la Russie, voire les deux, pourraient tirer avantage de cette tactique en achetant toutes les positions de ventes à découvert ["naked shorts"], plus toutes les positions de ventes couvertes ["covered shorts"], s’il y en a, et exiger leur livraison plutôt que conclure les contrats en cash. Ni le New York Comex, ni le marché londonien ne pourraient en faire livraison, et le système imploserait. La conséquence de cette incapacité pourrait être catastrophique pour le système financier Occidental, mais au moins, elle démontrerait la corruption des institutions financières occidentales.

Ou bien la Chine pourrait envisager un coup plus fatal. Choisissant un moment d’effervescence ou d’instabilité des marchés financiers américains, elle pourrait déverser sur le marché les bons du Trésor qu’elle détient pour plus de mille milliards de dollars, ou encore vendre toutes ses parts d’instruments financiers américains. La Réserve Fédérale et le Trésor pourraient essayer de stabiliser les cours des dits instruments en créant l’argent nécessaire à leur rachat. Cette création monétaire augmenterait les inquiétudes sur la valeur réelle du dollar, et la Chine pourrait alors remettre sur le marché les plus de mille milliards de dollars produits par la vente de ses bons du Trésor. La Réserve Fédérale ne pouvant pas imprimer de monnaies étrangères pour acheter ses dollars, la valeur d’échange du dollar s’effondrerait et, avec elle, son usage comme monnaie de réserve mondiale. Les États-Unis deviendraient juste un pays ruiné de plus et incapable de payer ses importations.

On peut penser que Washington pourrait obtenir du Japon et de la Banque Centrale Européenne l’impression des yens et euros nécessaires pour racheter massivement les dollars déversés. Mais cela coulerait probablement le yen et l’euro avec le dollar.

Il y aurait alors une fuite vers les monnaies chinoises et russes, et l’hégémonie financière quitterait l’Occident.

Par leur retenue, la Russie et la Chine encouragent l’agressivité de Washington à leur encontre. La semaine dernière, Washington a envoyé des milliers de ses agents travaillant dans des ONG dans les rues de Moscou pour protester contre «la guerre de Poutine en Ukraine». Sottement, la Russie a permis à des capitaux étrangers d’acquérir ses journaux, qui maintenant mettent continuellement en accusation Poutine et le gouvernement russe auprès des lecteurs russes.

La Russie a-t-elle vendu son âme et sa communication pour des dollars ? Est-ce que quelques oligarques ont bradé la Russie pour des dépôts bancaires en Suisse ou à Londres ?

Tant la Chine que la Russie ont des populations musulmanes où la CIA œuvre en encourageant le séparatisme, la rébellion et la violence. Washington a l’intention de fragmenter la Fédération Russe en pays plus petits et plus faibles qui ne pourraient pas barrer la route à son hégémonie. La crainte, chez les Chinois et les Russes, de mouvements de dissension au sein de leurs populations musulmanes, a poussé les deux gouvernements à faire la très sérieuse erreur stratégique de s’aligner sur Washington contre l’EIIL et donc sur sa politique visant à protéger le statu quo de Washington dans le monde musulman.  [...]

La Chine fait l’objet de toutes sortes d’attaques. La Fondation Rockefeller recrute des agents dans les universités chinoises, comme m’en informent des universitaires chinois. Les entreprises américaines localisées en Chine forment des comités d’administration chinois où elles installent des parents de membres officiels locaux ou régionaux du parti. La loyauté au gouvernement central est ainsi reportée sur l’argent américain. En outre, il y a en Chine de nombreux économistes formés aux États-Unis qui sont imprégnés par l’économie néolibérale représentant les intérêts de Washington.

Il y a tant, en Russie qu’en Chine, de pourcentages significatifs de leur population qui souhaiteraient être occidentales. L’échec du communisme dans les deux pays et le succès de la propagande américaine de la guerre froide ont engendré des loyautés vis-à-vis de l’Amérique, plutôt que vis-à-vis de leurs propres gouvernements. En Russie, ils sont connus sous le terme d’« intégrationnistes atlantistes ». Il s’agit de Russes qui souhaitent être intégrés à l’Occident. Je connais moins bien leurs équivalents chinois, mais parmi les jeunes, le matérialisme occidental et l’absence de contraintes en matière sexuelle sont attrayants.

L’incapacité des gouvernements russes et chinois à résoudre la menace que pose pour leur existence d’États souverains l’insistance néo-conservatrice à réaliser une hégémonie mondiale américaine augmente le risque de conflit nucléaire. Si la Russie et la Chine entrent trop tard dans la partie, la seule alternative sera la guerre ou la soumission à l’hégémonie de Washington. Comme il est impossible que l’OTAN puisse envahir et occuper la Russie et la Chine, la guerre ne peut être que nucléaire.

Pour éviter cette guerre, qui, comme la plupart des experts l’ont démontré, mettrait un terme à la vie sur terre, les gouvernements russes et chinois doivent rapidement adopter une position beaucoup plus réaliste dans leur estimation du mal qui réside dans ce que Washington a transformé en pire État terroriste du monde : les États-Unis.

Il est possible que la Russie, la Chine et le reste du monde soient sauvés par l’effondrement de l’économie américaine. L’économie des États-Unis est un château de cartes. Le vrai  revenu médian [terme technique statistique] des ménages est en déclin à long terme. Les universités produisent des étudiants qui ont un diplôme et de lourdes dettes, mais pas d’emploi. Le marché des bons du Trésor est truqué par la Réserve Fédérale, qui a besoin de truquer les marchés des lingots pour protéger le dollar. Le marché boursier est truqué par le déversement d’argent de la Réserve Fédérale, par la Plunge Protection Team et par les sociétés qui rachètent leurs propres titres. Le dollar est soutenu par la tradition, l’habitude et les swaps de devises.

Le Château de Cartes américain reste debout uniquement du fait de la tolérance du monde pour une corruption et une désinformation immenses et de l’avidité satisfaite par l’argent provenant d’un système truqué.

La Russie et/ou la Chine pourraient balayer ce Château de Cartes dès lors que l’une d’entre elles ou les deux aurait un leadership qui en serait capable.

Source : Paul Craig Roberts, PaulCraigRoberts.org, 25/09/2014

Source: http://www.les-crises.fr/la-russie-et-la-chine-vont-elles-retenir-leur-puissance-de-feu-jusqua-ce-que-la-guerre-soit-le-seul-choix-possible-par-paul-craig-roberts/


L’Homme qui n’avait pas d’ironie – Obama réécrit l’Histoire à l’ONU, par Gary Leech

Saturday 4 October 2014 at 01:30

Fin de la série sur Obama à l’ONU…

Garry Leech est un journaliste indépendant et l’auteur de nombreux livres dont : Capitalism : A Structural Genocide (Zed Books, 2012) ; Beyond Bogota : Diary of a Drug War Journalist in Colombia (Beacon Press, 2009) ; et Crude Interventions : The United States Oil and the New World Disorder (Zed Books, 2006). Il est également conférencier au Département de Sciences Politiques à l’Université de Cape Breton au Canada.

Cette semaine le président américain Barack Obama s’est adressé à l’Assemblée générale des Nations Unies et l’ironie involontaire de son discours aurait été drôle, si elle n’avait été si cruelle – et dangereuse. Obama devait aborder divers sujets d’importance mondiale, de l’épidémie Ebola à l’Ukraine, à l’État islamique (autrefois dénommé EIIL). Quelle était donc cette ironie involontaire si présente dans son discours ?

Eh bien, je vous en livre ici quelques pépites choisies :

« Nous voyons l’avenir non pas comme quelque chose qui nous échappe, mais comme quelque chose que nous pouvons façonner pour le meilleur par l’effort concerté et collectif. »

Obama a négligé de considérer que la raison pour laquelle l’avenir semble hors de contrôle tient précisément aux interventions des États-Unis dans des territoires éloignés tels que l’Irak ou l’Ukraine. L’action illégale et unilatérale — plutôt qu’un effort collectif légal sous l’égide des Nations Unies — visant à conquérir et occuper l’Irak est à l’origine de la nouvelle intervention américaine dans ce pays et en Syrie.

« Les actions de la Russie en Ukraine ont défié cet ordre de l’après-guerre. Voici les faits. Après la mobilisation du peuple d’Ukraine par des manifestations populaires et un appel aux réformes, leur président corrompu s’est enfui. Contre la volonté du gouvernement de Kiev, la Crimée fut annexée. »

C’est là une déformation choquante des « faits », mais qui est crédible pour beaucoup d’Américains, car c’est le récit dont l’industrie des médias nous a régulièrement gavés.

Après que nos leaders politiques et les médias grand public nous aient dit, à l’époque, que le mouvement Euromaïdan constituait un soulèvement populaire, les événements ultérieurs nous ont mis à nu ce mensonge. Le mouvement Euromaïdan ne représentait qu’une fraction de la population ukrainienne alliée aux intérêts américains et européens. Plus encore, ce mouvement était soutenu par Washington bien avant que les manifestations ne commencent, et ce, afin de déstabiliser le pays et de renverser le président démocratiquement élu, parce qu’il était plus proche de la Russie que de l’Europe occidentale. Si la Russie est indiscutablement mêlée aux affaires ukrainiennes, c’est tout de même un voisin qui a noué des liens intimes, voire ethniques, avec de nombreux Ukrainiens. Imaginons la réponse des États-Unis si la Russie intervenait politiquement au Canada pour mettre en place un gouvernement anti-américain.

Et la Crimée n’a pas été « annexée », le peuple de Crimée a voté la sécession lors d’un référendum. Le fait que le nouveau gouvernement d’Ukraine, illégal et non-élu ait déclaré que la sécession de la Crimée violait la Constitution ukrainienne devenait véritablement ironique, puisque ce même gouvernement vint au pouvoir par le renversement anticonstitutionnel du président démocratiquement élu. Considérant le nombre d’habitants en Crimée qui ont voté pour la sécession et le grand nombre d’habitants de l’Est de l’Ukraine qui se battent pour la sécession plutôt que de vivre sous un nouveau gouvernement soutenu par les USA et l’UE, il est clair que le mouvement Euromaïdan ne parlait pas au nom de tous les Ukrainiens

« C’est une vision du monde où la force dicte le droit – un monde dans lequel les frontières d’une nation peuvent être redessinées par une autre et où des gens civilisés ne sont pas autorisés à récupérer les restes de leurs proches parce que la vérité pourrait être révélée. L’Amérique défend autre chose. Nous croyons que le droit fait la force – que les nations les plus importantes ne devraient pas pouvoir tyranniser les plus petites et que les gens devraient pouvoir choisir leur propre avenir. »

Par où commencer avec celle-là ? Sans aucun doute l’exemple le plus frappant de frontières d’une nation redessinées par d’autres au cours du dernier demi-siècle n’est pas l’EIIL en Irak et en Syrie, mais bien celui d’Israël en Palestine. Après la Seconde Guerre Mondiale, les Palestiniens vivaient sur 94 % du territoire connu sous le nom de Palestine. Aujourd’hui, ils n’occupent que 15 % du territoire et plus de 5 millions d’entre eux vivent dans des camps de réfugiés dans des pays voisins. Cependant, Israël poursuit l’occupation militaire de la rive ouest du Jourdain et l’installation de colons juifs dans les territoires occupés en violation du droit international. Le principal soutien politique, militaire et économique d’Israël, ce sont les États-Unis.

L’affirmation d’Obama selon laquelle « les grandes nations ne devraient pas pouvoir tyranniser les plus petites » est en totale contradiction avec la politique étrangère des USA, en faits et en actes, au cours de ces dernières décennies. Depuis 1980, les États-Unis sont intervenus militairement 37 fois dans 27 pays. En cinq ans, le président Obama a lui-même ordonné des attaques américaines contre sept nations (l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan, la Somalie, le Yémen, la Libye et maintenant la Syrie). Parmi les pays bombardés ou envahis pendant cette période, le Panama, Haïti ou la Grenade égalent difficilement les États-Unis, que ce soit par leur taille géographique ou leur puissance militaire. En fait, depuis ces cinquante dernières années, aucun pays n’arrive à la cheville des USA en matière d’ « intimidation de plus petites nations ».

« L’Irak est à nouveau au bord du gouffre. Le conflit a créé un terreau fertile pour le recrutement de terroristes qui exporteront inévitablement cette violence. »

Obama était proche de la vérité avec cette affirmation, mais il a complètement passé sous silence l’aspect le plus crucial des circonstances qui ont plongé l’Irak dans l’abîme, à savoir l’invasion et l’occupation américaine. L’abîme auquel se réfère Obama a été la période pendant laquelle l’insurrection irakienne combattait l’occupation militaire illégale de leur pays par les États-Unis. Ce fut l’invasion et l’occupation de l’Irak par les États-Unis, en violation du droit international, qui ont ouvert la porte du pays à Al-Qaïda et finalement, donné aussi naissance à l’EIIL. Ce sont les actions impérialistes des États-Unis à l’encontre d’une nation qui ne présentait aucune menace pour eux qui ont créé un « terreau fertile pour le recrutement de terroristes ». Ne l’oublions pas, il n’y avait aucun groupe extrémiste islamiste en Irak avant l’invasion américaine.

« Les pays du monde arabo-musulman doivent se concentrer sur le potentiel extraordinaire de leur population – en particulier les jeunes. »

Cette déclaration est moins ironique qu’incroyablement arrogante. Cette même arrogance impérialiste qui alimente les interventions militaires de Washington au Moyen-Orient et partout dans le monde permet aussi à Obama de croire qu’il peut dire au monde arabe et musulman ce sur quoi il « doit » se concentrer.

« Aucun pouvoir extérieur ne peut engendrer une transformation des cœurs et des esprits. Mais l’Amérique sera un partenaire constructif et respectueux. »

Je ne suis pas certain que les milliers de familles dont les proches ont été réduits en miettes par des bombes américaines en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, en Somalie, au Yémen, en Libye et en Syrie voient les États-Unis comme un « partenaire respectueux et constructif » dans la lutte contre l’extrémisme. Et, en fait, les États-Unis ont amené une « transformation des cœurs et des esprits » au Moyen-Orient ; leur agression militaire dans la région et leur soutien inconditionnel à Israël ont radicalisé un nombre significatif de musulmans. La veille du discours d’Obama aux Nations Unies, les premières attaques aériennes des États-Unis contre la Syrie ont tué 31 civils. La tuerie incessante, de cette manière, de civils va probablement radicaliser un nombre croissant de Syriens. En bref, ces mêmes tactiques qui ont engendré l’extrémisme ne vont pas éliminer l’extrémisme ; elles ne vont faire que l’encourager.

« Les États-Unis ne renonceront jamais à défendre leurs intérêts. »

Peut-être l’affirmation la plus vraie qu’ait exprimé Obama dans son discours. Après tout, l’intervention militaire américaine au Moyen-Orient est principalement motivée par les intérêts américains plutôt que par la promotion de la démocratie et des droits de l’homme. Après tout, si la politique étrangère américaine avait été vraiment motivée par ces derniers, alors Washington aurait depuis longtemps renversé la dictature impitoyable qui gouverne chez son proche allié l’Arabie Saoudite aussi bien que chez ses autres amis aux gouvernements autoritaires. Oh, à propos, le gouvernement Saoudien a fait décapiter huit citoyens le mois dernier.

Source : Garry Leech  Counterpunch, 26/09/2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Source: http://www.les-crises.fr/lhomme-qui-navait-pas-dironie-obama-reecrit-lhistoire-a-lonu-par-gary-leech/